E. UN ÉTAT CENTRALISÉ DANS LES FAITS

L'Éthiopie a fait le choix d'un modèle de « fédéralisme centralisé », davantage que celui d'un État décentralisé. La Constitution de 1994 mentionne d'ailleurs l'organisation fédérale de l'État plutôt que la décentralisation, terme peu usité en Éthiopie.

L'État central joue pleinement son rôle de coordonnateur et « d'égalisateur ». L'article 88 de la Constitution, tout en rappelant le respect qu'il doit avoir des « Nations, nationalités et peuples », lui assigne le devoir de renforcer les liens d'égalité, d'unité et de fraternité entre eux.

L'Éthiopie est un État forgé par une unification politique progressive au cours de nombreux siècles, qui a opté très récemment pour une forme originale de décentralisation. En Éthiopie, la fédération est en réalité très centralisée, même si chaque région est dotée d'une Constitution (semblable à celle des autres), d'un pouvoir exécutif et d'un conseil régional (corps législatif) qui sont pourtant les attributs d'une gestion autonome des régions.

Le Président et le Vice-président du Conseil régional (sans rôle exécutif), ainsi que le Chef du gouvernement régional sont désignés par le Conseil régional , lui-même élu au suffrage universel direct tous les cinq ans. Le Conseil régional doit approuver la désignation du Conseil du gouvernement régional proposée par le Chef du gouvernement régional . Les membres du gouvernement régional n'ont pas le titre de « ministre », mais celui de « chefs de bureau ». Le Conseil du gouvernement régional est responsable devant le Conseil régional.

En réalité, on peut raisonnablement imaginer qu'il existe un véritable système de désignation des candidats par le parti dominant, ce qui accentue nécessairement le caractère effectif de la centralisation du pouvoir.

Cette prédominance du système partisan central se retrouve dans la composition de la Chambre de la Fédération , dont les membres sont élus directement par les conseillers régionaux. Par exemple, la région « Nations, nationalités et peuples du Sud » désigne 61 parlementaires tandis que la région Harari en désigne un ; aucun pour les villes-États car ce sont les Nations qui y sont représentées, non les régions.

Cependant, comme cela a précédemment été souligné, la Chambre de la Fédération sera amenée à jouer un rôle majeur dans l'évolution politique de l'Éthiopie. Progressivement, et certainement en fonction du rythme du développement économique, il y aura un rapprochement entre la théorie et la pratique du fédéralisme éthiopien. Les pouvoirs considérables et originaux de la Chambre haute éthiopienne devraient lui permettre d'accompagner cette transformation et de contribuer au succès d'une expérience de fédéralisme unique en son genre.

Comme le constate M. Tom Pätz : « La solution constitutionnelle formelle que l'Éthiopie a mise au point pour le problème de la gouvernance en général, et de l'appartenance ethnique en particulier, est profondément affectée par le degré de maturité politique et l'aptitude à administrer des états, qui varient considérablement ; ceci pourrait correspondre aux vastes écarts quant à la taille de la population des États. Certains sont relativement peu peuplés -environ 200 000 habitants au Gambela, par exemple, et 500 000 au Benishangul/Gumuz- alors que d'autres le sont beaucoup -plus de 14 millions en Amhara et plus de 19 millions en Oromia. Certains États sont aptes à saisir les occasions alors que d'autres, surtout au niveau du district (woreda) et au niveau local (kebele), ne le sont pas, même pour la routine quotidienne des affaires gouvernementales et administratives. Même si on suppose que les gouvernements aux différents niveaux sont plein de bonnes intentions, en raison de l'extraordinaire faiblesse de leur capacité d'administrer, bien des choses ne se font pas, ou se font mal. Certaines années, les régions dites en émergence (Afar, Somali, Benishangul/Gumuz, Gambela), dont le rendement est extrêmement faible, n'ont même pas réussi à dépenser les ressources qui leur avaient été consenties par le système de péréquation financière » .

Cette appréciation qui date d'une dizaine d'années, si elle demeure pertinente, peut être nuancée aujourd'hui. En rencontrant les responsables de Harar, de Dire-Daoua et de sa région, la délégation du groupe d'amitié a pu constater que l'autonomie des régions n'est pas seulement apparente, même s'il est évident qu'un important écart existe entre la théorie consignée dans le texte constitutionnel et la pratique. L'intelligence de la construction institutionnelle éthiopienne est de permettre l'expression des différences dans le respect des singularités des Nations, nationalités et peuples d'Éthiopie.

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