- Mardi 4 mars 2025
- Audition de M. Laurent Dejoie, représentant des Régions de France, vice-président du conseil régional des Pays de la Loire et Mme Véronique Pouzadoux, vice-présidente de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, maire de Gannat
- Audition de Mme Isabelle Dugelet, représentante de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), MM. François de Mazières, représentant de France urbaine, et Sébastien Miossec, représentant d'Intercommunalités de France
- Jeudi 6 mars 2025
Mardi 4 mars 2025
- Présidence de M. Pierre Barros, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Audition de M. Laurent Dejoie, représentant des Régions de France, vice-président du conseil régional des Pays de la Loire et Mme Véronique Pouzadoux, vice-présidente de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, maire de Gannat
M. Pierre Barros, président. - Je souhaite la bienvenue à Mme Véronique Pouzadoux, maire de Gannat (Allier) et vice-présidente de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), ainsi qu'à M. Laurent Dejoie, vice-président de la région Pays de Loire et représentant de l'association Régions de France (ARF). L'association des Départements de France (ADF), qui n'a pas désigné de représentant, pourra contribuer par écrit à nos travaux.
Notre commission d'enquête est consacrée aux missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, c'est-à-dire à l'efficacité d'une organisation de l'État fondée depuis les années 1990 sur la multiplication d'agences de toutes natures - et aux doublons éventuels de compétence que cette organisation a pu faire naître. Le point de vue des collectivités territoriales est particulièrement intéressant, car elles sont en lien régulier avec ces agences, en plus de leurs relations avec les services extérieurs de l'État. De plus, certains considèrent aujourd'hui qu'il serait nécessaire de clarifier la répartition des compétences entre certaines agences et les collectivités territoriales.
On évoque souvent le « millefeuille » territorial, dont Boris Ravignon a tenté de calculer le coût l'an dernier. Nous nous intéressons pour notre part à l'autre « millefeuille » que constituent les agences et opérateurs de l'État - lesquels seraient plus précisément 1 244, selon le décompte réalisé par l'Inspection générale des finances (IGF) en 2012, ou 1 169 selon un décompte que nous a adressé il y a quelques jours la secrétaire générale du Gouvernement.
Ce n'est pas seulement leur coût qui nous intéresse, mais l'efficacité de la multiplication des agences, opérateurs, commissions consultatives, notamment depuis les années 1990 sous l'influence des théories du « New Public Management », processus que nous ont bien décrit les experts et hauts fonctionnaires que nous avons auditionnés.
J'ai trois questions et une proposition.
Ces agences sont-elles une manière pertinente pour l'État de mettre en oeuvre certaines politiques publiques, par exemple parce qu'elles requièrent des compétences ou une réactivité particulières ? Certaines agences créées dans un but précis n'ont-elles pas tendance à perdurer même lorsque leur besoin disparaît ? Quels rapports concrets entretenez-vous avec telle ou telle agence - pouvez-vous illustrer votre propos par des exemples concrets ?
Nous recevrons après-demain l'association des préfets : quelles questions auriez-vous à leur poser au sujet des relations entre les agences de l'État et les services placés sous l'autorité du préfet ?
Avant de vous laisser la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite en conséquence à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Laurent Dejoie et Mme Véronique Pouzadoux prêtent serment.
M. Laurent Dejoie, vice-président de la région Pays de Loire et représentant de l'Association Régions de France. - La région des Pays de la Loire se félicite de votre commission d'enquête, vos propositions seront les bienvenues. Nous partageons votre objectif d'un état des lieux et d'une recherche d'efficacité : l'objectif n'est pas de supprimer des agences, mais d'identifier les doublons et de cibler les agences dont l'utilité n'est pas démontrée.
Une agence est-elle un dispositif pertinent pour mener une action de l'État ? Il n'y a pas de réponse générale, cet outil peut être très pertinent, même si, en principe, les services de l'État sont outillés pour conduire et suivre les politiques publiques. Quelle est la « bonne » durée, ensuite, pour une agence ? Cela dépend aussi, mais on pourrait proposer d'instituer une durée limitée dès l'origine : une agence serait créée pour le temps qu'on estime alors nécessaire à la mission, et devrait être prolongée par un acte juridique explicite pour aller au-delà.
Je n'ai pas de questions particulières à poser aux préfets, mais je leur adresserais plutôt un voeu : celui qu'ils dirigent effectivement l'ensemble des administrations de leur périmètre d'intervention, qu'ils chapeautent réellement les services de l'État.
Un mot de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), qui soutient les collectivités territoriales en ingénierie. Il nous semble qu'on devrait réviser en profondeur les interventions de cette agence, pour les coordonner mieux avec celles des régions, car les champs se recoupent souvent, il y a des doublons. La même remarque vaut encore davantage pour l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep), dont les interventions chevauchent largement celles des régions. (La connexion avec l'interlocuteur s'interrompant, le président donne la parole à la seconde personne auditionnée.
Mme Véronique Pouzadoux, maire de Gannat (Allier) et vice-présidente de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF). - Merci pour votre invitation. Je suis maire de Gannat, dans l'Allier, et je suis également présidente de la Communauté de communes Saint-Pourçain Sioule Limagne, et c'est à ce double titre que je suis présidente de l'AMF, avec sa dimension « intercommunalité ».
David Lisnard, le président de l'AMF, dit souvent que « l'organe crée la fonction et l'organe crée la norme », c'est à la source de ce problème central pour les élus locaux : celui d'être noyés sous les normes.
Qu'est-ce qu'être élu, dans l'une des quelque 34 000 communes du territoire national ?
C'est d'abord avoir été choisi sur un programme électoral qui porte sur l'aménagement du territoire communal et l'adaptation des services publics ; notre but est d'adapter le service public pour répondre aux demandes des citoyens, lesquelles évoluent d'année en année. Nous avons besoin de souplesse, pour nous adapter aux changements de contexte, qui peuvent aller dans le bon sens, par exemple l'installation d'une entreprise, l'arrivée d'une ligne de transport, ou dans le mauvais sens, par exemple un aléa climatique qui oblige à des travaux non prévus. Nous nous adaptons au gré de l'actualité, mais les moyens ne suivent pas suffisamment les transferts de compétences.
Être élu, c'est aussi être en action. C'est alors que le maire se voit confronté à une multiplicité d'acteurs, de services de l'État, qui ont chacun leur interprétation de la norme, leurs critères et leurs injonctions. Nous sommes responsables en tant que maires, car nous nous sommes engagés devant nos concitoyens sur un programme, mais les services de l'État nous renvoient aussi à notre responsabilité juridique. Ces services ont parfois des injonctions contradictoires, ils ne sont pas toujours d'accord entre eux - c'est pénible, parfois décourageant, et cela peut même conduire à empêcher des projets qui sont pourtant financés.
Autre complication : nous avons le sentiment qu'à travers les agences et leurs programmes, les territoires et les collectivités territoriales sont regardés comme des lieux d'expérimentation. Nous avons notre projet, pour lequel nous avons été élus, mais nous devons nous en écarter pour répondre aux objectifs énoncés par les agences, aux critères précis des programmes, qui ne sont pas forcément ceux du territoire.
On peut, alors, poser cette question : qui décide des stratégies énoncées par les agences ? Les agences elles-mêmes ? Les ministères ? Le Parlement ? Comment ces stratégies sont-elles actualisées dans le temps ? Il semble qu'on crée une agence chaque fois qu'un problème apparait, comme si l'administration devait externaliser l'action dès qu'un problème nouveau se posait.
Quand un problème se pose, l'élu local décide, il est le garant de la décision et a besoin d'un interlocuteur pragmatique en responsabilité du côté de l'État. C'est pourquoi, à l'AMF, nous mettons l'accent sur le couple préfet-maire. Quand je parle de pragmatisme, cela ne veut pas dire que nous demandons des dérogations, il s'agit plutôt d'appliquer la loi au plus près du terrain, dans le « dernier kilomètre », ce qui suppose parfois certaines adaptations à assumer dans une logique territoriale.
Le président de l'AMF dit qu'il faudrait supprimer les deux tiers des agences, je ne sais pas ce qu'il en est et je ne suis pas en mesure d'évaluer ce point. En revanche, ce que je vois, c'est que l'État a recouru à des lois d'exception quand il voulait avancer rapidement, par exemple après l'incendie de Notre-Dame de Paris, pour organiser les Jeux olympiques ou encore après le cyclone qui a ravagé Mayotte : ne faut-il pas en tirer les leçons, se demander si ce mode d'action ne devrait pas devenir la règle afin d'avancer ?
