DÉBAT AVEC LA SALLE
Mme Hélène MOUSSOULOS - J'interviens à titre exclusivement personnel. Je suis profondément scandalisée, car les Grecs sont un peuple fier qui n'a nul besoin d'aumône. Il y a plusieurs années, des organismes très sérieux ont indiqué que la Grèce ne devait d'argent à personne et ont rappelé que l'Allemagne lui devait quant à elle plus de 650 milliards d'euros à raison de l'application d'un taux d'intérêt de 3 % depuis la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi l'Allemagne n'a-t-elle jamais remboursé ses dommages de guerre à la Grèce ni l'or volé à ses banques ? Le cas échéant, la Grèce serait en situation de prêteur.
M. Xavier TIMBEAU - C'est un sujet sensible qui vise à rouvrir un dossier refermé au moment de la réunification allemande. La Grèce a accepté d'abandonner la dette de guerre que l'Allemagne avait envers elle. Le président de la République fédérale allemande y a lui-même fait référence en évoquant la complexité du dossier. La Grèce n'en est pas moins dans une situation difficile. Il est certain qu'elle est fière et n'a pas à demander l'aumône ; de même, elle n'a pas besoin de rouvrir ce dossier sensible pour sortir de la crise.
Mme Natacha VALLA - D'un point de vue stratégique, les discussions ont été difficiles avec l'Allemagne non seulement sur la Grèce, mais aussi sur les contraintes imposées aux finances publiques pendant la crise. Les circonstances actuelles, avec la crise de l'immigration, renforcent la promotion d'une vision solidaire auprès de l'Allemagne, à condition de lui démontrer que les pays européens sont dignes de confiance collectivement, c'est-à-dire capables de tenir leurs engagements. Dans un contexte où une inflexion des positions allemandes n'est pas exclue, il est préférable de ne pas rouvrir ce dossier.
M. Jean-Paul TEYSSANDIER - Monsieur Albéric de Montgolfier, il est contradictoire de reconnaître la non-viabilité de la dette grecque à long terme tout en excluant son allégement. Les événements conduiront inévitablement à son non-remboursement. N'est-il pas préférable d'en prendre acte dès à présent pour aider la Grèce à s'engager dans une voie plus favorable ?
M. Albéric de MONTGOLFIER - Le prêt bilatéral accordé par la France en 2010-2011 ne représente qu'une infime partie du problème. Cette question appartient à l'ensemble des créanciers. Je suis convaincu que le remboursement de la dette grecque, au regard de son montant, devra être rééchelonné. La crise de la dette de la Grèce a commencé dès 1830, date à laquelle elle a été exclue des marchés, et le défaut de paiement d'un État n'est pas un fait nouveau dans l'histoire. Je constate simplement qu'une réduction de la dette grecque aurait des conséquences immédiates sur le déficit maastrichtien de la France. Il serait difficile, vis-à-vis de la Commission européenne, de constater une perte de 4 milliards d'euros en application des règles de la comptabilité nationale.
De la salle - Je suis choqué d'entendre parler d'aide à la Grèce, alors que la dette a été l'occasion d'un pillage à travers les privatisations. Nous assistons à un mélange d'idéologie et de rapacité de la part des institutions européennes, dont l'action n'a conduit qu'à la chute de l'économie grecque et à l'enrichissement d'un pour cent de la population, tandis qu'on nous imposait une austérité désastreuse. Les idéologues couvrent les pilleurs en demandant aux Grecs de payer.
M. Kostas VERGOPOULOS - Accepter la non-viabilité de la dette grecque revient à reconnaître qu'elle ne peut pas être servie et que les créanciers ne recouvreront pas leurs montants. M. Albéric de Montgolfier évoque la situation difficile de la Grèce, mais le seul espoir pour les créanciers d'en obtenir le remboursement est de l'aider à retrouver le chemin d'une croissance durable, quitte à lui accorder des délais supplémentaires.
M. Albéric de MONTGOLFIER - J'ai d'ailleurs évoqué un rééchelonnement, ainsi que l'impossibilité d'effacer 40 milliards d'euros de dette unilatéralement.
