Renaissance d'un Sénat conservateur
La Constitution de 1848 avait rétabli la République et était revenue au monocamérisme. Mais elle est rapidement mise à mal par le coup d'Etat du 2 décembre 1851 qui renoue avec la tradition napoléonienne. Dans sa proclama-tion au peuple français du 14 janvier 1852, Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République, revendique haut et fort cet héritage : "J'ai pris comme modèle les institutions qui, au lieu de disparaître au premier souffle des agitations populaires, n'ont été renversées que par l'Europe entière coalisée contre nous.
En un mot, je me suis dit : puisque la France ne marche depuis cinquante ans qu'en vertu de l'organisation administrative, militaire, judiciaire, religieuse, financière, du Consulat et de l'Empire, pourquoi n'adopterions-nous pas aussi les institutions politiques de cette époque ?" Celui qui allait devenir quelques mois plus tard l'empereur Napoléon III réintroduit donc dans les institutions du pays une seconde chambre conservatrice, à nouveau baptisée Sénat et composée "des éléments qui, dans tout pays, créent les influences légitimes : le nom illustre, la fortune, le talent, les services rendus". Il s'explique longuement sur ses attributions. "Le Sénat n'est plus, comme la Chambre des Pairs, le pâle reflet de la Chambre des députés, répétant, à quelques jours d'intervalle, les mêmes discussions sur un autre ton.
Il est le dépositaire du pacte fondamental et des libertés compatibles avec la Constitution. (...) Le Sénat ne sera pas, comme la Chambre des Pairs, transformé en cour de justice. (...) Le Sénat peut, de concert avec le gouvernement, modifier tout ce qui n'est pas fondamental dans la Constitution ; mais quant aux modifications à apporter aux bases premières, sanctionnées par vos suffrages, elles ne peuvent devenir définitives qu'après avoir reçu votre ratification."
Retour au faste...et au contrôle impérial
Comme sous le Premier Empire, la composition et l'activité du Sénat sont étroitement contrôlées par le nouveau régime autoritaire. Les cent cinquante sénateurs sont tantôt nommés directement, tantôt membres de droit (c'est le cas des cardinaux, des amiraux, des maréchaux). Ils exercent leur fonction à vie et en principe gratuitement, mais le chef de l'Etat peut leur accorder une dotation de trente mille francs. L'empereur peut nommer à sa guise de nouveaux sénateurs (leur effectif total ne devant pas dépasser cent cinquante membres). Il désigne le président et le vice-président du Sénat et peut d'ailleurs présider lui-même la Chambre, dont il convoque les sessions. Les séances de la Chambre Haute ne sont pas publiques.
Les sénatus-consultes qu'elle édicte sont sanctionnés et promulgués par le chef de l'Etat. Le décret du 6 avril 1852 affecte le Palais du Luxembourg au Sénat et Louis-Napoléon, qui avait visité le Palais peu de temps auparavant, manifeste le désir que l'ancienne salle des séances et les deux salles contiguës soient réunies en une seule galerie (l'actuelle Salle des Conférences) destinée aux solennités. Les travaux, commencés le 1er novembre 1852, sont définitivement achevés en novembre 1854 et Leurs Majestés Impériales sont fréquemment reçues dans la galerie dite alors salle du Trône et décorée au goût du jour.
Une assemblée effacée
Considérée comme le plus sûr soutien du régime, l'armée occupe une bonne partie des sièges du nouveau Sénat. Ministres, hauts fonctionnaires et magistrats, membres de l'Institut sont également bien représentés. Phénomène plus nouveau, la finance et l'industrie ont acquis leurs lettres de noblesse parlementaire : le banquier Achille Fould, le comte d'Argout, gouverneur de la Banque de France, Mimerel, un industriel du Nord, siègent au Luxembourg. Nombre de sénateurs sont aussi des vétérans des régimes précédents. Douze pairs de la Monarchie de Juillet font partie du Sénat de 1852, ainsi qu'une vingtaine d'anciens députés.
Cette prestigieuse assemblée va se révéler curieusement inactive. Ne votant que peu de sénatus-consultes, elle n'exerce pas réellement les pouvoirs que lui confère la Constitution. Elle en aurait cependant la possibilité, d'autant que le régime de Napoléon III est peu à peu amené à "lâcher du lest" et à infléchir son fonctionnement vers une formule plus parlementaire. En 1860, un décret dispose qu'en réponse au traditionnel discours prononcé par l'empereur lors de l'ouverture de la session des Chambres, celles-là ont désormais le droit de discuter et de voter une "adresse". Autre nouveauté, des ministres "sans portefeuille" sont spécialement chargés de défendre et de commenter la politique du gouvernement devant les Chambres. Enfin, préfiguration du Journal Officiel, les débats sont désormais reproduits in extenso dans Le Moniteur.
