Mardi 5 juillet 2016
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 19 h 00.
Institutions européennes - Audition de M. Harlem Désir, secrétaire d'État chargé des affaires européennes, sur les conclusions du Conseil européen des 28 et 29 juin
M. Jean Bizet, président. - Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation : il s'agit d'un rendez-vous traditionnel qui nous permet d'échanger avec le Gouvernement sur les résultats du Conseil européen mais, cette fois-ci, les circonstances sont particulières.
Le référendum britannique du 23 juin a été un choc pour l'Europe et nous en avons débattu en séance avec M. Ayrault dès le 28 juin dans le cadre d'une déclaration du Gouvernement. Compte tenu du contexte, il nous a paru justifié, avec l'accord du Président du Sénat, d'ouvrir notre réunion à l'ensemble de nos collègues.
Le Sénat entend suivre avec vigilance le processus de retrait engagé par le Royaume-Uni. Il sera force de proposition pour engager la nécessaire refondation de l'Union européenne. À la demande du président Larcher, le président Raffarin et moi-même nous sommes concertés sur les modalités à retenir pour assurer ce suivi. Nous avons décidé de mettre en place sous notre co-présidence un groupe de suivi commun aux commissions des affaires européennes et des affaires étrangères. La représentation proportionnelle de tous les groupes politiques sera assurée.
Au-delà du choc, la situation demeure assez confuse à la suite du référendum britannique. L'article 50 du traité sur l'Union européenne prévoit que le délai de deux ans pour la négociation d'un accord de retrait court à compter de la notification de la décision de retrait. Qu'il y ait accord ou pas, c'est à l'expiration de ce délai que les traités européens cesseront donc d'être applicables au Royaume-Uni. Or, nos amis britanniques ne semblent pas pressés de notifier leur décision puisqu'ils ne l'envisageraient pas avant la fin de l'année.
En revanche, dans leur déclaration du 29 juin, les chefs d'État et de Gouvernement demandent que cette notification soit faite aussi rapidement que possible. L'Union ne peut en effet demeurer dans l'incertitude sur une question aussi cruciale. La même déclaration évoque une réflexion politique afin de poursuivre les réformes. C'est en effet indispensable. En outre, rien ne se fera sans le moteur franco-allemand, aujourd'hui bien affaibli.
Le Conseil européen a également examiné le dossier très sensible des migrations : où en est-on de l'accord avec la Turquie ? Les flux en Méditerranée centrale se maintiennent à un niveau élevé. Rien ne se fera en matière de réadmission et de retour sans le concours des pays tiers concernés. Des mesures sont-elles prévues pour mieux les impliquer ?
Enfin, le Conseil européen a examiné plusieurs autres points sur lesquels nous vous entendrons, en particulier sur le marché unique, la mise en oeuvre du plan Juncker et la coopération entre l'Union européenne et L'OTAN.
M. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères. - Nous attendions ce rendez-vous avec impatience, tant le moment est important. Avec le président Raffarin, nous étions à Londres quelques jours avant le vote : nous avons été reçus au 10 Downing Street, à la Chambre des Communes et à la Chambre des Lords. Malgré les inquiétudes de nos interlocuteurs, nous pensions que la raison allait l'emporter. Ce ne fut pas le cas. Vous allez nous dire quels sont les résultats de ce Conseil européen qui ne semble pas avoir tracé des perspectives décisives.
Quelle lecture le Gouvernement fait-il de cet évènement ? Avant de prendre des décisions, sans doute serait-il utile de faire un diagnostic. Comment en est-on arrivé là ? Va-t-on pouvoir se passer d'une initiative franco-allemande, alors même que les dissensions ou les incompréhensions n'ont jamais été aussi grandes, notamment en ce qui concerne la Turquie ? Va-t-on poursuivre la discussion pour l'adhésion de ce pays à l'Union ?
Il conviendrait de s'engager sur trois priorités : la séparation d'avec le Royaume-Uni doit être rapide. L'ambassadeur de ce pays l'a d'ailleurs confirmé à la délégation de la commission des affaires étrangères qu'il a rencontrée il y a quelques jours. Il a rappelé que le choix démocratique avait été clair et qu'il s'agissait désormais d'aller le plus vite possible tout en respectant les procédures propres au Royaume-Uni. Nous devrons refuser l'Europe à la carte car elle favoriserait sa décomposition. Bien sûr, il n'est pas question de mettre un terme aux coopérations bilatérales que nous conduisons avec l'Angleterre : ce pays reste un partenaire, un allié et, par-dessus tout, un ami. Les commémorations actuelles le démontrent amplement. La Grande-Bretagne est une très grande puissance militaire : avec la France, elles sont les deux seules susceptibles d'assumer leur fonction de membres du Conseil de sécurité. Nous devons continuer à lutter ensemble contre le terrorisme et nous avons reçu dernièrement des assurances en ce sens. Le 12 juillet, ici-même, nous aurons une réunion de nos deux Parlements dans le cadre du suivi des accords de Lancaster House.
La deuxième priorité serait de tracer les nouvelles perspectives d'une Europe recentrée sur l'essentiel : une Europe puissance à l'heure des pays continents. Il apparaît que ce recentrage doit s'opérer autour de trois points : la maîtrise de nos frontières, la défense commune, la relance de la croissance et de l'emploi.
Enfin, la dernière priorité serait de refonder une véritable relation franco-allemande sur des bases de confiance sans laquelle l'Europe ne risque guère d'offrir d'espérance pour les générations à venir.
Peut-être faudrait-il demander à nos assemblées de s'impliquer davantage dans le suivi de ce Brexit, car l'opinion publique est déçue, désappointée et bien souvent critique à l'encontre de l'Europe. Celle-ci est en danger et nous devons la remettre sur les rails. Nous serons attentifs aux efforts du Gouvernement.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - Merci pour votre invitation. Vous avez souhaité élargir cette audition traditionnelle après les Conseils européens aux membres des autres commissions du Sénat : le choc du référendum le justifie amplement.
Le Conseil européen des 28 et 29 juin derniers avait un caractère inédit puisque pour la première fois, les chefs d'État ou de gouvernement se réunissaient après la tenue d'un référendum qui a décidé la sortie d'un de ses membres. Cet événement est d'une portée exceptionnelle parce que c'est la première fois qu'un pays quitte l'Union européenne et parce qu'il s'agit du Royaume-Uni, l'une des plus grandes économies de l'Europe et un acteur mondial. En outre, malgré les particularités du rapport des Britanniques à l'Europe, il est un puissant révélateur d'une crise européenne plus large.
L'onde de choc de cet événement n'a pas fini de se propager, à l'intérieur du Royaume-Uni mais aussi dans l'Union européenne. Dans l'immédiat, celle-ci doit faire face à deux questions : la sortie du Royaume-Uni et l'avenir du projet européen.
Le déroulement lui-même inédit du Conseil européen, se réunissant d'abord à 28, puis, de façon informelle, à 27 sans le Premier ministre britannique, a été ordonné par l'examen de ces deux questions. La France, l'Allemagne et l'Italie, qui s'étaient réunies la veille à Berlin, ont affirmé qu'il fallait répondre à ces deux questions avec clarté, afin de réduire les incertitudes qui pèsent sur l'Europe en raison du risque financier et économique, mais aussi du risque politique pour la cohésion de l'Union.
Lors du dîner du 28 juin, le Premier ministre britannique David Cameron a attribué son échec au référendum à la libre circulation des personnes et à l'immigration de citoyens européens au Royaume-Uni. Il a considéré que le paquet agréé au Conseil européen de février avait été insuffisant pour emporter un vote favorable. Invité à activer l'article 50 pour engager la négociation sur la sortie, il a confirmé qu'ayant démissionné, il laissait cette initiative à son successeur. Il s'est dit conscient que son pays devrait à présent « changer de maison », tout en exprimant le souhait de conserver des liens aussi étroits que possible avec l'Union. En attendant sa sortie, il a indiqué que son pays continuerait à assumer ses droits et ses obligations d'État membre. Il proposera ainsi au président de la Commission européenne la nomination d'un nouveau commissaire après la démission de Jonathan Hill. Il s'est dit attaché au rôle que pourraient jouer les députés européens du Royaume-Uni jusqu'à l'achèvement de la procédure de sortie de son pays.
Le lendemain, à 27, la session informelle a porté principalement sur les initiatives à prendre pour l'avenir de l'Union européenne : la déclaration adoptée à cette occasion les précise selon une ligne conforme à nos orientations.
Premièrement, l'Europe doit consolider une approche commune ordonnée de la négociation de sortie : elle doit faire en sorte qu'elle se déroule dans la clarté et le respect des traités. Il convient de rappeler que l'article 50 constitue le seul cadre de négociation envisageable et qu'il doit être activé le plus rapidement possible. La négociation doit se dérouler sur une période maximale de deux ans et c'est à la majorité qualifiée que les décisions seront prises. En outre, il ne peut y avoir de négociation d'aucune sorte tant que cette notification n'a pas eu lieu. Le Royaume-Uni ne pourra donc tenter d'engager des pourparlers séparés avec tel ou tel État membre, en dehors de la négociation qui sera conduite sous l'égide de la Commission européenne, contrôlée par le Conseil européen. Il reviendra à ce dernier d'adopter des lignes directrices pour la conduite de la négociation. Les 27 ont également rappelé que le Royaume-Uni allait rester, pendant toute cette période, un membre à part entière de l'Union avec ses droits et ses obligations : il continuera à contribuer au budget européen, à appliquer les directives européennes et à être soumis à la juridiction de la Cour de justice de l'Union européenne.
Nous regrettons le choix des citoyens britanniques et nous n'avons cessé de dire avant le vote que nous souhaitions que le Royaume-Uni reste au sein de l'Union, avant tout pour son propre intérêt. Ce qui s'est passé depuis le confirme, qu'il s'agisse des conséquences économiques ou des risques concernant son intégrité, avec les revendications des autorités de l'Écosse. L'irresponsabilité dont font preuve les tenants du Brexit, démissionnant successivement de leurs fonctions, ne fait qu'ajouter à cette conviction qu'il s'agissait d'une voie dont l'issue n'était pas préparée.
Les relations futures entre le Royaume-Uni et l'Union devront impérativement être équilibrées : si ce pays souhaite avoir accès au marché unique, il devra obligatoirement accepter chacune des quatre libertés - liberté de circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes. Il était important que les 27 le rappellent. Des pays non membres de l'Union, comme la Norvège ou la Suisse, ont souhaité avoir un accès au marché intérieur européen : en contrepartie, ils ont dû accepter la circulation des personnes, mais aussi leur participation au financement des politiques européennes. Comme le voulait Jacques Delors au moment de l'Acte unique, le marché intérieur va de pair avec des mécanismes de cohésion. Tout cela n'avait pas été dit très clairement par les partisans du Brexit.
La deuxième grande question est celle de l'avenir de l'Union européenne. Comment mieux répondre aux grands défis auxquels l'Europe est confrontée et qui, faute de réponses, mènera au rejet ou à l'abandon du projet européen ? Que voulons-nous faire ensemble ? Au-delà de l'expression des particularités du rapport des Britanniques à l'Europe, je vois dans le résultat de ce vote le reflet d'une crise européenne plus large et de fractures sociales, géographiques et générationnelles. Certains de nos citoyens craignent la mondialisation et l'immigration. Nous devons refuser la réponse des populistes, mais nous ne pouvons nier la réalité de ces questions qui ne se réduisent pas à la crise britannique et qui existaient bien avant le référendum. En outre, du fait de cette échéance, nombre de questions, comme l'Europe de la défense, n'ont pas été abordées, de crainte de gêner le Premier ministre britannique pendant la campagne référendaire.
Après l'échec du référendum, les chefs d'État et de Gouvernement ont d'abord délivré un message de détermination à agir ensemble, sans nier la réalité de la désaffection à l'égard de l'Europe. Les priorités esquissées dans la déclaration des 27 pour répondre à ces attentes correspondent à celles de la France, de l'Allemagne et de l'Italie exprimées à l'issue de leur rencontre du 27 juin à Berlin. La relance européenne doit répondre aux grandes nécessités du moment : sécurité, contrôle des frontières communes, défense, soutien à la croissance, à l'investissement et à l'emploi, convergence sociale et fiscale et initiatives en faveur de la jeunesse. La majorité des jeunes britanniques a d'ailleurs souhaité le maintien dans l'Union. En outre, dans beaucoup d'États membres, la jeunesse est confrontée à un chômage élevé. Si l'on veut préparer l'avenir de l'Union, il faut le faire avec les jeunes générations en leur permettant de s'approprier davantage l'espace européen : nous devrons « fabriquer » de la citoyenneté européenne.
Cette relance doit porter l'idée d'une Europe qui protège et qui se projette dans le monde et dans l'avenir. Elle doit reposer sur des réformes pragmatiques mais aussi et surtout redonner un sens au projet européen, dans cette période troublée.
Une réflexion politique est engagée et une réunion informelle se tiendra en septembre à Bratislava, à l'invitation de la présidence slovaque : des mesures concrètes devront être rapidement prises.
Si la question britannique a dominé, ce Conseil européen a aussi adopté des conclusions sur d'autres points à l'agenda.
Sur les migrations d'abord, les conclusions portent sur les aspects externes concernant la route des Balkans et celle de la Méditerranée centrale, et la poursuite de la mise en oeuvre de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie. Cet accord fonctionne puisque les flux en mer Égée sont quasiment interrompus, mais le processus de réinstallation des réfugiés en Turquie doit encore s'améliorer, ainsi que la relocalisation de la cinquantaine de milliers de réfugiés bloqués en Grèce, avant l'entrée en vigueur de l'accord avec la Turquie. Ayant accepté d'accueillir 30 000 réfugiés au cours des deux prochaines années, la France est le premier pays de relocalisation.
Les conclusions du Conseil européen ont aussi porté sur le renforcement du partenariat avec les pays africains dans le cadre du plan d'action de La Valette.
Sur les questions économiques, les conclusions ont concerné l'approfondissement du marché unique, notamment dans le domaine du numérique, où nous avons veillé à maintenir l'équilibre entre les enjeux de croissance et de protection des créateurs.
Les conclusions reconnaissent également les résultats concrets très positifs du plan Juncker et l'invitation faite au Parlement européen et au Conseil d'examiner très rapidement les propositions de prolongation que va formuler la Commission européenne. Nous soutenons bien sûr cette démarche, qui bénéficie à notre pays.
Elles ont aussi porté sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, avec les travaux qui se poursuivent sur la base du rapport des cinq présidents. Le Conseil Ecofin a en particulier adopté une feuille de route pour compléter l'Union bancaire.
Il a également été question des enjeux de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, avec en particulier les deux révisions récentes de la directive sur la coopération administrative, pour rendre plus transparentes les pratiques fiscales des multinationales en Europe.
Concernant l'agriculture, la Commission devra présenter des mesures additionnelles pour faire face aux tensions sur les marchés du lait et de la viande de porc.
Enfin, sur les questions internationales, le Conseil européen a accueilli avec satisfaction la présentation par la Haute Représentante de la stratégie globale de sécurité de l'Union européenne, texte qui reprend nos grandes priorités. Nous devons maintenant veiller à sa bonne déclinaison opérationnelle, en particulier sur les enjeux de défense commune de l'Union.
Je me réjouis de la création d'un groupe de suivi au Sénat. Il faudra examiner les milliers de pages de l'accord qui sera conclu avec le Royaume-Uni et qui aura de multiples conséquences dans tous les domaines.
Voici venu le moment de défendre le projet européen, de l'améliorer, de l'armer pour répondre aux nouveaux défis de notre temps, mais aussi de le revendiquer, de rappeler ses acquis de paix, de démocratie, de solidarité. Nous devons dire notre refus de le laisser détruire par les extrémistes, les populistes, les nationalistes. Aujourd'hui, le projet européen doit franchir une nouvelle étape : l'Union est confrontée à des enjeux de sécurité en raison de la multitude de crises et de guerres qui l'environne, depuis l'Ukraine jusqu'à la Libye, en passant par le Moyen-Orient. La quasi-totalité des crises mondiales se situent dans son environnement proche. L'Europe doit prendre en charge sa sécurité pour défendre son modèle de société, sa liberté, ses intérêts et pour projeter plus de stabilité à l'extérieur de ses frontières. Initialement, l'Europe a été bâtie autour de questions économiques : elle doit donc s'adapter pour répondre aux enjeux de sécurité et de protection. C'est d'ailleurs ce que nous avons commencé à faire avec la mise en place des gardes-frontières et des garde-côtes européens : la nouvelle agence des frontières devra être dotée des moyens nécessaires. Notre politique de l'asile et de l'immigration devra être plus harmonisée. Nous devrons également mutualiser notre politique de la défense en finançant les opérations extérieures communes mais aussi la recherche et le développement industriel. En outre, bien qu'existants, les battle-group n'ont pas été utilisés. Les opérations extérieures ont été menées par des États membres, comme la France l'a fait au Mali. Une évolution est donc souhaitable.