On peut aussi se demander à qui sert l'expertise. Nous travaillons avec les agences et, comme vous le savez bien, « chaque niche a son chien » : on nous aide parfois à faire des études qui ne sont pas notre priorité, mais qui entrent dans la politique publique promue par telle ou telle agence : en tant que maires, nous avons besoin de faire venir des investisseurs, plus que de conduire des études sur un territoire que nous connaissons. Comme présidente des maires de l'Allier, j'ai réalisé que pendant notre mandat de maire, nous nommons près de 600 élus dans 101 instances, dont les comités ne se réunissent parfois qu'une fois par an.
Enfin, si j'avais une question à poser aux préfets, ce serait de savoir quelle responsabilité ils sont prêts à endosser pour devenir l'interlocuteur unique des collectivités territoriales, au nom de l'État, dans le département.
Une question, enfin, que je livre à votre perspicacité : si l'on parle d'efficacité, quelle place faire à l'intelligence artificielle, en particulier dans les études et expertises - ne serait-ce pas un levier d'économies pour les comptes publics ?
M. Laurent Dejoie. - Je reprends sur l'Onisep : les compétences de cet office devraient être transférées en quasi-totalité aux régions. Les compétences de FranceAgriMer redoublent aussi avec celles des régions, notamment dans les lancements d'appels à projets ou les allocations de fonds de cofinancement : un travail de rationalisation s'impose. Nous avons aussi des propositions pour modifier la répartition des compétences avec l'Agence de services et de paiement (ASP), pour que les régions deviennent leur propre autorité de paiement pour le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) comme c'est déjà le cas pour le Fonds européen de développement régional (Feder), le fonds social européen (FSE) et le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche et l'aquaculture (FEAMPA). Enfin, nous souhaitons l'attribution aux régions d'une délégation de gestion du Fonds « chaleur » et du Fonds « économie circulaire », actuellement aux mains de l'Agence de la transition écologique (Ademe).
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Monsieur Dejoie, vous parlez de reprendre le rôle de FranceAgriMer ou de l'ASP pour le versement des aides de la politique agricole commune (PAC), ce qui ressemble à ce que vous faites déjà sur d'autres aides. Si oui, serait-ce à moyens constants, ou bien quelle serait la charge supplémentaire ? Y aurait-il un gain d'efficacité ? Seriez-vous capable de faire moins cher que ce que fait l'ASP à l'échelle de toutes les régions ?
Sur la délégation du Fonds « chaleur » et du Fonds « économie circulaire », ensuite, quel sort faites-vous de l'expertise mobilisée aujourd'hui par l'Ademe pour choisir les dossiers ? Faut-il laisser la main aux régions, ont-elles les moyens d'une telle expertise, ou bien pensez-vous à une structure mutualisée entre les régions ?
Vous semblez, l'un et l'autre, dire que le préfet ne serait pas le chef d'orchestre des services de l'État dans le département : avez-vous des exemples précis pour illustrer ce propos ?
Enfin, nous avons demandé à chacune des associations d'élus auditionnées aujourd'hui, de nous communiquer par écrit des exemples précis de circuits décisionnels, pour retracer le parcours concret de dossiers, depuis le projet jusqu'à l'inauguration, et mesurer le nombre d'interlocuteurs aux différents échelons, ainsi que le rôle joué par les agences de l'État.
M. Laurent Dejoie. - Dès lors que nous opérons déjà les paiements de plusieurs fonds européens, je ne vois pas ce qui s'oppose à ce que nous le fassions pour d'autres ; nous n'avons pas évalué les coûts de cette extension, mais le gain de temps sera positif : on gagnera sur la complexité actuelle des fonds européens, souvent liée au nombre d'audits qu'il faut faire à chacun des étages décisionnels. La simplification sera bienvenue même si nous pouvons avoir quelques surcoûts.
Nous réfléchissons à l'expertise dès qu'on envisage de décentraliser une compétence. Les régions ont commencé à distribuer des fonds structurels en 2015, il nous a fallu intégrer ce métier et s'il y a eu un petit temps d'adaptation, il me semble que les choses fonctionnent bien désormais. En réalité, il n'y a pas d'expertise que les régions ne puissent acquérir ou déployer, et la bonne façon de procéder, c'est de donner aux régions les moyens qui leur permettent d'être les meilleures dans leur périmètre - elles sont tout à fait capables de former leurs agents ou d'en recruter, en tant que de besoin.
Sur le rôle du préfet, notre attente est bien qu'il soit le chef d'orchestre, qu'il gère l'ensemble des services de l'État sur le territoire de son ressort, qu'il soit l'interlocuteur des collectivités territoriales sur toutes les questions, pour toutes les composantes de l'État. Alors je sais bien que des administrations ne sont pas gérées par les préfets, comme l'Éducation nationale, mais ce n'est pas à Régions de France de régler cette question...
Mme Véronique Pouzadoux. - Les élus locaux en viennent à se poser la question de savoir si l'État parle d'une seule voix. Lorsque, par exemple, on voit l'État et l'Agence régionale de santé (ARS) prendre tous deux la parole lors de l'inauguration d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), on est en droit de se demander si l'État est un et indivisible. Le préfet manque de marge d'action face au directeur territorial de l'ARS. La situation est la même en matière d'aménagement des établissements scolaires, où le préfet et le directeur académique ne disent pas la même chose.
En réalité, la gestion « en silo » déborde largement la question des agences de l'État, nous la vivons au quotidien. Il y a des situations ubuesques : une maison de santé peut très bien être soutenue par de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), mais pas par l'ARS. Il y a certes des agences dont les règles sont connues, par exemple les agences de l'eau ; cependant, même avec des critères objectifs les choses ne sont pas toujours simples et le préfet n'a aucune visibilité sur les dossiers, ni sur leurs chances d'aboutir. Ces situations d'incertitude et de flous sont nombreuses, elles posent des problèmes récurrents.
M. Ludovic Haye. - On parle du couple maire-préfet, mais les parlementaires et les sénateurs apportent aussi de l'huile dans les rouages au niveau local. Cependant, notre commission d'enquête vise à optimiser les processus, c'est important que nous le fassions avec vous.
La question de la responsabilité est centrale. Il y a un tournant avec le fait que, de plus en plus, on porte plainte. La crainte des élus, c'est bien d'être poursuivis en justice pour des faits qu'ils accomplissent, en réalité, parce qu'ils font leur travail. Je me demande si l'on n'a pas, dans certains cas, créé des agences pour « faire quelque chose » face à des problèmes, parce qu'on ne pouvait pas ne rien faire - et qu'ensuite, l'action est perpétuée, parce qu'il vaut mieux prévenir que guérir.
La question de la responsabilité se pose aussi au niveau du préfet. Lors d'une réunion où on me disait que les parlementaires font trop de lois, un préfet a pris ma défense que c'est peut-être plutôt ses services qui surinterprètent ces lois. Certains préfets en sont conscients et prennent leurs responsabilités face à leurs services, alors que d'autres se laissent plus diriger par leur administration.
En tout état de cause, si nous supprimons des agences, il faudra assumer la question de la responsabilité, parce qu'il est parfois bien pratique de renvoyer la responsabilité aux agences.
M. Pierre Barros, président. - L'intercommunalité est une échelle intéressante pour monter des projets de territoires. On se trouve alors en position de négocier avec le préfet, le sous-préfet, la mise en place de politiques publiques nationales - c'est mon expérience, par exemple dans la mise en place d'un schéma de cohérence territoriale (Scot), qui demande de la prospective. L'intercommunalité ne devient-elle pas alors une sorte d'agence qui met en oeuvre des politiques qui étaient autrefois portées par l'État et qu'elle assume désormais ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pour les politiques partagées, comme l'orientation professionnelle ou le soutien à l'agriculture, les agences de l'État ont-elles une instance de dialogue avec les régions, ou bien agissent-elles de leur côté ? L'Onisep, par exemple, se concerte-t-il avec vous sur les sujets d'orientation et de formation pour éviter les doublons - ou bien conduit-il son action comme s'il était seul à s'occuper de formation et d'orientation ?
