TABLE
RONDE 3 -
GABON INDUSTRIEL (ÉNERGIE, MINES)
Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique
Ont participé à cette table ronde :
M. Henri-Max NDONG-NZUE, Directeur général, TOTAL Gabon
M. Bruno FAOUR, Directeur délégué développement, ERAMET AFRIQUE
M. Christophe PESCHAUD, Président Directeur général, PESCHAUD
M. Gabriel NTOUGOU, Directeur général de l'Agence nationale de promotion des investissements (ANPI)
M. Arnaud FLEURY - Le pétrole représente 80 % des exportations du pays et les minerais, 5 %. Monsieur Ndong-Nzue, quelle est la stratégie de Total au Gabon ? La vente des activités « terre » de Total, représentant 20 % de votre potentiel, a suscité des interrogations. Certains évoquent même un retrait complet à terme de Total du Gabon. Shell s'est également retiré d'une importante partie de ses activités.
M. Henri-Max NDONG-NZUE - Venant de la « vieille » économie, c'est pour moi un honneur de participer à ce colloque sur la diversification, dont le pétrole sera le carburant. Total continue bien évidemment son aventure au Gabon. Le Ministre a parlé du retrait de Total. Il s'agit davantage d'un recentrage des activités. Lorsque le prix du pétrole a fortement baissé, il était nécessaire que nous engagions une transformation de la société précisément pour nous inscrire dans la durée. Nous nous sommes donc recentrés sur nos actifs les plus porteurs, ceux situés en mer, et avons cédé les actifs matures à terre, que d'autres sauront mieux valoriser. Nous avons également réorganisé la société en interne pour la renforcer.
J'en profite pour souligner ce qu'est Total Gabon. L'industrie pétrolière date de plus de 90 ans dans ce pays. Total en a été le pionnier, depuis les premières missions géologiques jusqu'aux premiers puits forés en mer profonde. Nous sommes et resterons leaders de cette industrie au Gabon.
M. Arnaud FLEURY - Combien investissez-vous par an au Gabon ? Etes-vous dans une logique de consolidation, de soutien, ou d'extension, avec éventuellement de l'off-shore ?
M. Henri-Max NDONG-NZUE - Pour nous inscrire dans la durée, nous devons effectuer des investissements rentables, qui seront d'abord au bénéfice de la République gabonaise : 80 à 85 % de la rente que nous générons lui revient. Investir sur des projets non rentables pénaliserait donc nos partenaires.
Sur les cinq dernières années, nous avons investi environ 260 millions de dollars. Nous avons aujourd'hui un atterrissage autour de 130 milliards dans l'idée de consolider notre outil industriel et de réaliser des investissements productifs. Toutefois, pour réellement relancer nos investissements, nous avons besoin de l'accompagnement du gouvernement, qui refond actuellement le code pétrolier.
M. Arnaud FLEURY - De quoi avez-vous besoin : davantage de visibilité, moins de rentes à l'Etat ?
M. Henri-Max NDONG-NZUE - La visibilité est essentielle, car tout champ pétrolier est lancé pour vingt ans. Dans les années 1990, le plus gros champ découvert à terre en Afrique subsaharienne, le champ Rabi, a commencé à décliner. Tous les acteurs supposaient donc que la production pétrolière gabonaise déclinerait inévitablement, mais le gouvernement a su s'adapter et accorder des contrats plus attractifs à de nouveaux acteurs (Perenco, Maurel & Prom, Addax, etc.) qui, grâce à ce cadre fiscal attractif, ont prospéré sur des champs marginaux en fin de vie. Cela me paraît une bonne solution, car nous sommes aujourd'hui à nouveau à la croisée des chemins. Ce code doit être entièrement refondu et attractif.
M. Arnaud FLEURY - Perenco a d'ailleurs racheté vos activités terrestres.
Quel est votre message aux sous-traitants français parapétroliers ? Doivent-ils se refocaliser sur le Gabon ?
M. Henri-Max NDONG-NZUE - Nous travaillons avec beaucoup de sous-traitants français à qui nous demandons d'intégrer progressivement des nationaux dans leur encadrement.
Nous avons mis en place le centre de spécialisation professionnelle de Port-Gentil : après deux ans de formation, plus de 90 % des jeunes trouvent un emploi. Nous avons par exemple créé une filière soudure avec l'aide d'une société française. Nous sommes pragmatiques. Ce n'est pas spectaculaire, mais c'est efficace.
M. Arnaud FLEURY - Que faites-vous, en matière d'entrepreneuriat, pour la diversification numérique ? On peut penser que Total Gabon a les moyens et l'expertise pour prendre des initiatives en la matière.
