- Mercredi 29 juin 2022
- Mission d'information sur l'information des consommateurs - Examen du rapport d'information et vote sur les propositions des rapporteurs
- « Transformer l'essai de l'innovation : un impératif pour réindustrialiser la France » - Présentation du rapport d'information fait au nom de la mission d'information « Excellence de la recherche - innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l'erreur française »
- Désignation d'un rapporteur
Mercredi 29 juin 2022
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Mission d'information sur l'information des consommateurs - Examen du rapport d'information et vote sur les propositions des rapporteurs
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous commençons nos travaux par notre premier point à l'ordre du jour, l'examen du rapport de la mission d'information sur l'information des consommateurs.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Madame la présidente, mes chers collègues, je souhaite présenter en quelques mots la genèse de ce rapport et sa raison d'être.
La quantité d'informations apportées au consommateur augmente de façon exponentielle. D'un côté, les informations obligatoires sont de plus en plus nombreuses, ce qui est parfaitement justifié compte tenu des impératifs de protection de la santé et de l'environnement : affichage environnemental, origine des produits alimentaires, étiquette énergie, demain le rémunérascore. De l'autre côté, les informations facultatives sont, elles aussi, en forte augmentation ; par principe, elles sont quasiment toutes autorisées, dès lors qu'elles ne sont pas trompeuses. Il existe aujourd'hui 400 labels environnementaux.
Les consommateurs sont en demande de nouvelles informations, pour orienter leurs choix d'achat, et les fabricants en apportent de plus en plus. L'offre pourrait satisfaire la demande, mais ce n'est pas le cas. Nombre de consommateurs déclarent manquer de confiance concernant ces informations. De toute évidence, il ne suffit pas de multiplier les informations, même si elles sont attendues, pour éclairer le choix des consommateurs.
Nous avons exploré l'hypothèse suivante : dans certains cas, la qualité, la lisibilité et l'accessibilité de l'information ne sont pas au rendez-vous. La profusion d'informations, de labels, de mentions et d'allégations ne dit en effet rien de leur qualité et de leur fiabilité. De fait, la qualité des informations diffusées est très variable d'un produit à un autre, ou d'un fabricant à un autre.
En moyenne, le consommateur passe soixante-dix secondes dans un rayon. Il traite rarement plus de deux ou trois données pour un achat. Quand le consommateur doit faire face à une jungle d'informations, il se trouve souvent démuni pour comprendre ces multiples données, d'importance d'ailleurs inégale. La profusion conduit à la confusion, et la confusion à la méfiance.
Nous avons donc souhaité faire le point sur ce qui empêche concrètement les consommateurs d'orienter leurs achats en fonction de ces informations et proposer des mesures pour y remédier.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Mes chers collègues, nous nous sommes rendus compte au fil de nos nombreuses auditions que l'information des consommateurs était à la fois une fin en soi, les producteurs et distributeurs répondant à la forte demande de transparence exprimée par nos concitoyens, et un levier de l'action publique. Les pouvoirs publics prolongent les politiques environnementales ou de santé publique en incitant les consommateurs à choisir des produits plus sains et plus respectueux de l'environnement - il existe aussi d'autres objectifs, comme la rémunération des producteurs ou le bien-être animal.
C'est aussi, avant tout, une démarche commerciale de la part des producteurs. L'information est la condition sine qua non du bon fonctionnement des marchés, dans la formation du prix des produits, qui doit à la fois refléter leur qualité intrinsèque et récompenser les éventuelles démarches mieux-disantes du producteur.
Il existe une tendance irréversible à l'augmentation du nombre d'informations présentes sur les emballages. La question du prix de vente reste prépondérante, mais nous sommes partis à la recherche des causes de l'inefficacité de l'information et des raisons pour lesquelles plus d'information n'est pas toujours synonyme de changement des modes de consommation. Voyez « les bébés Coca », aux dents rongées par les caries, malgré toutes les mises en garde et autres informations sur la nécessité de modérer la consommation de ce produit, a fortiori chez les jeunes enfants.
Nos travaux ont montré que le premier facteur de cette inefficacité était l'illisibilité et l'insuffisante hiérarchisation, qui entraînent le brouillage du message véhiculé par et sur les produits. Cette « hyperinformation » ne permet plus de faire la part des choses entre le nécessaire, l'utile et l'accessoire, voire le futile. La distinction entre l'information objective et le marketing est parfois ténue.
Le développement pêle-mêle et foisonnant d'informations affichées sur la base du volontariat constitue notre principale marge de manoeuvre.
Cela est particulièrement vrai s'agissant de ce qu'une association de consommateurs a qualifié de « jungle des labels » : il n'existe pas de définition suffisamment rigoureuse de ce qu'est un label et aucune disposition n'oblige, en dehors de quelques exceptions certifiées par l'État, comme les signes officiels de la qualité et de l'origine, à publier leur cahier des charges. Aussi, l'une de nos préconisations consiste à définir ce qu'est un label et à rendre systématiquement public leur cahier des charges.
Au-delà des labels, une difficulté supplémentaire provient des mentions mélioratives et des allégations nutritionnelles et de santé ou environnementales, qui sont difficilement comparables les unes avec les autres - « neutre en carbone », « riche en calcium » ou « naturel » -, si bien qu'il est difficile de fonder son choix sur des données objectives. Le droit européen encadre uniquement certaines allégations.
Nous devons donc aller plus loin, notamment en réservant l'utilisation de certaines mentions - comme les produits « sans », à l'instar des « sans conservateurs » ou « sans sucres » - à des produits qui peuvent dans leur ensemble se prévaloir d'une qualité supérieure.
Nous avons ensuite étudié l'opportunité de nous passer de certaines informations sur les emballages, parmi les douze rendues obligatoires par le règlement concernant l'information du consommateur sur les denrées alimentaires (INCO), comme la liste des ingrédients, le tableau nutritionnel, la quantité, etc. Toutefois, il est ressorti très clairement de nos échanges qu'il n'était pas imaginable de retirer des informations obligatoires sans dommage pour les consommateurs, même en prévoyant qu'elles soient consultables en ligne. C'est par exemple le cas pour la liste des allergènes.
En revanche, le numérique est clairement un allié précieux pour entrer dans une phase « mature » de l'information, après, si vous me passez l'expression, une forme de « crise d'adolescence ». Certaines informations facultatives non essentielles pourraient être renvoyées à une page internet, accessible au moyen d'un QR code, et être au passage très largement enrichies. Nous encouragerions ainsi la personnalisation de l'information pour les consommateurs, largement attendue par ces derniers, et donc normalement un plus fort impact. Ces informations « enrichies » seront par exemple des données sur le cahier des charges du label, son contrôle, sur les éléments de l'exploitation que l'agriculteur souhaite mettre en avant, sur l'impact environnemental des différentes étapes de production, etc. Le QR code offre en outre des perspectives plus riches que les codes-barres en matière de traçabilité des produits, la grande distribution s'orientant déjà vers sa généralisation aux États-Unis. Il pourrait même être envisagé de rendre obligatoires en ligne certaines informations aujourd'hui uniquement facultatives, comme l'origine des produits transformés. L'avenir est sans aucun doute au développement de ce mode d'information.
J'en viens maintenant aux applications de notation et d'évaluation des produits, à l'image de Yuka, application la plus utilisée. Il est démontré que ces applications ont un rôle utile, en orientant les choix des consommateurs vers des produits meilleurs pour leur santé et l'environnement. Nombre de fabricants ont amélioré leurs recettes dans ce sens. Un quart des foyers français les ont utilisées au moins une fois dans l'année. Si les utilisateurs actifs sont moins nombreux, ces outils exercent un effet dissuasif, qui complète utilement l'action des pouvoirs publics et des associations de consommateurs.
Cependant, précisément parce qu'elles ont su gagner la confiance des consommateurs, qui déclarent se conformer à leurs recommandations dans plus de 90 % des cas, ces applications ont acquis un grand pouvoir, qui implique de grandes responsabilités. Cela est d'autant plus vrai que vont se poser de plus en plus des questions de protection des données personnelles, certaines applications proposant une personnalisation. C'est pourquoi nous proposons une certification des applications par les pouvoirs publics sur deux aspects : la fiabilité des bases de données utilisées, puis la scientificité des critères de notation. Sur ce premier aspect de la fiabilité des données, nous complétons notre proposition par l'obligation pour les fabricants de consigner leurs informations obligatoires dans une base de données en open data, sous réserve de respecter le secret professionnel. Toutes les applications qui voudraient se développer pourraient y avoir accès.
