B. CONSÉQUENCES SUR L'ANCIEN SYSTÈME ÉDUCATIF
La plupart des instituts publics furent fondés
selon le modèle éducatif chinois et leurs contenus d'enseignement
furent centrés sur les classiques confucéens. L'unique exception
concerna Hwarangdo, une organisation à la fois religieuse et militaire,
qui regroupait les jeunes aristocrates au début du VIe siècle. Ce
mouvement se fondait sur l'étude du bouddhisme et des arts martiaux,
ainsi que sur la transmission de valeurs telles que loyauté et
patriotisme
6
. Ces valeurs donneront au Royaume, quelques
décennies plus tard, la force de cohésion nécessaire, lors
de la première unification de la péninsule coréenne en 668.
L'agrandissement du territoire, consécutif à cette unification,
eut pour conséquence l'accroissement du nombre de fonctionnaires et,
pour répondre à ce nouveau besoin, la création de
l'Institut National Confucéen (Kuk-hak). Le programme d'étude
comprenait trois sections au choix : philosophie, histoire et
littérature.
Le royaume de Koryo (918-1392), succédant à celui de Silla
unifié, s'appuya toujours fortement sur le bouddhisme, tout en
adhérant aux valeurs morales et aux idéaux politiques
confucéens. Mais il fut néanmoins progressivement
réorganisé. C'est ainsi que l'on vit naître, dans la
capitale, une université nationale (Kuk-ja-gam) et des écoles
publiques (Hyang-gyo) dans les campagnes. Le programme de l'enseignement
supérieur comprenait, outre les classiques confucéens, des
matières plus pragmatiques comme la législation, la calligraphie
et même la comptabilité, celui de Hyang-gyo englobait
essentiellement les classiques chinois et l'histoire. Les réformes du
roi Kwangjong (949-975) contribuèrent à fonder un
véritable gouvernement central, avec un appareil administratif
renforcé, grâce à la création du système de
concours national, en 958
7
.
Ce nouveau système de concours fut mis au point par un ex-fonctionnaire
chinois, membre de l'ambassade de Chine et devenu, ensuite, le conseiller du
roi. Auparavant, les fonctionnaires étaient recrutés dans les
familles nobles bien en Cour. Le roi voulut remplacer ce système
élitiste par un examen officiel, qui permettrait de créer une
nouvelle classe de serviteurs de l'Etat, pour contrebalancer l'influence de
l'aristocratie et des propriétaires terriens. Cela présupposait
un effort considérable, qui consistât à créer une
structure bureaucratique nouvelle renforçant l'autorité royale.
Afin de donner plus d'éclat à cette nouvelle élite, le roi
procéda lui-même, à partir de 960, à la remise des
diplômes. La cérémonie avait lieu en costume de Cour et les
rangs des fonctionnaires étaient distingués par la couleur de
leur uniforme : pourpre, rouge, écarlate et vert.
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Les principes édictés par le Moine Won-Kwang
étaient les suivants : servir le roi avec loyauté, servir ses
parents avec piété filiale, être fidèle à ses
amis, ne jamais reculer au combat et ne pas tuer inconsidérément.
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Cf. André FABRE, 1988, pp. 132-136.
Le concours national comportait trois catégories d'épreuves :
- matières civiles pour les postes civils ordinaires ou les postes
élevés dans l'administration gouvernementale ;
- matières militaires pour les futurs officiers au service du
pouvoir royal ;
- matières diverses pour les fonctionnaires subalternes.
Toutes ces épreuves se déroulaient en trois étapes. On
procédait d'abord à un examen préliminaire dans chaque
région. Ceux qui avaient réussi se rassemblaient dans la
capitale, pour en passer un second à l'Académie Nationale. Pour
chaque province, il y avait un nombre limité d'admissibles,
calculé au prorata de la population. Après ce double barrage, on
pouvait enfin subir, en présence du roi, une ultime épreuve,
l'examen du Palais. Celle-ci proposait trois types de concours correspondant
aux trois catégories déjà citées :
- le grand concours, qui consistait à rédiger une
composition littéraire de culture générale ;
- le petit concours, qui portait sur les classiques chinois ;
- les examens spécialisés, qui servaient à recruter
les spécialistes dans des domaines techniques.
