IV - VIE ET MORT DU Xème PANCHEN-LAMA

par Mme Katia BUFFETRILLE, anthropologue et tibétologue
à l'École pratique des Hautes Études

La vie du X ème panchen-lama est très complexe . Lui-même est une figure tragique, pris dans les bouleversements politiques alors qu'il essayait d'améliorer les conditions de vie des Tibétains qui sont soumis à un régime intolérant à toute velléité de changement venant de l'extérieur.

A. UN PERSONNAGE COMPLEXE AU DESTIN TRAGIQUE

1. Qui est le panchen-lama ?

Peut-être est-il nécessaire de dire quelques mots sur l'institution des panchen-lamas. Ces derniers constituent un lignage d'incarnation ayant atteint un haut degré de réalisation spirituelle. Dans le bouddhisme « Mahâyâna », le véhicule du bouddhisme auquel appartient le bouddhisme tibétain, le concept le plus important est celui de bodhisattva, un être réalisé qui renonce au nirvana et développe l'aspiration à l'illumination, la bodhicitta , en oeuvrant pour le bien d'autrui . Le panchen-lama est considéré comme l'émanation du bodhisattva Amitabha, alors que le dalaï-lama est l'émanation terrestre du bodhisattva de la compassion Avalokiteshvara, protecteur du Tibet.

Bien que le concept de la réincarnation existe en dehors du Tibet et du bouddhisme, il a été institutionnalisé par le bouddhisme tibétain et a permis la continuité de l'organisation administrative des écoles religieuses. L'exemple le plus connu est celui de l'école des Gelugpa, école à laquelle appartient le dalaï-lama.

On lit souvent dans la littérature occidentale que le panchen-lama est la deuxième autorité spirituelle de l'école gelugpa. Le lignage a débuté lorsque le V ème dalaï-lama (1617-1682) a reconnu son tuteur comme le IV ème panchen-lama, ses incarnations précédentes étant reconnues rétroactivement. Les réincarnations successives des panchen-lamas, tout comme celles des dalaï-lamas, ont été impliquées dans les relations politiques entre le Tibet et l'Inde britannique, et entre le Tibet et la Chine. Le IX ème panchen-lama, Chökyi Nyima (1883-1937), s'était opposé au XIII ème dalaï-lama, qui avait décidé de lever un impôt exceptionnel destiné à financer l'armée tibétaine . Devant la somme énorme que son monastère, Tashilhünpo, devait payer, il s'enfuit en Chine en 1924. Bien qu'il ait été très correctement traité par le régime du Guomintang, il tenta de négocier un retour au Tibet, mais sans succès. Il mourut en 1937 à la frontière sino-tibétaine, sans avoir pu retourner dans son monastère.

2. Le Xème panchen-lama Chökyi Gyältsän

Chökyi Gyältsän (1938-1989), qui deviendra le X ème panchen-lama , a connu une vie bouleversée par les tempêtes politiques. Il est né en Amdo, province traditionnelle nord-est du Tibet, dans un territoire contrôlé alors par le régime du Guomintang, alors qu'un autre candidat était trouvé dans une région sur laquelle régnait le gouvernement du dalaï-lama. Après la victoire du parti communiste chinois sur le Guomintang lors de la guerre civile en Chine, le Parti communiste, comme le Guomintang avant lui, a affirmé qu'il était la véritable incarnation . Les disputes au sujet de la véritable réincarnation du panchen-lama touchèrent à leur fin avec la reconnaissance de l'enfant qui était sous la protection de la République populaire de Chine, cela avec l'accord du XIV ème dalaï-lama.

