CHAPITRE III
UN PAYS EXSANGUE À LA RECHERCHE D'UNE NOUVELLE
LÉGITIMITÉ
Après s'être lui-même mis au ban de la
communauté internationale en parvenant illégalement au pouvoir,
puis en soutenant les organisations terroristes, le régime soudanais
affiche désormais sa volonté de reconquérir une
honorabilité. Ainsi, après avoir durci la politique d'immigration
à l'encontre des mouvements terroristes qui cherchaient refuge sur son
territoire, il cherche désormais à donner des gages de
démocratie et multiplie les démarches en faveur de la paix. Une
telle évolution n'est certainement pas sans lien avec la reprise des
combats dans le Sud et l'Est du pays qui fragilise les positions de
l'armée soudanaise. Elle résulte également de
l'extrême dénuement du pays qui alimente un fort
mécontentement parmi la population. Nombreux sont les étudiants
qui déclarent ainsi vouloir émigrer.
En conséquence, s'il convient de se féliciter des efforts
consentis, il faut également rester vigilant et attentif aux signes de
concrétisation d'une telle volonté.
I. UN RÉGIME A LA RECHERCHE D'UNE NOUVELLE LÉGITIMITÉ
Quelles
que soient ses motivations, on ne peut occulter les gestes significatifs
consentis par le régime de Khartoum dans le sens des exigences
occidentales. Deux faits méritent ainsi d'être
considérés avec optimisme : la promulgation d'une nouvelle
Constitution, et la reprise des négociations de paix.
En l'absence de progrès démocratiques réels et
d'avancées notables dans le processus de paix, il convient toutefois de
rester vigilant.
A. DES CONCESSIONS POUR L'INSTANT PLUS SYMBOLIQUES QUE RÉELLES
1. Le simulacre démocratique de 1996
Conformément au calendrier établi, la
Conférence nationale a été élue le premier
trimestre 1995, le Parlement national en mars 1996 et le président de la
République, le général Omar el-Béchir, au suffrage
universel fin 1996.
Mais, contrairement aux chiffres officiels, les estimations les plus
crédibles font état de 12 000 électeurs qui se
seraient rendus aux urnes à Khartoum (environ 4,5 millions d'habitants),
lors des élections locales de mai 1995. Ce nombre dérisoire
montre le manque de connaissance et le manque d'intérêt des
citoyens pour cet édifice représentatif destiné à
légitimer le pouvoir du régime.
Les partis politiques (officiellement interdits) ont boycotté les
élections. L'opposition et les observateurs ont surtout
dénoncé le refus de lever l'interdit qui frappait les partis
politiques, toute candidature ne pouvant ainsi être que personnelle. Il y
eut 41 candidats à l'élection présidentielle. Mais seul le
président sortant disposait de tous les moyens de mener une campagne
digne de ce nom, d'autant que la durée officielle de la campagne
électorale n'était que de douze jours.
2. La promulgation d'une Constitution
A partir
de juillet 1997, un projet de Constitution a été
préparé au sein de deux comités, l'un composé de
parlementaires, l'autre associant la société civile (449 membres
cooptés par le pouvoir). Accepté par le Congrès national
le 18 février 1998, le projet a d'abord été
approuvé par l'Assemblée nationale avec quelques amendements,
puis adopté par référendum en mai, et enfin
promulgué le 30 juin 1998.
La Constitution établit un Etat de type fédéral et
d'orientation nettement présidentielle. Elle entend répondre aux
aspirations des populations sudiste en indiquant notamment dans son article
premier que "
l'Islam est la religion de la majorité de la
population. Le Christianisme et les croyances traditionnelles comptent un
nombre d'adeptes considérable
". L'Etat n'est ni
déclaré " islamique ", ni laïc et la Constitution
n'impose par que le Président de la République soit de religion
musulmane. Néanmoins, l'article 65 prévoit que "
La loi
islamique, le consensus de la nation, exprimé par
référendum, la Constitution et la coutume constituent les sources
du droit
".
