- Mardi 24 novembre 2015
- Loi de finances pour 2016 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » - Examen du rapport pour avis
- Loi de finances pour 2016 - Mission « Égalité des territoires et logement » - Examen du rapport pour avis
- Loi de finances pour 2016 - Mission « Économie » - Examen d'un amendement
- Mercredi 25 novembre 2015
- Loi de finances pour 2016 - Mission « Politique des territoires » - Crédits « Ville » - Examen du rapport pour avis
- Loi de finances pour 2016 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » - Crédits « Énergie » - Examen du rapport pour avis
- Loi de finances pour 2016 - Mission « Ecologie, développement et mobilité durables » - Crédits « Pêche et aquaculture » - Examen du rapport pour avis
- Loi de finances rectificative pour 2015 - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
- Désignation d'un rapporteur
Mardi 24 novembre 2015
- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -Loi de finances pour 2016 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » - Examen du rapport pour avis
La réunion est ouverte à 14 h 30.
M. Gérard César, rapporteur pour avis. - Comme cela était prévu dans la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, les crédits en faveur de l'agriculture diminueront une nouvelle fois en 2016. Le budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » s'élève à 2,81 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 2,75 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une baisse, considérable, de 9 % en AE et de 6,5 % en CP. Le budget du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural », pour sa part, (Casdar) reste stable : 147,5 millions d'euros en dépenses comme en recettes.
Certes, une partie de la réduction de l'enveloppe de cette mission s'explique par la prise en charge par la PAC ou d'autres budgets de dispositifs qui demeurent. Néanmoins, certaines baisses résultent de choix politiques : dans le contexte de crise actuelle, on peut s'étonner que les besoins budgétaires pour 2016 aient été estimés au plus juste, sans marge de manoeuvre.
J'en viens aux quatre programmes de la mission.
Avec 1,39 milliard d'euros en AE et 1,3 milliard en CP, le programme 154 qui porte les dispositifs d'intervention économique en faveur de l'agriculture reste le principal programme de la mission. C'est aussi celui qui enregistre l'essentiel des baisses puisque la dotation l'an dernier était de 1,62 milliard d'euros en AE et 1,42 milliard en CP. La forte baisse des AE s'explique par le fait que les mesures agroenvironnementales ont été budgétées en 2015 pour cinq ans. Les crédits correspondants disparaissent donc en 2016. Le reste des baisses d'AE et de CP, soit environ 120 millions, s'explique par la fin du soutien à l'assurance récolte par le budget national, l'ensemble des financements passant sur crédits européens et par le transfert d'une partie importante des prêts à l'installation des jeunes agriculteurs au budget européen.
Parmi les points positifs, notons le maintien de l'enveloppe d'aide aux filières ultramarines, à hauteur de 86,4 millions d'euros, ou encore l'augmentation de 30 millions d'euros de l'enveloppe destinée à financer le plan pour la compétitivité et l'adaptation des exploitations agricoles (PCAE), qui s'élève à 86 millions, mais ce sont les AE qui augmentent, pas les CP qui passent de 45 millions à 30 millions d'euros. Il faudra donc des crédits en 2017, sinon le PCAE aura été un jeu de dupes.
Ce budget n'est pas à la hauteur des attentes en matière de crédits de crise : les dispositifs « Aide aux exploitations agricoles en difficulté » (Agridiff) et le fonds d'allègement des charges (FAC) sont dotés d'à peine plus de 3 millions d'euros, comme l'année dernière, alors que le FAC 2015 a mobilisé 100 millions d'euros. Le reste des lignes budgétaires étant calculées au plus juste, je crains qu'il ne soit pas possible d'abonder le FAC sur les marges de manoeuvre budgétaire du ministère, si la crise agricole se poursuit en 2016.
FranceAgrimer fera le plus d'efforts avec une baisse de ses crédits de fonctionnement de 3,5 % alors qu'il est demandé à ses agents de gérer plus de 20 000 dossiers dans le cadre du plan de soutien à l'élevage. L'établissement, qui finira l'année avec un déficit de 600 000 euros (sur un budget de 125 millions) devra faire des choix douloureux entre ses missions. Auditionné, le directeur de FranceAgrimer m'a fait part de ses inquiétudes. Au-delà de ces questions budgétaires, cet opérateur gère une enveloppe de soutiens économiques, dont les sources sont désormais multiples : programme 154, crédits d'expérimentation du Casdar, programme des investissements d'avenir, taxes fiscales affectées. Rien ne garantit cependant que la totalité de cette enveloppe sera réellement disponible. Ainsi, la taxe fiscale affectée sur les céréales est réduite en 2016, supprimant le financement des actions économiques dans ce secteur. Les crédits du Casdar ne suffisent déjà pas, puisqu'il y a deux fois plus de demandes que de crédits disponibles sur le programme d'expérimentation.
Les crédits du programme 154 sont calculés au plus juste. Il n'y a aucune marge de manoeuvre et il faudra ouvrir des crédits supplémentaires en cas de problème. C'est d'ailleurs ce que fait le projet de loi de finances rectificative pour 2015, actuellement en discussion à l'Assemblée, à hauteur de plus d'un milliard d'euros, essentiellement pour prendre en compte le refus d'apurement communautaire sur le calcul des aides à la surface.
Mes collègues vous donneront des précisions sur le programme 149 consacré à la forêt : avec 277,7 millions d'euros en AE et 291,3 millions en CP, il dispose d'une enveloppe quasi-identique à celle de la loi de finances précédente, marquée par une forte baisse des crédits. L'Office national des forêts (ONF) percevra près des deux tiers des crédits de ce programme. Alors que le Centre national de la propriété forestière (CNPF) avait dû puiser dans ses réserves, n'ayant pas eu de dotation en 2015, sa subvention réapparaît pour 2016.
Avec 494,8 millions d'euros en AE et 486,5 millions en CP, le programme 206 consacré à la sécurité sanitaire est en très légère baisse. Le pari budgétaire consiste à réduire les dépenses d'indemnisation en cas de problème sanitaire, grâce au développement de mécanismes alternatifs d'indemnisation non pas par l'État mais par le fonds de mutualisation sanitaire et environnementale, mais aussi grâce à une maîtrise parfaite du risque. Or, ce pari est optimiste, dans un contexte de résurgence de la fièvre catarrhale ovine (FCO) et de persistance de la tuberculose bovine, ainsi que de l'apparition de nouvelles menaces pour les animaux comme pour les végétaux. Mais c'est le pari fait depuis plusieurs années.
Avec 659,6 millions d'euros en AE et 664 millions en CP, le programme 215 consacré à la conduite et au pilotage des politiques de l'agriculture, qui porte essentiellement les crédits de personnel du ministère de l'agriculture, est en baisse sensible de plus de 50 millions d'euros. Cette diminution s'explique par environ 200 suppressions d'emploi, conformément au programme triennal, mais aussi et surtout par le transfert de 400 emplois des services déconcentrés chargés des missions d'environnement sur le budget de l'écologie (programme 217). Il est regrettable que le Gouvernement n'ait pas utilisé ce budget pour répondre aux attentes fiscales des agriculteurs. Les assises de la fiscalité agricole début 2014 n'ont toujours pas abouti, ayant bloqué sur la réforme du forfait agricole. Pourtant, les propositions ne manquent pas, comme la simplification de la déduction pour aléas, afin qu'elle soit davantage utilisée par les agriculteurs, ou encore l'élargissement de la déduction pour investissement aux bâtiments d'élevage.
La proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture, que vous allez prochainement nous présenter, Monsieur le Président, avec plusieurs collègues, comble les lacunes de la loi de finances en la matière.
Cette mission ne répond pas aux attentes des agriculteurs. C'est pourquoi j'émets un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». En revanche, je suis favorable à l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».
M. Jean-Jacques Lasserre, rapporteur pour avis. - Nous sommes tous d'accord : les filières agricoles sont en crise, hormis, peut-être, la filière viticole qui se porte un peu moins mal que les autres...
M. Gérard César, rapporteur pour avis. - Voire...
M. Jean-Jacques Lasserre, rapporteur pour avis. - En dépit d'une bonne année céréalière, les cours mondiaux sont en baisse. Quant à l'élevage, la situation actuelle se passe de commentaires et les dispositifs mis en place n'ont pas eu les effets escomptés, en particulier pour la production porcine : les prix n'ont pas augmenté.
Comme l'a constaté M. César, pour la cinquième année consécutive, ce budget est en baisse. Les aides européennes compensent ces réductions de crédits, notamment grâce au transfert du premier pilier sur le second pilier. En outre, le Casdar pallie les déficiences du budget. Les agriculteurs, quant à eux, demandent beaucoup plus de régulation et de simplification. Ce budget nous laisse donc un peu sur notre faim.
Quatre points me semblent très préoccupants : d'abord, les assurances et la gestion des risques. Cette question ne relève que partiellement de la loi de finances. Le fonds national de garantie des risques en agriculture (FNGRA) n'est toujours pas doté de crédits d'État. La loi de finances prévoit de diviser par deux la taxe additionnelle aux primes d'assurance versées par les agriculteurs pour alimenter ce fonds. Certes, il s'agit d'un allègement de charges, mais aussi d'un affaiblissement du FNGRA qui a rendu de grands services.
Le projet de loi de finances rectificative pour 2015 ponctionne de 255 millions d'euros les réserves du FNGRA. La loi de finances pour 2016 ne comporte plus de crédits en faveur des assurances. La prise en charge du soutien à la souscription d'assurances par les agriculteurs est totalement transférée au deuxième pilier de la PAC : le désengagement de l'État est donc patent. Nous devons dépasser la seule logique de la couverture des risques climatiques, sanitaires et environnementaux, risques auxquels répondent l'assurance récolte et le fonds national.
En outre, je m'inquiète de l'évolution de la politique agricole aux États-Unis : pour les dix prochaines années, le nouveau Farm Bill sera doté de 955 milliards de dollars sur 10 ans pour soutenir la consommation mais surtout la production. La plupart des spécialistes estiment que cette politique aura une influence considérable sur les marchés mondiaux. Le soutien à notre agriculture est donc indispensable.
S'agissant de l'assurance, le contrat socle gagnera en souplesse, ce qui est positif : il pourra ainsi couvrir les pertes fourragères. Nous devons tout faire pour généraliser l'assurance et en réduire le coût. Jusqu'à présent, nous avons difficilement atteint 65 % de taux de subvention : à nous d'être vigilants, d'autant que nous ne savons pas quelle sera l'évolution du budget européen.
La section assurance du FNGRA n'était dotée cette année que de 97 millions d'euros alors que les besoins ont été nettement supérieurs : 2016 risque donc de poser problème. Pour soutenir l'assurance et tenir l'engagement de subventionner la souscription à hauteur de 65 % du montant de la prime, il faudrait relever les moyens du premier vers le second pilier.
Même avec le contrat socle, nous n'allons pas assez loin dans la mise en place d'une logique assurantielle. Ce contrat ne couvrant que les évènements climatiques, il ne prémunit pas contre une baisse des cours aux origines purement économiques. Il en va de même pour la déduction pour aléas (DPA) qui est inchangée pour 2016, mais les conditions d'utilisation, compliquées, expliquent son relatif insuccès. Il convient donc de faire évoluer cet instrument pour permettre aux agriculteurs de l'utiliser. Le chantier de la gestion des risques en agriculture reste donc entier pour l'année prochaine.
J'en viens à la sécurité sanitaire qui fait l'objet du programme 206. Nous connaissons la situation des départements touchés par la fièvre catarrhale ovine (FCO). Cette fièvre restreint les mouvements d'animaux alors qu'un million d'ovins est exporté. D'autres menaces se profilent, notamment la tuberculose bovine. Quant aux productions végétales, l'arboriculture et la viticulture, il semblerait que des attaques virales, qui n'existaient pas jusqu'à présent dans notre pays, se précisent. Les budgets prévus ne sont pas suffisants. Il s'agissait jusqu'à présent d'une compétence départementale, mais nous ne savons pas ce qu'elle va devenir : soyons vigilants, car l'année à venir risque d'être difficile.
On nous annonce une pénurie de vaccins contre la fièvre catarrhale alors que nos laboratoires ont des capacités de production importantes. C'est pour le moins étonnant.
Ma troisième remarque a trait au Casdar : ce compte n'est plus alimenté par l'État mais par des prélèvements sur l'activité agricole, d'où des recettes directement tributaires de la production agricole. L'architecture des financements actuels n'en garantit donc pas la pérennité.
Les crédits consacrés à la forêt atteignent un plancher historique, en passant sous la barre des 300 millions d'euros. Les trois-quarts des crédits sont alloués à la gestion des forêts publiques qui représentent un quart de la forêt française, mais 40 % des coupes de bois. Le point principal tient au maintien du versement compensateur et de la subvention d'équilibre de l'État à l'ONF.
S'agissant du contrat d'objectifs et de performances (COP) qui vient d'être signé, nos auditions ont démontré que l'ONF allait mieux gérer les coupes et les ventes de bois. Pour leur part, les communes forestières qui ont mené une légitime offensive ont obtenu satisfaction. En contrepartie, elles se sont engagées à augmenter les coupes et à se regrouper, ce qui permettra à l'ONF de réaliser des économies d'échelle.
En ma qualité de rapporteur pour avis, j'émets un avis de sagesse sur l'adoption des crédits de cette mission et un avis favorable à l'adoption des crédits du Casdar.
M. Henri Cabanel, en remplacement de Mme Frédérique Espagnac, rapporteure pour avis. - Au-delà de l'examen des crédits budgétaires et dispositions fiscales applicables à l'agriculture, l'examen de cette mission est l'occasion d'interroger les priorités de la politique agricole nationale, dont le budget est l'un des instruments.
Tout d'abord, ce budget ne représente pas la plus grande part des soutiens publics au secteur agricole et agroalimentaire. Les 2,8 milliards d'euros de crédits prévus au sein de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », ainsi que les 147 millions du Casdar sont utiles, ne serait-ce que pour payer les personnels qui apportent leur support technique à l'activité agricole ou forestière, dans les services de l'État ou des établissements publics, et pour financer des mesures d'intervention, notamment en matière d'allègements de charges pour les travailleurs occasionnels.
Ces crédits budgétaires ne résument néanmoins pas l'effort budgétaire de la Nation en direction de l'agriculture : ils sont complétés par des crédits provenant d'autres budgets, notamment le budget de l'enseignement scolaire et celui de la recherche et de l'enseignement supérieur. Au total, 6 milliards d'euros de crédits budgétaires contribuent à l'agriculture.
