Compte rendu du déplacement d'une délégation du groupe interparlementaire France-Afrique centrale au Gabon, en Guinée équatoriale et à Sao Tomé-et-Principe
30 octobre - 6 novembre 2003III. TROISIÈME ÉTAPE DU DÉPLACEMENT : SAO TOMÉ
La
République démocratique de Sao Tomé-et-Principe, ancienne
colonie portugaise ayant accédé à l'indépendance en
1975, est aussi le deuxième plus petit Etat d'Afrique
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, tant en superficie qu'en
population, avec au total environ 150 000 habitants répartis entre
deux îles ; Sao Tomé, située au large du Gabon,
quasiment à la même hauteur que Libreville (environ 860 km²),
où la délégation a séjourné du 4 au 6
novembre et Principe (environ 140 km²), située plus au nord, face
à la partie continentale de la Guinée équatoriale.
Sao Tomé a aussi été, jusqu'à présent, un
des pays de la sous-région les plus épargné par les
influences extérieures, ce qui lui vaut d'avoir conservé un
charme très authentique, perceptible dès les premières
foulées sur le sol santoméen ; bien géré, ce
potentiel pourrait se révéler précieux pour le
développement d'un tourisme de qualité, respectueux de
l'environnement et de la population.
A. UNE DÉMOCRATIE MOUVEMENTÉE
En vingt-cinq années d'indépendance, la République de Sao Tomé a parcouru à pas rapides les chemins d'une réelle démocratisation, depuis un système de parti unique jusqu'à la mise en place d'un régime libéral d'ailleurs encore appelé à évoluer, puisqu'une importante révision constitutionnelle devrait en principe être engagée en 2006.
1. Un multipartisme vite confronté à l'alternance
Après quinze ans de parti unique d'inspiration marxiste et
d'orientation nettement pro-soviétique (le Mouvement de
Libération de Sao Tomé-et-Principe, ou MLSTP), le régime
politique santoméen s'est orienté à partir de 1990 vers le
multipartisme, d'abord sous l'influence de l'ancien Président Pinto da
Costa, puis sous celle de son premier successeur, Miguel Trovoada.
La vivacité démocratique du système est marquée par
l'enracinement d'une culture de l'alternance, avec l'accession au pouvoir en
mars 1991 du principal parti d'opposition (le Parti de Convergence
Démocratique, ou PCD) puis le retour aux affaires du MLSTP en juillet
1994 et, en 1996, l'installation d'une sorte de cohabitation entre un
président issu du PCD et une assemblée dominée par le
MLSTP.
Pour sa part, l'actuel Président Fradique de Menezez, élu
dès le premier tour en juillet 2001, est issu du milieu des
affaires, avec le soutien d'un parti tiers, l'Alliance Démocratique
Indépendante (ADI) qui, jusqu'à présent, n'a jamais
été majoritaire à l'assemblée (l'élection du
Président Fradique de Menezez a été facilitée par
le fait que son prédécesseur, le Président Trovoada,
élu en 1991 et réélu en 1996, était juridiquement
non renouvelable, en vertu d'une disposition constitutionnelle limitant
à deux le nombre des mandats successifs ; le respect de ce type de
clause est trop rare en Afrique pour ne pas mériter d'être
salué).
Sur le plan institutionnel
proprement dit,
le système
santoméen
, de nature hybride (coexistence d'un Chef de l'Etat aux
pouvoirs forts et d'un Premier ministre issu des rangs de la majorité
parlementaire)
paraît encore appelé à des
évolutions
, puisque en 2002, a été acté le
principe d'une révision constitutionnelle devant être soumise au
référendum en 2006 (c'est-à-dire à l'issue du
mandat de l'actuel Président).
Pour le moment, les options restent encore assez ouvertes, entre un
régime à dominante plutôt parlementaire -qui aurait,
semble-t-il, la préférence des principaux responsables du MLSTP-
et un régime de type présidentiel proprement dit, auquel le
Président Fradique de Menezez semble plus favorable. Lors de son
audience, celui-ci a évoqué cette question, se réservant
d'ailleurs la possibilité de solliciter d'ici à 2006 l'avis de
constitutionnalistes et d'experts internationaux, dont, le cas
échéant, des Français.
