AUDITION DE M. CHARLES JOSSELIN, MINISTRE DÉLÉGUÉ À LA COOPÉRATION ET À LA FRANCOPHONIE
Paris, le 17 février 1999
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La section française, sous la présidence de M. Louis Mexandeau, son Président-délégué, a entendu le 17 février 1999 M. Charles Josselin, ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, dans le cadre d'une audition conjointe avec le groupe d'études sur la Francophonie et la Culture française dans le monde.
M. Charles Josselin s'est tout d'abord déclaré déterminé à donner une nouvelle vitalité à la politique francophone, dans la perspective du Sommet de Hanoï qui a adopté une réforme institutionnelle de la Francophonie marquée notamment par la création d'un poste de Secrétaire général confié à M. Boutros Boutros-Ghali et la décision de réformer l'Agence de la Francophonie. Celle-ci s'est dotée d'un nouvel organigramme qui comporte douze directions, dont deux confiées à des Français, outre le poste de Délégué aux Droits de l'Homme et à la Démocratie détenu par Mme Christine Desouches. Il a également été décidé d'évaluer l'efficacité des institutions de la Francophonie, qu'il s'agisse de l'Agence universitaire de la Francophonie (ex-AUPELF-UREF), de TV5 ou de l'Université Senghor d'Alexandrie. Par ailleurs, une discussion s'est engagée avec l'Association internationale des maires de capitales ou métropoles entièrement ou partiellement de langue française (AIMF) afin d'envisager un financement par projet au lieu de l'actuelle dotation de fonctionnement.
Deux concepts nouveaux sont apparus lors du Sommet de Hanoï : celui de Francophonie politique, qui se heurte toutefois au manque de procédures pour en assurer le contrôle, alors même que le Secrétaire général souhaite s'y impliquer de manière très directe ; et le thème de la Francophonie économique, auquel le Vietnam était particulièrement attentif, et qui va connaître un début d'application avec la tenue d'une Conférence ministérielle en avril à Monaco. Il existe une certaine incertitude sur le résultat de ces délibérations, qui ne pourraient en aucun cas donner lieu à la création d'un espace économique francophone, lequel serait en totale contradiction avec les règles de l'Union européenne et de l'Organisation mondiale du commerce. L'objectif à rechercher est plutôt d'intéresser les entreprises à cette initiative.
Le prochain Sommet de la Francophonie, qui se tiendra au mois de septembre à Moncton, sera consacré à la jeunesse. Ce thème, proposé par M. Boutros Boutros-Ghali, et que M. Josselin a jugé intéressant et mobilisateur, permettra d'évoquer des questions telles que la formation et les échanges d'étudiants. L'idée de la création d'un Office d'échanges francophone devrait être précisée lors de la réunion préparatoire prévue dans les semaines à venir à Genève, et à laquelle la France participera.
L'augmentation de 43 millions de francs du budget de la Francophonie décidée à Hanoï a été consacrée pour une part importante à la politique de création de sites en français sur le réseau Internet, particulièrement dans les pays du Sud. Sur deux cents projets déjà présentés, une cinquantaine ont été retenus, ce qui constitue un résultat satisfaisant.
En revanche, le recul de la pratique du français dans les grandes instances multilatérales se poursuit malgré l'effort financier consenti pour y remédier. Cette situation est préoccupante, alors même que de nouveaux pays expriment leur intérêt pour le français.
Enfin, le ministre a indiqué que la Zone de solidarité prioritaire qui a été définie dans le cadre de la réforme de la coopération a intégré la Francophonie, qui constitue un axe majeur de la politique extérieure de la France et de son action en matière d'aide au développement.
Se déclarant convaincu que la composante culturelle de la Francophonie devait avoir la primauté sur ses aspects politique et économique, M. Edouard Landrain a demandé quelles sont les actions menées par le Gouvernement en faveur des Alliances françaises, des Instituts et de l'ensemble des établissements culturels français à l'étranger.
Après avoir rappelé la grande variété des pays francophones, et cité les exemples du Vietnam, dont la population avoisine 80 millions d'habitants et dont il serait illusoire de penser qu'il puisse redevenir largement francophone, ce qui implique de faire porter notre action sur des catégories de population ciblées, et du Cambodge, pays peu peuplé dans lequel la France mène une politique visant à un véritable bilinguisme, ce qui lui paraît peu raisonnable, M. Pierre-André Wiltzer s'est demandé s'il ne serait pas souhaitable de diversifier davantage la politique culturelle en fonction de nos différents partenaires. S'agissant du recul de l'usage du français dans les institutions européennes, il a par ailleurs estimé que, le combat contre l'anglo-américain étant voué à l'échec, il convenait de promouvoir le multilinguisme qui suppose des alliances avec nos partenaires, notamment lusophones, hispanophones et germanophones. Indiquant que le Parlement français menait un effort en ce sens avec ses homologues européens, M. Wiltzer s'est interrogé sur la volonté du Gouvernement de donner un caractère prioritaire à l'action politique en faveur du multilinguisme, seule chance à ses yeux de défendre le français en Europe.
