LES PERSPECTIVES DE LA COOPÉRATION FRANCO-MONGOLE
La
délégation sénatoriale, sans aborder en détail tous
les grands thèmes de la politique étrangère mongole, a
souhaité établir un rapide bilan des relations franco-mongoles et
du développement des actions de coopération entre nos deux pays.
Il est apparu, à cet égard, que nos échanges techniques et
culturels, d'un niveau général satisfaisant, n'ont pas de
corollaire suffisant en matière économique et commerciale.
1. Les axes essentiels de la politique étrangère mongole
Pour des
raisons historiques et géostratégiques évidentes, les deux
grands voisins de la Mongolie, la Chine et la Russie, demeurent ses partenaires
privilégiés -car incontournables- les relations politiques,
diplomatiques et transfrontalières sino-mongoles et russo-mongoles
constituant l'axe essentiel de la politique étrangère mongole.
Depuis quelques années, la Chine semble d'ailleurs manifester un
intérêt croissant envers les affaires mongoles, tandis qu'on note
corrélativement un certain désengagement de la Russie, lié
à la disparition de l'ex-URSS.
Avec les États de l'Union européenne -la France, en particulier-
«
les relations politiques [...] sont bonnes et sont l'objet de
contacts bilatéraux réguliers
», pour reprendre les
termes de la réponse du ministre des Affaires étrangères
à une question écrite récente du député
Christian Estrosi (question n° 65460, réponse du 8 octobre
2001).
Cela étant, à l'exception notable d'un dossier international
ancien et récurrent, sur lequel la Mongolie sollicite
régulièrement l'appui de la France, y compris par
l'intermédiaire du groupe d'amitié (le projet de conclusion d'un
traité multilatéral avec les cinq puissances nucléaires,
reconnaissant à la Mongolie le statut de zone exempte d'armes
nucléaires
9(
*
)
) le dialogue
franco-mongol reste centré principalement, soit sur les questions d'aide
financière, soit sur la coopération économique, technique
et culturelle.
A cet égard,
en dépit du resserrement indéniable des
relations franco-mongoles depuis 1996, des progrès sensibles restent
à envisager sur bien des points.
2. L'année 1996 : un tournant dans les relations politiques et diplomatiques franco-mongoles
a) La situation jusqu'en 1995
En
dépit de l'ancienneté des liens diplomatiques établis avec
la Mongolie (initiés, on l'a vu, par l'émissaire de Saint-Louis,
Guillaume de Rubrouck),
la France n'a reconnu la République populaire
de Mongolie que le 27 avril 1965,
juste après la reconnaissance de
la Chine populaire.
L'année suivante,
une ambassade de France a été ouverte
mais elle fut fermée en 1984,
faute d'avoir pu développer des
échanges significatifs avec un pays encore très fermé
jusqu'à cette époque et strictement aligné sur Moscou.
Se posait de surcroît un problème d'ordre matériel :
l'impossibilité de doter l'ambassade de locaux dignes de la
représentation française (l'ambassadeur et ses services n'ayant
d'autre ressource que de s'installer dans une modeste suite d'un grand
hôtel d'Oulan-Bator).
A partir de 1984, les relations diplomatiques ont certes été
maintenues, mais les responsabilités ont été
atomisées entre trois postes : Moscou (pour l'accréditation
politique), Pékin (pour les relations commerciales) et Tokyo (pour la
couverture financière). On imagine trop bien les difficultés
d'entretenir des échanges suivis avec un tel éparpillement,
aggravé par les distances (plus de 8 heures d'avion entre
Moscou et Oulan-Bator).
b) La nette reprise des relations bilatérales depuis 1996
L'année 1996 a marqué un tournant positif
majeur
dans les relations franco-mongoles,
avec successivement la visite en France
du Président OTCHIRBAT, qui fut reçu par le Président du
Sénat le 18 avril 1996, la première visite en Mongolie du groupe
d'amitié du Sénat (du 8 au 13 juillet 1996) puis la nomination
d'un ambassadeur à Oulan-Bator en octobre 1996.
Depuis cette date, des contacts de haut niveau ont régulièrement
été organisés entre les deux États.
On mentionnera, tout d'abord, les rencontres fréquentes qu'organise le
groupe interparlementaire du Sénat, auprès duquel les
personnalités mongoles de passage en France trouvent toujours un
interlocuteur amical et attentif.