Enfin, la cohésion économique et sociale doit être renforcée, en particulier pour la zone euro. Depuis la création de la monnaie unique, les divergences se sont accrues, ce qui explique les turbulences qui ont affecté l'Europe du sud, après la crise financière de 2008. La convergence économique et fiscale est donc indispensable. Alors que la croissance revient, nous devons conforter la reprise pour qu'elle bénéficie à tous les pays de la zone euro. C'est ainsi que nous gagnerons la bataille de l'opinion publique. La jeunesse devra profiter bien plus de l'espace européen : le programme Erasmus est un grand succès. Il concernera quatre millions de jeunes étudiants de 2014 à 2020. Mais il n'y a pas de raison que d'autres jeunes ne puissent en bénéficier : je pense en particulier aux jeunes en apprentissage, en formation professionnelle et en service civique. Tous les jeunes européens doivent connaître une période européenne de formation pour s'inscrire dans cet espace de citoyenneté européenne.
Avec l'Allemagne, nous allons travailler sur ces priorités qui seront au coeur de la rencontre de Bratislava.
M. Simon Sutour. - Merci pour cet exposé. Je me félicite que le Président du Sénat ait souhaité que tous les sénateurs puissent participer à cette réunion.
Quelques mots anglais résument le Brexit : wait and see et rule Britannia.
L'Union européenne s'est engagée à accueillir de nouveaux pays des Balkans, afin de stabiliser cette région au coeur de l'Europe, qui était en guerre il y a encore peu. La Slovénie et la Croatie sont entrées, tandis que la Serbie, le Monténégro et l'Albanie attendent encore. Le contexte est désormais moins favorable, mais nous devrions continuer dans cette voie. Il y va de la paix en Europe.
Vous avez évoqué les questions de sécurité. Pourquoi ne pas avoir parlé de la Russie, notre grand voisin ? Le Sénat a voté par 301 voix contre 16 une résolution sur les sanctions de l'Union européenne à l'égard de la Russie. Cette question a été évoquée à l'échelle des ambassadeurs mais elle se rattache au Conseil européen. Notre résolution comportait deux points forts : la progressivité sur les accords de Minsk et les sanctions frappant les parlementaires russes que nous souhaitions lever. Nous craignons qu'elles ne soient reconduites à perpétuité alors que les conséquences économiques se font sentir dans ce pays, mais aussi chez nous.
Quid également de la nouvelle directive sur les travailleurs détachés ?
Toutes ces questions risquent d'être évacuées un peu vite, du fait de l'actualité britannique.
M. Jean Bizet, président. - Les sanctions frappant les responsables politiques russes sont reconduites jusqu'au 15 septembre ; elles nécessitent une procédure écrite de tous les États membres. Le Gouvernement ne semble pas avoir entendu notre message.
M. Yves Pozzo di Borgo. - C'est la première fois que je sens un Conseil européen fragile. Deux lignes de force l'expliquent : les divergences entre les courants politiques, qui ont organisé des réunions entre chefs de partis et de gouvernements, et l'opposition entre le discours des trois grands pays fondateurs de l'Union européenne, qui représentent 70 % du produit intérieur brut - la France, l'Allemagne et l'Italie - et celui des autres pays, qui tentent de faire entendre leur voix pour imposer leur vision européenne.
Avec Gisèle Jourda, nous avions déposé une proposition de résolution sur les perspectives de la politique de sécurité et de défense commune, adoptée à l'unanimité par la commission des affaires étrangères. Le rapport de Mme Mogherini sur la question n'est pas très brillant. Notre résolution rappelait que les choix stratégiques de l'Union européenne à l'OTAN doivent être définis par le Conseil européen. A-t-il été question du prochain sommet de l'OTAN à Varsovie ? M. Ayrault et son homologue allemand, M. Steinmeier, reprennent notre résolution dans une déclaration commune, mais nous ne savons pas ce qui a été décidé en Conseil européen. Celui-ci doit donner des orientations, même si tous les pays de l'Union européenne ne sont pas membres de l'OTAN. Il ne faut pas que les États-Unis imposent leur conception.
M. André Gattolin. - Merci de ce compte rendu du Conseil européen. Le moins que l'on puisse dire est qu'il n'a pas été marqué par une fulgurance européenne. Il n'y a rien, hormis une affirmation d'une certaine fermeté vis-à-vis du Royaume-Uni, ce qui est la moindre des choses. On dit : « Attention, ne les laissons pas rentrer par la fenêtre ». En revanche, on ne parle pas des négociations commerciales, pendant que M. Juncker a tenté ce que d'aucuns ont appelé un putsch démocratique, en voulant transformer un accord mixte en accord simple.
Je suis d'accord avec le souhait d'une Europe qui protège et qui projette - j'ai moi-même employé cette expression. Mais il faut des moyens. Le Royaume-Uni est partisan du libre marché, de l'abaissement des droits de douane, de la conclusion d'un accord de libre-échange avec la Chine. Sans véritable budget ni ambition, l'Union est normative, elle a créé un marché unique. Les seize propositions d'actes de M. Ansip sur le numérique ne portent que sur le marché. Où est l'industrie ? Où sont les emplois ? Nous allons nous retrouver comme le Royaume-Uni qui s'est désindustrialisé, qui a financiarisé son économie et qui veut aujourd'hui passer des accords. Où est le projet européen ?
Quand vous dites : « Nous allons proposer un projet », qui est ce « nous » ? On aimerait une projection politique, et non l'affirmation d'un soutien à la jeunesse ou à une police européenne des frontières. Ce sont les mêmes mots qu'avant le Brexit. Le Président de la République a évoqué la nécessité d'un sursaut, déclarant que la France et l'Allemagne prendraient de grandes initiatives en cas de Brexit. Je ne les vois pas ; chacun y va de sa petite proposition. Comment cette grande initiative va-t-elle émerger ? Confiera-t-on ce projet européen à la Commission, alors qu'elle l'a largement détérioré au cours des vingt dernières années ?
M. Daniel Raoul. - Je défendrai une position iconoclaste. Pour certains, le Brexit est une affaire classée. J'émets l'hypothèse que la notification ne sera jamais envoyée - l'inertie est la principale force de l'univers. Nous prenons le Brexit pour acquis, or j'ai cru comprendre que le référendum britannique ne représentait qu'un avis consultatif, le Parlement étant maître de la décision - sachant que 60 à 70 % des parlementaires sont favorables au maintien. Penchons-nous plutôt sur les fondements de l'Union européenne.
Si cette notification était envoyée, les avantages donnés par l'Union européenne à M. Cameron pour favoriser le résultat du référendum seraient-ils caducs ? Je considérais déjà qu'ils dépassaient les limites et allaient contre les intérêts de l'Union.
M. Yannick Vaugrenard. - Merci de cet exposé. Je partage l'avis de M. Raoul. Nous ne sommes sûrs de rien, mais obligés de faire semblant. L'Europe était en crise bien avant le Brexit. Celui-ci sera, dans l'Histoire, le révélateur d'une Europe qui allait mal, était perçue négativement par les populations et avait perdu les objectifs de ses pères fondateurs.
Le traitement du Brexit sera extrêmement important pour l'avenir de l'Europe. M. Cameron a joué avec le feu pour des raisons de politique intérieure. Il arrive que l'on fasse de même, en jouant contre notre propre camp en critiquant la Commission alors que c'est au Conseil que les décisions se prennent. Ce faisant, on alimente le populisme, qui est le grand danger. Si le Brexit est l'occasion d'une prise de conscience, tant mieux ! Néanmoins, il est indispensable de traiter nos amis britanniques de la façon la plus ferme qui soit, afin de montrer quelles sont les conséquences du comportement de ceux qui utilisent le désarroi et le besoin de sécurité au seul profit de leur intérêt électoral à très court terme. Donnons une leçon de choses aux Britanniques.
Du traitement de la sortie du Royaume-Uni dépendra aussi la manière d'envisager l'avenir de l'Europe. Nous avons eu raison d'accueillir des pays qui avaient subi le joug fasciste ou staliniste. C'était indispensable pour y asseoir la démocratie et la paix. En revanche, il est impossible d'imaginer un fonctionnement à 28 comme à six, à dix ou à douze. Il faut concevoir une Europe à géométrie variable, pour ceux qui acceptent d'aller plus loin en matière de défense, d'économie, de fiscalité, de social, et pour ceux qui n'y sont pas prêts, sans quoi l'Union européenne va se diluer. Si les fondamentaux européens sont remis en cause, c'est la paix et la démocratie qui le seront aussi.
Mme Gisèle Jourda. - Deux conclusions du Conseil européen ont attiré mon attention. La première précise que la lutte contre l'immigration illégale se fera en coopération avec les pays d'origine dans le respect mutuel. Comment s'attaquer aux causes profondes des migrations avec l'État syrien ?
La seconde porte sur l'adoption de la résolution 2 292, qui élargit l'opération Sophia au respect de l'embargo sur les armes en Libye et à la formation des garde-côtes libyens. Sophia a sauvé 16 000 migrants et conduit à l'arrestation d'environ 70 passeurs. Ne risque-t-on pas de délaisser la lutte contre les passeurs au profit des nouvelles missions ?
M. René Danesi. - M. le ministre a indiqué à juste titre que la jeunesse était une grande priorité de l'Europe, ajoutant qu'au Royaume-Uni, les jeunes avaient voté pour le maintien dans l'Union européenne. Certes, les 18-24 ans se sont prononcés à 66 % pour le maintien mais leur participation était réduite à 36 % ; pendant ce temps, les seniors ont voté pour la sortie à 60 %, avec une participation de 80 %. Cela signifie que 48 % des seniors se sont déplacés pour voter pour la sortie, contre 25 % des jeunes en faveur du maintien.
Les jeunes sont les favoris des personnalités politiques et des médias, mais ce sont les seniors qui décident des élections, sans doute parce que, pour eux, le vote n'est pas qu'un droit mais aussi un devoir, et que les jeunes se sentent de moins en moins intégrés dans le système économique, la plupart d'entre eux constatant qu'ils servent de variable d'ajustement sur le marché de l'emploi.
Lors du référendum de 2005 en France, les seniors avaient voté « oui » à 58 % et les 18-24 ans avaient voté « non » à 56 %. Rappelons la célèbre phrase du président Chirac : « Je ne vous comprends pas. »
En janvier 2014, la Fondation Jean-Jaurès a enquêté sur une éventuelle sortie de l'euro. En Italie, le « oui » l'emporterait chez 55 % des 18-24 ans et 21 % des seniors ; en Espagne, « oui » chez 41 % des jeunes et 24 % des seniors ; en France, « oui » pour 30 % des jeunes et 22 % des seniors.
La jeunesse souffre, passant des petits boulots à l'exil économique : songez aux jeunes espagnols qui travaillent en Allemagne. Cette jeunesse adhère de moins en moins à l'Europe, à la différence de la jeunesse Erasmus qui a toutes les raisons de la défendre. Les seniors sont plus européens car plus proches de l'histoire difficile de l'Europe, mais aussi parce qu'ils ont un patrimoine à défendre ; or la sortie de l'euro ne serait pas la meilleure façon de le faire. Pour réenchanter le rêve européen, il faut des actes. La politique économique européenne, dans le sillage de la mondialisation, doit être revue. Le dumping social et fiscal poussera les jeunes européens à voter systématiquement contre l'Union européenne. La jeunesse doit être son ardente priorité ; il ne suffit pas de promettre de la mobilité. Il faut donner aux jeunes des raisons d'adhérer à l'ensemble du système européen.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Comment la procédure de sortie du Royaume-Uni va-t-elle se dérouler ? Comme l'a dit M. Raoul, il faut prendre garde à ce que l'Union européenne ne se préoccupe pas uniquement de cette négociation compliquée et longue, au détriment des 27 pays qui restent.
Il faut améliorer le projet européen pour qu'il répondre mieux aux attentes des citoyens en matière d'emploi, de modèle social, de lutte contre le dumping et de sécurité. Sommes-nous mieux protégés en étant ensemble ou ne sommes-nous pas capables de faire face à un monde dangereux ? Si l'Europe ne peut démontrer sa capacité collective à répondre aux menaces extérieures, elle connaîtra un repli nationaliste. Chacun s'en remettra à une stratégie nationale ou à un autre cadre, comme l'OTAN.
M. Sutour a posé des questions qui seront soulevées au fur et à mesure de l'onde de choc de cet événement très grave. Attention à ce que des fêlures ne s'instillent pas. Un sommet s'est tenu hier à Paris en présence de la chancelière allemande, du chancelier autrichien, de représentants de l'Italie et de six pays des Balkans occidentaux, en plus de la Slovénie et de la Croatie, engagés dans le processus de dialogue de Brdo-Brijuni, que le Président de la République soutient depuis 2013. Cette région, confrontée à la guerre il y a 25 ans, poursuit une démarche de réconciliation et de rapprochement avec l'Union européenne - plusieurs pays ont le statut de candidat. Ce processus, qui favorise la paix et la sécurité, constitue un levier pour que ces pays se démocratisent, aillent vers l'État de droit, le pluralisme politique, la liberté des médias et vers des relations apaisées malgré des tensions ethniques ou religieuses. Pour ces pays, l'Europe, c'est la paix, puisqu'elle porte des valeurs de réconciliation, dont la France a bénéficié après la Seconde guerre mondiale. Un Office des pays balkans pour la jeunesse a été créé en s'inspirant directement de l'Office franco-allemand pour la jeunesse.
Hier, le Président de la République a réaffirmé que le Brexit ne changeait pas la perspective d'intégration. L'Union européenne doit faire une place à ces pays, car elle ne sera pas en sécurité si des risques de conflit persistent dans les Balkans. Quand certains pays décident de quitter l'Union, je me réjouis de constater que d'autres pensent qu'elle a du sens. C'est un message positif vis-à-vis des Européens.
Nous sommes attentifs à la position exprimée par le Sénat dans sa résolution sur la Russie. Nous avons décidé de reconduire les sanctions économiques pour six mois. La France et l'Allemagne poursuivent leurs négociations avec la Russie et l'Ukraine en faveur d'élections locales dans l'Est de Ukraine, d'une réforme constitutionnelle en Ukraine, du respect du cessez-le-feu, de l'arrêt du soutien russe aux séparatistes. Tout ceci figure dans les accords de Minsk. Les sanctions pourraient être modulées en fonction du respect des engagements. Il en va de même des sanctions individuelles. Il n'est pas question de les reconduire sans cesse. Elles seront réexaminées en cas de progrès ou au terme de la période des six mois. L'Union européenne soutient cette démarche.
Le partage des tâches entre l'OTAN et l'Union européenne a été rappelé. À la première, la défense du territoire européen ; à la seconde, les actions extérieures. L'Union doit progresser dans la défense commune. Son autonomie stratégique et décisionnelle n'est pas soumise à l'OTAN, dont la majorité des pays de l'Union européenne sont membres. Par ailleurs, les décisions de l'OTAN sont prises à l'unanimité : rien n'est imposé.
L'OTAN ne se chargera pas de la situation en Libye, bien qu'elle y soit intervenue en 2011. Seule l'Union européenne soutient le processus de résolution du conflit. L'opération navale au large des côtes libyennes évoquée par Mme Jourda est menée par les marines européennes dans le cadre d'une résolution de l'Union européenne et du Conseil de sécurité de l'ONU. Il s'agit de lutter contre le trafic d'armes et de former les garde-côtes libyens. L'opération Sophia continue à secourir des personnes en danger sur des embarcations et à poursuivre les passeurs.
M. Jean Bizet, président. - Je reviens à la Russie. Il y a quelques mois, à l'Assemblée nationale, M. Alain Le Roy, secrétaire général du Service européen pour l'action extérieure, avait évoqué la fin des sanctions personnelles. Peut-on voir dans cette reconduction pour trois mois une évolution de la réflexion du gouvernement français ? Vous ne pouvez ignorer le vote du Sénat.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Les sanctions ne visent pas ces personnes en tant que parlementaires mais en tant qu'elles ont tiré un bénéfice économique de l'annexion de la Crimée, un acte illégal au regard du droit international. Ces sanctions ne sont pas une fin en soi mais un outil en faveur des accords de Minsk. La France et l'Allemagne, qui jouent leur rôle de médiateur dans le cadre du format Normandie, souhaitent qu'elles soient levées à mesure de l'application des accords de Minsk.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Nous avons senti une fatigue à l'assemblée parlementaire de l'OSCE. La résolution de l'Ukraine sur la Crimée n'a obtenu que 30 voix sur 101. Le Conseil européen est en retard par rapport à cette déconnexion, qui correspond à une évolution très profonde de ces 57 pays : ils veulent régler les problèmes. La position trop ferme de Bruxelles est en contradiction avec cette attente.
M. Simon Sutour. - Les sanctions touchent des parlementaires dans leur fonction. Mme Matvienko, présidente du Conseil de la Fédération de Russie, ne peut pas venir au Sénat alors que, paradoxalement, M. Kossatchev, président de la commission des affaires étrangères du Conseil de la Fédération de Russie y a été reçu avec une délégation de sénateurs russes. Nous voulons autoriser les parlementaires à se déplacer, quand M. Juncker se rend à Saint-Pétersbourg tandis que M. Poutine sera à Paris en octobre.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Encore une fois, ces sanctions constituent un outil pour amener la Russie à respecter ses engagements, seule issue au conflit en Ukraine. Un conflit gelé pourrait dégénérer à tout moment. L'unité européenne est importante en la matière.