Évoquant le grand nombre d'organismes concourant à la politique francophone, notamment en France, M. Xavier de Villepin a demandé s'il existait un organigramme général des institutions de la Francophonie. Il a, en outre, souhaité qu'un état de la Francophonie soit établi chaque année, eu égard au pessimisme qui prévalait en général sur la place du français dans le monde.
Chargé de présenter un rapport sur les conséquences du passage à l'euro sur le franc CFA dans le cadre de la Commission de la Coopération et du Développement de l'APF lors de la session ordinaire de cette assemblée qui s'est tenue à Abidjan en juillet 1998, M. Jacques Brunhes a constaté une très vive inquiétude de la part des pays africains concernés, quant à l'éventualité d'une nouvelle dévaluation de leur monnaie. Il s'est interrogé sur la persistance de ces inquiétudes et sur les éventuelles difficultés techniques qu'aurait pu entraîner le rattachement à l'euro. Il a émis des doutes sur la possibilité de maintenir, à moyen ou long terme, la parité du franc CFA avec un euro qui sera probablement une monnaie forte, compte tenu des perspectives économiques de l'Afrique francophone. Cette même commission de l'APF menant actuellement une réflexion sur l'économie informelle dans les pays francophones, il a souhaité savoir si la coopération française intégrait ce phénomène dans sa politique d'aide au développement.
Mme Catherine Tasca a déploré que la CONFEMEN (Conférence des ministres de l'éducation des pays ayant le français en partage) n'ait pu jusqu'alors trouver la place qui lui revenait dans les institutions de la Francophonie. Elle a demandé quel était son programme de travail pour les mois à venir et si, dans le cadre bilatéral, la réforme de la coopération française avait prévu de tracer des perspectives particulières pour les systèmes d'enseignement des pays francophones.
M. Michel Herbillon s'est enquis de la situation du français dans les organisations internationales, et de l'état d'avancement de la réforme de TV5 qui devrait permettre d'en améliorer la qualité et la couverture, soulignant l'importance du développement des images télévisuelles dans la diffusion de la culture française.
M. Gérard Bapt a interrogé le ministre sur l'action menée en faveur de l'accueil des étudiants étrangers en France, qui constituait à ses yeux un puissant vecteur pour la Francophonie mais aussi pour nos relations économiques et politiques. Il a également constaté l'échec relatif de la politique d'aide au retour des immigrés en provenance des pays francophones, notamment du Maroc, du Mali et du Sénégal, et a suggéré de coordonner ces aides avec l'octroi de contrats de travail sur les chantiers financés par la coopération française.
M. Hubert Grimault a exprimé son souhait, afin d'éviter un saupoudrage des crédits, de procéder à des choix mieux ciblés, en faveur notamment de certains pays d'Amérique du Sud.
M. André Schneider a souhaité connaître les actions envisagées afin de promouvoir le français, et notamment son enseignement, au sein de l'Union européenne.
Le Président Bruno Bourg-Broc a souligné l'importance de l'audiovisuel extérieur sur lequel le ministère consentait un gros effort et a rappelé à cet égard que le Groupe d'études avait prévu d'entendre prochainement M. Stock, Président directeur général de Canal France International et Président de TV5, dans la perspective du colloque qu'il organisera au mois de juin sur ce thème à l'Assemblée nationale.
Répondant aux différents intervenants, et après avoir indiqué qu'il convenait de ne pas établir de hiérarchie ni opposer les différents domaines de la Francophonie, et notamment les questions politiques et culturelles, M. Charles Josselin a souligné que la Francophonie politique, si elle pouvait parfois compliquer la résolution de certains problèmes en venant s'ajouter à des actions menées par des organisations telles que les Nations Unies, devait, avant tout, aider à former une majorité d'idées dans des enceintes internationales comme l'ONU ou le Fonds monétaire international, et qu'à ce titre la nomination, à la tête du Comité d'aide et de développement de l'Organisation de coopération et de développement économique, d'un Français, M. Jean-Claude Faure, acquise avec l'appui du Canada, devait être saluée. Il a fait observer que la Francophonie culturelle bénéficiait des moyens les plus importants, par le biais notamment des instituts culturels et des alliances françaises, et qu'elle demandait à se développer dans des pays, qui n'étaient pas francophones, mais qui étaient fortement demandeurs de culture et de langue françaises, à l'exemple de nombreux États d'Amérique latine.
Puis, le ministre a estimé qu'il était nécessaire d'adapter les pratiques francophones aux modes de fonctionnement de nos partenaires, et qu'à cet égard il pouvait paraître particulièrement difficile de multiplier les classes bilingues, qui, pourtant, avaient le mérite essentiel de permettre aux élèves concernés de suivre un cursus complet en français, et qu'il convenait de relayer cette politique par le développement de l'enseignement du français comme seconde langue dans des pays, nombreux, où l'anglais occupait la première place. Il a ajouté que cette politique de diffusion du français devait s'appuyer sur des partenariats avec des langues autres, telles que l'espagnol ou le portugais.