2. Un système néanmoins affecté par quelques soubresauts épisodiques
Cela
étant, si la démocratie est vivace à Sao Tomé, elle
n'a pas été exempte de périodes de raidissement et,
surtout, de plusieurs tentatives de coup d'Etat, dont la plus récente en
juillet 2003.
Le 16 juillet 2003, le Président Fradique de Menezez, alors en visite au
Nigeria, a ainsi dû faire face à une tentative de putsch
dirigée par un militaire, le commandant Fernando Pereira
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Très rapidement, le soutien de plusieurs Etats européens -dont la
France- a permis au Président Fradique de Menezes de reprendre, sans
violence, le contrôle de la situation, finalement stabilisée par
une médiation internationale conjointe de la Communauté
économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC) et de la
Communauté des pays de langue portugaise.
Le Président Fradique a d'ailleurs exprimé à la
délégation sénatoriale la gratitude qu'il vouait à
la France pour son appui rapide de cette crise, élément de
confiance et de reconnaissance internationale sans lequel il n'aurait
probablement pas pu redresser la situation et mettre un terme à l'action
des putschistes.
L'audience du Président Fradique de Menezez à Sao
Tomé, le 6 novembre 2003,
avec, de gauche à droite : Mme Danièle Robin,
conseillère de Coopération et d'Action culturelle,
M. Jean-Pierre Cantegrit, le Président Fradique de Menezez,
MM. Joël Bourdin, André Rouvière et François Trucy
Si la
vie politique intérieure de Sao Tomé apparaît donc quelque
peu mouvementée,
sa politique extérieure semble en revanche
marquée par plusieurs constantes
qui, en dépit de leur
relative dispersion apparente, n'en révèlent pas moins un grand
pragmatisme :
• La fidélité à la communauté
lusophone
, héritage assumé de l'ère coloniale ;
à ce titre, Sao Tomé a adhéré à la
Communauté des Pays de langue portugaise (CPLP) et au groupe des cinq
pays de langue officielle portugaise (PALOP) ;
• Dans le même temps,
une volonté manifeste de pleine
intégration dans la communauté sous-régionale à
dominante francophone
, concrétisée par l'adhésion de
Sao Tomé à la CEEAC et à l'Organisation Internationale de
la Francophonie. A cet égard, il convient de rappeler que le
Président Fradique de Menezes, qui a longtemps vécu en Europe (en
Belgique et en France, notamment), s'exprime dans un français parfait et
affiche une sympathie marquée envers la France et la francophonie.
• Simultanément,
l'entretien de liens privilégiés
entre Sao Tomé et son puissant voisin anglophone, le Nigeria,
avec
lequel a été signé en 2001 un accord d'exploitation
commune des ressources pétrolières offshore dans la zone
partagée. Certes, cet accord n'est-il pas égalitaire (60% pour le
Nigeria contre « seulement » 40 % pour Sao
Tomé), mais pour le Gouvernement santoméen, il représente
un indéniable succès, rapporté au poids respectif
réel des deux partenaires (avec ses 124 millions d'habitants sur un
territoire de 924.000 km², le Nigeria est d'ores et déjà un
des plus importants pays pétroliers au monde, tant en production
annuelle que par l'importance de ses réserves).
• Enfin,
une bonne entente avec les Etats-Unis
, qui disposent
déjà d'une importante base d'écoutes à Sao
Tomé et dont selon des analyses concordantes, la présence -civile
et militaire- pourrait fort bien être appelée à
croître à un rythme rapide dans l'archipel.
B. SUR LE PLAN ÉCONOMIQUE, SAO TOMÉ ABORDE UN TOURNANT DÉCISIF
Jusqu'à une période très récente, Sao Tomé comptait parmi les plus pauvres d'Afrique : tributaire à 75% de l'aide internationale et lourdement endetté (300 millions de dollars US fin 2002, soit cinq années de PIB), le pays a souffert depuis son indépendance de l'érosion progressive de ses ressources d'exportation (le cacao, notamment).
1. De l'ère du cacao à l'ère du pétrole
En fait,
à Sao Tomé, l'exploitation du cacao, techniquement
dépassée, est une survivance sans perspective crédible de
redressement durable, car si l'île produit des fèves de
qualité mondialement renommée, elle ne peut faire face, en volume
et en prix, à la concurrence d'autres très gros producteurs,
notamment la Côte d'Ivoire.