Surtout - c'est la première fois que les pouvoirs publics se saisissent du sujet -, nous proposons un guide d'une dizaine de bonnes pratiques pour encadrer ces applications, afin qu'elles se développent dans un cadre harmonieux et que les relations avec les producteurs soient transparentes et non conflictuelles. Nous dessinons ainsi un cadre équilibré, qui pourra servir de base aux travaux qu'entame la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) au sujet de ces applications, au service de l'information des consommateurs. Nous ne doutons pas que plusieurs de ces bonnes pratiques seront reprises par le régulateur. Nous proposons par exemple que les labels des produits soient affichés sur l'application, et que l'utilisateur soit informé lorsque la composition d'un produit qu'il a scanné dans le passé et qui était mal noté a été améliorée par la suite. Ainsi, nous valorisons les progrès des fabricants. Nous suggérons également d'éviter une note synthétique qui mélangerait plusieurs dimensions hétérogènes, comme la santé, l'environnement, la nutrition, car une telle note perd en lisibilité. Nous suggérons de privilégier plutôt des notes synthétiques, pour chacune de ces dimensions. De plus, il nous semble important que toute application fasse figurer clairement les éventuels liens qu'elle pourrait avoir avec telle industrie ou telle association.
Je cède maintenant la parole à Françoise Férat, qui va vous parler du deuxième frein à l'efficacité de l'information, à savoir le manque de moyens de contrôle de sa fiabilité, ainsi que du sujet particulier de l'origine des produits.
Mme Françoise Férat, rapporteur. - Mes chers collègues, je vais m'intéresser à une information en particulier, qui est très demandée mais encore mal comprise ou trop restrictive : l'origine des produits, qu'ils soient alimentaires ou non. C'est une des principales attentes des consommateurs ; elle croît constamment. Dans les enquêtes d'opinion, elle vient juste après le prix et la composition du produit. Or la situation en matière d'étiquetage de l'origine n'est pas satisfaisante.
Concernant les produits alimentaires, cette réglementation est très complexe.
Le principe général est que l'indication du pays d'origine est obligatoire si son omission est de nature à induire en erreur le consommateur. Il existe donc quelques réglementations sectorielles, qui concernent les fruits et légumes, la viande bovine ou encore le miel. Au-delà de ces règles, les marges de manoeuvre des États européens sont très réduites.
Si la France veut rendre obligatoire cet affichage pour d'autres aliments, il faut démontrer, d'une part, que les consommateurs sont en attente de cette information, ce qui est plutôt facile, et, d'autre part, qu'il existe un lien avéré entre l'origine d'un produit et ses caractéristiques, par exemple son goût. Voilà qui est très contraignant, car ce lien avéré est difficile à démontrer ; c'est pourquoi une expérimentation française d'un affichage de l'origine du lait avait été annulée par le juge.
Certes, une évolution récente a eu lieu dans la loi EGalim 2, grâce au Sénat : si l'origine d'un produit alimentaire est différente de celle de son ingrédient primaire, il faut le dire au consommateur et l'indiquer clairement. Une autre avancée récente a eu lieu par décret : dans la restauration hors foyer, les viandes fraîches ou congelées issues d'ovins, caprins, porcins ou volailles verront désormais leur origine obligatoirement affichée, et non plus uniquement la viande bovine. Malgré ces avancées, le sujet est loin d'être épuisé.
Alors que l'origine est une information largement demandée par les consommateurs, certaines viandes ne sont pas concernées, comme le lapin ou le canard, ainsi que des produits comme le lait. En outre, dès lors qu'un produit est transformé, toute la réglementation sur l'origine des produits tombe : il n'y a quasiment aucune règle d'étiquetage, compte tenu du fait que nombre d'ingrédients peuvent entrer dans la composition d'un produit transformé.
Nous recommandons donc deux choses, puisque les règles européennes en la matière vont bientôt être révisées. D'une part, cette réforme doit être l'occasion d'étendre l'étiquetage de l'origine des produits à toutes les viandes, ainsi qu'au lait. D'autre part, les produits transformés ne peuvent être laissés indéfiniment à l'écart de cette évolution. Les approvisionnements d'un produit multi-ingrédients peuvent changer, ce qui rend complexe l'affichage de l'origine sur le produit physique : la dématérialisation, via un QR code, est alors utile.
Quant aux produits non alimentaires, l'étiquetage de leur origine est encore plus « permissif » : la règle est que ce n'est pas obligatoire, mais que si un fabricant souhaite tout de même afficher l'origine du produit, il doit respecter la définition du mot « origine » qui figure dans le code des douanes de l'Union européenne. Or cette définition est bien peu satisfaisante : l'origine correspond au pays où a eu lieu la dernière transformation substantielle, économiquement justifiée, du produit. Tous les fabricants et tous les juges n'ont pas forcément la même définition de ce qu'est une transformation substantielle.
Pour limiter la confusion et la mauvaise information du consommateur, nous proposons donc que lorsque l'origine d'un produit non alimentaire est affichée, l'étape de transformation en question, qui octroie son origine au produit, soit indiquée à côté de l'origine. Par exemple : « chaussure Made in France », puis à côté « pour l'assemblage » ou « fabrication de la semelle ».
Il ne suffit pas qu'une information soit apportée au consommateur pour qu'elle soit fiable. Un tiers doit garantir la véracité de ces informations. La confiance n'exclut pas le contrôle et force est de constater, au vu des nombreuses tromperies et des fréquents manquements constatés, que ce contrôle n'a jamais été aussi nécessaire.
Si le flux d'informations gagne tous les ans en ampleur, les moyens dédiés au contrôle ne font que diminuer. En plus de tout ce qu'elle contrôle déjà, la DGCCRF devra bientôt vérifier l'affichage environnemental, l'indice de durabilité, l'indice de réparabilité, peut-être le rémunérascore. Or les moyens de la politique de protection des consommateurs ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Certains chiffres sont tout à fait alarmants : les effectifs de la DGCCRF ont été réduits de 450 postes entre 2010 et 2021. Pour le contrôle de la conformité des informations, ne restent que 145 agents pour toute la France. Nous avons ainsi découvert qu'il n'y avait qu'un seul inspecteur pour tous les Hauts-de-France, 11 inspecteurs pour la région Grand Est, 8 inspecteurs pour la Bretagne et 34 en Île-de-France, pour contrôler l'information apportée à 12 millions de consommateurs !
Ainsi, le nombre annuel de contrôles de conformité des informations est en chute libre : il est passé de 105 000 en 2012 à 73 000 en 2021, soit 30 % de contrôles en moins en dix ans. En outre, les enquêtes de la DGCCRF montrent un taux de non-conformité élevé : la chute des effectifs et des contrôles ne peut donc qu'éloigner la « peur du gendarme » et conduire à l'augmentation des manquements et tromperies.
Parallèlement, les associations de protection des consommateurs ne peuvent servir de relais, puisque leurs financements ont également fortement diminué : moins 18 % en quatre ans, alors que les consommateurs font de plus en plus appel à elles.
Le flux d'informations obligatoires et facultatives grandit, et le contrôle diminue parallèlement ; il ne peut qu'en résulter une moins bonne protection du consommateur. Cette politique nous semble irresponsable. Ce n'est qu'en ayant confiance dans les informations qu'ils reçoivent que les consommateurs accepteront de les prendre en compte lors de leurs achats. Baisser la garde sur les tromperies et contournements de la loi, c'est prendre le risque que les informations erronées jettent le discrédit sur toutes les informations fiables, ce qui serait contre-productif et irait à rebours des efforts de transparence et des votes du législateur. C'est pourquoi nous insisterons sur la hausse des moyens de la DGCCRF dans le prochain projet de loi de finances, conformément aux mises en garde régulièrement formulées au sein de cette commission.
Il nous paraît nécessaire que cette hausse des contrôles s'accompagne également d'un renforcement de l'encadrement des pratiques commerciales trompeuses. Nous constatons en effet de nouvelles façons de faire, comme mettre en avant une caractéristique d'un produit pour faire croire à sa qualité particulière par rapport aux produits des concurrents, alors qu'il s'agit là du simple respect de la loi : certains fabricants se vantent de ne pas tester les cosmétiques sur des animaux, alors que c'est simplement la loi qui l'interdit !
Nous avons donc prévu une rédaction qui permette d'étoffer le régime des pratiques trompeuses, afin que le droit réponde à ces nouveaux contournements.
Pour conclure, je remercie mes corapporteurs pour leur excellente collaboration et leur sens de l'équité.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Nous avons largement identifié au cours de nos travaux un besoin fort de simplicité, de synthèse et de lisibilité de la part des consommateurs. Les scores et les affichages simplifiés et synthétiques semblent souvent emporter leur adhésion, sous réserve qu'ils soient fiables et cohérents.
