Une assemblée chère à Bonaparte
Rédigée sous l'influence directe du nouveau maître du régime, le Premier Consul Bonaparte, la Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799) est la première à créer un Sénat. Bonaparte va faire de ce "Sénat conservateur", chargé de veiller au respect de la Constitution, un élément-clé de son régime.
Le premier Sénat compte seulement soixante membres inamovibles, âgés de quarante ans au moins, auxquels devaient s'ajouter deux membres supplémentaires chaque année, dix ans durant. Pour former la Chambre, il n'est plus question d'élections, même indirectes. La Constitution prévoit que Sieyès et Roger-Ducos, deuxième et troisième consuls sortants, sont membres de droit du Sénat.
Il leur revient le privilège de nommer la majorité du Sénat, c'est-à-dire vingt-neuf autres sénateurs, en concertation avec Cambacérès et Lebrun (nouveaux deuxième et troisième consuls désignés directement par la Constitution). Cette majorité nommera ensuite elle-même les autres membres. Le Sénat se recrute donc lui-même et, par la suite, remplacera ses membres décédés en choisissant parmi trois candidats présentés respectivement par le Premier Consul, le Tribunat et le Corps législatif.
Le Sénat napoléonien s'installe au Luxembourg et siège dans la partie centrale du bâtiment, aménagée en hémicycle par Chalgrin, l'architecte du Palais. "Les séances, dit la Constitution, ne sont pas publiques." Le premier Sénat conservateur accueille d'anciens membres des assemblées révolutionnaires (François de Neufchateau, Garat, Lanjuinais), mais aussi des savants (Monge, Lagrange, Lacépède, Berthollet), des philosophes (Cabanis), ou encore l'explorateur Bougainville et le peintre Vien, membre de l'Institut.
Sénatus consultes
En l'an X (1802), une révision de la Constitution renforce les attributions des sénateurs. Le Sénat règle désormais, par des actes ayant force de loi, les "sénatus-consultes", tout ce qui n'était pas prévu par la Constitution et qui est nécessaire à l'action politique du régime. La procédure est par exemple utilisée en 1802 pour l'amnistie des Emigrés.
Le nombre des sénateurs est alors porté à cent vingt. Le Premier Consul Bonaparte contrôle étroitement l'activité et la composition de la Chambre Haute : il convoque et préside le Sénat, se réserve le droit de présentation des candidats, désigne lui-même trois candidats pris sur la liste des citoyens élus par les collèges électoraux et peut, en outre, nommer des sénateurs de sa propre initiative.
Une élite choyée
Convaincu que la dignité du service de l'Etat est indissociable d'une confortable position de fortune, Napoléon crée en janvier 1803 le système des sénatoreries, qui lui assure de surcroît la complète docilité des sénateurs. A partir de juin 1804, elles sont attribuées à 36 sénateurs et font de ceux-là de "super-préfets" régionaux. Elles leur donnent droit, à titre viager, à un palais résidentiel (château ou ancien évêché) et à des revenus de 20 à 25 000 francs par an - ce qui double le traitement sénatorial. Ainsi Berthollet, qui reçoit la sénatorerie de Montpellier, occupe le palais épiscopal de Narbonne et perçoit 22 690 francs de revenus annuels
Grandeur et déchéance d'un empereur
La Constitution de l'an XII (1804) qui proclame l'Empire accroît encore la dépendance de la Haute Assemblée. Les marques d'estime de l'empereur se multiplient, les manifestations d'allégeance des sénateurs aussi. Ainsi le 1er janvier 1806, l'empereur fait don aux sénateurs, en hommage à ces "sages de l'Empire", de cinquante-quatre drapeaux ennemis. Enthousiaste, le sénateur maréchal d'Empire Pérignon propose l'édification d'un arc de triomphe à la gloire de Napoléon 1er, proposition chaleureusement appuyée par ses collègues, dont le sénateur Lacépède.