M. Henri-Max NDONG-NZUE - Une initiative a été lancée par le groupe Total pour promouvoir l'entrepreneuriat des jeunes. Nous avons reçu plus de 300 candidats, qui ont présenté leur projet. Nos jeunes sont extrêmement dynamiques et innovants. Ils ne demandent qu'à être accompagnés. Nous avons présélectionné une quinzaine de projets. Total Gabon, en tant qu'entreprise citoyenne, accompagne donc le développement au Gabon, et nous sommes très heureux d'être au contact des jeunes.
M. Arnaud FLEURY - Les énergies renouvelables (EnR), le solaire, le bio-carburant font partie de la diversification. Nous connaissons la tension électrique du pays, qui a donc particulièrement besoin de ces énergies. Pourquoi, alors que Total se diversifie beaucoup au niveau mondial sur les EnR, ne le fait-il pas au Gabon ?
M. Henri-Max NDONG-NZUE - Nous recherchons l'efficacité avant tout. Il en va de même concernant la diversification de notre offre énergétique au Gabon. Nous travaillons sérieusement sur deux domaines : l'énergie solaire et les biocarburants. Nous avons rencontré le Ministre de l'Energie et les acteurs de l'eau et de l'électricité pour déterminer les besoins et bâtir une offre crédible et solide économiquement. Nous devons nous assurer que nos engagements sont tenables.
M. Arnaud FLEURY - Total est donc encore présent, et doit d'accélérer pour garder la main sur les hydrocarbures. La diversification nécessite du carburant.
M. Henri-Max NDONG-NZUE - J'ai également fait appel aux autorités gabonaises et je sais qu'une réflexion est en cours sur les hydrocarbures. Le ministre de tutelle nous a fait part des discussions menées. Le code va dans le bon sens. Nous devons permettre aux champs marginaux de retrouver une seconde vie tout en menant une grande exploration en mer profonde, absolument nécessaire pour trouver des relais de production.
M. Arnaud FLEURY - Il est vrai que la production a tendance à décliner au Gabon. Le code est actuellement en première lecture au parlement.
Monsieur PESCHAUD , votre entreprise a une longue histoire avec le Gabon, parfois violente (chiffre d'affaires divisé par deux, etc.) avec la chute des hydrocarbures. Pensez-vous que c'est le moment de revenir ? Le secteur est en plein reprise.
M. Christophe PESCHAUD - Je le pense. Nous sortons d'une crise épouvantable, qui a eu des effets inattendus, par exemple la cession de ses champs marginaux par Total ou celle de Shell à Carlyle. Elle a provoqué de la part des investisseurs un élan de développement. Ils relancent les champs peu exploités, ce qui apporte aux contracteurs de Port-Gentil une nouvelle activité.
Les sociétés pétrolières sont des sociétés d'ingénierie : 100 % de leurs services sont sous-traités, à moi comme à de grands groupes tels que Schlumberger. L'impact d'une reprise est donc immédiatement senti par les contracteurs.
M. Arnaud FLEURY - Vous déplacez des appareils de forage dans des conditions extrêmement difficiles. 80 % de votre activité s'effectue au Gabon. Quelle est votre stratégie ? Souhaitez-vous vous implanter toujours plus, au risque de faire de la monoculture ?
M. Christophe PESCHAUD - Nous sommes les hôtes du Gabon de façon continue depuis 1973 et sommes en permanence débordés de travail. Notre PME emploie environ 1 000 personnes, nombre qui augmentera considérablement l'année prochaine car nous recrutons. Nous sommes également en réinvestissement, parce que ces nouveaux développements ne se font pas sans investissement. Durant les trois dernières années, personne n'a vraiment investi. Nous devons maintenant renouveler notre matériel et nos ressources. Les banques gabonaises nous soutiennent. Notre stratégie est également internationale, puisque nous sommes installés au Cameroun, en Côte d'Ivoire, au Tchad et en Ouganda.
M. Arnaud FLEURY - Le cours du baril continue à fluctuer. Pensez-vous que le pays a tiré les leçons de la crise pétrolière ? Aurait-il les moyens d'en surmonter une autre ?
M. Christophe PESCHAUD - La période a été douloureuse pour tout le monde. Personne ne peut prévoir le cours du baril et personne n'est immunisé contre ces conjonctures.
Il y a cependant de belles années à venir pour le pétrole. Petronas a découvert un champ en off-shore profond et donc décidé de développer l'off-shore profond. Total a également investi dans cette direction.