Par exemple, il est clair que la méthode de l'analyse du cycle de vie utilisée dans le cadre de l'affichage environnemental n'est pas suffisante en elle-même. Dans le domaine agricole, par exemple, elle sous-estime les impacts positifs de certains modes d'élevage agricoles, par exemple en termes de biodiversité ou de stockage de carbone. L'affichage environnemental devra donc en tenir compte et opter pour une méthodologie qui intègre correctement ces bienfaits. Par ailleurs, une fois mis en place, il serait dommage que l'affichage environnemental tombe dans les travers que nous avons identifiés pour nombre de produits, à savoir une jungle de logos, de couleurs ou de lettres. Nous recommandons notamment que la diversité de logos entre catégories de produits soit encadrée : ce faisant, les consommateurs connaîtront bien ce logo, s'y habitueront et sauront l'utiliser.
Le Nutri-score est à la jonction de ces préoccupations : d'un côté, la nécessité de « faire simple » pour que le consommateur puisse traiter l'information, et, de l'autre côté, l'importance de bien expliquer l'utilité et les limites du score.
Ce dernier, facultatif, est désormais appliqué dans sept pays européens. Il simplifie la compréhension du tableau nutritionnel qui est à l'arrière des emballages et le synthétise sous forme d'une lettre de A à E et d'un code couleur.
Le Nutri-score est considéré comme ayant atteint ses objectifs informationnels par tous les acteurs que nous avons entendus, y compris les industriels. Quelques exceptions persistent concernant des filières particulièrement mal notées, mais 93 % des Français le connaissent. Il a poussé certains fabricants à améliorer la recette de leurs produits et il est appliqué sur presque 60 % des produits alimentaires mis en vente. Le ratio est quasiment de 100 % pour les marques de distributeur (MDD).
Nous avons pu également nous rendre compte lors de nos travaux qu'il fallait continuer la communication autour du Nutri-score et plus largement l'éducation à l'alimentation, pour que les consommateurs ne surestiment pas non plus son message. Le Nutri-score n'est ni une interdiction ni un blanc-seing. Il ne dit pas qu'un produit est mauvais et qu'un autre est bon. Il dit avant tout qu'il est préférable de consommer tel produit avec modération, et que tel autre produit peut être mangé en plus grande quantité. Il apporte un supplément d'information compte tenu de la complexité des données nutritionnelles « brutes », mais il ne dit pas qu'il ne faut pas manger de produit E, ou qu'il est sain de ne manger que des produits A. Pour le dire autrement, le Nutri-score ne remplace pas l'éducation à l'alimentation, il ne remplace pas le nutritionniste, il ne remplace pas l'éducation au goût.
Bien entendu, le Nutri-score n'est pas parfait, et il existe quelques exemples de notation qui semblent paradoxaux ou un peu déroutants, comme un jus de pomme pressé 100 % fruit noté C contre une bouteille de Coca Zéro notée B.
De même, certaines filières, comme le fromage, considèrent être mal notées, car le calcium qu'ils procurent ne serait pas assez pris en compte. Le fait de calculer le Nutri-score sur une portion de 100 g ou de 100 ml est parfois également déploré, car personne ne consomme 100 ml d'huile d'olive par jour.
Des adaptations ont déjà eu lieu pour améliorer la notation de certains produits. Les fromages ont vu leur note s'améliorer lorsque la méthodologie de calcul a été modifiée pour mieux intégrer le calcium. D'ailleurs, les chiffres des ventes de fromage continuent de progresser depuis l'entrée en vigueur du Nutri-score. Une étude a, du reste, montré que les deux tiers des produits dits « du terroir » obtenaient de bonnes notes.
L'enjeu autour du Nutri-score n'est pas tant son existence que la nécessité que les consommateurs sachent s'en servir et, surtout, que les citoyens disposent d'une éducation au goût, à l'alimentation et à la nutrition. Qu'est-ce qu'un repas équilibré ? À quelle fréquence tel ou tel produit devrait-il être consommé ? Quel est le rôle de l'huile d'olive ? Autant de questions qui trouveraient une réponse grâce à cette meilleure formation du consommateur.
Ce sujet est d'autant plus important que le Nutri-score est appelé à se généraliser, ce qui nécessitera toujours plus de compréhension et d'éducation. La Commission européenne va en effet généraliser fin 2022 un affichage nutritionnel simplifié. Plusieurs scores rivalisent pour devenir le score européen. Compte tenu du fait qu'il a déjà été choisi dans sept pays, le Nutri-score « à la française » sera très probablement retenu in fine.
Nous y sommes favorables. D'une part, il est maintenant bien connu des consommateurs et surtout des industriels. Pour ces derniers, un autre choix pourrait les conduire à revoir leurs procédés de fabrication. D'autre part, il a déjà été adapté pour tenir compte des spécificités de filières comme le fromage. Il reste du chemin à faire cependant. Le Nutri-score français va, par exemple, encore être modifié d'ici peu pour mieux tenir compte des spécificités des produits de la mer, ce qui témoigne de sa capacité d'adaptation. Nous pourrions d'ailleurs plaider pour des adaptations supplémentaires de son mode de calcul, notamment pour l'adapter aux portions moyennes effectivement consommées par les Français.
Ce dispositif est utile au consommateur. C'est pourquoi il nous semblerait préférable que, quand un fabricant appose le Nutri-score sur son produit, il en fasse autant sur ses publicités, où il est encore facultatif.
Ce que je vous indiquais en parlant du Nutri-score est en réalité applicable à tous les produits alimentaires : rien ne remplace l'éducation, que ce soit à la maison, en classe ou à la cantine. Malheureusement, c'est souvent uniquement à la cantine que les enfants issus de milieux aux revenus modestes bénéficient d'un repas équilibré, avec des produits de qualité. L'école a donc un rôle important à jouer pour que le consommateur devienne un citoyen averti.
Nombreuses sont les questions qui doivent être abordées dans le cadre d'une éducation alimentaire : éducation au goût et à l'équilibre nutritionnel, éducation à la sécurité sanitaire, notions de coût et de qualité, etc. Il faut apprendre que l'on peut manger de tout, mais en quantités raisonnables, et apprendre à savoir placer le curseur.
Traiter des flux d'information nécessite que le consommateur soit doté de certains réflexes et connaissances : par exemple, connaître les principaux labels et signes de qualité, qui permettent de mieux valoriser les productions de nos territoires. Être consommateur, c'est aussi un métier, cela s'apprend. Il faut lui donner les clefs pour ne pas être à la merci des simples techniques de marketing et pour être capable d'orienter ses achats en fonction de ses attentes personnelles.
Or un très grand nombre d'acteurs entendus en audition nous ont alertés sur le fait que très peu de temps était consacré, à l'école, à ces sujets.
Il faut agir résolument dans cette voie, en prévoyant des moments spécifiquement dédiés, sur le modèle de la semaine du goût, des interventions de professionnels extérieurs et un enrichissement des programmes, et en multipliant les campagnes publiques de communication dans les médias autour des principaux labels.
Il existe d'autres voies, expérimentées par d'autre pays. Le Royaume-Uni, par exemple, n'autorise les publicités à la télévision pour les produits très gras, salés et sucrés, qu'à partir de 21 heures, pour éviter d'y exposer les enfants. Une telle solution ne saurait être envisagée sans un sérieux travail en amont avec les acteurs de santé publique, mais il faudrait au moins engager une réflexion sur ce sujet.
Voilà, mes chers collègues, les différentes solutions que nous esquissons pour fiabiliser l'information apportée au consommateur. Parfois, il convient de créer de nouvelles informations, comme sur l'origine ; parfois, il convient de les dématérialiser ; mais toujours, il s'agit de pouvoir contrôler, puis de réprimer les tromperies. Enfin, il s'agit d'apprendre au citoyen à identifier les informations fiables et trouver son chemin dans cette jungle d'informations.
Mme Sophie Primas, présidente. - Le travail a été réalisé de manière très collégiale. M. Véran m'interrogeait sur l'atmosphère qui régnait au sein de la commission : je lui ai répondu que quand on s'écoute, tout se passe bien.
Le tableau des propositions a été distribué : il vous indique, conformément aux nouvelles méthodes de travail proposées par le Bureau du Sénat, qui sont les organismes et acteurs chargés de leur mise en oeuvre, à savoir l'État, les législateurs ou les acteurs privés. Il permet aussi un meilleur suivi de ces propositions.
M. Laurent Duplomb. - Je suis partagé : voter contre ce rapport ou m'abstenir ? Voter contre serait peut-être trop radical.
Certains points me conviennent, comme l'obligation d'indiquer l'origine des produits, qui mettrait fin à notre naïveté coupable vis-à-vis du consommateur. Pour les autres recommandations, je suis dubitatif. Nous ajoutons encore des contraintes : voyez tout ce qu'impliquent les QR codes pour les entreprises agroalimentaires en matière de dépense, de suivi, de communication, etc. Les entreprises n'embauchent plus que pour tracer, pour se justifier, pour des tâches administratives ou de communication. Dans la situation de notre pays, avec une inflation réelle de 7,5 % et une faible industrialisation, être compétitif reste la priorité. Ces contraintes sont en fait des demandes d'enfants gâtés, qui, faute de contrôles, ne protègent pas le consommateur et nous pénalisent sur tous les marchés.
