B. UN DROIT À L'AUTODÉTERMINATION ET À LA SÉCESSION PLUS THÉORIQUE QUE RÉEL
La mise en oeuvre des droits reconnus par la Constitution -autonomie jusqu'à la sécession ; reconnaissance des Nations dans leur extrême diversité, etc.- est néanmoins fortement encadrée par les dispositions de l'article 39. Le droit à l'autodétermination et à la sécession est en effet soumis à la réalisation de cinq conditions :
• l'approbation de la demande de
sécession par une majorité des deux tiers des membres du Conseil
législatif de la Nation, nationalité ou peuple
concernés ;
• l'organisation par le gouvernement
fédéral d'un référendum dans un délai
maximum de trois ans à compter de la réception de la demande de
sécession ;
• un vote majoritaire approuvant la
sécession au référendum ;
• le transfert effectif par le gouvernement
fédéral de ses pouvoirs au Parlement de la Nation,
nationalité ou peuples ayant voté la sécession ;
• la répartition des avoirs respectifs
dans des conditions prescrites par la loi.
Des conditions similaires sont établies par l'article 47 de la Constitution pour mettre en oeuvre, au sein d'une région, le droit d'une Nation, nationalité ou peuple à former son propre État.
Le pouvoir central dispose de tous les leviers -dont le principal est sa domination partisane via ses « franchises » locales- pour empêcher une sécession. Quand bien même un Conseil réunirait une majorité des deux tiers, les étapes suivantes à franchir sont toutes dans la main du pouvoir fédéral.
Il s'agit donc, dans les deux cas, d'un parcours d'obstacles considérable mis en place par les constituants qui rend certes possible mais largement improbable une sécession. L'exemple de la sécession de l'Érythrée ne peut être retenu comme celui de la bonne marche des dispositifs constitutionnels. En effet, le rattachement de l'Érythrée à la grande Éthiopie, après la parenthèse de l'occupation italienne au moment du fascisme, doit être pris en compte. Surtout, les conditions de la lutte contre la dictature du DERG avaient abouti à un accord sur cette séparation dont les conditions de réalisation furent, du reste, exemplaires. Toutefois, la résurgence rapide du conflit entre les deux pays montre à l'évidence les difficultés sur le long terme de cette séparation qui a privé l'Éthiopie de sa façade maritime.
C. UNE AUTONOMIE RÉGIONALE RÉGULÉE PAR LE BUDGET25 ( * )
1. Une bonne gestion nationale des finances publiques
D'après une note du Trésor sur la situation économique et financière de l'Éthiopie 26 ( * ) , la situation budgétaire est maîtrisée. Du reste, la plupart des observateurs internationaux saluent la politique de développement menée par le Gouvernement éthiopien et les remarquables résultats obtenus.
Le budget 2012/2013 a été correctement exécuté avec des revenus de 133,321 Mds de Birr éthiopiens (ETB) soit 15,19 % du PNB. Les données font état d'une forte amélioration de la collecte de la TVA (+30 %), d'une stabilité des recettes des taxes sur le revenu et d'une baisse de 15 % environ des recettes sur imports, compensée par une augmentation des aides budgétaires reçues de la Banque mondiale et de l'Union européenne. Côté dépenses, le FMI fait état d'une bonne maitrise et qualité des dépenses soit 158,019 Mds ETB ou 18,08 % du PNB. On constate un fort « effet redistribution » en faveur des services sociaux. Les dépenses de fonctionnement et d'intervention sont stables, mais on note une hausse des dépenses d'investissement notamment dans les secteurs des routes et de l'éducation. Au total, le déficit budgétaire pour 2012/2013 s'élève à 2,8 % du PIB, en légère hausse par rapport au budget programmé. Le budget programmé 2013/14 s'élève à 146 Md ETB (6,4 Md €), en hausse de 9,77 % par rapport au budget précédent. Il s'agit de la plus faible hausse depuis 8 ans. Les dépenses de fonctionnement représentent 21 % (en hausse de 18,5 %) et les investissements 41 % (en hausse également de 18,5 %), les deux principaux secteurs bénéficiaires étant les routes et l'éducation, tandis que le budget de l'agriculture est réduit de 13 %. 89 % du budget devrait être couvert par des recettes internes, le déficit s'établissant à 16,6 Md ETB (685 M€, soit 1,6 % du PIB) à financer par des ressources externes. Source : Revue du Trésor |
Il convient de souligner que la conjugaison de la réforme fiscale et de la lutte contre la corruption aboutit à un meilleur rendement pour les ressources collectées. Leur affectation au développement, à la lutte contre la pauvreté et aux infrastructures structurantes sont des politiques qui s'inscrivent dans le temps long et qui devraient permettre la progression du pays dans son ensemble .
La mise en oeuvre de cette stratégie cohérente et volontariste dont témoigne l'établissement des plans de développement est la priorité du gouvernement éthiopien. Ce choix du développement, priorité des priorités, est conçu -comme cela l'est également dans d'autres pays- comme le premier des droits humains. Comme le rappelait l'ancien Premier ministre Meles Zenawi, disparu en août 2012, « la démocratie et les droits de l'homme ne sont pas nécessairement des conditions préalables à la croissance économique. L'Éthiopie peut se développer sans que ses progrès économiques dépendent de ces questions ».
