Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 13 - 1er mars 1997

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RÉPUBLIQUE TCHÈQUE : « LE RETOUR EN EUROPE »

Compte-rendu d'une mission effectuée à Prague

les 3 et 4 février 1997

par Philippe MARINI,

Président du Groupe Sénatorial France-République Tchèque,

sénateur de l'Oise,

Maire de Compiègne,

accompagné de Fabrice HUGOT,

Administrateur,

Secrétaire exécutif du Groupe.

COMPOSITION DU BUREAU DU GROUPE SÉNATORIAL FRANCE-RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

PRÉSIDENT Philippe MARINI (Groupe du Rassemblement pour la République), s énateur de l'Oise.

PREMIER

VICE-PRÉSIDENT Marcel VIDAL (Groupe Socialiste), s énateur de l'Hérault.

VICE-PRÉSIDENTS Bernard BARBIER (Groupe de l'Union des Républicains et Indépendants), s énateur de la Côte-d'Or.

Patrice GÉLARD (Groupe du Rassemblement pour la République), sénateur de la Seine-Maritime.

Georges MOULY (Groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen), s énateur de la Corrèze.

Xavier de VILLEPIN (Groupe de l'Union Centriste), sénateur représentant les Français établis hors de France.

SECRÉTAIRES Nicolas ABOUT (Groupe de l'Union des Républicains et Indépendants), sénateur des Yvelines. Jean BESSON (Groupe Socialiste), s énateur de la Drôme.

Jacques DELONG (Groupe du Rassemblement pour la République), s énateur de la Haute-Marne.

André EGU (Groupe de l'Union Centriste), s énateur d'Ille-et-Vilaine.

Maurice LOMBARD (Groupe du Rassemblement pour la République), s énateur de la Côte-d'Or.

André MAMAN (sénateur ne figurant sur la liste d'aucun groupe). sénateur représentant les Français établis hors de France.

Philippe NACHBAR (Groupe de l'Union des Républicains et Indépendants), sénateur de Meurthe-et-Moselle.

Secrétaire exécutif Fabrice HUGOT, Administrateur.

REMERCIEMENTS

Le Groupe Sénatorial France-République Tchèque tient à remercier très vivement :

Monsieur Petr Pithart, Président du Sénat tchèque

Madame Jaroslava Moserova, vice-président du Sénat tchèque

Monsieur Jiri Pospisil, vice-président du groupe ODS au Sénat tchèque

Monsieur Frantisek Visek, président de la Commission des Affaires culturelles du Sénat tchèque

Monsieur Jaroslav Jurecka, président de la Commission des Affaires économiques du Sénat tchèque

Madame Libuse Benesova, président de la Commission de l'Aménagement du territoire, de l'Organisation territoriale et de l'Environnement du Sénat tchèque

Monsieur Ludek Zahradnicek, sénateur

Monsieur Ivan Kocarnik, ministre des Finances de la République tchèque

Monsieur Jiri Franc, secrétaire général de la Bourse de Prague

Monsieur Richard Salzmann, président-directeur général de la Komercni Banka, sénateur

L'Ambassade de la République tchèque à Paris

Le ministère des Affaires étrangères

Son Excellence Monsieur Benoit d'Aboville, Ambassadeur de France en République tchèque

Monsieur Bruno Rousselier, conseiller économique et commercial

Monsieur Pierre Lebovics, premier secrétaire

Monsieur Christian Martin (Ecotex)

Monsieur Jacques Bastien (Lyonnaise des Eaux)

Monsieur Jean-Baptiste Génin (Schneider)

Monsieur Gérard Hue (Ceska CNIM)

Monsieur Jacques Merlet (SGN)

Monsieur David Lafargue (Cabinet Gide Loyrette Nouel)

Monsieur Jean-Pierre Mouroux (Krebs/Chemoprojekt)

Monsieur Philippe Trichard (Total)

Monsieur Michaël Ballhausen (BNP/Dresdner Bank Praha)

Monsieur Claude Blanot (Société Générale Praha)

Madame Jitka Rybova (ministère du Commerce et de l'Industrie)

Monsieur Kamil Janacek (Komercni Banka)

Monsieur Jiri Kunert (Zivnostenska Banka)

Monsieur Heinrich Sittler (Crédit Lyonnais Bank Praha)

L'Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE)

Le Centre Français du Commerce Extérieur (CFCE)

INTRODUCTION

Le Groupe Sénatorial France-République Tchèque a eu pour interlocuteur depuis 1990 le Groupe homologue tchèque dont il avait suscité la création à la Chambre des Députés. En effet, le Sénat tchèque, prévu par la Constitution du 16 décembre 1992, n'a été élu, après de nombreuses hésitations, qu'à l'automne 1996. C'est après cette date que le Groupe a jugé nécessaire un premier contact avec les sénateurs tchèques nouvellement élus afin que le premier groupe interparlementaire du Sénat tchèque fût le Groupe tchéco-français, comme ce fut le cas à la Chambre des Députés.

C'était le but de la mission des 3 et 4 février 1997. Auparavant, une délégation du Groupe s'était rendue en République tchèque en 1993 et le Groupe avait reçu son homologue de la Chambre des Députés en 1994. Aucune autre mission officielle n'avait eu lieu ensuite, mais chaque fois que cela fut possible, le Président du Groupe s'est rendu à titre personnel à Prague pour maintenir les contacts nécessaires à de bonnes relations bilatérales et surtout pour défendre l'idée très controversée qu'un Sénat était souhaitable en République tchèque.

Il convient de rendre hommage à l'action persévérante menée à ce sujet par notre regretté collègue, Gérard Gaud, auquel le Groupe renouvelle toute sa reconnaissance.

Sans leur donner un caractère officiel qui n'aurait pas été d'à-propos au moment où nos amis Tchèques consacraient toute leur énergie à la transformation de leur pays plutôt qu'au protocole, ces visites courtes, ciblées et informelles ont porté des fruits dont nous profitons aujourd'hui. En effet, le Sénat français est apparu comme une institution particulièrement dynamique et comme un allié sûr dans la bataille de Bruxelles. De plus, le Sénat français a très tôt été considéré comme le meilleur modèle possible pour la Haute Chambre tchèque. La brochure de présentation du Sénat français traduite en tchèque et largement distribuée a rencontré un vif intérêt dans la classe politique tchèque.

De plus, l'auteur de ce rapport a accompagné à Prague, en janvier 1997, le ministre des Affaires étrangères, Monsieur Hervé de Charette, et il a participé, à cette occasion, à plusieurs entretiens avec les dirigeants tchèques et les représentants des milieux économiques.

Outre ce dossier de politique intérieure touchant l'organisation de l'État, le Groupe Sénatorial France-République Tchèque s'est intéressé à celui de l'intégration euro-atlantique de la République tchèque et il s'est fait l'avocat de la candidature tchèque dans les instances internationales et plus particulièrement dans l'OTAN et l'Union européenne.

Lors de cette mission, il a pu mesurer les impressionnants progrès accomplis par la République tchèque dans le domaine économique et politique. Il apparaît en effet que ce pays s'est résolument tourné vers l'Europe et qu'il l'a fait discrètement et naturellement parce qu'il s'agissait pour lui de renouer avec une ancienne tradition interrompue par le totalitarisme communiste. Pour la République tchèque, il s'est agi dès le départ d'un retour en Europe et cette mission a permis de se rendre compte sur place que le pays s'était donné, en moins de sept ans, tous les moyens d'une intégration euro-atlantique : des institutions démocratiques, une économie libérale et un commerce réorienté vers l'Ouest.

Le Groupe Sénatorial France-République Tchèque a souhaité établir maintenant le bilan de ces années extraordinaires afin de rappeler que la République tchèque est sans doute aujourd'hui, parmi tous les candidats à l'Union européenne et à l'OTAN, l'un des meilleurs. Á ce bilan, il a été ajouté un chapitre sur un aspect qui a toujours été une priorité d'étude et d'action pour le Groupe : la diffusion de la langue et de la culture françaises, persuadés que nous sommes que c'est par le retour à une vraie francophonie que la France retrouvera en République tchèque la place privilégiée qu'elle occupait avant 1948.

Au moment même où le Président de la République se rend en visite d'État à Prague, après une série de déplacements dans les capitales des anciennes démocraties populaires d'Europe Centrale et Orientale, il nous a semblé important de rappeler que, parmi tous ces pays, la République tchèque est au tout premier rang de ceux avec lesquels s'engageront dès l'an prochain les négociations en vue de l'élargissement de l'Union européenne.

CHAPITRE I - LES PAYS DE LA COURONNE DE BOHÊME, PÉRENNITÉ D'UN ROYAUME ET D'UNE RÉGION

A.- RÉALITÉS GÉOGRAPHIQUES ET TRADITIONS ÉCONOMIQUES

La République tchèque est un pays de 78.664 km2 enclavé en Europe Centrale entre l'Allemagne, la Pologne, la Slovaquie et l'Autriche et un coup d'oeil sur la carte de l'Europe permet de constater aussitôt que la République Tchèque est exactement au coeur de l'Europe et que Prague, sa capitale, est presqu'au coeur de la nouvelle République. C'est un peu ce que le nom nouveau de République tchèque fait oublier, car sous ce nom récent se cache une réalité ancienne dont l'unité historique est encore plus grande que l'unité géographique. En effet, ce nouvel État regroupe en fait les pays de la Couronne de Bohême et il retrouve les 2310 km de frontières d'une très ancienne région : la Bohême à l'Ouest et au Centre, la Moravie à l'Est et une partie de la Silésie dans le Nord-Est, réunies autrefois sous la seule couronne de Saint Wenceslas.

La Bohême a la forme d'un quadrilatère qui domine les pays voisins, mais dont l'intérieur a été défoncé par des mouvements tectoniques et par l'Elbe supérieur et ses affluents. Elle est bordée de hauteurs granitiques : les Krusne Hory (monts métallifères) au Nord-Ouest (1214 mètres) dont le versant allemand se nomme Erzgebirge, les Cesky Les (Forêts de Bohême) au Sud-Ouest qui se prolongent par la célèbre Sumava (1370 mètres), « noire et vaste forêt de sapins qui sert de portique à la Bohême » selon Châteaubriand, les rudes collines de Moravie (935 mètres) au Sud-Est et les Krkonose (Monts des Géants - point culminant : 1.602 mètres) au Nord-Est.

La cuvette de Bohême se partage elle-même en deux entités : d'une part, les plateaux pauvres du Sud et de l'autre, les plaines et les bassins du Nord et du Centre, plus riches. Au Sud, l'altitude est plus élevée (500 mètres) et le sol hercynien affleure, ce qui explique les cultures de seigle et d'orge. Les bassins sont peu enfoncés : le bassin de Cesky Budejovice parcouru par la Vltava (que nous connaissons sous le nom allemand de Moldau et qui coule à Prague) où se trouvent les mines de graphite de Cesky Krumlov, et le bassin de Trebon. Les terres y sont fertiles et humides et les étangs, nombreux, permettent la pisciculture.

Dans la Bohême centrale, entre la Sumava et Prague, s'étirent les crêtes appalachiennes des Monts Brdy dont la vocation est forestière et militaire. Tout près sont les mines d'uranium de Pribram. Au Nord on trouve le bassin de Plzen (ou Pilsen, ville célèbre pour sa bière et son glorieux passé industriel).

Enfin, au coeur de la Bohême, dans un très vieux carrefour de routes, se trouve Prague. Sa région industrielle comprend le bassin houiller de Kladno. Á l'Est de Prague, la ville principale est Hradec Kralove (industries mécaniques) et plus à l'Est encore Trutnov (gisements de houille, industries mécaniques).

La grande région agricole occupe le centre, c'est-à-dire la plaine de l'Elbe. Les Monts métallifères, qui firent la richesse de la Bohême au temps de Charles IV et de son fameux « groschen d'argent », recèlent également de l'uranium et, sur leur bordure, de la lignite (Most, Sokolov). C'est une région industrielle (centrales thermiques, métallurgie, cristalleries, verreries). Dans cette même région, au Nord-Ouest, le pays est riche en eaux thermales et les noms de Karlovy Vary et Marianske Lazne (respectivement Karlsbad et Marienbad en allemand) sont célèbres bien au-delà des frontières tchèques.

La Moravie est prise entre la Bohême et la Slovaquie. C'est un couloir axé au Nord sur la vallée de l'Oder et au Sud sur celle de la Morava, vallées séparées par la Porte de Moravie. Il s'agit d'un fossé d'effondrement rempli de sédiments. La Moravie se présente comme une suite de bassins. Á l'Ouest se trouvent les bassins de Brno et d'Olomouc où dominent des cultures de betteraves à sucre et de plantes fourragères liées à un élevage prospère. On cultive également le blé, le houblon et les arbres fruitiers. Au centre, le bassin d'Uherske Hradiste se concentre sur la culture du blé, comme le fait, au Nord, la vallée supérieure de l'Oder. L'industrie s'est développée dans les bassins sur les gisements houillers d'Ostrava (sidérurgie, construction de machines et d'automobiles, chimie, cellulose, papier) et à Brno (textile, mécanique, électronique, bois). Le Sud possède des gisements de pétrole, de gaz et de lignite. Non loin de Brno, sur un immense plateau, se trouve le champ de bataille d'Austerlitz, connu en tchèque sous le nom de Slavkov.

Pour récapituler et avoir une vue d'ensemble de l'aspect général du pays, il convient de garder en mémoire qu'en République tchèque, on dénombre 26.290 km2 de forêts, soit 33 % de la superficie totale et 42.800 km2 de terres agricoles, soit 54 % de cette même superficie. Les principaux cours d'eau déjà cités qui naissent tous en territoire tchèque sont l'Elbe (Labe en tchèque) long de 364 km, la Moldau qui se jette dans l'Elbe au Nord de Prague et qui a inspiré le célèbre poème synphonique de Smetana, la Morava long de 358 km qui rejoint le Danube en Autriche et l'Oder (Odra en tchèque) qui s'écoule sur 125 km. Enfin, les principales villes sont Prague (1.217.000 habitants), Brno (390.000), Ostrava (326.000), Plzen (172.000), Olomouc (105.000), Liberec (101.000) et Hradec Kralove (101.000).

Nous sommes dans une région chargée d'histoire qui aspire depuis des siècles à retrouver son indépendance. Même si elle partage beaucoup de traits géographiques et architecturaux avec la Bavière, l'Autriche, la Silésie polonaise et la Slovaquie, il y règne une atmosphère différente où la germanité se tempère d'un fond slave et où la sentimentalité slave n'exclut pas dynamisme et efficacité.

B.- GÉOGRAPHIE HUMAINE

Le dernier recensement en République tchèque date de 1991 : elle comptait, à cette date, 10.302.215 habitants (48,55 % d'hommes et 51,45 % de femmes).

La répartition de la population par catégorie d'âge révèle que 28,8 % des citoyens tchèques ont moins de 19 ans et 17,9 % plus de 65 % .

L'accroissement démographique est d'environ 0,3 %o par an. Le taux de natalité s'établit à 11,7 %o et le taux de mortalité à 11,4 %o. L'espérance de vie est de 68,9 ans pour les hommes et 76,6 ans pour les femmes.

Le taux de mortalité infantile est en 1994 de 8 %o et le taux de fécondité de 1,44 par femme.

On prévoit que la population tchèque pourrait atteindre 11 millions en 2010 puis elle commencerait à se tasser. La densité démographique est de 131 habitants au km2. Plus d'un tiers de la population (34,6 %) vit concentré dans les 22 villes de plus de 50.000 habitants.

La République tchèque a l'avantage de posséder une population assez homogène et seule la minorité tzigane venue de Slovaquie et de Roumanie soulève de vrais problèmes d'intégration.

Nombre

En %

de la population totale

Tchèques

8.363.768

81,2

Moraves

1.362.313

13,2

Slovaques

314.877

3,1

Polonais

59.383

0.6

Allemands

48.556

0,5

Silésiens

44.446

0,4

Tziganes

32.903

0,3

Autres

65.966

0,7

TOTAL

10.363.768

100,0

Source : Recensement du 3 mars 1991.

Population - Répartition par tranche d'âge (en %)

1980

1985

1991

Moins de 14 ans

24,3

24,4

23,1

de 15 à 39 ans

37,4

37,4

37,0

de 40 à 59 ans

22,6

22,2

23,3

Plus de 60 ans

15,7

16,0

16,6

Source : Office fédéral de statistique - Recensement de 1991

Répartition des actifs par secteur d'activité (en %)

1986

1989

Secteur primaire

14,0

11,5

Secteur secondaire

47,9

46,7

Secteur tertiaire

38,1

41,8

Source : Ministère tchèque de l'Economie

La population active représente 5,2 millions de personnes, soit 50,1 % de la population globale.

Lors du recensement, la population s'est déclarée non croyante à raison de 39,9 % comme l'indique le tableau suivant :

Religion

Nombre

En %

de la population

totale

Sans

4.112.864

39,9

Catholiques Romains

4.021.385

39,1

Catholiques Grecs

7.030

0,06

Orthodoxes

19.354

0,18

Hussites

178.035

1,72

Eglises protestantes et évangéliques

255.012

2,47

Autres

42.917

0,41

Sans possibilité de déterminer

1.665.617

16,16

TOTAL

10.302.215

100,0

Source : Recensement du 3 mars 1991.

C.- RENOUER LA CHAÎNE DU TEMPS

Le Préambule de la Constitution de la nouvelle République tchèque commence ainsi :

« Nous, citoyens de la République tchèque en Bohême, Moravie et Silésie, au moment de la restauration de l'État tchèque indépendant, fidèles à toutes les bonnes traditions de l'ancien État des pays de la Couronne de Bohême... »

Le ton est aussitôt donné d'un retour aux traditions historiques et du retour en Europe d'un pays qui y fut jusqu'en 1948.

La Bohême, d'abord duché puis royaume électif fit très vite partie du Saint-Empire romain germanique et devint très tôt l'un de ses membres les plus puissants. Au XIIème siècle, Premysl Otakar II mit même pour la première fois sous son sceptre les provinces qui allaient composer, quelques siècles plus tard, la partie autrichienne de la double monarchie. Mais la bataille de Marchfeld en 1278 près de Vienne mit fin à ce début d'hégémonie bohémienne en même temps qu'elle ouvrait le chemin d'une carrière glorieuse à une petite famille d'origine suisse qui n'aura de cesse d'obtenir la dignité impériale : les Habsbourg.