Avec Pierre Louault, nous sommes en train d'établir un rapport sur la compétitivité agricole. L'exemple du secteur de la pomme est probant. Nous exportions 700 000 tonnes de pommes il y a dix ans, et en importions 100 000. Aujourd'hui, nous exportons 340 000 tonnes et en importons 250 000. Notre manque de compétitivité a fait que nous avons divisé par six le rapport entre importations et exportations en dix ans. Le coût de la main-d'oeuvre est un facteur explicatif, mais la Pologne, notre principal concurrent, rencontre des conditions règlementaires bien plus favorables pour produire ce fruit, du fait des surtranspositions françaises. Nous n'avons pas vu que nous menions notre production dans le mur.
Mme Sophie Primas, présidente. - Il faudrait se centrer sur le thème du rapport, qui est l'affichage et l'information au consommateur.
M. Laurent Duplomb. - Nous pensons que l'affichage implique une montée en gamme. La réalité, c'est que la compote que mangent nos enfants est faite de pommes importées, chargées de molécules interdites en France. Ces étiquetages et labels, peuvent contribuer à accentuer nos défauts.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Ce travail est très important. Monsieur Duplomb, vous mettez plutôt en cause la distorsion entre les normes et la réalité de la production et le manque de contrôles dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, et non l'étiquetage.
Dans les recommandations, il faudrait dire plus clairement qu'il est nécessaire d'augmenter le nombre d'agents à la DGCCRF et des associations de consommateurs. À ce titre, notre commission devrait déposer un amendement dans le projet de loi de finances.
Mme Sophie Primas, présidente. - C'est l'objet de la proposition n° 17.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Très bien. Il faudrait que notre commission recense tous les contrôles qui ne sont pas réalisés.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous n'aurions pas assez d'un quinquennat !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Il nous faut contrer la mise en doute de la légitimité de l'État, et les discours ambiants sur la collusion entre État et multinationales. La crise est majeure, il faut donner des moyens pour contrôler.
M. Franck Montaugé. - En amont des QR codes, se pose la question de la blockchain, qui permet une meilleure traçabilité, plus fiable. La DGCCRF travaille sur ce point.
J'ai deux questions. Premièrement, savez-vous ce que coûte à la collectivité nationale la mauvaise alimentation d'une partie toujours plus grande de la population, notamment des jeunes ? Deuxièmement, est-il possible de bien s'alimenter quand les fins de mois sont difficiles ?
M. Daniel Gremillet. - Ce travail fait débat au sein de notre commission, mais il pose un problème essentiel, à la croisée de nombreux questionnements sur les produits alimentaires qui circulent au sein du marché européen et de notre système de libre-échange : cela n'est pas nouveau.
QR code, code-barres, peu importe, mais il faut trancher. Il ne s'agit que de systèmes. N'oublions pas l'entreprise, la vie au quotidien et la lecture du consommateur final, qui doit pouvoir s'approprier l'information. Le QR code doit être compris par tous, et pouvoir être assumé financièrement par les entreprises.
Nous devrons prolonger le travail sur l'origine des produits. Le Sénat était à la manoeuvre, mais l'élan a été stoppé au niveau européen. La France doit s'appuyer sur votre travail pour être offensive au niveau communautaire ; sinon nous nous tirons une balle dans le pied.
J'en viens aux contrôles. Aujourd'hui, à la suite des nouvelles réglementations européennes, l'entreprise est responsable des contrôles avant la mise sur le marché, et non plus les services vétérinaires. L'ordre est inversé. Qu'en sera-t-il pour le contrôle de l'information ?
Enfin, les entreprises sont contrôlées en permanence. Nous laissons penser que les entreprises font ce qu'elles veulent, mais ce n'est pas le cas.
Pour ce qui concerne l'étiquetage et les emballages, je souhaite que votre travail assume une véritable dimension européenne.
Mme Sophie Primas, présidente. - La Commission européenne est souvent citée dans le rapport !
M. Daniel Gremillet. - Il est absolument nécessaire d'agir au niveau européen. L'information doit être uniforme au niveau communautaire.
Enfin, l'éducation est un enjeu majeur. En France, nous avons beaucoup de chance, mais l'absence de culture sur la nourriture, dans beaucoup de familles, pose problème.
Je ne ferai pas un procès d'intention au Nutri-score. S'il faut une harmonisation européenne, autant choisir le système français. En revanche, dans certains territoires, mal noter un produit, c'est potentiellement voir l'effondrement de toute une économie. Vous le constatez, le spectre des interrogations est vaste.
M. Franck Menonville. - Les deux sujets sont complémentaires. Votre rapport permet de clarifier et d'ordonner un certain nombre d'informations. Vous proposez une voie de simplification, voilà l'essentiel.
Nous devons continuer à travailler sur l'étiquetage et maintenir les contrôles.
Nous devons aussi communiquer sur le Nutri-score, pour le positionner correctement : c'est avant tout un outil qui doit être bien compris.
Renforcer l'éducation à l'alimentation auprès des enfants est aussi nécessaire, en travaillant au niveau des collectivités locales. Il est réducteur de lier trop vite pouvoir d'achat et qualité de l'alimentation. Les plats préparés, qui coûtent cher, sont aussi les plus nocifs.
Enfin, une démarche coordonnée au niveau européen est nécessaire.
M. Pierre Louault. - Je salue ce travail, très complet. Certes, trop d'information tue l'information. Le QR code reste réservé aux initiés et le Nutri-score est assez efficace, même si parfois il faut aussi s'en méfier, par exemple pour le fromage.
Voilà où nous en sommes : aux Restos du coeur, les clients ne veulent même plus de légumes et préfèrent emporter des plats préparés.
Les contrôles sont de la responsabilité de l'État. Nous ne contrôlons pas les importations, alors que les agriculteurs sont contrôlés au moins une fois par an. Que la moitié de la police environnementale se consacre à des tâches de contrôles aux frontières ! À force de contrôles, plus personne ne veut devenir paysan, et la France va devoir bientôt importer des denrées alimentaires.
Mme Patricia Schillinger. - Ce sujet est très complexe et touche le quotidien des Français. L'histoire agroalimentaire française est une des meilleures, nous pouvons nous en féliciter ! En Allemagne, il n'y a pas de cantines, alors qu'en France elles proposent d'excellents produits, souvent issus du terroir.
La pédagogie est très importante. La semaine dernière, une lycéenne m'a dit que depuis qu'elle avait eu un cours sur l'alimentation, elle ne mangeait plus ni poisson ni viande. Cela est navrant.
Lorsque je fais moi-même les tests de QR Code, je suis souvent stupéfaite : les notations sont orientées pour que le consommateur achète tel ou tel produit. Une réglementation est nécessaire.
Ce rapport transpartisan est le bienvenu. Nous le voterons.
Mme Amel Gacquerre. - Je partage votre approche très transversale. Il s'agit avant tout de mieux prioriser l'information, et de mieux contrôler. Nous sommes unanimes aussi sur la pédagogie.
Internet a une influence grandissante sur les questions de l'alimentation. Une étude d'Harris interactive montrait que l'influence numérique, celle des blogs et des réseaux sociaux, était deux fois plus importante que celle des autres moyens de communication. Les préconisations doivent aussi prendre cet élément en compte.
M. Alain Cadec. - Effectivement, trop d'information tue l'information. Je suis favorable à l'affichage de l'origine des produits, mais certains produits sont plus difficiles à tracer que d'autres. « Pêché en Atlantique Nord-Est », que cela veut-il dire ? Au Parlement européen, j'avais travaillé sur un écolabel indiquant par exemple les ports de pêche et les techniques de pêche, mais voilà qui est difficile à mettre en oeuvre.
Je suis d'accord, l'étiquetage ne peut se faire qu'au niveau européen. De plus, en matière d'importation, chacun devrait respecter les mêmes règles.
Le Nutri-score pourrait pénaliser un certain nombre de produits : je partage les inquiétudes de M. Duplomb en la matière.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Ce rapport concerne l'étiquetage des produits alimentaires.
M. Duplomb, nous avons certains points d'accord, sur le libre-échange, sur les agriculteurs, etc. Mais ce n'est pas l'objet de notre rapport ! Idem sur la prévention de l'obésité.
Contrôle des cahiers des charges, contrôles sanitaires et contrôle des informations, voilà trois sujets différents. Nous nous sommes intéressés aux contrôles de l'étiquetage par la DGCCRF : il est clair que de moins en moins d'agents se consacrent à cette tâche de vérification des informations.