Prenant l'exemple de la semaine du français à Munich, M. Charles Josselin a souligné le lien étroit qui existait entre la présence des entreprises françaises et l'opportunité de développer dans certaines zones la Francophonie, en particulier auprès des jeunes. Par ailleurs, il a regretté que les règles établissant, au sein des instances européennes, le français comme langue de travail, aient tendance à être de moins de moins respectées, notamment par les Français eux-mêmes.
Il a indiqué que 1'organigramme des institutions de la Francophonie était couronné par les sommets réunissant les chefs d'État et de Gouvernement, qui étaient préparés par le Conseil permanent de la Francophonie composé des représentants personnels des chefs d'État, et par une série de conseils ministériels. Il a précisé que, contrairement à la Conférence des ministres de la jeunesse et des sports des pays d'expression française (CONFEJES) qui s'était très fortement mobilisée en vue de l'organisation du prochain sommet de Moncton et qui sera à ce titre réunie deux fois en 1999, la Conférence des ministres de l'éducation des pays ayant le français en partage (CONFEMEN) avait tenu sa dernière réunion en 1997 à Hanoi et ne s'était pas rassemblée depuis lors.
Ensuite, le ministre a fait savoir qu'avec le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, il avait rencontré à Paris l'automne dernier les ministres de la zone franc pour leur réaffirmer que la parité entre le franc CFA et l'euro, par le biais du franc français, ne sera pas modifiée, compte tenu de la relative bonne position de nombre d'indicateurs macroéconomiques, situation confirmée par le ministre autrichien des Finances qui avait assisté à cette rencontre au titre de la présidence de l'Union européenne, et ce malgré la crise économique asiatique. Il s'est déclaré favorable à l'intégration progressive des activités informelles de l'économie africaine dans le secteur officiel. Il a confirmé que la réforme de la coopération avait réuni dans un seul service, la direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID), l'ensemble des compétences pour la coopération en matière d'enseignement dans le monde entier, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) pouvant intervenir en tant qu'opérateur.
Il a confirmé que la télévision, si elle constituait l'un des meilleurs vecteurs de diffusion de la langue et de la culture françaises, intervenait dans un secteur très concurrentiel, à l'heure où près de mille chaînes se créaient par an, ce qui nécessitait de plus en plus d'accorder une aide aux bouquets et de diversifier l'offre française d'images en renforçant des outils tels que TV 5 et CFI. Il a ajouté qu'à cet égard la réforme en cours de TV 5 allait dans le bon sens et qu'elle se devait de devenir une chaîne à part entière.
Après avoir rappelé que le Royaume-Uni accueillait 250.000 étudiants étrangers et les États-Unis 500.000, il a estimé que la France avait vocation à élargir et à améliorer l'accueil des 150.000 étudiants étrangers, ce que la création d'Édufrance favoriserait, et que cette politique d'accueil était nécessaire pour accroître la diffusion du français et de la culture française dans le monde, quitte à accueillir des étudiants étrangers pour qu'ils viennent suivre en France des cours dans une langue d'un pays tiers. Il a fait observer qu'à l'appui de cette politique, un effort budgétaire supplémentaire de 50 millions de francs avait été consenti en 1999 pour renforcer les bourses accordées aux étudiants étrangers. Il a jugé indispensable de maintenir l'unité des diplômes accordés aux étudiants étrangers et des diplômes remis aux nationaux et de ne pas se diriger dans un système pratiqué aux États-Unis et consistant à offrir une gamme très variée de diplômes et d'universités n'ayant pas la même valeur.
En outre, il a précisé qu'à l'égard de pays tels que le Maroc, le Mali ou le Sénégal, il convenait, plus que de se limiter à une politique d'aide au retour, de soutenir et d'étendre les politiques de codéveloppement, associant aides publiques et choix stratégiques des entreprises. Puis, il a relevé que la sélectivité des aides était commandée par un contexte de stabilité budgétaire et qu'elle devait s'opérer en faveur de zones géographiques où la France pouvait bénéficier d'un gisement d'influence comme en Amérique latine ou dans la zone Caraïbes, par exemple.
Il a appelé l'attention des participants sur la nécessité de préserver pour le Secrétariat général de la Francophonie et l'Agence de la Francophonie des domaines de compétences bien distincts afin de leur conserver une identité originale. Enfin, il a indiqué que le budget multilatéral de la Francophonie, qui atteignait un milliard de francs, était financé à 70 % par des contributions françaises, dont 300 millions de francs pour l'audiovisuel.
Le président Louis Mexandeau a rappelé que la défense de la Francophonie passait par la défense du multilinguisme et que cette action devait être menée de façon permanente, dans tous les domaines et dans le monde entier. Il a souligné l'importance des territoires français d'outre-mer en tant que têtes de pont dans la diffusion de la langue et de la culture français et s'est déclaré très attaché au soutien que l'Assemblée parlementaire de la Francophonie avait apporté à la candidature de la ville suisse de Sion pour les Jeux Olympiques d'hiver de 2006.
Reprenant la parole pour remercier les nombreux participants, M. Charles Josselin a souligné l'importance que présentait à ses yeux l'action de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie dans laquelle la section française devait assurer un rôle moteur.