Chaque pays, en pleine souveraineté, décide et trouve les voies de son cheminement vers la démocratie. De ce point de vue, s'il existe des valeurs et des droits universels, il n'existe pas de modèle. Il n'y a pas de démocratie sans développement et c'est le développement qui, souvent à partir de la classe moyenne éduquée et disposant de revenus, va faire émerger aspirations et revendications au partage du pouvoir et à son contrôle, caractéristiques de la démocratie. Certaines des tensions que connait l'Éthiopie traduisent cette évolution.
Cette bonne gestion financière au niveau fédéral ne signifie cependant pas que l'autonomie de décision des régions s'appuie sur une réelle autonomie et autosuffisance en matière de ressources. Une première constatation évidente est que, dans un pays en développement comme l'Éthiopie, très largement agraire, la ressources fiscale est rare et que son allocation prioritaire va au développement, en particulier aux infrastructures et à l'éducation.
Au-delà des transferts aux régions, qui absorbent 28 % du budget fédéral, auxquels il faut ajouter 9,6 % au titre des OMD 27 ( * ) , les régions et a fortiori les échelons territoriaux inférieurs ne disposent pas de suffisamment de ressources propres et dépendent du gouvernement central et des prêts.
2. Des ressources limitées et sous contrôle
L'articulation entre les exécutifs régionaux et le gouvernement fédéral n'est pas clairement définie par la Constitution fédérale, qui prévoit que les régions sont compétentes pour ce qui ne relève pas de l'État fédéral. 28 ( * ) Il s'agit, pour reprendre l'expression de plusieurs auteurs, d'un pouvoir « résiduel » .
Si cette répartition des compétences est assez classique, la question est de savoir si les régions disposent des ressources nécessaires à leur mise en oeuvre. Par ailleurs, leur inégalité de développement, de ressources, de population et de territoire donne au gouvernement un rôle de péréquation dans les ressources qu'il transfère en prévoyant qu'il fournisse « une assistance spéciale aux Nations, nationalités et peuples qui sont les moins avancés dans le développement économique et social » 29 ( * ) .
D'un point de vue fiscal, il faut relever l'effort considérable et productif fait par le Gouvernement éthiopien en matière de réforme et de collecte. Les revenus fiscaux de l'État ont augmenté en moyenne de plus de 30 % chaque année. Pour l'exercice fiscal 2005/2006, les revenus s'élevaient à 14 milliards d'ETB. Ils étaient de 133 milliards pour l'exercice 2013/2014. La part des revenus de l'État provenant de la fiscalité est passée de 65 % 2009/2010 à 84,2 % en 2013/2014. 30 ( * )
La Constitution éthiopienne énumère, dans son article 96, les pouvoirs de taxation au niveau fédéral, au niveau des régions (article 97) et le pouvoir de taxation partagée (article 98).
Les régions-États sont autorisées à percevoir des impôts et taxes (sur les entreprises privées, la production agricole et les revenus des fonctionnaires régionaux notamment), parallèlement à ceux collectés par l'État fédéral. Il existe également des taxes collectées conjointement par l'État fédéral et la région.
Par ailleurs, les ressources d'exportation, en premier lieu le café qui représente 22 % des exportations totales, profitent relativement peu aux régions productrices. Dans le contexte de planification économique volontariste qui est celui de l'Éthiopie et, compte tenu du déficit de la balance commerciale en raison du niveau très élevé des importations de biens d'équipement, cette prédominance de la collecte des ressources au profit de l'État fédéral ne paraît pas illogique. Elle contribue néanmoins également à rendre les régions dépendantes du centre.
Enfin, là encore dans un souci légitime de maîtrise des finances publiques et de la charge de la dette, le Gouvernement éthiopien maîtrise la capacité d'emprunts extérieurs.
Cette répartition des responsabilités dans la Constitution, entre l'État fédéral et les régions, y compris au niveau des ressources, masque mal la forte dépendance de celles-ci vis-à-vis du pouvoir central qui tient les rênes du budget et du développement économique.
* 25 Source Trésor https://www.tresor.economie.gouv.fr/pays/ethiopie
* 26 http://www.tresor.economie.gouv.fr/9406_situation-economique-et-financiere-de-lethiopie-avril-2014
* 27 Les huit Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) forment un plan approuvé par tous les pays du monde et par toutes les grandes institutions mondiales de développement. Ils ont galvanisé des efforts sans précédent pour répondre aux besoins des plus pauvres dans le monde et arrivent à expiration à la fin 2015. Pour leur succéder, l'ONU a travaillé avec les gouvernements, la société civile et les différents partenaires pour exploiter la dynamique dégagée par les OMD et élaborer un programme ambitieux pour l'après-2015 : « Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l'horizon 2030 ». Il s'articule autour de 17 objectifs mondiaux pour le développement durable (ODD) - source ONU.
* 28 Après avoir énuméré dans l'article 51 de la Constitution les compétences et les fonctions du gouvernement fédéral, l'article 52 stipule que « toutes les compétences d'un attribué au gouvernement fédéral seul, au gouvernement fédéral et aux états concurremment, sont réservés aux États ». Le deuxième alinéa de l'article 52 prévoit que les États peuvent établir leur propre administration ; adopter et mettre en vigueur leur constitution ; formuler des politiques, des stratégies et des plans ; administrer les territoires ; lever et percevoir des impôts et des redevances ; adopter et appliquer des lois eut égard à leur fonction publique ; et, enfin, établir et administrer une force policière d'État (Tom Pätz, p. 249).
* 29 Article 89-4 de la Constitution.
* 30 Source : Éthiopie revenue 2015 - www.africaneconomicoutlook.org