Je pense que la révision du code pétrolier aidera beaucoup les investisseurs à revenir sur place. Nous attendons donc impatiemment le résultat des lectures au parlement.
M. Arnaud FLEURY - Monsieur Faour, vous représentez Eramet, actionnaire majoritaire de la Comilog, qui est le plus gros producteur de manganèse du pays. Cette ressource est très utilisée dans l'industrie sidérurgique. Aujourd'hui, les cours sont élevés et la demande, forte. Quelle est la stratégie d'Eramet au Gabon ?
M. Bruno FAOUR - Nous sommes associés au capital de Comilog avec l'État gabonais et nous nous félicitons tous les jours de ce partenariat. Nous sommes sur le point de décider un investissement important pour notre groupe, estimé à 600 millions d'euros, pour faire passer la production de Comilog de 4 millions à 7 millions de tonnes à horizon 2023. Notre stratégie vise à conforter notre place de deuxième, voire premier producteur mondial de manganèse.
Elle n'est pas strictement minière, mais porte également sur la minéralurgie. Ce minerai est très riche et affleurant, ce qui permet l'exploitation dans des mines à ciel ouvert. Il est très demandé et ses débouchés sont importants.
Pour nous, il est essentiel d'augmenter notre part de marché et de défendre la compétitivité de notre société. Or, dans nos métiers, le volume est un facteur important de compétitivité.
M. Arnaud FLEURY - Peut-on envisager que les cours diminuent ?
M. Bruno FAOUR - Ils chuteront très probablement, car ils sont aujourd'hui historiquement élevés. Pour maintenir la rentabilité et la contribution de la société Comilog à ses actionnaires et à l'Etat, il est indispensable que nous diminuions nos prix de revient, afin de garder des marges importantes même si les cours sont plus bas.
M. Arnaud FLEURY - La valorisation du manganèse n'est cependant pas évidente, notamment en termes de compétitivité.
M. Bruno FAOUR - Effectivement. Presque 100 % de la production de Comilog passe actuellement par nos usines. Nous possédons deux usines de minéralurgie : une usine de concentration (laverie) et une usine d'enrichissement et d'agglomération. La minéralurgie est donc une partie importante et fait partie de notre plan de développement. Près de la moitié des 600 millions d'euros d'investissements seront destinés à créer une autre usine de concentration.
Nous entamons la deuxième étape de transformation avec la création de deux autres usines, métallurgiques, l'une produisant du silicomanganèse, l'autre du manganèse métal. Cette transformation est complexe et coûteuse : nous avons investi plus de 200 millions d'euros pour une transformation de moins de 5 % de notre production actuelle. En termes de compétitivité, le Gabon est bien placé, mais cela nécessite beaucoup d'électricité, des importations de charbon et de coke, etc.
M. Arnaud FLEURY - Le code minier est également en renégociation. Que souhaitez-vous dire au gouvernement ?
M. Bruno FAOUR - Nous investissons sur du long terme, ce qui implique un besoin de stabilité et de visibilité. Il est impossible de se lancer sans connaître l'environnement juridique, fiscal et douanier. Notre convention minière nous assure cette stabilité. Nous discuterons avec l'Etat pour savoir comment prendre en compte les nouvelles donnes du code minier.
M. Arnaud FLEURY - Les Indiens et les Chinois ont également des intérêts au Gabon.
M. Bruno FAOUR - Les deux autres producteurs de manganèse installés au Gabon, New Gabon Mining et Citic, produisent environ un million de tonnes. Eux aussi ont d'importants projets, y compris de création d'usines minéralurgiques, et ont besoin de cet environnement.
Il existe des ressources minières importantes au Gabon, outre le manganèse : or, fer, niobium. Pour attirer de nouveaux investisseurs, il faut leur assurer une visibilité.
M. Arnaud FLEURY - Monsieur Ntougou, vous avez entendu leur message. Que leur répond l'Agence nationale de promotion des investissement (ANPI) ?
M. Gabriel NTOUGOU - Le rôle de l'ANPI est d'attirer des investisseurs étrangers ou locaux et de les accompagner sur place. Nous avons créé le Haut conseil pour l'investissement, plate-forme d'échanges. Nous discutons sur des termes pour lever des équivoques ou difficultés et fluidifier les investissements.
M. Arnaud FLEURY - Le projet du minerai de fer est-il un sujet important pour le développement du Gabon ? Les Français pourraient-ils être intéressés ?
