Le 9 octobre 1981, une loi a aboli la peine de mort en France. Son adoption a été l’aboutissement de près de 200 ans de discussions, de débats, de prises de position passionnés.
Ce dossier, réalisé par la la Division des archives du Sénat, revient sur la lente maturation de l'idée d'abolition de la peine capitale en France.
Les grandes pages de l'Histoire vers l'abolition
Jusqu’au débat des années 1970, la question de la peine de mort a fait l’objet d’intenses réflexions et discussions, en particulier :
- à l’époque révolutionnaire,
- au milieu du XIXème siècle,
- après l’avènement de la République, dans les premières années du XXème siècle.
Les sources du débat
L’œuvre de la Révolution en matière pénale est principalement inspirée des travaux de l’italien Cesare Beccaria (1738-1794) et notamment de son livre Des délits et des peines, publié secrètement en 1764.
Dès sa sortie, cet ouvrage connaît un succès retentissant. En France, il est remarqué par Diderot et d’Alembert et Voltaire publie un Commentaire sur Des délits et des peines dès 1766.
La démonstration de Beccaria est claire. Elle s’appuie sur des valeurs de raison et d’humanité : " Pour que n’importe quelle peine ne soit pas un acte de violence exercé par un seul ou par plusieurs contre un citoyen, elle doit absolument être publique, prompte, nécessaire, la moins sévère possible dans les circonstances données, proportionnée au délit et déterminée par la loi ". Il interroge : " En vertu de quel droit les hommes peuvent-ils se permettre de tuer leurs semblables ? Ce droit n’est certainement pas celui sur lequel reposent la souveraineté et les lois".
Il estime donc que la peine de mort n’est pas un droit et il ajoute : "si je prouve que cette peine n’est ni utile ni nécessaire, j’aurai fait triompher la cause de l’humanité ". Il considère enfin qu’un régime où règne la paix et la légalité n’a pas besoin de la peine de mort, d’autant que " l’expérience des siècles" montre que " le dernier supplice n’a jamais empêché les hommes résolus de nuire à la société ".
A l'époque révolutionnaire
Le premier grand débat parlementaire sur la peine de mort a lieu lors de la discussion du projet de code pénal en mai-juin 1791. Parmi les contributions importantes figurent le rapport de Le Peletier de Saint Fargeau et les discours de Duport et de Robespierre favorables à l’abolition de la peine de mort. Ils mettent en avant le caractère injuste de cette peine, le risque d’erreur judiciaire, l’absence d’effet dissuasif, de valeur d’exemple. La seule exception qu’ils pourraient accepter est celle de la protection de la sécurité de l’Etat.
Néanmoins, le 1er juin 1791, l’Assemblée constituante refusa l’abolition de la peine de mort ; elle supprima simplement les supplices. Dans l’article premier de la loi du 30 décembre 1791, il est ainsi écrit que " Dès à présent la peine de mort ne sera plus que la simple privation de la vie ".
Un an plus tard, le 17 janvier 1793, la Convention vote la mort du Roi. Robespierre et Le Peleltier de Saint Fargeau votent pour l’exécution. En revanche, Condorcet comme l’Abbé Grégoire s’y opposent. Condorcet déclara : " La peine contre les conspirateurs est la mort. Mais cette peine est contre nos principes. Je ne la voterai jamais. ".
Après les exécutions de la Terreur, la Convention débat à nouveau de la peine de mort. Lors de sa dernière séance, on aborde la question : la loi du 4 brumaire an IV (26 octobre 1795) supprime la peine de mort " à compter de la publication de la paix générale ". Cet ajournement est prorogé par la loi du 4 nivôse an X (25 décembre 1801) mais le code pénal de 1810 rétablit en droit la peine capitale.
Baptiste-Henri GREGOIRE, dit l’abbé GREGOIRE (1750-1831)
Ecclésiastique (curé d’Embermesnil, puis élu évêque de Blois selon les règles prévues par la nouvelle constitution civile du clergé), homme politique et homme de plume, l’abbé GREGOIRE a déployé toute sa vie une intense activité pour défendre la liberté et la lutte contre toutes les formes d’intolérance.
L’abbé GREGOIRE fut successivement membre des Etats-Généraux, membre de la Convention, député au Conseil des Cinq-Cents, député au Corps Législatif, membre du Sénat conservateur puis membre de la Chambre des députés en 1819.
Favorable à l’abolition des privilèges et à la constitution civile du clergé, il fut le premier prêtre à prêter serment le 27 décembre 1790. Partisan de l’abolition de l’esclavage, il défendit les droits des Juifs et des Noirs. En 1793, il se prononça pour la mise en jugement de Louis XVI, mais se déclara favorable à l’abolition de la peine de mort
Adrien Duport (1759 – 1798)
Né à Paris, DUPORT fut avocat puis conseiller au Parlement de Paris, où il s’opposa aux édits des ministres du Roi. En 1789, il est élu député de la noblesse aux Etats généraux. Il fit partie des 47 membres de la noblesse qui rejoignirent le Tiers Etat dès le 25 juin. DUPORT participa au débat sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en présentant son propre projet dans lequel il combattait les abus de l’ancien régime. Adrien DUPORT fut sans doute l’un des juristes les plus éminents de la Révolution et participa à la mise en place des nouvelles institutions, étant, notamment, à l’origine de la motion déclarant aboli le régime féodal. Il est l’auteur du rapport du 29 mars 1790 sur l’organisation de la magistrature. Dans son discours du 31 mai 1791, il dénonce l’inutilité et le danger de la peine de mort. Craignant les excès de la Révolution, DUPORT devint partisan de la stabilité. Conseiller de Louis XVI après le retour de
Varennes, il tenta d’infléchir la constitution dans un sens favorable au Roi. Au lendemain du 10 août 1792, DUPORT fut arrêté. Libéré grâce à l’intervention de DANTON, il émigra puis décéda en Suisse en 1798.