Ils attendront pourtant encore plusieurs siècles pour étendre leur puissance jusqu'au royaume de Bohême. Au XIVème siècle, la couronne impériale échut aux Luxembourg en la personne de Charles IV de Bohême qui se révéla un des plus brillants monarques de son temps. Empereur du Saint-Empire, il augmenta la puissance de l'Église. Roi de Bohême, il éleva sa Bohême natale en dotant Prague d'une université en 1348, en fondant la « nouvelle ville de Prague » et en faisant construire au-dessus de la Moldau ce pont de pierre qui, comme l'Université, porte toujours son nom. Il s'entoura d'une cour brillante qui fit alors de Prague l'un des plus beaux témoignages de la civilisation européenne.

L'émergence de la culture post-médiévale, le brassage d'idées nouvelles, l'opulence de cette civilisation atteignant son apogée, la richesse de l'Église et quelques malheureux excès contenaient en germe les ferments d'une révolte qui explosa sous le règne du fils de Charles IV, Wenceslas. La révolte éclata quand Jean Hus, prédicateur apôtre de l'égalité chrétienne, fut brûlé pour hérésie par l'Église.

Le Bohême entra en rébellion, devint une république de fait, et, pendant quinze ans (1419-1434) tint tête aux armées impériales. Chez les Hussites, qui étaient d'abord des réformateurs, naquît alors un sentiment patriotique encore considéré aujourd'hui comme le point de départ de la conscience nationale tchèque.

Les Hussites furent défaits, mais les différents souverains qui se succédèrent sur le trône de Bohême jusqu'en 1620, eurent à composer avec le sentiment à la fois national et religieux qu'ils incarnaient. C'est pourquoi au XVème et au XVIème siècles, la Bohême pratique tant bien que mal une tolérance religieuse qui fait figure d'exception dans l'Europe des guerres de religion.

Le dernier roi autochtone, Georges de Podebrady, sera d'ailleurs un Hussite de coeur. Ses successeurs, issus de la dynastie polonaise des Jagellons, respecteront les particularités religieuses de leurs sujets comme le feront à leur tour les premiers Habsbourg, montés sur le trône de Bohême en 1526 non pas à la force des armes, mais par une manoeuvre politicienne de l'aristocratie tchèque à une époque où la monarchie est encore élective.

Quand Rodolphe II de Habsbourg monte sur le trône, il préfère Prague à Vienne et il en fait la capitale de l'Empire. Affluent alors vers la « Ville dorée » savants, astronomes, architectes, peintres et sculpteurs, mais aussi saltimbanques, alchimistes, astrologues, charlatans et mystificateurs en tous genres qui donneront à la ville ce côté mystérieux et parfois maléfique qui lui est resté. Prague redevient la ville brillante qu'elle était sous Charles IV et connaît son deuxième apogée. Cette splendeur retrouvée cache mal pourtant la révolte qui menace.

L'aristocratie protestante, jalouse de ses privilèges et forte de son mépris à l'égard de ses compatriotes catholiques, accepte mal qu'ils accèdent aux charges importantes du royaume. Bien qu'en 1609, Rodolphe II ait été contraint de signer la lettre de majesté instituant la tolérance religieuse, des différences d'interprétation conduisent à exacerber les antagonismes et déboucheront sur la célèbre défenestration de Prague en 1618.

L'Empereur Mathias, successeur de Rodolphe II, durcit sa politique procatholique. L'aristocratie protestante se cabre et quelques radicaux jettent par la fenêtre du château deux gouverneurs impériaux : les tchèques catholiques Slavata et Martinic. C'est le début de la guerre de Trente Ans (1618-1648).

Les insurgés bohémiens sont écrasés en 1620 à la bataille de la Montagne Blanche. Vingt-sept seigneurs considérés comme les meneurs sont décapités ; les familles protestantes s'exilent, leurs biens sont confisqués, leur religion interdite.

C'est le début de ce que les historiens nationalistes tchèques appellent avec excès la « période des ténèbres ». Certes le pays est recatholicisé, la langue allemande l'emporte sur la langue tchèque. Pourtant les historiens oublient que la nation est toujours là et que, sous la conduite d'un clergé avisé, elle se ressaisit rapidement et élabore une nouvelle forme de piété baroque et tortueuse qui n'est qu'à elle, comme nous le reconnaissons et comme nous le voyons aujourd'hui dans les églises, les couvents et les châteaux, si nombreux en Bohême.

Certes la Bohême et la Moravie deviennent des provinces « lointaines » de l'Empire, havres de pays rustiques et à l'abri du temps pour les grandes familles impériales, mais cet éloignement administratif et sentimental a ses avantages puisqu'il protège ces pays de l'agitation viennoise, les laissant dans une somnolence qui ne nuit pas au sentiment national ni aux particularismes.

L'âme tchèque d'ailleurs renaît quasi-intacte au début du XIXème siècle. La suppression du servage provoque l'afflux vers les villes plus cosmopolites de nombreux paysans purement tchèques.

Les villes se « retchéquisent » et, en 1848, on assiste à l'émergence d'une certaine élite tchèque venue de la campagne mais désormais instruite et fière d'être tchèque. C'est en filigrane l'histoire du premier grand roman en langue tchèque « Grand-mère » de Bojena Nemcova (1855).

Cette nouvelle élite est prête à affronter Vienne : elle le fait d'abord pacifiquement en s'y installant (comme dans « Grand-mère »). Elle le fera politiquement en 1848 pour réclamer un statut pour la nation tchèque.

La tentative n'aboutit pas, mais elle ouvrit l'ère du réveil nationaliste qui allait déboucher sur l'indépendance. Au cours d'une lutte constante émaillée d'escarmouches administratives très mesquines, le nationalisme tchèque gagne progressivement du terrain sur le pouvoir de Vienne plus souple et plus tolérant qu'on ne l'a dit. La bourgeoisie tchèque, consciente de sa puissance, souhaite l'égalité des droits des différents peuples qui composent l'Empire austro-hongrois. Cette époque est celle d'un remarquable développement économique, dont l'urbanisme de Prague porte toujours témoignage. La France crée alors un Consulat en Bohême, dont le titulaire sera quelques années plus tard Paul Claudel.

Á la faveur du premier conflit mondial, sous l'influence du philosophe Mazaryk et celle plus brutale de Clemenceau, les Tchèques eurent plus qu'ils ne souhaitaient en voyant se concrétiser l'idée d'un État indépendant le 28 octobre 1918, date de création de la Tchécoslovaquie, entité hybride qui réunissait Tchèques et Slovaques pour la première fois dans l'Histoire depuis mille ans.

Mais l'ironie de l'Histoire voulut que cette nouvelle démocratie parlementaire héritât de l'Empire défunt le problème des nationalités. En effet, à l'intérieur de ses frontières se trouvaient de nombreuses minorités dont la minorité allemande, ces Allemands de l'Empire (ou comme ils se définissaient eux-mêmes à l'époque de l'écrivain tchèque de langue allemande, Urzidil 1 ( * ) : « Allemands de Bohême ») : trois millions de citoyens de langue allemande qui n'habitaient pas tous les Sudètes et qui vivaient en Bohême depuis le XIIIème siècle. Fallait-il procéder à de nouvelles partitions ou, au contraire, pratiquer l'imparfaite tolérance austro-hongroise ? La deuxième solution l'emporta, mais la détermination nazie et quelques maladresses tchèques habilement exploitées par Hitler devaient conduire à la malheureuse affaire des Sudètes et au ralliement au Reich de la grande majorité des tchèques d'origine allemande.

Ce fut « Les Sudètes ou la guerre ». La Tchécoslovaquie voulut résister, liée qu'elle était à la France par un traité d'assistance mutuelle en cas d'agression, mais Daladier et Chamberlain voulaient sauver la paix et, à Munich, ils abandonnèrent les Sudètes à Hitler, obtenant ainsi non pas la paix mais un simple sursis. Un an plus tard, la Tchécoslovaquie disparaissait de la carte.

Les Accords de Munich devaient laisser dans la mémoire collective tchèque une blessure telle que les Tchèques, cédant à un immense découragement, perdirent pour un demi-siècle l'énergie qu'il faut pour se défendre. Cela explique en partie la facilité avec laquelle la Tchécoslovaque se livra à l'U.R.S.S., trois ans à peine après avoir été libérée essentiellement par les Américains.

Le coup de Prague en 1948 mit les communistes au pouvoir sans que la bourgeoisie éclairée réagît. Il est vrai que la répression allemande l'avait décapitée, en particulier après l'attentat perpétré par les résistants tchèques, en mai 1942, contre le proconsul Heydrich. Les élections furent truquées, la frontière bouclée, la propriété collectivisée, les opposants emprisonnés. La Tchécoslovaquie s'enfonça dans le silence de l'oppression stalinienne, gagnant par sa docilité dogmatique et ses bons résultats économiques le surnom de « meilleur élève de Moscou ».

Cependant, le Parti communiste tchèque secréta sa propre opposition et Dubcek vint. Il tenta d'humaniser le stalinisme, entreprise désespérée qui fut écrasée par les chars soviétiques en août 1968. Devant l'affreux silence de l'Europe libre, Jan Palach rejoignait cinq siècles plus tard Jan Hus dans le feu. Ce fut la normalisation et ce pays si profondément européen fut contraint de se tourner exclusivement vers l'Est.

En 1989, l'agitation en Allemagne de l'Est puis la chute du mur de Berlin sonnèrent l'heure de la libération. On appelle « Révolution de velours » ces quelques jours de manifestations pacifiques qui obligèrent le vieux pouvoir communiste à se retirer au profit du Forum civique animé par le dissident philosophe et dramaturge Vaclav Havel. L'Histoire reprenait son cours, la liberté l'emportait et, comme l'avait prédit Jan Hus, la vérité triomphait du mensonge. Ce fut en réalité un effondrement extrêmement rapide, surprenant pour ses propres témoins...

CHAPITRE II - LES INSTITUTIONS TCHÈQUES : RENAISSANCE D'UN ÉTAT

A.- DE LA RÉVOLUTION DE VELOURS AU DIVORCE DE VELOURS

1.- La fin du communisme et le retour dans l'Histoire

Quand le mur de Berlin s'écroule, en novembre 1989, une gigantesque manifestation estudiantine est organisée à Prague contre le Gouvernement communiste. Celui-ci capitule aussitôt sans résister. Fin 1989, le célèbre dissident Vaclav Havel devient Président et les premières élections libres ont lieu en juin 1990 : confirmant la chute du communisme : l'ancien parti unique ne réunissait plus que 13 % des voix.

Le scrutin de juin 1990 voit le triomphe d'un mouvement de masse, le Forum civique de Vaclav Havel (46 % des voix). Le succès du Forum civique repose cependant sur l'ambiguïté de son image non politicienne, non partisane, l'image d'un parti anti-parti à un moment où la méfiance à l'égard des partis est naturellement encore très grande.

Alors que s'amorce la libéralisation de l'économie, mais sans attendre la mise en place de nouvelles institutions, Vaclav Havel inaugure une nouvelle politique étrangère sous le signe du « retour en Europe » manifestant ainsi clairement sa volonté de mettre un terme à la stérile marginalisation de la Tchécoslovaquie sur la scène internationale depuis le Printemps de Prague en 1968.

Mais un an plus tard, en 1991, l'unanimité politique s'est envolée. Le Forum civique a éclaté entre un mouvement décentralisé, aux contours politiques flous (le Mouvement civique : l'OH de Jan Dienstbier, libéral, démocrate et gradualiste), et un parti structuré, bien ancré à droite, libéral, partisan d'une thérapie de choc, moins soucieux du coût social (le Parti démocratique civique, ODS, de Vaclav Klaus). D'autre part, les exigences slovaques ont conduit à bloquer le jeu constitutionnel et il est impossible de se mettre d'accord sur la future constitution (fédérale ou confédérale).

En revanche, la situation économique en 1991 est telle que la Tchécoslovaquie, fidèle à sa tradition, fait figure de bon élève de l'Est. La petite privatisation (commerces et services) a commencé et la grande privatisation par coupons (entreprises industrielles) est en préparation.

Mais l'Assemblée constituante élue en 1990 avait deux ans pour rédiger une constitution : elle n'y est pas parvenue. En juin 1992, de nouvelles élections ont lieu qui traduisent l'important changement du paysage politique durant ces deux années. Les deux vainqueurs des élections sont du côté tchèque, le Parti démocratique civique (ODS) de Vaclav Klaus et du côté slovaque, le Mouvement pour la Slovaquie démocratique (HZDS) de Vladimir Meciar.

C'est autour de ces formations que se constituent les Gouvernements tchèque et slovaque, ceux également qui mèneront les négociations pour la division du pays. En effet, Meciar s'est fait élire en prônant la partition. Vaclav Klaus prend son homologue au mot et propose les modalités d'une séparation qui sera votée par le Parlement fédéral le 25 novembre 1992. Ce divorce amiable et sans passion prit le nom de « divorce de velours ».

Le 1er janvier 1993 était créé, ou plutôt recréé, un État tchèque sans nom autre que celui de « République tchèque ». Mais la nouvelle Constitution du 16 décembre 1992 parlera des pays de la Couronne tchèque et les armoiries du nouvel État reprendront les blasons historiques de la Bohême (lion blanc à deux queues sur fond rouge) de la Moravie (aigle losange blanc-rouge sur fond bleu) et de la Silésie (aigle noir sur fond jaune). L'élection de Vaclav Havel le 26 janvier 1993 à la Présidence de la République donne une apparence de continuité à cette rupture profonde.

2.- La Constitution du 16 décembre 1992

La Constitution tchèque pose les fondements d'un régime parlementaire bicaméral. Le pouvoir législatif appartient en effet au Parlement, lequel est formé par la Chambre des Députés et le Sénat. La Chambre des Députés est composée de deux cents députés élus pour une durée de quatre ans, tandis que le Sénat est composé de quatre-vingt un sénateurs élus pour six ans et renouvelable par tiers tous les deux ans.

Chaque Chambre a son propre mode d'élection. La Chambre des Députés est élue au suffrage universel égal direct et secret par un scrutin de liste à la représentation proportionnelle. Le Sénat, quant à lui, est élu au suffrage universel légal direct et secret, mais au scrutin majoritaire à deux tours (sur le modèle adopté en France pour l'Assemblée nationale).

L'initiative des lois est partagée entre l'exécutif et le législatif, mais les Chambres restent maîtresses de l'ordre du jour. La loi doit être votée dans les mêmes termes par les deux Chambres, mais le Sénat a trente jours pour statuer sur le texte adopté par la Chambre des Députés et s'il ne se prononce pas dans ce délai, il est présumé avoir voté le texte tel quel.

Il y a quatre cas de figure :

1.- Le Sénat adopte le texte conforme

2.- Le Sénat rejette le texte en bloc

3.- Le Sénat amende le texte

4.- Le Sénat décide de ne pas délibérer (question préalable « positive ») parce que le texte lui semble mineur, ou faute de temps et alors le texte est considéré comme adopté.

Si le Sénat a rejeté ou amendé son texte, la Chambre doit le voter à la majorité absolue des députés pour le rétablir. A ce stade, aucun amendement n'est recevable, mais la Chambre peut donc avoir le dernier mot.

Le Président de la République est élu, comme sous la IIIème République en France, par le Parlement réuni en séance commune. Son mandat est de cinq ans. Il nomme le Gouvernement et il peut dissoudre la Chambre devant laquelle le Gouvernement est responsable. Il peut demander une deuxième lecture d'une loi déjà votée.

Le Gouvernement prend ses décisions à la majorité absolue de ses membres, ce qui, dans le cas d'une coalition, ne manque pas de rendre la tâche du Premier ministre difficile (d'ailleurs la traduction par « Président du Conseil » serait plus appropriée que « Premier ministre » mais Vaclav Klaus a su donner du lustre à sa fonction).

B.- LE POUVOIR EXÉCUTIF ET LES FORCES POLITIQUES EN PRÉSENCE DE 1993 À 1997

1.- La majorité du Premier ministre

Fort des résultats des élections législatives de 1992, le Premier ministre Vaclav Klaus s'appuie sur une solide majorité faite d'une coalition gouvernementale qui n'a pas peur de s'ancrer à droite.


• Le Parti démocratique civique : ODS

Le Parti démocratique civique (ODS) de Vaclav Klaus, fondé en 1991, se réclame du libéralisme économique de l'école de Chicago et il privilégie le marché, les privatisations, la libre entreprise (ce qui ne l'a pas empêché de maintenir les équilibres sociaux, car au fond il a appliqué son programme avec beaucoup de pragmatisme). Ce parti compte environ 22.000 militants et il recrute dans la nouvelle bourgeoisie et chez les bénéficiaires du capitalisme populaire mis en place par les privatisations. Ses membres sont de jeunes diplômés qui ont su profiter de la transition, des cadres et des petits patrons entreprenants, tous convaincus que rien ne résiste au courage personnel ni à l'énergie que l'on met dans une entreprise. Il a également su attirer bon nombre de cadres techniques et de gestion de l'ancien système.


• L'Alliance démocratique civique : ODA

L'Alliance démocratique civique (ODA), deuxième parti de la coalition se veut aussi un parti libéral conservateur, mais le seul nom d'alliance renseigne aussitôt sur la souplesse et l'indépendance de ses membres. C'est un parti à la fois plus intellectuel, plus juriste et plus nationaliste que son allié (chez qui l'économie prime souvent toute autre considération). Ainsi l'ODA fut un partisan plus farouche des restitutions, de la décommunisation de la fonction publique (les célèbres « lustrations ») et de la formation d'un État tchèque. Ce parti, fondé en 1989, est dirigé par le dissident Jan Kalvoda; mais le jeune ministre de l'Industrie et du Commerce, le très populaire Dlouhy devrait lui succéder. L'ODA compte peu de membres (2.500) et il est le bastion des intellectuels, jeunes, diplômés et libéraux qui jugent l'idéologie de l'ODS trop simpliste.


• Le Parti chrétien-démocrate : KDS, l'union démocrate-chrétienne et le Parti populaire tchèque : KDS-CSL

Les chrétiens-démocrates, l'Union démocrate-chrétienne et le Parti populaire tchèque (anciennement Parti du peuple tchécoslovaque) se partagent la mouvance démocrate-chrétienne, sensibilité en perte de vitesse. Ils sont ensemble les héritiers du Parti populaire tchécoslovaque, parti chrétien fondé sous la 1ère République tchécoslovaque et autorisé sous le régime communiste avec lequel il a collaboré. Comme ses dirigeants ont été sévèrement réprimés ensuite par les communistes, le parti a été réhabilité après 1989, mais ses héritiers ne se sont pas entièrement lavés du soupçon d'opportunisme. Ses alliés dans la coalité gouvernementale rappellent volontiers que les chrétiens-démocrates ont été de tous les Gouvernements depuis la 1ère République et ils craignent qu'il ne rejoigne un jour l'opposition social-démocrate. C'est un parti sensible aux problèmes sociaux et défenseur de la famille. Il prône la restitution complète des biens de l'Église confisqués sous le communisme. Il occupe le centre gauche et compte 80.000 membres plutôt âgés habitant de petites villes ou la campagne.

