B. LES MÉDIAS DE SOURCE, DE QUOI S'AGIT-IL?
L'identification claire de ce que seraient les médias de source est en elle-même une tâche importante, mais complexe. Nous pensons qu'il n'existe pas de modèle fermé, de standard monolithique pour les définir. Comme nous chercherons à le démontrer, ils constituent une proposition informative qui réunit des caractéristiques d'autres modalités proches - de la presse alternative jusqu'au mainstream media. C'est un phénomène que nous ne pouvons pas qualifier d'original, d'inédit, au vu de l'existence d'expériences antérieures dans l'histoire mondiale de la communication 162 ( * ) .
Même dans l'histoire récente, il existe dans le monde des exemples notoires de moyens corporatifs ayant tourné leurs projecteurs vers l'opinion publique en général. En France, citons L'Économie Nouvelle, éditée à partir de 1903 par la Fédération des Industriels et des Commerçants Français - FICF. La publication, qui était financée grâce aux cotisations versées par les entreprises associées à la FICF 163 ( * ) , s'est transformée en 1930 en un magazine d'économie tourné vers la société en général. Le Comité de Forges et le Comité des Houillères ont publié/financé, en 1912, le journal Le Temps, considéré comme l'organe officiel de ces deux entités 164 ( * ) . HALIMI atteste que Le Journal des Débats était aussi maintenu par le Comité de Forges, qui utilisait la publication pour jeter le discrédit sur les gouvernements de gauche et de centre gauche 165 ( * ) .
Bien avant les commerçants et les industriels français, dès le XIXe siècle, les adeptes de la religion protestante opéraient déjà leur propre presse, également dans le but d'intervenir sur la situation française et sur les décisions prises par le Parlement 166 ( * ) . Ces supports ont ouvertement soutenu l'appui financier des écoles religieuses par l'État. La présence d'une presse protestante, ou de toute autre ligne confessionnelle, indique l'existence de médias soucieux de représenter les intérêts d'une corporation donnée.
Le phénomène brésilien est inédit par la dimension qu'il a prise sur la scène nationale. À partir des années 1970 et par la suite, des initiatives destinées à produire un milieu plus propice à l'information ont été menées par une infinité de segments et constituent aujourd'hui un vaste réseau de micro-médias - rapporte REIS. La compétence de découper et de sélectionner ce qui est jugé nécessaire pour bien informer, selon des critères de discursivité institués et reconnus par le journalisme contemporain, a cessé de constituer un privilège des grands journaux et médias 167 ( * ) . Dans le cadre des institutions qui ont pris l'initiative de rompre ce monopole de la presse, il existe un large spectre de moyens informatifs qui peuvent varier selon le profil de l'acteur impliqué, les cibles, le discours, le standard technologique utilisé, la puissance, le niveau de professionnalisation, la structure et la capacité économique, entre autres facteurs. Toutefois, les divers médias de source ont comme élément identitaire commun - le facteur principal qui les rassemble - le fait d'être gérés par des acteurs sociaux qui ne sont pas des entreprises journalistiques et qui, avec un poids plus ou moins grand, cherchent, à travers la diffusion d'informations, à détenir le pouvoir d'influencer la sphère publique. Ces initiatives doivent être comprises comme un processus de transmission d'idées, de valeurs, de sentiments aux individus, dans la recherche d'une dynamique sociale ayant pour résultat l'influence sur et/ou la construction d'une opinion publique donnée.
b.1) Le profil, format et la nature des contenus.
Les médias de source sont dirigés vers le grand public, ils visent une audience bien plus grande que ce qui est couramment défini, selon les concepts des relations publiques, comme un public interne. La grande majorité d'entre eux sont distribués/diffusés gratuitement, sans qu'il soit nécessaire de s'y abonner, de s'inscrire, ou d'utiliser des mécanismes similaires qui permettent l'identification préalable du lecteur/spectateur par l'entité ou le groupe promoteur du support. Ils ne s'apparentent donc pas aux catalogues et aux autres publications similaires de distribution dirigée et visant à la promotion de produits et de services. Comme dans la presse traditionnelle, le consommateur de ces médias est une personne anonyme, qui doit être attirée par la nature de l'intérêt général des thèmes et des contenus travaillés- ce qui ne signifie pas qu'ils n'ont pas des publics cibles prioritaires.
Selon les termes de LAGE, qui a analysé les chaînes législatives 168 ( * ) , les MS sont des moyens de communication devant être classés comme des supports de public et non comme des supports de masse. Supports de public parce qu'ils s'adressent à une audience spécifique, à un public segmenté, non pas à la masse comme un tout, mais à un public doté de la capacité multiplicatrice de former l'opinion. MATHIEN, soutenu par BROTELLE, pense que la notion de publics segmentés, ou sous-public, comme il le définit, est un élément normal dans la logique médiatique et qu'il constitue un facteur influençant les critères de notiziabilità. Il n'existerait pas, selon BROTELLE, une édition journalistique unique pour tous, un produit médiatique global, mais une somme de sélections de nouvelles segmentées selon l'intérêt de chaque sous-public.
