Mardi 19 mars 2019
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Institutions européennes - Réunion conjointe avec une délégation du Bundesrat de la République fédérale d'Allemagne, en présence du groupe interparlementaire d'amitié France-Allemagne
M. Jean Bizet, président. - Au nom de la commission des affaires européennes, je suis très heureux de vous accueillir cet après-midi pour une réunion qui s'inscrit dans le sillage de la signature, aujourd'hui même, d'une déclaration commune du Bundesrat et du Sénat par les présidents Günther et Larcher. Cette déclaration offre une traduction parlementaire à la nouvelle impulsion que nos gouvernements ont donnée aux relations franco-allemandes par le traité d'Aix-la-Chapelle le 22 janvier dernier. Je m'en félicite et me réjouis que les commissions chargées des questions européennes au Bundesrat comme au Sénat aient pu contribuer à préparer cet accord, formalisé aujourd'hui par les présidents de nos chambres respectives.
Je le disais ce matin devant eux : en plaçant la coopération franco-allemande dans une perspective résolument européenne, le traité d'Aix-la-Chapelle confirme que l'enjeu du rapprochement franco-allemand dépasse nos deux pays. Fondateurs et piliers de l'Union, la France et l'Allemagne peuvent ensemble cimenter le socle de l'Union et la projeter vers l'avenir, alors même que le retrait du Royaume-Uni semble porteur de régression pour le projet européen - peut-être laisserons-nous encore un peu de temps pour qu'il comprenne cette erreur géostratégique. Notre objectif partagé, c'est de conforter les valeurs fondatrices de l'Europe et de faire de celle-ci un multiplicateur de puissance économique.
En notre qualité de membres du Bundesrat et de sénateurs français, il est de notre responsabilité de donner une dimension parlementaire à ce rapprochement et de développer un réflexe franco-allemand au sein de nos chambres : c'est en effet par les parlements que peuvent se concrétiser les initiatives conjointes de nos deux pays.
Dans ce contexte, nos groupes interparlementaires d'amitié sont des outils précieux pour cultiver nos liens et progresser dans la connaissance mutuelle, qui passe d'abord par la langue et la culture. Nos commissions chargées des questions européennes doivent poursuivre parallèlement leur coopération sur les sujets d'intérêt commun et les questions relatives à la législation de l'Union.
À cet égard, je relève plusieurs pistes de travail susceptibles d'être creusées ensemble.
J'évoquerai d'abord le respect du principe de subsidiarité. J'ai noté que le Bundesrat avait adopté il y a un mois une décision relative à la récente communication de la Commission européenne sur le rôle des principes de subsidiarité et de proportionnalité dans l'élaboration des politiques de l'Union. Votre assemblée souligne la dimension politique de ces principes juridiques. Elle demande aussi à la Commission une certaine retenue, tout spécialement pour les clauses de compétence dont le libellé est large, afin de préserver la proximité citoyenne et de maintenir les marges de manoeuvre régionales ; elle l'invite aussi à préférer les directives aux règlements et à faire preuve de réserve dans l'utilisation des actes délégués, dont l'adoption, comme d'ailleurs celle des actes d'exécution, peut contrevenir au principe de subsidiarité. Sur tous ces sujets structurants pour la construction européenne, nous partageons des préoccupations communes. Pour ma part, j'ai toujours indiqué, lors des dernières conférences des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), que les résultats des travaux de la task force de la Commission sur ce sujet, présidée par M. Timmermans, étaient loin d'être à la hauteur de nos espérances.
Autre piste de travail conjoint : l'avenir industriel de l'Union. Le refus opposé par la Commission au projet de fusion d'Alstom et de Siemens a ranimé la réflexion sur les moyens dont dispose l'Union pour permettre l'émergence de champions industriels. À cet égard, le manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIe siècle, publié il y a tout juste un mois - le 19 février - par nos ministres de l'économie respectifs, MM. Altmaier et Le Maire, constitue une feuille de route précieuse. S'interroger sur la politique de concurrence européenne ne doit pas occulter la nécessité de trouver aussi les moyens financiers de soutenir les technologies qui conditionnent l'avenir de nos industries : je pense notamment à la cybersécurité et à l'intelligence artificielle. Je me réjouis à ce propos que l'Union européenne commence à prendre conscience de la naïveté qui était la sienne concernant la réalité d'aujourd'hui et celle de demain : nous sommes pris entre les États-Unis et la Chine, qui ont chacun une conception du monde différente de l'Union européenne et ne partagent pas notre attachement au multilatéralisme.
Nos chambres, qui sont particulièrement qualifiées pour soutenir la coopération entre les territoires qui composent nos deux pays, pourraient étudier les possibilités en la matière. J'ai notamment remarqué que la Sarre, dont Peter Strobel, ici présent, est ministre des finances et de l'Europe, a mené une politique active sur le numérique et souhaiterait être impliquée dans l'intelligence artificielle et que ce Land, frontalier avec la France, se trouve à proximité du centre de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) de Nancy, acteur majeur des sciences du numérique.
Votre délégation compte aussi deux élus de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie qui abrite notamment le centre de Sankt Augustin, un des quatre centres fédéraux en intelligence artificielle et élément du réseau des instituts Fraunhofer. La ministre Isabel Pfeiffer-Poensgen et le docteur Mark Speich en sont ici les représentants. La volonté du Sénat, comme pour sa culture d'avenir, de s'investir sur ces sujets est très forte car si l'Europe prend du retard en la matière, elle risque de sortir de l'histoire.
Je cède la parole à ma collègue Catherine Troendlé, qui parle la langue de Goethe, alors que la langue de Shakespeare me suffit pour le moment...
Mme Catherine Troendlé, présidente du groupe d'amitié France-Allemagne. - Je suis très heureuse que les commissions des affaires européennes du Sénat et du Bundesrat soient aujourd'hui réunies, en présence des membres des groupes interparlementaires d'amitié entre l'Allemagne et la France du Sénat et du Bundesrat. C'est l'occasion d'évoquer ensemble l'avenir des relations franco-allemandes après la signature, le 22 janvier dernier, du traité d'Aix-la-Chapelle.