Divers événements montrent comment , très jeune, il a été utilisé par les autorités chinoises. Ainsi, alors âgé de onze ans, il a envoyé un télégramme à Mao Tsé-toung demandant que l'Armée de libération du peuple intervienne rapidement pour libérer le Tibet . La résistance tibétaine s'organisait à l'est du Tibet, entraînant une répression sanglante, et l'hostilité des Tibétains envers les communistes gagnait rapidement les zones contrôlées par le gouvernement du dalaï-lama. Alors que ce dernier voyait avec angoisse la situation se dégrader, le silence du panchen-lama -- tout au moins publiquement -- conduisait à penser qu'il était complètement du côté des autorités chinoises. Mais la réalité était quelque peu différente comme allaient en témoigner les événements des années 1960.

À la suite de l'échec de la résistance tibétaine à l'invasion chinoise des années 1950 et à l'Accord en dix-sept points sur la « libération pacifique » du Tibet signé en 1951, l'intégration du Tibet à la République populaire de Chine devenait officielle. On ne sera pas étonné, compte tenu de la vie du panchen-lama, que celui-ci n'ait nullement représenté une figure d'opposition au régime chinois durant les années 1950.

Lors de la visite du dalaï-lama et du panchen-lama en Inde en 1956, à l'occasion du 2500 ème anniversaire du nirvana du Bouddha, le dalaï-lama confia au Premier ministre indien, le Pandit Nehru, que la situation au Tibet s'était détériorée au point qu'il envisageait de ne pas y retourner et de se réfugier en Inde. Cette idée ne semble pas avoir effleuré le panchen-lama même si, quelques années après, il reconnaissait que la situation tibétaine était très inquiétante.

Finalement, le dalaï-lama rentra au Tibet mais, en mars 1959, à la suite du soulèvement de la population de Lhassa qui craignait qu'il ne soit enlevé par les Chinois, il s'enfuit en Inde suivi d'un grand nombre de Tibétains. Le panchen-lama resta au Tibet comme l'un des partisans de l'État chinois. Il rencontra à Pékin les rares visiteurs étrangers qui s'étaient rendus au Tibet. Il leur parlait de façon positive de la politique chinoise ainsi que de la répression de 1959, ce qui conduisit les autorités chinoises à le traiter avec considération.

Son discours commença à changer en 1962, lorsqu'il présenta à Zhou-Enlai, pour qu'elle soit donnée à Mao, sa pétition en 70 000 caractères qui montrait combien il était sensible à la situation de son pays. Dans un langage très direct, il décrivait les famines, les emprisonnements et les exécutions de masse qui avaient mis « l'avenir du peuple tibétain en danger » .

Certaines histoires soulignent la naïveté du panchen-lama et le poursuivent. Il n'espérait probablement pas que sa pétition serait applaudie par les dirigeants chinois, mais il aspirait à ce qu'elle puisse servir de base de discussion. Toutefois, elle fut condamnée très sévèrement par Mao Tsé-toung. Et en 1964, deux ans après l'avoir présentée, le panchen-lama, non seulement perdit son statut, mais il devint l'une des multiples victimes de la répression chinoise . Il fut emprisonné jusqu'en 1978, c'est-à-dire jusqu'à la fin de la Révolution culturelle et la mort de Mao Tsé-toung.

Après sa sortie de prison, il resta un partisan du régime même si, parfois, il émit des critiques . Lorsqu'il réapparut sur la scène, il avait renoncé à ses voeux monastiques et avait épousé une femme chinoise. Bien que cet acte de sécularisation ait été apprécié par le Parti, le mariage n'avait pas été annoncé officiellement, mais la nouvelle s'était répandue dans tout le Tibet. Il eut également une fille. En 1979, il fut l'un des premiers responsables tibétains à rencontrer les envoyés du dalaï-lama venus en visite au Tibet.

Le panchen-lama était l'un des plus hauts responsables du bouddhisme tibétain à être resté sur le territoire de la République populaire de Chine ce qui explique qu'il ait été bien traité par les autorités et qu'il ait eu un comportement semi-clérical. Il ne portait jamais le vêtement monastique mais il faisait les discours religieux assis sur un trône, comme tout lama.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page