4. Les perspectives de renforcement de la coopération interparlementaire
La délégation sénatoriale a saisi les occasions offertes par les entrevues qu'elle a eues avec le Président de l'Assemblée Nationale, ainsi qu'avec le président de sa commission des Lois et le vice-président de la commission des Affaires étrangères, pour envisager avec ses interlocuteurs les perspectives de renforcement de la coopération entre les deux assemblées.
Les membres de la délégation se sont bien volontiers engagés à suivre deux dossiers qui préoccupent particulièrement la partie arménienne : la ratification de l'accord d'association entre l'Union Européenne et l'Arménie, ainsi que l'adhésion de leur pays au Conseil de l'Europe. Ils ont également réitéré devant eux la façon dont se posait la question de la reconnaissance du génocide du peuple arménien, après l'initiative de l'Assemblée nationale française.
Enfin, il a été proposé aux Parlementaires arméniens d'établir des contacts suivis sur les plans administratif et politique entre les assemblées, qu'il s'agisse de procéder par échanges de fonctionnaires, comme cela est déjà le cas avec la Géorgie dans le cadre du programme Tacis ou d'échanger des informations juridiques à l'occasion de l'élaboration de textes particuliers. L'expérience du Parlement français, la compétence de certains sénateurs rendraient de tels contacts particulièrement utiles, qu'il s'agisse, par exemple, de privatisations ou même de l'élaboration d'un statut particulier pour le Haut-Karabagh.
Manifestement intéressés par ces propositions, les interlocuteurs de la délégation ont souhaité institutionnaliser de tels liens privilégiés, en créant une sorte de « Grande commission mixte » sur le modèle de la grande commission Franco-Soviétique. Cet organe commun en France à l'Assemblée nationale et au Sénat se réunirait une fois par an alternativement en France et en Arménie.
Le président de la délégation sénatoriale, qui considère qu'une telle structure pourrait effectivement contribuer à rapprocher les deux pays, s'est engagé à en étudier la possibilité en prenant les contacts nécessaires, tant avec le président et les questeurs du Sénat qu'avec les autorités compétentes de l'Assemblée nationale.
a) Les nouvelles institutions
La Constitution, qui s'inspire de celle de la Ve République française, affirme les principes essentiels de séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Elle reconnaît la suprématie de la loi et le multipartisme.
•
Le pouvoir législatif
Le Parlement, de type monocaméral, est composé de 190 députés. 40 d'entre eux sont élus à la proportionnelle, le reste l'étant au scrutin majoritaire.
Pour être éligible, il faut être âgé de plus de 25 ans et être résidant en Arménie depuis au moins 5 ans.
L'Assemblée nationale ne peut être dissoute dans l'année qui suit son élection, ni sous le régime de la loi martiale.
Le régime des sessions est le suivant : il y a deux sessions ordinaires par an, ainsi que des sessions extraordinaires à l'initiative du Président de la République ou du Président de l'Assemblée nationale.
En théorie, l'initiative des lois appartient conjointement aux députés et au Gouvernement. Dans la pratique, il y a prééminence de l'exécutif sur le législatif du fait de sa maîtrise de "l'ordre du jour" de l'Assemblée nationale ainsi que par la possibilité pour le Gouvernement de mettre en jeu "la question de confiance". La publication des Lois est assurée par l'organe de presse de l'Assemblée nationale.
•
Le pouvoir exécutif
La Constitution arménienne accorde de larges pouvoirs au Président de la République, qui sont à peu près équivalents à ceux du Président de la République française. Le président est élu pour cinq ans dans la limite de deux mandats consécutifs. Le Président de la République peut décréter et légiférer par ordonnances. Il peut dissoudre l'Assemblée nationale sur proposition du Premier ministre.
Le Président de la République désigne le Premier ministre, qui lui propose la composition du Gouvernement pour approbation. Le Gouvernement est responsable devant l'Assemblée nationale. En ce qui concerne l'administration territoriale, le système prévu par la Constitution a été mis en oeuvre par 4 lois adoptées en 1995 et 1996 1 ( * ) .
•
Le système judiciaire
La réforme du système judiciaire constitue une des priorités affichées du Gouvernement arménien, afin de l'adapter aux normes européennes 2 ( * ) .
