COMMENT ABORDER ET S'IMPLANTER SUR LES MARCHÉS DE LA ZONE ?
Débat animé par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique
Ont participé à ce débat :
M. Erwan BARRE , Associé, Cabinet d'avocats RHTLaw Taylor Wessing LLP
M. Vincent CARRÉ , Chef du Service du réseau international, Institut national de la propriété industrielle (INPI)
M. Sébastien GUILLO , Directeur stratégique, HSBC France
M. Gregory de SAILLY, Manager régional des ventes, FedEx
M. Arnaud FLEURY - Monsieur Barre, vous êtes un des rares avocats français présents à Singapour.
Vous y êtes installé depuis plusieurs années. Vous connaissez bien la région. Que faut-il connaître sur le plan juridique pour aborder les pays de la zone ASEAN ?
M. Erwan BARRE - Pourquoi parler d'environnement juridique ? Il est clair qu'il est intéressant d'investir dans la région. Cependant, le droit est une contrainte. Toutes les réglementations en place constituent autant de barrières à l'entrée pour les marchés que vous souhaitez pénétrer. Cependant, le droit constitue aussi un outil, et il est important de bien maîtriser le risque dans une zone aussi éloignée que l'Asie du Sud-Est.
L'ASEAN est incontestablement une réalité politique mais, pour le praticien, pour le chef d'entreprise, est-ce le cadre juridique pertinent ? Pour répondre à cette question, il faut étudier la façon dont fonctionne l'ASEAN.
En premier lieu, on compare souvent l'ASEAN à l'Union européenne ou à la CEE. Il est vrai que l'ASEAN s'est inspirée de la CEE, fondée dix ans avant elle. Aujourd'hui, l'ASEAN s'en distingue fondamentalement. C'est une communauté d'États indépendants et qui souhaitent le rester sans abandonner leur souveraineté. Chaque pays reste maître chez lui et n'accepte pas l'ingérence des autres pays, pas même celle de l'ASEAN.
C'est là une distinction fondamentale avec l'Union européenne, où le droit européen s'applique dans chaque État de l'Union européenne.
Ceci a plusieurs conséquences sur la production des normes. Les principales décisions prises par l'ASEAN résultent de déclarations prises au niveau des chefs d'État lors des sommets. On n'entre pas là dans le détail juridique des normes. Il s'agit de déclarations, de prises de position et d'objectifs qui ressemblent à ceux fixés par les chefs d'État du G7 ou du G20.
D'autres textes ont une valeur plus contraignante entre les États, comme les accords intergouvernementaux, qu'on appelle traités en droit international. Il s'agit d'accords qui doivent être ratifiés par les parlements. C'est un processus lourd, qui exige du temps. Ces textes assez généraux établissent des principes, des directions, mais ne fixent pas de règles de droit imposables à chacun.
L'ASEAN n'est pas un marché unique, c'est un objectif à long terme. Il n'existe pas de tarif extérieur commun. On n'en est pas au marché unique à l'européenne ! Les textes sont pris de façon sectorielle, très pragmatique, dans le domaine des investissements internationaux, de la circulation des biens. D'autres sont catégoriels, comme celui concernant les dispositifs médicaux.
Chaque texte est différent. L'ASEAN repose sur la consultation et le consensus mais ne crée pas de droit pour les citoyens. C'est une autre différence fondamentale par rapport à l'Union européenne. Si une entreprise de l'Union européenne estime qu'elle n'a pas accès au marché allemand conformément au droit européen, elle peut attaquer l'État concerné et le faire condamner pour des actions contraires aux principes européens. Ce n'est pas le cas de l'ASEAN. Si une entreprise de Singapour estime qu'elle ne peut pas accéder au marché indonésien, son seul recours est de demander à Singapour s'il accepte de faire quelque chose pour le marché indonésien, mais les choses n'iront pas devant les tribunaux. La méthode retenue est celle du consensus. Si on veut travailler dans l'ASEAN, le cadre juridique approprié est donc celui des États. Il faut donc observer la règle de droit dans chaque pays.
La règle de droit est-elle de bonne qualité ? La principale qualité d'une règle de droit est d'être prévisible. Or ce n'est pas toujours le cas dans les pays de l'ASEAN. On ne peut être sûr de la décision lorsqu'on saisit un tribunal d'un pays de l'ASEAN au sujet d'un contrat. On constate cependant de plus en plus l'ouverture des pays de l'ASEAN aux influences internationales. Les listes des industries fermées à l'investissement se raccourcissent dans la plupart des pays. Les pays s'ouvrent également aux importations et au dialogue entre le public et le privé en matière d'établissement des normes.