M. Laurent Dejoie. - Le dialogue avec ces agences est en général extrêmement compliqué, il y a un effet de « silo » et il n'y a pas de volonté manifeste de collaborer pour se répartir la tâche ou avancer plus vite. Ces agences se considèrent comme délégataires de l'État, et elles n'entendent pas abandonner une parcelle de leurs missions. C'est aussi un problème de feuille de route des agences, il faudrait les faire davantage évoluer. Mais pour répondre directement à votre question : non, il n'y a pas de partage spontané de l'action, ni de collaboration spontanée.
Mme Véronique Pouzadoux. - Je pense qu'une intercommunalité sert à faire à plusieurs ce qu'on ne peut pas faire seul, mais comme présidente d'intercommunalité, je ne porte pas de jugement sur les dossiers des communes : je ne suis pas là pour prioriser les projets entre ces dernières. Cependant, l'intercommunalité est la bonne échelle, quand elle a été bien faite et non pas imposée, pour avoir une visibilité et une prospective d'ensemble sur les politiques publiques. On est alors de bons élèves pour appliquer la loi, mais on n'en devient pas pour autant une agence de l'État ; en fait, on est alors en capacité, dans un cadre défini, avec ses règles, d'agir dans les axes territoriaux, avec une marge de négociation. Par exemple, quand j'entreprends de refaire mon Scot en 2022-2023, les services de l'État me parlent de « zéro artificialisation nette » (ZAN) pour 2050 : je réponds qu'il faut raisonner en tendance, travailler avec les maires pour montrer qu'on va dans cette direction, en laissant une marge d'appréciation pour tenir compte des spécificités de tel ou tel territoire, qui n'entrent pas dans les critères fermés. Je pense que nous ne sommes pas des agences de l'État : nous ne créons pas de la norme, mais nous mettons en place le projet pour lequel nous avons été élus, avec les outils des politiques publiques.
M. Laurent Dejoie. - Un exemple concret de non coopération : l'Onisep a développé jusqu'à l'an passé la plateforme numérique « Avenir(s) » sans aucune concertation avec les régions, il nous a fallu batailler pendant une année avec les ministères de tutelle pour coconstruire des solutions techniques avec l'État - la Cour des comptes a dénoncé ce doublon coûteux et peu efficace.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quelles sont vos relations avec l'ANCT ? Cette agence répond-t-elle à vos attentes, dans des délais raisonnables ? Y a-t-il des doublons avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) ?
Mme Agnès Canayer. - En complément, la loi 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration, dite loi « 3DS », en confiant aux préfets le rôle de délégué territorial d'agence, a-t-elle fluidifié la gestion de vos projets ? A-t-on gagné en efficacité, ou bien les difficultés d'orchestration des préfets avec certaines des administrations territoriales persistent-elles ? Je pense aux directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) ou aux directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), où l'on sent que les préfets n'ont pas toujours la main sur leurs propres services.
M. Cédric Vial. - Nous avons instauré cette commission d'enquête parce que nous avons le sentiment d'impuissance publique, notamment en raison d'un enchevêtrement de normes qui empêche toute efficacité. La question de fond est ainsi celle de l'articulation entre efficacité et légitimité. Je pense que la légitimité est intrinsèquement liée à la responsabilité.
La lisibilité est importante, aussi pour le citoyen, mais ce n'est pas une fin en soi - ce qui compte, c'est la responsabilité, et il faut dire que des agences ont été installées un peu pour se débarrasser de cette responsabilité - c'est assez pratique, pour les élus, pour dire que les autres sont responsables des problèmes qu'on ne parvient pas à régler. Vos associations sont-elles favorables à donner plus de responsabilité aux élus - comment voyez-vous l'articulation entre légitimité et efficacité ?
M. Pierre Barros, président. - Vous dites que des opérateurs de l'État créent des normes : en avez-vous des exemples concrets ?
Mme Véronique Pouzadoux. - Les élus locaux sont déjà responsables, et nous sommes capables d'aller plus loin dans ce sens si la logique est inversée : il faut partir des projets de territoires, ce qui suppose les transferts financiers afférents, plutôt que de faire des élus locaux des opérateurs de politiques publiques définies par l'État à une autre échelle. Pourquoi veut-on travailler avec les agences, pourquoi s'adresse-t-on par exemple à l'ANCT ? Mais parce que nous ne pouvons pas, localement, assumer certaines des compétences qui nous ont été transférées, il nous manque de l'expertise et surtout des moyens financiers.
En réalité, votre commission d'enquête touche à la philosophie de l'action publique et vous avez à réfléchir à une réorganisation globale de cette action. Dans le fond, nous avons besoin d'un État accompagnateur de nos projets de territoires, plutôt qu'un État censeur. Il y a eu des progrès dans ce sens, sur le papier : le préfet est devenu délégué territorial des agences, c'est très bien en théorie - mais dans la pratique, le rôle du préfet est souvent de « passer les plats » plutôt que de décider, et finalement cette réforme n'est qu'une fausse simplification, qui compromet la parole de l'État puisque le préfet se trouve affaibli quand un service déconcentré ou une agence n'a pas la même réponse que lui, et cela se voit.
L'ANCT et le Cerema sont des institutions différentes, elles n'ont pas les mêmes compétences et ne sont donc pas consultées sur les mêmes sujets. Leurs prestations sont en partie payantes, ce n'est pas neutre, et le Cerema est peu accessible pour les petites collectivités. Les relations avec l'ANCT sont fondées sur la labellisation, laquelle pose des questions d'un autre registre. Les études territoriales soutenues par l'ANCT pour accéder au label sont intéressantes si elles prolongent un projet territorial, pas si elles consistent à plaquer un modèle et encore moins si elles reviennent à ce que des bureaux d'études vous expliquent votre territoire comme si vous ne le connaissiez pas... La qualité de ces études dépend donc du bureau d'études, et de la place qui est laissée aux élus locaux, j'ai des exemples d'études utiles et inutiles, tout dépend du projet de portage et de la façon d'associer les élus locaux.
Des agences créent des normes, ne serait-ce que par la définition des critères de sélection des dossiers qu'elles soutiennent. Voyez, par exemple, les agences de l'eau : elles établissent des critères qui ne sont pas définis par la loi ni par le règlement, très techniques, mais qui infléchissent l'aménagement du territoire par les financements qu'ils procurent, rendant possibles ou impossibles des projets sans que vous compreniez toujours pourquoi.
M. Laurent Dejoie. - L'ANCT a été créée pour aider les collectivités territoriales, mais elle déploie parfois des dispositifs concurrents avec ceux des régions. Le temps que l'ANCT passe sur ces dispositifs est autant de moins pour le conseil aux collectivités, un conseil qu'elle sous-traite alors à des cabinets privés très coûteux : cela questionne l'efficacité du système...
Le fond du problème, c'est que la décentralisation n'est pas achevée en France, nous sommes à mi-chemin : les labels ou le feu vert d'une agence ont souvent cette fonction de garantir l'avancement d'un dossier - et donc de validation. Je crois qu'il faut avancer dans la décentralisation, pour éviter ces biais qui sont assurément inefficaces.
S'agissant de la responsabilité, enfin, on voit rarement des élus refuser des responsabilités - ce qu'ils demandent, ce sont des moyens, financiers et juridiques, d'exercer ces responsabilités, ils demandent à ce que leur responsabilité soit pleinement reconnue, et cela nécessite un ajustement de la décentralisation.
M. Christian Bilhac. - Avez-vous une estimation du temps passé dans les négociations et réunions interminables, de l'énergie qu'il faut pour coordonner la machinerie administrative ? Est-ce que des projets échouent à cause du manque de coordination dans les financements et du nombre des participants ?
Mme Véronique Pouzadoux. - Je ne sais pas le temps qu'on y passe, c'est incalculable, tout projet avec plus de deux acteurs prend du temps. Ce qui est compliqué, c'est aussi le principe d'annualité budgétaire et la nécessité de financements croisés, laquelle est bien le signe que chacun de nous n'a pas les moyens suffisants pour conduire sa politique. En raison de temporalités diverses et de défaut de coordination entre services, des dossiers se retrouvent dans l'impasse. Il faut se montrer vigilant. Je ne comprends pas pourquoi alors que des élections locales tranchent entre des projets d'aménagement du territoire, on n'est pas capable, sur la base de ces projets territoriaux, de mettre les interlocuteurs autour de la table pour voir comment avancer, avec un État qui serait en capacité de répondre, ou pas, aux options du projet territorial choisi par les habitants : une organisation qui partirait du projet territorial ferait gagner beaucoup de temps et d'énergie.