2.- L'opposition

La coalition fait face à une double opposition : sur sa droite, le Parti républicain et sur sa gauche le Parti social-démocrate et le Parti communiste.


• L'Assemblée pour la République - Parti républicain tchécoslovaque : SPR - RSC

Il s'agit d'un parti d'extrême droite, fondé en 1989, qui reste marginal. Son chef, Miroslav Sladek, reprend les thèmes nationalistes et populistes qui touchent la jeunesse ouvrière. Il stigmatise la mollesse du Gouvernement, monte en épingle les affaires de corruption qui éclatent, rappelle régulièrement l'aggravation des problèmes posés par les Tziganes et exagère le danger des revendications allemandes.


• Le Parti social-démocrate tchèque : CSSD

Fondé en 1878, interdit sous le communisme et reconstitué à la fin de 1989 sous la houlette d'un homme revenu de quarante ans d'exil à New-York (Jiri Horak), ce parti ne se définissait au départ que par un virulent rejet du communisme et un soutien inconditionnel à Vaclav Havel. Mais depuis 1993, la direction du parti a été reprise par un homme dynamique quoique controversé, Milos Zeman, économiste de formation et issu du même institut que le Premier ministre Vaclav Klaus. Son opposition au libéralisme du Gouvernement ne suffit pas à masquer des critiques ad hominem toutes adressées au Premier ministre jugé « trop autoritaire ». Cette stratégie est contestée à l'intérieur du parti par un courant modéré et novateur très habile, représenté par le numéro deux Petra Buzkova qui juge déplacé de critiquer le Gouvernement là où il réussit (économie) quand il faudrait l'attaquer sur ses faiblesses (domaine social, environnement).

Ce parti, qui compte 13.000 membres, rassemble une masse hétéroclite de sympathisants, pour la plupart mécontents de la transition ou laissés pour compte et très souvent mal placés pour la juger. Ils se partagent entre un courant de gauche hostile au Gouvernement et une aile modérée ouverte au compromis. Il compte de nombreux anciens communistes fraîchement convertis.


• Le Parti communiste de Bohême et de Moravie (KSCM)

Á la différence de ses voisins et homologues polonais, hongrois ou slovaque, le Parti communiste tchèque n'a pas jugé bon de changer son nom. Loin de tout repentir, il se veut le successeur de l'ancien parti totalitaire qui a régné de 1948 à 1989 et le seul détenteur de la vraie orthodoxie dans toute sa rigidité stalinienne. Il compte 160.000 membres et il recrute chez les retraités, les anciens apparatchiks, cadres de l'armée et de la police et chez les personnes dont le niveau d'éducation est faible. Il dispose de moyens financiers qui lui permettent de se maintenir artificiellement.

3.- La coalition gouvernementale à l'épreuve du pouvoir et sous le magistère moral du Président Vaclav Havel (1992-1996)

Comme l'opposition était faible, il était prévisible qu'au départ le débat politique se déplaçât au sein de la coalition et également au sein de l'exécutif, c'est-à-dire entre le Président de la République Vaclav Havel et le Premier ministre Vaclav Klaus.

Le premier différend concerna le Sénat que Vaclav Klaus tenta, en vain, de supprimer tandis que l'ODA demandait son élection immédiate. Il réussit seulement à retarder son élection, s'appuyant sur l'argument qu'il jugeait de bon sens et de nécessité qu'un pays en train de se doter d'une législation entièrement nouvelle ne pouvait s'offrir le luxe d'allonger le processus législatif. Il serait temps plus tard de revenir (grâce à la deuxième Chambre) sur les imperfections engendrées par l'urgence ; il fallait d'abord doter le pays d'un cadre législatif simple qui permit la remise en route de l'économie.

La restitution des biens confisqués fut le motif d'une deuxième dispute. Le principe est celui du retour aux anciens propriétaires de tous les biens confisqués à partir de février 1948 par le pouvoir communiste. L'ODA souhaitait appliquer strictement le principe tandis que Vaclav Klaus émettait encore des doutes sur la nécessité de rendre à l'Église ses biens (de même qu'à la communauté juive et à une partie de l'aristocratie qui ont été spoliées avant 1948). Le Premier ministre redoute que l'Église catholique, dont le rôle d'opposant fut exemplaire sous le communisme, ne prenne une importance trop grande dans le pays largement sécularisé, mais sensible au courage de la dissidence catholique. Il a choisi de s'appuyer sur l'Église protestante pourtant minoritaire.

Le troisième point de friction au sein de la coalition concerne la décentralisation ou régionalisation. Le pays se divisait en une dizaine de régions (Kraj) qui ont disparu, elles-mêmes divisées en départements (Okres) au nombre de 81 et divisés en 6197 communes (Obce). Les régions n'ont pas été remplacées. Il appartient au Gouvernement de décider du nombre de régions et de leurs compétences. Le Premier ministre, fidèle à son principe qui consiste à distinguer ce qui est propice à la transition immédiate et ce qui conviendrait au pays à long terme, considère qu'à l'heure présente, il faut le moins possible d'échelons intermédiaires entre l'État central et le niveau local. Il souhaite reporter à plus tard une décentralisation aussi limitée que possible. Le libéral fait place ici au partisan, fût-ce provisoirement, d'un État fort et centralisé.

Ces débats au sein de la coalition (et parfois entre la coalition et le Premier ministre) n'ont pas mis en péril la cohésion du Gouvernement jusqu'en 1996. Plus grave est l'incompréhension qui semble prévaloir dans les relations entre le Président de la République et le Premier ministre. En effet, Vaclav Havel continue d'exercer un magistère moral malgré le peu de pouvoirs que lui accorde la Constitution. Il s'adresse régulièrement au pays (chaque semaine à la télévision, il confie ses réflexions) et sa popularité ne s'est pas trop érodée. Or il est facile de percevoir dans ses propos la profonde déception qu'il éprouve devant les conséquences les plus fâcheuses du retour à la liberté et le mépris qu'il ressent pour l'obsession économique du Premier ministre et d'une large partie de ses concitoyens. Le philosophe n'a pas perdu l'habitude de replacer l'homme au centre du discours et de l'action politiques et régulièrement il désavoue moralement le Premier ministre.

C.- LES ÉLECTIONS DE 1996 ET L'INTRODUCTION DU BICAMÉRALISME

1.- Les élections législatives des 31 mai et 1er juin 1996

Les dernières élections législatives se sont tenues les 31 mai et 1er juin 1996 au scrutin de liste et à la représentation proportionnelle avec répartition du reste à la plus forte moyenne, comme le prévoit la Constitution de 1992 et la loi électorale du 27 septembre 1995. Sur les vingt partis en présence, seuls six ont franchi la barre des 5 % des suffrages exigée pour l'accès à la Chambre des Députés.

Le taux de participation de 76,41 % est resté élevé, même s'il diminue de 10 % par rapport aux précédentes législatives de 1992.

Résultats en % de voix en 1996

Variation en % par rapport à 1992

ODS

29,32

- 0,41

KDU-CSL

8,08

+ 1,80

ODA

6,36

+ 0,40

CSSD

26,44

+ 19,91

KSCM

10,33

- 3,72

SPR-RSC

8,01

+ 2,05

ODS : Parti démocratique civique

ODA : Alliance démocratique civique

KDU-CSL : Parti chrétien-démocrate

CSSD : Parti social-démocrate

SPR-RSC : Parti républicain

KSCM : Parti communiste

La coalition au pouvoir se maintient, mais l'opposition social-démocrate fait une poussée spectaculaire. La coalition remporte 99 sièges et l'opposition 101 ; elle perd donc la majorité absolue. C'est donc une espèce d'échec pour les trois partis de centre-droit coalisés (qui n'avaient pas fait preuve d'une grande solidarité pendant la campagne). Les petits partis de la coalition n'ont pas craint de s'attaquer directement à Vaclav Klaus et à son parti, l'accusant d'avoir bloqué certaines réformes et de ne pas avoir respecté l'accord de coalition conclu en juin 1992. Cette tactique ne leur a pas profité, mais elle a nui à l'ODS au profit des sociaux-démocrates. L'ODS apparaît comme le grand perdant d'autant que sa campagne s'est axée sur le thème d'une transformation déjà achevée et réussie, succès qui méritait une récompense.

L'opposition social-démocrate a eu beau jeu alors de faire campagne sur la nécessité d'un accompagnement social des réformes et de préconiser une économie sociale de marché sans remettre en cause l'orientation générale de la mutation (économie de marché, intégration européenne). Le CSSD se pose en parti social-démocrate à l'allemande. Son Président a abandonné pendant la campagne ses attaques personnelles contre Vaclav Klaus et il s'est concentré sur les carences sociales de son action (transports, santé, logement, éducation, environnement). 11 est apparu comme le défenseur de l'intervention étatique contre le dogme de Klaus de « l'État minimum » et de la responsabilité individuelle.

Á la différence du scrutin de 1992 par lequel l'électorat s'était prononcé pour la transformation économique incarnée par Vaclav Klaus et contre le retour au pouvoir de la gauche communiste, le scrutin de 1996 a porté sur des enjeux moins idéologiques et plus concrets, non plus sur le changement de société mais sur le rythme et les modalités très pratiques de ce changement.

Cependant le fait que la coalition ait résisté à l'usure de quatre ans de pouvoir atteste de la qualité de l'oeuvre accomplie par le Gouvernement Klaus autant que de la spécificité de la situation tchèque. Á la différence de la Pologne et de la Hongrie, les partis de droite tchèques n'ont pas déçu les électeurs et ils ont su éviter le retour des communistes au pouvoir, La République tchèque est le seul pays parmi les anciennes démocraties populaires où l'alternance de gauche ne soit plus incarnée par les héritiers du Parti communiste.

Le vote des électeurs tchèques peut donc légitimement être interprété comme un encouragement à poursuivre la transformation économique engagée et comme un avertissement à la coalition en place afin qu'elle accompagne sa réforme d'une vraie politique sociale.

De ce scrutin se dégage enfin l'idée que le modèle électoral tchèque se rapproche du modèle allemand avec un parti dominant de centre-droit (l'ODS qui absorbera sans doute à terme l'ODA), un parti de centre-gauche (le CSSD encore désuni mais qui devra se préparer à l'alternance sans doute sous la houlette de Petra Buzkova) et un petit parti (le KDU-CSL) opportuniste en quête d'alliance d'un côté ou de l'autre. Seul le développement d'une droite plus ferme, voire extrémiste, pourrait troubler cette évolution.

Élections législatives de juin 1996

Chambre des Députés (200 sièges)

Coalition gouvernementale : 99 sièges (KDU-CSL/ODS/ODA)

Opposition : 101 sièges

2.- Les élections sénatoriales

Les premières élections sénatoriales se sont déroulées en novembre dernier et elles ont conforté la position dominante du parti du Premier ministre. En effet, l'ODS obtient près de 48 % des voix contre 31 % à la principale formation de l'opposition, le parti social-démocrate CSSD.

Toutefois, il convient de rappeler qu'un très fort taux d'abstention (65 % au premier tour et 70 % au second) ôte au scrutin une partie de sa force et confirme le désintérêt de l'opinion à l'égard d'une élection dont elle ne percevait pas clairement les enjeux. Une majorité de Tchèques doutent encore de l'intérêt de la mise en place à grands frais d'une seconde Chambre (qui sera logée dans plusieurs magnifiques palais, dont le célèbre Palais Wallenstein). Certes, la Constitution de 1992 prévoyait l'élection d'un Sénat, mais le débat avait longtemps fait rage au sein de la coalition sur la nécessité de réviser la Constitution sur ce point.

Le Sénat devra donc convaincre la Chambre des Députés ainsi que l'opinion de son utilité dans le processus législatif et prendre sa place dans le débat politique entre le pragmatisme autoritaire du Premier ministre et la sagesse humaniste déjà incarnée par le Président de la République.

La coalition gouvernementale dispose au Sénat de la majorité absolue et c'est peut-être la chance du nouveau Sénat qui pourrait trouver ses marques en apparaissant d'abord comme un allié sûr du Gouvernement contre une Chambre des Députés plus frondeuse. Cet espoir pourrait s'avérer trompeur si le Président du Sénat, issu du Parti chrétien-démocrate, et élu avec les voix de l'opposition, monnayait trop chèrement son appui.

Élections sénatoriales de novembre 1996

Coalition gouvernementale : 52 sièges (KDU-CSL/ODS/ODA)

Opposition : 27 sièges

2 Indépendants (1 divers droite ; 1 divers gauche)

3.- La nouvelle donne politique

Après l'élection de Milos Zeman, chef du Parti social-démocrate, à la tête de la Chambre des Députés, et celle de Petr Pithart, chrétien-démocrate, ancien dissident et ami du Président Havel, à la tête du Sénat, le Premier ministre se trouve dans une position plus délicate face au Parlement qu'il ne l'a jamais été.

Milos Zeman a été élu Président de la Chambre des Députés en échange d'un soutien passif à la reconduction au Gouvernement de la coalition sortante. Ayant pour alliés objectifs les députés du Parti républicain, il offre au Gouvernement une Chambre quasiment incontrôlable. Toutefois, le Gouvernement peut se consoler en tablant sur le comportement personnel des quelques députés du CSSD décidés à voter en leur âme et conscience, et qui ont déjà soutenu le Gouvernement.

Vaclav Klaus n'est plus le chef incontesté de l'exécutif, ni le leader sûr de lui et de ses troupes qu'il a été de juin 1992 à juin 1996. Il avait pu alors jouir d'une domination sans précédent de la scène politique tchèque. Fort du soutien de la Chambre, il a alors réussi à imposer ses vues au Président Havel comme à ses alliés minoritaires. Il a pu, dans ces conditions, gérer, avec une détermination autocratique qu'on lui reproche encore, la transformation du pays par les moyens et au rythme qu'il jugeait bons pour la République tchèque.

Depuis juin 1996, il doit s'accommoder de la perte de la majorité absolue à la Chambre, de la nomination d'un ennemi personnel à la tête de la Chambre, Milos Zeman, d'un compromis plutôt favorable aux petits partenaires de la coalition lors de la formation de son nouveau Gouvernement et de la nomination à la Présidence du Sénat d'un autre adversaire politique, Petr Pithart, proche du Président Havel, par la faute d'une alliance entre sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates.

Enfin, les chefs des petits partis de la coalition, qu'il s'agisse de Jan Kalvoda (ODA) ou de Josef Lux (KDU-CSL) ne le soutiennent en public que du bout des lèvres et se réjouissent ouvertement qu'aujourd'hui l'ODS ne soit plus la seule force politique décisive.

La marge de manoeuvre de Vaclav Klaus est donc réduite, d'autant plus qu'il se trouve maintenant dans une position d'infériorité face au Président Havel qui fut le maître du jeu lors de la formation du Gouvernement et qui est seul à disposer du pouvoir de dissoudre la Chambre.

Vaclav Klaus, dont le parcours économique fut sans faute jusqu'à présent, est visiblement déçu de tant d'embûches et de tant d'ingratitude. Il a menacé de démissionner, mais le croire serait compter sans sa détermination légendaire et sans l'influence sur l'opinion des premiers effets très bénéfiques de ses réformes économiques.

CHAPITRE III - L'ÉCONOMIE TCHÈQUE : UN LIBÉRALISME PRAGMATIQUE

A.- LES RÉFORMES DE STRUCTURES ET LES PRIVATISATIONS

Le retour en Europe n'est pas un slogan symbolique, c'est un maître-mot qui devait aussi influencer la réforme économique. Il était clair que les Tchèques souhaitaient rappeler à l'Europe qu'ils étaient la septième puissance économique dans les années trente et sous l'aiguillon de ce passé glorieux, ils ont mis entre 1990 et 1996 une sorte d'enthousiasme frénétique à se jeter dans une course à l'excellence. Ils ont cherché à montrer qu'il y avait une solution tchèque au passage d'une économie étatisée à la libre entreprise et ils l'ont fait en cherchant à compenser la pénible frustration de ceux qui ont appartenu « injustement » à un bloc sous développé, dont il fallait s'extraire au plus vite.

La sagesse du Président Havel, autant que l'urgence de se mettre au travail et le désir de regarder vers l'Ouest, alors qu'on les avait forcés pendant cinquante ans à tourner la tête vers l'Est, ont fait que les acteurs de la transformation ont été choisis avec indulgence pour leur passé ou cooptés avec souplesse. En effet, les anciens rouages et les personnels de l'administration n'ont pas subi d'épurations massives. En 1995, sur plus de 200.000 demandes de vérification de dossiers personnels, moins de 10.000 personnes auraient été convaincues d'avoir collaboré et nui à autrui sous le communisme dans un pays où les communistes étaient environ 1,5 million. Une des explications de cette grande clémence réside dans la volonté de ne pas désorganiser l'État. Certes, le Président Havel et le Gouvernement furent accusés de faiblesse et parfois même d'angélisme, mais l'indulgence de l'épuration a permis de maintenir une gestion quotidienne propice à l'efficacité des grandes transformations que l'on prévoyait de mettre aussitôt en chantier.

1.- Les acteurs de la réforme

Les acteurs du changement se partageaient au départ en trois principaux groupes.

Le premier groupe est, bien entendu, celui de Havel et de son entourage, groupe fortement marqué par la culture de la dissidence et l'humanisme du Président. Ces tendances furent toutefois tempérées par le deuxième cercle de l'entourage présidentiel, celui des représentants de la grande diaspora tchèque rentrée au pays (grands industriels, grands financiers, grands aristocrates, nostalgiques de la 1 ère République et de l'Empire et plus nationalistes que les Tchèques restés sur place). Ce premier groupe souhaite restaurer la démocratie en renouant la chaîne du temps. On lui doit d'avoir soutenu sans fléchir le principe des restitutions malgré les difficultés de sa mise en oeuvre (ainsi que l'influence du modèle constitutionnel de la 1ère République sur la Constitution de 1992).

Le second groupe, issu de l'Institut de la prévision de l'Académie des Sciences (où a travaillé Vaclav Klaus), est constitué de techniciens, financiers ou économistes, actifs ou évincés pendant la normalisation. Ils participent au premier Gouvernement et certains sont encore ministres.