Ensuite, le régime des prestations sociales agricoles distribue plus de 19 milliards d'euros de prestations chaque année. Compte tenu du déficit démographique de ce régime, il est financé pour 13,4 milliards par les contributions des autres régimes.
En outre, les dépenses d'intervention économique sont essentiellement portées par des crédits européens : près de 9 milliards d'euros, (7,5 pour le premier pilier et 1,2 pour le second pilier) sont consacrés au secteur agricole. À ces crédits européens s'ajoutent des aides des collectivités territoriales dont l'enveloppe globale est estimée à un milliard.
Enfin, les dispositifs fiscaux favorables à l'agriculture sont estimés à un peu plus de deux milliards, parmi lesquels l'exonération partielle de la taxe intérieure de consommation sur les carburants utilisés par les véhicules agricoles, l'exonération d'impôt sur les sociétés pour les coopératives ou encore les exonérations et dégrèvements de taxes foncières.
Au final, cette mission ne représente que 10 % des concours publics à l'agriculture. Si ses crédits baissent en 2016, cela n'empêche pas pour autant l'entrée en vigueur du plan de soutien à l'élevage qui mobilise 650 millions sur trois ans, dont 180 millions d'allègements de charges dès cette année avec 50 millions d'allègements de charges sociales financés sur les crédits d'action sociale de la mutualité sociale agricole (MSA), 45 millions pour la diminution de l'assiette minimale maladie dès cette année, prélude à une suppression totale en 2016, ou encore la faculté pour les agriculteurs de revenir à une assiette de calcul des cotisations sur l'année 2014 et non sur la moyenne triennale.
Le plan de soutien à l'élevage mobilise aussi des crédits budgétaires avec un renforcement des crédits du FAC, dont l'enveloppe a été portée en 2015 à 100 millions pour financer l'année blanche proposée aux éleveurs en difficulté. En outre, des exonérations de taxe foncière sur les propriétés non bâties sont prévues à hauteur de 50 millions.
Aux côtés du plan d'urgence en faveur de l'élevage, des mesures structurelles d'allègements de charges vont bénéficier au secteur agricole. Le budget 2016 reconduit l'exonération de charges sociales pour l'emploi de travailleurs occasionnels (TODE), soit 411 millions pris en charge sur le budget de l'agriculture.
Ensuite, le secteur agricole et agroalimentaire bénéficie des mesures générales d'allègements de charges sociales et fiscales : en 2016, ces allègements représenteront 1,78 milliard pour la production agricole, dont 392 millions de CICE et 1,76 milliard dans l'agroalimentaire, dont 622 millions de CICE et 86 millions pour les coopératives, au titre de la suppression de la C3S, qui atteindra 253 millions en 2017.
Parallèlement, des moyens nouveaux ont été déployés pour soutenir l'investissement dans le secteur agricole et agroalimentaire : ainsi, le PCAE permettait déjà de mobiliser 200 millions par an. Une rallonge a été annoncée en septembre pour porter ses moyens, financés conjointement par l'État et les régions, à 350 millions par an. L'effet de levier de ces aides publiques devrait mobiliser des financements à hauteur d'un milliard d'euros par an pour investir dans l'agriculture.
Le programme des investissements d'avenir (PIA) mobilisera 120 millions en faveur de l'industrie agroalimentaire, en particulier les abattoirs et les serres.
Bref, tout est fait pour répondre à l'urgence de la crise dans les filières d'élevage mais aussi pour préparer leur avenir.
La baisse des crédits de cette mission ne compromet donc aucune des priorités de la politique agricole. Ainsi, les crédits en faveur de l'installation sont globalement conservés pour financer 6 000 installations par an, même si une partie de la prise en charge est transférée sur des crédits européens. L'enveloppe consacrée à l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) passe de 232 millions à 256 millions, conformément à l'engagement de revalorisation pris par le Gouvernement en 2014. Compte tenu des cofinancements européens, l'ICHN représentera plus d'un milliard d'euros en 2017, soit 300 millions de plus qu'en 2013 pour les deux dispositifs, ICHN et prime herbagère agro-environnementale (PHAE), qui ont été depuis fusionnés.
La volonté de développer l'agroécologie et d'encourager de nouvelles pratiques agricoles est confortée, avec 57 millions d'euros en faveur des mesures agro-environnementales mais aussi grâce au maintien des moyens du Casdar, dont la quasi-totalité est dédiée à l'agroécologie.
La mise en place des groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE), innovation de la loi agricole de 2014, progresse sensiblement : au 1er octobre, 128 d'entre eux avaient été agréés, couvrant 1 500 exploitations.
La sécurité sanitaire reste une priorité, avec la poursuite du renforcement des effectifs de contrôle dans les abattoirs de volaille.
Le budget 2016 de l'agriculture est donc un bon budget : responsable car il répond à l'impératif de maîtrise des dépenses publiques, et ambitieux, car il permet à l'agriculture et l'agroalimentaire de surmonter les difficultés et de répondre aux défis de la compétitivité et d'adaptation aux nouveaux impératifs sociaux et environnementaux.
En tant que rapporteure, Mme Espagnac émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du Casdar. Mon groupe et moi-même approuvons sa conclusion.
M. Gérard Bailly. - Ce budget n'est pas à la hauteur de nos espérances. Les auditions de cette semaine ont prouvé que la crise agricole était loin d'être derrière nous, notamment pour l'élevage et le lait.
Le nombre des agriculteurs en difficulté va sensiblement augmenter. Le coût des vaccins pour lutter contre la FCO est très élevé et le fourrage vient à manquer dans certains départements qui doivent dès lors en acheter.
J'ai lu ce matin dans le Figaro qu'une association d'éleveurs de plaine venait de se constituer afin de s'opposer à la prolifération des loups : quel gaspillage d'argent public pour les protéger ! Et que dire des soins prodigués aux lynx pour ensuite les relâcher dans la nature ? Ces crédits ne devraient-ils pas plutôt servir à préparer l'avenir de notre agriculture ? Pour qu'elle soit compétitive, l'État doit réduire les charges et accroître significativement les aides à l'investissement.
Nous avions beaucoup travaillé sur la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, mais nos espérances sont déçues.
Enfin, je condamne l'émission de Franz-Olivier Giesbert diffusée hier soir sur France 3 qui a présenté un réquisitoire inadmissible contre les producteurs de viande. Veut-on démoraliser les agriculteurs français ?
Mme Sophie Primas. - La crise agricole est loin d'être résolue en effet et ce budget ne répond nullement à l'urgence de la situation. M. Cabanel affirme que des efforts sont faits : certes, mais par l'Europe, les banques, la MSA, les régions et les agriculteurs eux-mêmes, non pas par l'État.
M. Marc Daunis. - Soyez plus nuancée !
Mme Sophie Primas. - L'an dernier, j'avais dit que la réduction des crédits du FAC m'inquiétait. On m'avait répondu que ce fonds était peu utilisé. Hélas, l'actualité m'a donné raison et il a été abondé en 2015 de 100 millions d'euros. Je regrette son niveau nettement insuffisant pour 2016.
M. Daniel Gremillet. - Ce budget ne traduit pas les engagements pris en faveur du plan de soutien à l'élevage.
Je suis choqué de constater que l'intégralité du Casdar, financé par les agriculteurs, soit consacrée à l'agroécologie. Ce n'est pas ainsi que l'on va aider l'élevage.
