3.- La coalition gouvernementale à l'épreuve du pouvoir et sous le magistère moral du Président Vaclav Havel (1992-1996)
Comme l'opposition était faible, il était prévisible qu'au départ le débat politique se déplaçât au sein de la coalition et également au sein de l'exécutif, c'est-à-dire entre le Président de la République Vaclav Havel et le Premier ministre Vaclav Klaus.
Le premier différend concerna le Sénat que Vaclav Klaus tenta, en vain, de supprimer tandis que l'ODA demandait son élection immédiate. Il réussit seulement à retarder son élection, s'appuyant sur l'argument qu'il jugeait de bon sens et de nécessité qu'un pays en train de se doter d'une législation entièrement nouvelle ne pouvait s'offrir le luxe d'allonger le processus législatif. Il serait temps plus tard de revenir (grâce à la deuxième Chambre) sur les imperfections engendrées par l'urgence ; il fallait d'abord doter le pays d'un cadre législatif simple qui permit la remise en route de l'économie.
La restitution des biens confisqués fut le motif d'une deuxième dispute. Le principe est celui du retour aux anciens propriétaires de tous les biens confisqués à partir de février 1948 par le pouvoir communiste. L'ODA souhaitait appliquer strictement le principe tandis que Vaclav Klaus émettait encore des doutes sur la nécessité de rendre à l'Église ses biens (de même qu'à la communauté juive et à une partie de l'aristocratie qui ont été spoliées avant 1948). Le Premier ministre redoute que l'Église catholique, dont le rôle d'opposant fut exemplaire sous le communisme, ne prenne une importance trop grande dans le pays largement sécularisé, mais sensible au courage de la dissidence catholique. Il a choisi de s'appuyer sur l'Église protestante pourtant minoritaire.
Le troisième point de friction au sein de la coalition concerne la décentralisation ou régionalisation. Le pays se divisait en une dizaine de régions (Kraj) qui ont disparu, elles-mêmes divisées en départements (Okres) au nombre de 81 et divisés en 6197 communes (Obce). Les régions n'ont pas été remplacées. Il appartient au Gouvernement de décider du nombre de régions et de leurs compétences. Le Premier ministre, fidèle à son principe qui consiste à distinguer ce qui est propice à la transition immédiate et ce qui conviendrait au pays à long terme, considère qu'à l'heure présente, il faut le moins possible d'échelons intermédiaires entre l'État central et le niveau local. Il souhaite reporter à plus tard une décentralisation aussi limitée que possible. Le libéral fait place ici au partisan, fût-ce provisoirement, d'un État fort et centralisé.
Ces débats au sein de la coalition (et parfois entre la coalition et le Premier ministre) n'ont pas mis en péril la cohésion du Gouvernement jusqu'en 1996. Plus grave est l'incompréhension qui semble prévaloir dans les relations entre le Président de la République et le Premier ministre. En effet, Vaclav Havel continue d'exercer un magistère moral malgré le peu de pouvoirs que lui accorde la Constitution. Il s'adresse régulièrement au pays (chaque semaine à la télévision, il confie ses réflexions) et sa popularité ne s'est pas trop érodée. Or il est facile de percevoir dans ses propos la profonde déception qu'il éprouve devant les conséquences les plus fâcheuses du retour à la liberté et le mépris qu'il ressent pour l'obsession économique du Premier ministre et d'une large partie de ses concitoyens. Le philosophe n'a pas perdu l'habitude de replacer l'homme au centre du discours et de l'action politiques et régulièrement il désavoue moralement le Premier ministre.