Le troisième groupe est celui des exécutants : ingénieurs (la République tchèque est une « République d'ingénieurs »), cadres techniques et responsables des entreprises d'État pour lesquels une fabuleuse ère de valorisation et d'ascension sociale vient de s'ouvrir.

2.- La réforme des structures et le redressement des grands équilibres

Dès 1990, le pays s'engage dans une politique de réformes économiques radicales destinées à assurer le passage d'une économie socialiste à une économie de marché. Cette politique repose sur quatre piliers :

1.- la libéralisation des prix ;

2.- la privatisation des moyens de production ;

3.- la libéralisation du commerce extérieur assortie de l'instauration de la convertibilité externe de la couronne ;

4.- le maintien de la stabilité macroéconomique par une politique fiscale et monétaire restrictive, une diminution de l'inflation et la stabilité du cours des changes.

Les réformes se sont accompagnées d'une complète transformation (et souvent d'une création) des outils législatifs : nouvelle législation économique, nouveau système fiscal, nouveau code de commerce, réforme de la sécurité sociale et de l'assurance-maladie, loi bancaire, loi sur les faillites.

Cinq ans plus tard, le Premier ministre Vaclav Klaus s'est adressé un satisfecit en déclarant que le pays quittait la période de conversion pour celle de l'après-transformation et, très symboliquement, il a annoncé la fermeture du ministère de la Privatisation.

Les objectifs de l'ère qui s'ouvre sont les suivants :

- maintenir la stabilité économique, sociale et politique ;

- achever les privatisations des entreprises appartenant encore à l'État (banques, gaz, électricité) ;

- libéralisation graduelle des derniers prix encore fixés officiellement (loyers, services publics) ;

- achèvement de la parfaite convertibilité externe de la couronne ;

- maintien de l'équilibre budgétaire, maintien du niveau de la dette publique, allégement des effectifs dans l'administration ;

- diminution de l'inflation ;

- adaptation des lois tchèques à la législation européenne ;

- diminution au maximum du rôle de l'État dans l'économie.

Le dynamisme et la détermination du Gouvernement Klaus ont fait qu'aujourd'hui, la plupart des observateurs s'accordent pour dire que la République tchèque est le meilleur risque parmi les anciennes républiques du bloc soviétique. Les réformes ont été bien engagées et l'économie prospère. En outre, l'appui de l'opinion aux réformes et aux privatisations n'a pas fait défaut au Gouvernement.

Depuis les réformes de structures, la production du secteur privé s'élève à 70 % du PIB en 1996, et le taux de croissance est proche de 5 %. Le montant réel du PIB par tête a été estimé en 1994 à 8888 dollars (contre 6063 en Hongrie, 5574 en Slovaquie et 4091 en Pologne), soit respectivement par rapport à la moyenne de l'Union européenne : 49 %, 34 %, 31 % et 27 %. Or, d'autres calculs prennent en compte la valeur réelle du pouvoir d'achat de la couronne, fortement sous-évaluée depuis 1991 et qui serait non pas de 27-28 couronnes pour un dollar, mais de 12 couronnes pour un dollar. Partant de ce constat, le montant du PIB par habitant serait, en 1995, de 11.200, soit 57 % du niveau moyen des pays de l'Union européenne.

Au cours de Tannée 1996, la consommation des ménages a augmenté de 6 % alors que l'investissement en hausse de 14,8 % permet d'atteindre un taux d'investissement de 26 % du PIB. Enfin, la consommation publique a baissé de 5,7 % pour la cinquième année consécutive.

Certes, le passage à l'économie de marché s'est accompagné inévitablement d'une forte progression des prix à la consommation, liée à la libéralisation de l'ensemble des systèmes de prix mais aussi à la forte dévaluation de 1990 (proche de 60 %). Pourtant le pays n'a pas connu la forte inflation qui a pénalisé les autres pays de l'Europe Centrale. Proche de 10 %, l'inflation reste maîtrisée et devrait même décroître. Même si les pressions inflationnistes demeurent, aussi bien du côté externe (afflux de capitaux étrangers) que du côté interne, en raison du maintien d'anticipations élevées et de la hausse prévue des prix administrés (loyers, gaz, électricité, eau). Enfin, l'insuffisante progression de la productivité est également à l'origine de l'inflation dans une économie qui connaît une forte croissance de la demande interne.

Toutefois, le plus grand succès remporté par le Gouvernement tchèque est dans le domaine du chômage. La République tchèque peut se targuer de surpasser tous ses voisins, car elle affiche le taux de chômage le plus bas en Europe : 3,1 %. Ce taux cache bien sûr de graves disparités régionales. Le chômage à Prague est presque inexistant, tandis qu'il atteint 15 % au Nord-Est du pays. Le Gouvernement admet que l'accroissement du chômage pourrait nuire à l'ensemble de sa politique réformatrice, et mène une politique active de l'emploi (qui va d'ailleurs à rencontre du discours libéral qu'il affiche). Á propos du taux de chômage particulièrement bas, il convient aussi de s'interroger sur la situation artificielle de nombreuses entreprises financées par le crédit de leurs fournisseurs et par un système bancaire que rend fragile la valeur incertaine d'une bonne part de ses créances. On ne peut pas dire que la loi sur les faillites soit appliquée avec une extrême rigueur.

La situation des finances publiques est également remarquable : le solde budgétaire affiche un excédent de 0,7 % du PIB. La dette publique reste stable et elle est inférieure à 18 % du PIB. Mais il faut garder en mémoire que le service de la dette inscrit au budget ne représente que 1 % des dépenses parce que l'essentiel a été débudgétisé au dépens du Fonds de la propriété nationale chargé des privatisations.

En outre, la République tchèque a eu la chance d'hériter du pouvoir communiste de dettes assez faibles, à la différence de la Pologne et de la Hongrie et sa structure financière est saine.

3.- Les privatisations

Pour avoir lancé le programme de privatisations le plus vaste et le plus efficace de toute l'Europe Centrale, la République tchèque s'est acquis à juste titre une réputation de détermination et de courage qui lui a valu l'estime des grandes organisations internationales et l'afflux massif de capitaux étrangers.

On distingue habituellement la « petite privatisation » et la « grande privatisation », outre les restitutions à leurs anciens propriétaires ou à leurs héritiers, des biens mobiliers et immobiliers pour un montant de 125 milliards de couronnes.

La « petite privatisation » votée dès novembre 1990 couvrait la privatisation des magasins, des restaurants, des petits hôtels, des ateliers et autres services courants. La méthode la plus souvent utilisée fut celle de la vente aux enchères. Fin 1993, la petite privatisation était quasiment terminée. Au total, ce sont plus de 24.000 magasins qui ont été vendus et cette opération a rapporté 32 milliards de couronnes tchèques au Trésor.

La « grande privatisation » visait 4.227 grandes entreprises d'État et devait se dérouler en deux étapes. La première vague s'est clôturée à la fin de 1992, la deuxième, bien entamée, devrait s'achever avec la vente des compagnies de distribution d'eau, de gaz et d'électricité et celle des grandes banques. Diverses méthodes ont été utilisées : vente aux enchères, vente directe à un investisseur choisi préalablement, transfert gratuit à une commune, transformation en sociétés par actions. Dans le cas de cette dernière méthode, des actions étaient réservées à la privatisation dite par coupons dont l'objectif majeur était de créer un vaste actionnariat populaire. Les citoyens tchèques détenteurs de coupons qui souhaitaient se porter acquéreurs d'actions pouvaient le faire directement en échangeant ces coupons contre des actions ou confier leurs coupons à des fonds d'investissement. Ces coupons, assortis d'un prix nominal, avaient été auparavant vendus au public (80 % des électeurs en ont achetés).

Les 4.227 grandes entreprises représentaient une valeur totale de 896 milliards de couronnes. A la fin de l'année, les grandes privatisations se répartissaient ainsi :

Méthode de privatisation

Valeur de la propriété privatisée en CZK millions

Vente aux enchères

4.340

Adjudication publique

14.235

Vente directe

44.292

Restitution

5.540

Restitution 4- achat supplémentaire-

8.770

Transfert gratuit aux communes et provinces

32.645

Transformation en une entreprise par action

(dont les actions réservées à la privatisation par

coupons)

740.016

(358.000)

TOTAL

855.838

Source : Banque nationale tchèque (CNB).

D'après les statistiques gouvernementales, plus de 85 % de l'économie se trouve maintenant entre les mains du secteur privé. Mais pour avoir une idée précise du processus de privatisation, il faut garder en mémoire qu'en République tchèque une entreprise pour être privée n'a besoin que d'une participation privée limitée. En fait, il est assez peu fréquent que la majorité de contrôle soit détenue par des intérêts privés. Ainsi le Fonds de la propriété nationale, créé par le Gouvernement pour écouler les actions des entreprises d'État, continue de contrôler 40 % en moyenne de l'ensemble des titres des entreprises privatisées, permettant ainsi à l'État de rester le premier actionnaire.

D'autre part, les nouvelles sociétés d'investissement, ou fonds de placement, se trouvent à la tête du processus de privatisation. Par ailleurs, les plus grandes d'entre elles sont des filiales de banques tchèques privatisées en partie seulement et donc dépendantes de l'État.

Il apparaît donc clairement que ces sociétés d'investissement sont devenues les destinataires d'un transfert de propriété au départ de l'État. Comme les détenteurs de coupons qui y sont entrés s'en remettent en toute confiance aux décisions de leurs fonds de placement, ce sont ces nouvelles institutions qui doivent guider les restructurations et gérer la réforme économique. Or les plus puissantes des 600 sociétés tchèques d'investissement sont des filiales de banques soumises à l'influence de l'État. Ces sociétés détiennent 70 % de l'ensemble des actions émises lors des deux vagues de privatisation massive et 80 % des actions en question sont aux mains de quatre sociétés d'investissement. Trois de ces quatre sociétés sont la propriété d'anciennes banques d'État.

Alors que la participation des investisseurs est limitée à 20 % par entreprise, il n'existe pas de loi limitant la collaboration entre sociétés d'investissement au moment d'acquérir des participations majoritaires. Il est facile alors pour des sociétés d'investissement de s'unir dans le but de modifier la stratégie d'une société ou de lui dicter une décision en matière de personnel par exemple, les sociétés étant représentées aux conseils d'administration. Cette situation est particulièrement fâcheuse quand l'entreprise est endettée auprès de la banque dont dépend le fonds d'investissement « majoritaire ».

En effet, la société d'investissement répugne alors à laisser l'entreprise se restructurer d'une manière trop dramatique ou encore à déclencher une faillite qui empêcherait le remboursement des prêts contractés auprès de la banque. La grande majorité des directeurs de ces fonds, peu expérimentés, accordent plus d'importance aux avoirs qu'à leur rémunération. Ils ne cherchent pas à accroître le revenu des actionnaires mais la valeur des avoirs en portefeuille. Dès lors, les sociétés d'investissement sont souvent plus préoccupées par l'acquisition d'un maximum d'avoirs. Quant aux banques propriétaires des sociétés d'investissement, elles possèdent de fait des intérêts dans ces entreprises susceptibles de ne plus pouvoir assumer le remboursement des prêts qu'elles leur ont consentis. Ainsi, en devenant indirectement propriétaires de ces entreprises, les banques pensent se protéger contre d'éventuels défauts de paiement, alors qu'elles accroissent au contraire leurs risques...

En conséquence, il est permis de craindre que les sociétés d'investissement appartenant aux banques s'abstiennent de restructurer ou de déclarer des faillites lorsque ces mêmes banques sont leurs créanciers. Ceci explique sans doute le faible nombre de faillites enregistré jusqu'à présent et peut-être aussi la faiblesse du taux de chômage.

Cependant en contrepartie, on peut voir dans ce grave inconvénient la certitude que la restructuration, pour ralentie qu'elle soit, restera parfaitement contrôlée et que l'État, malgré l'idéologie libérale qui prédomine dans le discours gouvernemental, peut encore de manière pragmatique jouer sur le rythme du processus et l'améliorer. S'il le souhaite, il s'est mis dans la position de pouvoir collaborer étroitement avec les grandes banques pour influer sur la restructuration, mais il n'est pas à l'abri d'une crise financière dont les conséquences s'étendraient, par un effet de dominos, à une bonne part de l'économie.

Quoi qu'il en soit, nous sommes maintenant entrés dans la phase ultime de la privatisation, celle de la post-transformation selon le Gouvernement, ou encore moins correctement appelée la « troisième phase ». Elle concerne des biens d'État d'une valeur de 348 milliards de couronnes. La liste de ces entreprises stratégiques était connue depuis longtemps, mais le Premier ministre avait choisi de reporter leur privatisation après les législatives de 1996. On sait qu'elle ne sera pas toutes vendues et qu'il est même envisagé que certaines puissent tout de même rester aux mains de l'État.

Il semble qu'il n'y ait plus de calendrier pour cette dernière phase et il est certain, en tout cas, que pour les 53 entreprises stratégiques, la vente n'interviendra qu'une fois ces sociétés consolidées et le climat concurrentiel du secteur stabilisé. L'investisseur devra faire son offre en sachant que l'intérêt national sera pris en compte.

Part du Fonds de la propriété nationale

(en %)

Aero (aéronautique)

34

CEZ (production et distribution d'électricité)

67

CEPRO (approvisionnement en pétrole et gaz)

100

Ceske Aerolinie (compagnie aérienne nationale)

57

Ceska Pojistovna (assurances)

26

Ceska Sporitelna (caisse d'épargne)

45

Ceske radiokomunikace (gestion des fréquences hertziennes)

73

Chemopetrol (chimie et raffinage)

64

CHZ Sokolov (chimie)

91

Elektrizace zeleznic (électrification des voies ferrées)

69

lnvesticni a Postovni Banka (banque)

33

Jan Becher (agro-alimentaire)

97

Kaucuk Kralupy (chimie et pétrochimie)

51

K0MERCN1 Banka (banque)

49

MERO (société exploitante de l'oléoduc Inglostadt-Krapuly)

100

Mostecka Uhelna (charbonnages)

49

Nova Hut (métallurgie)

69

OKD (charbonnages)

59

Paramo (pétrochimie)

72

Poldi Holding (métallurgie)

97

Plzensky Pivovary (brasserie)

19

PVT

11

Prazske Pivovary (brasserie)

14

Prvni Novinova (distribution de la presse)

38

SEVAC

83

SPT Telecom (télécommunications)

51

Severoceske Doly (charbonnages)

58

Skoda Praha (équipements pour le secteur de l'énergie et matériel de transport)

55

Vitkovice (métallurgie)

71

Sokolovska Uhelna (charbonnages)

52

Valcovny piechu Frydek (laminoirs)

56

UVMV Consulting (ingénierie et conseil)

46

UJV Rez (recherche nucléaire)

56

REAS (8 distributeurs régionaux d'électricité et chaleur)

58

REAS (8 distributeurs régionaux de gaz)

58

Sources : CTK et Trend 28 février 1996.

Le Gouvernement a donc reporté la privatisation de ces entreprises et n'a programmé pour le début de 1997 que la vente de parts dans les sociétés régionales de distribution de gaz et d'électricité. Un préalable existe toutefois dans ce domaine : l'adoption d'une loi sur l'organisation et la tutelle des marchés de l'énergie, permettant aux investisseurs de disposer de la visibilité nécessaire, en particulier en matière tarifaire. D'autre part il est intéressant de remarquer que des investisseurs stratégiques ont été trouvés pour SPT Telecom (consortium Tel Source) et pour les raffineries (consortium IOC) et que dans les deux cas, les parts de l'État tchèque ont été fixées par des contrats tenus secrets. Dans le cas de Ceska Pojistovna (compagnie d'assurances tchèque), la part de 26 % destinée à être commercialisée par petits paquets doit éviter l'émergence d'un actionnaire majoritaire. La part de l'État dans les aciéries de Vitkovice et de Nova Hut devrait être inférieure à 50 %. Quant à la compagnie aérienne nationale CSA, sa privatisation n'est plus à l'ordre du jour : la déception provoquée par l'échec de l'association avec Air-France a laissé des traces encore sensibles.

On attend maintenant la suite de la privatisation des banques, mais pour cela, il faudra d'abord que ce secteur pléthorique se concentre. L'État se propose de ne plus conserver que 10 % des actions vers l'an 2000.

Les participations minoritaires du Fonds de la propriété nationale dans 1.400 sociétés représentent plus de 180 milliards de couronnes. Leur cession est programmée également, mais elle sera malaisée puisqu'il s'agit de participations minoritaires face aux actionnaires majoritaires que sont les fonds d'investissement. D'ailleurs, les conditions dans lesquelles des tiers peuvent constituer des blocs de contrôle manquent souvent de transparence.

Une fois le ministère de la Privatisation démantelé, il restera une petite agence chargée du suivi des dossiers et surtout de la gestion des actions privilégiées de l'État dans un certain nombre d'entreprises importantes pour la sécurité du pays (entreprises d'armement, entreprises mécaniques, ports fluviaux, instituts de recherche, compagnie de production d'énergie, entreprises pharmaceutiques).

B.- LES CARPES ET LES BROCHETS : DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES EN VOIE D'ASSAINISSEMENT

Un grand banquier que nous interrogions sur les récents événements du monde bancaire tchèque et devant qui nous avions prononcé le mot de « requin », nous a répondu : « Oh ! Requins ? Vous savez, nous n'avons pas de rivages bordés par la mer en République tchèque et nous ne parlons jamais de requins. Nous sommes un pays de cours d'eau et d'étangs et il nous arrive de dire qu'il faut une juste proportion entre les carpes et les brochets ». Cet apologue justifiait la politique ouvertement libérale du Gouvernement qui, dans le domaine bancaire et boursier, a choisi au départ de ne pas intervenir afin que de cette liberté et de la loi du plus fort se dégage un équilibre. La crise bancaire de l'année 1996 et l'opacité de la Bourse de Prague ont infléchi cette politique.

1.- Le système bancaire


• Généralités

Avant le 1er janvier 1990, le système bancaire tchécoslovaque était essentiellement constitué de deux banques : la Banque d'État (Statni Banka Ceskoslovenska), qui était à la fois banque d'émission et banque commerciale, et la Banque du Commerce extérieur (Ceskoslovenska Obchodni Banka : CSOB). Il existait par ailleurs deux caisses d'épargne tchèque (Ceska Statni Sporitelna : CSS) et slovaque (Slovenska Statni Sporitelna : SSS), l'investicni Banka (IB), qui avait la responsabilité des portefeuilles d'actions et du règlement des dettes à l'étranger et une petite banque, la Banque des Entrepreneurs (Zinovstenska Banka : ZB), dont l'activité se limitait à la gestion de quelques comptes privés.