À une époque où l'industrie avance très vite, de nouvelles normes sont nécessaires. On le voit dans l'e-santé, par exemple. Les régulateurs nationaux n'hésitent plus à dialoguer avec les entreprises pour aboutir à des normes de meilleure qualité.
M. Arnaud FLEURY - Singapour mis à part, où progresse-t-on le mieux en la matière ?
M. Erwan BARRE - La Thaïlande et le Vietnam ont mis au point de très bonnes règles de droit en matière d'e-santé. L'Indonésie travaille aussi sur ce domaine. Ce sont des secteurs dans lesquels les normes s'améliorent.
Les particularités locales sont très importantes pour les dirigeants d'entreprise. Il ne faut pas seulement observer le droit des pays, mais voir aussi où s'implanter. Certaines spécificités peuvent être extrêmement intéressantes. On dénombre 900 zones économiques spéciales qui sont autant d'exceptions au droit applicable localement. On pense souvent aux zones économiques spéciales comme à des endroits où l'on peut trouver une charge réduire en matière d'impôts. C'est souvent le cas, mais ce sont aussi des zones où l'application de la réglementation peut être réduit, comme dans le domaine de l'environnement.
Je ne suis pas en train de dire qu'on peut y polluer comme on veut, mais au lieu de passer trois mois à obtenir des autorisations avant de pouvoir produire, vous pourrez raccourcir significativement les délais.
M. Arnaud FLEURY - Certains pays parient particulièrement sur la zone économique spéciale.
M. Erwan BARRE - C'est une constante dans la région. Toutefois, toutes les zones économiques spéciales ne traitent pas du même domaine. Vingt-cinq d'entre elles se consacrent plus spécialement aux technologies, comme Singapour, ou à la R & D.
M. Arnaud FLEURY - Le Cambodge mise quant à lui beaucoup sur le textile...
M. Erwan BARRE - Le cas de Singapour apporte un certain nombre de réponses aux difficultés de la région. Il est en effet aisé pour une entreprise française qui intervient dans la région, même si elle n'a pas de représentation à Singapour, d'utiliser la qualité de l'infrastructure juridique et financière. Singapour est un hub essentiel pour la région, qui a une influence au-delà. On voit de plus en plus de quartiers généraux régionaux couvrir la Chine à partir de Singapour, Hong Kong perdant des parts en la matière.
Singapour est très ancré dans la globalisation. Son réseau en matière de traités de libre-échange est le premier en Asie, ainsi qu'en matière de traités bilatéraux d'investissement.
Selon le classement de la Banque mondiale, Singapour est le deuxième pays concernant l'exécution des contrats sur un total de 190 nations. La prévisibilité est donc bien meilleure si l'on exécute un contrat en cas de contentieux.
Les deux critères majeurs pour exécuter un contrat sont le temps et la durée. Lorsqu'on veut exécuter un contrat dans l'OCDE, le coût du contentieux est d'environ 21 % du montant demandé. À Singapour, c'est 25 %. C'est un coût comparable à celui qu'on a l'OCDE. Dans la région Pacifique, c'est 49 %. L'intérêt immédiat d'aller devant les tribunaux de Singapour apparaît face à ce chiffre. En matière de durée, celle-ci s'élève dans l'OCDE à 553 jours, soit un an et demi. À Singapour, c'est environ trois fois moins.
On peut donc obtenir une décision en six mois à Singapour et parvenir à ce résultat pour un coût prévisible. Pour faire exécuter un contrat international, la Cour d'arbitrage de Singapour est à présent l'une des deux plus importantes de la région avec celle de Hong Kong, juste après New York et Paris.
On assiste là aussi à une diminution des parts de marché de Hong Kong et une augmentation de celles de Singapour, notamment parce que les entreprises occidentales se fient à la neutralité de Singapour pour tout ce qui relève des litiges internationaux et à la qualité des décisions prises par ses tribunaux arbitraux.
Enfin, cela présente deux avantages pour les entreprises qui désirent avoir une présence dans la région et un siège régional dans le sud-est asiatique ou l'Asie-Pacifique, comme c'est de plus en plus le cas.
Même s'il ne s'agit pas des taux que l'on peut retrouver dans certains paradis fiscaux, le premier avantage est fiscal. Le droit fiscal n'est surtout pas compliqué, et la gestion assez simple et compétitive pour la région.