M. Christian Bilhac. - Clemenceau disait que pour être efficace, une commission devait compter un nombre impair de membres - et que trois membres, c'était déjà trop...
M. Christophe Chaillou. - En tant qu'ancien maire et président d'intercommunalité, j'ai le sentiment que les choses ne sont pas très fluides dans nos propres structures ; on dit souvent que les complications viennent de l'État, des agences, mais j'ai le sentiment, et l'expérience, de difficultés internes : j'ai constaté qu'il était de plus en plus difficile d'animer l'intercommunalité, en raison de logiques communales et de services qui suivent des logiques distinctes. C'est une évolution générale, qui n'est pas uniquement liée aux agences.
Il me semble, ensuite, que des préfets ont une capacité réelle d'animer et de coordonner l'action locale de l'État, même s'ils n'ont pas la maîtrise directe de certains moyens : c'est ce qui se passe dans le Loiret et je ne crois pas que ce soit une exception. Les préfets agissent pour que l'action avance rapidement et de façon efficace. Je l'ai vu concrètement avec le sauvetage de l'usine Duralex : la préfète a pris les dispositions nécessaires et mis tout le monde autour de la table. Je suis donc un peu gêné par certaines remarques sur les préfets et l'idée qu'ils n'auraient plus de capacité d'action, ce n'est pas le sentiment que j'en ai localement, je dirais plutôt que les préfets sont de bons serviteurs de l'État.
Des régions, enfin, ont créé des agences, par exemple pour des raisons financières, et des élus locaux disent que les circuits ne sont pas toujours simples. C'est le cas aussi d'ailleurs à l'échelle intercommunale. Avez-vous, à Régions de France, évalué cette situation et le rôle des agences régionales ou infrarégionales ?
M. Hervé Reynaud. - Le président de l'AMF estime, nous dites-vous, que deux-tiers des agences devraient disparaitre. Les agences sont largement critiquées par les élus locaux, c'est un discours récurrent ; cependant, quelles agences trouveraient grâce à vos yeux, lesquelles faut-il conserver ?
M. Cédric Vial. - Je partage cette idée que la décentralisation n'est pas terminée - c'est même mon leitmotiv. Notre objectif, ici, n'est pas de faire disparaitre des agences, mais de rendre l'action publique plus efficace. Le problème aujourd'hui est que ceux qui ont été élus pour prendre des décisions n'exercent plus tout à fait le pouvoir, tandis que les gens qui l'exercent n'ont jamais été élus pour le faire. Cela pose la question de qui décide et qui a été mandaté pour le faire - c'est bien la question de la décentralisation. Je reprends l'exemple de l'ingénierie, avec les agences de l'eau : les études qu'elles nous proposent ne sont pas pertinentes et suffisamment précises pour appréhender la réalité de nos territoires. Elles se bornent à faire des recommandations inapplicables et à accabler notre action. Si cette compétence était décentralisée, nous n'aurions pas ce décalage.
Les agences de l'eau créent de la norme, jusqu'à contrarier l'intention du législateur. Dans mon département, je me suis étonné que l'agence de l'eau ne subventionne quasiment aucune commune rurale, et qu'elle passe presque systématiquement par les intercommunalités, à l'exception d'une commune où il y a une station de ski. J'ai donc interrogé l'agence de l'eau, le préfet, et après avoir insisté j'ai fini par obtenir cette réponse : l'agence de l'eau a décidé de ne pas subventionner les communes qui n'auraient pas essayé de passer par une intercommunalité - alors même qu'ici, au Parlement, nous avons explicitement prévu que la compétence pouvait rester communale ! Et quand j'ai demandé pourquoi la commune à la station de ski faisait exception, on m'a répondu qu'elle avait présenté un bon dossier. En fait, les dossiers sont complexes à monter, les petites communes ont du mal à les élaborer. En réponse à ces difficultés, l'agence de l'eau propose de financer le département pour recruter des agents qui aideront les communes à remplir leurs dossiers : on marche sur la tête ! Ce qu'il faudrait surtout, c'est simplifier...
M. Laurent Dejoie. - Il est vrai qu'il y a des situations kafkaïennes aussi dans les collectivités territoriales, que tout n'y est pas fluide - mais quand cela se produit dans une collectivité, on peut régler les choses rapidement, avec l'intervention des élus, qui sont responsables, alors que cela peut prendre des années dans les administrations, faute d'arbitrage.
Les collectivités territoriales ont créé des satellites, dont l'utilité doit être examinée. Nous avons fermé une société d'économie mixte (SEM) il y a trois ans, et nous réfléchissons à la manière de travailler différemment : nous nous appliquons à nous-mêmes le raisonnement que nous préconisons. À une époque, nous avons créé de nombreux satellites en raison d'obstacles réglementaires et financiers. Cependant, grâce aux progrès dans l'organisation des collectivités et la législation nationale, certains de ces satellites sont moins utiles. Les groupements d'intérêt public (GIP) offrent une manière de collaborer entre collectivités sans entraîner de cotisations ni de pertes de compétences. Les collectivités sont capables de juger de leur propre capacité à être performantes et nous examinons cette question régulièrement.
Mme Véronique Pouzadoux. - Votre commission d'enquête ne portant pas sur l'administration des collectivités territoriales, je n'ai pas parlé des complexités qui s'y trouvent également. Cependant, je le dis en passant, nous avons, nous, des élections régulières...
Certaines agences de l'eau fonctionnent très bien et nous accompagnent depuis des années. Je dirai qu'avec elles, il s'agit surtout de quelques ajustements à faire, pas d'une remise en question.
L'AMF n'a pas à dire quelle agence supprimer ou conserver, nous n'avons pas la légitimité pour le faire. Mais ce que nous pouvons dire, c'est de quelle expertise nous avons besoin. Le problème est bien plus large que d'établir une liste de « mauvaises » agences qu'il faudrait supprimer. Ce qui compte pour nous, c'est d'être accompagnés à la bonne échelle, avec l'expertise pertinente, et surtout d'avoir un interlocuteur du côté de l'État qui établisse clairement les règles et donne une feuille de route claire aux politiques publiques. L'externalisation vers des agences n'est pas un remède en soi, le mandat des agences mérite d'être redéfini par l'État. Les responsabilités ne sont pas aujourd'hui facilement identifiables. Il est peut-être temps de s'interroger intelligemment sur cet ordre des choses.
M. Pierre Barros, président. - Merci pour votre participation.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Isabelle Dugelet, représentante de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), MM. François de Mazières, représentant de France urbaine, et Sébastien Miossec, représentant d'Intercommunalités de France
M. Pierre Barros, président. - Nous consacrons une deuxième audition aux collectivités territoriales. Nous venons ainsi de recevoir les représentants de Régions de France et de l'AMF. Après ce point de vue par les différents niveaux de collectivités territoriales, il sera intéressant de voir dans cette seconde table ronde quels liens, selon le type de territoire, les collectivités entretiennent avec les agences et opérateurs en fonction.
Nous recevons dans cette seconde table ronde M. François de Mazières, maire de Versailles (Yvelines) et trésorier de France urbaine et M. Sébastien Miossec, maire de Riec-sur-Bélon (Finistère) et président délégué d'Intercommunalités de France, ainsi que, en visioconférence, Mme Isabelle Dugelet, maire de La Gresle (Loire) et représentante de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). Vous êtes maires de communes allant de 850 à 84 000 habitants : vous représentez la diversité des territoires autant par les communes dont vous êtes personnellement élus que par les associations que vous représentez.
Notre commission d'enquête porte sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs. C'est un périmètre très large, qui toutefois se limite à l'État : nous vous interrogerons donc sur vos relations avec les agences de l'État, et non avec les établissements dépendant des collectivités locales - que Jean-Ludovic Silicani chiffrait à plus de 100 000 devant nous la semaine dernière.
Au niveau de l'État, cet ensemble représente 1 169 entités, selon un décompte que nous a communiqué la Secrétaire générale du Gouvernement, au sein desquels se trouve une grande diversité d'organismes : plus du tiers sont des groupements d'intérêt public (GIP), 262 sont des établissements publics administratifs (EPA), 150 environ des universités et grandes écoles...