Pourtant, si l'ère du cacao semble aujourd'hui close,
la situation
économique de Sao Tomé pourrait fort bien évoluer dans un
sens favorable avec les nouvelles perspectives d'exploitation du pétrole
offshore que semble receler son sous-sol
: selon les résultats des
premières prospections, les recettes attendues de cette ressource
pourraient même se révéler énormes
(rapportées la taille et à la population du pays), au point que
dès à présent, la seule vente de blocs d'exploration a
déjà doublé le montant annuel du budget santoméen
pour 2004.
En pratique, la production pétrolière de Sao Tomé devrait
à terme se répartir en deux zones :
• Une première « zone partagée »
qui, en l'absence d'un accord de délimitation des frontières
maritimes avec le Nigeria, devrait être exploitée en
partage ; dès à présent, les deux Etats ont mis sur
pied une autorité commune de mise en valeur des ressources de cette
zone, sur la base de l'accord « 40/60 »
(inégalitaire mais avantageux pour Sao Tomé) évoqué
ci-avant ;
• Une zone d'exploitation exclusive
, qui n'est pas encore
totalement explorée, mais dont les ressources probables resteront
à 100 % sous le contrôle de Sao Tomé.
Pour le moment, en l'absence de mise en exploitation effective, le
pétrole représente pour Sao Tomé une « ressource
virtuelle ». Il est donc évidemment prématuré de
se prononcer sur l'impact réel qu'elle aura sur l'économie
santoméenne dans les prochaines années, mais tout laisse supposer
que si les ressources se révèlent à la hauteur des
attentes, la rente pétrolière en modifiera profondément
les structures, avec, à échéance rapide, le
dépérissement des productions traditionnelles (le cacao,
notamment) et la montée en puissance d'un secteur tertiaire encore
très peu développé.
Comme pour la Guinée équatoriale, le pétrole pourrait
transformer Sao Tomé en nouveau « dragon africain »
dont, à terme, l'influence devra être prise en compte par les
autres Etats de la sous région. On saisit d'autant mieux l'importance
que ce petit pays peut revêtir aux yeux des Etats-Unis, tant par sa
position stratégique au coeur du Golfe de Guinée que par les
potentialités de son économie et les débouchés
qu'elle peut offrir aux compagnies américaines.
2. La question de l'adhésion de Sao Tomé à la Zone franc
A la
différence de ses deux voisins gabonais et équatoguinéen,
la République de Sao Tomé-et-Principe n'a pas encore rejoint
la Zone franc et use d'une devise nationale non convertible, la
dobra
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Cette question suscite néanmoins depuis longtemps un grand débat
au sein des instances dirigeantes santoméennes, relancé avec
l'adhésion de la Guinée équatoriale dont, pourtant, les
attaches avec la francophonie et le franc-monnaie n'étaient
originellement pas plus fortes que celles de Sao Tomé.
En réponse à une question de M. Jean-Pierre Cantegrit, le
Président Fradique de Menezez a bien voulu confier à la
délégation sénatoriale quelques indications à ce
sujet.
En fait, le rattachement de son pays à la Zone franc suscite certaines
craintes dans une partie des milieux d'affaires et dans l'opinion publique, peu
enclines à se découpler du Portugal avec lequel Sao Tomé
conserve des liens étroits et privilégiés.
La situation a évidemment évolué depuis la mise en place
de l'euro, puisque le franc CFA est aligné sur cette nouvelle
devise ; de cette sorte, l'adhésion à la Zone franc
reviendrait, en pratique, à se rattacher à la « Zone
euro », formule n'étant plus de nature à affecter les
liens traditionnel du pays avec le Portugal.
Pour d'autres, cette question serait même déjà
dépassée, la Zone franc ne leur paraissant plus offrir beaucoup
d'intérêt, comparée aux avantages du dollar (solution
présentée comme s'inscrivant mieux dans la logique d'exportation
de la future production pétrolière).
Pour sa part, le Chef de l'Etat n'a pas arrêté
définitivement sa position sur ce sujet, même s'il
considère que le maintien durable de la
dobra
finirait tôt
ou tard par isoler inutilement son pays au sein du système
monétaire international ; il a d'ailleurs rappelé que
dès 1986, alors qu'il était ministre des Affaires
étrangères, le dossier de l'adhésion à la Zone
franc était déjà techniquement
« bouclé ».