Napoléon appelle au Sénat les princes français, les grands dignitaires et toutes les personnes de son choix, sans limitation de nombre. Il y nomme ainsi son frère Joseph, mais aussi Cambacérès, Chaptal, Fouché, Fontanes, Tronchet et des généraux tels Caulaincourt et Duroc. Comblés de faveurs, les sénateurs n'en proclamèrent pas moins la déchéance de Napoléon 1er le 3 avril 1814, avant d'appeler au trône Louis XVIII, comte de Provence.
Personnages illustres
1748-1822
Claude Berthollet
Médecin et chimiste, ce Savoyard a fait partie des émissaires chargés de choisir et de convoyer les objets d’art conquis en Italie en 1795. Bonaparte, qui fut son élève, lui confie l’organisation de la commission scientifique de l’expédition d’Egypte.
Nommé sénateur dans la première fournée, il bénéficiera de la création des premières sénatoreries en 1803.
Vice-président du Sénat à partir de février 1804, il joue un rôle personnel dans la préparation de la proclamation de l’Empire héréditaire.
Berthollet votera cependant la déchéance de Napoléon en 1814. Louis XVIII le nommera pair de France.
1746-1818
Gaspard Monge - Comte de Péluse
Précoce et génial mathématicien, il est appelé en 1792 au poste de ministre de la Marine. L’année suivante, à son départ du ministère, il crée ce qui deviendra l’Ecole Polytechnique. Proche de Bonaparte, il est chargé par le chef de l’armée d’Italie de porter à Paris avec Berthollet la ratification du traité de Campo Formio. Monge fait aussi partie des émissaires envoyés à Rome pour choisir les monuments des arts, des sciences et des lettres cédés à la République française en vertu de ce traité.
Elu la même année au Conseil des Anciens et au Conseil des Cinq-Cents, Gaspard Monge siège peu car Bonaparte l’appelle auprès de lui en Egypte, notamment pour y recueillir avec Berthollet les objets précieux qui se trouvent au Caire. Après le 18 brumaire, Monge est nommé membre du Sénat conservateur. Directeur de l’Ecole Polytechnique en 1802, il est maintenu dans ses fonctions par la première Restauration. Mais pour avoir accepté la pairie impériale que lui confère Napoléon lors des Cent Jours, il sera rayé par Louis XVIII de la liste des membres de l’Institut et du personnel de l’Ecole Polytechnique.
1772-1813
Géraud Christophe Michel Duroc, duc de Frioul
Après les premières campagnes de la Révolution, faites en qualité d’aide de camp du général Lespinasse, Duroc devient l’aide de camp du général Bonaparte, auquel il restera fidèle toute sa carrière. C’est comme chef de bataillon qu’il participera à la campagne d’Egypte.
De retour en France, il prend une part active au 18 brumaire. Général de brigade et premier aide de camp de Bonaparte, il est l’homme des missions délicates auprès des cours européennes et déploie une intense activité diplomatique et militaire au service de l’Empire. Nommé sénateur en avril 1813, il n’a pas le temps de siéger : venu rejoindre l’empereur en Saxe, il est mortellement blessé à Wurtzen.
Napoléon avait résolu de rendre aux cendres de Duroc des honneurs extraordinaires. Ce fut sous le nom de Duroc qu'il fit, en 1815, le voyage de la Malmaison à Rochefort ; et s'il lui eût été permis de vivre en Angleterre, il aurait porté le titre et le nom de colonel Duroc.
Le nom de Duroc est inscrit au côté Est de l'arc de triomphe de l'Étoile. Les restes du grand maréchal ont été portés aux Invalides sous Louis-Philippe Ier et déposés à côté de ceux de l'empereur.
1756-1825
Du Jardin des plantes au Sénat impérial
Après avoir hésité entre la musique et la physique, ce fils d’une riche famille agenaise devient l’élève favori de Buffon, dont il continue l’Histoire naturelle des animaux, s’intéressant tout particuliè- rement aux reptiles et aux poissons.
