Actes du colloque économique international Sénat / UbiFrance 1 ( * ) - organisé au Palais du Luxembourg le 2 mars 2006
sous le haut patronage de M. Christian PONCELET, Président du Sénat
et sous l'égide du Groupe interparlementaire
France - Pays de la Corne de l'Afrique,
en partenariat avec MEDEF International, le Comité français des investissements en Afrique (CIAN) et le Forum francophone des Affaires
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Allocutions inaugurales
Christian Poncelet, Président du Sénat.
M. le Président, Mme la ministre, M. le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de Djibouti, Mmes et MM. les Ambassadeurs, chers collègues, Mmes, Mlles, Messieurs,
Le Sénat est heureux d'accueillir aujourd'hui ce colloque économique sur la Corne de l'Afrique, zone qui recouvre cinq pays - Djibouti, l'Érythrée, l'Éthiopie, la Somalie et le Soudan - dont plusieurs représentants nous font aujourd'hui l'honneur, mais également le plaisir de leur présence. Je leur souhaite d'ailleurs, au nom de l'ensemble des sénateurs, la bienvenue parmi nous.
Dans le cadre de nos colloques économiques internationaux, nous n'avions plus traité de cette zone depuis 1999, soit presque sept années pendant lesquelles les choses ont beaucoup avancé et durant lesquelles nous avons sans doute pris, en ce qui nous concerne, un peu de retard.
Bien entendu, nous avons organisé cette opération avec notre partenaire habituel, UbiFrance, dont je tiens à saluer à nouveau le dynamisme et l'efficacité.
Mais pour l'occasion, nous bénéficions aussi du concours de trois autres acteurs prestigieux : le Medef international, le Comité français des investissements en Afrique (CIAN) et le Forum francophone des Affaires.
A tous, nous disons un grand merci et un grand bravo pour leur implication active et concrète dans cette rencontre.
Je souhaite enfin saluer le rôle du Président du groupe d'amitié France - Pays de la Corne de l'Afrique, mon collègue et ami le sénateur Louis Duvernois, représentant des Français à l'étranger, qui travaille depuis plus de deux ans à ce projet.
La Corne de l'Afrique reste aujourd'hui une région de contrastes avec :
• Djibouti, espace de francophonie dans une zone majoritairement anglophone ou arabophone ;
• deux immenses pays : l'Éthiopie, siège de l'Union africaine, et le Soudan, pays le plus vaste d'Afrique ;
• l'Érythrée, jeune État à l'indépendance récente, et la Somalie, dont la stabilisation peine encore après treize ans de chaos et de guerre civile.
Au plan économique, la Corne de l'Afrique ne jouissait pas jusqu'à présent d'une très bonne réputation auprès des entreprises françaises et des investisseurs internationaux, en raison des tensions graves ou des conflits meurtriers qui ont affecté la région ces vingt dernières années, et des sécheresses qui rendent encore indispensable l'aide alimentaire internationale, laquelle reste malheureusement encore insuffisante.
Le Président Poncelet à l'ouverture du colloque
La région, en effet, n'a pas été épargnée par les épreuves. Je pense à la guerre entre l'Érythrée et l'Éthiopie, terminée aujourd'hui mais sans que la paix soit pleinement installée, aux conflits soudanais, le premier entre le Nord et le Sud et le second avec le drame humanitaire du Darfour, qui préoccupe tant, et à juste titre, la communauté internationale.
Tous ces conflits ont bien entendu freiné les perspectives économiques de la région. Mais un état des lieux objectif incite aujourd'hui, fort heureusement d'ailleurs, à plus d'optimisme.
L'hostilité latente entre l'Éthiopie et l'Érythrée tend à s'atténuer et permet d'espérer le « décollage » de la zone franche de Massawa, indispensable au redressement économique de l'Érythrée.
Au Soudan, le conflit nord-sud se règle désormais par la négociation. Quant au Darfour, l'implication et les pressions de la communauté internationale pour la recherche d'une solution pacifique restent très fortes et permettent d'espérer une solution prochaine et durable.