Les objectifs principaux poursuivis sont:
• le rétablissement du statut et du rôle
du juge lors des procès civils et pénaux;
• le rééquilibrage des parties lors des
procès, par notamment l'accroissement des garanties de la défense
et l'affirmation du rôle de l'avocat
3
(
*
)
;
• le développement de la formation pratique et
théorique des professionnels du droit;
Deux organes importants prévus par la Constitution de 1995 fonctionnent déjà : la Cour Constitutionnelle et le Conseil de la Magistrature :
• La Cour Constitutionnelle est composée de 9
membres, dont 4 sont nommés par le Président de la
République, le reste l'étant par le Président de
l'Assemblée nationale. Les juges sont inamovibles et ne peuvent exercer
aucune fonction politique. La Cour Constitutionnelle gère son propre
budget. Elle peut être saisie par le Président de la
République, un tiers des députés, par le Premier ministre
ainsi que par les candidats à l'élection présidentielle en
cas de litiges lors des déroulements de celle-ci.
Les fonctions de la Cour Constitutionnelle sont de vérifier la conformité des lois à la Constitution, des décisions de l'Assemblée nationale et du Gouvernement, ainsi que celle des décrets et des ordonnances du Président de la République.
Á son sujet, le Conseil de l'Europe relève que "si la Cour Constitutionnelle constitue un des piliers sur lesquels l'état de droit qui se construit en Arménie doit pouvoir s'appuyer, nous craignons qu'elle n'ait pas encore acquis une confiance suffisante auprès de l'opinion publique".
• Le Conseil de la Magistrature est
présidé par le Président de la République
assisté par le ministre de la Justice et le Procureur
Général. Le Conseil de la Magistrature est le garant de
l'indépendance des organes judiciaires. Il est composé de 14
membres nommés par le Président de la République. Il
dresse les listes annuelles des juges et des procureurs en vue de leur
nomination par le Président de la République . Le pouvoir
exécutif participe aux procédures de notation, de nomination et
de révocation des magistrats. Il n'y a qu'en matière
disciplinaire que le Conseil de la Magistrature délibère hors de
la présence du Président de la République.
b) La crise politique et la démission de M. Ter-Petrossian
Dès l'origine, la légitimé du pouvoir a été contestée. Le référendum constitutionnel et les élections législatives de juillet 1995 ont été entachés de certaines irrégularités. Cette contestation s'est étendue à la nouvelle Constitution en ce qu'elle confère, selon l'opposition, des pouvoirs exorbitants au Président de la République.
Mais c'est la réélection de ce dernier, le 5 juillet 1996, qui a été le plus vigoureusement mise en cause. En effet, Levon Ter-Petrossian a annoncé sa victoire dès le lendemain du premier tour sans attendre la fin du dépouillement, ce qui a provoqué une immense manifestation dans la capitale, Erevan, accompagnée de violences et de nombreuses arrestations, en particulier, de députés de l'opposition.
En fait, le tournant décisif s'est amorcé dans la politique arménienne avec la nomination, en mars 1997, au poste de Premier ministre de Robert Kotcharian, Président de la République auto-proclamée du Haut-Karabagh.
Le conflit est apparu au grand jour lors de la réunion, les 7 et 8 janvier 1998, du Conseil de sécurité, à laquelle assistaient les plus hauts fonctionnaires arméniens du Karabagh. La révélation de ce litige a permis au mouvement des adversaires de Ter-Petrossian de prendre de l'ampleur.
Les tensions se sont encore accrues lorsque deux hauts fonctionnaires chargés de la sécurité et un député favorable au président ont été tués lors d'incidents ponctuels. Le maire d'Erevan, M. Vano Siradeghian, par ailleurs dirigeant du mouvement pan-national arménien favorable à Ter-Petrossian, a laissé entendre que le cabinet de M. Kotcharian pourrait avoir été l'instigateur des attentats. Pour sa part, M. Sarkissian a prétendu que le MPNA avait provoqué les incidents afin de justifier le renvoi de M. Kotcharian. Le 28 janvier 1998, M. Sarkissian a déclaré que M. Ter-Petrossian devait changer de politique au Karabagh.
Le litige a rapidement débouché sur une crise politique. Tous les grands partis d'opposition ont exigé la démission du président Ter-Petrossian, y compris le Parti communiste, la Fédération arménienne révolutionnaire interdite et l'Union nationale démocratique (Ajama) conduite par l'ancien Premier ministre Vazgen Manoukian, adversaire malheureux de Levon Ter-Petrossian lors des élections présidentielles de 1996.
Un nouveau conseil national, composé de plus de 500 intellectuels et personnalités éminentes, a appelé Levon Ter-Petrossian à se démettre de ses fonctions et demandé l'organisation d'élections présidentielles anticipées.