Mme Aliki PAPADOMICHELAKI - J'ai été membre pendant 18 ans de la direction nationale de Syriza. J'étais responsable du département de la politique extérieure. J'ai quitté ce parti, car je considère qu'il faut honorer les 62 % des Grecs qui ont refusé le troisième mémorandum. Celui-ci revient à abolir la démocratie représentative.
Vous n'évoquez pas un seul instant l'audit de la dette, c'est-à-dire le droit du peuple grec d'examiner sa validité. Or jusqu'en 2010, une partie de la dette était frauduleuse et son remboursement n'incombe pas au peuple grec. Pour traiter la question de la démocratie, encore faut-il savoir de quelle dette on parle.
Enfin, sur le sujet du développement économique, permettez-moi de citer un exemple. En Crète, en 2000, un responsable a réclamé la possibilité d'une petite production agricole pour la population. L'Union européenne a conditionné ses prêts à l'abandon de la production de vin au profit de la sultanine (raisins). Nous y étions opposés, d'autant plus qu'il est possible de combiner les deux cultures. En quatre ans, la sultanine turque a pénétré le marché grec, alors que les vins crétois auraient pu être compétitifs sur le marché européen. Des blessures profondes ont ainsi été créées qui ne se refermeront pas facilement.
M. Mickaël SZAMES - Je vous invite à poser des questions directes pour que nos intervenants puissent vous répondre.
Mme Fanny COHEN - Comment peut-on demander à un pays de se redresser industriellement tout en l'incitant à vendre à l'encan ses ports et ses aéroports, notamment à des entreprises allemandes telles que Siemens ?
M. Antoine BREDIMAS , Président de l'association culturelle franco-hellénique Pindaros-Brédimas - Selon les propos récents de l'ancien président de la République française, M. Valéry Giscard d'Estaing, la vérité ne doit être dite que si elle en vaut la peine. Quand saurons-nous la vérité sur la dette grecque ? La commission constituée par la présidente du parlement grec, Mme Zoé Konstantopoulou, a identifié un montant de 300 milliards d'euros pour la dette grecque sans compter les « swaps » Simitis ; en les intégrant, il atteindrait 900 milliards d'euros.
De la salle - Ma question porte sur la relance de l'économie grecque. Vous évoquez l'agroalimentaire, le tourisme et l'énergie renouvelable sans évoquer le secteur de la construction qui a été le pilier de l'économie grecque pendant des années. Nous avons formé de nombreuses personnes compétentes dans ce domaine, mais les grandes entreprises du secteur ont été obligées de cesser leur activité. Faute d'une reconnaissance de leurs compétences en Allemagne et en France et en dépit de leur expérience, les personnes formées sont contraintes d'accepter des postes non qualifiés au risque de perdre leurs compétences.
De la salle - Je conteste l'affirmation de Mme Merkel selon laquelle la dette de l'Allemagne envers la Grèce a été effacée. Ce n'est pas la Grèce qui l'a décidé, mais les autres pays européens. Les Grecs payent 200 % une dette de 60 %. Comment expliquez-vous que cet argent soit resté bloqué en France et en Allemagne ?
De la salle - Je suis doctorant en droit public et je travaille sur le défaut de paiement. Un audit réalisé en Grèce estime qu'une partie de la dette est odieuse et prône sa répudiation. Dans le cadre de l'Union européenne, quels sont les mécanismes juridiques et les conséquences d'un défaut de paiement ?
M. Benjamin CORIAT - Il est impossible de répondre à toutes ces questions en quelques minutes. J'aimerais simplement souligner une évidence : le troisième mémorandum ne présente pas les conditions du rétablissement d'un minimum de croissance et de bien-être en Grèce ni d'un paiement de la dette. Il est préférable d'anticiper ce fait et de rechercher dès à présent les moyens de prolonger la durée du paiement, d'abaisser les taux d'intérêt et d'annuler une partie de la dette.