Maximilien ROBESPIERRE (1758 - 1794)
Né à Arras, député artésien du Tiers État, il intervint en faveur de l’abolition. Avocat, il avait écrit en 1784 un mémoire sur La Honte attachée aux peines infamantes que subit un coupable. Selon lui, et selon les termes de son discours lors du débat de 1791, " la peine de mort est essentiellement injuste ", " elle n’est pas la plus réprimante des peines " et " elle multiplie les crimes beaucoup plus qu’elle ne les prévient ".
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Décret de la mort du Roi
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Exécution de Louis XVI
Au milieu du XIXe siècle
Après l’Empire, le courant abolitionniste réapparaît. Victor Hugo, l’un de ses plus ardents défenseurs, fait paraître en 1829 Le denier jour d’un condamné, dont la préface dénonce vigoureusement la peine de mort. Plus tard, dans La Légende des siècles, il publie un long poème contre la peine de mort intitulé L’Echafaud. Puis, en 1851, devant la Cour d’assises de la Seine, il prononce un vibrant plaidoyer contre la peine de mort en défendant son fils Charles : " (…) Eh bien ! c’est vrai, j’en conviens, on manque de respect pour la guillotine !
" Savez vous pourquoi, monsieur l’avocat général ? Je vais vous le dire. C’est parce qu’ on veut jeter la guillotine dans ce gouffre d’exécration où sont déjà tombés, aux applaudissements du genre humain, le fer rouge, le poing coupé, la torture et l’inquisition !
C’est parce qu’on veut faire disparaître de l’auguste et lumineux sanctuaire de la justice cette figure sinistre qui suffit pour le remplir d’horreur et d’ombre : le bourreau !
" Ah ! et parce que nous voulons cela, nous ébranlons la société ! Ah ! oui c’est vrai ! nous sommes des hommes très dangereux, nous voulons supprimer la guillotine ! C’est monstrueux ! "
Lamartine a également utilisé ses talents littéraires pour combattre la peine de mort : il écrit un poème intitulé Contre la peine de mort qui paraît en 1830 dans le recueil Odes politiques et prononce à la Chambre en 1838 un discours remarqué en faveur de l’abolition de la peine de mort.
La Révolution de 1830 est accompagnée de plusieurs propositions en faveur de l’abolition de la peine de mort mais seuls les supplices sont supprimés. Le Gouvernement provisoire de 1848 abolit la peine capitale mais seulement pour les infractions de nature politique ; les amendements tendant à une abolition générale, défendus notamment par Victor Hugo en septembre 1848 devant l'Assemblée nationale, sont rejetés.
La République, le débat de 1906-1908 et ses prolongements
A la fin de l’Empire, Jules Simon, député républicain, dépose une proposition de loi en faveur de l’abolition de la peine capitale. Il est rejoint dans son combat, au début de la IIIème République, par Victor Schoelcher et quelques autres députés.
C’est en 1906-1908 qu’a lieu l’un des débats majeurs sur la question de la peine capitale. Un projet de loi abolitionniste est en effet déposé par Aristide Briand, Garde des Sceaux dans le Gouvernement Clemenceau. Mais son sort paraît vite compromis lorsque survient l’affaire Soleilland. Ce condamné à mort pour avoir violé et assassiné une petite fille est grâcié par le Président Fallières, abolitionniste convaincu. Cette affaire et quelques autres faits divers font alors l’objet d’une vive campagne médiatique orchestrée notamment par Le Petit Parisien qui organise un référendum parmi ses lecteurs. L’opinion se montre très favorable au maintien de la peine capitale. Le débat à la Chambre des députés intervient donc dans une atmosphère tendue. Briand et Jaurès interviennent en faveur de l’abolition, Barrès se prononce lui contre le projet du Gouvernement. Celui-ci est d’ailleurs finalement rejeté par la Chambre.
Après ce débat, les exécutions reprennent, mais se pose alors la question de leur publicité. En effet, les manifestations de la foule et les compte rendus de certains journaux paraissent déplacés.
Aussi après l’exécution d’Eugène Weidmann, en 1939, le gouvernement décide de mettre fin à la publicité des exécutions.
Après la guerre, la peine de mort continue à être dénoncée par les intellectuels, notamment Albert Camus et Arthur Koestler qui publièrent des Réflexions sur la peine capitale en 1957.
Dans le monde politique aussi, les débats se poursuivent. Les propositions de loi tendant à modifier l’échelle ou l’application des peines deviennent de plus en plus nombreux