Comme le souligne la déclaration interparlementaire franco-allemande signée ce matin par le Président Gérard Larcher et le Président Daniel Günther, le Sénat et le Bundesrat souhaitent « apporter leur contribution pour continuer de développer à tous les niveaux les bonnes relations entre la France et l'Allemagne », dans le cadre de la « nouvelle orientation donnée à la coopération franco-allemande dans le contexte européen par le Traité d'Aix-la-Chapelle ».
Parmi les objectifs fixés par la déclaration du Sénat et du Bundesrat pour la poursuite de l'approfondissement des relations franco-allemandes, figurent, aux articles 2 à 5, plusieurs axes sur lesquels je souhaite insister : le renforcement de la compréhension mutuelle et l'apprentissage de la langue, les jumelages, la consolidation des coopérations transfrontalières et régionales.
Concernant le renforcement de la compréhension mutuelle et l'apprentissage de la langue - un fondamental -, après 56 années de coopération fructueuse entre nos deux pays, l'amitié franco-allemande semble aller de soi. Il nous appartient aujourd'hui de pérenniser ces liens privilégiés au quotidien. Pour cela, nous devons sensibiliser chaque nouvelle génération à l'importance de cette relation étroite entre nos deux pays. En 1963, le général de Gaulle et le chancelier Adenauer avaient fait de l'éducation et la jeunesse l'un des trois axes du traité de l'Élysée, aux côtés des affaires étrangères et de la défense.
Bien sûr, nous pouvons nous réjouir des succès obtenus, depuis, en matière de formation et d'échanges de jeunes. Je veux souligner la participation de plus de 8,2 millions de jeunes français et allemands à plus de 320 000 programmes d'échange, grâce à l'Office franco-allemand pour la jeunesse, ou encore l'offre de 180 cursus intégrés binationaux sous l'égide de l'Université franco-allemande. S'ajoute également, en direction de la jeunesse, l'existence des lycées franco-allemands - Sarrebruck, Fribourg et Buc -, dont le quatrième est en cours de création à Hambourg, et des 4 300 jumelages d'établissements. Néanmoins, nous ne pouvons pas nous contenter du million d'élèves français qui apprennent l'allemand, ni du million et demi d'élèves allemands qui étudient le français. Clé de la compréhension mutuelle, l'apprentissage de la langue de l'autre pays doit être renforcé, pour tous, dans les différents types de formation et de cursus. En outre, des améliorations restent à apporter en matière de reconnaissance mutuelle des diplômes ou encore de mobilité des apprentis.
En ce qui concerne les jumelages, coopération transfrontalière et consolidation des coopérations régionales, je souhaiterais aussi souligner le rôle décisif des collectivités territoriales et de l'engagement des élus locaux pour le rapprochement entre jeunes français et allemands. C'est aussi dans le cadre des échanges scolaires, culturels ou encore sportifs entre villes jumelées que les rencontres s'organisent. Ainsi, les 2 200 jumelages entre des communes de France et d'Allemagne demeurent des instruments-clés du resserrement des liens entre citoyens français et allemands.
Outre les jumelages, la coopération entre régions françaises et Länder allemands peut aussi connaître de nouvelles impulsions. La question se pose avec une acuité particulière pour les régions transfrontalières, qui sont de vrais « laboratoires » de la coopération franco-allemande au quotidien. Nous avons à l'esprit le tramway reliant Strasbourg et Kehl, ou encore la signature du protocole d'accord pour l'amélioration durable des transports ferroviaires transfrontaliers par la région Grand-Est et le Land de Rhénanie-Palatinat, d'une part, et de Sarre, d'autre part, mais aussi la smart border initiative européenne portée par la France et l'Allemagne et visant à optimiser l'utilisation des réseaux électriques dans les régions transfrontalières. Ce sont autant d'illustrations de l'efficacité de cette coopération transfrontalière franco-allemande. Elle permet tout à la fois d'optimiser les investissements, de favoriser le développement et l'attractivité des territoires de part et d'autre de la frontière, d'améliorer les services proposés aux citoyens et, ainsi, de rendre l'Europe concrète au quotidien.
En reconnaissant l'importance de la coopération transfrontalière et en assouplissant son cadre juridique, le traité d'Aix-la-Chapelle ouvre des perspectives vers de nouveaux projets, tant en matière de mobilité, de transport et d'environnement, que dans les domaines de la santé, de la petite enfance, de l'éducation ou de la formation professionnelle.
Mais les coopérations régionales doivent également être consolidées dans les régions non frontalières. Il s'agit de rapprocher plus largement les sociétés civiles allemande et française : Nouvelle Aquitaine et Hesse, Normandie et Basse-Saxe, Pays de la Loire et Schleswig-Holstein... Les exemples de coopération fructueuse entre régions non frontalières sont nombreux. La première Quinzaine franco-allemande qui s'est tenue en septembre dernier en région Occitanie allait précisément en ce sens, avec le triple objectif de faire vivre l'amitié franco-allemande au plus près des citoyens et du territoire, y compris loin de notre frontière commune, de mettre en valeur les potentialités ouvertes par la coopération franco-allemande et d'ouvrir de nouvelles perspectives d'initiatives communes à développer.
Ainsi, au lendemain de la signature du traité d'Aix-la-Chapelle qui « reconna[ît] le rôle fondamental de la coopération décentralisée des communes, des départements, des régions, des Länder, du Sénat et du Bundesrat », et à la suite de l'adoption ce matin de la déclaration interparlementaire franco-allemande entre le Sénat et le Bundesrat, saisissons l'occasion pour donner un nouvel élan à la coopération et à l'amitié entre nos deux peuples !
Mme Ulrike Hiller, vice-présidente de la commission des questions européennes du Bundesrat (Brême). - M. le ministre et président de la commission des affaires européenne, Guido Wolf, a dû nous quitter pour remplir ses obligations à Stuttgart. Il me revient donc de vous adresser ces quelques mots, qui sont, pour nous tous, une occasion d'échanger sur l'évolution et l'approfondissement de notre amitié franco-allemande.