M. Gattolin a souligné le paradoxe de la situation britannique : pendant longtemps, le Royaume-Uni a défendu une conception européenne visant à faire de l'Union un grand marché et c'est en partie contre cette vision que se sont exprimés les partisans du « leave » au référendum. M. Gattolin a aussi demandé une fulgurance dans la relance. Lors du Conseil européen, la fermeté sur les conditions de la sortie a été affirmée. Il ne peut pas y avoir d'ambiguïté sur le vote démocratique et souverain d'un peuple libre. Je ne peux pas imaginer que le Royaume-Uni ne respecte pas le résultat du vote. La seule procédure qui existe est décrite à l'article 50. Il n'y aura pas de négociations dans un autre cadre. Certains, au Royaume-Uni, l'ont proposé. Ce n'est pas possible. Il est important que cette position exprimée par l'Allemagne, la France et l'Italie soit reprise par tous.
Nous souhaitons néanmoins à l'avenir maintenir des relations bilatérales de très bonne qualité avec ce pays ami. Le Brexit ne change pas les accords de Lancaster House, ni le contrôle de la frontière à Calais - même si le Royaume-Uni est appelé à faire davantage d'efforts dans la mesure où c'est sur le territoire français qu'est gérée sa frontière - ni les coopérations énergétiques ou universitaires... Nous souhaitons conserver d'excellentes relations, notamment stratégiques, car le Royaume-Uni est membre du Conseil de sécurité de l'ONU comme la France, dont il partage très largement les idées.
M. Vaugrenard a raison de dire qu'il faut être ferme, non par volonté de punir, mais parce que c'est l'intérêt de l'Union européenne et du Royaume-Uni de travailler dans la clarté et non de maintenir l'incertitude, qui a un effet très négatif sur l'économie. Le Brexit est en effet une leçon de choses pour ceux qui pensent qu'il est sans conséquence de prôner la sortie de l'Union européenne et de l'euro. Beaucoup disent que si les Britanniques avaient pris conscience des conséquences, ils auraient voté différemment.
L'Europe différenciée existe déjà, avec Schengen et l'euro. Il faut d'abord débattre à 27 de ce qui est nécessaire pour l'Union. Si, ensuite, certains ne veulent pas participer aux avancées, il y aura de nouvelles coopérations renforcées. Tous doivent pouvoir aller de l'avant, s'ils le souhaitent. Après les attentats, des États qui n'étaient pas membres fondateurs ont apporté leur contribution à la lutte contre Daesh.
L'élargissement du mandat de Sophia ne soustrait rien à ses actions premières.
Il n'y aura pas de coopération avec le gouvernement syrien. La résolution politique du conflit passe par le départ de Bachar el-Assad. Le Conseil européen veut sécuriser les frontières et contrôler les personnes qui entrent. Le travail avec les pays d'origine concerne en particulier la migration économique, grande question de l'Afrique. L'Union européenne doit mener une politique de développement volontariste vis-à-vis de cette partie du monde.
M. Danesi a souligné que les jeunes britanniques avaient plus voté en faveur de l'Union européenne mais moins participé tandis que les seniors avaient plus voté en faveur de la sortie. Ces chiffres doivent être croisés avec des données sociologiques et territoriales. Il existe peut-être une jeunesse Erasmus concernée et une jeunesse moins intégrée socialement. Il faut oeuvrer pour qu'elle aussi intègre Erasmus. C'est le sens de l'initiative européenne pour la jeunesse, un fonds de six milliards d'euros souhaité par le Président de la République. Prévu pour quelques années, cette garantie jeune doit être reconduite.
J'espère que le Sénat apportera sa contribution à ces sujets grâce au groupe de suivi de la négociation avec le Royaume-Uni.
M. Jean Bizet, président. - Merci, Monsieur le ministre, de vous être prêté une nouvelle fois à cet exercice. En ce qui concerne le Brexit, aux Anglais de tirer les premiers !
Je me réjouis que, à la demande du président Larcher, le Sénat puisse constituer un groupe de suivi qui comprendra dix collègues de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires étrangères, afin de suivre le processus de retrait du Royaume-Uni. J'aurais un faible pour le modèle norvégien : nos amis anglais devraient souscrire à diverses obligations, notamment financières, s'ils veulent avoir accès au marché unique. Nous aurions ainsi une Europe à double vitesse.
En outre, il est impensable que les chambres de compensation - entreprises privées - puissent demeurer à Londres. La France ne devra pas faire preuve de naïveté. Le pire serait qu'un paradis fiscal se constitue aux portes de l'Union européenne. Notre groupe de suivi devra rapidement faire des propositions. La Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) entendra notre collègue Lord Boswell, mon homologue à la Chambre des Lords. Nous lui avons demandé de venir au Sénat de façon à voir comment sortir par le haut de cette affaire.
M. Christian Cambon, vice-président. - Nombre de Lords nous ont dit que leur idée était de faire un Hong Kong ou un Singapour aux portes de l'Europe, ce qui n'est évidemment pas notre souhait. Rien ne serait pire que de ne pas respecter la volonté démocratique du Royaume-Uni.
Quant à nous, il est indispensable de renforcer la coopération franco-allemande.
Merci pour les réponses précises que vous nous avez apportées, Monsieur le ministre.
La réunion est levée à 20 h 45.
Mercredi 6 juillet 2016
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 17 h 30.
Institutions européennes - Audition de M. Marek Estok, ambassadeur de Slovaquie, sur les priorités de la présidence slovaque de l'Union européenne
M. Jean Bizet, président. - Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. C'est un rendez-vous habituel que nous avons avec l'ambassadeur à Paris du pays qui prend la présidence de l'Union européenne.
C'est le tour de la Slovaquie et nous vous souhaitons un plein succès dans cette passionnante mais difficile mission. Votre présidence débute quelques jours après le référendum britannique. C'est un choc pour la cohésion européenne. Nous attendons la notification par le Royaume-Uni de sa décision de se retirer. Mais les signaux sont plutôt orientés vers une temporisation. On entend même que cette notification pourrait ne pas être faite avant la fin de l'année. Comment votre présidence entend-elle gérer cette situation inédite ?
Ce contexte particulier met aussi en évidence le besoin d'initiatives pour remettre le projet européen sur les rails et le rendre à nouveau compréhensible par les peuples. Un Conseil européen doit se tenir le 16 septembre. Comment votre présidence se positionnera dans ce débat très important ?
Sachez que le Sénat entend lui-même être actif à la fois pour assurer un suivi du processus de retrait du Royaume-Uni et pour être force de propositions en vue d'une relance européenne. Nous mettrons en place à cette fin dans les prochains jours un groupe de suivi commun avec la commission des affaires étrangères.
Votre présidence met par ailleurs en avant quatre priorités qui nous paraissent en phase avec les grands défis de l'heure : une Europe économiquement forte, un marché unique moderne, une politique soutenable en matière de migration et d'asile et une Europe pleinement engagée sur la scène mondiale.
Nous partageons par ailleurs votre volonté d'obtenir des résultats concrets, de prévenir la fragmentation et de mettre les citoyens au centre des préoccupations.
C'est avec un grand intérêt que nous entendrons vos explications sur tous ces points et sur la façon dont votre pays entend conduire sa présidence.
Vous avez la parole.
M. Marek Estok, ambassadeur de Slovaquie. - La Slovaquie préside pour la première fois l'Union européenne. C'est à la fois un plaisir et un honneur pour mon pays, tout entier mobilisé à cette occasion. À titre personnel, je peux ajouter que c'est aussi une chance pour ma génération qui a longtemps rêvé d'appartenir à l'Union, ce qui est maintenant le cas depuis 2004. Je sais que le président Larcher a parlé au téléphone il y a deux heures avec le président du parlement slovaque, et qu'ils se sont mis d'accord pour organiser une conférence soit à Bratislava, soit à Paris, avec les présidents de parlement de l'Union européenne sur l'état de celle-ci. Ayant moi-même travaillé plusieurs années au parlement slovaque, je connais l'importance de la diplomatie parlementaire.
Plusieurs réunions sont d'ores et déjà prévues à Bratislava dans le cadre de la présidence slovaque : la « petite » COSAC les 10 et 11 juillet prochains, une conférence sur la politique étrangère et de sécurité commune début septembre, et la COSAC plénière du 13 au 15 novembre.
Le programme de la présidence slovaque a été préparé dans le cadre de la troïka, avec les Pays-Bas et Malte. Nous sommes restés optimistes jusqu'à la dernière minute sur les résultats du référendum au Royaume-Uni, mais nous avons dû attendre le 30 juin pour publier notre programme de manière à intégrer le Brexit. Cette situation est en effet sans précédent et constitue un défi à relever pour mon pays lors de sa présidence. Un Conseil européen consacré à l'avenir de l'Europe est prévu à Bratislava le 16 septembre prochain. Nous n'en avons pas encore précisé l'ordre du jour car nous souhaitons qu'il puisse donner lieu à une réflexion libre. Je suis d'ailleurs très intéressé par vos propres réflexions sur ce sujet.
Il n'a pas été facile pour la Slovaquie d'organiser sa présidence car c'est un petit pays aux capacités administratives réduites. À ce titre, je tiens à remercier la France pour son soutien : votre pays a notamment mis un de ses experts à disposition de l'équipe présidentielle.
La présidence slovaque poursuit trois ambitions : renforcer la solidité de l'Union européenne ; accroître la confiance des citoyens dans l'Union ; et présenter des exemples positifs de la construction européenne pour les citoyens. Les Slovaques sont convaincus qu'il convient de poursuivre l'approfondissement de l'intégration européenne. Mon pays a adopté l'euro dès 2009 et contrôle les frontières extérieures de l'Union, en l'espèce avec l'Ukraine, dans le cadre de l'espace Schengen. Nous sommes très attachés à ces acquis après plusieurs décennies de régime communiste. Notre Premier ministre est venu à Paris le 22 juin dernier où il a rencontré le Président François Hollande et lui a présenté les priorités de notre pays pour l'Union européenne. Il a également discuté avec lui de la crise migratoire, des attaques terroristes, des séquelles de la crise économique et financière et de la situation du secteur laitier.
Je tiens à rappeler que les relations bilatérales sont excellentes, et cela dès la création de la République tchécoslovaque en 1918. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, 200 partisans français prisonniers de guerre se sont regroupés en Slovaquie où ils ont combattu les nazis. Le 1er janvier 1993, la France a été le premier pays européen à reconnaître le nouvel État slovaque. De même, la France a joué un rôle important dans la préparation de notre pays à l'adoption de la monnaie unique et à l'intégration dans l'espace Schengen. En décembre dernier, le groupe d'amitié de l'Assemblée nationale s'est rendu en Slovaquie. Ces différents exemples illustrent des relations franco-slovaques très amicales. Je rappelle également qu'en 2008, le Président Nicolas Sarkozy avait signé un partenariat stratégique avec la Slovaquie et que le Président François Hollande, au cours d'une visite officielle en octobre 2013, a signé le deuxième plan d'action, puis s'est de nouveau rendu dans mon pays en 2015 pendant la présidence slovaque du groupe de Viegrad. Les investissements directs français en Slovaquie s'élèvent à plus de 5 milliards d'euros et plus de 400 sociétés françaises sont présentes dans mon pays, dont Veolia, Vinci, Orange ou encore PSA-Citroën.
Je voudrais maintenant présenter chacune des quatre priorités de la présidence slovaque de l'Union européenne.
La première consiste en une Europe économiquement forte. Nous sommes persuadés que nous avons besoin de davantage d'investissements pour soutenir une croissance économique qui reste atone. C'est pourquoi nous soutenons le plan Juncker ainsi que la prolongation de la durée du Fonds européen d'investissement stratégique. Nous avons commencé les négociations avec le Parlement européen sur le budget de l'Union pour 2017. Nous devons aussi aborder le réexamen à mi-parcours du cadre financier pluriannuel 2014-2020. Nous devrons également travailler à réduire la fragmentation des marchés de capitaux, finaliser l'Union économique et monétaire, traiter le troisième pilier de l'Union bancaire, et avancer dans la lutte contre la fraude fiscale.
Notre deuxième priorité vise à moderniser le marché unique. Je rappelle que la Slovaquie dispose d'un marché extrêmement ouvert, peut-être le plus ouvert au sein de l'Union européenne. Nous allons mettre l'accent sur le numérique, favoriser la croissance et la création d'emplois. Pour ce qui concerne l'Union de l'énergie, nous considérons que trois objectifs doivent être atteints : la sécurité énergétique, l'efficacité énergétique et l'amélioration de l'approvisionnement en gaz. Je rappelle qu'au début 2009, la Slovaquie a été coupée pendant huit jours de l'approvisionnement en gaz en raison du conflit gazier entre la Russie et l'Ukraine.
M. Jean Bizet, président. - Pouvez-vous nous rappeler par où transitait ce gaz russe ?
M. Marek Estok, ambassadeur de Slovaquie. - Par l'Ukraine. Les sanctions contre la Russie ont indéniablement pénalisé l'économie slovaque. Pour autant, mon pays ne saurait soutenir le projet de Gazprom Nord Stream 2. Certes, nous savons que toutes les capacités de Nord Stream 1 ne sont pas encore utilisées. Mais le transit du gaz russe par l'Ukraine assure 80 % de nos besoins en gaz. Nous allons également chercher à obtenir la ratification de l'accord COP 21 d'ici la fin de l'année 2016, avant la tenue du sommet de la COP 22 au Maroc.
Notre troisième priorité a pour objectif de parvenir à une politique soutenable en matière de migration et d'asile. Dès demain, les ministres de l'intérieur de l'Union européenne, dont M. Bernard Cazeneuve, se réuniront de façon informelle à Bratislava pour en discuter. Sur ce sujet, la Slovaquie veut jouer le rôle d'« honnête intermédiaire », c'est-à-dire aider à trouver des compromis entre les positions en présence. Je tiens à saluer le premier succès de la présidence slovaque puisque le Parlement européen a adopté très récemment la décision sur la création d'un corps de garde-frontières européen. C'est une priorité forte de notre présidence et notre gouvernement a décidé que 50 policiers slovaques seront intégrés dans ce corps. Nous considérons que l'esprit de Schengen est l'une des plus grandes réussites de l'Union européenne. C'est pourquoi il est indispensable d'entreprendre des réformes nécessaires afin de conserver cet esprit. À cette fin, nous soutenons le concept de « frontières intelligentes » qui permet de mieux observer les flux migratoires, de contrôler les passeports et de disposer de données biométriques, l'objectif final étant de parvenir à une immigration contrôlée au lieu d'une immigration « sauvage ». Vous savez que le système commun d'asile européen présente des difficultés indéniables et, sur ce sujet aussi, la présidence slovaque va chercher à favoriser le dialogue et le compromis. Nous sommes favorables à une meilleure coopération avec les pays tiers, en particulier avec la Turquie que nous considérons comme un partenaire stratégique pour l'Union européenne. Pour autant, nous pensons aussi que l'adhésion de ce grand pays ne saurait être le prix de la solution à la crise migratoire. En effet, la Slovaquie a dû remplir de nombreuses conditions pour adhérer à l'Union européenne et considère que cette exigence doit s'imposer à tous les pays candidats.
Enfin, la dernière priorité de la présidence slovaque consiste à faire de l'Europe un acteur pleinement engagé sur la scène mondiale. L'Europe a besoin d'une politique étrangère et de sécurité commune qui soit active et fondée sur la stratégie globale de l'Union européenne. De même, nous attachons une grande importance à la réussite du sommet de l'OTAN qui se tiendra à Varsovie le 8 juillet prochain. Le renforcement de la politique étrangère et de sécurité commune sera fermement soutenu par mon pays qui visera également à avancer sur l'Agenda 2030 et à promouvoir le développement durable. Pour ce qui concerne le processus d'élargissement, nous considérons qu'il convient de donner une vision claire aux pays candidats ou intéressés par la perspective d'une adhésion. Nous nous réjouissons également que l'accord commercial avec le Canada, le CETA, ait reçu de la Commission européenne, qui a ainsi accepté la demande de plusieurs États membres dont la France, le statut d'accord mixte requérant une ratification à la fois par le Parlement européen et par les parlements nationaux.
M. Jean Bizet, président. - Je tiens à rappeler la particularité de cet accord qui comporte deux parties : une première partie communautaire portant sur le cadre général des échanges commerciaux, qui est d'application directe au 1er janvier prochain et qui relève de la compétence exclusive de la Commission, et une seconde partie mixte, qui concerne des sujets importants mais de portée plus technique et sur laquelle les parlements nationaux sont invités à se prononcer, le processus de ratification pouvant toutefois durer des années. Je rappelle d'ailleurs que la ratification de l'accord commercial entre l'Union européenne et la Corée du Sud a duré quatre ans.
M. Marek Estok, ambassadeur de Slovaquie. - La Slovaquie aborde sa présidence de l'Union européenne dans un état d'esprit optimiste. Je vous présente le logo de notre présidence qui reprend les marques de l'orthographe slovaque et qui a été mis au point par un étudiant de 20 ans. La Slovaquie est un pays profondément européen qui veut laisser une marque positive au sein de l'Union européenne à l'issue de sa présidence semestrielle.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Ma première question aura trait aux rapports entre l'OTAN et l'Union européenne. Nous avons adopté au sein de cette commission puis au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées une proposition de résolution européenne sur l'avenir de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Nous y insistons sur la nécessité de renforcer le dialogue entre le Conseil européen et le secrétariat général de l'OTAN pour éviter les déclarations contradictoires et développer une approche commune des enjeux. Nous avons également été frappés avec certains de nos collègues, représentants du Sénat au sein de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, que plusieurs États membres, dont les pays baltes, considéraient que la Russie posait plus de difficultés que l'État islamique. J'aurais donc voulu avoir votre avis sur les relations entre l'OTAN et l'Union européenne.