Sur la vérification du poids des produits, par exemple, les représentants de la DGCCRF nous ont expliqué que, après avoir beaucoup agi voilà plusieurs années, ils n'agissaient plus. D'où notre recommandation n° 17 visant à renforcer les moyens dévolus au contrôle de l'information - en faveur également des associations de consommateurs.
Peut-être n'insistons-nous pas suffisamment dans notre rapport sur le vrac, qui est amené à se développer et à gagner de nouveaux produits. Nous tenons à ce que des informations minimales soient affichées. C'est le sens de notre recommandation n° 12.
En ce qui concerne le QR code, notre approche a beaucoup évolué. Il faut trouver un équilibre entre l'information des consommatrices et des consommateurs et l'absence d'alourdissement pour les agro-industriels et la grande distribution. Il faut aussi garder à l'esprit la fracture numérique.
Dans la mesure où nous devons, d'une part, réduire le suremballage pour des raisons environnementales et, d'autre part, anticiper la rupture à venir de papier et de carton, le QR code peut constituer, alors que les informations deviennent de plus en plus nombreuses et en dépit de ses contraintes et limites, une solution. Il pourrait devenir obligatoire à l'horizon 2027. Aux États-Unis, la grande distribution l'impose déjà à un nombre croissant d'industriels.
Nous n'imposons rien - sur ce sujet comme sur les autres -, mais proposons, notamment aux industriels, de préparer l'avenir. Mieux vaut franchir ce pas dans les mois et les années à venir que de subir une éventuelle contrainte d'ici à trois, quatre ou cinq ans, voire même plus rapidement.
Je suis bien conscient des limites du Nutri-score - je pense notamment au fromage, à la charcuterie et aux bonbons -, mais une majorité de filières l'ont adopté, alors qu'il n'est pas obligatoire. Par ailleurs, les scientifiques qui ont conçu le NutriNet nous ont bien rappelé que, pour eux, une classification en E ou en rouge ne signifie pas qu'il faut cesser de consommer le produit. Quoi qu'il arrive, il y aura toujours des produits trop gras, sucrés ou salés.
Nous recommandons une généralisation, étant entendu que, à la fin de l'année, la Commission européenne imposera un système. Nous proposons de soutenir le Nutri-score à la française, auquel nos industriels sont habitués, plutôt que les voir forcés de s'adapter à un autre système. Voyez les céréales : les industriels ont fait un gros travail pour réduire les sucres, au point que certains produits autrefois notés D ou E sont aujourd'hui notés B ou C. Si un autre système est retenu au niveau européen, il faudra refaire tout le boulot...
Sans nitrite, il n'y a pas de charcuterie. Or on sait que le nitrite est potentiellement cancérigène. Il faut donc accompagner la recherche d'une alternative. Il existe déjà des jambons sans nitrite, mais la généralisation n'est pas pour demain.
Le Nutri-score est aujourd'hui le système le plus scientifiquement établi. Reste que sa généralisation doit s'accompagner d'une éducation au goût et d'un effort de prévention. Les scientifiques nous l'ont bien dit : ces systèmes de notation ne remplacent pas un nutritionniste. Il faut, bien sûr, continuer à manger du fromage, de la charcuterie et de la viande rouge ; le tout est de savoir en manger en quantités raisonnables sur une semaine ou un mois.
Enfin, j'insiste : aucune de nos recommandations n'alourdit les coûts des agriculteurs.
Sur l'information et l'origine, nous avons un combat à poursuivre, qui, je pense, peut être collectif et transpartisan.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je remercie nos rapporteurs pour leur travail.
Je crois, à titre personnel, à la responsabilité du consommateur, dont le libre arbitre doit s'exercer à la lumière d'une information accessible et lisible.
Vos propositions ne consistent pas à surtransposer, mais à anticiper la réglementation européenne en espérant l'orienter dans le sens que nous souhaitons pour le bien de nos industriels et donc de nos agriculteurs.
L'information est aujourd'hui un maquis, qu'il s'agit d'éclaircir. Nos rapporteurs font des propositions en ce sens.
Madame Schillinger, leur première recommandation porte sur l'évaluation des systèmes de notation libre. Je crois à la libre entreprise et considère que toute entreprise doit pouvoir élaborer un système de notation, si elle le souhaite. Mais le sérieux et la transparence de certains systèmes devront être certifiés, du point de vue notamment de l'absence de conflits d'intérêts.
Je remercie les rapporteurs pour leur écoute, car nos échanges ont fait quelque peu évoluer les recommandations.
Les recommandations sont adoptées et la commission autorise la publication du rapport d'information.
« Transformer l'essai de l'innovation : un impératif pour réindustrialiser la France » - Présentation du rapport d'information fait au nom de la mission d'information « Excellence de la recherche - innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l'erreur française »
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous allons maintenant entendre la présentation par Vanina Paoli-Gagin, rapporteur, et Christian Redon-Sarrazy, président, du rapport de la mission d'information sur la réindustrialisation sous l'angle de l'innovation, un sujet qui nous intéresse beaucoup.
Certains d'entre vous m'ont accompagnée, voilà une dizaine de jours, au salon VivaTech, au coeur de l'innovation : nous avons entendu beaucoup d'éléments positifs, mais aussi certaines craintes. Nous sommes donc très attentifs aux conclusions du travail de nos collègues.
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur. - Christian Redon-Sarrazy et moi-même sommes particulièrement honorés de vous présenter les conclusions de notre rapport d'information, intitulé « Transformer l'essai de l'innovation : un impératif pour réindustrialiser la France ».
L'incapacité du pays de Pasteur à développer un vaccin contre la covid-19 nous a rappelé brutalement que la France ne faisait plus partie des États leaders dans l'innovation. Serions-nous condamnés à un rôle de fournisseur d'innovations technologiques de qualité et bon marché, transformées par des entreprises étrangères en innovations industrielles qui nous reviennent sous forme d'importations, aggravant encore notre déficit commercial ?
C`est pour tenter de sortir de cette impasse que le groupe Les Indépendants - République et Territoires a demandé la création de la mission d'information « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l'erreur française ».
Nous avons constaté un paradoxe : notre pays investit massivement en faveur de l'innovation, mais pour des performances industrielles mitigées.
Depuis 2000, l'effort de l'État en faveur de l'innovation s'est sensiblement accru, avec une accélération à partir de 2010 via les programmes d'investissement d'avenir, les PIA. Les trois premiers PIA ont mobilisé 57 milliards d'euros, tandis que 54 milliards d'euros supplémentaires vont être investis dans le cadre du PIA 4 et de France 2030. Ainsi, en vingt ans, 110 milliards d'euros auront été engagés pour soutenir l'innovation.
Cet investissement massif ne doit pas occulter nos difficultés persistantes à faire émerger de nouveaux champions industriels. Des champions industriels, nous en avons, mais ce sont pour la plupart des grands groupes issus de la privatisation de l'économie, héritiers d'anciennes entreprises publiques.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - À cette époque, nous n'étions pas désindustrialisés !
M. Pierre Louault. - C'était un autre monde...
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur. - Certes, les dispositifs publics ont favorisé l'essor d'un écosystème très dynamique de start-up : la French Tech en compte 20 000, contre 1 000 en 2013, et près de 11,6 milliards d'euros ont été levés en capital-risque l'année dernière.
Toutefois, les principaux bénéficiaires de ces dispositifs et investissements sont des entreprises du numérique, du soft et des technologies de l'information et de la communication. Sur les vingt-six licornes dont nous nous enorgueillissons, une seule est industrielle...
Christian Redon-Sarrazy va maintenant vous présenter les prérequis que nous avons identifiés, constitutifs d'un changement systémique de nos approches.
M. Christian Redon-Sarrazy, président de la mission d'information. - Nous avons conclu que quatre conditions préalables devaient être remplies pour que les mesures proposées soient réellement efficaces.
D'abord, notre pays doit investir massivement dans l'éducation et la recherche, faute de quoi nous ne pourrons anticiper les futures ruptures technologiques. Notre collègue Jean Pierre Moga insiste sur ce point chaque année dans son avis budgétaire.
Deux chiffres illustrent la gravité de la situation : depuis plus de vingt ans, nos dépenses de recherche et développement stagnent à 2,2 % du PIB, loin de l'objectif de 3 % fixé par le Conseil européen de Lisbonne ; la dépense moyenne par étudiant baisse de 0,8 % chaque année depuis 2010, avec des conséquences assez inquiétantes sur la qualité des apprentissages.
Il est donc indispensable de poursuivre et d'accentuer l'effort entamé à travers la loi de programmation de la recherche, mais aussi d'adopter de toute urgence une loi de programmation de l'enseignement supérieur.
Ensuite, il nous faut réindustrialiser notre pays par l'innovation.