Vers un régime parlementaire
Ce n'est que vers le milieu du Second Empire que le débat parlementaire prend un tour plus indépendant. Ainsi, en 1861, lors du débat sur la politique "romaine" (il s'agit de se porter au secours du Pape assiégé par les troupes piémontaises) : une courte majorité de soixante-dix-neuf sénateurs vote en faveur de la position gouvernementale, soixante-et-un votent contre.
En 1867, l'empereur fait donc de nouvelles concessions : un droit d'interpellation remplace le droit d'adresse. Ce ne sont plus des ministres sans portefeuille mais les ministres concernés qui viendront défendre leur projet devant les Chambres. Enfin, un sénatus-consulte accorde au Sénat le pouvoir de renvoyer une loi pour examen devant les députés. Les élections de 1869, qui voient reculer les candidats gouvernementaux et triompher l'opposition républicaine dans toutes les grandes villes de France, donnent un nouveau coup d'accélérateur au processus. En avril 1870, le Sénat redevient une seconde chambre législative et les ministres sont désormais "responsables", c'est-à-dire responsables devant les Chambres. Mais l'Empire libéral ainsi institué ne survit pas plus que son glorieux ancêtre à la défaite militaire.
Personnages illustres
1809-1891
L'homme qui a transformé Paris
Destiné au notariat, Haussmann “bifurque” vers l'administration préfectorale à la faveur des journées de juillet 1830. Favorable aux idées autoritaires du prince-président Louis-Napoléon Bonaparte, il se forge en 1849 une réputation de préfet à poigne à la tête de la préfecture du Var, combat énergiquement et habilement l'agitation politique, soutient en Gironde le coup d'Etat parisien du 2 décembre. Le chef de l'Etat le nomme préfet de la Seine en 1853, fonction qui permet à Haussmann de mener à bien la gigantesque entreprise de transformation de Paris à laquelle il donne son nom.
Un décret impérial le fait sénateur en 1857. Mais le financement et la gestion des travaux d'urbanisme du préfet Haussmann sont vivement attaqués, notamment par le républicain Jules Ferry, dans un retentissant pamphlet, Les Comptes fantastiques d'Haussmann. C'est finalement Emile Ollivier, devenu garde des Sceaux, qui obtiendra la révocation du préfet de la Seine, réglant ainsi avec Haussmann un vieux compte : préfet du Var, Haussmann avait autrefois fait arrêter Ollivier, alors jeune opposant républicain. Vaincu, Haussmann se retire à Nice et ne revient que brièvement dans la vie parlementaire comme député, de 1877 à 1881, de l'arrondissement d'Ajaccio
1780-1867
Le peintre de deux Empires
Elève de David, premier grand prix de peinture en 1800, Ingres a cependant du mal à imposer ses œuvres en France.
Parti étudier les grands maîtres italiens, il se fixe à Rome puis à Florence, d'où il produit notamment Raphaël et la Fornarina, Le sommeil d'Ossian ou L'Odalisque couchée, ce dernier tableau, commandé par la reine de Naples, lui valant un retour en grâce auprès des critiques français. Décoré de la Légion d'honneur en 1824, Ingres est admis l'année suivante à l'Institut. Mais son travail continue de déchaîner les passions et il repart pour Rome prendre la direction de la Villa Médicis en 1834. Son second retour de Rome sera celui de la gloire officielle. Les commandes affluent, parmi lesquelles des peintures destinées à la Chambre des Pairs de la Monarchie de Juillet. Survient le Second Empire. Ingres, qui avait en 1804 composé un Portrait du Premier Consul et un Portrait de l'Empereur représente au plafond de l'Hôtel de Ville de Paris l'Apothéose de Napoléon 1er, avec cette légende : In nepote redivivus (Réincarné dans le neveu - Napoléon III était le neveu de Napoléon 1er). Appelé en mai 1862 à siéger au Sénat impérial, Ingres y vote jusqu'à sa mort pour la ligne gouvernementale.
1808-1893
Du champ de bataille au front parlementaire
Les brillants états de service du comte de Mac-Mahon le propulsent rapidement au premier rang de l'armée française. A quarante-trois ans, il est déjà général de division, à quarante-cinq ans, après Sébastopol, il est fait grand-croix de la Légion d'honneur. Nommé par Napoléon III au Sénat en 1856, il siège peu et poursuit une infatigable activité de soldat et d'administrateur militaire, notamment en Algérie, dont il devient gouverneur général en 1864. Grièvement blessé à la fin de la guerre de 1870, le maréchal Mac-Mahon (Napoléon III l'a fait maréchal de France au lendemain de la victoire de Magenta, en 1859) est interné quelques mois en Allemagne. A son retour en France en mars 1871, il accepte de Thiers le commandement de l'armée “versaillaise” chargée de reprendre Paris aux Communards.