M. Michel Le Scouarnec. - Hier, deux chefs d'entreprises agro-alimentaires m'ont appelé pour me prévenir qu'ils allaient devoir se séparer d'une partie de leurs salariés...
Mme Sophie Primas. - Eh oui !
M. Michel Le Scouarnec. - La concurrence à outrance et le dumping social sont catastrophiques : n'oublions pas que toutes les filières agricoles sont touchées par la crise.
M. Franck Montaugé. - M. Cabanel a rappelé que l'État faisait un effort considérable en faveur de l'agriculture. Ce budget accentue le soutien au monde de l'élevage avec un milliard d'euros ; ces aides seront en phase avec les promesses faites au plus haut niveau. Les mesures du plan de soutien à l'élevage seront portées en grande partie par le projet de loi de finances rectificative pour 2015.
Ce budget est au service de la compétitivité : sur la période 2015 - 2017, l'État, les régions et l'Europe pourront mobiliser trois milliards d'euros d'investissements pour moderniser les exploitations agricoles. Les allègements de charges sociales et fiscales issues du pacte de responsabilité atteindront 1,7 milliard. Ces allègements, qui représentaient 2,5 milliards d'euros en 2013, atteindront 4,6 milliards en 2017.
M. Bruno Sido. - Pour éviter les conflits d'intérêt, j'interviens rarement dans les débats agricoles, étant moi-même agriculteur. Cela dit, je ne peux me taire ici. Ce budget est désastreux pour l'agriculture : d'un côté de beaux discours et, de l'autre, la triste réalité ! C'est typique de la politique actuelle : écraser les gros pour aider les petits...
Je m'incline devant le diplôme de notre ministre de l'agriculture : un BTS !
M. Marc Daunis. - Allons !
M. Bruno Sido. - Pour le plus grand bonheur de la gauche, on nous annonce une réduction de 25 % de l'usage des « pesticides », que je préfère appeler produits phytosanitaires, d'ici deux ou trois ans, et de 50 % en 2020. Or, techniquement, cela n'est tout simplement pas possible et le Gouvernement ne nous dit pas comment nous y prendre. Lors de l'examen de la loi sur l'eau et du Grenelle de l'environnement, nous avions fait attention à trouver des solutions de substitution lorsque nous imposions de nouvelles contraintes. Mais tel n'est plus le cas : nous sommes confrontés à une agriculture idéologique.
L'agriculture et l'agro-alimentaire ont une importance économique considérable et nous ne pouvons imposer des normes impossibles à tenir, à moins de vouloir la faillite de presque toutes les exploitations. Les agriculteurs qui, autour de chez moi, se sont lancés dans le bio ont des récoltes insignifiantes : les techniques ne sont pas au point et l'Inra refuse de nous aider.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je salue le retour de Henri Tandonnet qui était souffrant la semaine dernière. Ne l'eût-il été, nous aurions été tous présents.
M. Philippe Leroy. - Avant de promouvoir des techniques nouvelles, il faut en vérifier la faisabilité.
En ce qui concerne la forêt, ce budget ne se préoccupe que de l'ONF, asséchant par là-même les moyens consacrés à la forêt privée. Nous sommes donc loin des objectifs de la loi d'avenir pour l'agriculture et la forêt. Le contrat d'objectif et de performance (COP) prévu entre l'ONF et les communes forestières se traduira par l'augmentation des subventions versées à l'Office, sauf hausse du produit des ventes de bois. Aujourd'hui, nous sommes en pleine disette budgétaire.
Seul point positif : les 20 millions d'euros du fonds chaleur accordés à la forêt par le ministère de l'environnement afin de valoriser la biomasse. Ainsi, notre pays pourra espérer respecter son objectif d'énergie renouvelable. Mais c'est bien peu face aux besoins de reboisement.
M. Martial Bourquin. - Je suis étonné de la tournure de ce débat. Jusqu'à présent, nous avions l'habitude de nous respecter et de respecter les avis divergents. Or, les charges que j'ai entendues sont dignes d'un meeting. En plus, elles sont imméritées : vous dénaturez ce budget qui, en réalité, augmente.
Monsieur le Président, comment allez-vous faire pour abonder tous les budgets alors que vos deux candidats présidentiels annoncent l'un 100 milliards et l'autre 120 milliards d'euros d'économies budgétaires ?
On ne peut balayer d'un revers de main, comme M. Sido, l'aspiration au changement des méthodes de production. Allez dans les marchés ! Vous verrez que, comme dans ma commune, certaines personnes ne veulent plus acheter que des produits bios.
Mme Sophie Primas. - C'est cela le marché !
M. Martial Bourquin. - Nous devrons bien, un jour ou l'autre, rejoindre les référents européens, d'autant que la santé publique est aussi importante que l'indépendance alimentaire.
Enfin, n'oublions pas que les premières victimes des pesticides sont les agriculteurs qui, depuis peu, portent plainte contre leurs fournisseurs...
M. Marc Daunis. - Eh oui !
Le débat politique, oui, l'anathème, non !
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Deux candidats à la présidentielle ? Votre analyse est réductrice et optimiste sur le nombre de candidats de la droite...Attendons que tous se soient déclarés avant de choisir celui qui pourra rétablir les comptes de notre pays !
M. Henri Cabanel, rapporteur pour avis. - L'élevage et le lait sont en crise. Quelles que soient les aides et les subventions que nous proposerons, c'est à ces filières elles-mêmes de trouver les meilleures solutions possibles : modernisation, nouvelles formules de production, accompagnement des producteurs... Comme pour le vin dans le Languedoc, il faut avoir le courage de dire qu'il y aura des agriculteurs qui resteront sur le bord du chemin. Nous devrons les aider à franchir le cap.
La politique européenne, menée d'ailleurs par vos amis de droite, a consisté à démonter tous les outils de régulation du marché, en commençant par les quotas laitiers.
Lorsque les interprofessions, qui ont un rôle majeur à jouer, auront présenté leurs propositions, nous les aiderons à les mettre en oeuvre. L'État ne peut pas tout !
Sur les produits phytosanitaires - je suis viticulteur, et c'est en viticulture qu'on en emploie le plus - explorons d'abord les nouvelles manières d'exploiter la terre, par le bio ou par l'agriculture raisonnée et contrôlée. Grâce à l'observation, on peut réduire le recours aux traitements. Agissons aussi sur les appareils de traitement, pour récupérer les 60 % du produit qui, au lieu d'atteindre la plante, se retrouvent dans l'air et dans le sol.
M. Gérard César. - Il est recommandé de mettre un scaphandre lors de l'application !
M. Henri Cabanel. - Enfin, les dosages recommandés sur les produits vendus par les multinationales sont toujours les mêmes, quelle que soit la hauteur du végétal ; or nous savons qu'il est recommandable de diminuer les doses en début de saison. En agissant sur ces trois leviers, il est tout à fait possible d'atteindre les objectifs d'une baisse de 25 % des traitements pour 2020 et 50 % pour 2025.