M. Gabriel NTOUGOU - Effectivement, ce projet s'inscrit dans le cadre du plan « Gabon émergent ». Cette mine a du potentiel.
M. Arnaud FLEURY - Vous êtes chargé des investissements matures (manganèse, pétrole, minerais, gaz) mais aussi de l'industrie légère.
M. Gabriel NTOUGOU - Tous ces secteurs sont stratégiques et inclus dans le plan. Sur certains, les études sont en cours, tandis que les acteurs économiques se déploient déjà sur d'autres.
M. Arnaud FLEURY - Quelle est la priorité de l'ANPI ?
M. Gabriel NTOUGOU - La zone économique spéciale (ZES) de Nkok, près de Libreville, est le symbole même de la transformation sociale et économique du Gabon. Il existe une autre ZES près de Port-Gentil, principalement dédiée à la pétrochimie. Une entreprise de transformation du bois y est également installée, et nous construisons une route vers le point de débarquement des produits. Cela contribue à dynamiser la région de Port-Gentil.
M. Arnaud FLEURY - Elle souffre en effet d'un manque d'infrastructures et doit se remettre à niveau.
M. Gabriel NTOUGOU - Nous avons également un projet de ZES agricole au sud du pays.
M. Arnaud FLEURY - Que devons-nous savoir d'autre sur l'ANPI et sa stratégie ?
M. Gabriel NTOUGOU - L'ANPI est la porte d'entrée pour les opérateurs économiques. Le « Business Welcome Desk » les accompagne à leur hôtel ou pour leurs rendez-vous. Nous échangeons avec les autorités pour nous assurer du suivi des dossiers.
Puisque nous faisons la promotion du Gabon comme terre d'opportunités pour les investissements français, je souhaiterais diffuser une présentation de la ZES de Nkok. ( Une vidéo est projetée).
Quatre hangars constituent l'ensemble d'entreprises ( cluster ) bois « Gabon Wood Hub », espace mis à disposition des entreprises ne pouvant acquérir de parcelles. Un investisseur français, Wood Tech, a commencé dans le cluster pour finalement acheter une parcelle.
La zone comprend différents services : le guichet unique, deux banques, une caserne de pompiers, une station de 72MW dédiée.
Le déroulage est l'activité essentielle, mais nous voulons développer la troisième transformation (fabrication de meubles), puis aller vers les panneaux de fibres à densité moyenne ( Medium Density Fiberboard ) (MDF) qui représentent un important marché. Grâce à la ZES de Nkok, le Gabon est premier producteur africain de déroulage.
Nous prévoyons également trois centres de formation professionnelle. L'un, d'une capacité de 1 000 étudiants, est déjà en cours de construction. L'objectif est de proposer des formations correspondant à tous les métiers de l'usine (plomberie, froid, chaud, etc.).
Une société pharmaceutique doit lancer sa production de médicaments génériques en juin 2019. Par ailleurs, une entreprise agroindustrielle produira des poulets de chair.
Le guichet unique regroupe 19 administrations (douane, impôts, trésor, emploi, environnement, immigration, etc.).
Des incitations ont été mises en place, dont dix ans d'exonération d'impôt sur les sociétés et de droits de douane, cinq ans d'exonération de TVA, de transfert libre des revenus, etc.
La ZES embauche actuellement 4 000 personnes.
M. Arnaud FLEURY - L'indice de développement humain pourrait être bien meilleur au Gabon étant donné la richesse du pays. Nous pouvons penser que les acteurs du secteur des minerais ont des engagements à prendre en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE), d'implication des communautés, etc.
M. Bruno FAOUR - Comilog, comme la Setrag, sont des sociétés très impliquées sur les sujets de RSE. L'acceptabilité de notre activité par les populations locales est directement liée au retour qu'elles en ont. Notre objectif est que ce retour soit positif. Toutes les activités industrielles génèrent des désagréments pour les populations. Nous devons les compenser.
Nous avons déjà fait beaucoup. Notre groupe scolaire, de plus de 1 000 élèves, est entièrement financé par la Comilog. Nous avons un hôpital à Moanda. Nous développons également d'autres projets, directement liés à la vie locale, par exemple des aides à l'emploi local par des subventions à de petits entrepreneurs. Nous connectons toutes les grandes écoles de Moanda à internet. Nous agissons sur d'autres activités de santé en partenariat avec l'hôpital public. Nous restaurons les routes et travaillons sur le ramassage des déchets.
Ce ne sont pas nos métiers. Toutes les bonnes volontés pour nous aider sont les bienvenues, d'autant plus que la France a beaucoup d'expertise dans ces domaines.