LA LIBÉRALISATION ÉCONOMIQUE : UN TOURNANT DIFFICILE
1. En dépit de l'aide internationale, la situation économique et financière de la Mongolie demeure problématique
Dès le départ, le passage au libéralisme
économique s'annonçait difficile en Mongolie, car le pays souffre
de lourds handicaps structurels : son climat extrêmement rigoureux,
l'insuffisance des ressources énergétiques, la
médiocrité des infrastructures et l'obsolescence d'une bonne part
de l'appareil productif, notamment, sans omettre le poids croissant de la dette
extérieure (plus de 90 % du PIB en 2001) et le préjudice
économique indirect lié au départ rapide des troupes
soviétiques stationnées depuis 1962.
La réalité a, malheureusement, vérifié les
hypothèses les moins optimistes, en dépit d'une aide
internationale considérable, puisque selon les statistiques fournies
à la délégation, la Mongolie se situerait aujourd'hui au
premier rang mondial en ce qui concerne l'aide au développement par
habitant.
Depuis 1989, elle a ainsi bénéficié, au plan
multilatéral, du soutien financier des pays donateurs à hauteur
de 210 millions de $ US en 1996, 250 millions en 1997 et 330 millions
en 2001), l'aide de l'Union européenne s'élevant quant à
elle à 7 millions d'€uros pour les programmes ECHO et
TACIS en 2001.
Pour le reste, dépendant des produits primaires, comme le cuivre ou le
molybdène (44 % de ses exportations), et spéculatifs, comme
le cachemire (36 % des exportations), le commerce extérieur mongol
est constamment déficitaire depuis 1996, la Chine et les
États-Unis étant les deux seuls partenaires sur lesquels la
Mongolie parvient à dégager un excédent.
|
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
Exportations Principalement des minerais de cuivre et molybdène, de l'or et des laines et cachemire |
316,8 |
299,6 |
466 |
385,2 |
Importations Principalement des carburants, des biens d'équipement et des produits alimentaires |
472,4 |
372,8 |
614 |
554,8 |
Solde
|
- 155,6 |
- 73,2 |
- 148,7 |
- 169,6 |
Balance commerciale de la Mongolie (statistiques mongoles - en millions d'€uros)
Au plan
interne, la transition économique mongole devait s'organiser autour de
quatre axes prioritaires : la réforme fiscale, la libération
des prix, la restructuration bancaire et la privatisation des entreprises
publiques.
Cette politique a, il est vrai, enregistré quelques succès
indiscutables, si l'on considère le maintien de la stabilité du
Tugrik et la réduction drastique de l'inflation (ramenée de plus
de 300 % en 1993 à 8,8 % en 2001). La Mongolie s'efforce en outre de
s'ouvrir aux investissements étrangers
7(
*
)
(350 sociétés mixtes)
et mise sur ses richesses minérales (l'or, le cuivre, plus des gisements
de pétrole non encore exploités) pour contribuer au redressement
de ses échanges.
Cela étant, les résultats attendus ne sont pas encore au
rendez-vous : malgré la relance du programme de réformes
depuis juin 1996 et le plan de dérégulation de
l'économie, aucune des grandes décisions annoncées en
matière de privatisation (les mines de cuivre, la compagnie
aérienne MIAT, l'entreprise d'État Gobi-cachemire) et de
réformes structurelles (le système bancaire, la fiscalité,
l'énergie, la santé, la fonction publique) n'a pu être
menée à son terme entre 1996 et 2000.
Le nouveau gouvernement a récemment relancé le processus de
privatisation. La privatisation d'APU, le principal producteur d'alcool de
Mongolie a ainsi été initiée en décembre 2001 et
celle de la plus grande banque publique, la Trade and Development Bank en mai
2002. Lors de sa visite, la délégation a également appris
qu'une loi sur la privatisation des terres venait d'être adoptée
par le grand Khoural ; mais, compte tenu de l'étendue immense des
terres consacrées l'élevage (qui, elles, demeurent régies
par un système de gestion collective semi-publique), ce texte
n'intéresse, en fait, qu'une très faible surface foncière
(moins de 5 %), ce qui en limite beaucoup la portée pratique.
LE DISPOSITIF DE PRIVATISATION DES TERRES : UNE AVANCÉE À PARFAIRE
Selon
les indications recueillies sur place, le dispositif de privatisation des
terres s'articule autour de trois textes :
1. Une loi sur les prairies et terres agricoles, qui demeurent
propriété de l'État mais qui peuvent être
données à bail emphytéotique aux pasteurs ou aux
agriculteurs pour y pratiquer leur activité agricole ; les
étrangers ne sont pas éligibles à ce type de terres.
2. Une loi sur la privatisation des terrains en ville, qui peuvent être
concédés sans limitation de durée en lopins de surface
variable, comprise, selon les villes, entre 400 m² (à Oulan Bator)
et 1 500 m² (dans d'autres cités moins peuplées) ;
les étrangers peuvent bénéficier de terrains de ce type.
3. Une loi précisant les modalités de financement des
opérations foncières et immobilières et leur régime
fiscal (prêts immobiliers, fiscalité et TVA, etc.).
En tant que tel, ce dispositif constitue un progrès appréciable
par rapport à la situation antérieure, mais il est encore loin de
représenter une privatisation en bonne et due forme. En fait, il doit
plutôt être considéré comme la première
étape d'un processus à parfaire.