Á partir du 1er janvier 1990, la Banque d'État s'est repliée sur son rôle traditionnel de banque centrale (émission de la monnaie, supervision des banques commerciales, politique monétaire). Ses fonctions commerciales ont été dévolues aux autres établissements existants ou créés pour l'occasion, comme la Banque du Commerce (Komercni Banka : KB). Très vite, les établissements bancaires se sont multipliés pour atteindre le nombre impressionnant de 56, ce qui, de l'avis de tous les experts, correspond à un excès résorbable à terme. Ces établissements se répartissent en 24 à capitaux nationaux, 12 à participation étrangère minoritaire, 10 à participation étrangère majoritaire et 10 succursales de banques étrangères.

La Banque Centrale exerce avec fermeté son rôle de contrôle ; elle a porté, en octobre 1993, de 300 à 500 millions de couronnes le capital minimum exigé et a porté le seuil minimal des réserves des banques à 9 % des dépôts à vue et à 3 % des dépôts à terme.

En 1993, le secteur bancaire emploie 53.231 personnes, soit 1 % de la population active et le nombre de guichets s'élève à 3.513. Le montant global des crédits accordés à l'économie s'est élevé en 1993 à 705,5 milliards de couronnes, soit 15,2 % de plus qu'en 1992 - dont 26 % de crédits à court terme, 24,2 % de crédits à moyen terme et 25,7 % de crédits à long terme, le solde à terme non déterminé.

Les crédits accordés à des établissements privés représentent 44 % du total tandis que le secteur public en absorbe 30 %.

La part des dépôts dans le montant des ressources est passé de 48 % en 1991 à près de 66 % en 1993. En augmentation de 25 % par rapport à 1992, les dépôts s'élevaient à 648,2 milliards de couronnes en 1993, dont la moitié provenait de l'épargne des ménages.

Le système bancaire a dégagé en 1993 un résultat net de 14,9 milliards de couronnes et un ratio résultat net/bilan de 1,57 %.

Toutefois on peut s'interroger sur l'efficacité du système bancaire tchèque quand on sait que le recours aux effets de commerce est rare et que les transferts prennent parfois jusqu'à deux semaines. On sait, d'autre part, que 300.000 personnes seulement détiennent une carte électronique et que parmi elles, seules 13.000 ont une carte utilisable dans tous les guichets. Cela tient à la condition sévère qui contraint le client à déposer 10.000 dollars à l'ouverture du compte avant de pouvoir obtenir une carte VISA classique, par exemple. Depuis 1992, 5.000 dollars suffisent. D'autre part, l'utilisation des chèques est plus que confidentielle. Les paiements par virement postal sont le recours usuel des particuliers pour tout règlement par correspondance.


• Les grandes banques tchèques : concurrence et privatisation

Les quatre grandes banques tchèques sont la Komercni Banka (Banque du Commerce), la Ceska Sporitelna (Caisse d'Épargne tchèque), la Obchodni Banka (Banque du Commerce extérieur) et la Investicni a Postovni Banka (Banque de la Poste et des Investissements). Mais le système bancaire tchèque fonctionne selon un processus à deux étages : les dépôts des ménages sont principalement collectés par la Ceska Sporitelna et la majorité des prêts au secteur non bancaire sont consentis par les autres banques commerciales. Or, ces banques se financent sur le marché monétaire national où la Ceska Sporitelna est le principal fournisseur. D'autre part, les emprunts des grandes banques à l'étranger ont pris une importance croissante quand les taux. d'intérêt intérieurs étaient élevés et que le risque de change était perçu comme négligeable.

Cette segmentation du marché s'explique par des raisons historiques. Ainsi la Ceska Sporitelna avait, sous le régime totalitaire, le monopole de la collecte de l'épargne des ménages et elle jouit encore de l'avantage d'avoir un réseau très étendu. De même, la Komercni Banka et la Investicni a Postovni Banka bénéficient toujours de l'avantage que leur donne le fait d'avoir repris les activités commerciales de l'ancienne Banque d'État.

Á plus long terme, le développement d'un secteur bancaire véritablement concurrentiel pourrait être freiné par les résultats de la privatisation partielle de ces établissements. Premièrement, les grandes banques ont toutes le même actionnaire principal (le Fonds de la propriété nationale). L'État peut exercer son influence par l'intermédiaire de ce fonds et aussi sur l'ensemble du secteur bancaire par l'intermédiaire du Conseil bancaire, composé du ministre des Finances, du ministre de la Privatisation, du Gouverneur de la Banque Centrale et du Président du Fonds de la propriété nationale. Au printemps 1996, par exemple, le Conseil bancaire a recommandé aux banques de payer des dividendes inférieurs au montant proposé par leur direction dans le but de renforcer leurs réserves. Cette décision a été appliquée strictement dans toutes les banques contrôlées par le Fonds de la propriété nationale.

La concurrence entre banques est également menacée par les participations croisées. En utilisant les fonds d'investissement gérés par leurs filiales d'investissement, les banques, après la première vague de privatisations par coupons, sont devenues en fait actionnaires, non seulement d'une grande partie de sociétés non financières, mais aussi des autres banques et quelquefois d'elles-mêmes.

Enfin, la concurrence est aussi affectée par le fait déjà mentionné que les Fonds d'investissement des banques sont de gros actionnaires de sociétés industrielles. Pendant la première vague de privatisations, par exemple, les Fonds créés par les trois principales banques tchèques ont acquis 17 % du total des actions des entreprises à privatiser. Les Fonds créés par la Ceska Sporitelna, par exemple, ont acquis des actions dans 514 sociétés.

Une autre caractéristique du système bancaire tchèque provient des premières étapes de la transformation quand les entreprises se sont mises à créer elles-mêmes des banques. Les dépôts des petits épargnants clients de ces banques sont forcément en danger dès que la direction de la banque s'intéresse davantage aux problèmes financiers de l'entreprise dont elle dépend qu'à sa propre rentabilité. Dans le cas d'une des banques mises en liquidation, il a été clairement démontré que l'octroi de prêts à la société mère était la raison principale de la faillite.

Les banques étrangères, quant à elles, ne représentent une concurrence notable que dans certains secteurs, car elles traitent avec une clientèle choisie, composée essentiellement d'entreprises étrangères. En 1995, elles représentaient 8 % de l'encours des crédits bancaires et 6 % des dépôts. La Banque Nationale Tchèque n'encourage pas le développement des établissements étrangers, car le Gouvernement veut contraindre ainsi les banques étrangères à acquérir des petits établissements nationaux plutôt que d'ouvrir une succursale ou une filiale. Mais on observera que la banque française qui a le mieux réussi en République tchèque (la Société Générale) a procédé par la voie d'une création ex nihilo.

La stratégie des autorités bancaires tchèques consiste à renforcer le capital des banques et à encourager les transferts de créances et surtout la mise en place de provisions pour pertes. Au premier semestre 1995, les banques ont, non seulement augmenté de 14 % leurs provisions pour créances irrécouvrables, mais elles ont aussi réagi en diversifiant et en renforçant leurs avoirs. Cependant, les petits établissements restent vulnérables malgré un accroissement de 19 % de leurs réserves. Depuis 1994, une dizaine de banques ont disparu et d'autres n'ont dû leur salut qu'à l'intervention de l'État tchèque. Ainsi, au début de 1996, l'Eko Agro Banka, sixième banque du pays, devant l'insuffisance de ses provisions et ses pertes dans ses opérations sur titres, a provoqué une ruée des déposants sur les guichets pour retirer leur argent. La banque a été placée sous tutelle de l'établissement d'État de consolidation. En septembre, c'est la Kreditni Banka qui a fait faillite après 450 millions de dollars de pertes. Le secteur connaît donc une période d'assainissement qui prélude, espère-t-on, à une concentration.

2.- La Bourse de Prague

La Bourse de Prague, créée en 1871 et fermée en 1939, a été rouverte dans l'enthousiasme en 1992.

Après la première vague de privatisations, le marché tchèque monta en flèche, mais deux ans plus tard, le déclin s'amorçait et, en 1995, la Bourse avait perdu 60 % de sa valeur. En effet, les Fonds d'investissement s'étaient mis à vendre leurs participations dans le but d'engranger aussitôt les plus-values issues de la flambée des cours. En alimentant cette tendance, ils ont déprimé le marché et ils ont aussi dissuadé, voire chassé, les participations étrangères qui avaient contribué à la hausse des valeurs dans les mois suivant la réouverture de la Bourse de Prague. Désormais la plupart des institutions financières étrangères attendent une réforme législative pour réintervenir sur la place de Prague, une plus grande clarté et une plus grande fiabilité des cours (qui se sont redressés en 1996, début d'une consolidation).

En effet, ce qui frappe d'abord dans le marché boursier tchèque, c'est l'absence de règles et, plus encore, que le Gouvernement l'ait souhaité ainsi. Le premier Président de la Bourse de Prague aurait estimé qu'une certaine souplesse était de nature à encourager les plus habiles et les plus entreprenants à créer des noyaux d'investissements significatifs, corrigeant par là les excès de ce capitalisme populaire toujours un peu utopique que le Gouvernement mettait en place au moyen de la privatisation par coupons.

Mais la souplesse des règles est telle que 60 à 90 % de l'ensemble des transactions s'effectuent en marge du marché, sans publicité aucune. Les opérations ne sont pas surveillées par une autorité indépendante sur le modèle de notre COB (Commission des Opérations de Bourse) ou de la SEC américaine (Securities and Exchange Commission). Rien n'empêche les opérations d'initiés et il n'existe aucune protection des actionnaires minoritaires.

En fait, il existe actuellement trois marchés boursiers : la Bourse des Valeurs de Prague, le RMS et le RTP (qui sera bientôt mis en place). La capitalisation boursière totale représente environ 60 % du PIB, mais le volume annuel des transactions est faible : au total 2 % de la capitalisation. La Bourse de Prague et le RMS tiennent séance tous les jours ouvrables. La principale différence entre les deux marchés est que les investisseurs peuvent passer leurs ordres directement sur le RMS alors qu'à la Bourse de Prague ils doivent passer par un courtier agréé. Au départ, le RMS occupait une position dominante grâce à son vaste réseau de terminaux d'ordinateurs sur lesquels les clients pouvaient négocier directement leurs coupons de privatisation. Avec l'achèvement des deux vagues de privatisation, la part du RMS dans l'ensemble des transactions est tombée aujourd'hui à 5 ou 6 %.

La pluralité de marchés encourage l'opacité et surtout crée des distorsions : l'écart de valeur entre un marché et l'autre (sans parler du marché libre) varie de 1 à 10.

Le marché boursier tchèque ne joue pas encore pleinement les deux principaux rôles classiques d'un marché boursier : celui de lever des capitaux et celui d'outil de Gouvernement pour l'entreprise. En effet, comme ces entreprises obtiennent facilement des crédits (auprès des banques qui sont leurs actionnaires), elles négligent le marché boursier et, par conséquent, le cours de leur action.

Cette époque devrait maintenant toucher à sa fin. En effet, le ministre de la Privatisation vient d'être nommé à la tête de la Bourse de Prague avec, pour mission, d'assainir la situation et l'on vient d'instituer une autorité administrative, nommée par l'exécutif et provisoire, chargée d'introduire des règles sur le modèle des critères des bourses française, allemande et anglaise. Cette autorité nouvelle, qui réunit des financiers et des experts, est une étape vers la création d'une autorité indépendante pour laquelle une loi est nécessaire.

Le Premier ministre n'est pas convaincu de l'urgence d'installer une COB à Prague, mais les services de la Bourse de Prague préparent une proposition de loi qu'ils soumettront au Gouvernement. Ils sont décidés, dans le cas d'un refus, à le faire passer à la Chambre (qui dispose de son ordre du jour). La Bourse de Prague s'est fixé un délai d'un an pour rejoindre le club des bourses européennes en instaurant un organe de contrôle indépendant dont le chef pourrait être une personnalité étrangère.

C.- LE MIRACLE TCHÈQUE

1.- Le meilleur élève d'Europe Centrale ?

La République tchèque est le premier pays d'Europe Centrale à avoir été admis au sein de l'OCDE. Après 2,6 % en 1994 et 4,8 % en 1995, la croissance économique serait de 4,5 % en 1996, soit légèrement en-deçà des prévisions (5,5 %). Cependant, le dynamisme de l'investissement ne s'est pas démenti et la consommation des ménages a continué à croître. En revanche, les importations augmentent deux fois plus vite que les exportations, même si la République tchèque a admirablement réorienté son commerce vers l'Ouest.

Au terme de cette troisième année consécutive de croissance, le PIB serait encore en termes réels 10 % en-deçà de son niveau de 1985. Mais il est difficile de trancher cette question, car les outils de mesure ont changé et les statistiques officielles prennent mal en compte l'essor du secteur privé et particulièrement les services, dont une partie relève de « l'économie grise ».

Il est clair aussi que les emplois perdus lors des restructurations ont été compensés par le développement de services, ce qui expliquerait que le chômage ne se soit pas aggravé. A la fin de 1996, le taux de chômage était de 3,5 (pour 2,4 en 1995). La faiblesse de ce taux a contribué à engendrer des tensions sur le marché du travail et a entretenu les pressions salariales.

Les perspectives pour 1997 sont bonnes puisqu'on s'attend à une poursuite de l'expansion (4,5 à 5 %), toujours tirée par une forte demande interne et une augmentation tolérable du chômage (de l'ordre de 0,6 point). L'inflation devrait se maintenir à son niveau actuel (8,8 %), malgré les tensions et les anticipations inflationnistes.

D'autre part, la République tchèque jouit d'une monnaie forte. Devenue convertible en octobre 1995, la couronne tchèque reste soumise à des pressions contradictoires provenant de la forte dégradation du solde commercial et de l'afflux de devises à l'origine de l'excédent de la balance des capitaux. La monnaie nationale s'est appréciée en termes réels de 42 % contre le dollar et de 33 % contre le mark depuis 1992, posant des problèmes de compétitivité aux exportateurs tchèques déjà touchés par une forte croissance des salaires.

Rappelons que la parité de la couronne, définie par rapport à un panier composé à 65 % de DM et à 35 % de dollars, évoluait depuis 1990 et jusqu'en février 1996 à l'intérieur d'une bande de #177; 0,5 % sans aucun ajustement de parités. Depuis février 1996, la bande est comprise entre + 7,5 %.

Aujourd'hui, les tenants de la thèse de la dévaluation mettent en avant le ralentissement des importations et l'ampleur du déficit commercial. Ils soutiennent aussi que le taux de change actuel n'est pas réaliste et ne résulte que de l'écart fortement positif de taux d'intérêt en faveur de la couronne. De plus, la surévaluation serait de nature à pénaliser l'investissement direct étranger en République tchèque. Les adversaires de la dévaluation, quant à eux, ne manquent pas de souligner qu'une éventuelle dévaluation risquerait d'abord de se traduire par un renchérissement des achats à l'étranger au moment où les besoins en équipements sont très grands.

Le Gouvernement, fidèle à sa position libérale, s'est refusé jusqu'à présent d'intervenir, bien qu'il dispose d'une marge potentielle de dépréciation de 10 à 11 points (un peu supérieure à l'écart de 9 points entre les taux d'intérêt à court terme en République tchèque et ceux en vigueur en Allemagne).

Enfin la République tchèque dispose d'un autre atout : un budget parfaitement en équilibre. Ainsi, à bien des titres, les performances de la République tchèque sont remarquables, même si l'adaptation structurelle de son économie n'est pas encore très poussée et si l'assainissement du système bancaire et du marché boursier , la dérégulation des tarifs publics, la poursuite de la libération des loyers, la privatisation des réseaux d'énergie et des grandes banques, l'amélioration du système d'assurance santé, la remise en ordre de la santé publique et des transports, sont autant de tâches urgentes qui attendent le Gouvernement.

Quoi qu'il en soit, plus que la monnaie forte ou l'équilibre budgétaire, ce qui continue à surprendre les observateurs, c'est la faiblesse du taux de chômage. D'aucuns y voient l'origine du miracle tchèque.

2.- Le miracle du chômage tchèque

Certes, il est extraordinaire que la République tchèque réussisse, en pleine transition, à maintenir un taux de chômage aussi dérisoire (3,5 %), que d'autres pays moins heureux tiendraient pour un taux de plein emploi. Ce miracle peut s'expliquer pourtant par différents facteurs.

Tout d'abord, la diminution de l'emploi total de près de 10 % depuis le début de la transition a été absorbée par le recul de la population active, et notamment la baisse du taux d'activité des femmes. Ensuite, la République tchèque a bénéficié de la quasi-inexistence du secteur des services sous le régime communiste (à la différence de pays comme la Hongrie qui avaient commencé leur conversion plus tôt). Lorsque l'emploi dans l'industrie a baissé de 17 % entre 1991 et 1995, près de 350.000 personnes ont intégré le secteur tertiaire, dont la part dans l'emploi total a progressé de 8 points, et c'est ainsi qu'on été compensées les destructions d'emplois dans l'industrie traditionnelle. Enfin, l'économie grise emploierait 4 à 5 % de la population.

L'autre raison majeure qui explique la faiblesse du chômage est l'intervention indirecte du Gouvernement, toujours plus pragmatique dans ses actions que dans ses paroles. Comme il a été dit, le Gouvernement exerce encore une influence certaine sur les entreprises privatisées par l'intermédiaire des banques qui les orientent via leurs fonds d'investissement et les restructurations sont conduites avec douceur. D'autre part, le Gouvernement a contrôlé les salaires chaque fois qu'il a pu le faire. Les salaires tchèques sont de loin inférieurs à ceux pratiqués en Hongrie ou en Pologne. Ces salaires ont permis de contenir les frais d'exploitation et d'attirer l'investissement et l'embauche par des entreprises étrangères heureuses de se délocaliser.

D'autre part, le Gouvernement, tout libéral qu'il est, a mis en oeuvre des aides à l'emploi et des programmes favorisant l'insertion professionnelle des jeunes à la sortie de l'école. Il a également durci les conditions d'admission au système d'indemnisation du chômage, stimulant ainsi les chômeurs à se reconvertir au plus vite et évitant la création d'un chômage de longue durée.

Enfin, il est permis de saluer l'extraordinaire capacité d'adaptation de la population active tchèque.