La réalité de la notion de sous-public [...] précise ce qu'on sait déjà : un contenu ne devient `message' que pour un sous-public qui l'aura sélectionné, tout comme en matière commerciale un produit est conçu et vendu pour un segment du marché global, pour une cible. Dans les deux cas, c'est une structure contenu-public qui semble intervenir opérationnellement 169 ( * ) .
Selon ce principe, le succès des médias de source ne doit pas être jugé uniquement en fonction de l'amplitude de la diffusion ou de la taille du public. À l'instar des médias alternatifs, ils ne doivent pas être analysés individuellement, ni en fonction de la dimension de l'audience individuelle qu'ils captent, mais selon une optique globale, en tant que réseau, network, qui confère la capacité de donner la parole à un éventail diversifié d'acteurs sociaux170 ( * ). Bien qu'il n'existe pas de système formel d'articulation de ces médias - à l'exception de quelques rares entités sectorielles représentatives de segments comme les chaînes législatives ou les chaînes/stations associatives/communautaires - ils ont la possibilité de réverbérer des informations originaires d'autres segments sociaux ou de les diffuser dans d'autres média de source.
Tout comme les médias alternatifs, les médias de source développent un travail d'articulation et de diffusion de points de vue sectoriels, de groupes d'intérêt et de segments sociaux, entre autres. Le langage principal de ce nouvel outil de communication est la rédaction journalistique. Elle suit le standard journalistique en respectant les morphologies et les genres journalistiques pratiqués par la presse traditionnelle - reportages, brèves, documentaires, illustrations, dessins d'humeur, interviews, etc. À l'instar de ce qui a été constaté pour les consumer magazines ou magazines de marque français, le contenu de ces médias n'est pas nécessairement de nature promotionnelle, commerciale ou propagandiste 171 ( * ) . La périodicité est régulière et similaire à celle des produits de la presse habituelle, beaucoup sont quotidiens ou en temps réel, et utilisent des supports médiatiques puissants, comme les canaux satellitaires ou le câble, des stations de radio ou des publications à grand tirage. Dans certains cas, ils vont jusqu'à entrer en concurrence avec la presse traditionnelle, en cherchant à fidéliser leur public.
Le contenu informatif qu'ils diffusent peut être classé comme de la communication publique, dans la mesure où nous entendons le concept de communication publique - comme le fait ZÉMOR - en tant que modalité discursive pour l'obtention d'une légitimité d'intérêt public172 ( * ). Ce n'est pas nécessairement une action de diffusion de l'État ou du gouvernement. Publique est employé ici par opposition à privé. Une pratique qui, selon l'auteur, peut partir d'instances de l'État, mais dont l'ambition essentielle est de contribuer à identifier l'utilité publique, à alimenter la connaissance civique, à stimuler la citoyenneté et à garantir le débat public. Un système qui cherche à se structurer à partir d'une base mettant en balance les facteurs de visibilité, de transparence, d'accountability et d'advocacy, avec les facteurs de notiziabilità. Un modèle de journalisme dont la valeur informative peut ne pas être clairement explicitée, mais qui, dans la majorité des cas, est investie du statut d'intérêt public.
Bien que les médias de source aient aussi les limitations physiques d'une grille de programmation - nombre de pages, temps de diffusion, etc. -, ils peuvent proposer un format informatif différent, puisqu'ils n'ont pas besoin d'être guidés par les paramètres de la rentabilité financière. Sans se soucier du timing publicitaire, le type de journalisme mis en oeuvre permet la diffusion de textes et de reportages plus grands. À la radio et à la télévision, les personnes interviewées disposent de davantage de temps pour exposer et analyser leurs idées qu'ils ne l'auraient dans un support commercial. Une proposition éditoriale qui accorde la priorité aux faits et aux événements considérés comme socialement importants, qui privilégie l'information en tant qu'exposition de l'opinion des divers segments sociaux. Ces critères de notiziabilità, qui ignorent le sensationnalisme, l' info-entreteniment 173 ( * ) ou info-divertissement, le grotesque ou l'ésotérique, et qui privilégie la responsabilité sociale, sont considérés par DEMERS comme les critères éditoriaux idéaux 174 ( * ) . Les actions éditoriales avec de tels desseins peuvent, selon MATHES et PFETSCH, influencer directement l'audience, en créant des valeurs, des standards qui viennent modifier l'agenda pratiqué non seulement pour ce qui est de son format, mais aussi de son contenu.
The alternative media tried to integrate the single groups and to set up a so-called, critical `counter-public' to the traditional, established media. The new communication channels led to a decisive change in the system of articulation and aggregation of interests: protest groups, which up till then had hardly had any chance to publicly voice their specific issues, now had the means to put their issues on the public agenda 175 ( * ) .