2. La Mongolie doit face à l'apparition de problèmes sanitaires et sociaux nouveaux
Plusieurs articles de presse et des reportages
télévisés ont contribué, depuis quelques
années, à mieux sensibiliser les opinions publiques occidentales
à la redoutable dégradation des conditions sanitaires et sociales
d'une partie de la population pauvre des villes mongoles, à Oulan Bator
et dans sa périphérie, notamment
8(
*
)
.
Loin du lustre des entretiens protocolaires et des rencontres officielles, la
délégation du Sénat a souhaité prendre la mesure de
cette triste réalité ; pour cerner de plus près
l'ampleur du problème, elle s'est rendue, sous la conduite
éclairée de notre Ambassadeur, auprès des
représentants de l'Ordre de la Fraternité Notre-Dame, une
congrégation catholique non-romaine à statut d'ONG, dont quatre
membres (trois religieuses et un frère) se vouent avec une
compétence et une abnégation exemplaires aux plus démunis
et aux laissés pour compte du système.
Les estimations de ces religieuses n'ont pas démenti les données
avancées par la presse, loin de là. Selon elles, quelque
120 000 habitants d'Oulan Bator vivraient très en dessous du seuil
de pauvreté, voire du seuil de survie ; dans un pays où la
température tombe souvent à - 30° durant la plus grande
partie de l'hiver, 45 000 malheureux ne disposeraient d'aucun toit,
et près de 15 000 auraient trouvé un refuge précaire
dans les anciens réseaux souterrains des conduits de chauffage urbains
ou d'égouts. Entassés dans ces boyaux insalubres qu'ils partagent
avec les rats, ils forment le peuple de la «
Mongolie des
trous
», pour reprendre l'expression même des responsables
de l'hôpital de l'Ordre de la Fraternité (Hôpital de la
Charité).
L'origine du phénomène tient à plusieurs facteurs, avec
d'un côté la désagrégation du système de
protection sociale mis en place sous la période communiste, de l'autre
les effets de la crise économique et l'incapacité de beaucoup de
Mongols à s'adapter aux nouveaux usages de l'économie
libérale.
La surpopulation et le développement anarchique d'Oulan Bator,
l'éclatement de beaucoup de familles provoqué par l'abus d'alcool
et la montée du chômage, surtout chez les habitants originaires
des zones rurales, ont multiplié le nombre des exclus,
spécialement parmi les plus faibles ; beaucoup de femmes et
quantité de jeunes enfants abandonnés vivent dans les trous,
certains depuis plusieurs années.
Ces gens sont confrontés à un dénuement complet, où
sur fond d'alcoolisme et de dépôt d'immondices, se conjuguent tous
les facteurs de l'exclusion sociale et du délabrement sanitaire :
manque absolu d'hygiène, promiscuité, dénutrition,
maltraitance et agressions sexuelles, violences, déscolarisation et
chômage, parasites, développement de pathologies graves non
traitées (la tuberculose, notamment), etc.
Au tableau classique des ravages de l'alcool, s'ajoutent ici plusieurs dommages
induits caractéristiques : la fréquence des brûlures -le
plus souvent profondes et étendues- provoquées par des chutes ou
des assoupissements prolongés sur les conduites de vapeur brûlante
qui circulent partout dans ces tunnels ; des gelures graves des membres ou
des extrémités (imposant l'amputation), auxquelles les personnes
ivres s'exposent lorsqu'elle s'endorment dehors en hiver ; des
lésions cutanées et des excoriations de grande ampleur, aux
conséquences mortelles, provoquées par l'absorption de certains
alcools frelatés (de l'alcool de bois, par exemple).
Le gouvernement mongol tente certes de lutter contre cette misère, mais
ses moyens en personnel médico-social, en locaux et en matériels
sont très loin de couvrir l'ampleur croissante des besoins.
Quelques organisations caritatives et humanitaires lui apportent à cet
égard un concours précieux. Parmi elles, il faut mentionner
l'activité tout à fait remarquable des responsables de
l'Hôpital de la Charité.
En dépit de ressources matérielles très limitées
-eu égard à l'ampleur de la tâche- mais avec un
dévouement extrême mis au service d'une grande expérience
et de beaucoup d'efficacité, ils s'emploient à porter secours
à cette population, à travers une palette étendue d'aides
à la fois alimentaire, éducative et médico-sociale :
distribution quotidienne de repas gratuits, laverie-buanderie collective,
enseignement des pratiques de nettoyage et d'hygiène, dispensaire et
soins médicaux et de chirurgie d'urgence, soins dentaires,
accompagnement des jeunes mères, réinsertion scolaire, etc.
*
* *
En
définitive, les handicaps et les retards de l'économie mongole se
révèlent donc très lourds, même si ce pays dispose
d'atouts qui, à terme, doivent l'inciter à conserver bon
espoir : la richesse de son sous-sol et un potentiel considérable
en matière d'élevage et de production laitière -pour s'en
tenir au seul secteur primaire- auxquels s'ajoute un niveau d'éducation
élevé dans une large part de la population.
Pour l'heure, aux prises avec d'importantes difficultés
économiques et désormais sociales, la Mongolie n'est pas un pays
sous-développé, loin de là, mais elle peine à
accéder au rang de pays émergent.
De toute évidence, la Mongolie n'a pas encore touché les
dividendes économiques de sa libéralisation politique.