CHAPITRE IV - LES RELATIONS ÉCONOMIQUES DE LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

A.- LES ÉCHANGES COMMERCIAUX

C'est en mesurant l'extraordinaire mutation du commerce extérieur de la République tchèque que l'on saisit parfaitement ce que le retour en Europe signifie pour ce pays et combien son entrée dans l'Union européenne semble logique. En effet, avant la Révolution de velours, les pays dits occidentaux occupaient une place très modeste dans les échanges avec l'ancienne Tchécoslovaquie. C'était en tout cas vrai pour la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Japon, car l'Allemagne et l'Autriche y étaient déjà bien implantées. Toutefois, les échanges se faisaient essentiellement avec les pays du Comecon au sein d'un ensemble qui visait en vain à l'autarcie et qui renforçait surtout l'interdépendance la plus étroite entre les membres.

Parts de marché des principaux concurrents dans les importations tchécoslovaques

1989

1991

RFA

9,2 %

Allemagne

20,3 %

Autriche

5,5 %

Autriche

7,9%

Suisse

3,4 %

Italie

3,3 %

Royaume-Uni

2,2 %

Suisse

2,4 %

Italie

1,7 %

France *

2,3 %

France

1,5 %

France **

3,7%

Japon

0,5 %

Royaume-Uni

2,1 %

Etats-Unis

0,3 %

Etats-Unis

1,8 %

Japon

1,2 %

* Source : * Commerce extérieur tchécoslovaque

** Douanes françaises hors Airbus

Mais les habitudes de consommation évoluent très vite vers le modèle occidental et la nécessité pour les entreprises tchèques de se doter de moyens modernes ne pouvaient manquer de faire croître les importations et de provoquer un déséquilibre.

Depuis la chute du communisme, le rapport exportations/PNB s'est sensiblement accru, passant de 28,5 % en 1990 à 41,7 % en 1994. S'il est vrai que de 1990 à 1993 le PNB a fortement diminué, les exportations ont, en revanche, évolué très favorablement, au point même de résorber en partie la chute vertigineuse de la consommation intérieure. En 1994, les exportations ont commencé à stagner et la croissance économique enregistrée cette année là (+ 2,7 %) doit donc être imputée exclusivement à la reprise de la consommation interne et aux investissements.

Le rapport importations/PNB s'est, lui aussi, sensiblement amélioré depuis 1990 (de 31 % à 42,8 %). Cette évolution a été rendue possible par la libéralisation du commerce extérieur et, comme il a été dit, par la préférence accordée par les consommateurs aux produits de meilleure qualité et par les besoins en équipements des nouvelles entreprises.

Évolution des importations et exportations depuis 1990

Exportations

Importations en US $ millions

Balance

1990

8.991

9.852

- 860

1991

7.414

6.677

+ 760

1992

8.842

10.273

- 1.431

1993

13.203

12.858

+ 345

1994

14.295

14.731

- 436

Évolution des importations et exportations par rapport au PNB (en %)

Exportations

Importations

1990

28,5

31,0

1991

32,5

30,0

1992

32,6

36,4

1993

42,8

41,2

1994

41,7

42,8

Il s'ensuit naturellement que les exportations tchèques ont subi des modifications structurelles importantes. Ainsi, la part des machines et du matériel de transport a fléchi de manière spectaculaire passant de 37,8 % à 26,1 %. Ce recul reflète l'effondrement du commerce avec les partenaires du COMECON, gros clients de matériel de transport (locomotives, wagons, trains, bus, camions). En contrepartie, on note un accroissement sensible de la part des matières premières (de 3,3 % à 7 %), des produits finis (de 24,4 % à 30,5 %) et des produits chimiques (de 7,9 % à 9,9 %). Destinées surtout à l'Europe Occidentale, ces exportations révèlent le nouveau rôle joué par la République tchèque dans le système économique européen, à savoir celui de fournisseur de matières premières, de biens de consommation d'une qualité ordinaire et de produits chimiques élémentaires.

Exportations (en %)

1990

1991

1992

1993

1994

Denrées alimentaires

5,4

7,9

8,1

6,5

5,2

Boissons et tabac

0,5

0,9

0,7

1,2

1,2

Matières premières

3,3

5,7

6,5

6,1

7,0

Produits minéraux et lubrifiants

4,9

5,5

5,7

6,2

5,7

Huiles végétales et animales

0,4

0,2

0,1

0,2

0,3

Produits chimiques

7,9

9,9

9,2

9,3

9,9

Produits manufacturés

24,4

28,1

32,3

30,8

30,5

Machines et matériel de transport

37,8

30 A

25,4

27,4

26,1

Divers produits finis

12,9

11,4

12,0

12,3

14,1

Marchandises non classées

2,5

-

0,1

-

-

Source : Service tchèque de Statistiques : CSU

Les importations ont également subi de profonds changements dans leur structure. La part des produits minéraux et des lubrifiants, ainsi que celle des matières premières, ont sensiblement régressé, passant respectivement de 17,7 % à 6,8 % et de 10,1 % à 4,9 %. Cette évolution s'explique par une baisse de la consommation de matières premières consécutive à la récession des années 1990-1993 (baisse de la production industrielle et de la consommation des ménages) et par la réalisation d'investissements industriels destinés à économiser l'énergie. On remarque également une progression importante des machines et du matériel de transport, de 30,8 % à 34,9 %, des produits finis, de 11,1 % à 16,4 % et des produits chimiques de 9,1 % à 13,1 %. Ces accroissements sont dus aux importations massives d'Europe Occidentale de voitures, de biens de consommation et de médicaments.

Les deux tableaux suivants illustrent la ventilation géographique des importations et des exportations. Ils montrent de manière éloquente la réorientation des importations et des exportations tchèques vers les pays de l'Europe Occidentale. Les échanges commerciaux avec l'ex-Union soviétique continuent à se rétracter, mais la part du commerce avec les autres pays d'Europe Centrale et Orientale est de nouveau en hausse. Ce revirement est le résultat de l'entrée en vigueur de l'Accord de Libre Echange d'Europe Centrale (CEFTA : Central European Free Trade Agreement) conclu entre la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la République tchèque.

Ventilation par groupes de pays

Part dans les importations (en %)

1989

1992

1993

1994

UE

26,4

47,2

42,6

45,1

AELE

7,7

13,8

12,0

13,2

Autres pays à économie de marché (Japon, Etats-Unis, Canada)

3,0

8,3

5,7

6,2

Slovaquie

-

-

17,5

14,2

Ex-URSS

30,8

18,1

11,1

9,9

Europe Centrale et Orientale

18,5

5,8

5,0

5,3

Pays à économie planifiée-

6,1

1,1

U

0,7

Pays en voie de développement

7,5

5,7

5,0

5,4

Part dans les exportations (en %)

1989

1992

1993

1994

UE

26,2

52,8

42,3

45,9

AELE

8,5

10,6

8,5

10,2

Autres pays à économie de marché (Japon, Etats-Unis, Canada)

2,3

4,1

3,5

3,9

Slovaquie

-

-

21,5

16,3

Ex-URSS

30,8

8,9

6,3

6,1

Europe Centrale et Orientale

19,1

12,2

7,2

9,4

Pays à économie planifiée

4,2

1,2

2,2

0,7

Pays en voie de développement

8,9

9,9

8,5

7,4

D'autre part, un accord d'association a été conclu entre la République tchèque et l'Union européenne le 4 octobre 1993 à Luxembourg. Cet accord fait suite à l'accord du 16 décembre 1991 avec la République fédérative tchèque et slovaque. Il est entré en vigueur le 1er février 1995 et il se compose, outre un préambule, de dispositions politiques et commerciales, ainsi que de nombreuses annexes qui régissent le commerce des produits dits stratégiques (acier, textiles, produits agricoles), seuls produits partiellement soumis à des restrictions quantitatives par l'Union européenne. Il prévoit la suppression des droits de douane sur la plupart des produits tchèques et sur les autres, il fixe des taux réduits qui diminueront progressivement. La République tchèque s'engage à offrir la réciproque : mais moins rapidement, car elle accepte simplement d'accorder une tarification plus avantageuse aux pays de l'Union européenne. Cette tarification devra tendre progressivement vers la suppression des droits.

Depuis quatre ans, les échanges commerciaux de la République tchèque se caractérisent par une augmentation plus rapide des importations que des exportations. Le solde se dégrade particulièrement avec ses partenaires européens. Comme la République tchèque sera contrainte d'ouvrir entièrement ses frontières à partir du 1er janvier 1997, on peut craindre que ce déficit ne devienne structurel, même s'il est aussi le gage d'une rapide modernisation de l'appareil industriel tchèque et d'une adaptation à la consommation occidentale.

B.- LE RENFORCEMENT DES RELATIONS ÉCONOMIQUES FRANCO-TCHÈQUES

1.- Un solde excédentaire pour la France

Depuis 1993 les exportations françaises vers la République tchèque sont en progression régulière : + 60 % en 1994, + 28 % en 1995 et + 38 % en 1996. Le total des ventes en 1996 s'approcherait de 6,5 milliards de francs et c'est ainsi que la République tchèque est devenue le 33ème client de la France. En revanche, les importations en France de biens originaires de la République tchèque sont passées de 1,3 milliards de francs en 1993 à environ 2,9 milliards de francs en 1996. Cette progression modeste a cependant permis à la République tchèque de devenir le 45ème fournisseur de la France en 1996 (soit un gain de sept places par rapport à 1994).

Il résulte de cette situation un taux de couverture très favorable à la France qui correspond à un solde positif d'environ 3,3 milliards de francs sur l'ensemble de l'année 1996. Cet excédent est le quinzième dans le monde et le premier en Europe Centrale. 11 permet de réduire le déficit dû aux importations énergétiques de Russie et d'afficher un excédent net avec l'ensemble de la zone.

Pourtant, malgré la progression de ses ventes depuis 1993 sur ce marché en expansion, la France n'est que le sixième fournisseur de la République tchèque (4,2 % du marché), car le principal fournisseur demeure l'Allemagne (30 % du marché), suivie de la Slovaquie (9,7 %), de la Russie (7,3 %) grâce au gaz et au pétrole, de l'Italie (5,9 %) et de l'Autriche (5,8 %) dont la position décline depuis deux ans.

Les principaux clients de la République tchèque sont l'Allemagne (34 % des exportations tchèques), la Slovaquie (14,5 %), l'Autriche (6,5 %), la Pologne (5,5 %), l'Italie (3,3 %) et la France (2,9 %).

2.- Une répartition bien diversifiée


• Exportations françaises

Les biens d'équipement professionnel représentent le tiers de nos exportations, ce qui illustre bien l'effort de modernisation et de production entrepris par l'économie tchèque depuis 1990. Les produits intermédiaires (produits chimiques et métaux) constituent près de 20 % de nos ventes. Le secteur automobile (18 %) progresse (automobiles particulières, mais aussi pièces détachées et véhicules utilitaires, Renault ayant acquis l'entreprise de construction d'autobus Karosa).

Le secteur alimentaire représente 10 % et c'est le secteur où les investissements directs français sont les plus importants, en particulier avec Danone-Nestlé, Besnier et les Sucreries de l'Aisne. Les biens de consommation, enfin, représentent 16 % des ventes (pharmacie, parfumerie et parachimie).

Exportations françaises vers la République tchèque

(en millions de francs)

1994

1995

1996

(6 mois)

Agro-alimentaire

434

541

358

dont agriculture, sylviculture et pêche

83

121

93

industries agro-alimentaires

352

420

265

Energie

10

14

8

Industrie

3.333

4.280

2.886

dont demi-produits

876

1.074

644

biens d'équipement professionnel

1.277

1.606

1.068

électroménager, électronique grand public

75

89

44

matériel de transport terrestre

498

694

589

dont équipement automobile des ménages

278

333

252

pièces détachées, véhicules utilitaires

221

361

337

biens de consommation courante

606

816

542

Divers

2

1

-

TOTAL

3.779

4.836

3.253

Source : PEE de Prague.


• Importations françaises

Á l'importation, la répartition des achats français montre la même diversification : produits intermédiaires (chimie principalement), biens d'équipement professionnel, secteur automobile et biens de consommation courante.

Importations en France (en millions de francs)

1994

1995

1996

(6 mois)

Agro-alimentaire

65

54

30

dont agriculture, sylviculture et pêche

28

26

13

industries agro-alimentaires

37

28

16

Energie

21

14

11

Industrie

1.808

2.274

1.451

dont demi-produits

791

964

561

biens d'équipement professionnel

245

448

376

électroménager, électronique grand public

59

37

20

matériel de transport terrestre

208

348

259

dont équipement automobile des ménages

146

213

151

pièces détachées, véhicules utilitaires

62

135

108

biens de consommation courante

504

477

235

Divers

11

4

4

TOTAL

1.904

2.347

1.496

Source : PEE de Prague.


• Grands contrats d'équipement

La modernisation du parc de centrales thermiques a donné lieu à deux contrats entre CDF-CNIM-ALSTHOM et CEZ (Compagnie de production d'énergie) pour la fourniture de chaudières.

Matra a obtenu le marché du système de pilotage automatique de 110 nouvelles rames du métro de Prague et le contrat d'équipement en radiocommunication de la police tchèque (20.000 terminaux).

La rénovation et l'extension de l'aéroport de Prague ont été confiées à Bouygues associé à British Aerospace.

En juin 1995, la Générale de Chauffe et Gaz de France ont signé avec la mairie de Prague un important contrat de concession, d'équipement et de gestion du chauffage.

En 1996, la Compagnie aérienne CSA a acquis deux ATR 42.

Enfin, en février 1996, CDF Ingénierie a signé un contrat avec OKD pour la fourniture d'une unité de désulfuration du gaz de coke.

C.- LES INVESTISSEMENTS EN RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

Grâce à sa position stratégique au coeur de l'Europe, à l'excellence de ses indicateurs économiques, à la rapidité de sa transition vers l'économie de marché, au niveau élevé de formation et de qualification de la main-d'oeuvre et aux coûts de production très compétitifs, la République tchèque a attiré, entre 1990 et 1996, six milliards de dollars d'investissement direct étranger.

L'investissement étranger en République tchèque ne s'est vraiment développé qu'avec le lancement du programme de la grande privatisation. Parallèlement à l'émission de titres dans le public par la méthode des coupons, les autorités cèdent des blocs d'actions à des investisseurs étrangers. Au cours de cette première phase, les investisseurs allemands et américains se sont montrés les plus dynamiques, notamment dans l'agro-alimentaire (Pepsi-Cola), le tabac (Philip Morris) et l'automobile (acquisition de Skoda par Volkswagen).

Après le ralentissement dû à la récession de 1993, l'investissement étranger reprend en 1994-1995 avec la seconde vague de privatisation et la prise de participation à hauteur de 27 % du consortium néerlando-suisse Telsource dans l'opérateur public SPT Telecom en 1995 constitue l'investissement étranger le plus important à ce jour.

En 1996, la plus grosse opération a été celle de la prise de participation (49 %) du consortium Shell/Agip/Conoco dans le complexe pétrochimique Unipetrol.

Les investissements étrangers en République tchèque sont très concentrés : les dix premières opérations représentent plus des trois-quarts des capitaux investis dans le pays et les cinq premiers pays investisseurs détiennent 80 % de l'investissement consenti entre 1990 et 1996.

L'Allemagne arrive en tête des investisseurs étrangers, rang qui ne surprend pas vu la proximité géographique et culturelle des deux pays et les traditions déjà existantes. Il reflète également la stratégie défensive de nombreux industriels allemands soucieux de devancer la concurrence sur un marché qu'ils considèrent comme captif.

Depuis 1992, les PME allemandes et autrichiennes sont nombreuse à investir en République tchèque. Leur objectif consiste à développer la sous-traitance et à délocaliser tout ou partie de la fabrication pour tirer profit du différentiel des coûts salariaux entre les pays.

Les États-Unis se placent au deuxième rang avec près de 300 filiales. Leur stratégie est au contraire résolument offensive, car il s'agit pour eux de prendre pied sur un nouveau marché et d'y conquérir rapidement des parts.

La position de la Suisse et des Pays-Bas (3ème et 4ème) est due à l'opération Telsource qui a rejeté la France au cinquième rang avec 530 millions de dollars (9 % des investissements étrangers). Environ 220 entreprises à participation française sont implantées ; elles emploient près de 30.000 salariés et elles ont réalisé un chiffre d'affaires de plus de 7 milliards de francs en 1995. La présence française vise clairement une prise de position sur le marché national et régional.

Investissement direct étranger en Europe Centrale (en M$)

Pays

1995

1990-1995

1996-2000

Hongrie

4.400

11.200

12.968

Pologne

2.500

7.148

21.969

République tchèque

2.500

5.666

15.466

Slovaquie

200

775

2.150

Slovénie

150

501

3.052

Albanie

75

205

583

Bulgarie

150

412

1.428

Roumanie

400

933

4.017

Autres Balkans

100

300

2.210

Europe Centrale

10.475

27.140

63.847

Source : Economist Intelligence Unit.

Principaux investissements étrangers en République tchèque

Investisseur

étranger

Pays

Partenaire tchèque

Secteur

TelSource

Pays-Bas/Suisse

SPT Telecom

Télécommunications

Volkswagen

Allemagne

Skoda

Automobile

Conoco/Agip/Shell

Etats- Unis/Italie/ Pays-Bas

Unipetrol

Pétrochimie

Philip Morris

Etats- Unis

Tabak Kutna Hora

Tabac

Danone-Nestlé

France/Suisse

Cokoladovny

Agro-alimentaire

Daewoo

Corée

A via

Camions

IFC-Kaiser

Etats-Unis

Nova H ut

Acier

Glaverbel/Asahi

Belgique/Japon

Glavunion Teplice

Verre

Deutsche Telekom/Stet

Allemagne/Italie

Telekomunikacni/ Sporitelni Kapital

Télécommunications

Ling AG

Allemagne

Linde Technoplyn

Gaz

Source : Czechinvest.

La France se distingue dans l'agro-alimentaire avec Bongrain (fromages), Générale Sucrière, Sucreries de l'Aisne et Danone qui a acquis deux entreprises importantes : Cokoladovny (7.000 salariés dans la biscuiterie chocolat et producteur du célèbre biscuit tchèque « Biscoty ») en partenariat avec Nestlé et Benesov (produits laitiers) permettant ainsi au numéro 1 français de vendre ses yaourts dans la plupart des moyennes et grandes surfaces du pays. Dans l'emballage alimentaire, Péchiney a réalisé un important investissement avec Strojobal.

Viennent ensuite la construction et les travaux publics avec Ciments Français, Lafarge, Sénéchal Saint-Gobain, Jean Lefebvre, Dumez GTM, Colas, CBC et Solétanche. Dans l'immobilier, plusieurs groupes français sont associés dans le prestigieux projet de Myslbek (45.000 m2 de bureaux et de commerces dans le coeur de Prague à côté du Théâtre des États).