Nous avons également adopté au Sénat une résolution sur les sanctions européennes contre la Russie. Elle a réuni 301 votes favorables et 16 oppositions. Nous appelons à une réévaluation de ces sanctions compte-tenu de l'application des accords de Minsk. Nous visons plus spécialement celles concernant les parlementaires, qu'il s'agisse des parlementaires russes qui ne peuvent plus se déplacer au sein de l'Union européenne ou des parlementaires issus des États membres de l'Union européenne, qui sont dans l'impossibilité de se rendre en Russie. Nous connaissons plus largement l'impact des sanctions sur l'économie de l'Union européenne : elles ont contribué à une baisse de 0,3 % du PIB en 2014 et 0,4 % en 2015 ainsi qu'à la suppression de 900 000 emplois... Je reviens de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE où j'ai relevé une même lassitude à l'égard des sanctions de la part de nos partenaires : un amendement sur le statut de la Crimée n'a pas recueilli la majorité des votants au sein d'une commission et une résolution sur la liberté de circulation des parlementaires a été adoptée en séance plénière. Il existe un véritable changement de ton que l'on a pourtant du mal à retrouver dans d'autres enceintes, à l'instar du Conseil européen. J'aurais voulu connaître, à cet égard, votre sentiment.
Ma dernière question porte sur le projet de gazoduc Nord Stream 2, d'autant que la structure actuelle ne tourne pas à plein régime. Je comprends les réserves de votre pays. Mais ne s'agit-il pas avant tout d'une question relevant des entreprises gestionnaires et non des États ?
M. Marek Estok, ambassadeur de Slovaquie. - La France a des parts dans l'entreprise ENGIE !
M. Yves Pozzo di Borgo. - Je comprends votre position mais n'y a-t-il pas une prise en otage politique d'un projet avant tout économique ?
M. Jean Bizet, président. - S'agissant de son utilisation, les tuyaux peuvent se remplir demain...
M. Jean-Paul Emorine. - J'insisterai pour ma part sur la relance économique au sein de l'Union européenne, confrontée, notamment, à un manque de création d'emplois. Afin d'encourager l'investissement, un projet d'Union des marchés de capitaux a été lancé par la commission Juncker. 70 % des entreprises américaines sont financées par les marchés aux États-Unis contre 30 % au sein de l'Union européenne. Il s'agit essentiellement en Europe des grandes entreprises. Comment faire pour que les petites et moyennes entreprises accèdent à ces financements ?
Vous avez évoqué le Plan Juncker. 315 milliards d'euros doivent être dégagés sur trois ans en faveur de l'investissement. On constate cependant des difficultés dans la mise en oeuvre du Fonds européen d'investissements stratégiques, même si certains progrès ont été enregistrés en France. Je regrette cependant que les pouvoirs publics ne puissent avoir accès à ce Fonds en vue d'investir dans le numérique, en particulier en matière de fibre optique. Le Fonds semble réservé aux grosses entreprises.
Une précision sur ENGIE, Monsieur l'Ambassadeur. L'État n'est plus l'actionnaire majoritaire puisqu'il ne dispose que de 36 % de son capital.
M. Jean Bizet, président. - Le Sénat s'est mobilisé pour intégrer le secteur agro-alimentaire dans la liste des cibles du Fonds européen d'investissements stratégiques. La Finlande et la Pologne ont également oeuvré en ce sens. Nous souhaitons aujourd'hui que les plateformes régionales qui ont été mises en place soient repensées afin de mieux prendre en compte les projets des petites et moyennes entreprises.
M. Jean-Yves Leconte. - Les six mois qui viennent s'annoncent compliqués, notamment au plan financier. Il est important, à ce titre, que la présidence soit exercée par un pays membre de la zone euro afin de prendre en compte les conséquences économiques du Brexit. On voit déjà les difficultés de la Deutsche Bank ou des banques italiennes. Le Brexit devrait contribuer à approfondir l'Union économique et monétaire et l'Union bancaire.
Je suis choqué de la présentation que vous avez faite de la question migratoire. Il ne faut pas mélanger migration économique et demande d'asile politique. C'est une démarche populiste, elle est inacceptable. Il faut préciser que nous avons une obligation d'accueil des réfugiés politiques et que celle-ci répond aux valeurs fondamentales de l'Union européenne. Je suis d'autant plus choqué que je partage votre constat sur l'espace Schengen : celui-ci a explosé alors que le nombre de réfugiés présents sur le sol européen représente à peine un tiers de celui enregistré sur le seul territoire libanais.
Ce type d'amalgame risque finalement de détruire l'idée même d'élargissement, tant il confère aux pays qui le pratiquent l'image de pays ayant adhéré sans respecter totalement les valeurs de l'Union européenne.
Mme Fabienne Keller. - Je regrette la forme et les propos de notre collègue Leconte. Nous sommes heureux de vous accueillir ici. D'autant plus que nous nous sommes croisés à Strasbourg voici quelques années lorsque vous étiez représentant permanent de la Slovaquie auprès du Conseil de l'Europe. Vous étiez en poste entre 2002 et 2004 soit au moment de l'adhésion de votre pays à l'Union européenne, cet élargissement ayant constitué un des grands moments de l'histoire européenne.
En ce qui concerne le Brexit, il n'est pas exclu que la notification prévue à l'article 50 du Traité ne soit pas mise en oeuvre durant votre présidence. Une période d'incertitude vient de s'ouvrir, ce qui est toujours mauvais tant au plan politique qu'économique. Comment s'adapter à cette nouvelle situation ? Quelle peut-être l'action de la présidence dans ce contexte, marqué par les difficultés internes en Grande-Bretagne et ce changement de format de l'Union ? Celle-ci doit-elle raisonner à 27 ou à 28 ?
Pour en revenir à Strasbourg, celle-ci est reliée par le train à Bratislava via Vienne. L'ouverture d'un nouveau tunnel dans les Vosges va contribuer à raccourcir le temps de liaison...
M. Jean Bizet, président. - Combien de temps faut-il pour relier les deux villes ?
Mme Fabienne Keller. - Environ 6 heures. Des tronçons vont être modernisés dans les prochains mois en Allemagne et en Autriche pour réduire un peu plus cette durée.
Mme Gisèle Jourda. - Ma question portera sur le suivi de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie du 18 mars dernier. Je reviens, avec une délégation de la mission commune d'information mise en place par le Sénat sur ce sujet, d'un déplacement en Turquie et en Grèce. Côté turc, les autorités attendent le versement des 3 milliards d'euros d'aide promise et sont peu satisfaits des 105 millions décaissés jusque-là. Elles souhaitent que les sommes soient versées à des associations turques, estimant que les ONG, vers qui sont orientés ces fonds, prélèvent entre 14 et 30 % au titre des frais de fonctionnement. La présidence slovaque de l'Union européenne va-t-elle demander des contrôles pour vérifier l'utilisation des fonds européens ?
Côté grec, les ONG mettent la pression sur le gouvernement afin qu'il prenne mieux en charge les réfugiés présents sur les îles. 2 500 mineurs non accompagnés y sont notamment recensés. Reste que nous connaissons tous les problèmes financiers rencontrés par la Grèce. Une aide financière européenne est-elle prévue ?
M. Marek Estok, ambassadeur de Slovaquie. - Je souhaite indiquer à M. Leconte qu'il s'agit d'un malentendu. Je n'ai jamais dit que la Slovaquie n'était pas solidaire et qu'elle ne faisait pas la distinction entre migrants économiques et réfugiés. Nous avons, de notre propre initiative, accueilli 200 chrétiens d'Orient en provenance de Syrie. Ils sont actuellement à l'Est du pays et tendent à s'intégrer, en dépit des différences linguistiques et culturelles. Nous avons également souhaité accueillir une centaine de migrants présents dans les îles grecques et considérés comme les plus vulnérables. Nous avons enfin recueilli 500 migrants réfugiés en Autriche afin de soulager la pression sur notre voisin. Ce que nous constatons c'est qu'il n'y a pas une grande volonté de la part des réfugiés de venir en Slovaquie. Nous apportons par ailleurs un soutien technique et humain en Grèce et en Italie, ainsi qu'aux frontières hongroise et macédonienne. Nous avons une grande tradition en ce qui concerne l'accueil des réfugiés politiques, puisque 10 000 Ukrainiens ont été accueillis dans notre pays depuis le début de la guerre dans leur pays. Nous mesurons plus que d'autres peuples la question de l'exil, puisque nombre de Tchécoslovaques ont choisi cette voie durant la période communiste, trouvant notamment refuge en France.
M. Jean-Yves Leconte. - Je ne retrouve pas cette ambition à la lecture du document présentant les priorités de votre pays. Je réagis également aux propos de votre Premier ministre...
M. Marek Estok, ambassadeur de Slovaquie. - Je vous invite à les relire. Nous sommes parfaitement conscients des différences de statut, entre migrants économiques et réfugiés politiques pour l'avoir, je le répète, nous-mêmes expérimentées. Je souhaite que vous soyez associé au déplacement prévu en octobre du groupe d'amitié France-Slovaquie du Sénat à Bratislava. Vous saisirez peut-être mieux les efforts accomplis.
Je salue Mme Keller, que j'ai effectivement connue lorsqu'elle était maire de Strasbourg, capitale de l'Europe. La ligne à grande vitesse contribue en effet à rapprocher Paris, Strasbourg, Vienne, Bratislava et Budapest. Il faudrait l'inclure dans la liste des projets financés par le Fonds européen d'investissements stratégiques.
En ce qui concerne le Brexit, nous sommes effectivement dans l'attente. Les candidats au poste de Premier ministre ne souhaitent pas activer l'article 50 avant la fin de l'année. Le Premier ministre slovaque souhaite rencontrer les principaux acteurs de l'Union européenne dans les prochaines semaines. Une réunion à 27 sera par ailleurs organisée le 16 septembre.
Le Brexit nous incite effectivement à renforcer l'Union économique et monétaire. La Slovaquie est très attachée à la notion de gouvernement économique de la zone euro. L'euro reste un atout exceptionnel, quand bien même nous pouvons avoir un débat sur sa valeur.
Le Fonds européen d'investissements stratégiques doit être simplifié, c'est une évidence. Des crédits ne sont pas utilisés en raison de condition d'attribution trop complexes, bureaucratiques. Les entreprises slovaques rencontrent également ce type de difficultés.
Au sujet des relations OTAN-Union européenne, il ne faut pas perdre de vue que pour nombre de pays d'Europe centrale et orientale, l'OTAN est perçue comme une garantie de sécurité. Nous avons donc besoin d'une coopération approfondie entre l'OTAN et l'Union européenne.
S'agissant des sanctions à l'égard de la Russie, la Slovaquie est en première ligne puisque nous disposons d'une frontière commune avec l'Ukraine. Nous sommes solidaires de la décision prise par le Conseil au sujet des sanctions même si celles-ci ne peuvent durer éternellement. Il est indispensable que les accords dits de Minsk II soient appliqués et nous attendons beaucoup des négociations dans le cadre du format Normandie. Deux acteurs doivent oeuvrer en ce sens : la Russie et l'Ukraine.
M. Jean Bizet, président. - Notez-vous des progrès ?
M. Marek Estok, ambassadeur de Slovaquie. - Oui, même s'ils sont limités comme en témoignent l'utilisation d'armes lourdes sur le terrain.
M. Jean Bizet, président. - En ce qui concerne l'État de droit en Ukraine, relevez-vous des améliorations ? Je pense en particulier à la lutte contre la corruption.
M. Marek Estok, ambassadeur de Slovaquie. - Notre ancien ministre des finances travaille avec le Premier ministre ukrainien sur cette question. L'Ukraine est notre plus grand voisin. Notre priorité va au rétablissement de la sécurité sur son territoire. Il convient aussi de travailler à une relance économique dans le pays. C'est le seul État issu du bloc soviétique a enregistrer une contraction continue de son PIB depuis les années quatre-vingt-dix. Le pays doit accomplir les réformes nécessaires et parfois douloureuses que nous avons nous-mêmes menées pour moderniser ses structures. Nous devons les aider en ce sens.
Au sujet de Nord Stream 2, je vous rappelle que 10 gouvernements ont manifesté leur opposition à un tel projet, qui va à l'encontre du projet d'Union de l'énergie.
M. Jean Bizet, président. - Permettez-moi d'avoir une approche différente. Au terme de ce projet, l'Allemagne est appelée à devenir le hub gazier du continent, à charge pour elle d'assurer la sécurité de l'approvisionnement. Passant par la mer Baltique et non plus par voie terrestre, le gaz devrait coûter moins cher qu'actuellement, les autres pays devraient donc en bénéficier. Il faut que l'Allemagne garantisse la transparence et la mutualisation des coûts.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Si l'Allemagne s'engageait en ce sens, la Slovaquie réviserait sa position ?
M. Jean Bizet, président. - Je constate que la Pologne, où une délégation de notre commission s'est rendue récemment, semble plus ouverte dès lors que des réponses sont apportées aux questions de sécurité de l'approvisionnement, de mutualisation et de transparence. Je reviens sur l'Union de l'énergie. Nous souhaitons qu'elle soit optimale. Le coût de l'énergie au sein de l'Union européenne est deux à trois fois plus cher qu'aux États-Unis...
M. Marek Estok, ambassadeur de Slovaquie. - La Slovaquie comme la France ont fait le choix du nucléaire. 55% de notre énergie est issue du nucléaire. Nous disposons de 4 réacteurs et en construisons deux nouveaux. Tout le système de commande est de conception franco-allemande, le coffrage étant russe.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Nous mesurons le poids de l'histoire dans les relations entre la Russie et votre pays. Nous avons connus trois guerres avec l'Allemagne. Cinq ans après la fin de la dernière, un français, Robert Schuman, a souhaité dépasser cet antagonisme et développer l'idée d'une Europe unie. Il manque peut-être un Robert Schuman à l'Est de l'Europe.
M. Marek Estok, ambassadeur de Slovaquie. - Nous n'avons pas les mêmes difficultés que la Pologne à l'égard de la Russie...
Pour répondre à Mme Jourda, nous avons comme je l'ai indiqué accueilli une centaine de migrants en provenance des îles grecques. Ce n'est qu'une réponse partielle à une situation dramatique. Je vais demander à la présidence de contrôler l'utilisation des fonds par les ONG. Si ces chiffres sont avérés, c'est inacceptable !
Pour conclure, je vous invite à ne pas hésiter à m'adresser vos demandes et me transmettre les documents que vous élaborez sur les politiques de l'Union européenne. Ils concourront à notre réflexion. Nous souhaitons, en tout état de cause, être optimistes...
M. Jean Bizet, président. - Vous avez raison. Votre présidence n'en est qu'au septième jour...
La réunion est levée à 19 h 05.
Jeudi 7 juillet 2016
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 8 h 30.
Institutions européennes - Relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne : communication de Mme Fabienne Keller
M. Jean Bizet, président. - Nous entendons la communication de Mme Fabienne Keller sur les relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Depuis le 24 juin, le résultat du référendum britannique a fait l'effet d'une grande secousse en Europe, et ce n'est pas fini ! Nous en avons débattu en séance publique le 28 juin avec M. Jean-Marc Ayrault, puis avec M. Harlem Désir, mardi dernier, qui est venu nous présenter les résultats du Conseil européen. Ce fut aussi le thème de notre rencontre, hier, avec l'ambassadeur de Slovaquie, pays qui a pris la présidence de l'Union depuis le 1er juillet.
Pour faire suite à la demande du Président Larcher, le bureau de la commission vient de débattre des modalités de suivi du processus de retrait du Royaume-Uni. Nous mettrons en place un groupe commun avec la commission des affaires étrangères. Placé sous la co-présidence des deux présidents, il sera composé de vingt membres, à la proportionnelle des groupes et à parité entre les deux commissions. Nous le mettrons en place dès la semaine prochaine pour qu'il arrête un programme de travail à mettre en oeuvre à la rentrée. Ce groupe aura aussi vocation à formuler des propositions en vue d'une refondation de l'Union européenne, sans préjudice des travaux que nous avons déjà lancés notamment sur les compétences, la normalisation et la simplification.
À l'initiative de Mme Keller, nous avions adopté une résolution européenne qui traduisait à la fois notre souhait du maintien du Royaume-Uni dans l'Union et notre souci de préserver les acquis de la construction européenne dans le cadre des discussions avec ce pays. Lorsque je me suis rendu avec elle à la Chambre des Lords, Lord Boswell nous avait tenu un langage très constructif qui reflétait sa volonté que le Royaume-Uni reste dans l'Union. Les urnes en ont décidé autrement. Mme Keller était sur place le jour du vote ; elle va nous faire part de ses analyses.