Alors que l'industrie représentait 28 % du produit intérieur brut (PIB) de la France en 1968, ce ratio s'est dégradé jusqu'à 10 % en 2018, alors qu'il s'élève à 20 % en Allemagne et à 15 % en Italie. Cette désindustrialisation a eu inévitablement des conséquences sur l'emploi, mais aussi sur l'innovation, puisque 70 % des dépenses privées de recherche et développement sont assurées par l'industrie manufacturière.
La politique de recherche et d'innovation doit donc être réorientée vers la réindustrialisation. Pour cela, il faut privilégier les partenariats de recherche et de transfert de technologie avec les entreprises françaises et, surtout, fixer des conditions de localisation sur le territoire lorsqu'une entreprise bénéficie ou a bénéficié d'investissements publics ou de brevets français.
Le troisième prérequis concerne la diffusion de la culture de l'innovation et de l'entrepreneuriat.
Innover et entreprendre, c'est prendre des risques, à commencer par celui d'échouer. Or, en France, l'échec n'est pas accepté socialement, notamment du fait d'un système éducatif qui inculque la peur de l'erreur. Une réforme de nos méthodes pédagogiques paraît donc indispensable pour modifier la perception française de l'échec.
Il convient également d'élargir le vivier des innovateurs potentiels par des politiques ciblées en direction de deux catégories aujourd'hui sous-représentées dans les formations scientifiques et d'ingénieurs : les filles et les jeunes issus des classes sociales les moins favorisées, en particulier dans les territoires éloignés des métropoles. Il est assez insupportable que, dans ces territoires, l'accès à l'enseignement supérieur soit aussi difficile par rapport aux métropoles.
Par ailleurs, il faut revoir les méthodes d'évaluation des chercheurs pour renforcer les synergies entre la recherche académique et les entreprises, et multiplier les lieux de frottement entre monde académique et monde économique. Au niveau du doctorat, en particulier, nous souhaitons voir se développer les laboratoires communs et les conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre), dont le nombre a augmenté mais reste insuffisant.
Enfin, nous devons mettre en place une véritable stratégie de l'innovation.
En effet, la France a une vision trop linéaire de l'innovation, conduisant les pouvoirs publics à soutenir celle-ci essentiellement au travers d'appels à projets, qui ne permettent pas de construire des feuilles de route industrielles et technologiques. Répondre à un appel à projets suppose beaucoup d'énergie, de temps et de travail, mais parfois tout s'arrête ensuite, sans évaluation ex post ni construction d'une stratégie de long terme.
À l'issue de nos 67 auditions, nous sommes convaincus qu'une stratégie de l'innovation globale et cohérente doit reposer sur quatre piliers : des écosystèmes territoriaux pilotés par les régions, en lien avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ; une approche holistique combinant le soutien aux projets en amont avec un appui des phases aval ; une stratégie nationale coordonnée avec les dispositifs européens de soutien public à l'innovation ; des gouvernances agiles et resserrées, capables d'exécuter des décisions en circuit court fondées sur une évaluation régulière de l'impact économique des projets et sur une veille stratégique et prospective permanente.
C'est sur cette base solide que nos propositions opérationnelles, que Mme Paoli-Gagin va maintenant vous présenter, pourront porter leurs fruits.
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur. - Nous avons défini trois axes d'action pour soutenir collectivement et efficacement le développement des entreprises industrielles innovantes.
Nous avons souhaité être nous-mêmes un peu innovants dans la méthode : après de nombreux rapports sur l'innovation, la recherche, la création d'entreprise et le financement des entreprises, nous avons entendu proposer des mesures en nombre limité, mais directement opérationnelles et auxquelles chacun prendrait sa part. De fait, soutenir la croissance et le développement des entreprises industrielles innovantes est l'affaire de tous : Parlement, Gouvernement et acteurs privés.
Le Parlement, notamment le Sénat, a un rôle non négligeable à jouer, dans la mesure où les deux tiers des dépenses de soutien à l'innovation sont des incitations fiscales, via notamment le crédit d'impôt recherche (CIR), qui mobilise 6,6 milliards d'euros par an.
Nous constatons, avec d'autres, que l'efficacité du CIR est inversement proportionnelle à la taille des entreprises bénéficiaires.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Bien sûr !
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur. - En 2019, une étude de la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation (Cnepi) a montré qu'un euro de CIR versé aux PME accroît de 1,4 euro leurs dépenses de recherche et développement ; en revanche, le même euro de CIR versé aux grandes entreprises accroît leurs dépenses de recherche et développement de 40 centimes seulement.
L'argent public étant rare, nous devons, dans un souci de saine gestion, l'employer là où il produit le plus grand effet de levier. Or, si 91 % des bénéficiaires du CIR sont des PME, celles-ci ne représentent que 32 % de la créance fiscale ; inversement, les 10 % des bénéficiaires les plus importants, des grands groupes, perçoivent 77 % du montant total du crédit d'impôt.
Comme on nous a expliqué que le CIR était un dispositif formidable, et que perturber sa stabilité et sa lisibilité risquerait de décourager l'investissement, nous avons décidé de maintenir l'enveloppe constante, mais de renforcer l'efficacité du dispositif en y apportant, à la marge, certaines modifications fiscales.
Plus précisément, il s'agirait de supprimer le CIR au-delà de 100 millions d'euros de dépenses de recherche et développement ; le taux serait augmenté à due concurrence en deçà de ce plafond. En outre, nous trouverions juridiquement et fiscalement cohérent que ce plafond soit calculé au niveau de la holding de tête pour les groupes pratiquant l'intégration fiscale.
De même, nous proposons de doubler le plafond du crédit d'impôt innovation (CII), pour le porter à 800 000 euros, afin de mieux accompagner le passage à l'échelle des PME industrielles innovantes, notamment en les aidant à financer des démonstrateurs industriels, plus coûteux que la version bêta d'un logiciel développé par une entreprise de la French Tech.
En outre, nous proposons un coupon recherche-innovation de 30 000 euros à destination des PME, dans la limite d'une enveloppe globale de 120 millions d'euros. Il s'agit d'infuser la recherche dans toutes les entreprises, même traditionnelles, pour leur permettre de maintenir leur avantage concurrentiel.
Tous ceux d'entre vous qui souhaitent cosigner les amendements déposés sur ces sujets seront les bienvenus.
Le Gouvernement, quant à lui, doit s'impliquer à travers trois types d'actions.
D'abord, il convient de mobiliser la commande publique au service des entreprises industrielles innovantes. Si les Gafami existent, c'est parce que l'État américain a fait preuve d'un volontarisme remarquable depuis l'après-guerre...
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - C'est certain !
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur. - Depuis 1945, l'État américain est le premier acheteur de technologies innovantes et le premier financeur de start-up, avant les fonds d'investissement ! En France, la commande publique ne joue absolument pas son rôle vis-à-vis des PME. Les chefs d'entreprise que nous avons interrogés sont unanimes : ils préfèrent de beaucoup du chiffre d'affaires à de la subvention - sans compter que pour 1 euro public dépensé, c'est en réalité seulement 70 centimes qui bénéficient aux entreprises.
La commande publique représente 111 milliards d'euros par an : il s'agit donc d'un levier majeur de soutien aux entreprises innovantes. De nombreux pays, y compris nos voisins européens les plus proches, recourent à cet outil bien davantage que nous.
Nous tenons, à cet égard, à tordre le cou à une idée fausse, mais malheureusement très répandue. Non, les règles européennes ne sont pas à l'origine de notre incapacité à soutenir nos entreprises à travers la commande publique. D'éminents spécialistes nous ont expliqué que c'était juridiquement faux. Du reste, nos voisins, soumis aux mêmes règles européennes que nous, savent en tirer un meilleur parti.
De fait, comme souvent, nous surinterprétons les règles.
M. Laurent Duplomb. - Et voilà !
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur. - L'administration ouvre un double parapluie : il y a doute, donc on ne fait pas... L'administration doit cesser de s'abriter derrière cette fausse interprétation, et peut-être aussi être plus formée à l'achat public innovant.
S'il est vrai que l'Union européenne ne dispose pas d'un Small Business Act qui réserverait une partie de la commande publique aux PME de l'espace économique européen (EEE), nous nous mettons nous-mêmes des bâtons dans les roues à travers une conception rigide et peureuse des règles de marchés publics. L'Allemagne, a contrario, utilise toutes les souplesses du code des marchés publics ; elle se permet même de l'assortir d'autres objectifs, de nature économique, écologique ou sociale, pour favoriser ses entreprises nationales. Pourquoi pas nous ?
Ensuite, il est nécessaire de renforcer les initiatives visant à faciliter les démarches administratives et à raccourcir les délais, pour aligner le temps administratif sur le temps économique.
Vous le constatez tous, dans votre département : les chefs d'entreprise ne nous croient plus, depuis trente ans qu'ils voient se créer des commissions de simplification des normes ou du millefeuille administratif et que, nous le savons tous, c'est l'exact inverse qui se produit. Démarrer un laboratoire de thérapie génique est immédiat en Suisse ; en France, il faut attendre neuf mois et demi, au minimum, après le dépôt de la demande...