Avez-vous, dans les territoires que vous représentez, le sentiment d'un foisonnement d'agences et d'opérateurs de l'État, qui s'ajoutent aux services dépendant directement du préfet ou des ministères ? Est-il difficile de s'y retrouver pour un maire ou pour une intercommunalité, en fonction de la taille de la commune ou de l'agglomération ? D'une manière générale, quels types de relations entretenez-vous avec ces entités ?
Par-delà le coût de ces agences qui est souvent mis en avant dans le débat public, à grands renforts de chiffres qui mélangent trop souvent les dépenses de fonctionnement et d'intervention, c'est d'abord l'efficacité de ce type d'organisation pour mettre en oeuvre les politiques publiques qui nous intéresse.
Des exemples concrets nous seront utiles pour prendre la mesure du phénomène et des enjeux qu'il soulève ; vous pouvez citer les agences avec lesquelles vous avez le plus de contacts, et que nous recevrons dans les semaines à venir pour certaines d'entre elles.
Enfin, nous recevrons très prochainement, dans le cadre de nos auditions « territoriales » l'association des préfets : y a-t-il une interrogation que nous pourrions leur transmettre de votre part, par exemple au sujet de la cohabitation entre les services préfectoraux et les agences au niveau local ?
Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc tous trois à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Isabelle Dugelet et MM. François de Mazières et Sébastien Miossec prêtent serment.
Mme Isabelle Dugelet, représentante de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). - Le président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), Michel Fournier, a beaucoup oeuvré pour mettre en place le programme Villages d'avenir. Lancé il y a un an et demi, ce dispositif vient compléter les programmes Action coeur de ville, dédié aux villes moyennes, et Petites villes de demain, qui concerne les communes de taille moindre. Il a permis de déployer, dans chaque département, des chefs de projet financés par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), apportant un soutien concret aux communes rurales. Ces dernières, après avoir candidaté, bénéficient désormais d'un accompagnement pour mener à bien leurs projets locaux. Il est essentiel que les services de l'État leur apportent l'ingénierie qui leur fait souvent défaut.
Les comités locaux de cohésion territoriale, qui se sont progressivement développés, constituent également un levier important pour les communes rurales. Bien que leur répartition sur le territoire ne soit pas homogène, leur mise en place a permis d'élaborer un guide de l'ingénierie, offrant aux communes une meilleure visibilité sur l'ensemble des services et agences pouvant répondre à leurs besoins. Cette initiative contribue à pallier le manque d'information auquel sont confrontés les élus ruraux, qui ne peuvent compter que sur leurs secrétaires de mairie, déjà fortement sollicités.
Nous estimons que les dispositifs d'accompagnement des élus locaux se sont réellement améliorés au fil du temps. Les préfectures sont devenues des portes d'entrée uniques dans de nombreux départements : si un élu du monde rural souhaite porter un projet, il peut consulter la préfecture qui l'accompagnera dans ses démarches, aussi bien en matière d'ingénierie qu'en matière de recherche de financements.
M. François de Mazières, représentant de France urbaine. - L'association France urbaine, transpartisane, représente les élus des grandes villes, agglomérations, communautés urbaines et métropoles. Elle réunit 110 adhérents et couvre trente millions d'habitants et 2000 communes.
Les liens de France urbaine avec les agences sont nombreux, notamment avec l'Agence de la transition écologique (Ademe), le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), les Agences régionales de santé (ARS), l'ANCT, l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ou les agences de l'eau. France urbaine est d'ailleurs présente dans les conseils d'administration d'un grand nombre de ces agences. Ce faisant, nos services collaborent régulièrement.
Les agences sont présentes au niveau local, notamment à travers des référents locaux dont certains sont directement rattachés à la préfecture. Le préfet est notamment le représentant de l'ANRU localement. Il est également le délégué territorial de l'ANCT. De fait, pour ce type d'agences, le lien avec la préfecture est assez évident, ce qui n'est pas le cas pour de nombreuses autres.
L'attribution des missions est claire s'agissant des agences avec lesquelles nous travaillons le plus fréquemment : l'ANRU pour la rénovation urbaine, dont nous soulignons la qualité du travail réalisé, l'ANAH pour l'habitat privé, les agences de l'eau, qui entretiennent de bons rapports avec les villes et les intercommunalités, pour les opérations sur les cours d'eau ou encore l'ANCT, historiquement centrée sur les enjeux des petites communes, mais dont les développements récents, notamment le programme Territoires d'industrie, intéressent directement les adhérents de France urbaine.
Dans le cadre de votre enquête, nous souhaitons rappeler quelques considérations pragmatiques : le modèle des agences n'est ni intrinsèquement bon ni mauvais. Il ne possède pas de vertu en soi. L'essentiel est d'évaluer la pertinence des politiques qu'elles mènent, la clarté de leur mandat, ainsi que la qualité du pilotage et du contrôle exercés par l'État sur ces satellites.
Il est fréquent d'observer, tant dans le secteur public que privé, des alternances entre internalisation et externalisation des politiques mises en oeuvre. Les agences, de la même façon, sont créées en réponse à un besoin, celui du déploiement d'une politique autonome sur un domaine particulier. Cette approche s'apparente à la gestion d'une entreprise : si la création de services peut être rendue nécessaire par les besoins de l'entreprise, leur suppression ou fusion avec d'autres services doivent pouvoir être envisagées lorsque ces derniers deviennent surabondants. Cette flexibilité dans la gestion des services nous semble une approche saine.
Par ailleurs, les difficultés de collaboration entre l'administration et les collectivités territoriales ne sont pas apparues avec les agences. À l'échelle locale, l'articulation des actions demeure complexe, notamment avec l'Éducation nationale ou les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) dans le cadre de l'élaboration de projets urbains.
France urbaine réaffirme donc son attachement à certains principes.
Tout d'abord, la nécessité d'une orientation claire en matière de financement de la transition écologique. De nombreuses agences interviennent dans ce domaine stratégique. Le questionnement sur le devenir de ces agences, s'il est important, ne doit pas remettre en cause les politiques publiques qu'elles déploient et les financements afférents. Sans ces ressources, les territoires urbains ne pourront pas respecter les engagements pris dans le cadre des Accords de Paris.
Ensuite, le besoin d'un soutien clair à l'ANRU, dont les financements relèvent pour l'essentiel d'Action logement, et aux agences de l'eau, dont la diminution des crédits nous inquiète.
Enfin, il est essentiel de renforcer le lien avec les préfectures. Le préfet représente, au niveau territorial, l'interlocuteur principal des agences nationales. Toutefois, la coordination avec ces agences peut parfois s'avérer complexe, en raison notamment des capacités de pilotage des préfectures, aujourd'hui fragilisées par la réduction des effectifs.
Dans ce contexte, la clarification des partenariats par le biais de contractualisations pluriannuelles apparaît essentielle afin de sécuriser les financements et de mieux structurer les orientations stratégiques. Ce modèle, qui s'applique efficacement à l'ANRU, s'inscrit également dans la logique des contrats de relance et de transition écologique (CRTE) et constitue un cadre de référence pour l'ANCT. Toutefois, la multiplication des appels à projets complique la mise en oeuvre de cette approche.
Par ailleurs, il est nécessaire de réaffirmer la coopération territoriale. Le dialogue demeure inégal selon les domaines, notamment en matière de santé, où les relations avec les ARS et leurs délégations territoriales sont hétérogènes. Certains adhérents de France urbaine estiment que l'ancien modèle, dans lequel les préfets jouaient un rôle central concernant les questions de santé, présentait des avantages indéniables.
M. Sébastien Miossec, représentant d'Intercommunalités de France. - Je siège au conseil d'administration de l'ANAH en tant que représentant des Intercommunalités de France et en exerce la vice-présidence, sans fonction exécutive spécifique.
Nous saluons le travail engagé par le Sénat sur la question des agences, qui soulève des enjeux à la fois techniques, politiques et citoyens, dans un contexte marqué par une forte agencification de l'État. Ces agences jouent un rôle essentiel dans la mise en oeuvre des politiques publiques et sont des partenaires privilégiés à l'échelle intercommunale, notamment en matière de politiques environnementales. Toutefois, si leur action est perceptible au quotidien, des marges d'amélioration sont possibles, du fait notamment de la diversité des structures concernées.