Depuis six ans et demi, je suis plénipotentiaire. Je me rends souvent dans différentes villes de France et d'Allemagne, notamment à Paris, à Bordeaux et à Berlin. Ces rencontres avec différents acteurs sont un véritable enrichissement, car j'estime que nous pouvons apprendre de nos différentes expériences. Je suis une enfant franco-allemande, dans le sens où je suis née en Basse-Saxe et où j'ai fait mes premiers pas européens dans le milieu du sport en France. Cette période de ma vie m'a beaucoup marquée, car j'ai compris que la vie ailleurs pouvait être totalement différente de chez moi. Ma curiosité pour l'Europe a été piquée au vif.
Notre rôle est de relier nos concitoyens européens. C'est pourquoi je suis fière, parmi ces échanges très fructueux, que nous ayons signé la première déclaration commune entre le Sénat et le Bundesrat. Ce contrat écrit comprend nos missions communes et nos possibilités de contribution à l'avenir. J'étais présente à la Cosac à Vienne, mais c'est surtout Guido Wolf qui a participé aux discussions avec nos collègues, lesquelles ont permis de poser un jalon très important qu'il ne faut pas sous-estimer.
Il s'agit maintenant de concrétiser et de « remplir de vie » les différents éléments retenus. Nous devons progresser dans notre coopération et accentuer les jumelages des villes, prévus par l'article 3, qui constituent un point très important. À Brême, s'est tenue une conférence réunissant toutes les villes concernées, y compris la ville de Cherbourg, jumelée avec Bremerhaven, ville incluse dans les 17 objectifs pour sauver le monde (SDGs) de l'ONU. Ces objectifs développent un certain nombre d'orientations politiques et écologiques à suivre.
Une deuxième conférence des villes jumelées a représenté un rendez-vous important pour apprendre des autres villes et améliorer le développement durable, le commerce équitable et la santé. Nous avons également abordé l'émancipation des femmes et pu mettre en oeuvre concrètement certaines idées. Le maire de Cherbourg lui-même s'est d'ailleurs rendu à cette conférence et s'est montrée extrêmement intéressée à l'égard de nos projets.
En Allemagne, avec Mannheim, Fribourg ou Coblence, les réseaux de jumelage ont actuellement une grande importance et constituent une réelle incitation à faire plus, notamment par le biais des 17 objectifs, qui sont intégrés dans une perspective globale.
Le renforcement de nos relations devrait permettre aux écoliers et aux étudiants de participer à des échanges linguistiques et culturels. À cet égard, nous devons veiller à maintenir les différents instituts créés à cette fin. En effet, c'est bien grâce à l'Institut français de Brême que la culture française peut exister au coeur de la ville allemande.
Pour ce qui est de nos étudiants, l'effort doit se poursuivre en mettant l'accent sur Erasmus, projet dont j'étais rapporteur. Nous voulons aussi inciter le plus d'apprentis possible à utiliser les possibilités qui leur sont offertes de se rendre à l'étranger grâce à des programmes tels Erasmus +. À cet égard, nous nous sommes engagés, dans l'article 14, à améliorer la coopération entre nos administrations, car ces échanges sont une chance pour eux.
Enfin, une rencontre à l'Institut français de Brême entre des femmes allemandes, françaises et polonaises a mis l'accent sur l'intérêt des échanges en format triangle de Weimar. En effet, il s'agit d'une opportunité de renforcer la coopération frontalière entre l'Allemagne, la France et la Pologne, en impliquant les communautés polonaises.
Je ne reviendrai pas sur le Brexit et les élections européennes, qui représentent évidemment un enjeu important. À nos yeux, il est essentiel d'obtenir une forte participation à ces élections, et ce afin que l'Europe en profite.
Monsieur le Président, cher Jean Bizet, j'aimerais vous remercier tout particulièrement, car vous nous avez invités dans votre belle circonscription, en Normandie, pour le second semestre. Il est toujours profitable de se rendre sur place pour voir comment les choses se passent. De plus, il s'agit d'un premier jalon dans la mise en oeuvre concrète de l'accord signé à Aix-la-Chapelle.
Les élections européennes auront lieu le 26 mai prochain. J'espère que nous pourrons ensuite continuer à travailler sur ces questions, en intensifiant nos échanges afin que notre coopération se renforce sans cesse.
M. Tobias Hans, ministre-président, président du groupe d'amitié franco-allemand (Sarre). - Merci pour votre accueil chaleureux, qui illustre la très grande amitié entre nos parlements. En tant que président du groupe d'amitié franco-allemand au Bundesrat, je suis très heureux d'être présent parmi vous aujourd'hui.
Aujourd'hui, nous avons non seulement échangé des positions politiques, mais également envoyé un symbole. Nous nous sommes écoutés attentivement, en particulier sur nos situations politiques intérieures. La coopération entre le Sénat et le Bundesrat est très fructueuse.
Cela fait un an que je suis ministre-président du Bundesland de la Sarre, lequel est marqué par l'amitié franco-allemande et par la coopération. Les Sarrois ont été français et allemands au cours de leur histoire et ont donc un pied de chaque côté du Rhin. Nous savons ce que nous devons à la relation franco-allemande et à sa bonne qualité. Il est très important pour nous que cette amitié se développe.
Le groupe d'amitié France-Allemagne porte cette amitié de manière toute particulière, certains de ses membres étant bilingues ou ayant des relations personnelles avec l'Allemagne. Il a joué un rôle important dans la déclaration interparlementaire qui a été signée ce matin.
Je suis convaincu que le traité d'Aix-la-Chapelle permettra de moderniser le traité de l'Élysée. Sa mise en oeuvre sera possible si nous continuons de nous écouter comme nous l'avons fait et si nous mettons en oeuvre des projets concrets. Ce traité donnera un nouvel élan à la relation franco-allemande, je suis fier d'y contribuer.
En tant qu'ancien président de la Conférence des ministres-présidents allemands, j'ai participé à l'élaboration du traité d'Aix-la-Chapelle, en particulier sur la question des régions transfrontalières, lesquelles constituent chacune une Europe en miniature. Ce que nous arrivons à faire à cet échelon nous confère une immunité vis-à-vis des tendances nationalistes et populistes qui se développement malheureusement à l'approche des élections européennes.
