D'après les actes constitutionnels publiés au Journal officiel le 12 juillet 1940, la Chambre des députés et le Sénat font toujours partie du paysage institutionnel français. En pratique, cependant, les deux assemblées sont ajournées. A défaut de poursuivre leur travail législatif, les parlementaires continuent à se réunir pour commenter l'actualité.

A partir du 30 juillet 1940, une vingtaine de Sénateurs se retrouve à Vichy, dans une salle de la Société des conférences médicales, puis au rez-de-chaussée de l'hôtel Majestic à partir du mois de décembre. Ces séances hebdomadaires se tiennent le mardi, sans ordre du jour particulier. Le 17 septembre 1940, le président de séance, Jean Valadier, explique en ces termes l'esprit de ces rencontres :

« Je dirais que nos réunions sont le prétexte d'échanges de vue amicaux nous permettant de garder le contact et de confronter les renseignements que les uns et les autres pouvons apporter soit de la zone non occupée, soit des départements qui ont à supporter l'occupation allemande. Il s'agit là de communications subjectives au cours desquelles les narrateurs veulent bien nous rapporter leurs impressions personnelles et nous communiquer les faits dont ils ont été témoins.

« Bien entendu, sont bannis de ces propos toutes récriminations contre la politique suivie par tel ou tel département ministériel.

Il ne s'agit là, pour nous, que de recueillir les éléments d'information, que nous transmettons ensuite (...) aux différents membres du Gouvernement qu'il nous est possible d'approcher. »

Jean VALADIER

Au cours de ces séances, les Sénateurs abordent des thèmes très variés. Ils dénoncent notamment la violation des conditions d'armistice par les Allemands et évoquent le statut de l'Alsace, de la Moselle et de la région du Nord. La situation des Alsaciens et des Lorrains réfugiés dans le sud-ouest fait notamment l'objet de plusieurs échanges de propos.

Les parlementaires décrivent la vie politique, économique et sociale à Paris. Ils relatent l'occupation du Palais du Luxembourg par les Allemands et exposent les problèmes que la population rencontre en zone occupée pour se ravitailler. Ils dénoncent les difficultés liées à la ligne de démarcation et évoquent le contrôle des établissements bancaires par les occupants.

Régulièrement, des intervenants s'interrogent sur leur qualité de Sénateur, contestée par certains fonctionnaires ou journalistes. Ils condamnent les campagnes de presse antiparlementaires et évoquent un éventuel retour du Gouvernement à Paris ou à Versailles. La question de la communication des documents des commissions de défense nationale à la cour suprême de Riom fait l'objet de plusieurs prises de parole.

Enfin, des comptes rendus circonstanciés sur la situation politique aux Etats-Unis, en Egypte, en Asie ou dans les Balkans, permettent aux Sénateurs de suivre l'évolution des relations internationales. De même, l'actualité de l'Indochine ou de l'Afrique du Nord est souvent évoquée.

Jules JeanneneySi l'on en croit les procès-verbaux, le ton, lors de ces séances,  reste toujours très courtois. Mais cette apparente neutralité cache une autre réalité dont Jules Jeanneney - même s'il n'assistait pas à ces réunions - donne un aperçu dans son « Journal politique » :

« Au cours de ces séances « d'amitiés » (...) on ne tenait en général que des propos mesurés, orthodoxes. (...) Dans les conversations privées qui précèdent ou suivent la séance, les propos sont plus libres, montent de ton et les critiques sévères y ont beaucoup plus de place que les témoignages de satisfaction. J'ai écho de cela dans mes conversations avec les sénateurs qui sortent de ces séances. »

Les « mardis sénatoriaux » prennent fin en 1941, après que l'article 2 de la loi du 28 août, relative au Sénat et à la Chambre des députés, a interditles réunions officieuses des membres du Parlement dans le département de l'Allier.