Sur le plan technique et économique, différents accords ont
été conclus : signature d'un accord de coopération
sismique en avril 1996, entre le CEA et l'Académie des Sciences dans le
cadre des mesures de contrôle du TICE, développement de la
coopération militaire avec l'accréditation de l'attaché de
défense français, résident à Pékin,
après des autorités mongoles en janvier 2002. Dans le
même temps, les consultations politiques du Directeur d'Asie et la
13
ème
commission mixte, qui se sont tenues à
Oulan-Bator en mai 2001, ont permis d'entretenir les contacts au niveau des
hauts fonctionnaires et de définir les nouvelles orientations de notre
coopération dans les années à venir (de larges extraits du
procès-verbal de cette 13
ème
commission
mixte figurent en annexe du présent rapport).
Le groupe estime cependant qu'au niveau ministériel, les contacts
franco-mongols gagneraient nettement à être rendus plus
fréquents.
En pratique, comme l'ont souligné plusieurs des interlocuteurs
rencontrés par la délégation sénatoriale, la plus
récente visite d'un ministre français en Mongolie remonte
à mars 1997 (il s'agissait de la visite de Mme Corinne LEPAGE,
alors ministre de l'environnement). En d'autres termes, et quelle que soit la
majorité politique au pouvoir,
aucun membre du gouvernement ne s'est
rendu en visite officielle en Mongolie depuis plus de cinq ans
.
Dans le même registre, on rappellera que
les autorités mongoles
attendent depuis fort longtemps que le Président de la République
française puisse enfin leur faire l'honneur de sa visite en
Mongolie,
ne serait-ce qu'à l'occasion d'une escale lors d'un voyage
dans cette région de l'Asie.
La France ne doit pas susciter un sentiment d'absence, aussi bien du
côté mongol qu'auprès de nos compatriotes installés
dans ce pays. De toute évidence, une présence française
renforcée est souhaitée en Mongolie, tant sur le plan politique
que diplomatique, économique ou culturel.
Le groupe considère que l'établissement de contacts plus
réguliers à haut niveau délivrerait à toutes les
parties intéressées -mongoles comme françaises- un signal
fort du prix que nous accordons aux relations franco-mongoles.
Dès son retour à Paris, la délégation -par la
plume du Président Patrice GÉLARD- a saisi de cette question le
chef de l'État, le Premier ministre et le ministre des Affaires
étrangères.
3. Une coopération culturelle, scientifique et technique soutenue
La
Mongolie et la France ont conclu en janvier 1968 un accord culturel
intergouvernemental, dans le cadre duquel treize commissions mixtes se sont
déjà réunies (la dernière fois à Oulan-Bator
en mai 2001).
Il faut regretter, à cet égard, que l'enveloppe globale de
coopération sur ce poste ait été réduite
de 50 % depuis 1997, pour ne plus représenter aujourd'hui
que 134 800 € (programmation 2002).
Pour autant, au regard de la faiblesse de ces crédits, la
coopération culturelle, scientifique et technique dégage un bilan
fort honorable et qui pourrait encore s'améliorer (un intéressant
relevé des actions de coopération franco-mongole depuis 1996,
établi par l'Ambassadeur de France, M. Jacques-Olivier MANENT,
figure en annexe du présent rapport).
a) La place non-négligeable de la francophonie en Mongolie
Environ
un millier de Mongols parlent ou apprennent notre langue, ce qui n'est pas
négligeable -loin s'en faut- dans un pays de seulement 2,5 millions
d'habitants.
Naguère cantonné dans des cercles élitistes forts
restreints, l'apprentissage du français s'est nettement
démocratisé depuis le début des années 1990, avec
l'ouverture de filières de français dans cinq écoles
secondaires et six établissements d'enseignement supérieur
publics et privés.
Votre délégation a pu constater
de visu
la
diversité et le succès des actions entreprises dans ce domaine
par notre ambassadeur, efficace promoteur de la culture et de la langue
françaises en Mongolie.
On peut évoquer, par exemple, le succès des deux festivals du
cinéma français de 1995 et 1998 ou l'audience de nos programmes
télévisés (CFI, TV5). De même, la présence
d'un stand d'Edufrance lors des deux foires de l'éducation à
Oulan-Bator en 2001 et 2002 a contribué à une bonne
promotion de l'enseignement supérieur français auprès des
étudiants Mongols.
Dans ce paysage culturel propice,
le
Centre de Culture et de Langue
françaises,
inauguré le 25 mars 1997,
apparaît
aujourd'hui comme un des pôles majeurs du rayonnement culturel
français à Oulan Bator.