Les Français sont présents également dans les services urbains avec la Générale des Eaux à Prague (chauffage urbain et déchets) et à Podebrady (eau) et avec La Lyonnaise des Eaux à Brno, Ostrava et Karlovy Vary (eau).

Les biens d'équipement, et notamment l'industrie électrique et mécanique, sont représentés par Cégélec, EDF, Leroy Sommer, Poclain et Schneider, l'ingénierie par Krebs et Sofregaz.

Renault a racheté les autobus Karosa, Metacco a racheté le fabricant de remorques BSS et plusieurs équipementiers (Bertrand Faure, Lucas France, Valeo) se sont installés en République tchèque par des prises de participation.

France Télécom, qui n'a pas eu le marché de l'opérateur, est associé à une société de messageries.

La BNP, la Société Générale et le Crédit Lyonnais ont créé des filiales et le CCF a pris une participation dans la sixième banque tchèque. Les services aux entreprises (Ecolinge) et aux collectivités (Eurest, Sodexho) ainsi que de nombreux cabinets de conseil et d'audit se sont implantés.

Toutefois, certains secteurs ont été jusqu'ici délaissés par les investisseurs français, parmi lesquels la grande distribution (échec d'Auchan), l'assurance et le tourisme. Il reste encore, de toute façon, de nombreuses opportunités d'investissement liées en partie à la fin des privatisations (14 milliards de dollars, une cinquantaine d'entreprises dites stratégiques).

Tout d'abord, le pays a besoin de poursuivre la modernisation de ses infrastructures. D'autre part, les fonds d'investissement seront amenés à revendre leurs participations ou à ouvrir leur capital à des investisseurs privés.

Plusieurs secteurs retiendront l'attention des industriels et des investisseurs français :

- les sociétés régionales de distribution de gaz et d'électricité ;

- la rénovation de la dépollution des centrales thermiques ;

- la cogénération (production de chaleur par gaz ou charbon) ;

- le nucléaire (mise aux normes des centrales et maintenance - stockage des déchets) ;

- la protection de l'environnement (la République tchèque est, avec l'ancienne Allemagne de l'Est, le pays le plus pollué de la région) ;

- la rénovation des logements sociaux ;

- la rénovation du réseau ferré (Prague est un carrefour qui devrait retrouver son rôle d'avant 1948) ;

- le secteur de la brasserie ;

- le secteur bancaire (grâce aux prochaine privatisations de banques dotées d'excellents réseaux de guichets).

Mais lorsqu'on évoque devant certains entrepreneurs français leur attitude en République tchèque, ils s'empressent d'imputer leur prudence à la lenteur du processus de négociation, à l'imprécision du calendrier fixé par le Gouvernement tchèque et au manque de visibilité sur la rentabilité.

Ainsi, EDF s'est refusé encore aujourd'hui à prendre une participation de 100 millions de francs (6 % de la société) dans VCE, société de distribution de l'électricité de Bohême de l'Est. En effet, bien que de l'avis des diplomates français, cette prise de participation puisse être un signe d'intérêt préparant une acquisition majoritaire lors de la privatisation complète de la société, EDF estime que cela est trop cher payer une participation minoritaire (l'action est proposée par le Fonds d'investissement à 3.000 Kc alors qu'elle se négocie à 1.800 à la Bourse). EDF considère qu'on ne saurait s'engager quand on ignore quels seront les prix de fourniture et les prix de vente au public sur les dix années qui viennent. Or, le Gouvernement tchèque, sur ce point, hésite à concrétiser ses orientations et ne propose, bien sûr, aucun calendrier de hausse des tarifs électriques. De plus, EDF avance, à juste titre, qu'il est prudent d'attendre une loi sur l'électricité qui définira clairement les tâches entre producteurs, transporteurs et distributeurs. Aujourd'hui, une participation minoritaire reviendrait à se remettre aveuglément entre les mains de distributeur VCE et du producteur CEZ qui dispose d'un monopole. Cet exemple illustre la difficulté des privatisations des entreprises les plus sensibles.

Le secteur aéronautique peut susciter des commentaires du même ordre, compte tenu de la confusion entretenue entre l'ouverture du capital d'Aero-Vodochody (appel d'offres en cours) et d'éventuelles fournitures d'avions à l'armée tchèque. Mais une grande vigilance est indispensable, car le contexte peut se clarifier à court terme et les intervenants européens ou américains sont tous à l'affût...

CHAPITRE V : LA CULTURE FRANÇAISE EN RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

Chacun se souvient des liens privilégiés qui unissaient la France et la Tchécoslovaquie au lendemain de la Première guerre mondiale, d'autant que la jeune République devait son existence à la fermeté de Clemenceau en particulier et au soutien français en général. Ces liens furent rompus d'une manière tragique après les Accords de Munich quand les Tchèques, se sentant trahis, se détournèrent de la France pour la plus grande satisfaction de l'occupant allemand (qui, symboliquement, fera déboulonner de la Place de Mala Strana la statue d'Ernest Denis, pionnier de l'entente franco-tchèque).

Cet éloignement que la déception de Munich et la propagande allemande avaient provoqué allait devenir définitif sous le régime communiste qui imposa une collaboration culturelle exclusivement soviétique. Le français cessa alors d'être la première langue étrangère au profit de la langue russe.

Au lendemain de la Révolution de velours tout était donc à faire pour rétablir des relations normales entre nos deux pays. La France et le français gardaient cependant comme avantage de rester associés dans l'esprit des Tchèques à la nostalgie de cet âge d'or qu'avait été la 1ère République. Tous les témoins français de cette époque rapportent que Prague connaissait alors un climat de francophilie absolue et de grande francophonie. Les Tchèques se considéraient redevables de leur liberté et de leur indépendance à la France. Il y avait une sorte de culte français. Ces souvenirs placent très haut la barre pour ceux qui, maintenant, ont la tâche de rétablir ces relations culturelles en diffusant l'enseignement de notre langue tout en offrant la plus haute image de notre culture et tout en dispensant notre coopération scientifique et technique. Pour ce faire, les moyens ne manquent pas : la France possède à Prague un remarquable outil dans l'Institut français et les services culturels disposent d'un budget conséquent d'une quarantaine de millions de francs.

A.- LA COOPÉRATION CULTURELLE, SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE ENTRE LA FRANCE ET LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

Il est de l'intérêt bien compris de la France de permettre à nos partenaires, à travers notre coopération scientifique et technique, de se familiariser avec nos méthodes de travail et de gestion et d'encourager des contacts entre administrations homologues (collectivités locales, magistrature, police, administration fiscale, santé publique, fonctionnaires parlementaires à l'occasion de la création d'une deuxième Chambre). Cela est d'autant plus vrai dans un pays qui renoue avec la démocratie après cinquante ans de totalitarisme et qui cherche des modèles pratiques facilement adaptables.

Dans le domaine de la recherche appliquée, près d'une cinquantaine d'accords de recherche ont été signés à ce jour dans des domaines « cibles » comme l'environnement (programme « Prague, ville propre », programme d'Ostrava), l'énergie nucléaire (centrale de Temelin), les reconversions industrielles (au premier chef, celle de la région d'Ostrava - mise en place d'une agence régionale de développement), les technologies de pointe (aéronautique, CNES, télécommunications).

La formation aussi bien préalable que permanente est le deuxième axe privilégié et tout particulièrement l'enseignement de la langue française. Cette action linguistique, centrée sur le français des affaires vise les actuels et futurs décideurs de la République tchèque ; elle passe par différents canaux, aussi bien par le traditionnel réseau de coopération linguistique et éducative (CCLE) que par les relais institutionnels tels l'Institut français de Prague (mille étudiants) et les alliances françaises.

Le Centre de coopération linguistique et éducative (CCLE) est chargé de la promotion d'un enseignement de qualité du français dans le système éducatif local. Pour ce faire, il soutient les départements universitaires qui forment des professeurs de français par un conseil sur l'organisation des cursus, des dotations en manuels ou même par un enseignement direct. Il assure aussi la formation continue des enseignants en exercice. Il attribue des bourses de stage en France aux enseignants, interprètes et traducteurs. Il organise des cours de français dans ses centres et dans les entreprises. Il développe les sections bilingues dans les écoles et les lycées.

Depuis 1990, quatre sections bilingues accueillant 700 élèves ont été ouvertes dans des lycées à Prague, Brno, Olomouc et Tabor et deux sections tchèques ont été reconstituées en France à Nîmes et à Dijon.

La réouverture de ces deux sections tchèques marque de manière symbolique la restauration de nos relations privilégiées avec la République tchèque. En effet, la section tchèque du Lycée Carnot de Dijon date de 1920. Elle fut créée à la suite d'une convention franco-tchécoslovaque du 24 octobre 1920 qui prévoyait qu'une trentaine de jeunes Tchèques et Slovaques viendraient suivre leurs études à Dijon pour y préparer le baccalauréat (deux autres lycées recevaient également déjeunes Tchèques : Nîmes et Saint-Germain en Laye).

On ne mesurera jamais exactement ce que cette convention a fait pour l'image et l'influence de la France. Pendant près de cinquante ans, Dijon a formé une partie des élites tchèques et en a fait des francophones et des francophiles. Cette coopération a été brutalement interrompue en 1973 lors de la normalisation sous la pression soviétique qui interdit alors tout développement linguistique culturel et éducatif avec la France.

Il a fallu attendre la rentrée 1990 pour pouvoir accueillir à nouveau une dizaine d'élèves Tchèques. Ils sont aujourd'hui au nombre de trente à Dijon. Outre les disciplines inscrites au programme, les élèves tchèques reçoivent par les soins du lecteur tchèque en poste à l'université de Bourgogne, un enseignement sur la langue et l'histoire de la République tchèque. Tous les frais liés à leur scolarité sont pris en charge à 50 % par l'État (ministère des Affaires étrangères) et à 50 % par les collectivités locales (Conseil régional, Conseil général, Ville de Dijon).

Grâce à tous ces efforts conjugués, le français progresse : 9 % des lycéens tchèques l'apprennent aujourd'hui (contre 4,5 % en 1989).

Il convient aussi de mentionner le succès de l'Institut franco-tchèque de gestion (IFTG) fondé en 1990 qui assure des formations à la gestion des personnels tchèques d'entreprises françaises déjà implantées et d'entreprises locales désireuses de travailler avec la France. Après deux années de fonctionnement, l'IFTG était déjà capable de s'autofinancer.

Enfin il appartient au Service culturel, scientifique et de coopération de veiller à la promotion de l'image de la France. Les médias constituent le premier relais grâce à la fourniture de programmes ou à des coproductions (CT3 diffuse régulièrement une sélections de programmes français). Des canaux francophones se sont développés : La Sept, TV5, MCM. D'autre part, l'Institut français de Prague pratique une riche politique artistique et culturelle et il édite une revue bilingue diffusée à 20.000 exemplaires.

B.- L'INSTITUT FRANÇAIS DE PRAGUE

La France possède depuis 1930 un beau bâtiment construit pour abriter l'Institut français de Prague, lui-même né en 1920. L'histoire de cet Institut très élégamment rénové à partir de 1990 se confond avec celles des relations culturelles franco-tchèques : excellentes et brillantes jusqu'en 1938, moribondes et clandestines de 1939 à 1945, sous haute surveillance de 1948 à 1989. Le pouvoir communiste ferma l'Institut en 1951 jusqu'en 1965, mais même après la réouverture timide de 1965, l'Institut fut constamment surveillé et censuré. L'Institut revit depuis 1990 ; il a été réinauguré solennellement et symboliquement le 9 décembre 1993 par les Présidents des deux Républiques réconciliées.

L'Institut où ont enseigné Hubert Beuve-Méry et Vladimir Jankelevitch a une longue et brillante tradition universitaire. Aujourd'hui il rassemble 1.000 étudiants par session ; il organise quatre-vingts manifestations artistiques et culturelles par an.

On peut dire que l'Institut français de Prague est d'abord une adresse bien connue des Tchèques : « Stepanska 35 », adresse qui sert de nom à sa revue trimestrielle bilingue. Cette revue culturelle traitant des échanges franco-tchèques tient également lieu de programme de l'Institut et elle rend compte de l'ensemble des activités artistiques et intellectuelles en République tchèque.

L'avantage de notre Institut à Prague est de disposer d'un bâtiment accueillant et spacieux comprenant une galerie d'exposition, un café, un cinéma de 300 places, une bibliothèque-médiathèque et un service de cours.

L'Institut français assure la préparation aux diplômes professionnels sanctionnés par la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris dans deux secteurs prioritaires : le français commercial et économique et le français du tourisme et de l'hôtellerie.

L'Institut français de Prague riche d'un passé glorieux ne retrouvera tout son rayonnement qu'avec le retour à une plus grande diffusion de la francophonie dans les nouvelles générations tchèques. Même s'il est irréaliste d'espérer retrouver le Prague francophone et francophile des années 1930, et même si l'anglais et l'allemand nous font une rude concurrence, le développement des relations économiques entre nos deux pays et l'installation de nombreux Français à Prague, ambassadeurs d'un mode de vie apprécié, permettent de penser que le français ne restera pas longtemps une langue secondaire.

C.- L'ÉCOLE FRANÇAISE DE PRAGUE

L'École française de Prague a été créée en 1949. Sa vocation a toujours été d'accueillir des élèves français, tchèques ou étrangers désireux de suivre des études primaires et secondaires en langue française. L'École est gérée par les parents d'élèves et elle a signé une convention avec l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).

Á la suite de la Révolution de velours et plus particulièrement à partir de 1992, les sociétés françaises et étrangères nouvellement implantées à Prague ont amené l'École française à scolariser un plus grand nombre d'enfants et la nouvelle bourgeoisie pragoise y a ajouté son contingent. Les effectifs sont passés de 170 en 1991 à 356 en 1997.

Au problème du gonflement des effectifs s'est ajouté en 1992 la nécessité pour l'École de quitter les locaux de l'Institut français qui l'hébergeait gracieusement, et qui allait être entièrement restauré. Depuis cette date, l'École loue des locaux dans l'École russe (dont les effectifs ont diminué brutalement). Le manque de place et la cherté du loyer appelaient d'urgence une nouvelle solution. C'est pourquoi les parents d'élèves se sont lancés dans un projet ambitieux et remarquable.

Ce projet immobilier a consisté en l'achat, pour 18 millions de francs, d'un beau bâtiment du XIXème siècle situé à Smichov (quartier central de Prague). Pour ce faire, l'Association des parents d'élèves s'est endettée à hauteur de 12 millions de francs et elle a reçu également une importante participation financière de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (6 millions de francs). Ce bâtiment sera restauré et agrandi pour un coût de 36 millions (dont 22 seraient couverts par l'État). Á la fin des opérations, l'École de Prague disposera de locaux dignes d'un véritable « Lycée de Prague ».

CHAPITRE VI - LA PERSPECTIVE D'UNE PROCHAINE ADHÉSION EURO-ATLANTIQUE

La République tchèque vient de signer avec son voisin allemand une déclaration qui met fin au contentieux germano-tchèque sur l'expulsion des Sudètes et sur les dommages de l'occupation nationale-socialiste. Elle s'écarte ainsi de l'un des principaux écueils diplomatiques qui pouvaient encore la gêner sur sa route vers l'intégration euro-atlantique. Il lui restera sans doute à apaiser les craintes de l'Autriche dans le domaine de l'environnement (et plus particulièrement dans celui de la pollution nucléaire), mais pour ce faire du temps est nécessaire et chaque partie comprend que la transition vers une plus grande sûreté et une plus grande propreté ne peut être que progressive. Enfin rappelons que les Tchèques n'ont pas de problèmes de minorités et qu'ils avaient été fort irrités par le zèle de notre diplomatie à vouloir les lier au sein du Pacte de Stabilité.

Á bien des titres donc, la République tchèque est un des pays les mieux placés pour intégrer très vite l'Union européenne et l'OTAN. D'ailleurs, à l'heure actuelle, elle appartient déjà au concert européen, grâce à son siège de membre associé à l'UEO (Union de l'Europe Occidentale), à son rôle actif au sein de la CSCE (Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe), à son entrée au Conseil de l'Europe et à l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) et grâce, enfin et surtout, à son accord d'association avec l'Union européenne.

Curieusement pourtant, de tous les pays candidats à l'Union européenne, la République tchèque est celui qui affiche la plus grande patience, voire même une certaine indifférence à l'égard du calendrier. Il est permis de dire que la République tchèque est une candidate discrète à l'Union européenne et légèrement plus pressante à l'OTAN, tant il est clair pour elle que ce retour en Europe n'est que simple justice : il est dans l'ordre des choses. C'est pourquoi la République tchèque se refuse à le demander expressément. Malgré tout, la République tchèque ne manque pas d'amener ses futurs partenaires à rappeler eux-mêmes qu'ils n'oublient pas sa candidature et c'est ainsi que dans la déclaration germano-tchèque, il est fait mention que la République tchèque « est consciente que la République Fédérale Allemande soutient l'entrée de la République tchèque dans l'Union européenne et dans l'OTAN, convaincue qu'elle est que ce sera pour le bien commun ».

Cette placidité qui tranche avec l'empressement non dissimulé des Polonais et des Hongrois et l'ardeur des Roumains n'est cependant pas exempte d'ambiguïtés ni de malentendus.

A.- LES MALENTENDUS DE L'ÉLARGISSEMENT DE L'OTAN

C'est bien entendu l'histoire du XXème siècle et les blessures qu'elle a laissées sur le peuple tchèque qui déterminent en grande partie l'attitude de ses gouvernants face à l'OTAN. Les Tchèques ont le désir bien naturel de se mettre sous le parapluie de l'alliance pour se garantir définitivement de tout dérapage expansionniste de la Russie. De l'autre côté, c'est-à-dire du côté européen, on conçoit l'élargissement comme une européanisation de l'OTAN (qui deviendrait peut-être le pilier militaire de l'Union européenne). Du côté américain, on mesure les enjeux pratiques de cette expansion et plus particulièrement de l'entrée de la République tchèque.

D'autre part, si politiquement la République tchèque fait partie des pays les mieux placés, plusieurs obstacles concrets restent cependant à surmonter. L'armée tchèque compte 70.000 soldats dont 20.000 officiers (parmi lesquels 189 généraux !). Ces chiffres sont trop importants et les soldats du rang étant presque tous des conscrits, on est loin de l'armée de métier souhaitée par l'OTAN.