Nous devons systématiser les procédures menées en parallèle et non de façon séquentielle, mais aussi multiplier sur nos territoires les sites industriels clés en main, compatibles avec le « zéro artificialisation », purgés et « dérisqués » administrativement, en privilégiant les anciennes friches industrielles.
Enfin, alors que la propriété intellectuelle est une source majeure de compétitivité, cet enjeu est insuffisamment pris en compte par les pouvoirs publics et les PME. À l'instar de ce qui existe dans d'autres pays, nous proposons la création d'un Haut-commissariat à la propriété industrielle, placé auprès du Premier ministre, afin d'intégrer cet enjeu, au plus haut niveau, à la stratégie globale de soutien à l'innovation.
Les acteurs privés ont également un rôle majeur à jouer pour soutenir toutes les étapes du développement des entreprises industrielles innovantes.
À l'image de l'initiative Tibi, il faut mobiliser les investisseurs institutionnels, en particulier les mutuelles et les organismes de prévoyance, par exemple pour créer des fonds de fonds abondant des fonds dans la biotech, une industrie avec un temps de retour sur investissement très long. Il faut créer des fonds de croissance, avec des poches profondes et une sensibilisation aux spécificités du temps industriel et de la mobilisation massive de capitaux que nécessite la création de nouveaux outils de production.
Pour que ces financements soient efficaces, il faut cesser de vouloir tout financer chichement : nous devons faire des choix et concentrer les capitaux sur un certain nombre d'entreprises à fort potentiel de croissance, pour en faire des champions européens, voire mondiaux, avant leurs concurrentes étrangères. Le temps technologique s'accélère dans les pays qui mettent beaucoup d'argent sur la table. Certains pays ont dépassé les 3 % du PIB, l'objectif de Lisbonne dont, pour notre part, nous sommes encore loin...
Il faut aussi améliorer la formation des analystes financiers aux problématiques propres à l'industrie et les inciter à répartir leurs investissements sur l'ensemble du territoire. Actuellement, alors que les deux tiers des start-up sont localisées hors d'Île-de-France, 82 % des financements se concentrent sur Paris et la région parisienne...
Par ailleurs, la France doit s'engager dans la création d'un Nasdaq européen pour les licornes du numérique, dont le marché est mature. C'est essentiel pour avoir des sorties en liquidités et pour bloquer l'achat des pépites européennes par des entreprises étrangères. Un compartiment pourrait être préparé pour nos futures licornes industrielles.
Enfin, les grands groupes doivent s'impliquer davantage dans l'émergence et la croissance des entreprises innovantes. De fait, on ne peut pas dire qu'ils jouent un rôle de grands frères bienveillants : leur tendance oligopolistique est liée aussi à leur histoire publique. Pour les inciter à changer d'approche, nous proposons d'intégrer dans les critères de responsabilité sociale des entreprises (RSE) la collaboration avec les PME innovantes.
M. Christian Redon-Sarrazy, président de la mission d'information. - Ce sujet nous préoccupe tous, quels que soient notre orientation politique et le territoire que nous représentons. Il s'agit de créer les conditions pour que l'innovation nous permette de reconquérir notre souveraineté industrielle. Cette reconquête, j'y insiste, se fera avec la contribution de tous les territoires, et non des seules métropoles.
Dès le départ, Vanina Paoli-Gagin a choisi de présenter un nombre restreint de recommandations opérationnelles destinées à améliorer l'efficacité des dépenses publiques consacrées à l'innovation et, surtout, à les mettre au service de la réindustrialisation de nos territoires. Comme elle l'a souligné, nous n'atteindrons cet objectif qu'en agissant collectivement - Parlement, autres pouvoirs publics et acteurs privés.
À l'heure où le Parlement est souvent critiqué pour son impuissance, j'espère que nous vous avons convaincus du rôle que nous avons à jouer en matière de réindustrialisation. Je connais l'implication de la présidente Primas et des autres membres de la commission des affaires économiques sur ces questions.
Il n'y a pas de fatalité française ! Vanina Paoli-Gagin déposera à l'automne une série d'amendements transpartisans destinés à renforcer la compétitivité de nos PME par l'innovation. Nous serions heureux de vous compter parmi leurs cosignataires.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je salue ce très bon rapport, fruit d'auditions passionnantes. Je pense, moi aussi, qu'il y a une coalition transpartisane à bâtir pour un sursaut industriel et de l'innovation.
J'approuve nombre des propositions avancées, qui peuvent être engagées relativement vite.
Je tiens à insister sur le problème, considérable, des ressources humaines. Je pense en particulier à notre situation dramatique dans le domaine des mathématiques. Nous sommes l'avant-dernier pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), juste devant le Chili, pour le niveau en mathématiques... On peut se raconter toutes les histoires que l'on veut, mais il n'y aura pas d'innovation technologique sans culture mathématique !
Jadis, quand on baissait en maths, le phénomène touchait les personnes les moins éduquées, mais notre élite mathématique se maintenait. Aujourd'hui, nos meilleurs ne sont même plus dans l'élite mathématique. C'est donc encore plus grave.
Nous devons demander au Gouvernement un plan de remise à niveau de la formation mathématique, et plus largement scientifique, de nos enfants. Le problème n'est pas seulement lié à la réforme débile du lycée : l'apprentissage des cultures scientifiques et techniques commence dès la maternelle et le primaire. Songez qu'on ne fait presque plus de calcul mental ! C'est délirant...
Je ne suis pas une étatiste forcenée, contrairement à ce qu'on peut croire : je suis assez favorable au rôle des régions en matière d'innovation. Reste qu'il faut une ambition collective. Je pense ainsi qu'il faudrait doubler le nombre de nos ingénieurs et doctorants dans les secteurs potentiellement innovateurs.
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur. - Oui, mais sans baisser le niveau.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Sans baisser le niveau, mais sans couperet débile. Ainsi, il arrive que des personnes échouent à 0,5 point de la note requise : un tel écart est évidemment rattrapable.
Cette multiplication par deux devrait être notre objectif. Avec, par exemple, des redoublements en classes préparatoires, pour permettre aux élèves concernés de se hisser.
Enfin, le dispositif des Cifre n'est pas suffisant, non pas tant financièrement que, peut-être, culturellement. Notre avenir dépend pour beaucoup des PME, lesquelles - il faut le reconnaître - sont nombreuses à être sous-traitantes des grands groupes ou à les avoir pour clients. À leur attention, une campagne de communication devrait être lancée, sur le thème : les doctorants ne sont pas des chercheurs Tournesol... En Allemagne, il y a foule de doctorants-chercheurs au sein des entreprises.
En Allemagne toujours, au-delà du niveau de crédits par étudiant, le maillage des universités est plus diffus sur le territoire que celui, en France, de nos grandes universités, très centralisées. Nos universités ne sont pas suffisamment réparties pour créer une interface entre les patrons de PME, le milieu local de l'innovation et les universités.
À Béthune, grâce à la présence d'une université délocalisée et de plusieurs instituts universitaires de technologie (IUT), une interaction considérable s'est nouée entre le milieu industriel local et les structures de formation, qui produit de l'innovation. Mais il y a des territoires entiers où cela n'existe pas.
Dans la loi que vous préconisez sur l'université, je pense que cet enjeu devra être abordé. Comme maire d'Athis-Mons, j'ai dû batailler ferme pour obtenir un IUT. Or on a constaté que les diplômés de cet établissement venaient de quartiers et de milieux modestes et n'auraient jamais été dans le centre de Paris, pour de multiples raisons. Le maillage de la présence universitaire est donc fondamental pour démocratiser l'accès à l'enseignement supérieur et nous doter de ressources humaines adaptées.
La loi de programmation de la recherche est notoirement insuffisante, non seulement en crédits - au bout du compte, on sera peut-être même en deçà des 2,2 % du PIB - mais aussi du fait de la méthode des appels à projets, qui ne finance pas la pérennité des labos. C'est mon seul petit regret à propos du rapport d'information : il aurait fallu insister davantage sur les faiblesses de cette programmation et la nécessité de l'actualiser.
Enfin, je félicite le président et la rapporteur pour leur analyse du CIR. On sort du « tout ou rien », ce qui est déjà une étape intéressante...
M. Patrick Chaize. - À propos des start-up, vous avez parlé principalement de leur financement. Or ce n'est pas l'aspect que les dirigeants de start-up mettent le plus en avant : le plus compliqué, pour eux, c'est l'accès au cloud, la sécurité de leurs travaux, la garantie de pouvoir conserver leurs avancées sur le territoire national. Chaque fois qu'ils essaient de créer des partenariats avec ce souci de souveraineté, ils se heurtent à des délais incompatibles avec leurs attentes et reçoivent des réponses qui ne sont pas à la hauteur de leurs besoins. Une approche exclusivement financière du soutien aux start-ups serait donc une grave erreur.