Ainsi que le précisait le ministre de la Francophonie en réponse
à une question écrite de notre collègue Louis SOUVET
(question n° 20 796 du 27 février 1997), ce
centre, «
situé dans les locaux de l'Institut de Langues
étrangères (ILE) est accessible à toute personne
désireuse d'obtenir des informations sur la culture et la langue
française. Le protocole de création du centre a été
signé en novembre 1996. Il prévoit que la partie mongole mette
ses locaux à disposition de la partie française (90 m²) et
que la partie française se charge de l'aménagement, de l'achat
des meubles et de matériel informatique
[...] ».
Lors de sa visite en Mongolie en 1996, une délégation du groupe
d'amitié avait pu visiter les locaux en chantier du futur centre
culturel français, assurant de son soutien le professeur de
français à qui la gestion de ce dossier avait été
confiée. Au retour, le groupe, sur l'initiative de son ancien
Président, notre regretté collègue Jean-Jacques ROBERT, a
contribué selon une formule originale à la constitution du fonds
bibliographique du centre, en lui faisant parvenir une ample collection
d'ouvrages d'art sur les collectivités territoriales françaises,
réunie gratuitement grâce à l'appui et la
générosité de plusieurs dizaines de villes, de
départements et de régions françaises.
Six ans plus tard, la délégation sénatoriale a
constaté que ces efforts n'avaient pas été vains, comme en
témoigne l'intérêt que le centre culturel suscite
auprès du public francophone mongol. Sous les conseils
éclairés du lecteur de français à
l'université, en charge de la gestion du centre, les lecteurs -en
majorité des jeunes- peuvent consulter un fonds bibliographique et de
revues de qualité ; ils peuvent en outre bénéficier
de différentes activités pédagogiques, notamment des
projections de films en vidéo, des cassettes documentaires et un
équipement Internet très fréquenté.
b) Une coopération technique bien structurée.
Des
relations étroites ont été nouées dans le
domaine de la recherche,
notamment en géologie et
télédétection, avec des instituts de recherche (BRGM) et
des entreprises (Spot-Image), qui devraient utilement se poursuivre. La
délégation a ainsi pu visiter les locaux et rencontrer les
responsables du Centre de recherche d'astronomie et de géophysique
d'Oulan-Bator qui, dans le cadre de cette coopération, centralise les
données d'observation sismologique des stations automatisées
réparties sur plusieurs points du territoire de Mongolie.
En matière de soutien à l'agriculture -secteur gravement
frappé par les aléas climatiques depuis deux ans- la
création récente d'un fonds de contrepartie et la conclusion, le
12 février 2002, d'un accord intergouvernemental ont eu pour double
effet de répondre à une des préoccupations majeures des
autorités mongoles -le développement durable en zones rurales-
tout en multipliant par dix l'enveloppe totale des moyens de la
coopération dans le pays.
Une fois entré en phase active de fonctionnement, le fonds de
contrepartie devrait permettre de financer des projets de coopération de
grande ampleur dans le domaine de la sécurité alimentaire
(production de viande et transformation, production laitière et
légumière, irrigation et diversification) et viendra
opportunément à l'appui d'autres actions engagées dans ce
secteur par les
collectivités locales
(les départements de
la Manche et de l'Allier, notamment) et des
ONG françaises
présentes en Mongolie (Action contre la faim,
Vétérinaires sans frontières).
4. Le renforcement souhaitable des échanges économiques entre la Mongolie et la France
Comme il
a été constaté, la coopération culturelle et
technique franco-mongole n'a pas encore trouvé son prolongement naturel
dans l'établissement de liens économiques significatifs. En
termes plus crus, la France et la Mongolie n'entretiennent pratiquement pas
d'échanges commerciaux, si ce n'est quelques contrats ponctuels conclus
sur un nombre limité de denrées
10(
*
)
.
Certes, il serait sans doute assez illusoire de prétendre
développer des relations économiques, industrielles et
commerciales de très grande ampleur entre nos deux États. Pour
autant, rien n'interdit de rechercher les voies d'améliorer leur niveau
actuel, qui demeure manifestement en deçà de nos attentes et de
nos possibilités respectives.