Certains des plus importants soutiens de M. Ter-Petrossian ont démissionné, à commencer par MM. Siradeghian, maire d'Erevan, Alexander Arzumanian, ministre des Affaires étrangères, et Bagrat Asatrian, directeur de la Banque centrale.
Le dirigeant du groupe Parlementaire « Yerkrapah », faction paramilitaire et parti politique le plus influent en Arménie, a fait savoir que ses troupes, jusque-là favorables à Ter-Petrossian, avaient reporté leur soutien sur M. Kotcharian.
40 des 96 députés du bloc républicain favorable à M. Ter-Petrossian ont alors rejoint les rangs des partisans de Kotcharian : sur les 190 députés au Parlement, M. Ter-Petrossian ne bénéficiait plus que de 56 voix en sa faveur.
La démission de Ter-Petrossian n'en a pas moins été soudaine. Il a déclaré qu'il préférait se démettre de ses fonctions plutôt que d'être renversé, le renvoi de M. Kotcharian risquant de rendre l'Arménie ingouvernable.
Les causes profondes du conflit qui ont conduit Levon Ter-Petrossian à mettre fin à son mandat, ont trait à la décision prise l'automne dernier de soutenir des propositions formulées par les médiateurs internationaux du groupe de Minsk en faveur d'un règlement du conflit au Nagorny Karabagh.
Lorsque Ter-Petrossian a nommé Robert Kotcharian , ancien "président" du Nagorny Karabagh, au poste de Premier ministre en mars 1997, il avait semblé adopter un profil haut sur la question afin de conforter sa position sur le plan intérieur. Or quelque mois après, M. Ter-Petrossian a donné plutôt l'impression qu'il était prêt à des concessions compte tenu de la menace que constituait pour le développement économique du pays et l'image de l'Arménie, l'impasse persistante de la situation au Nagorny Karabagh. Cette volte-face a conduit le président Ter-Petrossian à entrer en conflit avec
M. Kotcharian, qui bénéficiait du soutien d'une coalition considérable regroupant les ministres les plus importants.
Au-delà du conflit du Nagorny Karabagh, la faiblesse politique de M. Ter-Petrossian s'expliquait par plusieurs facteurs à long terne, sur lesquels s'est appuyé l'opposition à la personne même du président. L'ancien président n'a jamais recouvré sa légitimité politique après le scrutin de 1996 ; de plus, il n'est jamais parvenu à mettre un terme, aux rumeurs de corruption de certains membres de son Gouvernement. En outre, l'opposition pouvait également s'appuyer sur l'absence d'amélioration des conditions de vie de la population.
C'est dans ce contexte politique troublé et de frustration économique qu'est intervenue l'élection présidentielle de mars avril 1998.
c) L'élection présidentielle de mars avril 1988
À l'issue de deux tours de scrutin en mars 1998, la commission électorale a déclaré le Premier ministre Robert Kotcharian vainqueur des élections présidentielles avec près de 59 % des voix.
L'ancien dirigeant communiste, Karen Demirjian, a recueilli, pour sa part, 41 % des suffrages. Ses supporters ont prétendu que les partisans de Kotcharian s'étaient livrés à des manipulations électorales, mais les observateurs internationaux 1 ( * ) ont indiqué que le scrutin s'était déroulé dans des conditions globalement satisfaisantes.
Le lendemain de son investiture, le président Robert Kotcharian a désigné le jeune réformiste Armen Darbinian (33 ans), ex-ministre de l'Economie et des Finances, au poste de Premier ministre. Darbinian a constitué son Gouvernement et élaboré un programme économique qui doit être soumis à l'approbation du Parlement. Dans la mesure où elle affiche son intention de poursuivre la transition vers une économie de marché, la nouvelle équipe dirigeante peut compter sur le soutien des milieux d'affaires.