Certaines précautions doivent être prises dans le cadre de ces travaux.
Tout d'abord, l'évaluation des agences ne peut se limiter à une approche strictement comptable. Ces structures concentrent certes des moyens significatifs, mais il convient de distinguer les coûts d'intervention des coûts d'investissement. À titre d'exemple, l'ANAH dispose d'un budget d'environ 4 milliards d'euros, dont plus de 80 % sont des crédits d'interventions dédiés aux aides à la rénovation pour les particuliers.
Par ailleurs, nos adhérents constatent une grande hétérogénéité des situations, liée notamment aux qualités personnelles des responsables territoriaux des différentes agences. Les dynamiques et pratiques varient ainsi en fonction des acteurs qui animent ces dispositifs au quotidien sur le terrain.
Enfin, un enjeu fondamental fonde la question de l'agencification de l'État, il s'agit de la simplification de l'action publique.
Intercommunalités de France défend une relation entre l'État et les collectivités fondée sur une approche moins verticale et davantage décentralisée, favorisant une co-responsabilité dans la mise en oeuvre de l'action publique. Cette coopération doit s'appuyer sur une contractualisation adaptée à chaque territoire autour de grandes orientations stratégiques, tout en préservant la capacité à différencier et à expérimenter, levier essentiel de simplification de l'action publique.
Les agences jouent un rôle clé dans ces dynamiques d'expérimentation et de différenciation. À travers les appels à projets, elles permettent d'explorer différentes formes d'action publique adaptées aux spécificités territoriales. À l'inverse, il est plus complexe pour l'administration centrale de concevoir et de porter des plans d'action uniformes à l'échelle nationale, compte tenu de la diversité des territoires français.
Cependant, la prolifération des appels à projets peut être déplorée : elle tend à mettre les collectivités en concurrence et à fragmenter l'action publique, générant un sentiment d'émiettement des politiques publiques.
Par ailleurs, bien que les agences relèvent de l'action de l'État, leurs actions indépendantes de la feuille de route politique des ministères peut parfois poser question. À l'échelle locale, cette interrogation se retrouve dans la nécessité d'une meilleure coordination par les préfets. Ces derniers doivent être des interlocuteurs privilégiés, jouant un rôle de chef d'orchestre et de coordinateur pour assurer la cohérence des dispositifs mis en place par l'État à travers les agences. Leur action est essentielle pour rendre lisibles les initiatives telles que Action Coeur de Ville, Petites Villes de demain ou Villages d'Avenir, et pour accompagner les élus locaux dans l'identification et l'articulation des financements disponibles.
Il convient également de rappeler que les financements mobilisés par les agences sont des fonds publics de l'État. Il est impératif de veiller, dans toute réflexion sur la réforme des agences, à ne pas compromettre les moyens d'intervention de proximité, notamment sur les enjeux de transition écologique. Les enveloppes allouées aux agences de l'eau, à la rénovation de l'habitat ou encore à l'Ademe sont des outils essentiels pour accompagner les politiques publiques locales et répondre aux besoins des territoires.
Depuis cinq ans, j'exerce les fonctions d'administrateur au sein de l'ANAH. J'apprécie particulièrement l'association des élus à la gouvernance de l'agence, bien que les marges de manoeuvre restent limitées. L'ANAH constitue par ailleurs un outil majeur permettant de mobiliser des enveloppes budgétaires conséquentes au service d'une politique publique essentielle : la rénovation de l'habitat. Celle-ci revêt une double dimension, à la fois sociale, en accompagnant les ménages les plus fragiles, et environnementale, en contribuant à la transition énergétique du parc immobilier.
L'agence affiche également une volonté affirmée de se rapprocher des territoires. Néanmoins, piloter depuis Paris une politique de rénovation de l'habitat d'une telle ampleur demeure un exercice complexe. Dès lors, l'ANAH entretient un lien avec les intercommunalités et repose en partie sur des dispositifs de contractualisation pour déployer ses financements. Dans ce cadre, une question légitime se pose : nos intercommunalités assurant déjà des services de proximité, ne conviendrait-il pas d'attribuer directement ces enveloppes financières aux territoires locaux, afin d'optimiser leur déploiement et leur efficacité ?
Par ailleurs, l'ANAH a rencontré des difficultés liées à la lourdeur administrative de ses procédures. Ces contraintes résultent d'une croissance rapide de l'agence, qui n'a pas toujours été accompagnée d'une adaptation suffisante de ses outils, notamment informatiques.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À l'écoute de vos propos, il n'existe pas de difficultés majeures et vous ne préconisez pas la suppression des agences, que vous considérez plutôt comme des leviers d'accompagnement. Toutefois, certaines critiques se dégagent, en creux, au fil des échanges.
Avez-vous le sentiment qu'une feuille de route claire structure l'action des différentes agences avec lesquelles vous interagissez ? Plusieurs intervenants ont souligné que la perception des agences varie en fonction de leur représentation locale. Or, nous pouvons imaginer que l'existence d'une politique centralisée serait en mesure de garantir une satisfaction homogène sur l'ensemble du territoire.
Par ailleurs, considérez-vous que, sur certaines politiques dont vous avez la responsabilité, il existe des chevauchements qui pourraient interroger la pertinence de l'organisation actuelle ? Avez-vous le sentiment que votre action est toujours conditionnée par celle de l'État ?
À titre d'illustration, les Agences locales de l'énergie et du climat (ALEC) disposent de leurs propres agents, eux-mêmes financés par l'ANAH. Cette situation soulève une question sur la rationalité et l'efficacité de ce mode de fonctionnement.
Mme Isabelle Dugelet. - Les agences, qui collaborent d'abord avec les intercommunalités, sont assez éloignées du monde rural et de ses communes, parmi lesquelles 13 000 sont représentées par notre association. Les élus de communes rurales bénéficient de leur action, mais n'ont pas toujours une idée claire du fonctionnement et de l'intérêt de ces agences.
La proximité entre les services de l'État et les élus locaux, en particulier les élus de communes rurales, s'est dégradée au fil du temps. Certaines agences font aujourd'hui parfois écran entre les élus locaux et les services préfectoraux, entre lesquels le lien était autrefois plus direct.
Les collectivités territoriales intègrent désormais les conseils d'administration des ARS, toutefois, aucune place spécifique n'est réservée aux maires de communes rurales, en dépit des difficultés d'accès aux soins plus importantes qu'ils connaissent. Si les maires de communes rurales n'ont pas de raison d'être en contact direct avec les ARS, ces communes pourraient en revanche y être mieux représentées.
Les appels à projets constituent une démarche positive, mais nous signalons des difficultés d'accès pour les communes rurales, qui ne peuvent que difficilement réaliser les études dans les temps et trouver les financements nécessaires. Ici, les collectivités les plus importantes sont favorisées. Il conviendrait d'adapter ces dispositifs aux différentes strates de collectivités, à travers par exemple la mise en place d'enveloppes spécifiques à destination des communes rurales.
Il faut enfin entretenir la relation de confiance qui existe entre les communes et les préfectures. Ces dernières mettent en place des dispositifs essentiels pour aiguiller et accompagner les maires, et ces dispositifs fonctionnent du fait de la confiance que portent les élus locaux à leurs préfets et sous-préfets.
M. François de Mazières. - L'action des agences est normalement encadrée par des feuilles de route, malgré des pratiques locales qui peuvent différer. En revanche, nous sommes frappés par les questions de mécaniques financières qui, parfois, ne sont pas assez claires. L'ANAH constitue un bon exemple : davantage qu'une remise en cause de l'agence elle-même, son véritable problème réside dans les modifications incessantes des règles d'attribution de MaPrimeRénov'.
S'agissant des doublons, nous avons effectivement le sentiment que des systèmes sont parfois redondants. Dans une logique de décentralisation, que nous encourageons, nous pourrions imaginer davantage de délégations de crédits, au niveau du bloc communal. France urbaine tient à alerter sur les inconvénients que peut poser la dynamique actuelle de régionalisation croissante des dispositifs. Cela ne réduira pas les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.