M. Pierre Louault. - S'agissant des marchés publics, le cahier des charges est souvent élaboré par des maîtres d'oeuvre qui ne sont pas ouverts aux nouvelles technologies. De même, les grands marchés publics de l'État sont conçus par des hauts fonctionnaires qui ne connaissent pas l'évolution technologique et se couvrent de tous côtés.
Comme président de communauté de communes, je me suis fait retoquer par le tribunal administratif, parce que des entreprises s'étaient plaintes d'avoir été doublées par un candidat qui présentait une proposition moins chère et plus efficace.
Un autre problème tient à l'usage des fonds européens. De fait, notre administration, la plupart du temps, ne comprend rien aux mécanismes de ces fonds et rend quasiment impossible leur usage par les entreprises. Là aussi, je me suis bagarré des années durant : je peux vous dire qu'il faut du tempérament pour faire admettre à l'administration que l'action menée est conforme aux règles européennes. C'est pour vous protéger et protéger les entreprises, nous dit-on : c'est vrai que, si l'on n'utilise jamais les fonds, on ne risque pas d'avoir à les rembourser...
Mme Sophie Primas, présidente. - Pour distribuer les fonds Leader (Liaison entre actions de développement de l'économie rurale) au travers d'une association, je connais cela par coeur...
M. Pierre Louault. - Nous sommes vraiment très en retard dans ce domaine.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Et nous ne consommons même pas tous nos crédits !
M. Daniel Gremillet. - Qu'est-ce que l'innovation ? C'est d'avoir tourné le dos à l'industrie qui a tué l'innovation !
Il y a les innovations naturelles, celles du quotidien. À cet égard, il faut accompagner les investissements industriels : une entreprise industrielle normalement constituée, quelle que soit sa taille, innove automatiquement.
Il en résulte toute une culture de formation et d'embauche. On peut lancer des slogans sur le nombre d'ingénieurs, mais il faut, d'abord, le tissu d'entreprises permettant aux personnes formées de travailler et d'innover. De ce point de vue, l'appel à projets ne correspond pas, absolument pas, à ce qu'il faudrait faire.
Le CIR est essentiel, mais il l'est tout autant qu'une entreprise n'en bénéficie pas pour, ensuite, produire ailleurs. Nous devons absolument travailler sur cette question.
Enfin, je partage votre analyse sur la commande publique. Voyez l'hydrogène : on en parle depuis longtemps, mais cela n'avance pas, parce qu'on n'est pas capable de passer à la phase industrielle. Or c'est grâce aux régions qui commandent les premières motrices à hydrogène que ce cap sera franchi. Il s'agit, là non plus, de l'innovation du quotidien, mais d'une innovation plus risquée, tout à fait nécessaire à la réindustrialisation.
J'insiste à nouveau : le point de départ, c'est la production industrielle. S'il y a production industrielle, il y aura innovation, y compris dans les plus petites entreprises.
M. Franck Montaugé. - Christian Redon-Sarrazy a insisté sur l'évaluation régulière de l'impact des processus de recherche. L'évaluation in itinere est aujourd'hui largement insuffisante et menée exclusivement par la puissance publique. A contrario, les agences américaines Darpa (Agence pour les projets de recherche avancée de défense) et Barda (Agence pour la recherche et le développement biomédical avancé) placent les acteurs privés compétents au coeur des processus d'évaluation et de décision.
Dans les auditions que nous avons menées sur la souveraineté économique, cette question a été abordée. Nous devons progresser en matière de culture d'évaluation, y compris, parfois, pour arrêter des projets dont on considère, après évaluation, qu'ils ne mènent nulle part ou dans une mauvaise direction.
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur. - Sur le niveau en mathématiques, je comprends le courroux de Mme Lienemann et sa demande d'un plan de rattrapage. Reste que l'impéritie actuelle est aussi le fruit, excusez-moi de vous le dire, ma chère collègue, d'objectifs funestes adoptés par le passé, comme celui de mener 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Quel rapport avec le niveau en CE1 ?
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur. - Résultat : tous les niveaux ont baissé. La situation présente est la conséquence d'un tel horizon égalitariste.
Doubler le nombre d'ingénieurs, c'est en effet indispensable. Vous avez raison aussi sur le développement des Cifre et la promotion des doctorants en entreprise. À cet égard, certains circuits doivent aussi être simplifiés.
Vous avez raison également sur l'Allemagne, mais je rappelle que nous sommes un État unitaire, ce qui change tout. Les Länder ont une large autonomie de décision et peuvent même prendre des participations financières dans des entreprises. Nous sommes loin de ce modèle.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - C'est possible en France aussi !
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur. - Certes, mais pas dans les mêmes proportions. Cela dit, je pense que nous sommes tous d'accord pour considérer qu'il faut décentraliser et déconcentrer pour rendre notre État plus efficace.
Nous estimons, comme vous, que la programmation pluriannuelle est insuffisante à ce stade ; mais ce n'était pas, à strictement parler, l'objet de notre rapport.
Monsieur Chaize, nous parlons des start-up industrielles. Leurs problèmes sont différents de ceux des start-up de la tech ou du cloud, dont l'écosystème de financement, en effet, fonctionne. La logique comme le volume nécessaire ne sont pas les mêmes dans l'industrie, où le temps est long. Néanmoins, vous avez tout à fait raison sur les verrous administratifs : une plus grande souplesse est nécessaire.
M. Louault a tout à fait raison sur l'achat innovant, dont nous proposons d'améliorer les conditions, comme sur les fonds européens. Chaque année, toutes les régions rendent des fonds : c'est la honte... On pointe la lourdeur des procédures européennes, mais les Italiens et les Allemands y arrivent très bien. Faisons donc notre autocritique, en ayant conscience de nos atouts et de notre capacité à faire mieux !
En effet, monsieur Gremillet, l'innovation industrielle est une innovation du réel, liée à la production. Au reste, les entreprises industrielles sont condamnées à l'innovation perpétuelle pour garder leur marché. Ce processus est tout à fait incompatible avec la logique des appels à projets.
Enfin, les délocalisations après captation du CIR sont, en effet, très fâcheuses. C'est pourquoi nous proposons de poser des conditions. L'argent public ne doit pas financer des entreprises qui, ensuite, contribueront à dégrader notre balance commerciale à partir de nos innovations.
Vous avez parfaitement raison sur l'hydrogène : c'est la commande publique locale qui amorcera, peut-être, le développement de ce marché. L'Espagne est en avance sur nous dans ce domaine. Pendant que nous avons des velléités, d'autres agissent... Nous devons faire mieux.
Enfin, je souscris au propos de M. Montaugé sur l'évaluation en continu des processus de recherche et d'innovation. L'Union européenne devrait se doter de structures équivalentes aux agences américaines qu'il a citées.
M. Christian Redon-Sarrazy, président de la mission d'information. - C'est dans la mesure où nous disposerons d'évaluations efficaces et continues que nous pourrons financer des projets risqués. Financer le risque suppose un effort d'évaluation.
France Digitale nous a expliqué comment étaient réparties les aides dans le domaine quantique : cela interroge sur la capacité de la puissance publique à s'assurer que les fonds sont dépensés conformément aux objectifs initiaux.
L'énergie consacrée à la phase amont est telle que la phase aval est négligée. Or l'évaluation doit se poursuivre, ce qui permettrait, parfois, de corriger certaines trajectoires.
Mme Sophie Primas, présidente. - Un grand nombre de vos propos, monsieur le président, madame le rapporteur, font écho à notre travail en cours sur la souveraineté économique, qui traite évidemment de l'industrie.
À titre personnel, j'ai quelques points de désaccord sur l'emploi du crédit d'impôt recherche, mais il faut de la diversité dans les opinions... Nous pourrons poursuivre ce débat ultérieurement.
Nous sommes unanimes à considérer qu'il faut travailler sur l'éducation : c'est le terreau indispensable à la restauration d'éléments de souveraineté.
J'ai beaucoup entendu aussi que notre pays était corseté, notamment par des dispositifs d'appels à projets qui nécessitent beaucoup de moyens et favorisent l'ultra-sensibilité au risque - le même constat peut être dressé pour les collectivités territoriales. Or, à force de ne prendre aucun risque, on ne fait plus rien... Il est temps d'insuffler un peu d'air, de liberté et de mouvement !
Je remercie le groupe Les Indépendants - République et Territoires, dont le président a assisté à notre réunion, d'avoir initié ce travail.
Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Patrick Chaize rapporteur sur la proposition de résolution européenne de Mmes Florence Blatrix Contat et Catherine Morin-Desailly relative au Programme d'action numérique de l'Union européenne à l'horizon 2030.
La réunion est close à 12 h 00.