Pour la région frontalière que nous sommes, il est très important de faire avancer les choses dans les domaines d'avenir pour l'Europe que sont la numérisation, la sécurité informatique et l'intelligence artificielle, les enjeux étant cruciaux. Sur ces questions, nous pouvons capitaliser sur la coopération entre les régions frontalières, alors que nous subissons la pression de la mondialisation, de la Chine et des États-Unis. La coopération doit progresser, par exemple entre les universités.
La mission des Länder et de notre groupe d'amitié est de mettre en avant le bilinguisme. Dans la Sarre, nous mettons en oeuvre une véritable politique française afin de renforcer le bilinguisme et l'apprentissage du français, afin que cette langue devienne la première langue étrangère et que l'anglais ne soit plus une évidence. Nous mettons également en oeuvre cette politique dans l'espace public. La plupart des panneaux signalant les lieux touristiques sont rédigés dans les deux langues. Nous devons également approfondir notre coopération administrative. À l'ère de la numérisation, tous les formulaires administratifs doivent être disponibles en plusieurs langues. Il s'agit là d'une mesure concrète et importante.
Il est essentiel que ce qui a été décidé dans le traité d'Aix-la-Chapelle soit décliné dans les Länder. Je pense ici à la mobilité et aux transports en commun. Il ne doit plus y avoir d'obstacles à la circulation aux frontières européennes. Un système de circulation unifié est nécessaire. Il en va de même pour la formation, l'éducation, les crèches.
Dans mon Land, j'ai fait en sorte que toutes les chambres de commerce et d'industrie puissent négocier en français. Offrir une seconde option linguistique permet de mettre en oeuvre une politique transfrontalière efficace. J'espère être une source d'inspiration pour d'autres régions frontalières.
La coopération en matière de santé pose plus de difficultés, tant nos systèmes sont différents. Si nous voulons progresser dans cette coopération, le côté allemand doit faire plus d'efforts. La France compte des centres de rééducation extrêmement performants, l'Allemagne dispose, elle, de centres de traitement par rayons. Chacun ayant sa spécialité, il faut mettre en avant les éléments de complémentarité.
J'en viens aux thèmes culturels, très importants pour nous. Il faut entretenir la culture commune, via des coopérations et des jumelages. Nous sommes sur la bonne voie et nous arrivons de plus en plus à lever les obstacles.
Notre mission est de renforcer la coopération franco-allemande dans tous ces domaines. Je suis très heureux de pouvoir échanger avec vous sur ces sujets. Vive l'amitié franco-allemande !
M. André Gattolin. - Nous sommes très touchés par votre présence à tous et par la coopération qui s'établit entre la France et l'Allemagne, notamment entre nos deux chambres hautes.
Nous avons des politiques communes, dans le cadre de l'Union européenne, mais il est important que nous renforcions notre coopération bilatérale dans les domaines qui relèvent exclusivement de la compétence des États ou pour soutenir certaines politiques européennes.
Vous avez évoqué l'apprentissage des langues. Pour ma part, je suis assez étonné qu'on utilise assez peu la possibilité offerte par le programme Erasmus +, qui permet l'établissement de coopérations entre établissements scolaires et la mobilité des enseignants. L'apprentissage des langues en France, on le sait, est relativement médiocre. Il serait bon qu'une plus grande part de l'enseignement du français en Allemagne et de l'allemand en France soit dispensée par des natifs.
Dans le domaine des nouvelles technologies, nous avons beaucoup à faire. La commission des affaires européennes m'a confié un travail sur l'intelligence artificielle en Europe. J'ai relevé que, en Allemagne, le financement dans ce domaine relevait moins du pouvoir fédéral que des Länder. Cinq Länder mènent en effet des politiques extrêmement avancées et audacieuses. Le système français est, lui, beaucoup plus centralisé. Nos deux chambres pourraient être des intermédiaires pour apprendre aux Français à travailler autrement. La France réfléchit à se doter d'un programme pluriannuel de financement de la recherche qui corresponde aux dates du prochain cadre financier pluriannuel de l'Union européenne 2021-2027. Nos besoins de financement pour rattraper le retard que nous sommes en train de prendre face à la Chine et aux États-Unis étant extrêmement élevés, il est important que nous augmentions les capacités budgétaires de nos États respectifs et surtout que nous travaillions de manière rapprochée sur des projets d'intelligence artificielle particulièrement utiles à nos deux nations.
M. Jean-Marie Bockel. - Je salue le travail des groupes d'amitié, qui constitue une démarche très riche et très concrète. Nous avons de multiples autres occasions de travailler ensemble de manière positive. Je suis rentré ce matin de Berlin où j'ai assisté à une réunion de l'Assemblée parlementaire de l'Otan, qui fut l'occasion d'échanges constructifs. Nous sommes nombreux à avoir des expériences de coopération, que ce soit dans les Länder pour vous ou dans le cadre de responsabilités locales pour nous. Ainsi, lorsque j'étais maire de Mulhouse, j'ai beaucoup travaillé avec la ville de Fribourg, dont l'expérience en matière d'énergie et de développement durable nous a été précieuse. Je pourrais également évoquer la communauté des villes Ariane.
La situation politique actuelle en Europe est extrêmement difficile, compte tenu du Brexit et de la montée des extrêmes. Alors que le moteur européen semble un peu en panne aujourd'hui, ne pourrait-on pas s'appuyer davantage sur ces expériences réussies pour le relancer ? Le discours du président Macron et le traité d'Aix-la-Chapelle ont certes donné des perspectives, mais certains discours suscitent encore de l'incompréhension, tandis que subsiste une difficulté à se mettre au diapason.
M. Mark Speich, secrétaire d'État (Rhénanie-du-Nord-Westphalie). - L'accord qui a été signé aujourd'hui peut être considéré comme la fin d'un processus ou le début d'un autre. J'ai été heureux, en écoutant les discours, de constater que tout le monde pense qu'il s'agit d'un nouveau départ.