En 1873, alors que les monarchistes semblent près d'aboutir à une Restauration qui placerait le comte de Chambord sur le trône, Mac-Mahon est élu président de la République. Monarchiste convaincu, il accepte le fauteuil, espérant sans doute une évolution favorable de l'opinion. Mais il se heurte très vite à une majorité républicaine hostile qui l'accule à une épreuve de force, restée dans les annales de l'histoire parlementaire. Pour Gambetta, leader républicain, Mac-Mahon doit “se soumettre ou se démettre”. Les républicains l'emportent, obligeant Broglie, ministre de Mac-Mahon, à la démission. Mac-Mahon lui-même saisira le premier prétexte pour se retirer de la présidence deux ans plus tard et rentrer dans la vie civile.
1803-1870
Un familier de la cour impériale
Dès ses débuts d'écrivain, Mérimée mène de front carrière administrative et production littéraire. Il n'a pas trente ans quand surviennent les événements de 1830. Pendant que son roman Colomba le fait connaître de toute la France, il s'oppose à la poussée républicaine. Plusieurs fois ministre sous la Monarchie de Juillet, Mérimée se distingue surtout dans ses fonctions d'inspecteur des Monuments historiques qui l'amènent à se déplacer dans toutes les régions françaises et donnent lieu à de nombreux récits.
C'est au cours de l'un de ces voyages que l'écrivain se lie avec Mme de Montijo, mère de la future impératrice Eugénie, ce qui lui vaudra quelques années plus tard d'être reçu en familier aux Tuileries. Après le coup d'Etat du 2 décembre, Mérimée est fait sénateur en 1853 et soutient de son vote la politique de Napoléon III, pendant toute la durée de l'Empire.
1803-1869
Un journaliste au Sénat
Jeune critique, écrivain débutant, Sainte-Beuve est admis au prestigieux Cénacle romantique qu'anime le bouillant Victor Hugo. La révolution de 1830 le pousse vers le journalisme. Il écrit notamment pour Le Globe et Le National (très virulent opposant à la Monarchie de Juillet). Il hésite alors entre libéralisme et mysticisme. Survient la révolution de 1848. Sainte-Beuve passe en Belgique et revient à Paris après le 2 décembre 1851 pour se rallier à l'Empire. Ce choix politique lui vaut un accueil houleux au Collège de France où il vient d'être nommé professeur de poésie latine. Hué par les étudiants libéraux, Sainte-Beuve, protégé par des sergents de ville, devra renoncer dès son deuxième cours. En avril 1865, il est appelé à siéger au Sénat.
L'ancien journaliste y retrouve un peu de sa popularité perdue, en intervenant dans les débats touchant aux lettres et à la liberté de pensée. Il n'a accepté cette fonction, dira-t-il, “que pour intervenir dans les débats qui porteraient sur des objets de sa compétence, c'est-à-dire sur les questions littéraires, pour défendre au besoin ses confrères du dehors, rendre justice à leurs efforts et repousser les accusations mal fondées dont ils pourraient être l'objet”. Homme de contradictions, Sainte-Beuve le reste jusque dans la mort. Celui que Georges Sand décrivait à trente ans comme un “pieux et tendre rêveur” exige - choix scandaleux pour le Sénat - des obsèques civiles et sans solennité. “Je demande à être porté directement de mon domicile au cimetière Montparnasse, dans le caveau où est ma mère, sans passer par l'église, ce que je ne saurais faire sans violer mes sentiments.”
Audios et textes complémentaires
C'est le prince Jérôme, frère de Napoléon premier et président du Sénat, qui ouvre la première session sénatoriale du nouveau régime, le mardi 30 mars 1852.
7 novembre 1852
Le 7 novembre 1852, le cortège sénatorial, composé des parlementaires en grande tenue, parmi lesquels les cardinaux en robe rouge et les maréchaux et amiraux de France en grand uniforme, quitte en voiture le Luxembourg. Les sénateurs se rendent à Saint-Cloud où le prince les reçoit dans la grande galerie d'Apollon. C'est Mesnard, premier vice-président du Sénat, qui lit l'adresse des sénateurs et conclut :
“Le Sénat se glorifie, Monseigneur, d'être le fidèle interprète des vœux et des sentiments du pays, en déposant entre vos mains le sénatus-consulte qui vous appelle à l'Empire.”
Dans son discours de remerciement, le nouvel empereur rappelle que quarante-huit ans auparavant, dans cette même salle, le Sénat était venu offrir la couronne au chef de sa famille.