d) Le nouveau Gouvernement nommé par M. Kotcharian
Le 20 avril 1998, le président arménien a nommé par décret les membres du Gouvernement suivants :
Premier ministre Armen Darbinian
Ministre des Affaires étrangères Vardan Oskanian
Ministre de l'intérieur et de la sécurité nationale Serzh Sarkissian
Ministre des finances et de l'économie Edvard Sandoian
Ministre de la santé Gagik Stamboltsian
Ministre de la justice David Arutiunian
Ministre de l'industrie et du commerce Garnik Nanagulian
Ministre de l'environnement Sarkis Shakhazizian
Ministre de l'agriculture Vladimir Movsisian
Ministre de l'énergie Gagik Martirosian
Directeur de cabinet et ministre des Affaires urgentes Shagen Karamanoukian
Ministre de l'éducation et des sciences Levon Mkrtchian
Ministre de la défense Vazgen Sarkissian
Ministre de ta privatisation Pavel Kaltakhchian
Ministre de la sécurité sociale Gagik Yeganian
Ministre des statistiques Stepan Mnatskanian
Ministre de l'administration du territoire David Zadoian
Ministre de la réforme économique et structurelle Vabram Ovanesian
Ministre des transports Yervand Zakarian
Ministre des postes et des télécommunications Artak Vardanian
Ministre de la construction Feliks Piroumian
Ministre de la culture, de la jeunesse et des sports Armen Smbatian
Il faut noter le rôle très politique du nouveau ministre chargé de la réforme économique, qui vient en sus de celui chargé, sur un plan plus technique, des privatisations, afficher la volonté du nouveau Gouvernement de hâter la transition de l'Arménie vers une économie de marché.
* 1 Actuellement, il y a 10 régions (marc) subdivisées en communes (hamaink). La ville Erevan constitue à elle seule une région. Á la tête des régions se trouvent des préfets (marzpet) représentant l'exécutif et qui sont chargés de mettre en oeuvre au niveau local la politique du Gouvernement. Ils co-administrent les régions en association avec les organes locaux. L'activité des préfets est en principe, contrôlée par les organes représentatifs des assemblées locales mais ce pouvoir de contrôle est plus théorique que pratique.
Les préfets sont directement nommés et révoqués par le Gouvernement. Outre leurs fonctions classiques (maintien de la légalité et de l'ordre public), ils disposent de larges compétences en matières économiques et sociales. Ils réalisent notamment les programmes d'enseignements généraux, de santé publique, dirigent les activités sportives et culturelles, contrôlent les constructions et organisent les transports publics. Les ministères de l'Intérieur et des Finances ont chacun un représentant avec le rang de sous-préfet dans les régions.
* 2 D'après la Constitution, les tribunaux de droit commun sont les tribunaux de première instance, les Cours d'appel, la Cour de Cassation.
Ces juridictions n'existent pas encore en Arménie et leur mise sur pied est un des chantiers importants de la réforme judiciaire, réforme pour laquelle l'aide et l'expérience internationale sont sollicitées.
Aussi, dans ses dispositions transitoires, la Constitution a prévu que "les tribunaux régionaux et la Cour Suprême continuent à fonctionner dans le cadre de leur ancienne compétence jusqu'à l'adoption d'un nouveau système judiciaire".
Ce sont donc les anciennes structures héritées du système soviétique, qui sont actuellement en vigueur en Arménie, selon des critères de fonctionnement qui sont loin de correspondre aux standards européens.
Le Ministère public défend l'accusation et les intérêts de l'État. Il intervient à tous les stades de la procédure pénale, de l'initiative des poursuites au contrôle de l'application des peines, sans oublier l'enquête et l'instruction préalable. Il est le seul à pouvoir contester un jugement devant la Cour Suprême et à décider de la mise en détention, des mesures de perquisition, des fouilles et des écoutes téléphoniques.
Enfin, le Ministère public conclut les débats à l'audience pénale. Il a, à son sommet, le Procureur Général. La règle constitutionnelle qui stipule qu'en cas de vacances de la présidence de la république, le Premier ministre et le Procureur Général ne peuvent être libérés de leur fonction, montre bien le poids qu'occupe le Ministère public dans la hiérarchie des pouvoirs de l'État arménien.
* 3 La fonction et le rôle de l'avocat se voient consacrés par la Constitution qui reconnaît notamment "que toute personne a le droit de recevoir l'assistance d'un avocat dès le moment de son arrestation, de sa détention, ou de la présentation de l'accusation. Cependant, le projet de loi sur la profession d'avocat n'est pas encore adopté.
La profession est actuellement constituée en barreau. Celui-ci organise des concours deux fois par an chargés de recruter les membres de la profession, et s'occupe de la déontologie dans la profession. Les avocats se plaignent beaucoup de la minimisation de leur rôle dans les procédures judiciaires et des entraves à l'exercice de leur métier mises par l'administration : accès difficile aux dossiers, aux détenus etc.
* 1 Parmi lesquels deux membres du groupe sénatorial MM. François Trucy et Bernard Piras.