En matière de droit social, la protection du salarié est essentiellement assurée par un très faible taux de chômage. Avec moins de 3 % de chômeurs, le contrat négocié entre l'employeur et l'employé est plus équilibré.
Les normes sociales ne sont certes pas très développées à Singapour. Le Code du travail et les contrats de travail sont extrêmement simples, et il n'y a pas de difficultés de ce côté. Vous n'aurez pas une main-d'oeuvre bon marché - ce n'est pas le but -, mais il s'agira d'une main-d'oeuvre de qualité, avec des normes sociales très simplifiées.
M. Arnaud FLEURY - Le sponsoring est-il encore appliqué dans les pays de l'ASEAN ?
M. Erwan BARRE - Le sponsorship en Asie du Sud-Est n'est pas le même que dans les pays du Golfe, mais il est cependant nécessaire pour un certain nombre d'industries d'avoir un partenaire local. Les étrangers ne peuvent investir à 100 % dans une société donnée.
Ces listes d'« investissements négatifs » ont cependant tendance à se réduire, comme on peut le voir au Vietnam ou en Indonésie.
M. Arnaud FLEURY - Je me tourne vers Vincent Carré. L'INPI a développé un réseau international. Quelles sont les bonnes pratiques pour se développer à l'international, et quels sont les outils et les procédures pour se protéger ?
On sait en effet que la propriété intellectuelle est une question sensible.
M. Vincent CARRÉ - Le droit de la propriété intellectuelle est une branche du droit général.
En matière de bonnes pratiques, j'invite les entreprises à suivre trois principes : un principe d'anticipation, un principe de sécurisation et un principe de vigilance permanent et a posteriori .
L'anticipation se traduit à deux niveaux, en premier lieu par une prise de connaissance, à travers les bases de données, des droits existants afin de connaître les possibilités offertes et, en second lieu, en formalisant immédiatement les résultats de la recherche et du développement que peuvent générer les processus de création, non à partir de preuves que l'on peut obtenir sur le territoire français, mais plutôt en allant chercher des modes de preuves reconnus par les tribunaux locaux.
En matière de sécurisation, le premier arrivé est en général le premier servi. C'est celui qui aura déposé la marque le premier qui détiendra les droits. Il ne faut donc pas, de ce point de vue, laisser le champ libre aux distributeurs, sous peine de se retrouver ensuite pieds et poings liés. Il existe aussi des procédures et des titres spécifiques.
La vigilance concerne la veille - il faut aussi conserver les preuves d'usage des marques que l'on utilise sur le territoire, qui seront nécessaires -la sécurisation vis-à-vis des salariés pour s'approprier les droits de façon pérenne en tant qu'employeur, la sécurisation contractuelle et les relations partenariales. Lorsqu'on réalise des programmes de R & D avec des universités, il faut notamment s'assurer du contenu des clauses pour ne pas se retrouver sans droit à l'issue des processus.
Il faut également demeurer vigilant par rapport à certaines pratiques. Dans le droit continental, on a l'habitude de cumuler les protections en matière de droit d'auteur et de droit des dessins et modèles. Dans certains pays, comme la Malaisie ou Singapour, ce n'est pas le cas. Il y aura donc des choix à faire.
M. Arnaud FLEURY - Que faut-il savoir des outils et des procédures ?
M. Vincent CARRÉ - On peut utiliser les bases de données des marques mondiales de l'OMPI, telle PATENTSCOPE pour ce qui relève des brevets d'invention, mais aussi des bases de données particulières développées spécifiquement pour l'ASEAN, comme ASEAN Designview pour les dessins et modèles, ou ASEAN TMview pour les marques.
Toutefois, pour trouver Apple par exemple, il faut saisir la traduction thaïlandaise du mot « pomme » dans la base de données pour obtenir un résultat. En matière de titre, il n'existe pas toujours des titres équivalents à ce que l'on trouve en droit français. On a ainsi des modèles d'utilité qui sont l'équivalent de petits brevets, générés à l'issue d'une procédure relativement simplifiée. Ils présentent un grand intérêt pour délimiter son territoire et existent en Malaisie, en Thaïlande, au Vietnam, au Cambodge, mais non en Birmanie ou à Singapour.
Faute de titre unitaire régional, il existe deux façons d'aborder la question, soit par la voie nationale, soit par la voie internationale grâce à certains outils. En matière de marque internationale, on pourra par exemple désigner tous les pays de l'ASEAN, sauf la Malaisie, où l'on devra finalement utiliser la voie nationale.
