2. Le conflit du haut Karabagh
On peut rappeler que, dans le conflit opposant l'Azerbaïdjan à la population à très forte majorité arménienne de l'enclave du Haut-Karabagh, les offensives de 1992 et 1993 ont donné aux Karabaghtsis, grâce à l'appui direct et indirect de l'armée et de la logistique arménienne, non seulement le contrôle du territoire dont ils revendiquent l'indépendance, mais encore de larges parties de l'Azerbaïdjan : les Karabaghtsis se sont assurés à la fois un glacis de sécurité et la continuité de leur territoire avec l'Arménie .
a) Les positions en présence
Les Arméniens du Karabagh jugent inacceptable toute « solution graduelle » , en faisant valoir que l'acceptation du plan proposé par le groupe de Minsk favoriserait une reprise des hostilités.
Selon eux, l'équilibre militaire actuellement instauré entre les forces arméniennes et azerbaïdjanaises serait bouleversé sans aucune garantie de sécurité de la part de Bakou. L'Azerbaïdjan, qui n'aurait aucune raison de faire des concessions au Nagorny Karabagh, dès lors qu'il aurait repris le contrôle des territoires occupés, pourrait être tenté de reprendre les hostilités.
Les Arméniens du Karabagh et leurs alliés à Erevan sont, au contraire, fermement partisans d'une « solution globale » , subordonnant toute action au règlement préalable des divers problèmes. Les Arméniens du Karabagh sont également hostiles à tout rattachement du Nagorny Karabagh à l'Azerbaïdjan.
b) Un risque d'isolement diplomatique
Sur le plan extérieur, l'Arménie a pu progresser dans la voie de l'intégration européenne. Elle a été admise en tant qu'invité spécial au Conseil de l'Europe en janvier 1996 et, en avril de la même année, Erevan a signé un accord de partenariat avec l'Union Européenne. Celui-ci, comme on l'a dit, n'est pas encore ratifié.
Le Gouvernement a déployé beaucoup d'efforts pour reconstruire les relations extérieures arméniennes, en particulier, après son échec au Sommet de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), à Lisbonne en décembre 1996.
La réunion ministérielle, à Copenhague, de l'OSCE à la fin du mois de décembre 1997 a marqué la fin de ces efforts. Contrairement à la déclaration de 1996, qui avait réaffirmé l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan, cette dernière réunion n'a débouché sur l'adoption d'aucune déclaration importante sur le Nagorny Karabagh. L'Arménie s'est félicitée des conclusions du sommet de Copenhague, bien que Bakou se soit déclaré satisfait des positions exprimées dans la déclaration de 1996.
À la suite du sommet de Copenhague, les parties en conflit au Nagorny Karabagh ainsi que les médiateurs internationaux du groupe de Minsk se sont attachés à relancer le processus de négociations.
Les dernières propositions du groupe de Minsk suggèrent un règlement en deux phases, impliquant un retrait arménien des régions de l'Azerbaïdjan qui ne font pas partie du Nagorny Karabagh, assorti de la définition d'un statut pour la région.
Il est toutefois peu probable que des progrès rapides - notamment sous la forme de pourparlers directs entre Bakou et les autorités arméniennes du Karabagh, à Stepanakert - pourront être accomplis, le statut des Arméniens du Karabagh, et les relations avec ceux-ci, demeurant le principal obstacle à des négociations.
La région du Nagorny Karabagh a organisé, le 1er septembre 1997, des élections présidentielles. Les résultats définitifs ont confirmé l'élection de M. Arkady Goukassian, qui a recueilli 90 % des suffrages. M. Goukassian -qui a été reçu par le groupe d'amitié au Sénat en mai dernier 1 ( * ) - a réaffirmé son attachement à l'indépendance de la région et à l'ouverture de pourparlers avec le Gouvernement azerbaïdjanais.
Bien que Bakou ne soit pas hostile à des pourparlers avec les autorités du Karabagh, l'Azerbaïdjan se refuse à traiter les Arméniens du Karabagh sur un pied d'égalité tant que ceux-ci n'auront pas préalablement reconnu l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan et qu'ils n'auront pas rendu les régions de l'Azerbaïdjan situées en-dehors du Nagorny Karabagh qui sont actuellement placées, de facto, sous contrôle arménien.
Erevan pour sa part, estime qu'un règlement définitif et durable du conflit n'est envisageable que si le Nagorny Karabagh est autorisé à disposer librement de son avenir, si des mesures de sécurité préviennent toute nouvelle action militaire en rendant par là même le processus de paix irréversible, et si une liaison terrestre permanente est établie avec l'Arménie.
Il faut s'attendre à ce qui est perçu comme un durcissement de la part d'Erevan, à propos du Nagorny Karabagh, ne finisse par susciter une certaine impatience des pays occidentaux.
En définitive, le sentiment de la délégation sénatoriale est qu'une solution durable doit tenir compte des réalités du terrain et, en particulier, de la volonté affirmée des habitants du Haut Karabagh d'obtenir une large autonomie et de consolider leurs liens avec l'Arménie mais qu'une position par trop intransigeante affaiblira l'économie arménienne et ralentira son redressement, car l'activité économique en général et les investissements, étrangers, en particulier, ont besoin d'un climat de paix pour se développer.
* 1 MM. Jacques OUDIN, président du groupe sénatorial France-Arménie et Jean BOYER, Président du groupe sénatorial France-Caucase ont reçu , pour un petit déjeuner, le mardi 19 mai 1998, M. Arcady GOUKASSIAN, président du Haut-Karabagh. Celui-ci était accompagné de M Christian TER STEPANÎAN, chargé d'affaires de la république d'Arménie en France, ainsi que de M. Jean KRIKORIAN, représentant du Haut-Karabagh en France.
M. GOUKASSIAN a d'abord présenté la position Haut-Karabatsie.
Après avoir souligné qu'il n'y avait pas d'alternative à un règlement politique du conflit et que son seul objectif était la paix, le président du Haut-Karabagh a affiché sa détermination pour faire prendre en compte son pays comme une entité militairement et politiquement autonome.
Il a également réitéré son opposition à la méthode de négociation par étape aujourd'hui préconisée par les co-présidents du groupe de Minsk - États-Unis Russie France -, qui, d'après lui, laisserait le Haut-Karabagh sans garanties en cas d'interruption du processus de paix.
En réponse à une question de M. Jacques OUDIN évoquant la recherche d'un statut constitutionnel particulier pour le Haut-Karabagh, fondé sur le principe d'association, M. GOUKASSIAN a manifesté son intérêt pour une solution de ce type, tout en indiquant qu'à son avis, l'Azerbaïdjan ne l'accepterait pas dans la mesure où il considère le Haut-Karabagh comme faisant partie intégrante de son territoire.
M. GOUKASSIAN a ensuite répondu aux questions de MM, Jean BOYER et Philippe MARINI au cours d'une discussion où sont également intervenus MM. Lucien LANIER, André MAMAN et Bernard PIRAS.