Présidence de Mme Élisabeth Lamure, vice-présidente
M. Jean-Jacques Lasserre, rapporteur pour avis. - Mon collègue Martial Bourquin a évoqué une ambiance polémique et injurieuse ; je ne partage pas cet avis. La liberté de parole doit être préservée dans certaines limites. Nous défendons tous les territoires et les types de production ; néanmoins, il me semble que nous avons construit une agriculture qui tourne le dos aux réalités économiques. On lui a donné trop d'espace, et séduit les consommateurs avec des argumentations faciles. Le budget en est sa traduction. Ainsi de l'application de la loi sur l'eau, souvent au mépris du travail des agriculteurs dans ma région, l'Aquitaine. L'administration ne fait pas un travail convenable.
M. Jackie Pierre. - C'est vrai !
M. Jean-Jacques Lasserre, rapporteur pour avis. - Cette vision angélique, au lieu de protéger et d'accompagner un exercice normal de l'agriculture, aura des effets désastreux. ..
Le verdissement de la PAC avait été justifié auprès des agriculteurs par le maintien des enveloppes ; or il porte atteinte à l'exercice naturel de l'agriculture, sans parler de la fiscalité. Nous sommes pour l'équilibre environnemental, la qualité alimentaire, le bio, mais aussi séduisantes soient-elles pour l'électorat, ces pistes ne doivent pas nous conduire à négliger les réalités économiques.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Certes, le budget ne peut pas trouver toutes les solutions à la place de la filière. Cependant, le drame économique que vivent les agriculteurs et surtout les éleveurs appelle une prise en charge budgétaire. J'ai pu constater ce week-end, dans un lycée agricole, à quel point les jeunes étaient inquiets et désabusés ; quand on en est là, il faut prendre des mesures exceptionnelles.
Sur la filière bois, je partage l'appel à la mobilisation qui vient d'être lancé. Mais pour cela, nous devons investir dans les infrastructures, les voies d'accès, les routes et le reboisement, et pas seulement sur la filière énergétique. Des milliers d'hectares restent inexploités parce qu'inaccessibles. Les infrastructures, la forêt privée doivent faire l'objet d'un soutien budgétaire.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
M. Bruno Sido. - Je présente mes excuses si vous avez compris comme une attaque ad hominem ce qui n'était qu'un cri du coeur.
Loi de finances pour 2016 - Mission « Égalité des territoires et logement » - Examen du rapport pour avis
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - Les crédits de la mission « Égalité des territoires et logement » augmentent de 34 % en autorisations d'engagement et de 35 % en crédits de paiement pour atteindre plus de 18,3 milliards d'euros.
Les crédits de la politique d'hébergement d'urgence, regroupés dans le programme 177, augmentent de 10,6 % et le nombre de places d'hébergement d'urgence, en augmentation constante depuis 2011, atteint 103 000. Cette progression est le signe d'une forte pression due à la situation économique et à l'engorgement des capacités d'hébergement des demandeurs d'asile. L'accueil de 30 000 réfugiés sur deux ans annoncé par le président de la République ne peut qu'accentuer la pression sur les dispositifs d'hébergement généraliste et l'on peut craindre une concurrence des publics, même si le Gouvernement veut orienter les réfugiés vers les zones détendues. On peut se demander si ce nombre de réfugiés ne sera pas en réalité plus important.
Face à cette pression continue, le recours aux nuitées d'hôtel s'est imposé comme une solution de facilité. Au 30 juin, on constatait une augmentation de 15,5 %. Conscient du coût élevé de cette politique, le Gouvernement a lancé un plan de développement de solutions pérennes alternatives à ces nuitées, en particulier les places en intermédiation locative. Cette solution, intéressante, demande du temps pour démarcher et convaincre les propriétaires privés.
Sur le plan financier, comme l'année dernière, le programme 177 n'échappe pas à la sous-budgétisation. Les prévisions pour 2016 sont déjà inférieures à l'exécution prévue fin 2015. Inévitablement, les crédits manqueront en cours d'année.
Les efforts de gestion devront être poursuivis, qu'il s'agisse du déploiement des SIAO ou du diagnostic à 360 degrés. Une réflexion d'ensemble sur les dispositifs d'hébergement d'urgence me paraît inéluctable.
Le Fonds d'accompagnement vers et dans le logement (FNADVL) a pour unique ressource les astreintes prononcées et liquidées à l'encontre de l'État dans le cadre du Dalo. Or depuis 2014, cette liquidation n'est plus systématique dans certaines juridictions.
Je vous inviterai à donner un avis favorable à l'adoption de l'article 55 ter qui a pour objet d'améliorer, en facilitant la liquidation des astreintes, les conditions d'exercice de l'activité du FNADVL.
Le programme 109 « Aide à l'accès au logement », qui comprend principalement la contribution de l'État au financement du Fonds national d'aide au logement (FNAL), voit ses crédits augmenter de 40 % pour des raisons comptables, l'État ayant décidé de budgétiser les aides au logement à caractère familial, qui étaient auparavant couvertes par la branche famille de la sécurité sociale. Outre la contribution de l'État, l'article 54 prévoit deux autres ressources pour le FNAL : une contribution d'Action logement de 100 millions d'euros et le produit de la taxe sur les plus-values de cessions d'immeubles autres que des terrains à bâtir dans la limite de 45 millions d'euros. Ces deux ressources restent très modestes au regard du montant de financement recherché.
Les articles 55 et 55 quater prévoient plusieurs mesures censées contenir la hausse continue des dépenses liées aux aides personnelles au logement : 17,7 milliards d'euros versés en 2014 à 6,5 millions de bénéficiaires. On ne peut que s'en réjouir ; mais les économies annoncées de 185 millions d'euros, associées aux effets d'une troncature du montant des aides à l'euro inférieur, restent très loin des ambitions initiales.
Malgré les multiples propositions de réformes formulées au premier semestre - j'ai dénombré pas moins de quatre rapports - la réforme qui nous est soumise est pour le moins limitée. L'article 55 modifie les règles d'éligibilité aux APL en prenant en compte le patrimoine du demandeur à compter de 30 000 euros et en instaurant des plafonds au-delà desquels l'aide serait versée dégressivement. Il prévoit en outre l'abrogation de la réforme des APL-Accession engagée l'an dernier, répondant ainsi à un souhait que j'avais formulé à l'époque. L'article 55 quater retire le bénéfice des APL aux étudiants rattachés au foyer fiscal de leurs parents redevables de l'ISF.
Les économies attendues dépendent très largement des critères retenus, dont la détermination est renvoyée le plus souvent à un décret. Je regrette que le Gouvernement ne soit pas en mesure à ce stade de nous indiquer avec précision les seuils exacts qui seront retenus, qu'il s'agisse du patrimoine ou de la dégressivité de l'aide, nous empêchant ainsi de voter les crédits de ce programme en pleine connaissance de cause.
La mesure sur les APL étudiants est elle aussi très éloignée des mesures ambitieuses qu'avaient adoptées nos collègues députés, proposant de prendre en compte le revenu des parents, l'éloignement géographique et les cas de rupture familiale dans le versement des APL aux étudiants. En réalité, il s'agit d'une mesure d'affichage, plus symbolique qu'efficace sur le plan budgétaire. Je souhaite que le Gouvernement se penche sérieusement sur cette question afin de proposer une réforme juste et équitable.
Il est très difficile de dire si les montants prévus seront à la hauteur des besoins. On peut penser que les crédits pour les APL ne suffiront pas à couvrir les besoins en 2016, puisque depuis 2008, les prévisions sont toujours inférieures à l'exécution constatée.