On peut aussi avoir des spécificités en matière de brevets d'invention. L'Office européen des brevets propose ainsi une passerelle avec le Cambodge pour obtenir une validation automatique, via une demande européenne de brevet. Il en va de même si l'on dépose un brevet à Singapour, pour lequel on obtiendra une validation automatique pour le Cambodge.
M. Arnaud FLEURY - D'une façon générale, la situation s'améliore-t-elle pour ces pays ? Peut-on partir l'esprit plus léger à propos de ces questions de propriété intellectuelle et industrielle ? Que peut-on dire de la contrefaçon ? La lutte progresse-t-elle ?
M. Vincent CARRÉ - Oui, elle progresse.
Selon le classement d'un forum économique international sur les écosystèmes en matière de propriété intellectuelle, la France est classée quinzième, Singapour quatrième.
Un rapport du Bureau du Représentant américain au commerce a établi des listes où l'Indonésie fait figure de « mauvais élève », la Thaïlande étant sortie de ce classement en 2017 pour rejoindre le Vietnam dans la liste de surveillance simple. Un certain nombre de facteurs peuvent l'expliquer comme, en Thaïlande, des raids répétés des douanes, ainsi que la création d'une cour d'appel spécialisée depuis 2016.
Il y a donc des carences, mais il existe toujours des différences entre la théorie et la pratique. On a dit que le niveau de corruption pouvait affaiblir les procédures. Il faut donc raisonner plus large. Il peut y avoir des alternatives aux contentieux.
En matière contractuelle, le Centre de médiation et d'arbitrage de l'OMPI, basé à Singapour, peut être tout à fait utile. Il faut observer les forces répressives susceptibles de pouvoir agir et les motifs. On peut avoir des problématiques de normes, de fiscalité, de protection du consommateur. Il ne faut donc pas seulement raisonner en fonction du droit de la propriété intellectuelle ni du droit contentieux devant les tribunaux.
M. Arnaud FLEURY - Vous avez développé un réseau international que vous dirigez depuis Paris. Comporte-t-il un correspondant dans la zone ? Existe-t-il des coopérations poussées avec certains États ?
M. Vincent CARRÉ - En effet. Stéphanie Leparmentier, qui est basée à Singapour, est compétente pour l'ensemble des pays de l'ASEAN. Nous avons un accord avec la Direction générale du Trésor.
Il existe par ailleurs de très nombreuses coopérations, en particulier avec l' Intellectual Property Office of Singapore (IPOS). Nous sommes en lien avec la quasi-totalité des organismes de ce type.
M. Arnaud FLEURY - Les choses s'améliorent donc et se professionnalisent, tant en matière intellectuelle qu'industrielle, avec des nuances importantes selon les États ?
M. Vincent CARRÉ - Oui. Paradoxalement, plus on considère que les choses sont fragiles, plus il faut anticiper et prendre les bonnes mesures.
M. Arnaud FLEURY - Je me tourne vers M. Guillo. HSBC est très présente dans toute l'Asie. Quel est le paysage bancaire en termes de contrôle des changes, de restriction sur les prêts, de comptes de devises ? Que conseiller à ceux qui envisagent d'exporter ou d'investir dans l'un des dix pays de la zone ?
M. Sébastien GUILLO - Faire de la banque dans la zone ASEAN n'est pas si compliqué, pas plus que de faire de la banque en France.
M. Arnaud FLEURY - Cela dépend quand même des pays !
M. Sébastien GUILLO - On va y revenir...
Il existe trois types d'acteurs bancaires dans la zone ASEAN, les acteurs internationaux - HSBC, ainsi que deux autres concurrents, Standard Chartered et Citigroup, qui sont bien implantés en Asie -, un deuxième groupe de banques qu'on appelle les banques régionales - DBS, UOB, ou OCBC très présentes à Singapour et dans le reste de la région, et quelques banques malaisiennes, comme Maybank -, enfin un troisième groupe de banques locales - BRI en Indonésie, Public Bank Rakyat en Malaisie, etc.
Ces trois types d'acteurs offrent des services différents.
M. Arnaud FLEURY - Les banques d'affaires françaises sont-elles aussi présentes dans un certain nombre de pays ?
M. Sébastien GUILLO - La différence entre les banques françaises et internationales réside dans leur capacité à accompagner des entreprises de diverses tailles. Les banques françaises se focalisent essentiellement sur de grandes entreprises françaises ou internationales. Chez HSBC, on a la capacité, en fonction des pays ciblés, de descendre bien plus bas en termes de taille, parce qu'on est considéré sur un certain nombre de marchés comme un acteur local.