Le Président Duvernois, qui s'est rendu au Soudan, à ma demande, avec les sénateurs Philippe Marini et André Rouvière en octobre 2005, pourra nous le confirmer : le cadre institutionnel est prêt et, dès à présent, ce pays offre de réelles opportunités d'affaires grâce, notamment, à ses immenses gisements pétroliers.
En Somalie, la situation reste certes précaire, mais l'État de droit se restaure progressivement. Si le processus va à son terme, nos entreprises ont tout intérêt à se tenir prêtes à répondre à une énorme demande de reconstruction.
Dans ce paysage, je n'oublierai pas de citer Djibouti, pays ami où la présence française est déjà considérable, y compris sur le plan militaire puisque nous y maintenons d'importantes forces qui concourent à la stabilité de l'ensemble de la sous-région.
Djibouti bénéficie d'atouts substantiels avec son équipement portuaire - le nouveau port en eaux profondes de Doraleh, notamment - ou en tant que terminus du fameux Chemin de fer djibouto-éthiopien, tour de force technique réalisé avec l'aide de la France, à partir de 1917.
Je me permettrai cependant d'inviter nos amis djiboutiens à mieux garantir la stabilité des contrats et le libre jeu des règles de la concurrence, deux sujets auxquels les entreprises européennes sont particulièrement sensibles.
Pour le reste, notre coopération avec Djibouti est excellente et nous partageons avec cet État les valeurs de la francophonie et un passé commun où se sont forgés des sentiments très forts d'estime et de considération réciproques.
Ma conclusion rejoindra celle du groupe d'amitié France - Pays de la Corne de l'Afrique, dans son rapport de mai 2004 ; comme lui, je crois souhaitable que la France renforce sa présence dans cette région très importante sur le plan stratégique et où, de surcroît, nous jouissons d'un bon crédit général de sympathie.
Nos entreprises ont une carte à jouer dans les pays de la Corne de l'Afrique, qui vont exprimer d'importants besoins d'infrastructures et d'équipements lourds dans les années à venir.
Pour ce qui nous concerne, le Sénat ne peut que les encourager et les soutenir dans cette démarche.
A tous, je souhaite donc aujourd'hui, et pour l'avenir, de fructueux travaux, en espérant que vous garderez de votre passage au Sénat un bon souvenir, qui vous encouragera à y revenir. Je vous remercie de m'avoir écouté.
Brigitte Girardin, ministre déléguée à la Coopération, au Développement et à la Francophonie.
C'est un grand plaisir pour moi de prendre la parole à l'occasion de l'ouverture de ce colloque économique consacré à la Corne de l'Afrique. Cette région a connu, ces dernières années, de nombreux événements tragiques, et des tensions très graves. Cet état de fait a sans doute détourné l'attention des investisseurs étrangers et français de cette zone. Cependant, l'organisation de ce colloque marque notre volonté commune de ne pas céder au pessimisme, et d'envisager positivement l'avenir de cette région. Je remercie donc Louis Duvernois d'avoir pris l'initiative d'organiser cette journée de rencontres et d'échanges.
Avant toute chose, sans doute convient-il de rappeler quelques réalités à propos des pays de la Corne de l'Afrique : l'Érythrée, l'Éthiopie et le Soudan disposent de potentialités et de ressources réelles ; Djibouti joue un rôle essentiel dans la défense de la francophonie.
Le Soudan a mis fin à la guerre civile qui sévissait au Sud, retrouvant du même coup des possibilités de développement économique. Je rappelle à ce titre le succès d'entreprises françaises, comme Alsthom, en 2003, alors que le pays n'était pas encore stabilisé. Le Soudan bénéficie maintenant de l'aide de la communauté internationale, à laquelle la France a contribué, à hauteur de 35 millions d'euros. En Éthiopie, nos entreprises, notamment dans le secteur minier, ne peuvent ignorer l'appel qui leur a été lancé par les autorités éthiopiennes en 2005.