En 425 ans, il y eut 252 sessions d'examens et 6 718 reçus.
Ce système permit l'apparition d'une nouvelle classe au sein de la
société de Koryo : les lettrés confucéens. Pour
eux, la création des examens fut l'occasion rêvée de gravir
l'échelle sociale et de prendre part aux affaires de l'Etat.
Par ailleurs, le concours national étant le seul moyen de recruter les
fonctionnaires, il était un passage obligé pour les membres de la
classe dominante, une garantie de bien-être matériel et, surtout,
un grand honneur. Le succès à ce concours était, pour un
roturier, la voie la plus sûre pour s'élever socialement et aussi
le meilleur moyen de remplir ses devoirs filiaux. Aujourd'hui encore, le
concours national demeure un passage obligé pour accéder aux
postes élevés, par exemple du Ministère des Affaires
Etrangères ou de la Justice.
Vers la fin du XIVe siècle, les programmes furent
réorganisés, le confucianisme devenant le principal et unique
domaine d'études. L'éducation publique était alors
divisée en deux catégories bien distinctes : la première
englobait tout ce qui faisait partie du champ des études
confucéennes, dispensées dans les instituts publics :
l'université nationale (Sung-kyun-kwan) et les établissements
secondaires dans la capitale (Hak-dang) et en province (Hyang-gyo) ; la seconde
comprenait les matières pratiques, enseignées au sein de
départements spéciaux, ouverts dans les services administratifs
concernés. Cette dernière formation avait pour objectif de
fournir à l'Etat des fonctionnaires subalternes dans des domaines
spécifiques : droit, comptabilité, médecine,
géomancie, divination, interprétariat, danse et musique.
L'enseignement privé se développa à partir du XIVe
siècle. Les académies privées, Sowon, officiellement
reconnues par le roi, dispensaient l'étude des classiques
confucéens dans un climat relativement libéral. Certaines
académies concurrençaient directement l'université
nationale par la qualité de leur formation ; mais les lettrés
locaux diffusaient leurs propres conceptions et analyses et
transformèrent peu à peu ces établissements en
écoles de pensée, voire en véritables foyers de
contestation en encourageant, à la fin du XIXe siècle, les masses
à se révolter contre le pouvoir central. A la suite de ces
événements, ils furent interdits par décret royal : seuls
quarante-sept d'entre eux, reconnus comme importants, furent néanmoins
autorisés à poursuivre leurs activités.
Les écoles élémentaires, Sodang, contribuèrent
beaucoup à l'accroissement du niveau d'instruction de la population et
à la diffusion des valeurs et traditions confucéennes dans tout
le pays. Chaque village possédait au moins une ou deux écoles qui
avaient des formes diverses : soit une salle de classe aménagée
dans la maison d'un villageois instruit faisant office de maître
d'école, soit une école construite par les habitants, qui
faisaient venir ensuite un maître pour leurs enfants.
Ce n'est que vers la fin du XIXe siècle que ces établissements
commencèrent à modifier leurs programmes en y ajoutant de
nouvelles matières, notamment des sciences sociales et des langues
occidentales et à créer de nouvelles écoles
destinées aux enfants des milieux modestes. Les femmes étaient
exclues jusqu'alors de l'enseignement public. Leur niveau d'instruction
-dispensée à la maison- dépassait rarement la
maîtrise des caractères coréens et des idéogrammes
chinois rudimentaires. Les seules initiatives des parents consistaient à
développer, en elles, un esprit vertueux et à les préparer
à devenir des épouses idéales : fidèles, loyales,
effacées et efficaces pour le bon fonctionnement de la maison.
D'une manière générale, on peut observer un conservatisme
et une orientation néo-confucéenne, fortement impliqués
à travers tout l'ancien système éducatif.
On peut donc dire que
" l'éducation confucéenne a fait
des Coréens des hommes responsables et modérés, ayant un
sens moral aigu et manifestant beaucoup d'intérêt pour les
études et l'instruction en général. La conviction que
c'est à travers l'éducation que l'on devient vraiment un homme
est encore aujourd'hui profondément enracinée dans l'esprit de la
population " (Sun-Young PARK, 1991, p. 12).