Mme Fabienne Keller. - En amont du vote, nous avions adopté à l'unanimité une résolution positive. Le peuple britannique s'est exprimé. Il existe une irréductible singularité britannique qui, sur la question européenne, s'était très tôt manifestée. Que représente l'Europe pour les Britanniques ? Un continent dont ils font partie et dont ils ne veulent pas dépendre. Pour eux, la construction européenne ne doit pas être autre chose qu'un projet économique, un marché unique. Cette position a conduit le Royaume-Uni à obtenir des dérogations et des opt-out jusqu'à l'accord de février dernier, qui semblait confirmer les contours d'un statut particulier.
Les Britanniques quittent donc l'Union européenne comme s'ils étaient sûrs de trouver dans le risque pris, outre de nouvelles opportunités, un regain de liberté. C'est une décision que je regrette à titre personnel, mais c'est une décision souveraine, qui fait suite à un long débat et que nous respectons. Nous devons chercher à comprendre ce qu'elle peut nous enseigner sur l'Europe de ceux qui restent. Je me suis rendue en Angleterre le 22 juin. Le 23, j'ai visité des bureaux de vote. Leur organisation diffère de la nôtre : les bulletins de vote sont numérotés, l'accès aux urnes est libre. Le dépouillement n'est pas effectué dans chaque bureau mais dans 380 points de regroupement, ce qui explique pourquoi les premiers résultats ont été si tardifs et pourquoi nous ne disposons pas d'une cartographie fine du vote.
En cohérence avec leur position depuis le début de la construction européenne, les Britanniques n'ont pas souhaité adhérer à l'union politique en bloc, sans attacher la moindre importance à l'arrangement obtenu en février, qui n'a que très peu fait partie des débats. C'est un vote de défiance à l'égard de l'Union européenne plus qu'à l'égard du gouvernement. Le Premier ministre a conservé sa popularité, ou plutôt la confiance qui lui a été accordée pour gouverner le pays, mais il n'a pas convaincu sur la question européenne.
Le coeur de la campagne se résume assez bien dans le slogan « I want my country back ».
M. Jean Bizet, président. - Pas mal !
Mme Fabienne Keller. - Beaucoup repris dans les tabloïds, il est bâti sur le modèle du « I want my money back » de Mme Thatcher. En première analyse, il équivaut à une affirmation de souveraineté. Pour les Britanniques, il n'est de souveraineté que celle dont les électeurs investissent leurs élus au Parlement et ils conçoivent mal qu'elle puisse être déléguée, fut-ce partiellement, à Bruxelles.
L'autre signification de ce slogan réside dans le désir nostalgique de retrouver le visage de l'Angleterre éternelle.
M. Jean Bizet, président. - Celle du tea time...
Mme Fabienne Keller. - Celle d'avant la mondialisation et les migrations. L'immigration a été au coeur de la campagne pour le « leave » et avec elle, le communautarisme que les gouvernements successifs ont laissé s'installer en Grande-Bretagne. Le vote exprime, de manière confuse, un même rejet de l'épicerie polonaise et du tribunal de la charia, car les deux existent aujourd'hui sur le sol britannique.
L'immigration intra-européenne pose des problèmes d'intendance, faute de logements sociaux, d'écoles et de places dans les hôpitaux. Quant à l'immigration extra-européenne - en particulier celle issue du Pakistan, pays musulman -, elle pose de vrais problèmes d'intégration.
La campagne du référendum a fait l'amalgame entre les deux types d'immigration et accusé l'Union européenne d'être à l'origine des maux d'une immigration importante - le solde migratoire est de plus de 325 000 personnes. Or l'Union européenne n'en est pas directement responsable. L'annonce de la Chancelière Merkel sur l'accueil des migrants et le changement opéré en Allemagne a néanmoins fait l'effet d'un véritable électrochoc. Il est devenu clair que l'Union ne se défendrait pas contre une montée du Sud vers le Nord. Cette crainte a beaucoup joué dans le résultat du référendum.
Les résultats - 51,9 % pour la sortie et 48,1 % pour le maintien - sont assez serrés et reflètent un Royaume-Uni très divisé, où les jeunes s'opposent aux personnes plus âgées, les villes aux campagnes, Londres et sa périphérie au Nord de l'Angleterre, les nord-Irlandais et les Ecossais aux Anglais et aux Gallois, les riches aux plus modestes et les plus diplômés aux sans diplômes. À vrai dire, le référendum a divisé tous les milieux. La question a été destructrice au sein de tous les groupes et l'émotion l'a emporté sur la raison. La réaction écossaise au résultat souligne un paradoxe : l'appartenance à l'Union européenne avait consolidé le Royaume-Uni, une éventuelle sortie pourrait remettre en cause l'unité de l'île.
On peut penser que les Britanniques sont trop attachés à la démocratie pour remettre en cause ce vote et, passé la première stupeur, ils devraient se mettre en ordre de marche pour envisager, avec le pragmatisme qu'on leur connaît, les modalités de la sortie. Ce qui passe inévitablement par une recomposition politique.
M. Jean Bizet, président. - Avant la recomposition, la décomposition !
Mme Fabienne Keller. - Le Premier ministre David Cameron a annoncé, dès le 24 juin à 9 heures, sa démission prochaine, ouvrant la question de sa succession au sein du parti conservateur, auquel revient la responsabilité de désigner le nouveau Premier ministre. Un vote devrait avoir lieu le 9 septembre. Le processus de désignation des candidats à la Chambre des Communes prévoyait que les candidatures devaient être déposées avant le 30 juin 2016. Cinq ont été enregistrées. Deux noms se détachent : la ministre de l'Intérieur, Mme Theresa May, eurosceptique à l'origine mais ayant fait une campagne discrète pour le maintien au sein de l'Union, et le ministre de la justice, Anthony Gove, partisan du Brexit. La candidature de ce dernier, surnommé « Macbeth » dans la presse, a rendu impossible celle de Boris Johnson, ancien maire de Londres et figure de la campagne du Brexit. Outre Mme May, qui fait figure de favorite, restent en lice deux candidats favorables au Brexit. Mme May a, pour l'heure, indiqué sa volonté de respecter le résultat du référendum et envisagerait une ouverture des négociations de sortie - en invoquant l'article 50 - en décembre.
En face, le parti travailliste est également divisé. Une motion de défiance visant Jeremy Corbyn a été approuvée par 172 députés travaillistes contre 40 alors que les démissions se multiplient au sein du shadow cabinet. La motion visait principalement l'absence de dynamisme de la campagne de M. Corbyn en faveur du maintien au sein de l'Union européenne. Le chef du Labour a, cependant, refusé de démissionner. Les statuts du Labour prévoient que, pour être validée, la motion de défiance doit être approuvée par la base.
L'article 50 du traité sur l'Union européenne, introduit par le traité de Lisbonne, prévoit les modalités de sortie de l'Union. Tout État membre souhaitant se retirer de l'Union européenne doit, en premier lieu, notifier sa décision au Conseil européen. Ce sera la tâche du prochain gouvernement britannique, David Cameron n'ayant pas souhaité le faire. Des orientations sont alors définies par le Conseil européen, au sein duquel ne siège pas le pays concerné, et un accord de retrait est négocié sur ces bases. Il est conclu par le Conseil à la majorité qualifié après approbation du Parlement européen. Les traités cessent alors d'être applicables à l'ancien État membre. Si aucun accord n'intervient dans les deux ans suivant la notification, les traités cessent également d'être applicables, sauf si le Conseil européen, en accord avec l'État membre concerné, décide à l'unanimité de proroger ce délai. Quoi qu'il en soit, en attendant l'ouverture des négociations et leur éventuelle conclusion, le Royaume-Uni est toujours membre de l'Union européenne.
Il y a bien eu quelques gestes symboliques, comme la démission du britannique Jonathan Hill de son poste de commissaire européen aux services financiers ou le vote d'une résolution au Parlement européen le 28 juin invitant à une modification du calendrier des présidences de l'Union - le Royaume-Uni devant l'exercer au second semestre 2017 - et à un engagement rapide des négociations de sortie. Aucun calendrier n'a pour autant été envisagé. La déclaration des 27, adoptée à Bruxelles le 29 juin, rappelle que le retrait doit être activé par le Royaume-Uni. Elle insiste sur le fait qu'un éventuel accord devra être équilibré entre les droits et les obligations. L'accès au marché unique passe en effet obligatoirement par l'acceptation des quatre libertés. La Commission a indiqué, de son côté, qu'il n'y aurait aucune négociation préalable à la notification. Un diplomate belge, Didier Seeuws, a néanmoins déjà été nommé à la tête d'une task force chargée de préparer ces tractations.
Avec ce référendum, l'écart entre les annonces et la réalité est apparu au grand jour : dès le 24 juin au matin, Nigel Farage a dû reconnaître que la promesse de consacrer aux services de santé les 350 millions d'euros que, selon lui, le Royaume-Uni versait chaque semaine à l'Union européenne, n'était qu'un engagement de campagne ; Boris Johnson lui a emboîté le pas deux jours plus tard.
Si le pays est sous le choc, divisé, affaibli - à l'image de sa monnaie qui a perdu environ 30 % de sa valeur -, la capacité des Anglais à rebondir et à faire preuve de pragmatisme est importante. Voyez par exemple comment la Bourse de Londres accélère son rapprochement avec celle de Francfort, pour créer un ensemble qui serait à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de la zone euro.
L'intégrité du Royaume-Uni est ébranlée. Mme Nicola Sturgeon, qui dirige le Scottish National Party, s'est immédiatement rendue à Bruxelles pour rappeler à M. Juncker l'attachement de l'Ecosse à l'Union européenne. Cela dit, la décision de tenir un second référendum ne pourra pas être prise rapidement, car Mme Sturgeon ne dispose pas au Parlement écossais d'une majorité suffisante pour la faire approuver, et le contexte économique ne s'y prête guère. Du reste, cette décision ne peut être prise qu'à Westminster. En tout état de cause, il serait difficile à l'Ecosse de quitter le Royaume-Uni avant que celui-ci n'ait clarifié ses relations avec l'Union européenne.
Si l'Ecosse a voté pour le « remain » à 64 %, le score a été plus serré en Irlande, où la majorité contre le Brexit n'a été que de 54 %. Le vote des Unionistes a été proche de celui des régions périphériques de l'Angleterre - favorable au Brexit, donc. Ce sont les Républicains qui ont voté pour le « remain ».
M. Simon Sutour. - Les catholiques.
Mme Fabienne Keller. - L'accord du Good Friday, en 1999, est l'un des plus récents à mettre à l'actif de l'Union. John Hume, un parlementaire européen qui s'était engagé pour sa conclusion, a reçu le prix Nobel de la paix. L'Irlande et l'île de Grande Bretagne forment une common travel area depuis le milieu du XIXème siècle. On n'imagine pas la reconstitution d'une frontière entre l'Union européenne et l'Irlande du Nord...
En Europe, ce référendum a libéré les populismes. Des appels à en tenir un en France ont été émis. Est-ce bien raisonnable ? Il faudrait surtout travailler sur le projet européen. L'urgence est de répondre aux défis de l'heure, comme la gestion des migrants par l'Union européenne, l'impact du plan Juncker sur la croissance et l'emploi des jeunes ou la nécessité d'une refondation politique du projet européen. Je me réjouis que le groupe de suivi aborde ce dernier point. Faut-il plusieurs cercles concentriques ? À 27, les choses sont plus complexes qu'elles ne l'étaient entre les six pays fondateurs. Quoi qu'il en soit, il est essentiel que nous marquions notre volonté de nous dessiner ensemble un avenir commun.
M. Jean Bizet, président. - Ce Brexit que nous redoutions sera l'occasion d'une clarification. Si l'immigration a bien entraîné des crispations, nous devons rappeler dans quel état était la Grande Bretagne en 1976, lorsque le FMI est venu à son aide, et comment la politique d'accueil qu'elle a choisie a eu d'heureuses conséquences sur son économie. Ce sera le rôle de notre groupe de suivi que de faire ce type de mises au point, pour contrer le discours des populistes. Il est très facile de faire des annonces ! Ne sous-estimons pas la capacité de rebond de l'économie britannique, très libérale et réactive. D'où l'importance de la relance du couple franco-allemand autour de propositions de recomposition de l'Union européenne.
M. Simon Sutour. - J'avais dit que la meilleure manière de gagner ce référendum, pour M. Cameron, aurait été de ne pas le faire. Je sais quel en aurait été le résultat dans mon département... J'ai apprécié que votre communication soit équilibrée. N'oublions pas les quelque 48 % d'électeurs qui ont voté pour le « remain ». Le pays est partagé, la majorité l'emporte, c'est la démocratie. Les incantations et autres injonctions appelant les Anglais à se hâter d'organiser leur sortie ne sont que des postures. Dans la réalité, il y a des règles européennes. Comme il s'agissait d'un référendum interne, c'est aux Anglais de déclencher le processus, ils le feront lorsqu'ils le jugeront opportun. Ils négocieront avec l'Union européenne au mieux de leurs intérêts, comme ils l'ont toujours fait. Mais les propos agressifs sur la Grande-Bretagne me blessent, car nous avons une Histoire commune, faite de rivalités comme de luttes partagées : la bataille de la Somme a été récemment commémorée.
M. Jean Bizet, président. - C'est vrai, il ne faut pas l'oublier.
M. Simon Sutour. - Dans un monde de huit milliards d'habitants, l'Union européenne rassemble 500 millions de personnes. Sans le Royaume-Uni, nous ne serons plus que 435 millions, avec un grand partenaire à nos portes. L'idée de lui imposer des visas est complètement irréaliste.
M. Jean Bizet, président. - Dieu merci.
M. Simon Sutour. - Je crains les conséquences économiques du Brexit, alors que nous n'y sommes pour rien. Malgré la grande capacité anglaise de rebondir, il a fait l'effet d'un coup de pied dans une fourmilière. Souhaitons que ses conséquences soient aussi peu graves que possible ! Un Premier Ministre sera choisi - sans doute Mme May.
M. Jean Bizet, président. - Elle tient la corde.
M. Simon Sutour. - C'est une personnalité solide. L'intention du Royaume-Uni n'est pas de rompre avec l'Union européenne.
Je crains aussi que nous ne parlions plus que de ce sujet. Déjà, notre groupe de suivi suscite l'intérêt de toutes les commissions du Sénat, qui se découvrent une vocation européenne cachée. N'oublions pas le reste, c'est-à-dire la construction et l'intégration européenne, autour de l'Allemagne et de la France, auxquelles doivent s'adjoindre l'Italie, l'Espagne et la Pologne. Bref, nous étions dans une période difficile, nous entrons dans une période encore plus difficile. Mais il faut reconnaître que le comportement de certains hauts fonctionnaires européens, à Bruxelles, explique qu'un fossé se soit creusé avec les peuples. Lorsque je m'y suis rendu, il y a quelques semaines, avec M. Pozzo di Borgo, pour évoquer les sanctions contre la Russie, nous avons parfois été traités comme de petits enfants turbulents. Si nous avons ressenti cela, nous qui sommes des parlementaires avertis...
M. Jean Bizet, président. - Aguerris !
M. Simon Sutour. - ... que peuvent bien ressentir les citoyens ordinaires ? Il faut rendre à l'Europe une image positive. Longtemps, elle a été associée à la paix, mais pour les générations nouvelles, la seconde guerre mondiale est déjà loin. De fait, l'Europe a stabilisé nombre de situations de crises. En Irlande du Nord, c'était la guerre civile ! L'Europe y a investi beaucoup d'argent et effectué un travail de liaison entre les communautés, qui va peut-être s'interrompre...
M. André Gattolin. - On sent chez vous une certaine mansuétude envers M. Cameron, alors que celui-ci a choisi de démissionner au lieu d'assumer les conséquences du référendum, ce qui n'est pas très correct. Au fond, cette crise résulte du problème fondamental du système politique britannique, qui est le scrutin majoritaire à un tour. On peut diriger ce pays avec 33 % des suffrages ! En 2010, M. Cameron s'était allié avec les Libéraux-démocrates pour réunir 32 % des voix. En 2015, il en a rassemblé 38 % avec sa promesse de référendum. Mais le référendum relève d'une autre logique, puisqu'il réclame une majorité absolue. Le scrutin majoritaire à un tour accroît aussi la violence du débat.
Les négociations vont durer longtemps. Déjà, si le « remain » l'avait emporté, les propositions de M. Tusk auraient impliqué une renégociation des traités. Avec le Brexit, la moindre déclaration sur les modalités de négociation - faut-il l'aval du Parlement ou s'agit-il d'une prérogative royale ? - fait l'objet de recours juridiques. Résultat : le Quai d'Orsay, et plus encore le Foreign Office, seront très largement mobilisés par ces négociations pendant les années qui viennent, au détriment de leurs autres domaines d'action, et notamment de politiques qui pourraient rapprocher les peuples de la construction européenne.
M. Richard Yung. - J'ai fait campagne pour le « remain » les 21 et 22 juin dans le nord de l'Angleterre. Je me suis rendu à l'endroit où la députée travailliste a été assassinée. J'ai été frappé par la violence des débats. Sur l'immigration, la vindicte n'était pas seulement dirigée contre les Pakistanais...