L'ASEAN constitue certes un marché d'échange unifié, mais il est composé de pays indépendants, dont la réglementation est propre à chacun d'entre eux. La banque étant un métier très régulé, il est important de rendre compte des spécificités locales.
La zone peut être catégorisée en trois groupes. Singapour, pays très libéral, n'exerce aucun contrôle des changes et ressemble étrangement à ce que l'on fait en Europe. Le paysage bancaire à Singapour n'est pas une surprise. Singapour est plutôt un bon pivot pour s'installer dans la région, développer son activité et ouvrir des comptes en devises, notamment en dollars, monnaie de fonctionnement locale.
Un second groupe de pays se situe autour de la Malaisie, de l'Indonésie et de la Thaïlande. Ce sont des pays qui connaissent des restrictions dans certains secteurs. Ceci peut parfois constituer un frein au rapatriement des liquidités. Faire un virement, ouvrir un compte bancaire ou rapatrier des liquidités en Asie et dans la zone ASEAN nécessite, du fait des réglementations locales, plus de temps qu'en Europe.
Le troisième groupe est constitué de pays comme le Vietnam où la restriction des changes est plus importante. Rapatrier des liquidités en un seul lieu est plus difficile.
Enfin, sortir de l'argent de certains pays peut parfois être plus long et plus difficile que chez nous. Bénéficier de prêts intragroupes sous forme de prêts bancaires ou classiques peut être une solution pour certaines entreprises qui désirent une gestion des liquidités plus simple.
M. Arnaud FLEURY - Les lettres de crédit sont-elles très utilisées ?
M. Sébastien GUILLO - Il s'agit d'un instrument globalisé qui fonctionne très bien dans la zone ASEAN lorsqu'on veut faire de l'exportation. La capacité des banques à traiter ce type d'outil est très bonne.
M. Arnaud FLEURY - N'est-ce pas trop cher ?
M. Sébastien GUILLO - Cela dépend des pays et des entreprises, mais cela se pratique très bien.
M. Arnaud FLEURY - Le recours aux hypothèques est une pratique peut-être moins chère que chez nous. Les comptes en devises existent également...
M. Sébastien GUILLO - Les hypothèques ne sont pas forcément le premier type de garantie auquel pense un groupe français lorsqu'il veut s'installer.
Il existe deux types de garantie plus simples. La première, c'est la garantie de la maison mère. Travailler avec une banque internationale qui connaît la maison mère facilite les choses.
La seconde, c'est la garantie en liquide, plus facile à obtenir que des hypothèques, qui sont soumises à des droits locaux parfois compliqués à comprendre pour des entreprises françaises.
M. Arnaud FLEURY - Ouvrir un compte peut-il se faire « en un clic » aux Philippines ou au Cambodge ? Combien de temps faut-il compter ?
M. Sébastien GUILLO - Cela peut prendre du temps. Les réglementations locales sont toutes spécifiques. La documentation et les pièces à fournir également. Il faut donc s'y préparer à l'avance. Avoir comme partenaire une banque internationale peut faire gagner du temps.
C'est plus compliqué pour certaines entreprises dont la forme juridique est quelque peu spéciale, comme le trust . Plus la forme étant complexe, plus il faut fournir de pièces. Il est néanmoins possible d'ouvrir un compte dans chacun de ces pays. Le conseil d'HSBC est de penser au compte en devises et en monnaies locales : il faut en effet payer les fournisseurs en monnaie locale. Disposer d'un compte en dollars américains ou en euros est également très utile.
M. Arnaud FLEURY - Peut-on transférer de l'argent d'un compte à l'autre ?
M. Sébastien GUILLO - C'est partout possible.
HSBC est présente au Vietnam, en Thaïlande, aux Philippines, en Indonésie, en Malaisie et à Singapour. C'est un bon partenaire pour une entreprise française qui désire s'implanter dans la région, surtout si elle est déjà cliente.
M. Arnaud FLEURY - Il faut toutefois rester prudent concernant la Birmanie, qui a fait l'objet de sanctions internationales, un peu à l'image de l'Iran. Il peut être utile de le préciser.
Je me tourne vers M. de Sailly. Que pouvez-vous mettre en avant s'agissant des problématiques de fret et de transport dans la zone ASEAN ?