* 162 En s'appuyant sur Antônio Costella, (1984) MARSHALL (2003: 65) rapporte qu'à l'époque de l'Empereur César, cinquante ans avant la naissance de Jésus Christ, le Sénat Romain possédait déjà un système de divulgation des informations sur les faits relatifs à cette institution. Les Actas Senatus , édités périodiquement, étaient une sorte de journal mural, rédigé par les actuariis, dans le but de divulguer les actes et les délibérations approuvés par les séances de ce parlement. Sans qu'aucun autre acteur social ne joue le rôle d'intermédiaire, les Actas étaient fixés dans des lieux publics de Rome et de sa périphérie. Les Actas Senatus sont également pointés par les historiens de la communication comme étant des outils anticipant la propagande moderne. (PIZARROSO, 1993: 46). KOPLIN et FERRARETTO (2000: 18) indiquent qu'en Chine, 202 ans avant Jésus Christ, durant la dynastie Han, il existait déjà une espèce de prêt à publier, mais en raison de l'inexistence des journaux, radios et télévisions, les lettres circulaires , comme elles étaient appelées, étaient distribuées à la population et lues sur la place publique pour mettre le peuple au courant des décisions et des réalisations des mandarins. Et il est bon de souligner que les auteurs des textes n'étaient pas ceux qui les lisaient au peuple. C'est peut-être là l'origine du personnage du porte-parole. DINES (1974: 57) estime que les ancêtres des premiers communiqués de presse seraient les avvisi, élaborés par les commerçants vénitiens du XVIe siècle. De même que leurs congénères chinois, les avvisi n'étaient pas destinés aux supports de communication - en raison de leur inexistence. Ils étaient élaborés par des établissements commerciaux, et non journalistiques, dans l'intention de rendre publiques leurs actions économiques. Ces communiqués peuvent aussi être interprétés comme des news letters , ces lettres d'informations très utilisées par les Nord-américains pour réaliser une communication dirigée et spécialisée. Pendant le Haut Moyen-Âge, indique PIZARROSO (1993: 56/64), des chroniques civiques étaient produites par des segments de l'aristocratie urbaine, dans le but de donner du lustre à leurs villes-États. Les Relations constituaient aussi une autre forme de communication des puissants avec la société. Ces publications, considérées par les chercheurs comme les prédécesseurs de la presse moderne, sont apparues et se sont multipliées aux XVIe et XVIIe siècle, juste après l'arrivée de l'imprimerie. Combinant un profil publicitaire et informatif, les thèmes traités étaient centrés sur les faits de la noblesse, les victoires militaires et même les voyages de découverte du Nouveau Monde. Henri VIII aurait utilisé ces bulletins d'informations pour faire, en Angleterre, la défense du divorce. Charles VIII, en France, s'en serait servi pour chercher à consolider son royaume.
* 163 DUBOS, Joël, 2002, p. 72-73 et 76.
* 164 MOINE, Jean-Marie, 2002, p. 175
* 165 HALIMI, Serge, 1997, p. 32.
* 166 CABANEL, Patrick, 2002, p. 53 e 57.
* 167 A competência de recortar e selecionar o que se julga por bem informar, segundo critérios de discursividade instituído e reconhecido pelo jornalismo contemporâneo, deixou de constituir privilégio dos grandes jornais e mídias. REIS, Ruth, 2002, p. 7.
* 168 Le chercheur Nilson Lage a présenté ce type de classification des chaînes législatives durant un entretien concédé à la Commission du Travail de la Chambre des Députés du Brésil le 10.09.2003.
* 169 BROTELLE, Nicole, apud , MATHIEN, Michel, 1992, p. 184.
* 170 Pour une étude plus complète sur l'analyse de la capacité de circulation des médias alternatifs, voir ATTON, Chris, 1999, p. 63.
* 171 CROISSANT, Valérie, REBBILLARD, Franck, SPANO, William et TOUBOUL, Annelise, 2005, p. 49.
* 172 Pour ZÉMOR (1995:.6), il existe trois types de communication publique: a) celle d'information et d'éclaircissement, intimement liée à la légitimité du message, qu'il s'agisse des informations sur le fonctionnement institutionnel pratique que les services doivent fournir aux citoyens, ou bien des règles du jeu civique qu'il convient de rappeler de façon répétée; b) de promotion ou de valorisation des institutions et de leurs services, de leurs thèmes et des grandes causes sociales; et c) de discussions ou de propositions de débat sur des projets de changements institutionnels, de choix de société.
* 173 Anglicanisme de infotainment - fusion, en anglais, des mots information et entertainment , information et entreteniment - divertissement.
* 174 DEMERS, François, 1995.
* 175 MATHES, Rainer et PFETSCH, Barbara, 1991, p. 37.