L'article 21 consacre l'égalité de tous les citoyens et interdit
toute discrimination selon la race, le sexe ou la religion. Enfin, la
liberté d'association politique est garantie par l'article 26
"
à condition que les décisions soit prises selon une
procédure consultative, que la direction soit exercée de
façon démocratique et que la compétition politique soit
fondée sur l'usage du dialogue et non sur celui de la force, et en
respectant les principes constitutionnels
". Une loi précisera
les modalités d'organisation et d'action des partis
politiques.
3. Des ouvertures en direction de l'opposition traditionnelle
Sur le
plan interne, la popularité du nouveau pouvoir s'est vite
effondrée. Celui-ci bénéficiait pourtant de la lassitude
d'une population déçue par l'immobilisme du gouvernement
dirigé par le premier ministre Sadeq el-Mahdi de 1986 à 1989 et
par la dégradation sensible de la situation économique. Selon
Roland Marchal, "
une telle désaffection tient moins à
l'islamisation de la société qu'aux méthodes
employées pour y parvenir
. "
Aussi, menacé au sud et à l'est, le régime soudanais
s'efforce aujourd'hui de faire preuve d'ouverture notamment en direction de
l'opposition nordiste.
Il a ainsi multiplié les contacts avec l'Imam Ahmed el-Mahdi, le nouveau
dirigeant de la confrérie des Ansars, depuis la défection en
décembre 1996 de Sadeq el-Mahdi, son oncle. Il a par ailleurs
abandonné en mai 1997 les poursuites judiciaires engagées contre
les dirigeants de l'opposition nordiste extérieure (Sadeq el-Mahdi et
Osman el-Mirghani). Il s'est enfin montré conciliant envers d'anciens
dignitaires militaires qui avaient adressé un message soulignant la
nécessité d'aboutir à un règlement pacifique du
conflit du sud et à prononcé un non-lieu à l'égard
de l'ancien président Nimeiri, réfugié au Caire (avril
1997).
Le retour à Khartoum de Cherif el-Hindi en juin 1997, intellectuel
respecté et dirigeant de la branche du PUD qui n'a pas rejoint l'AND et
rejette la lutte armée, a permis une relance de l'initiative de
réconciliation nationale. Le Comité populaire pour le dialogue
national, dirigé par Abdallah Suleiman est ainsi devenu le vecteur de
cette politique de réconciliation.
Enfin, le 24 août 1998, le tribunal criminel de Khartoum a
acquitté quatre dirigeants des Ansar, aile religieuse du parti Oumma,
poursuivis pour incitation à la violence, menaces contre l'ordre public
et diffusion d'informations mensongères. La cour a affirmé que
tous les citoyens avaient le droit de critiquer le gouvernement et d'exprimer
des opinions sur les sujets d'ordre public. Toutefois, le régime a
défié la justice en arrêtant de nouveau les quatre
dirigeants acquittés quatre jours après leur libération.
L'ouverture politique du régime a été accompagnée
de l'introduction à l'Assemblée nationale de véritables
débats sur le multipartisme et le règlement de la question du
Sud. Ces thèmes ont débordé l'enceinte parlementaire,
notamment par le biais de la presse.
B. LA RELANCE DU PROCESSUS DE PAIX
Après avoir repris progressivement le contrôle du
Sud,
les autorités soudanaises ont lancé en 1995 une initiative de
paix " de l'intérieur ", qui a débouché sur la
signature le 10 avril 1996, d'une Charte pour la paix avec quelques factions
rebelles.
Puis, la création fin 1996-début 1997 de nouveaux fronts aux
frontières érythréenne et éthiopienne qui menacent
des points stratégiques (barrage de Damazin qui fournit l'essentiel de
l'électricité de Khartoum, route de Port-Soudan, seul
débouché maritime), le regain d'activité de la
rébellion au Sud, soutenue par l'Ouganda, ont conduit le pouvoir central
à faire un pas de plus en direction de la paix.
Ainsi, le 21 avril 1997 a été signé un accord entre le
gouvernement et quelques mouvements d'opposition, qui a donné lieu au
14
ème
décret constitutionnel : ce dernier
prévoit dans son article 15 l'organisation d'un référendum
d'autodétermination pour les citoyens du Sud au terme d'une
période transitoire de quatre années, durant laquelle le Sud est
dirigé par un Conseil de coordination des Etats du Sud
(présidé par Riek Machar). Les nouvelles institutions ont
été progressivement mises en place. Les nouveaux gouverneurs des
Etats du Sud ont ainsi été élus dans sept capitales le
1
er
décembre 1997.