En 1789, il préside la section du jardin des Plantes et représente la ville d’Agen à la Constituante. Mais sa modération le rend suspect et il se retire à la campagne, ne rentrant à Paris qu’après le 9 thermidor pour occuper une chaire au Muséum et devenir membre de l’Institut.
Nommé au Sénat conservateur en l’an VIII, il en devient le président en l’an X. Titulaire de la sénatorerie de Paris, il sera fait comte en 1808.Louis XVIII le nomme pair de France en 1814 et Napoléon pair de l’Empire durant les Cent Jours.
La seconde Restauration le prive un temps de cette dignité, mais Louis XVIII le rappellera à la Chambre Haute en 1819.
1756-1832
Un chimiste en politique
Lorsque la Révolution éclate, ce brillant chimiste se met au service des idées nouvelles. Le Comité de Salut Public lui confie la direction des ateliers de salpêtre de Grenelle, qui approvisionnent en poudre les arsenaux parisiens et dont la productivité va plus que tripler sous sa férule.
Après le 18 brumaire, Napoléon le nomme conseiller d’Etat puis ministre de l’Intérieur, et le charge également de l’administration de l’instruction publique. Nommé au Sénat conservateur en l’an XIII, il devient le trésorier de cette assemblée.
Fait comte de Chanteloup en 1808, Chaptal vote la déchéance de l’empereur mais se tient à l’écart de la première Restauration.
Pendant les Cent Jours, il est de nouveau ministre d’Etat et pair. Le retour des Bourbons lui ôtera la pairie mais il retrouvera la Chambre des Pairs en 1819 et y siègera jusqu’à sa mort.
1729-1811
Comte d'Empire
Louis-Antoine, comte de Bougainville, est né à Paris le 12 novembre 1729. Fils d'un notaire, il est reçu avocat à 23 ans, se fait inscrire aux mousquetaires noirs et publie à 25 ans un Traité du calcul intégral.
En 1754 il débute sa carrière militaire comme aide de camp de Chevert et est envoyé la même année à Londres avec le titre de secrétaire d'ambassade. Deux ans après il est nommé capitaine de dragons et emmené par Montcalm au Canada où les hostilités entre la France et l'Angleterre ont éclaté.
Revenu en Europe, il est employé en 1761 à l'armée d'Allemagne en qualité d'aide de camp du Général Choiseul-Stainville et il s'y distingue si honorablement que le roi lui fait don de deux canons.
En 1763, après la paix, il entre dans la Marine comme capitaine de vaisseau et tente de fonder une colonie aux Malouines. Le gouvernement espagnol ayant revendiqué la propriété de ces dernières, Bougainville est chargé de leur restituer en 1766 et en échange il obtient d'effectuer, au nom et aux frais de l'Etat, le premier voyage scientifique et officiel qu'un Français eût fait autour du monde.
Il part à bord de la frégate «la Boudeuse» qu'accompagne la flûte «l'Etoile» et raconte son expédition dans un ouvrage publié en 1771 «Voyage autour du monde», livre qui connut un succès immense.
Ayant poursuivi sa carrière de militaire et d'explorateur, il consacre les dernières années de sa vie aux sciences. Il est nommé membre du Sénat conservateur dès sa création en l'an VIII. Grand-officier de la Légion d'honneur, comte d'Empire, membre de l'Académie de la marine, membre de l'Institut, il meurt en 1811, dans sa 89 e année, au terme d'une vie bien remplie. Il est inhumé au Panthéon le 5 septembre 1811.
1759-1820
Un encombrant ministre de la Police
Conventionnel montagnard, Fouché se distingue notamment pendant la Révolution en réprimant férocement avec Collot d’Herbois les opposants lyonnais à la Convention. Ennemi de Robespierre, il revient sur le devant de la scène politique après le 9 thermidor. Le second Directoire lui confiera le ministère de la Police, fonction “fétiche” que Fouché conserve après le coup d’Etat du 18 brumaire.