La question aujourd'hui est de déterminer les espaces de coopération entre le Sénat et le Bundesrat. Des comités assurent le suivi d'un certain nombre d'initiatives, qui sont toutefois assez cloisonnées : coopération transfrontalière, Erasmus, etc. Peut-être pourrions-nous mettre en place un groupe de travail entre le Sénat et le Bundesrat sur le développement de la numérisation et de l'intelligence artificielle, sujet ressortant de la compétence des Länder ? Il est important d'adopter un positionnement commun. Même si nous sommes d'accord sur de nombreux sujets, nous avons des approches et des compréhensions différentes. Si une position européenne devait être adoptée face à la Chine et aux États-Unis, elle devrait principalement être portée par la France et l'Allemagne. Ce groupe de travail pourrait porter la position du Sénat et du Bundesrat. Il s'agit de mettre en oeuvre concrètement l'accord que nous avons signé aujourd'hui, dans un domaine crucial pour l'avenir.
Mme Isabel Pfeiffer-Poensgen, ministre (Rhénanie-du-Nord-Westphalie). -L'Allemagne compte quatre centres de recherche sur l'intelligence artificielle, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie et dans la Sarre. Vous avez évoqué l'institut Fraunhofer à Saint-Augustin, je citerai l'université technique de Dortmund, dont l'une des sections effectue des recherches remarquables sur l'apprentissage par les machines. L'idée à terme est de fonder un institut de recherche franco-allemand. Ce projet est dans sa phase initiale, un certain nombre de rencontres ont eu lieu, les acteurs commencent à se connaître. En Rhénanie-du-Nord-Westphalie, nous nous sommes fixés l'objectif de mettre en place un plan d'ici l'été afin de renforcer la recherche. Le ministre de l'économie pour sa part a pris en charge la question des start-up. Des initiatives semblables sont prises dans la Sarre.
Nous ne devons pas céder à l'illusion de croire que nous pouvons concurrencer les sommes astronomiques investies par les Chinois ou les Américains, non seulement au niveau des États, mais également des entreprises privées, comme Amazon ou Facebook et leurs équivalents chinois. Nous devons nous concentrer sur des domaines que nous avons identifiés et dans lesquels nous pouvons nous battre et nous défendre. Nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de nous disperser.
M. Jean Bizet, président. - Deux grands thèmes se dégagent de nos discussions ce matin et cet après-midi : le numérique et l'intelligence artificielle, ainsi que le projet Erasmus +. Peut-être pourrions-nous en effet réfléchir à la création d'un groupe de travail, effectuer quelques déplacements et visiter certains centres en Allemagne, notamment l'université technique de Dortmund ? Il s'agirait d'étudier comment un centre de recherche franco-allemand pourrait être mis en oeuvre plus rapidement.
Un État seul ne peut relever les défis auxquels nous faisons face. Le couple franco-allemand est essentiel. L'Europe arrive à peine, dans un cadre financier pluriannuel, à consacrer 1,5 milliard d'euros à ces questions, quand les sommes dépensées ailleurs sont de l'ordre de 20 à 30 milliards de dollars par an. Nous devrons probablement avoir recours à des partenariats public-privé ou à de nouvelles formes de mobilisation financière, car nous n'avons pas la même puissance de feu, malheureusement, que les Américains ou les Chinois. Nous pourrions approfondir ce sujet lors de notre rencontre au Mont-Saint-Michel, qui pourrait intervenir à la fin du mois d'octobre prochain.
Je ne vous cache pas que votre ambassadeur, M. Meyer-Landrut, nous invite également à travailler sur le numérique et l'intelligence artificielle, qui sont les industries de demain. Je dois dire qu'il est très apprécié et très écouté sur la place de Paris. Il parle peu, mais à bon escient.
Enfin, j'évoquerai Erasmus +. On connaît l'excellence de l'Allemagne en matière de formation. La France a toujours essayé de la copier, sans y parvenir. Or les chambres de commerce et d'industrie de nos régions sont demandeuses d'une nouvelle approche en matière d'apprentissage.
Il est vrai que le moteur franco-allemand fonctionne moins bien aujourd'hui. Nous pourrions le relancer en nous investissant sur ces questions.
M. Claude Kern. - Pour nos régions frontalières, se pose la question de l'apprentissage : nos jeunes ont encore beaucoup de mal à faire leur alternance dans d'autres pays. Pourtant, ce projet avait été bien défendu par notre ancien collègue...
M. Jean Bizet, président. - C'est Jean Arthuis qui l'a conçu, en effet.
M. Claude Kern. - Du reste, les entreprises, surtout du côté allemand, sont à la recherche de main-d'oeuvre qualifiée, qu'elles sont prêtes à former. Mais des difficultés administratives subsistent.
M. Jean Bizet, président. - J'ai récemment rencontré Jean Arthuis à Bruxelles. Il devrait prochainement assumer une fonction importante, qui succédera à ses engagements politiques, en lien avec la problématique de l'apprentissage. Je pense qu'il va s'engager avec passion. En tous cas, il serait intéressant que nous reprenions contact avec lui sur ce sujet.
Mme Ulrike Hiller. - L'ambassadeur autrichien m'a dit que l'Autriche avait une coopération intensive avec l'Espagne sur ce sujet. Les écoles professionnelles coopèrent très étroitement, ainsi que les chambres de commerce et d'industrie. Il serait intéressant de capitaliser sur cette expérience et de s'en inspirer pour notre coopération franco-allemande.
Mme Patricia Schillinger. - Ma question porte sur les transports. La vignette que l'Allemagne instaure aura un impact sur nos régions frontalières ; il est dommage que nous n'ayons pas davantage été consultés en amont. Une expérimentation en Alsace aurait pu être envisagée. Les frontaliers et les touristes seront affectés par ce dispositif. L'écologie est d'actualité : ce serait un beau projet que de travailler ensemble sur ces sujets.
M. Michel Raison. - Nous sommes nombreux à être élus de communes jumelées avec des villes allemandes. Il est donc tentant d'assimiler notre relation amicale à une petite Europe, mais nous ne devons pas tomber dans ce travers : l'Europe, ce n'est pas seulement l'Allemagne et la France ! Plusieurs pays du Sud, ou des États-membres plus éloignés, pourraient en prendre ombrage. L'important est de se servir de notre expérience sur le bon fonctionnement de notre relation pour la diffuser en Europe. Parmi les questions sur lesquelles nous pourrions nous pencher figure un sujet de préoccupation permanente pour les Français : nos distorsions de concurrence. Il ne sera pas aisé d'harmoniser les fiscalités et les règles car chacun a son histoire ! Mais nous devons faire des efforts pour redonner du sens à l'Europe.