Parallèlement, Khartoum s'est montré disposé à
reprendre la négociation avec le MPLS de John Garang, qui a reconquis
des positions, en acceptant une relance de la médiation entreprise par
l'Autorité intergouvernementale pour le développement
36(
*
)
(IGAD) qui était dans l'impasse
depuis septembre 1994. C'est ainsi que des pourparlers directs ont repris en
novembre 1997 à Nairobi, sur la base de principes de négociation
acceptés de part et d'autre. La seconde session de négociations
qui a eu lieu du 4 au 6 mai 1998 à Nairobi a confirmé le principe
d'un référendum d'autodétermination sans toutefois que
soient réglées les questions de la définition
géographique du Sud et de la nature de l'Etat.
La dernière session de pourparlers qui a eu lieu du 3 au 6 août
à Addis Abeba n'a pas permis non plus de faire progresser ces deux
questions. Alors que l'APLS propose la mise en place d'une
confédération entre le Nord et le Sud pendant une période
intérimaire de deux ans avant la tenue du référendum
d'autodétermination, chaque partie confédérée ayant
sa propre Constitution et sa propre législation, le gouvernement est
attaché au maintien de l'unité du pays pendant la période
intérimaire. En tout état de cause, l'APLS pose comme condition
au maintien d'un Soudan uni la séparation de la religion et de l'Etat et
l'instauration d'un régime laïque.
L'APLS souhaite par ailleurs le rattachement de la zone d'Abyei,
majoritairement peuplée de Dinkas, au Sud du pays. Cette région
avait été rattachée au Nord du Soudan par les Britanniques
en 1956. Les autorités de Khartoum se fondent quant à elles sur
les frontières de 1956 pour opposer un refus catégorique aux
revendications sudistes.
Il faut noter enfin que les deux parties observent depuis juillet 1998 un
cessez-le-feu dans l'Etat du Bahr el-Ghazal, afin de favoriser l'acheminement
de l'aide humanitaire aux 2,4 millions de Soudanais touchés par la
famine. Ce cessez-le-feu, initialement proclamé pour une durée de
trois mois, vient d'être prolongé de trois mois.
La prochaine session de négociations devrait avoir lieu à Nairobi
en février 1999. Les rebelles accusent le régime de Khartoum de
ne pas rechercher la paix mais de profiter des périodes de trêve
qui précèdent chaque négociation pour gagner du temps et
reconstituer ses stocks d'armes.
Enfin, au début du mois d'août 1998, le Secrétaire
Général de l'Organisation des Nations Unies, Kofi Annan, a
proposé sa médiation dans la résolution de la guerre
civile soudanaise.
Tous les interlocuteurs rencontrés par la délégation
sénatoriale ont exprimé leur
souhait que la France
intercède plus largement
dans la recherche d'un accord de paix entre
le gouvernement et les factions rebelles. Il faut à cet égard
rappeler que certains pays européens s'efforcent d'être actifs
dans le règlement du conflit du Sud. C'est le cas, notamment, des
Pays-Bas (visite du ministre de la coopération en avril 1995 dans le
cadre du " Groupe des amis de l'IGAD " créé en
février 1995 à l'instigation des Etats-Unis), de l'Italie qui a
pris le relais des Pays-Bas en créant en novembre 1996 le Forum des
partenaires de l'IGAD (visite du Secrétaire d'Etat aux affaires
étrangères en mars-avril 1998), de l'Allemagne (visite du
Secrétaire d'Etat parlementaire à l'Auswertiges Amt en
février 1998), de la Suède (visite du Sous-secrétaire
d'Etat à la coopération en avril 1998) et de la Norvège
(visite de la ministre de la coopération en mai 1998). Les ministres
concernés ont souvent complété leur séjour à
Khartoum par des rencontres avec des représentants de la
rébellion sudiste en Egypte ou au Kenya.