Dans le rapport établi en 1996, le groupe d'amitié avait
déjà identifié certains facteurs objectifs qui expliquent
en bonne part l'insuffisance des relations commerciales franco-mongoles :
les distances et la difficulté des communications, tout d'abord (pas
d'accès maritime et toujours pas de vol direct entre Paris et Oulan
Bator), le positionnement rapide d'autres pays asiatiques en Mongolie (le Japon
et la Corée du Sud, notamment), ainsi que l'implantation
déjà significative des États-Unis et, pour l'Union
européenne, de l'Allemagne (qui a su tirer parti des relations
naguère soutenues entre la Mongolie et l'ex-RDA).
Ce diagnostic n'a guère évolué en six ans.
Votre délégation a même perçu d'autres
difficultés moins manifestes mais qui, elles aussi, contrarient
probablement la conduite de certains projets, même modestes :
l'insuffisance du cadre juridique
11(
*
)
, notamment, qui ne facilite pas
l'établissement de liens d'affaires stables, et sans doute un certain
degré -difficile à apprécier- de corruption.
Ce contexte peu attractif n'incite pas les petites et moyennes entreprises
françaises à s'installer en Mongolie et peut même
décourager celles qui avaient pris ce risque : la récente
fermeture du fameux
Café de France
à Oulan-Bator en est
l'illustration.
Pour autant, les difficultés à s'implanter en Mongolie -sans
être mineures- n'excèdent pas celles rencontrées dans bien
d'autres pays.
En réalité, pour les quelques projets pouvant être
sérieusement envisagés, le principal frein au
développement des échanges avec la Mongolie réside surtout
dans les questions de financement, problème qui, en 1996, amenait
déjà la délégation sénatoriale à
conclure que «
tout développement de la présence
économique française en Mongolie passe par la mise en place d'une
couverture du risque export
». Son analyse conserve aujourd'hui
toute sa pertinence.
En Mongolie comme ailleurs, la vérité est que sans soutien
financier de l'État, nos entreprises, rarement très
compétitives sur les appels d'offres de la Banque Mondiale ou de la
Banque Asiatique de Développement, ne sont pas bien armées pour
intervenir efficacement sur les marchés porteurs, celui des grandes
infrastructures ou des biens d'équipements, notamment
12(
*
)
.
5. Des alliés précieux dans le développement des liens franco-mongols : les Français de Mongolie
Le
nombre des Français établis durablement en Mongolie est
très faible : selon notre ambassadeur, il s'élève
à environ une trentaine de résidents, dont dix
immatriculés. Plusieurs d'entre eux ont monté des petites
entreprises indépendantes, dans le secteur prometteur du tourisme,
notamment
13(
*
)
.
En dépit de leur effectif réduit, les Français de Mongolie
forment une communauté sympathique et entreprenante, sur laquelle la
France peut compter pour promouvoir et développer nos échanges
avec ce pays lointain. Car en Mongolie comme ailleurs, nos quelques
compatriotes expatriés sont aussi nos meilleurs ambassadeurs de la
culture et du savoir-faire français.
Cette observation donne tout son prix à la représentation par le
Sénat des Français de l'étranger, qui est -pour reprendre
les termes du Président Christian Poncelet- un des deux
«
bonus constitutionnels
» de notre assemblée
parlementaire.
Profitant de sa visite en Mongolie, le groupe d'amitié, dont -faut-il le
rappeler ?- le Président d'honneur, M. Hubert DURAND-CHASTEL,
est lui-même un des douze sénateurs des Français
établis hors de France, a tout naturellement tenu à marquer de
manière tangible l'intérêt qu'il porte aux Français
expatriés en Mongolie.
Avec l'efficace concours de notre ambassadeur, M. Jacques Olivier MANENT,
la délégation du Sénat a ainsi pu organiser un dîner
d'amitié auquel ont été conviés l'ensemble des
Français d'Oulan-Bator. Ce dîner leur a donné l'occasion
-trop peu fréquente selon eux- de rencontrer des parlementaires, de leur
exprimer quelques unes de leurs préoccupations et, plus
généralement, de mieux prendre la mesure du rôle du
Sénat dans la défense des intérêts des
Français de l'étranger.
A l'issue de ce dîner, le Président Patrice GÉLARD, au nom
du groupe, a offert à la religieuse responsable de l'hôpital de la
Fraternité Notre-Dame (Mme Dominique BERTHU, en religion Soeur
Marie-Dominique), la croix de la Légion d'honneur dont elle devait
être décorée par l'Ambassadeur le 14 juillet à
l'occasion de la Fête nationale.