La communauté internationale et l'Union Africaine (UA) s'investissent pour rétablir la stabilité dans la Corne de l'Afrique. Concernant la France, nous allons installer une antenne dans le Sud-Soudan ; nous allons aussi désigner un coopérant technique auprès des autorités somaliennes ; les 9 et 10 mars prochains, une conférence réunira les autorités soudanaises, les bailleurs de fonds et la communauté internationale, afin de définir les conditions du retour à la stabilité dans cette région. Cette semaine enfin, un document cadre de partenariat sera signé avec Djibouti : l'aide qui sera apportée à ce pays ami en matière d'éducation, de santé et d'infrastructures urbaines sera arrêtée dans ce cadre.
Je tiens à renouveler tous mes engagements pour la promotion des entreprises dans les pays de la Corne de l'Afrique. Les potentialités de cette région sont immenses, et la France entend bien contribuer à son développement, dans le cadre d'une politique de coopération durable.
René André, Président d'UbiFrance.
Je veux tout d'abord adresser mes souhaits de bienvenue et de remerciement à Monsieur Mahamoud Ali Youssouf, Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de Djibouti, et à toutes les personnalités présentes. Je suis très heureux qu'UbiFrance soit présent à cette tribune : UbiFrance collabore, depuis 1997, à l'organisation conjointe de colloques économiques, avec le Sénat. Ce partenariat contribue grandement au renforcement de notre action d'information des entreprises françaises souhaitant se développer à l'étranger.
La Corne de l'Afrique, malgré un environnement politique qui demeure fragile, voire tendu, malgré la sécheresse et la pauvreté, offre de réelles opportunités aux entreprises. La France est le premier partenaire commercial de Djibouti, et son premier fournisseur. De nouvelles opportunités, liées à la nouvelle dimension portuaire de Djibouti, à l'interconnexion existant avec l'Éthiopie et au commerce courant existent. Ces opportunités devraient inciter les entreprises à prospecter davantage dans ce pays.
L'Érythrée souffre d'une balance commerciale déséquilibrée : les exportations françaises représentent en effet près de 10 fois les exportations vers la France. De nouveaux développements devraient permettre à l'Érythrée de tirer davantage profit de sa fenêtre sur la Mer Rouge.
L'Éthiopie est le deuxième pays d'Afrique par sa population, il est un des principaux pays bénéficiaire de l'aide au développement. Le gouvernement s'est engagé dans un vaste plan de développement de ses infrastructures ; 2005 a représenté notre meilleur année en termes d'échanges, 2006 devrait conforter cette tendance. La France est le deuxième pays investisseurs en Éthiopie : les récents succès d'Accor, d'EDF, d'Areva et consorts doivent inciter d'autres entreprises à venir s'implanter dans ces pays.
Les entreprises françaises doivent également se tenir prêtes à développer leur présence en Somalie, pays où les institutions et, plus généralement, la situation, sont en cours de stabilisation.
Quant au Soudan, il est à noter qu'un programme de réformes a stabilisé l'économie, ce qui devrait permettre une accélération de la croissance en 2006. De grands projets d'infrastructures ont été mis en place ; des opportunités existent dans les domaines de l'énergie, des télécommunications, de la chimie, de l'agroalimentaire ou encore de la pharmacie.
Je tiens à remercier une nouvelle fois les organisateurs de ce colloque et, tout particulièrement, le Sénateur Duvernois. Je remercie également les responsables des entreprises qui témoigneront de leur activité sur le terrain, et de la réalité des affaires menées avec succès, mais aussi de leurs difficultés. Je vous souhaite à tous de fructueux travaux.
Mahamoud Ali Youssouf, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de Djibouti.
Je souhaite tout d'abord vous présenter mes vives félicitations pour la tenue de ce colloque ; je tiens à saisir cette occasion pour vous exprimer la gratitude du Gouvernement et de l'Assemblée nationale de Djibouti pour l'attention que cette rencontre traduit envers notre pays et, plus généralement, envers les pays la Corne de l'Afrique. Ce colloque, qui atteste de notre volonté de renforcer la présence française dans la Corne de l'Afrique, revêt une importance particulière : certes, la Corne de l'Afrique a été, dans un passé récent, une région tourmentée. La paix et la stabilité sont, heureusement, maintenant de retour.