Chassé du ministère par l’hostilité de deux des frères de l’empereur, Fouché est dédommagé par un siège de sénateur et par la sénatorerie d’Aix qui lui assure de confortables revenus. Il retrouve d’ailleurs son portefeuille dès l’an XII et le conserve jusqu’en 1810.
Au retour des Bourbons, Fouché cherche immédiatement à se rapprocher du nouveau régime, ce qui ne l’empêche pas, lors des Cent Jours, d’être, pour la troisième fois, ministre de la Police générale de l’Empereur. Son influence en France et en Europe est telle que Louis XVIII, lors de la seconde Restauration, devra lui accorder pour la quatrième fois le portefeuille de la Police.
Son pouvoir déclinant, Fouché tombera en disgrâce et mourra en exil à Trieste en 1820.
Audios et textes complémentaires
Avril 1814
Drame en trois actes
Mars 1814, les troupes napoléoniennes sont en déroute. Les vainqueurs (Angleterre, Autriche, Prusse, Russie) sont entrés dans Paris et dictent les conditions de la paix. Le 2 avril, les sénateurs français sont reçus en audience par l’empereur Alexandre de Russie.
Barthélémy, président du Sénat, lui exprime la reconnaissance du Sénat “pour la modération et la générosité que sa Majesté a déployées envers la Ville de Paris”. La réponse d’Alexandre ne laisse aucun doute sur le sort réservé à Napoléon et à son régime.
“Messieurs, Je suis charmé de me retrouver au milieu de vous. Ce n’est ni l’ambition, ni l’amour des conquêtes qui m’y ont conduit. Mes armées ne sont entrées en France que pour repousser une injuste agression. Votre Empereur a porté la guerre chez moi lorsque je ne voulais que la paix. Je suis l’ami du peuple français. Je ne lui impute point les fautes de son chef. Je suis ici dans les intentions les plus amicales. Je ne veux que protéger vos délibérations. Vous êtes chargés d’une des plus honorables missions que des hommes généreux aient à remplir, c’est d’assurer le bonheur d’un grand peuple, en donnant à la France les institutions fortes et libérales dont elle ne peut se passer dans l’état actuel de ses lumières et de sa civilisation.”
Le lendemain de cette audience, le Sénat adopte le texte proclamant la déchéance de Napoléon.
“Le Sénat conservateur, Considérant que, dans une monarchie constitutionnelle, le monarque n’existe qu’en vertu de la constitution du pacte social ;
Que Napoléon Bonaparte, pendant quelque temps d’un gouvernement ferme et prudent, avait donné à la Nation des sujets de compter, pour l’avenir, sur des actes de sagesse et de justice mais qu’ensuite il a déchiré le pacte qui l’unissait au peuple français (suit une longue énumération des fautes de Napoléon);
Considérant que par toutes ces causes le gouvernement impérial établi par le sénatus-consulte du 28 floréal an XII a cessé d’exister et que le vœu manifeste de tous les Français appelle un ordre de choses dont le premier résultat soit le rétablissement de la paix générale (…)
Le Sénat déclare et décrète ce qui suit
Article premier
Napoléon Bonaparte est déchu du trône et le droit d’hérédité établi dans sa famille est aboli.
II
Le peuple français et l’armée sont déliés du serment de fidélité envers Napoléon Bonaparte.
III
Le présent décret sera transmis par un message au gouvernement provisoire de France, envoyé de suite à tous les départements et aux armées, et proclamé incessamment dans tous les quartiers de la capitale.
La déchéance de Napoléon a été prononcée le dimanche. Le mercredi, le Sénat adopte le décret suivant :
“Article II. Le peuple français appelle librement au trône de France Louis-Stanislas Xavier de France (il s’agit de Louis-XVIII), frère du dernier roi et après lui les autres membres de la maison de Bourbon, dans l’ordre ancien et accoutumé."