C. LA COOPÉRATION FRANCO-SANTOMÉENNE
Lors de
son audience,
le Président Fradique de Menezez a fait part à
la délégation sénatoriale de l'inquiétude que lui
inspirait la diminution apparente de l'aide française à Sao
Tomé
, préoccupation également exprimée par le
ministre des Affaires étrangères, M. Mateus Meira Rita.
De fait, selon les données avancées par les autorités
santoméennes, la France, premier partenaire bilatéral de Sao
Tomé il y a encore une dizaine d'années -devant le Portugal-
aurait progressivement réduit le montant des ses aides qui, en 2002,
n'atteignaient plus que 4,6 millions d'euros, soit moins que l'aide consentie
par Taiwan ou le Portugal (sans compter l'aide multilatérale
accordée par l'Union européenne).
En réalité, cette décroissance tient surtout à la
redistribution des efforts français de coopération,
naguère fondée principalement sur l'intervention sur place des
coopérants, alors qu'elle s'oriente aujourd'hui sur une
« coopération de projets » axée sur des
réalisations ponctuelles.
D'après les indications fournies par notre conseillère de
Coopération et d'Action culturelle à Sao Tomé, Mme
Danièle Robin -qui mène sur place, dans des conditions parfois
délicates, une activité remarquable au service de la
présence et de la culture française à Sao
Tomé
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)
- les
interventions du service de Coopération s'inscrivent désormais
dans trois directions prioritaires :
• le renforcement des liens culturels et de la francophonie, dont les
crédits 2003 ont en réalité augmenté de 15 %
par rapport à 2002 ; ce renforcement passe principalement par
l'activité de l'Alliance française, créée en 2000
(dont la délégation sénatoriale a tenu à rencontrer
les responsables et à visiter les locaux) et qui accueille actuellement
près de 1 000 étudiants réguliers ;
• le développement des formations qualifiantes en France (stages et
bourses d'études) ;
• la coopération sur le secteur rural, qui, à la demande des
autorités santoméennes, devrait d'ailleurs évoluer vers
des actions d'un type nouveau dans une optique d'aménagement du
territoire, d'émergence du pouvoir local et de bonne gouvernance locale.
Pour le reste, il faut reconnaître que les relations commerciales entre
Sao Tomé et la France demeurent très faibles, avec un montant
d'échange de seulement 2 millions d'euros en 2002 (largement
excédentaires pour les exportations françaises).
La présence française à Sao Tomé-et-Principe
demeure en deçà des enjeux que ce pays pourrait
représenter à l'horizon de quelques années
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Le Président Fradique de Menezez a déploré que les grands
opérateurs français du secteurs pétrolier en soient
quasiment absents : ainsi, le Groupe TOTAL, pourtant très
impliqué dans les opérations d'exploration et de production dans
cette sous-région de l'Afrique, n'a pas d'activité à Sao
Tomé. De même, quelques jours avant la visite des
sénateurs, lors de l'ouverture des plis de souscription pour neuf lots
de recherche pétrolière en octobre 2003, une seule firme
française a pu se positionner (MAUREL & PROM, attributaire du lot
n° 6), la plupart des vingt compagnies ayant présenté
des offres étant américaines ou nigérianes.
* 12 Après l'Archipel des Seychelles dont la superficie cumulée des 115 îles qui le composent ne dépasse pas 500 km².
* 13 Heureusement sans effusion de sang, les putschistes, qui dénonçaient une prétendue corruption générale de la classe politique, ont procédé à l'arrestation des principaux responsable publics.
* 14 Au cours local, la monnaie santoméenne s'échange à raison d'environ 10 800 dobras pour 1 euro.
* 15 La représentation diplomatique de la France à Sao Tomé-et-Principe est confiée à l'Ambassadeur de France au Gabon ; en pratique, le service de Coopération et d'Action culturelle à Sao Tomé assure, sous l'autorité de l'Ambassadeur, l'essentiel des attributions diplomatiques et consulaires sur place, avec d'ailleurs des effectifs et de moyens matériels fort limités.
* 16 Les sénateurs ont tenu à rencontrer sur place la totalité des Français disponibles lors de leur passage à Sao Tomé, au cours d'une sympathique réception offerte par la délégation du groupe interparlementaire.