M. Grégory de SAILLY - Fedex est présent dans la zone de l'ASEAN depuis 1984. Nous y employons 30 000 salariés et effectuons sur la région environ 400 vols par semaine au départ de Singapour, où se trouve notre siège.
FedEx est aussi partenaire de l' US-ASEAN Business Council , et opère dans l'ensemble des pays de la zone.
Le rôle de hub de Singapour est central, et de nombreux clients y installent leur plateforme logistique. La variété des infrastructures fait qu'on n'a pas obligatoirement les mêmes délais de transit à destination d'une capitale ou d'une province située à quelques centaines de kilomètres. On ne peut que conseiller d'étudier dans le détail les délais à destination des villes où l'on veut expédier.
M. Arnaud FLEURY - Les délais se raccourcissent-ils lorsqu'on se rend dans une ville de province au Cambodge, aux Philippines ou en Indonésie, qui compte des milliers d'îles ?
M. Grégory de SAILLY - Les choses s'améliorent de façon générale lorsqu'il s'agit de grandes destinations. On est à 48 heures de Paris. Il faut y ajouter 24 heures à 48 heures pour les zones un peu plus reculées.
M. Arnaud FLEURY - Cela reste donc acceptable. La Thaïlande va investir des milliards dans ses installations aéroportuaires. J'imagine que d'autres pays vont faire de même.
M. Grégory de SAILLY - Oui, mais il ne faut pas sous-estimer le rôle du transport routier dans la zone. Un certain nombre de réseaux ont été créés par différents transporteurs pour relier Singapour à la Chine. Grâce à la route, les délais de transit sont moins longs que ceux du transport maritime. Le coût est également inférieur de 30 % environ par rapport à l'aérien.
M. Arnaud FLEURY - Au moment de Noël et du Nouvel An chinois, les délais peuvent toutefois exploser du fait de la quantité incroyable d'échanges...
M. Grégory de SAILLY - Il faut en effet prendre ses précautions pour la fin de l'année, en particulier s'agissant des flux entre l'Asie et la France, afin de sécuriser le plus possible les délais de transit. Les transporteurs de la place peuvent proposer un certain nombre de services.
M. Arnaud FLEURY - Qu'en est-il en matière de dédouanement ?
M. Grégory de SAILLY - La destination est accessible, contrairement à ce que l'on constate pour certains pays en voie de développement, en Amérique du Sud par exemple. Les choses sont plutôt simples.
Je vous propose de faire un tour d'horizon des différents aspects tarifaires.
Il existe trois grandes catégories dans la zone ASEAN. La première concerne Singapour, qui offre une exemption des droits de douane, sauf pour certains produits particuliers comme le tabac, le pétrole ou l'alcool. Seules les taxes locales sont d'environ 7 %.
La deuxième catégorie est celle des pays « VIP » - Vietnam, Indonésie, Philippines. L'Union européenne a des accords préférentiels avec ceux. On peut y bénéficier de droits de douane réduits et passer d'un taux standard de 30 % à 20 %, avec une taxe locale de 10 %.
La troisième catégorie est constituée du reste des pays de la zone ASEAN. Au Laos, les droits standards sont de 30 %, avec une taxe locale de 10 %.
L'aspect réglementaire et documentaire est également important. Il n'existe pas de barrières particulières pour les pays de la zone ASEAN. Il faut toutefois que l'importateur ait une bonne connaissance des règles douanières, puisqu'il sera responsable du dédouanement.
Il n'y a pas de restriction pour certains produits, comme les sacs en cuir, ni pour les cosmétiques. Dans ce dernier cas, il suffit d'un permis d'importation local standard. Le matériel médical est la plupart du temps réglementé par le ministère de la santé en fonction des pays. Il faut étudier ce point au cas par cas avec chaque ministère.
Les produits alimentaires nécessiteront quant à eux une licence d'importation comportant certainement des motifs sanitaires.
M. Arnaud FLEURY - On constate une forte amélioration ainsi qu'une professionnalisation des structures d'échange...
M. Grégory de SAILLY - En effet. Selon nous, trois points sont essentiels pour exporter vers l'Asie.
Tout d'abord, la facture est l'équivalent du passeport. Il faut que les factures comportent la description du contenu, sa valeur, ainsi que son origine.
En second lieu, il faut s'appuyer sur son transporteur, qui possède un réseau dans les pays de destination et sait accompagner son client pour qu'il exporte dans d'excellentes conditions.
Enfin, l'importateur, étant responsable du dédouanement à l'importation, doit avoir une bonne connaissance des réglementations douanières.