M. Sébastien Miossec. - J'ai, en ma qualité d'administrateur, une bonne vision sur ce que peut être la feuille de route d'une agence. En revanche, c'est beaucoup moins le cas en tant qu'élu local. Cet état de fait questionne la force du lien de proximité entre les agences et les élus locaux, et davantage encore lorsqu'il est comparé à la grande proximité qui existe entre les élus locaux et leur préfecture.
Il y a donc un sujet relatif à la déconcentration. D'une part, personne ne gagnerait à ce que les agences multiplient elles-mêmes les interlocuteurs de proximité. D'autre part, nous constatons que beaucoup de préfectures sont aujourd'hui financièrement fragilisées, remettant en question à la fois leur rôle d'interlocuteur de proximité et leur rôle d'accompagnement des collectivités territoriales. Beaucoup d'intercommunalités doivent aujourd'hui disposer d'un service dédié aux contractualisations ou aux mobilisations des moyens de l'État. Parvenir à établir un dialogue avec les services de l'État nécessite des compétences, du temps et de l'énergie.
Pour autant, s'agissant des doublons, la question de la rénovation de l'habitat est intéressante. Les ALEC ne sont pas un doublon de l'ANAH : elles sont au contraire le bras armé de cette dernière, dans l'objectif de favoriser le déploiement des aides à la rénovation sur le territoire. Dans les faits, les intercommunalités accompagnent la politique de l'ANAH, et disposent en parallèle, elles-mêmes, d'une politique de soutien à la rénovation en complément. La question de la valorisation de la politique publique menée par l'une ou l'autre de ces parties est politique : s'il est compréhensible que l'État, au travers de l'ANAH, souhaite que les collectivités mettent en valeur l'origine étatique des subventions distribuées dans le cadre de ces politiques de rénovation, les collectivités, qui mobilisent également des moyens humains et financiers, ne peuvent complètement s'effacer et se présenter comme un simple opérateur de l'ANAH. Ces deux politiques publiques de la rénovation de l'habitat évoluent côte à côte. S'il est sain de s'interroger sur l'efficience ou les coûts de cette situation, cette question dépasse celle des agences.
L'accompagnement des collectivités territoriales par les agences est décisif pour leur permettre de s'engager dans des politiques publiques complexes et coûteuses. À ce titre, de nombreuses collectivités concluent avec l'Ademe des contrats d'objectif territorial (COT), portant notamment autour de la production d'énergie renouvelable. Ces contrats s'étirent sur plusieurs années, au cours desquelles l'Ademe accompagne la collectivité co-signataire, et lui permet d'accéder à des co-financements. Ces dispositifs constituent un exemple de bonne déclinaison d'une politique nationale au niveau local.
M. Pierre Barros, président. - La question de la confiance peut en effet être renforcée à travers un cadre contractuel. C'est un enjeu central dans les travaux de notre commission d'enquête.
M. Hervé Reynaud. - Les petites communes ont un réel besoin d'ingénierie, mais elles ne disposent pas des ressources nécessaires pour produire les documents requis et répondre aux nombreuses sollicitations administratives des agences et opérateurs. Par le passé, au niveau régional, la contractualisation se faisait de manière plus naturelle. Ne faudrait-il pas revenir à une approche plus déconcentrée, voire davantage décentralisée, en privilégiant des interlocuteurs de proximité plutôt que de multiplier les agences et organismes intermédiaires ?
Le préfet de ma circonscription travaille quotidiennement avec l'ANCT, alors pourquoi celle-ci ne fait-elle pas partie intégrante de son administration préfectorale ?
Dans une commune rurale dépourvue de moyens d'ingénierie, cet éclatement des structures engendre un éloignement des centres de décision, vidant ainsi l'action publique de tout sens.
M. Christophe Chaillou. - Monsieur de Mazières, vous avez mentionné le soutien affirmé de France Urbaine au modèle de l'ANRU, un positionnement que je partage. Selon vous, quels sont les atouts majeurs de ce modèle ? Pensez-vous qu'il pourrait être transposé à d'autres agences ?
Monsieur Miossec, au regard de votre expérience, quelles évolutions permettraient de renforcer le rôle central du préfet, que beaucoup appellent de leurs voeux ?
Mme Isabelle Dugelet. - En tant que suppléante de Michel Fournier, président de l'Association des maires ruraux de France, à la première vice-présidence de l'ANCT, j'ai progressivement découvert le fonctionnement de cette agence en siégeant à son conseil d'administration. De nombreux élus ruraux, en revanche, peinent encore à appréhender ce modèle.
Dès 2020, en tant que membre du conseil d'administration des maires ruraux, j'ai interpellé ma préfecture sur les projets portés par l'ANCT. Or, à ce stade, toutes les informations n'étaient pas encore relayées au niveau préfectoral. Il existe un décalage significatif entre la mise en place des dispositifs à l'échelle nationale et leur application concrète dans l'ensemble des collectivités. Cette diffusion n'a pas été homogène sur l'ensemble du territoire, ce qui pose un problème de communication.
Par ailleurs, la multiplication des structures, des sigles et des compétences attribuées complexifie la lisibilité du système. Il est essentiel de clarifier ces éléments pour permettre aux élus de s'adresser directement aux interlocuteurs compétents.
J'ai le sentiment que les démarches étaient plus simples par le passé, bien que les moyens disponibles aient pu être moindres.
M. Hervé Reynaud. - C'est, en effet, un ressenti de terrain.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Autrefois, pour les infrastructures routières, l'élu local s'adressait directement à la direction départementale de l'Équipement (DDE), et pour les questions forestières, à la direction départementale de l'Agriculture et de la Forêt (DDAF). Aujourd'hui, l'identification des interlocuteurs semble plus floue. Partagez-vous ainsi ce sentiment que les démarches étaient plus simples par le passé ?
Par ailleurs, cette impression de simplicité pourrait-elle davantage tenir au fait que les normes réglementaires étaient différentes ? Il est, en effet, important de distinguer le fond, c'est-à-dire le contenu des normes elles-mêmes, et la forme, c'est-à-dire la manière dont elles sont mises en oeuvre.
Mme Isabelle Dugelet. - Les deux aspects entrent en jeu. Élue depuis trente ans, j'ai pu observer l'évolution de la gestion communale et l'accumulation des difficultés, particulièrement au cours des deux derniers mandats.
Il y a quinze ou vingt ans, lorsqu'un maire portait un projet, il pouvait compter sur l'appui de la direction départementale des territoires (DDT), qui assurait une ingénierie globale. À titre d'exemple, pour la création d'un cimetière dans ma commune, la DDT prenait en charge l'ensemble de la maîtrise d'oeuvre. Aujourd'hui, cet accompagnement s'est considérablement réduit : nous bénéficions uniquement d'un soutien partiel du département pour la maîtrise d'oeuvre, et encore, cela se fait désormais à titre payant.
De plus en plus de responsabilités reposent sur les maires, qui disposent d'une plus grande liberté d'action, mais sans le soutien technique adéquat. Le recours aux bureaux d'études représente un coût important pour les communes. Par ailleurs, la connaissance des normes devient de plus en plus complexe du fait de leur multiplication.
Auparavant, l'accompagnement était plus structuré, avec des interlocuteurs dédiés à chaque type de projet.
M. François de Mazières. - La situation est effectivement plus complexe, mais est-ce parce que les sujets sont eux-mêmes plus complexes ou parce que nous avons ajouté des couches de complexité ? La réponse se situe sans doute entre les deux.
Le fonctionnement des agences repose sur l'expertise de leurs agents, ce qui constitue à la fois un atout et une contrainte. Leur spécialisation leur permet d'apporter un soutien technique indispensable, mais elle entraîne également une exigence administrative accrue. Les services des collectivités se retrouvent submergés par des demandes de justificatifs et de documents toujours plus nombreux. Paradoxalement, les dispositifs sont devenus si complexes qu'ils justifient d'autant plus l'intervention d'experts.
Concernant l'ANCT, mes collègues expriment une satisfaction particulière pour le programme Action Coeur de Ville, en raison de la clarté des missions et de l'identification précise des financements. En revanche, d'autres actions demeurent floues. Ainsi, l'ANCT apparaît comme un réceptacle de nombreuses missions, certaines aussi structurées qu'Action Coeur de Ville, mais d'autres plus vagues, ce qui peut donner l'impression qu'un interlocuteur préfectoral offrirait une meilleure lisibilité et faciliterait la mise en oeuvre des dispositifs.