Le second problème est d'ordre budgétaire. Une armée de métier même réduite coûtera cher et ne saurait être une priorité avant 2010, selon Prague. La modernisation des équipements dans le respect des critères de l'OTAN risque également de dépasser les moyens budgétaires de la République tchèque (le budget de la Défense est actuellement plafonné à 2,5 % du PIB et ne permet pas encore à la République tchèque de remplacer son matériel soviétique par du matériel occidental).

En outre, la République tchèque doit affronter en France un lobby anti-élargissement composé de ceux qui veulent ménager la Russie et feignent de craindre pour elle un isolement trop grand aux conséquences dangereuses, et de ceux hostiles aux États-Unis qui considèrent que les États-Unis se servent de l'OTAN comme d'un outil diplomatique pour maintenir leur influence sur le continent, sans lui offrir vraiment de garanties.

Face à l'ensemble de ces malentendus, notre diplomatie a opté pour une longue réflexion donnant la primauté à la rénovation de l'alliance sur son élargissement toujours évoqué dans son principe, jamais discuté dans ses modalités. 1997 devrait amener la France à se prononcer clairement et définitivement.

B.- L'ENTRÉE DANS L'UNION EUROPÉENNE

1.- Enjeux économiques

La proximité géographique de la République tchèque et la réorientation récente de ses échanges vers l'Europe de l'Ouest en font un partenaire commercial privilégié pour l'Union européenne, en termes de débouchés et d'approvisionnements. Par ailleurs, les faibles coûts salariaux sont des facteurs d'attraction pour les investisseurs européens, mais constituent en même temps la base d'une concurrence forte pour les secteurs occidentaux intenses en main-d'oeuvre.

En effet la concurrence de la République tchèque s'exercera d'abord dans le domaine salarial, car elle bénéficie de l'avantage comparatif qui lui procure une main-d'oeuvre abondante, qualifiée et bon marché. Il en est déjà résulté, dans certains secteurs, un développement rapide des contrats de sous-traitance et du travail à façon pour le compte d'entreprises occidentales. Le salaire moyen est de 9.000 couronnes (soit 1.800 francs). La main-d'oeuvre, d'autre part, est beaucoup plus qualifiée que dans certains pays déjà membres de l'Union européenne comme le Portugal.

D'autre part, le nouveau cadre juridique et réglementaire a créé un climat très favorable : les acquisitions sont aisées, le rapatriement des bénéfices facile, le droit du travail plus souple qu'en France. Il est clair que l'ouverture réciproque des marchés accélèrera les ajustements économiques et sectoriels dans l'Union européenne et que la République tchèque y contribuera majoritairement. Mais si son adhésion ne semble pas devoir poser de problème macroéconomique insurmontable, elle soulèvera inévitablement des difficultés sectorielles.

Il est d'usage de faire allusion à l'agriculture, mais il convient de rappeler que la République tchèque, sur ce chapitre, ne devrait pas rencontrer de problème majeur, car c'est un secteur qui n'est pas vital pour le pays. En effet, la République tchèque possède surtout une forte tradition industrielle et le secteur agricole ne représente que 11 % du PIB. Elle est déficitaire dans ses échanges agro-alimentaires. Elle importe principalement des fruits et des légumes, des boissons, des aliments du bétail, du sucre et des produits à base de céréales. Elle exporte de la viande, des produits laitiers, de l'orge, du malt et de la bière. D'autre part, la population rurale est faible (25 %) et la collectivisation quasi-intégrale a fait prévaloir les grandes exploitations qui n'ont pas été démantelées à la suite des restitutions puisque celles-ci se sont faites en général sous la forme de parts sociales. La population agricole représente environ 10 % de la population active. On mesure donc que la menace potentielle pour la Politique Agricole Commune est assez faible comparée à celle que pourraient représenter les agricultures hongroise et surtout polonaise.

C'est dans les secteurs à fort contenu en main-d'oeuvre que le risque est grand : textile, habillement, chaussures, meubles, verreries, porcelaines, productions minières, mais aussi dans la production à forte intensité capitalistique : chimie de base et sidérurgie.

Toutefois, quoiqu'il en soit des difficultés d'adaptation, tous les experts s'accordent à dire que la période de rattrapage pourrait ne durer que dix ans.

Il convient de rappeler que tous les sujets spécifiques relatifs à la candidature de la République tchèque seront traités à compter de 1998 dans le cadre d'une négociation bilatérale avec la Commission européenne à l'initiative de celle-ci. La France devra y être particulièrement attentive et veiller à la défense de ses intérêts.

2.- Enjeux politiques

Les enjeux politiques sont sans doute plus importants et de nature à avoir des conséquences d'une plus longue durée que les enjeux économiques.

La première conséquence de l'entrée de la République tchèque dans l'Union européenne est d'ordre interne et relève de la psychologie des peuples. Comment un pays qui a si récemment accédé de nouveau à l'indépendance et à la pleine souveraineté nationale, s'accommodera-t-il des nécessaires limitations imposées à cette souveraineté au sein d'une Europe dont les modes de décision feront sans doute une large place à la règle majoritaire quand il y accèdera ?

Le deuxième enjeu politique est lié à la philosophie de l'actuel Gouvernement tchèque qui se place, comme l'Angleterre thatcherienne, dans le camp des Euroréalistes, et dont le libéralisme s'oppose apparemment à la politique de redistribution pratiquée par Bruxelles. Les discours de Vaclav Klaus sont d'ailleurs régulièrement émaillés de remarques sévères à l'égard de la technocratie européenne. Sur ce point, on se référera au contraste existant entre les propos publics et la conduite effective de la politique économique tchèque, dont plusieurs exemples ont été donnés ici et on n'exagèrera donc pas les éventuelles inquiétudes.

Le troisième enjeu est d'ordre régional. Un pays placé à l'intersection des mondes germanique et slave est voué par nécessité à la régionalisation et avec le démantèlement du rideau de fer, les vieilles traditions tchéco-allemandes et tchéco-autrichiennes devraient être rétablies et des axes Prague-Dresde et Ostrava-Cracovie, Brno-Vienne ou Brno-Bratislava ne manqueront pas de se reconstituer. L'intégration européenne ne fera que renforcer cette tendance à une organisation régionale de fait. Or, jusqu'à présent, le Gouvernement tchèque n'a pas considéré que l'organisation des collectivités locales fût une priorité. C'est oublier que les démocraties membres de l'Union européenne n'ont pas seulement appliqué les principes démocratiques à la gestion générale de l'État mais aussi à l'échelon local par le relais des collectivités, assurant ainsi la souplesse nécessaire à une bonne adaptation à l'Europe des régions. Mais le temps facilitera assurément les évolutions envisageables et mieux vaut en ce domaine aussi relativiser les oppositions de doctrine.

Ce n'est pas faire preuve d'un optimisme trop grand que de déclarer que l'entrée de la République tchèque dans l'Union européenne sera bénéfique pour le futur concert des nations européennes et que les avantages que tous en tireront balayeront les inquiétudes qui naissent naturellement à l'approche de tout changement. Les Tchèques sont un peuple libre d'esprit, entreprenant et réaliste qui ne pourra pas se contenter de ses relations régionales. Il aspire naturellement à prendre toute sa place en Europe et nous ne pouvons que nous réjouir à l'idée qu'il y apporte, avec la promesse de performances plus remarquables encore que celles qu'il vient d'accomplir, les grandes qualités d'un peuple décidé à réussir.

CONCLUSION

Malgré quelques secteurs, que l'urgence de la situation a fait négliger, comme l'environnement et la santé, la République tchèque est passée avec efficacité et succès d'une économie planifiée au service du Comecon à une économie de marché résolument tournée vers l'Europe. Ce faisant, le Gouvernement, que ses détracteurs critiquent pour son peu d'intérêt pour la politique sociale, a pourtant su tempérer son libéralisme d'un pragmatisme où les considérations sociales n'étaient pas absentes et il a su se concilier un soutien populaire dans des opérations aussi difficiles que celle des privatisations. En ce qui concerne la politique économique, on peut affirmer avec lui que la transition est achevée, à l'exception importante de l'organisation des marchés financiers.

Il est clair cependant que cette économie est encore en mutation mais, malgré le scepticisme de certains observateurs, les changements structurels avancent à un rythme plus rapide que dans les autres pays de la région et les critères de Maastricht sont d'ores et déjà respectés en termes de solde des finances publiques, d'endettement de l'État et de stabilité externe de la monnaie.

La seule question que l'on puisse encore se poser concerne la durée nécessaire pour rattraper les niveaux de revenus et les niveaux de vie des pays de l'Union européenne ; ce temps de rattrapage peut-il être fixé à une dizaine ou une vingtaine d'années ? Il semblerait que les résultats macro-économiques récents soient assez satisfaisants pour entretenir l'optimisme : chômage réduit, inflation maîtrisée, croissance soutenue, vigueur de l'épargne et de l'investissement. A cela il faut ajouter l'influence bénéfique du voisin allemand et la proximité de marchés prospères.

Le succès de la République tchèque, sept ans seulement après le changement de régime, doit aussi quelque chose à l'absence de conflit politique grave pendant cette période et à la maturité politique et à la modération naturelle des Tchèques. Le nouveau régime est suffisamment stable et légitime pour avoir dissuadé les électeurs d'opter pour l'alternance. Quand bien même ils le feraient, ce ne serait pas un retour en arrière au profit de l'ancien parti totalitaire puisque la République tchèque est au fond la seule démocratie nouvelle où l'alternance ne soit pas incarnée par les anciens communistes.

Ce succès est aussi à mettre au crédit des traditions tchèques et à celui d'une population active, souple et qualifiée et surtout il repose sur une volonté, qui est celle de toute la nation, de s'en sortir. Aujourd'hui les sondages montrent que les Tchèques ont confiance en l'avenir et qu'ils sont fiers des résultats de leur pays.

La République tchèque dispose donc de tous les atouts nécessaires à une pleine réussite au sein de l'Union européenne. Sa vocation naturelle est européenne et que ce soit par le coeur ou par la raison, il faut souhaiter qu'elle la suive.

CARTE DE LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

CHRONOLOGIE SUCCINCTE

VIIè siècle : début légendaire de la dynastie des Premyslides

863 : mission de Saint-Cyrille et Saint-Méthode

880 : baptême par Saint-Méthode du duc tchèque Borijov

935 : assassinat du roi Vaclav (Saint-Wenceslas)

1002 : la Bohême entre dans le Saint-Empire Romain Germanique

1212 : le roi de Bohême devient l'un des sept électeurs de l'Empereur

XIIIè siècle : arrivée de colons allemands en Bohême

1346 : Charles de Luxembourg, Empereur

1415 : mort sur le bûcher de Jean Hus

1526 : Ferdinand de Habsbourg monte sur le trône de Bohême

1618 : début de la Guerre de Trente Ans

1620 : bataille de la Montagne Blanche

1620-1918 : monarchie habsbourgeoise

28 octobre 1918 : création de la Tchécoslovaquie - Première République

1938 : accords de Munich

1945 : libération du territoire

Février 1948 : coup d'État communiste en Tchécoslovaquie

1968 : Printemps de Prague réprimé par l'Armée soviétique

1968-1989 : occupation soviétique

Novembre 1989 : Révolution de velours et élection à la Président de la République du dissident Vaclav Havel

1990

8-9 juin : premières élections libres depuis 1946 et triomphe du Forum civique

septembre : annonce de la privatisation par coupons

la Tchécoslovaquie rejoint le FMI

octobre : vote de la petite privatisation

1991

février : le Forum civique éclate en deux parties distinctes

vote de la loi sur la grande privatisation

avril : création de l'ODS de Vaclav Klaus et de l'OH de Jan Dienstbier

mai : le Président Havel s'oppose à la publication des noms des anciens membres de la police secrète

juin : le départ des troupes soviétiques s'achève

juillet : protocole de démantèlement du Pacte de Varsovie

1992

5-6 juin : élections législatives - Victoire de l'ODS

Vaclav Klaus est nommé Premier ministre

27-29 octobre : disparition de la République Fédérative Tchéco-Slovaque prévue pour le 31 décembre 1992

15 novembre : la future République tchèque est admise dans la CSCE à compter du 1er janvier 1993

16 décembre : adoption de la nouvelle Constitution tchèque

1993

janvier : Vaclav Havel est élu Président de la nouvelle République

résultats de la première vague de privatisations :

5.200.000 actionnaires

277.700.000 actions vendues

entrée à l'ONU

mai : création d'un groupe de travail en vue d'établir un dialogue avec les Sudètes

septembre : la polémique se poursuit sur la restitution des biens de l'Église

octobre : début de la deuxième vague de privatisation

Vaclav Havel prononce un discours au sommet du Conseil de l'Europe à Vienne

1994

janvier : la République tchèque dépose sa candidature à l'OCDE

mars : la République tchèque adhère au Partenariat pour la Paix

mai : le Gouvernement tchèque annonce le remboursement par anticipation d'un prêt du FMI de 430 millions de dollars

juin : Vaclav Klaus annonce une hausse du PIB de 3,5 %

septembre : entretiens à Paris entre Edouard Balladur et Vaclav Klaus au sujet de l'entrée de la République tchèque dans l'Union européenne

1995

juin : le projet de réforme territoriale est rejeté par les députés

novembre : la République tchèque devient le 26ème membre de l'OCDE

décembre : le Premier ministre annonce qu'il remettra la demande officielle d'adhésion à l'Union européenne en janvier 1996

1996

mai-juin : élections législatives

recul de la coalition gouvernementale qui conserve cependant le pouvoir

Vaclav Klaus reconduit à la tête du Gouvernement

novembre : premières élections sénatoriales, remportées par la coalition gouvernementale

1997

janvier : signature de la déclaration germano-tchèque

( avril : voyage d'État du Président de la République Jacques Chirac à Prague)

SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES

- E. Lhomel et T. Schreiber - L'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE - La Documentation française, 1991

- E. Lhomel et T. Schreiber - L'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE - La Documentation française, 1992

- E. Lhomel et T. Schreiber - L'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE - La Documentation française, 1993

- E. Lhomel et T. Schreiber - L'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE - La Documentation française, 1995

- E . Lhomel - TRANSITIONS ÉCONOMIQUES À L'EST - La Documentation française, 1995

- E. Lhomel et T. Schreiber - L'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE - La Documentation française, 1996

- Kees Zijlstra - LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE : UN CAS DE FIGURE - Assemblée de l'Atlantique-Nord, 1995

- UN MARCHÉ : LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE - Les Éditions du CFCE, 1993

- LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE - OCDE, 1996

- S'IMPLANTER EN RÉPUBLIQUE TCHÈQUE - DREE, 1996

- Jacques Golliet - L'ÉLARGISSEMENT À L'EST DE L'UNION EUROPÉENNE : QUELLES PERSPECTIVES ? - Rapport du Sénat n° 567, 1993-1994

- Denis Badré - UNION EUROPÉENNE : LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES ET BUDGÉTAIRES DE L'ÉLARGISSEMENT À L'EST - Rapport du Sénat n° 228, 1995-1996

- Xavier de Villepin - LA RÉNOVATION DE L'ALLIANCE ATLANTIQUE ET LE DÉVELOPPEMENT DE L'UNION DE L'EUROPE OCCIDENTALE - Rapport du Sénat n° 257, 1994-1995

- ÉTUDE DU MARCHÉ DU TRAVAIL DANS LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE - OCDE, 1995

- EXAMEN DES POLITIQUES AGRICOLES : RÉPUBLIQUE TCHÈQUE - OCDE, 1995

- CONSTITUTIONS D'EUROPE CENTRALE, ORIENTALE ET BALTE - La Documentation française, 1996

- STRUCTURE ET FONCTIONNEMENT DE LA DÉMOCRATIE LOCALE : RÉPUBLIQUE TCHÈQUE - Conseil de l'Europe, 1994

- Jean Cluzel - L'AUDIOVISUEL EN EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE - LGDJ, 1996

- UNE HISTOIRE DE L'INSTITUT FRANÇAIS DE PRAGUE - Les Cahiers de la Stepanska, 1993

PROGRAMME DE LA MISSION À PRAGUE
DES 3 ET 4 FÉVRIER 1997

Lundi 3 février 1997

09 h 10 : Arrivée à Ruzyne

10 h 15 : Départ de l'Ambassade avec M. l'Ambassadeur

10 h 30 : M. Richard SALZMAN, président de la Komercni Banka, sénateur

11 h 30 : M. Jiri FRANC, secrétaire général de la Bourse de Prague

12 h 30 : M. Ondrej CERNY, Directeur de l'Institut National du Théâtre

13 h 00 : Déjeuner de travail à la Résidence

14 h 45 : Départ avec M. l'Ambassadeur

15 h 00 : M. Ivan KOCARNIK, ministre des Finances

17 h 00 : Réunion au PEE avec le conseiller commercial et les hommes d'affaires français établis à Prague

18 h 30 : Rencontre à la Résidence avec des représentants de l'UFE et de l'ADFE

20 h 00 : Dîner à la Résidence avec les représentants des principales banques tchèques et étrangères à Prague

Mardi 4 février 1997

8 h 45 : Départ de la Résidence

09 h 00 : M. Jiri POSPISIL, vice-président du groupe ODS du Sénat

09 h 30 : M. Jaroslav JURECKA (ODS), président de la Commission de l'Economie, de l'Agriculture et des Transports du Sénat

10 h 30 : Mme Libuse BENESOVA (ODS), président de la Commission de l'Aménagement du territoire, de l'Organisation territoriale et de l'Environnement du Sénat

11 h 45 : Déjeuner avec les sénateurs suivants :

- M. Ludek ZAHRADNICEK (ODS)

- M. Vitezslav MATUSKA (CSSD)

- M. Oldrich DOCEKAL (KDU-CSL)

- M. Jitka SEITLOVA (ODA)

14 h 05 : M. Petr PITHART, président du Sénat

14 h 30 : Mme Jaroslav MOSEROVA (ODA), vice-présidente du Sénat, en charge des Relations internationales

15 h 00 : M. Frantisek VIZEK (CSSD), président de la Commission des Pétitions, des Droits de l'homme, des Sciences, de l'Education et de la Culture du Sénat

16 h 00 : Visite à la chambre des députés et entretien avec M. Jaromir KALUS, Président du Groupe interparlementaire République Tchèque-France

17 h 00 : Conférence de presse

20 h 35 : Départ pour Paris

* 1 Johannes Urzidil (1896-1970) dans le Tryptique de Prague (Édition Desjonquères), chantre de la Prague cosmopolitique et germanophone des débuts de la 1ère République.

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