M. Jean Bizet, président. - En effet.
M. Richard Yung. - Elle portait aussi contre les Polonais, et même contre les Français. J'en ai été blessé.
Il est difficile de comprendre qu'il faille attendre décembre, voire janvier, pour recevoir la notification, pour la seule raison que M. Cameron ne prend pas ses responsabilités. Les Anglais veulent jouer la montre, mais nous devons faire pression pour qu'ils organisent leur sortie le plus rapidement possible. Il sera sans doute difficile de réunir tous les pays de l'Union autour de la même position de fermeté. La Chancelière allemande a déjà adopté une approche différente, visant à préserver les liens avec ce grand marché.
M. Jean Bizet, président. - C'est malheureusement ce que nous ressentons.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Le référendum suffit-il pour engager le retrait, ou faut-il un vote du Parlement ?
M. Jean Bizet, président. - Excellente question.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Le Premier Ministre a annoncé hier au forum Paris Europlace qu'il réduirait le taux de l'impôt sur les sociétés à 28 %, et qu'il rendrait le régime d'impatriation applicable pendant huit ans. Hélas, la Bourse de Londres négocie déjà son association avec celle de Francfort.
M. Richard Yung. - Elles fusionnent.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Paris est déjà hors du coup, malgré les agitations. Cela devrait pourtant être une priorité. Une réaction du Gouvernement est indispensable, comme elle l'avait été lorsque la Bourse de Paris devait être rachetée par New York.
M. François Marc. - Business is business...
M. Jean Bizet, président. - Notre groupe de suivi sera très réactif et formulera des propositions.
M. Alain Vasselle. - Pour moi qui suis un non-initié aux affaires européennes...
M. Jean Bizet, président. - Qui apprend vite !
M. Alain Vasselle. - J'ai entendu dire que ce référendum n'est pas de même nature que ceux que nous connaissons en France, et qu'il ne constitue qu'un avis, ne liant aucunement le Gouvernement. Est-ce exact ?
Les 27 autres États membres sont-ils unanimes sur l'issue à donner à cette crise ? Les pays de l'Est n'ont-il pas des avis divergents ?
Les médias se font l'écho de l'intention de certaines banques de quitter l'Angleterre, ce qui détruirait nombre d'emplois sur place. Est-ce exact ?
Tout le monde parle de refonder l'Europe. Sur quelle base ? Le Brexit est un avertissement sérieux, car tous ses ingrédients sont présents en France. Si un référendum de ce type avait lieu dans les Hauts-de-France, il serait perdu...
M. Didier Marie. - Ce résultat est un séisme politique. M. Cameron, pompier pyromane, s'est brûlé, tout en provoquant une crise incommensurable. Le Brexit est l'occasion d'une remise en cause du modèle économique et social anglais issu des années Thatcher, sur lequel M. Blair n'est pas revenu, qui a pour effets une segmentation sociale extrême, une crise des services publics qui a meurtri les populations les plus modestes et les a amenées à rejeter en bloc le système, et un communautarisme exacerbé, qui pose la question de l'intégration et de la laïcité. Le modèle européen aussi doit être remis en cause car le déficit démocratique est patent. L'Europe, essentiellement économique et budgétaire, est illisible. Elle ne parle pas assez de la vie quotidienne. Pour autant, elle nous a permis de vivre en paix une ère de prospérité et d'enraciner la démocratie dans les pays de l'Est. Nous avons tous une part de responsabilité dans ce déficit démocratique.
L'activation de l'article 50 ne dépend que de la bonne volonté des Anglais. Pouvez-vous nous préciser le processus qui sera suivi ? Il faudra au prochain Premier Ministre une majorité pour le faire, et l'actuel Parlement n'est pas favorable au Brexit. La négociation avec la Grande Bretagne nécessitera de la fermeté et prendra du temps, avec près de mille accords à réviser, et devra être menée en parallèle de la relance du projet européen. Or l'attentisme de Mme Merkel comme les perspectives de la présidence slovaque font craindre qu'une telle relance soit compromise. Pourtant, sans une initiative rapide des pays fondateurs, nous nous enliserons.
M. Jean Bizet, président. - C'est pourquoi le président Larcher a lancé quelques invitations en Slovaquie.
M. Éric Bocquet. - Je suis d'accord avec l'analyse de Mme Keller et de M. Marie. M. Vasselle parle d'avertissement, mais ce n'est pas le premier : il y a eu les votes irlandais, néerlandais, français, sans parler du rejet de l'euro par les Suédois et les Danois. Chaque fois qu'on consulte le peuple, il dit non ! Cela prouve qu'il faut sortir de la logique de compétition pour privilégier la coopération. L'industrie financière est déjà en train de s'adapter au Brexit et le Royaume-Uni rejoint le dumping fiscal irlandais : M. Osborne, qui avait présenté en mars un budget construit avec un taux d'imposition sur les sociétés de 17 %, annonce que ce taux va baisser à 15 %. Je crains que le Royaume-Uni se sente encore moins concerné par la régulation financière.
M. Jean-Louis Bourlanges a eu une excellente formule en disant qu'avant le référendum, le Royaume-Uni avait un pied dedans et un pied en dehors de l'Union européenne, et qu'à présent ce serait l'inverse.
M. Jean Bizet, président. - Il a souvent de bonnes formules. Le temps économique va décidément plus vite que le temps politique.
M. Philippe Bonnecarrère. - Les responsables politiques doivent parler le moins possible sur ce sujet. D'abord, pour ne pas dramatiser. Puis, parce que pour être crédible, la parole politique doit être suivie d'effets. Avant d'annoncer une relance du projet européen, un sursaut, un nouveau traité, commençons par trouver un accord avec nos partenaires.
L'attente va durer, nous devons nous y préparer. L'article 50 ne sera activé que très tardivement. Je ne vois aucun motif d'enjoindre aux Anglais de se dépêcher, car cela nous place en situation de demande, ce qui n'est pas bon au début d'une négociation. La perspective des élections françaises et allemandes en 2017 ne devrait pas inciter les Anglais à se hâter.
Tout le monde parle du couple franco-allemand, mais dans la réalité, il diverge ! Et nos responsables politiques continuent à s'en prendre à l'Europe : voyez les déclarations de notre Premier Ministre annonçant son intention de ne plus respecter la directive sur les travailleurs détachés, ou la notification que la France n'entendait pas respecter son plan d'économies de 50 milliards d'euros, imposé par le Pacte de stabilité, ce qui ne devrait pas renforcer la confiance que les Allemands ont en nous.
Certes, de nombreuses remises en cause sont nécessaires. Le Centre, historiquement porteur de l'idée européenne, ne fait plus ce travail. À droite, les primaires mettent en relief des idéologies souverainistes. À gauche, le même exercice risque de conduire à rendre l'Europe responsable de tout ce qu'il y a de libéral dans notre économie. Bref, nous devons tous nous remettre en cause.
M. François Marc. - La compétition économique va s'exacerbant. Si la péripétie de ce référendum n'influera que modestement sur les affaires, il n'en va pas de même pour les politiques publiques en matière économique. « Nul n'est l'ennemi de ses propres intérêts » : on pourrait transposer cet adage aux gouvernants. Diminution du taux de fiscalité, adoption de mesures ultra-libérales, la Grande-Bretagne a déjà cédé à la tentation de faire cavalier seul. C'est contre ce risque majeur que nous devons lutter si nous voulons bâtir des politiques publiques porteuses d'avenir pour nos jeunes. Garantir à tous que l'Union européenne est en mesure d'apporter des réponses aux attentes individuelles de chacun, tel est l'objectif. Commençons par donner davantage de légitimité démocratique à ses représentants, que les Français connaissent mal.
Mme Colette Mélot. - Je félicite Mme Keller pour l'objectivité de son travail. Une onde de choc traverse l'Europe et notre pays en subit les secousses. Ce Brexit a été un révélateur. Nos gouvernants ont échoué à refonder l'Europe et à réconcilier les Français autour de cette idée. Faisons pression sur Bruxelles : le couple franco-allemand, l'Italie, l'Espagne, tous les pays fondateurs doivent s'unir pour bâtir un avenir commun. Jean-Louis Bourlanges a parfaitement résumé la situation en disant que les Britanniques avaient sacrifié leurs intérêts à leurs fantasmes. Il est urgent de déclencher l'article 50 pour que nous puissions remettre l'Europe en marche. Je souhaite que ce ne soit pas là un voeu pieux.
Mme Fabienne Keller. - Le Royaume-Uni est-il forcément conduit à mettre en oeuvre le résultat du référendum ? Le référendum a été longuement préparé et a fait l'objet d'un large débat. La Chambre des communes peut-elle aller contre ? Politiquement, ce serait peu conforme à l'histoire démocratique du Royaume-Uni, première démocratie parlementaire au monde. La Chambre des communes contre le peuple, voilà l'enjeu.
Qu'il s'agisse de la Grèce en 1980, de l'Espagne et du Portugal en 1985 ou de l'Irlande du Nord, à la fin des années 90, l'Europe a stabilisé beaucoup de situations. D'un point de vue symbolique, ce référendum est aussi un révélateur de la puissance de l'Union, même si elle n'a ni visage, ni parole, car il nous reste encore à construire une démocratie vivante. Quant aux conséquences économiques, le pragmatisme britannique est déjà à l'oeuvre, avec des signaux forts comme l'abaissement de la fiscalité pour encourager les entreprises à ne pas se délocaliser.
Les traités prévoient que le Brexit ne prendra effet que lorsque le chef du gouvernement britannique l'aura notifié à l'Union européenne, ce qui restera dans l'histoire comme le moment décisif du processus de sortie. Dans l'intervalle, chacun aura le temps de préparer les négociations. Les pays de l'Union européenne ont réagi rapidement, puisque la notification a été le grand sujet du Conseil européen des 28 et 29 juin. La balle est dans le camp du chef du gouvernement britannique.
Sur l'ensemble des votants, 17,4 millions se sont prononcés pour le Leave, et 16,1 millions pour le Remain. Avec 1 270 000 voix de différence, l'écart est franc. Comme l'a dit Jean-Pierre Raffarin, les deux camps sont restés sur leurs positions durant la campagne. Le camp du Leave, très dur sur l'immigration, n'a pas pris en compte les concessions accordées par les États membres. Le camp du Remain s'est concentré sur les conséquences économiques en cas de sortie de l'Union européenne. Bref, c'était un dialogue de sourds.
L'Europe n'a jamais autant progressé que dans les situations de crise. À nous donc de savoir rebondir sur les difficultés pour éviter que les populistes prennent la main. David Cameron n'a pas de majorité absolue. Le populisme monte dans beaucoup de pays européens. Il est essentiel que nous dessinions les perspectives de l'Europe à venir. Un sommet doit se réunir à Bratislava, le 16 septembre. Le couple franco-allemand, les États fondateurs, mais aussi le Royaume-Uni devront lancer des signaux forts. J'ai rappelé à mes interlocuteurs britanniques le magnifique discours pro-européen qu'a prononcé Winston Churchill, en 1949, au balcon de l'Aubette, pour saluer la création du Conseil de l'Europe, en souhaitant que les peuples d'Europe réfléchissent à leur avenir commun. Il est temps d'en revenir à l'essentiel, à la paix et à cet espace commun que nous voulons faire vivre.
M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie.
M. Éric Bocquet. - L'Histoire est cruelle : Boris Johnson a publié l'an dernier une très belle biographie de Churchill...
Institutions européennes - Audition de M. Pierre Sellal, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne
M. Jean Bizet, président. - Nous sommes heureux de vous recevoir. Il est très important pour la conduite de nos travaux d'avoir des contacts réguliers avec vous. Vous nous avez accueillis l'an passé à Bruxelles, nous vous avons ensuite auditionné au Sénat. Veillons à maintenir un rythme de rencontres qui nous permette d'échanger très régulièrement. Je vous remercie aussi de l'accueil que vous réservez à nos rapporteurs sur les sujets les plus variés. L'appui et les éclairages de la Représentation permanente nous sont très précieux.
Votre audition intervient dans un contexte très particulier pour l'Europe. Le référendum britannique est un choc pour la cohésion européenne. Mme Keller vient de nous rendre compte de son déplacement sur place le jour même du vote. La notification par le Royaume-Uni de sa décision de se retirer de l'Union pourrait ne pas intervenir avant la fin de l'année. Or c'est cette notification qui déclenchera le délai de deux ans prévu par le traité pour négocier un accord de retrait et pour que celui-ci devienne effectif. La déclaration des chefs d'État et de gouvernement du 29 juin demande que cette notification soit faite « aussi rapidement que possible ». L'Union ne peut demeurer dans l'incertitude sur une question aussi cruciale. Quelle est votre analyse sur ce point ?
Dans ce contexte difficile, chacun voit bien qu'une nouvelle impulsion politique est nécessaire. La déclaration des chefs d'État et de gouvernement évoque « une réflexion politique afin de donner une impulsion à la poursuite des réformes ». Un Conseil européen doit se tenir le 16 septembre. Notre sentiment est que rien ne se fera sans le moteur franco-allemand, aujourd'hui bien affaibli. Nous écouterons vos explications avec intérêt.
Le Sénat entend suivre avec une grande vigilance le processus de retrait du Royaume-Uni. Il sera également force de proposition pour engager la nécessaire refondation de l'Union européenne. Un groupe de suivi commun aux deux commissions des affaires européennes et des affaires étrangères sera mis en place.
L'Europe ne peut rester bloquée dans l'attente du règlement de la situation du Royaume-Uni. Elle doit répondre aux défis de l'heure. Le Conseil européen trace des voies sur la crise des migrants ou l'achèvement du marché unique. Nous relevons que la présidence slovaque met ces dossiers au coeur de ses priorités. Nous entendrons, là encore, avec intérêt vos analyses.
M. Pierre Sellal, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne. - C'est un privilège que d'être reçu dans votre commission. Le vote britannique est un événement historique et a un impact considérable à Bruxelles, avec un enjeu symbolique fort, puisque c'est la première fois depuis soixante ans qu'un État membre décide de se retirer. Les postulats qui présidaient à la construction européenne s'en trouvent affaiblis. Le projet européen n'est pas irréversible, alors que jusqu'à présent il était conçu comme un système voué à s'intensifier en termes d'intégration et à s'étendre en termes de compétences. L'équation qui identifiait le continent européen à l'Union européenne ne vaut plus. Enfin, on voulait croire, notamment à la Commission, que c'étaient les peuples plus que les États qui aspiraient à davantage d'intégration : le référendum britannique a montré l'inverse.
Le Brexit est tout simplement une amputation de l'Union européenne, à tous les niveaux, économique, politique, ou géostratégique. Si l'Europe n'en mourra pas, elle en sortira pour le moins différente. Je souscris à la formule de M. Van Rompuy : en cas de départ du Royaume-Uni, l'Europe sera différente, mais si la France ou l'Allemagne devaient la quitter, l'Europe n'existerait plus. Le camp du Brexit mesure déjà l'ampleur des dégâts à l'échelle nationale. On commence à prendre la mesure de la complexité des négociations à venir pour démanteler 43 ans de vie commune : imbrication du droit, des réalités économiques, des échanges de personnes... Enfin, l'événement appelle une réaction des partenaires du Royaume-Uni et des 27, d'où le rendez-vous de septembre à Bratislava, qui ne sera pas un Conseil européen mais une réunion informelle afin de réfléchir collectivement à l'avenir de l'Union européenne
Mme Fabienne Keller. - Parce qu'il n'aura pas lieu à Bruxelles ?
M. Pierre Sellal. - Oui. Mais surtout, dès lors que le Royaume-Uni n'est pas sorti et reste un État membre, on ne peut pas faire de Conseil européen à 27, sauf bien entendu lorsqu'il s'agira de fixer le mandat de la négociation avec le Royaume-Uni ayant notifié son retrait.
D'aucuns ont pu espérer que le référendum serait considéré comme consultatif, et que le Parlement britannique ne suivrait pas. L'ambiguïté, si elle a jamais existé, est désormais levée. David Cameron a clairement annoncé le 28 juin qu'il venait pour parler du départ du Royaume-Uni. Il a utilisé à deux reprises le mot « leave » dans sa déclaration très ciselée. À Berlin, la Chancelière et le Président de la République ont également indiqué que le résultat du référendum devait être considéré comme « irréversible », adjectif qu'ont repris la quasi-totalité des États membres. De mon point de vue, aucun gouvernement britannique ne pourra s'éloigner du résultat de ce référendum. Tous les candidats à la succession de M. Cameron l'ont dit : Brexit is Brexit.
Nous sommes tous devenus spécialistes de l'article 50...
M. Jean Bizet, président. - Nous ne le connaissions pas avant. C'est un apport giscardien.
M. Pierre Sellal. - Plutôt lamassourien... L'idée était d'indiquer que l'appartenance à l'Union résultait d'un choix volontaire, que nul ne pouvait être contraint de rester dans l'Union contre son gré. Ce choix politique s'est traduit par un paradoxe apparent, puisque le règlement de divorce peut faire l'objet d'un vote à majorité qualifiée alors qu'il faut l'unanimité pour être intégré ! Le veto d'un seul État membre ne peut suffire à contraindre un autre État à rester contre son gré. L'article 50 a l'avantage de procurer un cadre et une procédure ordonnés pour organiser la sortie d'un État membre de l'Union européenne.