Rappelons que le plus mauvais payeur du XX e siècle est l'Allemagne. Ce pays a bénéficié de deux effacements de dettes, le premier après la République de Weimar et le second en 1958. Le « miracle allemand » n'a été possible que sur ces bases. Des effacements de dette ont eu lieu récemment dans des endroits insensés : à la demande des États-Unis, le Club de Paris a accepté un effacement de 30 milliards de dollars de dettes de l'Irak au profit du gouvernement chiite installé par eux, gouvernement dont l'incurie est l'une des causes du désastre qui frappe aujourd'hui le Moyen-Orient. On peut donc envisager tranquillement de procéder à des effacements de la dette grecque, effacements qui seraient bien plus fondés et justes que ceux auxquels on a souvent procédé au cours des dernières décennies.
Mme Natacha VALLA - L'exemple agricole est symptomatique des erreurs de l'Union européenne. Nous évoquions le fait que les créanciers sont devenus des ennemis alors qu'ils devraient être des partenaires. Si nous trouvions le moyen d'effacer une partie de la dette, nous pourrions alors financer la Grèce pour qu'elle investisse dans son futur. À cet égard, les institutions européennes peuvent apporter leur aide. La banque européenne d'investissement, dont le rôle est de générer de la croissance et de l'emploi en Europe, vient d'élargir son bureau à Athènes. Une condition incontournable est l'ouverture d'une réflexion sur le stock de dettes héritées du passé.
M. Xavier TIMBEAU - Concernant les défauts de paiement publics, l'Union européenne ne s'est pas dotée de mécanismes dédiés, considérant qu'elle n'en aurait pas besoin. Les conséquences d'une telle affirmation sont regrettables. Aux Nations-Unies, une commission a travaillé sur un cadre juridique des défauts de paiement et des annulations de dette qui étendrait les mécanismes appliqués aux créances privées aux créances publiques lorsqu'elles sont odieuses ou portent atteinte à la souveraineté d'un pays. Au nom de principes supérieurs, nous devons pouvoir annuler des dettes. Bien qu'un tel schéma soit nécessaire, il n'en demeure pas moins complexe à mettre en place.
Le rapport d'audit sur la dette grecque me paraît quant à lui maladroit : il est établi à charge et ne présente pas une position lisible par les créanciers. Je m'interroge d'ailleurs sur les raisons pour lesquelles le gouvernement n'a pas utilisé ce rapport.
Enfin, il est vrai que l'Allemagne a bénéficié de la plus grande remise de dette de l'histoire, de même que les nazis sont les auteurs du plus grand massacre du XX e siècle. Jusqu'où irons-nous dans ce sens ? Les Allemands d'aujourd'hui ne sont pas les nazis et ils ne sont pas porteurs de leur dette, qui a été effacée. Il convient de garder en mémoire les événements exceptionnels qui ont prévalu à cette annulation. Le contexte actuel est différent.
M. Kostas VERGOPOULOS - Dans ce cas, qui remboursera la dette des nazis ? Ces derniers sont arrivés au pouvoir légitimement en Allemagne avec le vote des Allemands.
Le prétendu audit de la dette grecque n'est pas sérieux, raison pour laquelle le gouvernement ne l'a pas utilisé.
Pour prendre les exemples de l'Argentine et de l'Équateur, rappelons qu'aucun pays d'Amérique latine n'a supprimé unilatéralement sa dette : cette décision a été prise en accord avec les créanciers convoqués par les présidents des deux pays. Dans ce domaine, la règle est le consensus et non la décision unilatérale. Une annulation de dette implique de réunir une commission faisant autorité pour produire un audit crédible, prendre position et rechercher un consensus avec les créanciers.
M. Mickaël SZAMES - A l'issue de nos échanges, je remercie nos intervenants, ainsi que tous les participants. Je salue également la présence de M. Costa-Gavras, qui vient de nous rejoindre.
Pour introduire la deuxième table ronde, je vous propose de visionner le film « La famille Patatopoulos à l'épreuve de la crise », réalisé par Olivier Clairouin et Martin Vidberg du journal Le Monde .
Tables rondes en salle Clemenceau