Le programme 135, qui inclut notamment les aides à la pierre, voit ses autorisations d'engagement diminuer de 8,7 % et ses crédits de paiement augmenter de 2,2 %.
Lors de l'examen à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a augmenté les crédits destinés aux aides à la pierre, les portant à 500 millions d'euros en autorisations d'engagement et 250 millions en crédits de paiement, complétés par voie de fonds de concours. Certes bienvenues, ces mesures ne doivent pas nous dissimuler que l'État n'assume plus la part principale des aides à la pierre, désormais assurée par les bailleurs sociaux à travers la cotisation versée à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS).
L'article 56 prévoit la création du Fonds national des aides à la pierre (FNAP), qui remplacera le fonds de péréquation actuellement géré par la CGLLS et le Fonds national de développement d'une offre de logements locatifs très sociaux. Il aura pour principale mission de contribuer au financement des opérations de développement, d'amélioration et de démolition du parc de logements locatifs sociaux. Ses ressources seront constituées d'une fraction fixée à 270 millions d'euros des cotisations versées par les organismes Hlm pour 2016 ; des subventions de l'État ; et de la majoration du prélèvement sur les communes carencées en logements sociaux, qui sera exclusivement destinée au financement de la réalisation de logements locatifs sociaux et des dispositifs d'intermédiation locative dans les communes carencées.
Nous ne disposons d'aucune visibilité sur les crédits de l'État qui seront effectivement affectés au FNAP ni sur leur pérennité. De plus, le Gouvernement opère à l'article 14 du présent projet de loi de finances un prélèvement de 100 millions d'euros sur le fonds de roulement de la CGLLS, c'est-à-dire sur les cotisations des organismes HLM, au profit du budget général. Ainsi, ce sont en réalité les organismes HLM qui contribueront le plus aux aides à la pierre. Nous allons vers une disparition inéluctable des crédits de l'État en la matière - en témoigne la création du Fonds national d'aide à la pierre (FNAP), qui ne sera peut-être plus alimenté dans quelques années que par des ressources extra-budgétaires.
Sans réelle justification, cet article augmente de 125 % le montant des cotisations des bailleurs sociaux - arrêté l'an dernier à 120 millions d'euros par an pour les années 2015 à 2017 - pour le porter à 270 millions d'euros. Le taux maximal de la cotisation versée par les bailleurs sociaux augmente de 1,5 % à 3 % alors même que l'assiette de la cotisation est élargie afin d'y inclure au maximum 75 % des suppléments de loyer de solidarité (SLS) perçus par les organismes HLM.
Ces modifications auront nécessairement des conséquences sur les capacités d'investissement des bailleurs sociaux et il n'est pas exclu que ces hausses soient répercutées in fine sur le loyer des locataires du parc social. Le prélèvement de 3 % équivaut à une baisse de 20 % sur les travaux d'entretien, ou encore à une baisse significative des investissements dans la production et la rénovation de logements.
En conséquence, je vous proposerai un amendement dont l'objet est double : maintenir le taux de cotisation des bailleurs sociaux à son niveau actuel de 1,5 %, et diminuer le montant global des cotisations des bailleurs sociaux à 200 millions d'euros - ce qui représentera tout de même une augmentation de 66 % par rapport à l'an dernier - pour compenser la non-affectation de la taxe sur les plus-values de cessions d'immeubles autres que des terrains à bâtir. Je vous proposerai également une mesure élargissant l'assiette de la cotisation versée par les sociétés d'économie mixte au produit du supplément de loyer.
Le conseil d'administration du FNAP doit être composé à parité de représentants de l'État et de bailleurs sociaux, ainsi que de représentants des collectivités territoriales et de l'Assemblée nationale et du Sénat. Philippe Dallier présentera un amendement supprimant la représentation parlementaire, introduite par l'Assemblée nationale ; de mon côté, je vous proposerai d'y introduire des représentants des métropoles.
Sous ces réserves, je vous propose d'adopter l'article 56.
Je vous invite également à adopter l'article 56 bis déduisant de l'autofinancement qui sert de base à la cotisation additionnelle des organismes HLM à la CGLLS les soldes nets perçus dans le cadre de la mutualisation financière entre les organismes HLM.
Alors que l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) est de plus en plus sollicitée, via le programme « Habiter mieux » ou la mise en oeuvre du plan triennal de mobilisation pour les copropriétés fragiles et en difficulté, ses ressources demeurent incertaines en dépit d'une évolution favorable des quotas carbone. En effet, l'agence ne bénéficiera pas de la contribution du fonds de financement de la transition énergétique ; de plus, l'article 14 du projet de loi de finances fait passer sa part du produit de la taxe sur les logements vacants de 61 millions à 21 millions d'euros ; et la mise en place de la nouvelle obligation spéciale en matière de certificats d'économie d'énergie, bouleversant l'équilibre trouvé avec certains énergéticiens, devrait conduire à un report de la contribution attendue de 59 millions d'euros des fournisseurs d'énergie. Enfin, je regrette que la contribution de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) au budget de l'ANAH ne soit, semble-t-il, pas actée pour 2016, alors même que l'adaptation des logements au vieillissement est un enjeu majeur pour notre société.
L'article 55 bis affecte la totalité du produit de l'astreinte administrative en matière de lutte contre l'habitat indigne à l'ANAH, mais la ressource reste virtuelle, le décret d'application n'ayant toujours pas été pris.
À l'heure où se profile la COP 21 et après avoir posé des objectifs ambitieux dans la loi sur la transition énergétique, il est anormal que l'ANAH n'ait pas de ressources pérennes alors qu'elle doit aider à la rénovation de 50 000 logements par an.
Enfin, si les mesures en faveur du logement intermédiaire et de l'accession à la propriété - l'extension du prêt à taux zéro, le différé de remboursement et l'augmentation du plafond de ressources - vont dans le bon sens, il faut davantage pour lever les freins que rencontre le secteur de la construction et développer du logement abordable. Ainsi, il me paraît impératif de poursuivre la simplification des normes de construction et de revoir les règles de contentieux en matière d'urbanisme. Je propose une pause d'un an dans la création de normes, qui serait mise à profit pour renforcer la cohérence des normes existantes et les simplifier. J'ai présenté trois amendements au projet de loi sur la justice du XXIe siècle pour fluidifier et accélérer les procédures administratives et limiter les possibilités de recours en justice. D'après la Fédération des promoteurs et constructeurs immobiliers, 30 000 logements seraient bloqués par des procédures judiciaires. Il me paraît également important de faciliter l'accès au foncier privé.
En conclusion, je vous invite à émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Égalité des territoires et logement ».
Je vous invite également à adopter mes amendements à l'article 56, à donner un avis défavorable à l'article 55 quater et à donner un avis favorable à l'adoption des autres articles rattachés à la mission.
M. Daniel Laurent. - Très bien !
M. Daniel Dubois. - Nous sommes en plein paradoxe. Le président de la République s'est engagé à construire 150 000 logements HLM par an. C'est la quadrature du cercle : les objectifs en termes de démolition, de construction, de réhabilitation, de travaux d'isolement sont faramineux, alors que le coût en fonds propres d'un logement neuf est au bas mot de 30 000 euros, 40 000 à 50 000 euros pour les zones tendues.