Dans le cas du Royaume-Uni, il nous faut engager cette procédure le plus rapidement possible, car tout retard serait préjudiciable aux intérêts économiques tant britanniques qu'européens, comme le montrent les récentes fluctuations des marchés. Il ne s'agit pas de bouter les Anglais hors du continent et nous devons nous garder d'un langage à caractère trop punitif. L'intérêt partagé et le devoir de solidarité entre les États membres, voilà les arguments qu'il nous faut avancer. L'accord de février était un effort de solidarité destiné à faciliter la campagne référendaire de M. Cameron. Nous attendons que le Royaume-Uni nous rende la pareille en cessant de tergiverser.
Pour autant, l'article 50 repose sur l'initiative de l'État membre qui souhaite se retirer. Par conséquent, nous devons attendre que le Premier ministre britannique formalise le souhait de son pays de quitter l'Union européenne par un courrier ou une déclaration claire devant le Conseil européen. Un débat s'est ouvert au Royaume-Uni pour savoir si cette décision de notification relevait du gouvernement ou appelait un vote de la Chambre des Communes. La majorité des juristes à Londres considèrent qu'il n'est pas besoin d'un vote des Communes pour lancer la procédure, car il s'agit d'ouvrir une négociation, pas de signer l'acte juridique qui marque le retrait. Encore faudrait-il qu'il y ait un Premier ministre. David Cameron est démissionnaire et la situation politique est extrêmement confuse. Le parti conservateur devrait avoir fait son choix à échéance des 8 ou 9 septembre, souhaitons que l'incertitude soit levée le plus vite possible.
Les conservateurs et leur favorite, Mme May, manquent d'un plan B qui définisse des objectifs et un nouveau statut à proposer aux partenaires européens. La campagne du Remain s'est surtout construite sur des arguments négatifs qui démontaient les statuts intermédiaires envisagés pour éviter le Brexit. Que ce soit les conservateurs ou les travaillistes, aucun n'est capable de définir les relations à nouer avec l'Union européenne.
Dans cette incertitude, l'engagement de la procédure de l'article 50 est perçu par les Britanniques comme un compte à rebours, car le texte prévoit un délai de deux ans à partir de la notification de sortie de l'Union pour trouver un accord sur les modalités du divorce. À défaut d'un accord, le droit de l'Union européenne cessera automatiquement de s'appliquer, sauf accord unanime des États membres pour prolonger la négociation et ce délai de 2 ans. Le risque est loin d'être négligeable pour le Royaume-Uni. Voilà pourquoi le gouvernement britannique hésite, renvoie, louvoie. Ce n'est pas seulement par esprit dilatoire ; c'est aussi parce que la réalité politique est complexe.
Notre intérêt partagé est d'aller vite. Sachons convaincre les Britanniques, en affirmant clairement qu'il n'y aura aucun contact préalable, ni aucune négociation formelle sur le futur statut du Royaume-Uni avant l'engagement de la procédure. Nos amis britanniques ont un certain talent pour courtiser de potentiels alliés. Évitons d'être naïfs et ne les laissons pas rompre l'unité des 27. De plus, tant que la procédure n'est pas engagée, le Royaume-Uni reste pleinement un État membre, avec les droits et les obligations qui lui incombent. C'est une situation difficile à tenir pour le gouvernement britannique, qui aura du mal à justifier dans la durée que le pays continue à contribuer au budget européen ou à faire l'objet de procédures d'infraction de la part de la Commission européenne. Enfin, il y a la pression des marchés, les décisions d'investissements retardées, les délocalisations qui menacent...
Une fois que la notification aura été prononcée, il appartiendra au Conseil européen de fixer le cadre de la négociation du règlement de séparation, à l'unanimité. Ce n'est que dans un deuxième temps qu'il faudra organiser le statut futur du Royaume-Uni, qui sera un statut d'État tiers qui ne participera plus aux décisions européennes. Il faudra aussi réaffirmer le caractère indissociable des quatre libertés de circulation des biens, des prestations de services, des personnes et des capitaux, principes qui ont été rappelés dans la déclaration des 27 adoptée au lendemain du Conseil européen (à 28) le 29 juin, à l'initiative d'ailleurs du Premier ministre de Malte. Enfin, nous devrons également inscrire un principe général de bonne coopération avec un pays qui restera un partenaire essentiel de l'Europe.
L'article 50 opère une distinction entre le règlement de divorce et la définition du statut futur qui ne pourra être conclu qu'une fois que la sortie du Royaume-Uni sera effective et selon une procédure différente. Néanmoins, il est précisé que le règlement de divorce devra être conçu en tenant compte de ce que sera le statut futur du Royaume-Uni par rapport à l'Union. Dans le cas où le Royaume-Uni n'entretiendrait plus que des relations juridiques minimales avec l'Union européenne, le règlement de divorce organisera la cessation complète de l'application du droit européen, avec sans doute l'aménagement de certaines périodes de transition. Dans le cas de relations plus développées et plus proches qui reprendraient la quasi-totalité du droit européen, le règlement de divorce organisera surtout des passerelles entre la situation actuelle et celle où le pays continuerait à appliquer ce droit, mais sans participer à son développement.
M. André Gattolin. - Comme pour la Norvège.
M. Pierre Sellal. - Plus ou moins. La définition de ce statut futur dépendra du choix que feront les Britanniques. Il y a trois ou quatre ans, le gouvernement britannique avait lancé un audit du droit européen, à l'initiative du parti conservateur. Au grand dam des eurosceptiques, cette « revue des compétences » avait conclu que le droit européen n'était pas si mauvais et correspondait fondamentalement aux intérêts britanniques.
Le Royaume-Uni se trouve devant un dilemme entre la viabilité économique et la souveraineté. Le cas norvégien est l'une des références possibles, celle qui permet d'aller le plus loin dans le maintien des liens économiques. Mais c'est une intégration économique sans représentation : la Norvège est tenue d'appliquer le droit communautaire sans participer aux décisions sur l'évolution de ce droit. Au point de vue de la souveraineté, c'est une humiliation ; c'est en tout cas un résultat très différent de celui promis par les partisans du Leave ; au point de vue économique, c'est la solution la plus satisfaisante.
Faire partie du marché intérieur, c'est accepter la primauté du droit européen sur le droit national - un point très combattu par le camp du Brexit -, l'unité d'interprétation du droit par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et le contrôle de l'application de ce droit par la Commission, les manquements étant sanctionnés par la CJUE. Si l'on privilégie l'accès au marché intérieur, à travers le système du passeport européen notamment, il faut accepter tout cela en renonçant à participer aux discussions et aux décisions sur ce système. La Norvège l'a fait.
M. André Gattolin. - La classe politique norvégienne est très favorable à l'Europe.
M. Pierre Sellal. - Mais le Royaume-Uni peut-il accepter une telle solution ? Sans compter que pour accéder au marché intérieur, il devrait d'abord rejoindre l'Association européenne de libre-échange (AELE) - aux côtés de la Norvège, de l'Islande et du Liechtenstein - puis intégrer l'espace économique européen. C'est peu gratifiant, et la Norvège elle-même n'est pas favorable à une arrivée du Royaume-Uni qui déséquilibrerait l'AELE. Ajoutons que la Norvège fait partie de l'espace Schengen. Il serait pour le moins paradoxal que le référendum conduise le Royaume-Uni à le rejoindre...
Autre formule, le système suisse, plus respectueux de la souveraineté nationale, qui repose sur une série d'accords bilatéraux - plus d'une centaine - avec l'Union européenne. Compte tenu de l'imbrication encore plus forte des relations entre le Royaume-Uni et l'Union, fruit de 43 ans de vie commune, une telle solution impliquerait encore davantage de complexité, de lourdeur, et une gouvernance difficile. Du reste, une négociation est en cours avec la Suisse pour revoir ce système assez défectueux. L'un des enjeux est l'interdépendance entre les accords et les obligations afférentes. Ainsi, la clause dite « guillotine » prévoit une remise en cause d'autres accords en cas de manquement à l'un d'entre eux - une situation qui s'est produite lors du référendum suisse remettant en cause la libre circulation des personnes. Il faudrait imaginer une disposition analogue avec le Royaume-Uni, ce qui semble difficile.
Enfin, une relation sur le modèle de l'accord transatlantique que l'Union européenne a passé avec le Canada crée des liens économiques et juridiques mais reste en deçà de ce qu'attend le Royaume-Uni, en particulier pour les services financiers : ce modèle ne prévoit pas l'équivalent d'un passeport européen.
Au Royaume-Uni de choisir, d'arbitrer entre l'intérêt économique et la limitation de souveraineté et de nous soumettre ses propositions. Une chose est sûre, la solution trouvée sera moins satisfaisante que la situation d'État membre. Malheureusement, la campagne du Remain n'a pas réussi à le montrer. Un État membre a un commissaire européen, un siège au Conseil européen, des parlementaires et un juge à la Cour de justice de l'Union européenne. Pas un État tiers.
Avec nos partenaires, nous devrons être fermes dans la défense de nos intérêts. Rien ne serait pire qu'un accès maintenu au marché européen pour les entreprises britanniques, sans la pleine application des règles du droit de l'Union, ce qui sera le cas si le passeport européen ne s'accompagne pas d'une régulation européenne garantissant des conditions de concurrence égale aux entreprises de l'Union européenne. La France et la majorité de nos partenaires refusent également la logique du pick and choose, consistant pour le Royaume-Uni à choisir ce qui l'intéresse dans l'Union européenne : une participation pleine et entière au marché intérieur et aux services, assortie de contraintes moindres sur la circulation des personnes, d'une exonération de toute participation à la politique de cohésion et à la PAC. Si nous acceptons cela, il n'y aura plus d'Europe, parce que d'autres pays réclameront des avantages analogues.
La France doit cependant se rappeler les échanges économiques, les relations stratégiques, les intérêts croisés en matière de défense, la proximité géographique qui justifient le maintien de liens étroits sur le plan bilatéral et d'un cadre européen favorable à nos relations. Au seul point de vue économique, le Royaume-Uni est le premier poste d'excédent commercial de la France.
Il convient que la sortie se déroule dans une unité aussi grande que possible des 27 - le Président a insisté sur ce point - et dans la transparence. Les négociations doivent être conduites dans le cadre strict de l'article 50, pour éviter les débauchages, les compromis particuliers, les échanges singuliers d'avantages.
Le Conseil européen de la semaine dernière s'est déroulé en trois temps : la réunion proprement dite du Conseil, le dîner consacré à la question britannique et, le lendemain, la réunion à 27. Il serait erroné d'ignorer, en considérant que seul le Royaume-Uni est concerné, que ce référendum reflète une insatisfaction de beaucoup de nos concitoyens à l'égard du fonctionnement de l'Union. Deux messages qui peuvent sembler contradictoires ont émergé de la réunion : l'Europe ne s'arrête pas, les politiques communes ne sont pas suspendues et nous allons de l'avant dans le cadre de l'agenda stratégique défini il y a deux ans ; mais rien ne serait pire que le business as usual, privilégier la continuité sans tenir compte du message délivré par le référendum.
Deux thèmes orientent la réflexion des 27 : le recentrage et les résultats. L'action européenne doit être focalisée, concentrée et plus visible sur les priorités que sont la sécurité, attente principale des Français, la protection, l'emploi, avec une attention particulière pour la jeunesse qui, dans sa majorité, a voté pour le Remain. Ensuite, l'Union européenne doit délivrer des résultats visibles, concrétisés dans des indicateurs. Nourrir cette réflexion et la concrétiser, c'est le programme de l'été...
Une illustration de l'ampleur de la tâche qui attend le Royaume-Uni : en quittant l'Union européenne, il sort des 54 accords commerciaux en vigueur entre l'Union et les pays tiers : il devra ainsi renégocier chacun d'entre eux de manière bilatérale. Or le commerce extérieur est, historiquement, la première compétence de l'Union européenne qui, depuis plus de quarante ans, conduit les négociations commerciales au nom des Etats membres. Ces derniers ont par conséquent perdu ces capacités qu'il faudra recréer au niveau national. C'est le cas dans d'autres domaines comme la réglementation des produits pharmaceutiques ou du transport aérien. Voilà sans nul doute un fort gisement d'emplois ! Symétriquement, les fonctionnaires britanniques à Bruxelles s'interrogent sur leur avenir.
De notre côté, nous préparons avec notre partenaire allemand des propositions et des initiatives dans la perspective de la réunion du 16 septembre.
M. Jean Bizet, président. - On a le sentiment qu'avec les Allemands, la convergence de vue n'est pas parfaite.
M. Pierre Sellal. - Il y a un accord sur ce qu'il ne faut pas faire : le Président et la Chancelière ne croient pas que la situation appelle aujourd'hui une réponse institutionnelle ou une réforme des traités. Tout ce que nous souhaitons faire peut l'être dans le cadre du traité actuel ; au vu des échéances politiques, toute novation institutionnelle semble impossible. Les dernières expériences de révision des traités montrent que l'aléa lié à la ratification est très élevé, à supposer même que l'on parvienne à un consensus sur le contenu d'un nouveau traité.
La sécurité, interne et externe, est l'un des points de consensus positif. La Chancelière a fait état d'une prise de conscience, en Allemagne, de la nécessité d'un effort national de défense accru.
M. Jean Bizet, président. - L'ambassadeur allemand en France, Nikolaus Meyer-Landrut, a confirmé ce besoin devant nous, chiffres à l'appui.
M. Pierre Sellal. - Mme Merkel a également souscrit au besoin de protection ; veillons à ne pas lui donner un caractère défensif et protectionniste. Le référendum a néanmoins mis en évidence une hantise des effets négatifs de la mondialisation à laquelle il faut répondre.
Sur l'économie et la création d'emplois, nous n'avons pas de divergence. Il est vrai que les Allemands sont soucieux de ne pas créer de nouveaux dispositifs et d'utiliser pleinement le cadre existant, alors que la France montre plus d'allant. En tant que premiers bénéficiaires du fonds Juncker, que nos régions et nos administrations ont su utiliser à plein, nous souhaitons sa prolongation et son extension. Plus réticent, Wolfgang Schäuble veut d'abord une évaluation.
Enfin, Allemands et Français partagent la conviction qu'ils ont l'obligation morale et politique de formuler des propositions. Le riche document de travail présenté par les deux ministres des affaires étrangères illustre notre capacité à trouver des points d'accord, même si la grande coalition au pouvoir en Allemagne ne facilite pas les choses.
M. André Gattolin. - Angela Merkel a réagi fraîchement à cette initiative...
M. Pierre Sellal. - Les élections législatives allemandes sont proches ; les initiatives conjointes d'Emmanuel Macron et Sigmar Gabriel d'un côté, de Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier de l'autre sont perçues, de notre côté, comme reflétant des positions gouvernementales ; ce n'est pas toujours le cas du côté allemand. Cela n'enlève rien au travail conduit en commun. Pour conserver sa capacité d'entraînement, le couple franco-allemand se doit d'être exemplaire et de montrer qu'il est possible d'avancer sur des questions comme l'impôt sur les sociétés ou le salaire minimum.
Mme Fabienne Keller. - Le référendum a eu un effet révélateur : des paroles prononcées pendant la campagne ont été vidées de leur sens - ainsi de la promesse, par le camp du Brexit, d'affecter au NHS le versement britannique à l'Union européenne, aussitôt désavouée par Nigel Farage puis Boris Johnson. Peut-on tirer profit de ces renoncements pour répondre au populisme et aux déclarations simplistes sur l'Union européenne ?
En matière de résultats, on ne peut que se réjouir du vote par le Parlement européen de la création d'un corps de garde-frontières : c'est une décision bienvenue sur un sujet - la maîtrise des migrations - qui préoccupe beaucoup les Français et les Européens. Faut-il s'attendre à des progrès sur la liste des États sûrs ? Sur la question des travailleurs détachés, il y a une certaine dualité entre la parole européenne et la parole nationale. Au Royaume-Uni comme en France, les reproches adressés durant des décennies à l'Europe sur ce point n'ont pas trouvé de réponse, et nous le payons aujourd'hui.
Quel est le calendrier de la sortie britannique, dans l'hypothèse d'une notification en décembre ? Enfin, le Brexit reconstitue une frontière européenne en Irlande, où la libre circulation des personnes avait été établie au milieu du XIXe siècle. Les Britanniques trouveront-ils une solution pour ne pas aller à l'encontre de l'Histoire ?
M. Yves Pozzo di Borgo. - La commission des finances a produit un rapport remarquable sur les conséquences du Brexit, avant même le référendum.
La sortie britannique se traduira-t-elle par un affaiblissement de la Commission européenne ? Les attaques contre son président et l'une de ses rares figures politiques, Jean-Claude Juncker, se multiplient.
L'Europe, pendant ce temps, continue : la récente décision de la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, sur les télécom a provoqué une chute des valeurs du secteur en Italie, alors qu'elle ne va pas dans le sens des évolutions du marché. C'est problématique.
M. Jean-Yves Leconte. - Le Royaume-Uni assurera-t-il la présidence de l'Union européenne l'an prochain ?
Compte tenu du temps que prendra ce processus de déconstruction et des ressources qu'il mobilisera, il faudra établir des priorités dans l'agenda. Avons-nous les personnes, le temps et les capacités d'analyse pour faire progresser la construction européenne dans le même temps ? C'est un divorce où les deux parties se remarient juste après... Le nouveau traité sera probablement soumis à la ratification de tous les États membres : une incertitude de plus. Peut-on conjuguer la déconstruction et la construction ?