M. Tobias Hans, ministre-président, président du groupe d'amitié franco-allemand (Saxe). - Nous avons développé deux formations professionnelles transfrontalières : il y a un projet sarrois et un projet en Bade qui fonctionnent très bien. La Westphalie a un projet similaire avec la partie orientale de la Belgique. Mais nos systèmes de formation professionnelle sont très différents. Le système allemand propose une formation très forte en alternance - c'est pourquoi les jeunes Français s'y intéressent beaucoup, car elle aide à trouver un emploi. Je crois que la France souhaite renforcer ses formations de ce type, et que nous devrions mettre en place une reconnaissance mutuelle des années effectuées. L'apprentissage binational est à développer : j'ai rencontré dans la Sarre vingt jeunes qui étaient complètement bilingues, et donc à même de travailler dans nos deux pays.
La vignette a été lancée par le parti bavarois qui a obtenu le ministère des Transports au niveau fédéral, mais je ne crois pas que les autres acteurs du spectre politique y soient favorables. Aussi, la probabilité qu'elle soit effectivement instaurée me paraît-elle relativement faible.
Mme Susanna Karawanskij, ministre (Brandebourg). - Formation professionnelle, harmonisation fiscale... Autant de sujets importants. En Brandebourg, je ne suis pas seulement ministre des finances mais aussi de la santé. Nous sommes une région frontalière - pas avec la France, toutefois. Nous manquons de main-d'oeuvre dans plusieurs secteurs, dont la santé et les métiers de soins à la personne. Nous souhaitons donc jeter des ponts avec nos voisins pour favoriser les échanges. L'évolution que nous voyons, au niveau européen, vers la mise en place de salaires minimaux, non dans l'intérim ou le travail saisonnier, mais dans le secteur de la santé, nous semble de nature à rendre les métiers concernés suffisamment attractifs pour attirer des apprentis et des travailleurs issus d'autres pays d'Europe. La numérisation permet d'appréhender les frontières différemment, et ces évolutions doivent transformer dans un sens positif les conditions de travail. Nous soutenons les efforts des entreprises en termes d'évolution salariale. La convergence sociale et fiscale doit aussi être renforcée, car elle est en-deçà des rapprochements que nous avons su mettre en place dans d'autres domaines.
M. Jean Bizet, président. - Votre propos évoque le socle européen des droits sociaux qui a été abordé lors du sommet de Göteborg en novembre 2017. C'est un sujet délicat car mettre 27 pays en phase ne sera pas évident - mais c'est nécessaire. Sans aller jusqu'à parler d'Europe sociale, une certaine convergence est indispensable pour conforter le marché unique et la libre circulation des travailleurs.
Il ne faut pas juger l'Europe à l'instant « T », mais se rappeler d'où l'on est parti il y a vingt ans, avec la directive sur le détachement des travailleurs par exemple, et voir où nous sommes arrivés. Tout doucement, des convergences sont favorisées et les dumping sont en passe, globalement, d'être corrigés.
Au nom de la présidente Mme Troendlé, merci. Nous avons été très heureux de vous recevoir aujourd'hui au Sénat. Vous avez pu sentir l'amitié qui nous lie. Dans cette société d'inquiétude, nous ne pourrons relever seuls les grands défis qui se posent à nous. Le moteur franco-allemand est essentiel. Et il nous appartient d'y agréger d'autres États-membres. Je retiens deux grands sujets : le numérique et l'intelligence artificielle, et Erasmus +.
Bientôt, vous serez cordialement invités au Mont Saint-Michel. D'ici-là, nous pouvons organiser quelques déplacements de groupes de travail : à Dortmund pour les Français, à la rencontre de nos start-ups pour vous. De plus en plus, et surtout à la veille des élections européennes de mai, nos concitoyens veulent voir la plus-value de l'Union européenne dans leur vie quotidienne. Nous devons donc aboutir à des avancées concrètes, d'autant que la jeune génération a pratiquement oublié que l'Union européenne a amené la paix et le développement économique, qui font désormais partie de son quotidien.
La réunion est close à 16 h 15.
Jeudi 21 mars 2019
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Justice et affaires intérieures - Groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol : communication de M. Jacques Bigot
M. Jean Bizet, président. - Mes chers collègues, la venue à Paris d'une délégation de sénateurs italiens vient d'être annulée en raison d'un vote de confiance que sollicite le Gouvernement italien. Elle est reportée au 11 avril : nous pourrons alors évoquer les relations bilatérales, notamment dans le contexte du Sommet européen avec la Chine.
Nous sommes donc réunis aujourd'hui pour entendre la communication de notre collègue Jacques Bigot, de retour de Bucarest, où il a participé récemment à la réunion du groupe de contrôle parlementaire conjoint (GCPC) d'Europol.
Lors de notre mission à La Haye il y a un an, nous avions rencontré les responsables des bureaux français d'Europol, agence qui est installée à La Haye, comme Eurojust, avec laquelle elle coopère. Europol s'apparente à une plateforme d'échange d'informations, par voie de « messages » sécurisés, entre les services nationaux de police, de gendarmerie et des douanes. En outre, l'agence met à disposition des États membres des expertises spécifiques sur des thématiques émergentes à l'instar de la cybercriminalité et des cryptomonnaies, qui sont au coeur d'une actualité brûlante.
Nous avions alors appris que la coopération policière réalisée à travers Europol ne cessait de croître. Plus d'un million de messages ont été échangés en 2017, soit plus du double par rapport à 2013. Ces deux dernières années, et cela n'est pas sans lien avec le terrorisme, la France a fortement augmenté son activité avec l'agence, si bien que notre pays est l'un des premiers contributeurs, derrière l'Allemagne ; nous devrons propager une telle information pour profiter de cet outil avec pertinence.
Il sera donc intéressant, dans ce contexte d'activité accrue, de savoir quel regard porte sur Europol le groupe de contrôle parlementaire chargé de veiller au respect des libertés fondamentales.