Il va de soi que les forces françaises basées à Djibouti ont contribué au retour de cette stabilité ; elles sont également un vecteur de développement. Rappelons que la présence française dans la Corne de l'Afrique n'est pas seulement militaire, elle a également une dimension économique, commerciale et culturelle. Nous appelons de nos voeux un renforcement de cette dernière.
Dans la Corne de l'Afrique, des hommes et des femmes luttent chaque jour pour leur survie et l'obtention d'un mieux-être : il s'agit clairement de la problématique du sous-développement et de la misère. Face à une telle situation, notre Gouvernement s'interroge, au quotidien, sur les solutions les plus adéquates à mettre en oeuvre, sur le terrain. A cet égard, il est notamment favorable à une meilleure intégration de la région, qui pourra prendre place dans le cadre de l'IGAD, d'une part, et du COMESA, d'autre part. Dans le même temps, il va de soi que la globalisation des échanges rend complexe le développement d'une économie intégrée, comme nous le souhaitons.
Le ministre djiboutien
Mahamoud Ali Youssouf à la tribune
Djibouti ne peut rester en marge du phénomène de mondialisation. Nous considérons que la consolidation de l'espace économique commun qu'est le COMESA nous permettra de mieux exploiter nos atouts ; Djibouti s'est ainsi proposé pour accueillir le prochain forum du COMESA. Il va de soi, en outre, que les cartes à jouer par les pays de la Corne de l'Afrique, dans le cadre de la globalisation, sont loin d'être insignifiantes.
Dans ce cadre, nous considérons que la France doit demeurer un partenaire privilégié, ce partenariat représentant un atout de taille. Par sa position géostratégique, Djibouti est propice aux échanges commerciaux, et a tout à gagner à une intégration régionale : nous avons donc mis un accent particulier sur le développement des infrastructures et sur la libéralisation de notre politique monétaire. Nos potentialités sont fortes : une trentaine de projets, engagés suite au dernier tour de table avec nos partenaires arabes, sont maintenant lancés.
Nous invitons ainsi les entreprises françaises à saisir les opportunités qui s'ouvrent à elles. Dans cette perspective, nous nourrissons le souhait de devenir une véritable plaque tournante pour les échanges commerciaux qui prendront place dans le cadre du COMESA.
Prochainement, nous signerons un nouveau cadre de partenariat avec la France, et un accord de promotion des investissements : il s'agira d'un cadre juridique particulièrement propice aux investissements que les entreprises françaises pourront développer à Djibouti.
Je tiens à rappeler que nous sommes fiers de partager, avec vous, la langue et la culture françaises. Nous souhaiterions que la présence francophone soit davantage renforcée à Djibouti, et que l'Organisation Internationale de la Francophonie nous accorde plus d'importance. Malgré notre enclavement linguistique, notre attachement à la culture et à la langue françaises ne fait, en effet, aucun doute.
Louis Duvernois, Président du groupe interparlementaire d'amitié France - Pays de la Corne de l'Afrique.
Je souhaite vous dire combien je suis heureux, Monsieur le Ministre, de vous accueillir au Sénat. L'idée de ce colloque est en effet née à Djibouti : nous avions pris l'engagement de l'organiser, et nous avons tenu parole. Je voudrais souligner la présence dans cette salle de Monsieur André Massida, membre élu de l'Assemblée des Français de l'étranger, conseiller du commerce extérieur de la France à Djibouti, et vice-président de la Chambre de commerce de Djibouti. J'ajouterai que l'IGAD a été sollicitée pour participer à nos travaux, mais n'a pas pu se joindre à nous pour des raisons techniques. L'IGAD, cela dit, a clairement montré son intérêt pour ce colloque ; à l'instar de l'OUA, d'ailleurs.
* 1 Les actes de ce colloque ont été établis à partir de la synthèse effectuée en temps réel par les rédacteurs de la Société Ubiqus France.