On peut se demander si les Britanniques souhaiteront conserver un accès au marché intérieur en renonçant à tout pouvoir de décision : accepteront-ils de subir ce qu'ils pouvaient contrôler ? Dans le cas contraire, une élection pourrait arrêter le processus.
L'audition du directeur général du commerce à la Commission européenne sur le traité transatlantique m'a donné l'impression que la Commission, lorsqu'elle négocie au nom des États membres, n'a pas la maîtrise des intérêts nationaux. Quelqu'un l'a-t-il dans les négociations de ce type ?
M. Alain Vasselle. - On s'émeut du Brexit, mais dans la région où je suis élu s'exprime une forme de soulagement, alimenté par le sentiment que le Royaume-Uni profitait des avantages de l'Europe sans ses contraintes.
A-t-on une idée des points sur lesquels le Royaume-Uni souhaite négocier, et sur ceux que les 27 considèrent comme non négociables ?
Enfin, question concrète : le conseil municipal de ma commune de 250 habitants compte une élue de nationalité britannique. Pourra-t-elle conserver son mandat ?
M. Philippe Bonnecarrère. - Je salue la qualité de votre présentation et votre sens de la synthèse et de la pédagogie, nourri par la passion qui vous anime.
Il ne faut pas exclure que le provisoire s'installe pour très longtemps. D'abord, l'avantage pour le Royaume-Uni de voir la situation se stabiliser au plus vite, de peur d'une sanction des marchés, ne doit pas être exagéré : le pays possède une monnaie flottante et les marchés sont mondialisés. Les Britanniques ont plutôt intérêt à attendre de connaître leurs futurs interlocuteurs, eu égard aux élections qui se profilent dans plusieurs pays.
Je ne peux que souscrire à l'importance d'une position commune des 27, et au principe de ne commencer la négociation que lorsque le déclenchement de l'article 50 nous sera notifié. Mais si j'étais dans la position britannique, j'attendrais de savoir comment la sortie s'organise pour donner cette notification. Le blocage peut durer longtemps.
Il y a aussi le problème constitutionnel, que je n'avais pas mesuré. Qui décide du déclenchement du processus juridique et technique au Royaume-Uni, et sous quelle forme ? Vous avez dit que pour une majorité des constitutionnalistes britanniques, le Premier ministre peut donner la notification au moment qu'il jugera opportun : la décision relève du référendum, l'ouverture des négociations est une prérogative de l'exécutif. Il est permis de ne pas partager ce sentiment : certes, la notification ouvre une négociation mais elle déclenche surtout un processus conduisant au départ après deux ans, sauf prorogation. C'est un véritable acte juridique qui vaut départ décalé. Je crois savoir qu'historiquement, l'arbitrage revient à la Chambre des Lords. Le débat pourrait en tout cas durer longtemps. De plus, si j'étais le Premier ministre du Royaume-Uni, je me couvrirais par un vote des Communes qui pourrait poser problème.
Enfin, les tensions politiques importantes au Royaume-Uni risquent de déboucher sur des élections anticipées qui pourraient donner des résultats opposés à ceux du référendum. Voilà pourquoi il ne faut pas exclure que le provisoire dure.
M. Simon Sutour. - Sur le vote du Parlement britannique, j'incline à penser que le peuple souverain s'est exprimé par le référendum.
Nous avons souvent été exaspérés par les Britanniques. Lors des négociations du pacte budgétaire, ils essayaient, par pays interposés, de nous expliquer ce qu'il fallait faire, alors qu'ils ne font pas partie de la zone euro... Ne soyons pas punitifs pour autant.
Évitons aussi que le Brexit ne fasse oublier d'autres problématiques européennes. Vous nous avez indiqué, lors d'une rencontre sur le sujet des sanctions russes, que les prises de position du Parlement pourraient vous aider dans votre travail. Nous avons fait voter, malgré des pressions, une proposition de résolution européenne sur le sujet, par une majorité de 300 contre 16. Nous n'attendons pas la levée immédiate des sanctions mais l'impression persiste qu'elles sont reconduites à perpétuité et ne sont plus considérées comme un problème. Difficile de continuer ainsi, notamment pour les sanctions qui frappent les parlementaires. Votre éclairage ?
M. Jean Bizet, président. - Comment faire en sorte que Paris redevienne une place financière de premier plan ? Nous n'avons pas de raison de ne pas jouer notre carte.
M. Pierre Sellal. - Le référendum a en effet mis en lumière les billevesées et les mensonges des europhobes et des populistes. Montrer que le coût de la sortie est supérieur à ses avantages, sans pour autant nous montrer trop punitifs, est la meilleure réplique que nous puissions donner.
Vous soulignez à juste titre l'importance de l'accord sur les garde-frontières : il montre le consensus sur le besoin de protection et l'exigence d'un contrôle renforcé de nos frontières extérieures. Cette idée, qui touche au plus intime de la souveraineté, a été évoquée pour la première fois dans une lettre commune d' Helmut Kohl et de François Mitterrand il y a 25 ans. Elle a été ensuite bloquée par nombre de partenaires, pas seulement parmi les nouveaux Etats membres, très attentifs aux marques de leur souveraineté. Le besoin de sécurité a rendu acceptable et même nécessaire une telle décision qui se traduit par la présence d'uniformes étrangers à sa propre frontière, si nécessaire.
Il semble très difficile d'envisager que le Royaume-Uni soit encore un État membre pour les élections européennes de 2019. C'est une échéance raisonnable et politiquement significative, et le calendrier dans lequel nous nous inscrivons.
Je ne crois pas que, d'un point de vue politique et économique, nous puissions rester dans une incertitude prolongée. On peut certes imaginer l'hypothèse de nouvelles élections générales au Royaume-Uni, un nouveau gouvernement qui serait élu sur la base d'une remise en cause de la sortie... Si à ce moment-là la négociation du divorce au titre de l'article 50 n'est pas achevée, la question politique et juridique d'un retrait de la notification de départ sera posée. Si en revanche la négociation était terminée le Royaume-Uni reviendrait dans le cadre de l'article 49, c'est-à-dire d'une adhésion simple. En dehors de cette hypothèse, qui ne paraît pas la plus probable, je ne crois pas possible de différer une notification formelle au-delà du début 2017, et la sortie après 2019.
Les situations de l'Irlande du Nord et de l'Écosse sont différentes. Elles ont toutes deux vocation à être réglées par les Britanniques. La position prise publiquement par Jean-Marc Ayrault sur ce point est juste : les mécanismes et les procédures européens ne doivent pas susciter la division au sein des États membres. Certains d'entre eux, je pense notamment à l'Espagne, seront particulièrement vigilants sur ce point.
La directive sur les travailleurs détachés, vieille de vingt ans, est fréquemment contournée. Une correction s'impose. Voilà un domaine où la notion de protection doit trouver une pleine expression. Le ton de notre Premier ministre sur le sujet fait écho à la véhémence manifestée dans plusieurs formations du Conseil, à Bruxelles, par un groupe de onze États membres d'Europe centrale et orientale qui refusent toute modification du régime actuel. Dans la perspective de la négociation à venir, une telle prise de position, marquant fermement notre volonté de mettre fin aux abus, n'est pas malvenue.
Jean-Claude Juncker sera-t-il une victime expiatoire du Brexit, duquel il n'est aucunement responsable ? En Allemagne, le vieux débat du caractère politique ou technique de la Commission européenne a refait surface. La France elle-même a toujours oscillé entre les deux positions, selon que la Commission agissait de manière conforme ou non à ses attentes... Il n'est pas raisonnable de vouloir des institutions plus à l'écoute des peuples tout en refusant tout rôle politique à la Commission européenne. Dans les discussions sur le pacte de stabilité et de croissance, l'Allemagne a parfois reproché à Jean-Claude Juncker une trop grande mansuétude à l'égard de la France, un manque de fermeté vis-à-vis de l'Espagne et du Portugal.... A nos yeux, la crédibilité du pacte et le respect nécessaire des règles n'impliquent pas de demander à la Commission de ne pas tenir compte de l'absence de gouvernement en Espagne et de la période d'austérité que vient de traverser le Portugal.
J'ai la conviction que nous pouvons continuer à mettre en oeuvre les politiques européennes, dont la politique de concurrence reste l'un des fleurons. Dans le domaine du numérique, quel pays tente de résister à la position dominante des groupes mondiaux ? Microsoft a été sanctionné par le commissaire à la concurrence d'alors, Mario Monti ; Margrethe Vestager s'est attaquée à la position dominante de Google. L'autorité de la concurrence des États-Unis ne le fait pas, la Chine non plus. Certes, des décisions contestables ont été prises dans le domaine des télécom, mais les autorités nationales sont au moins aussi rigoureuses.
M. Jean Bizet, président. - Plus qu'il n'est nécessaire !
M. Pierre Sellal. - Le risque que l'agenda européen soit dominé par la question du Brexit est réel. Au sortir d'une crise économique et financière, qu'il importe de surmonter définitivement, alors que la crise migratoire est en voie d'être maîtrisée, nous pensions être en mesure d'aborder les sujets de fond... Veillons à poursuivre les politiques européennes.
Toute interruption du processus de retrait supposerait, à mes yeux, qu'il y ait des élections générales au Royaume-Uni. Les Communes sont certes souveraines. Mais elles ne peuvent ignorer le résultat du référendum. On ne peut cependant pas complètement écarter l'hypothèse d'un changement de position britannique. Quoi qu'il en soit, le règlement de divorce n'appelle pas ratification par les États membres ; la mise en place d'un nouveau statut, par exemple une formule à la norvégienne, implique en revanche un processus long puisque tous les États membres devront ratifier un tel accord.
La Commission européenne a pour vocation de promouvoir l'intérêt général européen, la synthèse réussie des intérêts nationaux. Mon rôle consiste à faire en sorte que les intérêts français pèsent aussi fort que possible dans cette synthèse. Certains arbitrages nous sont parfois défavorables, même si cela reste rare. Pour parer au risque, nous tenons à ce que le Conseil européen puisse se prononcer sur le résultat de la négociation, et il le fait à l'unanimité. D'où notre fermeté sur l'accord avec le Canada ou l'obligation que nous avons faite à la Commission européenne d'obtenir un mandat à l'unanimité pour négocier le traité transatlantique, ce qui implique que le résultat soit également approuvé à l'unanimité. J'espère que la Cour de justice, actuellement saisie dans une autre affaire, ne viendra pas affaiblir notre position juridique sur ce point. Si l'intégralité de la politique commerciale devait relever de la majorité qualifiée, il faudra que nous soyons encore plus actifs et performants dans la surpondération des intérêts français. Pour l'instant, l'unanimité reste la meilleure garantie de la préservation des principes auxquels nous tenons.
À devoir choisir entre leurs intérêts économiques et les encoches à leur souveraineté, les Britanniques sont face à un dilemme. Mettre fin à la primauté du droit communautaire et limiter la circulation des personnes, tels étaient les sujets au coeur de la campagne du Brexit. On est à l'inverse du modèle norvégien qui impose la reprise du droit européen sans participer à son élaboration, ce qui est encore plus sévère en termes de souveraineté, tout en acceptant la libre circulation des personnes en contrepartie de l'accès aux autres libertés. Je ne peux pas préjuger de ce que sera l'arbitrage britannique.
Les 27 ont pour objectif de défendre leurs intérêts économiques et politiques, naturellement, mais aussi les principes européens et de conjurer le risque de contagion des statuts à la carte. Le refus du passeport européen pour les services établis à Londres est un enjeu majeur, car il s'agit d'éviter que les entreprises basées au Royaume-Uni continuent de bénéficier des facilités d'accès au marché européen sans l'application pleine du droit de l'Union et sans contreparties. Si l'on veut renforcer l'attractivité de la place de Paris tout en fermant la voie au détricotage du droit de l'Union, il faut être ferme : Londres ne doit plus pouvoir bénéficier des avantages actuels. Par exemple, un arrêt du tribunal de l'Union a explicitement posé que les chambres de compensation en euros pouvaient être basées hors de la zone euro, à condition que ce soit dans un État membre. Elles n'auront plus leur place à Londres devenue capitale d'un pays tiers.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Lors de la réunion d'Europlace, hier, M. Valls a annoncé deux mesures : l'allongement à huit ans de la période d'exemption fiscale pour les impatriés et la baisse de la taxe sur les sociétés à 28 %. N'y a-t-il pas déjà des négociations en cours entre la place de Londres et celle de Francfort ? Le couple franco-allemand a-t-il vraiment une influence, ou tout se joue-t-il entre les sociétés ?
Mme Fabienne Keller. - Rien de nouveau là-dedans.
M. Pierre Sellal. - Il s'agit d'abord d'une affaire entre sociétés privées. Le Gouvernement français, sans être directement partie, a fait part de ses réserves sur la fusion en projet, au nom de préoccupations de régulation et de concurrence. Les Britanniques ont beau jeu de dire que le Brexit ne change rien ! Les Allemands semblent plus sensibles au risque de poursuivre une opération dans des conditions aussi incertaines.
Quant aux citoyens qui détiennent un mandat électoral en France, ils perdront le droit de l'exercer dès lors que le Royaume-Uni ne sera plus État membre.
M. Jean-Yves Leconte. - À la fin de leur mandat ?
M. Simon Sutour. - Quand un élu est condamné en justice, son mandat cesse immédiatement.
M. Pierre Sellal. - La question se pose aussi pour les fonctionnaires européens de nationalité britannique.
Mme Fabienne Keller. - M. Juncker les a rassurés.
M. Pierre Sellal. - Je suis frappé de voir le nombre de fonctionnaires britanniques qui font état d'un conjoint qui a la nationalité d'un État membre.
M. Jean Bizet, président. - Il y a du mariage dans l'air.
M. Pierre Sellal. - D'un point de vue politique, il sera difficile de justifier que le budget européen continue à payer les traitements et les retraites de fonctionnaires non communautaires. Il incombera au Royaume-Uni de s'en acquitter.
M. Jean-Yves Leconte. - On créera un précédent dommageable pour la liaison entre les fonctionnaires européens et leur État d'origine.
M. Pierre Sellal. - Chacun s'attendait à ce que M. Cameron décline la présidence britannique du deuxième semestre 2017. Il demande le temps de la réflexion pour décider. L'Estonie doit pouvoir bénéficier d'un préavis suffisant pour anticiper sa présidence. M. Cameron a indiqué qu'il nommerait un nouveau commissaire européen pour remplacer Lord Hill, qui a démissionné. Quel portefeuille sera confié à ce nouveau commissaire ? Certainement pas celui des services financiers. En faire un commissaire exclusivement chargé de la question du Brexit ? Ce serait contre l'esprit de la Commission.
A ma connaissance, la Chambre des Lords a clairement confirmé qu'il n'y avait pas d'alternative possible à l'article 50 si le Royaume-Uni se retirait de l'Union européenne. Elle a été moins nette sur la répartition des compétences entre l'exécutif et les Communes. La majorité des juristes considèrent que la décision de la notification revient au Premier ministre.
La résolution votée par le Sénat sur les sanctions russes était remarquablement équilibrée : elle exprimait une intention politique relative à leur évolution tout en reconnaissant l'insuffisance de la mise en oeuvre actuelle des accords de Minsk. J'ai eu l'occasion de souligner à Bruxelles que toute décision de reconduction devait relever d'une appréciation politique, exigence qui inspirait la résolution de votre assemblée. Le Président de la République et la Chancelière ont été invités à exprimer leur appréciation au cours du Conseil européen. Le degré de mise en oeuvre des accords de Minsk ne justifie pas la levée des sanctions ; mais le principe, comme l'a souligné le Président de la République, doit être de les prolonger ou de les moduler selon les progrès ou les régressions.
M. Jean Bizet, président. - Le fait que les sanctions visant les parlementaires ne soient reconduites que pour trois mois est-il l'amorce d'une sortie de crise ?
M. Pierre Sellal. - Ces sanctions ont été reconduites pour six mois, mais en mars. D'où l'échéance qui est au 15 septembre. La question se posera alors d'une reconduction pour trois mois. L'avantage serait d'envoyer le signal que vous avez évoqué, et d'avoir en décembre une échéance unique pour les sanctions économiques et les sanctions individuelles. L'inconvénient serait de donner l'impression que les sanctions ne font qu'un seul bloc, ce qui pourrait conforter la position américaine, soutenue par plusieurs États membres, selon laquelle il ne peut y avoir de levée des sanctions que totale, en échange d'une application complète des accords de Minsk, en fermant ainsi la voie à de possibles modulations.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Je reviens de l'assemblée parlementaire de l'OSCE, à Tbilissi, où l'état d'esprit avait bien changé depuis Helsinki. Une résolution très ferme a été votée, contre l'avis des Américains, des Ukrainiens et des pays baltes, mais à une large majorité, demandant que l'ensemble des parlementaires de l'OSCE puissent circuler librement. Le secrétaire général de l'OSCE m'a indiqué que la situation, sur place, évoluait plutôt favorablement.
M. Pierre Sellal. - Le président du Parlement européen a lui aussi déclaré qu'il était anormal que les contacts parlementaires soient entravés.
M. Jean Bizet, président. - Merci pour la qualité et la netteté de vos réponses. Nous nous reverrons sans doute plus fréquemment qu'en temps normal, ce qui est une bonne nouvelle ! Notre groupe de suivi sera très actif.
La réunion est levée à 11 h 35.