L'augmentation des crédits à travers l'aide personnalisée au logement (APL) et d'autres dispositifs est compensée par la réduction de l'aide à la pierre. Pour construire, les organismes HLM auront besoin d'autres financeurs : avec la baisse de la dotation de 3,5 milliards d'euros, les collectivités locales, exsangues, ne pourront plus apporter leur soutien. Les fonds propres des organismes Hlm sont insuffisants. La collecte du livret A est en baisse, même si cette ressource reste sous-utilisée. L'impossibilité technique du financement devient une réalité objective.
Si nous ne réfléchissons pas, ensemble, à un nouveau système de financement, à une nouvelle organisation de la production de logements sociaux, nous allons droit dans le mur. Il convient de drainer le financement privé vers le logement social. Alors que les organismes HLM n'ont plus d'argent pour construire, l'État leur impose des prélèvements pour alimenter son budget ! Un comble pour un gouvernement socialiste. À terme, les organismes HLM sont appelés à devenir plus gestionnaires que constructeurs. Ces questions doivent être clairement posées.
Jusqu'à présent, le logement social représentait une bouffée d'oxygène pour le bâtiment, compensant l'écroulement de la production privée. Les 17 000 logements construits grâce au dispositif Pinel ont amélioré la situation. Mais là aussi, vous vous opposez à toute aide de l'État aux investisseurs privés. Heureusement que ces dispositifs existent ! Nous allons à la catastrophe. La baisse des crédits d'aide à la pierre est une erreur majeure, c'est pourquoi notre groupe votera contre.
Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président
M. Michel Le Scouarnec. - J'étais convaincu que la transition énergétique et l'objectif de 150 000 nouveaux logements par an constitueraient un gisement d'emplois. Or au lieu d'avoir plus de construction, il semble que nous en ayons moins. Combien de nouveaux logements aurons-nous en 2016 ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - Entre 100 000 et 120 000...
M. Michel Le Scouarnec. - Si nous mettons les bailleurs à contribution, les loyers augmenteront. Une baisse de la rémunération du livret A touchera d'abord les ménages modestes. Nous allons vers une précarisation de la société. Je croyais à la relance par le logement... mais il n'est pas trop tard ! Cependant, 1,8 million de personnes sont inscrites sur les listes d'attente des logements sociaux. Le logement est à la fois une priorité sociale et un levier économique. Je ne comprends pas l'inaction.
Mme Valérie Létard. - Je félicite la rapporteure de nous avoir présenté un tableau très précis, bien qu'il ne soit guère rassurant. Parlons également du maintien du parc existant : sur mon territoire, la part des logements vacants atteint 6 % à 9 % parce que, dépouillés de leurs fonds propres, avec des financements de plus en plus rares, les bailleurs doivent faire des choix et le parc se dégrade. Les collectivités sont sanctionnées si elles n'atteignent pas les objectifs du programme local de l'habitat (PLH) ; mais en les poursuivant, l'on supprime les marges de manoeuvre des organismes pour entretenir le parc !
L'ANAH suscite de grandes inquiétudes. Elle intervient de manière complémentaire dans les centres villes, l'habitat diffus mais aussi la ruralité profonde. Un propriétaire modeste qui s'engage dans une rénovation thermique lève trois euros de financement pour un euro de l'ANAH : il y a un effet levier entre les partenaires. Or la rénovation est un axe majeur, dans le cadre de la COP 21, de la qualité énergétique. Mais on ne se donne pas les moyens d'atteindre ces objectifs ambitieux. Le programme « Habiter mieux » n'ayant pas assez de fonds pour satisfaire tous les besoins, on a retiré le bénéfice de ce programme aux ménages modestes, qui avaient pourtant besoin de ce coup de pouce pour engager des travaux.
Parmi les ressources de l'ANAH, on ne sait pas comment vont évoluer les quotas carbone. Le fonds d'aide à la rénovation thermique (Fart) a des ressources en dents de scie ce qui a des conséquences sur le programme « Habiter mieux ». Le fonds de financement de la transition énergétique est peu utilisé en faveur de la rénovation thermique des logements. Or l'ANAH a besoin de ressources pérennes.
Action logement a été fortement ponctionnée en faveur de l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU). De plus, l'ANRU envisage des conventions financières avec l'ANAH ; or on prendra pour cela sur l'enveloppe globale. Résultat : des ressources inchangées pour des actions beaucoup plus nombreuses.
M. Marc Daunis. - Je conviens avec Valérie Létard et Dominique Estrosi Sassone que la pérennisation du financement de l'ANAH est une question majeure. Néanmoins, certaines mesures fortes ne produiront pas leurs effets avant un certain temps.
Vous avez évoqué, Madame la Rapporteure, la poursuite de la simplification ; c'est reconnaître que le processus a été engagé pour résorber la complexité, devenue intenable, des procédures. Il suffit désormais de s'abriter derrière le principe de précaution pour attaquer un permis ; et dans le territoire que je représente, des jugements très surprenants ont été rendus, en première instance comme en appel. Il y a un profond décalage entre la volonté du législateur et de l'exécutif et la mise en oeuvre. Quel que soit le prochain gouvernement, il devra traiter ce problème.
Un effort colossal a été engagé pour la maîtrise du budget. Je ne m'oppose pas par principe à des augmentations sur certaines lignes, mais soyons cohérents. Daniel Dubois déplore les ponctions sur les collectivités ; mais si nous ne maîtrisons pas l'évolution du budget, les 150 milliards d'économies voulus par la droite seront prélevés sur les hôpitaux ou d'autres services publics indispensables. Il y a un consensus pour renforcer les crédits alloués à la police, la justice, à l'armée.
Mme Sophie Primas. - Ce sont d'autres postes budgétaires !
M. Marc Daunis. - Il faut être cohérent. En revanche, j'entends que les priorités peuvent être modifiées au sein d'un même budget. Nous en débattrons en séance, mais si nous ne raisonnons pas à enveloppe constante, le débat restera politicien.
M. Jean-Pierre Bosino. - Le logement social doit faire l'objet d'une remise à plat totale. Nous arrivons au bout du système existant mis en place sous Raymond Barre, lorsque les aides ont été transférées de la pierre vers la personne. Il nous faut désormais abonder le versement des APL, alors que nous produisons des logements dont les loyers sont rendus plus élevés par la baisse des aides à la pierre. Ce budget n'est pas satisfaisant car il ne respecte pas les engagements pris. On fait valoir les difficultés que posent les aides à la pierre, mais d'autres dispositifs fiscaux en matière de logement coûtent des milliards d'euros.
M. Marc Daunis. - Tout à fait !
M. Jean-Pierre Bosino. - La construction de nouveaux logements sera financée par les locataires du parc social et de l'habitat privé dégradé. C'est incroyable !
Conditionner le versement des APL aux revenus des parents me paraît injuste. Je ne suis pas choqué que les garçons ou filles dont les parents paient l'ISF reçoivent des APL, à condition que leurs parents paient davantage d'impôts. L'universalité des prestations sociales constitue l'un des principes fondateurs de la sécurité sociale en 1945 ; à l'impôt de corriger les inégalités.
La participation des employeurs à l'effort de construction, qu'on appelle « 1% logement », alors qu'en réalité cette participation est fixée à 0,45% des rémunérations, asséchée par le financement de l'ANRU, est elle aussi à revoir ; on a désormais recours à l'emprunt pour financer l'agence ! Nous n'arrivons pas à financer la construction de logements.