À l'inverse, l'ANRU fonctionne efficacement grâce à la précision de sa mission et à la clarté de son organisation : un seul interlocuteur et des financements conséquents permettant d'offrir une vision pluriannuelle ainsi qu'une capacité de contractualisation. En définitive, une agence est performante lorsqu'elle dispose d'une réelle capacité d'action et d'une vision à long terme, ce qui constitue la clé du succès de l'ANRU.
Un autre facteur déterminant réside dans la précision de son périmètre d'intervention : l'ANRU cible des territoires bien définis, généralement à l'échelle communale avec un enjeu spécifique sur certains quartiers, ce qui évite toute dispersion. À l'inverse, lorsque le champ d'action d'une agence est mal délimité, il existe un risque de dérive, notamment en matière de gestion des ressources humaines.
M. Sébastien Miossec. - Les situations sont extrêmement hétérogènes. Les attentes d'une commune de 850 habitants ne sont pas les mêmes que celles d'une commune en comptant 84 000. Aujourd'hui, l'ANCT ne serait pas capable de réaliser, pour des communes si nombreuses et si différentes, des projets d'aménagement du territoire comme pouvait le faire autrefois l'Assistance technique fournie par les services de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT). Cette situation est logique : souhaiter l'inverse pourrait conduire au développement d'une administration tentaculaire à l'échelle locale.
Cette situation renforce en revanche la nécessité d'une relation de proximité entre les services de l'État et les collectivités territoriales. Dans ce cadre, le préfet nous semble être l'acteur principal. Même si certaines agences, plus importantes, parviennent à déployer des interlocuteurs de proximité, sur beaucoup de sujets la porte d'entrée reste la préfecture.
Dans certains endroits, les élus locaux choisissent de développer des moyens propres pour disposer d'un service commun d'aide à la contractualisation ou à l'ingénierie. En revanche, lorsque de telles initiatives n'existent pas, il est essentiel que les services préfectoraux soient en mesure d'assumer cette mission d'accompagnement.
La contractualisation joue un rôle clé en offrant un cadre de dialogue entre l'État et les communes ou intercommunalités, leur permettant de progresser sur leurs projets, leurs attentes, les financements et les moyens d'ingénierie nécessaires. Elle apporte notamment aux élus locaux une meilleure visibilité sur les financements, qui souffrent actuellement d'un manque de prévisibilité, même à court terme, sur des périodes de deux à trois ans.
Il est difficile d'évaluer avec certitude si la fluidité des relations entre l'État et les collectivités territoriales s'est détériorée. Les projets portés par ces dernières sont désormais plus complexes qu'auparavant : la construction d'une route, par exemple, implique aujourd'hui des considérations supplémentaires, telles que les enjeux environnementaux ou l'accessibilité pour les mobilités douces. Si l'ATESAT existait toujours, ses agents auraient eux-mêmes besoin de se poser ces nouvelles questions.
Ces normes, bien que nombreuses, jouent un rôle essentiel en prévenant les dérives du passé. Cependant, leur accumulation peut sembler excessive. Bien que cette question soit à la fois complexe et politique, une simplification de cet ensemble réglementaire pourrait être bénéfique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'État apparaît aujourd'hui être le seul acteur mobilisé sur les politiques de préservation du patrimoine, au travers des directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Avez-vous identifié d'autres agences ou opérateurs qui viendraient apporter, sur cette problématique, un soutien aux collectivités ?
M. François de Mazières. - Il n'y a en effet pas d'autres interlocuteurs que l'État ou les autres niveaux de collectivités territoriales. Au cours des derniers mois, nous avons constaté un affaiblissement du financement de la préservation du patrimoine, notamment du fait de la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).
D'autres dispositifs sont également en place, tels que la Fondation du patrimoine, qui constitue un outil efficace grâce à son levier fiscal et a démontré son utilité dans la rénovation du patrimoine. Bien que les fonds collectés par le loto du patrimoine restent modestes au regard des besoins financiers, ce mécanisme présente l'avantage de sensibiliser et d'impliquer la population sur ces enjeux.
Le financement du patrimoine constitue aujourd'hui une préoccupation majeure. L'État intervient aux côtés des communes, qui restent les principaux financeurs de la préservation et de l'entretien du patrimoine en France, ainsi que des propriétaires privés, qui détiennent une part significative de ce patrimoine et bénéficient d'un levier fiscal conséquent. Toutefois, aucune agence dédiée n'est chargée d'une politique spécifique de préservation du patrimoine. Nous n'en voyons pas la nécessité : il serait plus pertinent de renforcer l'accompagnement des acteurs existants, notamment la Fondation du patrimoine et les associations spécialisées, qui apportent un conseil précieux et mobilisent de nombreux bénévoles.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'aimerais aborder la question de l'organisation du système de santé. Pensez-vous que le modèle actuel, reposant sur les ARS et les groupements hospitaliers, soit pleinement satisfaisant ? Avez-vous le sentiment que les élus locaux sont suffisamment impliqués dans l'élaboration et la mise en oeuvre de cette politique ?
Enfin, l'ensemble du dispositif vous semble-t-il suffisamment réactif ? En effet, le délai entre la décision d'un projet local et l'obtention de toutes les autorisations administratives est souvent si long qu'il entraîne le départ des praticiens initialement engagés, rendant le processus inefficace.
Mme Isabelle Dugelet. - Je suis engagée depuis plusieurs années sur ces sujets, siégeant au conseil d'administration de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de mon secteur et en tant que suppléante au conseil territorial de santé. Toutefois, l'organisation actuelle demeure floue et complexe, avec une multitude de structures aux contours parfois nébuleux.
Les CPTS jouent un rôle de coordination et réunissent des professionnels de santé motivés pour développer des actions de prévention. Cependant, elles restent avant tout des associations professionnelles, reposant sur une adhésion volontaire et sans cadre institutionnel solide. Ce fonctionnement fragile, basé sur l'engagement individuel, entraîne une approche souvent bricolée pour tenter de répondre, tant bien que mal, aux besoins des habitants.
En tant qu'élus, nous nous retrouvons limités dans notre capacité à améliorer la situation : nous ne sommes que des facilitateurs. J'ai personnellement pu débloquer certaines situations, notamment pour l'installation de cabinets dentaires, en apportant un appui politique à des projets. Mais le système reste trop rigide, avec un manque de proximité entre les ARS et les élus, ainsi qu'une connaissance insuffisante des réalités locales.
Par ailleurs, au sein d'un même département, certains territoires sont bien dotés en services de santé, tandis que d'autres sont carencés. Les découpages des territoires de santé ne coïncident pas toujours avec les limites départementales, ce qui crée davantage de disparités.
M. Sébastien Miossec. - Tout dépend de l'échelle d'intervention. Sur mon territoire, la reconstruction de l'hôpital relève de l'ARS en raison de l'ampleur du projet. En revanche, la mise en place des maisons de santé a été principalement gérée à l'échelle intercommunale, notamment sur le plan financier. Toutefois, les délais de procédure nuisent à l'efficacité de ces initiatives.
S'agissant des contraintes imposées par la réglementation, la question se pose : est-ce lié au fonctionnement des agences ? Dans quelle mesure le préfet pourrait-il jouer un rôle plus actif, en lien avec les élus locaux, pour adapter les décisions aux réalités du terrain ?
Les contrats locaux de santé constituent, quant à eux, un dispositif permettant de réunir l'ensemble des acteurs concernés afin d'identifier les enjeux prioritaires sur chaque territoire. C'est souvent à cette occasion que certaines difficultés peuvent être levées, notamment grâce à un dialogue direct avec les professionnels de santé locaux.
Mme Pauline Martin. - Et si la gestion des ARS était transférée aux régions ?
M. Sébastien Miossec. - Je n'ai pas de position tranchée sur la question. Les régions sont gérées de manière différente les unes des autres. L'enjeu de l'incarnation demeure.
Mme Isabelle Dugelet. - Il est important de rappeler que les ARS disposent déjà d'un périmètre d'action à l'échelle régionale.
M. Pierre Barros, président. - Nous aurons l'occasion d'auditionner les ARS sur ce sujet, en gardant à l'esprit que leur création répondait en partie à des impératifs financiers.
La réunion est close à 16 h 30.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Jeudi 6 mars 2025
- Présidence de M. Pierre Barros, président -
Audition de représentants de l'Association du corps préfectoral et de hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.