M. Jacques Bigot. - J'ai participé à la quatrième réunion du groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol, à Bucarest, les 24 et 25 février derniers.
Cette instance est chargée d'assurer « le contrôle politique des activités d'Europol dans l'accomplissement de sa mission, y compris en ce qui concerne leur incidence sur les libertés et les droits fondamentaux des personnes physiques ». Elle se réunit deux fois par an, en septembre à Bruxelles et à la fin du mois de février ou au début du mois de mars dans la capitale du pays qui assure la présidence de l'Union européenne.
La réunion a notamment été l'occasion d'entendre plusieurs responsables d'Europol et de permettre aux parlementaires membres du groupe de contrôle de relancer la collaboration de leur propre pays avec l'agence.
La directrice exécutive d'Europol, Catherine de Bolle, qui a pris ses fonctions l'année dernière, a souligné la montée en puissance de l'agence en 2017 et expliqué que les États membres y font de plus en plus appel. Ainsi, le nombre d'objets de leur base de données a augmenté de 23 % en 2018, tandis que le nombre de requêtes des États membres augmentait de 64 %. La stratégie « Europol 2020 + » vise à poursuivre ce mouvement tout en développant le rôle de l'agence, qui passerait de la collecte de l'information au traitement de celle-ci et renforcerait sa réponse à la cybercriminalité, qui mérite d'être traitée au niveau européen. Pour cela, sa directrice exécutive souhaite qu'Europol soit « à la pointe de l'innovation et de la technologie ». Cela implique naturellement des investissements importants dans les technologies de l'information et de la communication.
Catherine de Bolle nous a fait part de ses interrogations sur les moyens dont disposera l'agence dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027 pour faire face à cette montée en puissance. La proposition actuellement sur la table prévoit une diminution de 10 % des moyens d'Europol, qui s'explique en partie par la mise en oeuvre du parquet européen, financée partiellement par le redéploiement des crédits de l'agence. Toutefois, les rôles du parquet européen et d'Europol ne se confondent pas, et la présidence de la commission Libertés civiles, justice et affaires intérieures du Parlement européen en est bien consciente.
Nombre des préoccupations des parlementaires ont porté sur les conséquences du Brexit : d'une part, un possible retour de la violence le long de la frontière irlandaise en cas d'absence d'accord, et, d'autre part, un risque d'affaiblissement de la coopération policière du fait du départ des Britanniques. En effet, la directrice exécutive considère que la coopération se poursuivra mais note que certains outils, comme le mandat d'arrêt européen ou le système d'échange d'informations, ne seront plus disponibles, a fortiori en cas de Brexit dur. Plusieurs parlementaires sont également intervenus pour souligner la nécessité, concernant le sujet des migrations, d'une meilleure coopération d'Europol avec les autres agences européennes, à commencer par Frontex. Les choses avancent, mais nous avons encore des progrès à faire.
Enfin, Catherine de Bolle s'est réjouie du rôle actif des parlementaires et a souligné que nous devions être les relais d'Europol à l'égard de nos Parlements et de nos instances. Elle nous a encouragés à nous rendre au siège de La Haye ; Sophie Joissains et moi-même saisirons cette occasion les 25 et 26 avril prochains et vous en rendrons compte ultérieurement.
Le directeur adjoint des opérations nous a ensuite présenté l'état des menaces cybercriminelles en 2019, au sein desquelles il a notamment distingué les menaces liées aux monnaies virtuelles comme le cryptojacking : cette criminalité est florissante et dépasse les frontières, mais une opération au Royaume-Uni a conduit à l'arrestation d'un individu ayant détourné 10 millions d'euros de monnaie virtuelle.
Il a également évoqué la subtilisation de données personnelles afin de mener des cybercrimes, les marchés noirs du darknet, contenus invisibles difficiles à détecter, et enfin les contenus pédopornographiques. La cybercriminalité est un enjeu majeur pour la coopération organisée par Europol.
Par ailleurs, Sir Julian King, le commissaire anglais à la sécurité de l'Union, est intervenu brièvement pour souligner la réalité et la complexité des menaces et le bienfondé d'un outil comme Europol, ce que nous avons tous reconnu.
La réunion a été l'occasion d'aborder la question de la protection des données traitées par Europol, qui fait partie de la mission du groupe de contrôle. Depuis 2016, le traitement des données personnelles est attribué à un contrôleur européen de la protection des données, Giovanni Buttarelli. Concrètement, le contrôle est effectué par un conseil de coopération réunissant le superviseur européen et les superviseurs des États membres, et dont le président est François Pellegrini, par ailleurs commissaire à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Les recommandations faites à Europol permettent l'évolution de la législation.
Nous avons eu un échange sur la nomination du délégué du groupe de contrôle au conseil d'administration d'Europol. À mon sens, il faut conserver le système actuel qui prévoit de nommer un membre du pays qui détient la présidence de l'Union européenne. Certes, cette alternance tous les six mois n'est pas optimale pour contrôler mais c'est le système de la présidence tournante de l'Union qui est alors en cause. Néanmoins, cette discussion a été reportée en septembre, voire à plus tard.
Le groupe de contrôle parlementaire conjoint tiendra sa prochaine réunion sous présidence finlandaise, en septembre prochain.
M. Jean Bizet, président. - Ce sujet est appelé à prendre de plus en plus d'importance avec la montée en puissance de la cybercriminalité et des monnaies virtuelles. De nouveaux métiers verront ainsi le jour.
M. André Reichardt. - Mes questions sont très techniques. En quoi le parquet européen peut-il impacter de 10 % en un an le budget d'Europol ? C'est un mauvais signe pour le développement de l'agence, dont les missions mériteraient pourtant d'être accrues. Toutefois, les informations ne lui parviennent pas assez tôt, et sans réelle coordination ou volontarisme de la part des États. Une telle diminution budgétaire aura-t-elle des conséquences sur l'efficacité future de l'agence ?
M. André Gattolin. - Europol s'occupe beaucoup des cyberattaques, qui ont encore sévi il y a quelques mois dans le cadre de l'affaire Skripal, avec des tentatives d'intrusion dans les données d'Europol. Nous avions rédigé il y a quatre ou cinq ans un rapport relatif à Europol et à Eurojust, qui s'inquiétaient déjà de l'élargissement du phénomène et de l'ampleur des missions qui leur sont attribuées. Mais la coopération, déjà difficile au sein d'un État membre, est toujours compliquée entre les différents pays. La question du budget est centrale, mais le coût du parquet européen relève plutôt de la justice et d'Eurojust. En tout état de cause, on est encore assez loin d'une organisation policière au niveau européen digne de ce nom. Qu'en pensez-vous ?
Mme Gisèle Jourda. - Mes questions ont trait plus précisément à l'incidence du Brexit sur le fonctionnement de l'agence et de ses personnels - environ 50 personnes -, dont le sort n'a pas été tranché. En cas de Brexit dur, le Royaume-Uni ne participera plus aux décisions et aux choix stratégiques de l'agence, dont le fonctionnement repose notamment sur le système d'information Schengen (SIS), qui véhicule aussi ses mandats d'arrêt européens. Quelle lisibilité peut-on avoir en la matière ? On minimise l'impact du départ du Royaume-Uni sur les contrôles aux frontières ou sur le terrorisme ; or nous avons constaté d'énormes difficultés dans le réajustement des systèmes européens de coordination des fichiers. Pourriez-vous nous apporter un éclairage sur ce point ?
M. Jacques Bigot. - Face à une criminalité qui n'est plus limitée aux frontières, nous devons évidemment accepter une baisse de souveraineté et une organisation commune. Peut-être les États devraient-ils se doter de systèmes informatiques communs extrêmement performants pour travailler sur la cybercriminalité.
Monsieur Gattolin, vous m'interrogez sur les finances d'Europol. Le parquet européen est un instrument supplémentaire, à budget constant, voire qui risque de diminuer avec le départ du Royaume-Uni : il y a donc des redéploiements à effectuer.
Madame Jourda, compte tenu des incidences du Brexit, il faudra trouver une solution, mais ce ne sera pas facile, surtout si le retrait britannique intervient en absence d'accord. L'an dernier, le directeur d'Europol était anglais, de même que le président de la commission Libertés du Parlement européen et que le commissaire : ils avaient déjà la nostalgie de ce qui allait manquer à tout le monde !
M. André Gattolin. - Des pro-Européens !
M. Jacques Bigot. - Espérons qu'ils auront une certaine influence sur le gouvernement anglais pour qu'il accepte de collaborer. Globalement, les coopérations avancent dans le bon sens, mais il faut être conscient que le parquet européen a un objectif bien précis : poursuivre les atteintes aux intérêts de l'Union. Ce domaine est étroit bien que fondamental. En effet, l'Office européen de lutte antifraude nous a récemment expliqué que, les parquets des États membres étant débordés, ils ne poursuivent pas toujours ces délits. Dans les régions frontalières, des progrès énormes de coopération ont été réalisés, mais cette orientation devra encore être maintenue.
M. Benoît Huré. - La coopération entre la police, la gendarmerie et les douanes est de plus en plus efficace. Qu'en est-il avec les services de renseignement, y compris le renseignement militaire, des différents pays ?
M. Jacques Bigot. - C'est l'un des problèmes majeurs aujourd'hui, car il est très délicat de travailler hors de ses frontières avec des États tiers, dont les modes de fonctionnement sont différents, d'autant plus pour les services de renseignement. On est loin du compte ! En 2017, la plupart des informations de la base de données d'Europol venait de la France et de l'Allemagne. Apparemment, la situation commence à évoluer, mais des marges de progression très importantes existent en la matière.
Mme Sophie Joissains. - La possibilité d'élargissement des compétences du parquet européen prévue par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne entretient malheureusement une certaine confusion qui peut expliquer les questions sur son budget. En tout état de cause, ces mesures doivent être adoptées à l'unanimité.
M. Benoît Huré. - À la veille d'échéances importantes, on ne sait pas comment parler de l'Europe à nos concitoyens eurosceptiques, mais très soucieux de leur sécurité. Peut-être pourrions-nous, dans le cadre de nos travaux, relayer une communication sur les moyens d'assurer la sécurité, bien au-delà de nos frontières.
Par ailleurs, la rigueur budgétaire de certains de nos concitoyens français ou de nos amis européens est un obstacle, car il est impossible de renforcer le rôle de l'Europe avec moins d'argent. À titre de comparaison, le mouvement de création d'intercommunalités s'est plutôt bien passé, car le transfert de compétences a été généralement assorti de l'attribution de moyens financiers correspondants aux intercommunalités. En conséquence, globalement, la masse des impôts locaux payée par nos concitoyens est restée identique. Si nous retenions cette approche à l'échelon européen, nous serions plus cohérents.
M. Jacques Bigot. - Il faudrait se doter d'un Federal Bureau of Investigation (FBI) européen pour lutter contre les actions transfrontières mais cela prendra du temps.
M. Benoît Huré. - Lors des attentats de 2015, les terroristes circulaient sans difficulté entre la Belgique et la France. Nos concitoyens y ont vu un manque flagrant de coordination entre les deux pays.
M. Jacques Bigot. - Il faut effectivement améliorer la coopération, la réflexion doit se poursuivre.
M. Jean Bizet, président. - Mes chers collègues, merci de ces échanges. Nous prévoyons de communiquer prochainement au sujet de la valeur ajoutée de l'Union européenne. Et je rappelle la tenue hier au Sénat du colloque sur le Brexit intitulé « Le jour d'après » qui se précise, puisque le 29 mars et le 23 mai vont bientôt arriver... Ceux d'entre nous qui sont membres du groupe de suivi « Retrait du Royaume-Uni et refondation de l'Union européenne » seront conviés à apporter leur contribution.
Il est certain que le FBI européen serait l'idéal. D'ailleurs, avec Frontex, on arrive progressivement à une agence de garde-frontières et de garde-côtes. L'Europe, c'est le temps long - il faut que nos concitoyens le comprennent -, et il faut plus d'argent - c'est là que le bât blesse.
Monsieur Bigot, Madame Joissains, nous vous remercions de continuer à travailler sur ces questions qui paraissaient au départ un peu absconses, mais qui vont devenir extrêmement concrètes.
La réunion est close à 10 h 10.