M. Martial Bourquin. - Il faut aussi voir ce qu'il y a de positif dans ce budget.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - Cela va être difficile !
M. Marc Daunis. - Vous avez fait un rapport à charge...
M. Martial Bourquin. - Le crédit d'impôt pour la transition énergétique, la simplification et l'élargissement du PTZ, la libération de terrains d'État gelés pendant plusieurs décennies... Cela va mieux en le disant ! Ajoutons les 70 mesures de simplification pour notamment lever les blocages liés à la contestation de permis de construire. La pénalisation par la loi SRU des maires qui ne remplissent pas leurs obligations en matière de logement social : très bien !
Mme Sophie Primas. - Au contraire, c'est scandaleux !
M. Martial Bourquin. - Et que dire des dispositions fiscales en faveur des maires bâtisseurs... 200 logements sont en construction dans ma commune.
Entre l'aide à la pierre et l'APL, ma préférence va à l'aide à la pierre. Je ne pense pas qu'un millionnaire doive bénéficier de prestations sociales en matière de logement ; dans ma commune, le prix de la restauration scolaire dépend du revenu des parents.
M. Daniel Laurent. - Chez nous aussi !
M. Martial Bourquin. - La dette publique a augmenté de 600 milliards d'euros au cours du quinquennat précédent. Il est très difficile de faire un budget dans ces conditions.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - C'est trop facile !
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Soyez plus mesuré dans vos propos...
M. Martial Bourquin. - 600 milliards en cinq ans ! Après cela, notre Gouvernement, qui réduit le déficit, ne s'en sort pas si mal...
M. François Calvet. - On ne peut sans cesse accuser l'ancien Gouvernement d'avoir laissé subsister telle ou telle difficulté. Quand on est au pouvoir, on assume ! Plus ça va, moins ça va... Les organismes HLM n'ont plus de fonds propres, à force d'être ponctionnés. M. Dubois a raison : il faut repenser tout le financement du logement. On nous a promis de débloquer du foncier, mais il ne s'est rien passé de concret. J'ai créé un fonds d'intervention foncière au sein du budget de l'agglomération de Perpignan Méditerranée, de 8 millions d'euros pour investir à côté de l'EPFE et de l'EPFL. L'EPFE de Languedoc-Roussillon a 50 millions d'euros de fonds propres. Pourquoi ne pas lui donner plus de souplesse pour investir ? Les fonds de l'EPFL étant de 5 millions, on a 55 millions d'euros de fonds propres qui dorment et augmentent chaque année, en raison du roulement dû à l'achat de terrains puis à leur mise à disposition pour la construction. Ce sujet mériterait que la commission s'y penche pour formuler des propositions.
Les entreprises du bâtiment font vivre mon département des Pyrénées-Orientales. Le logement social constitue un marché important pour les entreprises de 100 à 120 salariés, or la construction a baissé d'environ 15 % d'août 2014 à août 2015. Les solutions peuvent être très rapides et efficaces, même si elles sont moins intellectuelles et plus laborieuses.
M. Franck Montaugé. - Daniel Dubois appelait à la nécessité de trouver des mécanismes de financement privés. N'oublions pas que la crise que nous traversons a débuté par celle des subprimes affectant le logement aux États-Unis. Des précautions légitimes doivent être prises.
L'accession à la propriété, à laquelle beaucoup de locataires aspirent, n'a pas été évoquée ici. Des mécanismes d'aide y conduisant pourraient résoudre une partie des problèmes posés. Je reconnais, comme Martial Bourquin, que ce budget contient des mesures extrêmement positives.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - Oui, certaines mesures du budget vont dans le bon sens : mon rapport cite l'éco-PTZ et le CITE. Mais leur durée, parfois courte, est limitée.
L'objectif affiché de construire 500 000 logements, dont 150 000 logements sociaux, n'a pas été atteint, le maximum étant de 117 000 logements sociaux. Pour autant les effets d'annonce se poursuivent. Pour concrétiser son ambition, il faut un budget à la hauteur, or l'État se désengage à court terme par les crédits d'aide à la pierre. Même si la création du FNAP n'est pas inintéressante, les ressources sont peu visibles et personne n'est capable de dire si elles s'inscriront dans la pérennité. Les objectifs de construction pour 2016 ne seront de nouveau pas concrétisés.
Les mesures en faveur des aides au logement sont faibles par rapport à la nécessité de leur remise à plat complète. Je suis favorable à la dégressivité des aides au-delà d'un certain plafond de loyer pour lutter contre leur effet inflationniste. Pourquoi ne pas aller au-delà d'une demi-mesure qui n'est pas à la hauteur ? Une remise à plat est inéluctable ; il faudra peut-être introduire le principe d'un taux d'effort minimal des ménages net de l'aide versée tenant compte de leur composition familiale, du loyer et des revenus. Ce n'est pas facile, je vous l'accorde. Mais on ne pourra pas faire l'économie de ces réflexions.
M. Marc Daunis. - Avis partagé...
M. Martial Bourquin. - En effet !
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Passons à l'examen des amendements.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 1 précise que les métropoles seront représentées au conseil d'administration du FNAP.
L'amendement n° 2 établit que la contribution demandée aux sociétés d'économie mixte et aux organismes bénéficiant de l'agrément relatif à la maîtrise d'ouvrage pour financer le fonds national des aides à la pierre puisse également s'appuyer sur le produit du supplément de loyer de solidarité non affecté au financement des remises sur loyer.
L'article 56, qui prévoit d'augmenter de 125 % le montant des cotisations des bailleurs sociaux affectées au FNAP, pour atteindre 270 millions d'euros, remet en cause le montant des cotisations des bailleurs sociaux arrêté l'an dernier pour les années 2015 à 2017, à 120 millions d'euros par an. L'amendement n° 3 diminue leur taux de cotisation pour revenir au taux actuel de 1,5 % et le montant de leurs cotisations, à 200 millions d'euros, ce qui représente tout de même une augmentation de 66 % par rapport à l'an dernier, afin de compenser la non-affectation de la taxe sur les plus-values de cession d'immeubles autres que des terrains à bâtir, qui représentait 45 millions d'euros.
M. Martial Bourquin. - Le groupe socialiste s'abstient.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Égalité des territoires et logement ».
Elle émet un avis favorable aux articles 54, 55, 55 bis, 55 ter ainsi que 56 bis rattachés à la mission, émet un avis défavorable à l'article 55 quater et adopte les trois amendements à l'article 56, également rattaché à la mission.
Loi de finances pour 2016 - Mission « Économie » - Examen d'un amendement
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Mme Élisabeth Lamure présente un amendement à l'article 24 du projet de loi de finances pour 2016 sur le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac). Elle l'avait annoncé la semaine dernière.
Mme Élisabeth Lamure, rapporteure pour avis. - Face à la forte baisse de ses crédits, l'amendement abonde le Fisac de 5 millions d'euros supplémentaire, le rapprochant du niveau de l'an dernier, en réduisant les crédits du programme 220 « Statistiques et études économiques », c'est-à-dire l'Insee. Ses crédits ne baissent que de 2,5 % quand l'ensemble des crédits de la mission diminuent de 5,6 %. En transférant 5 millions d'euros, la baisse des crédits de l'Insee ne serait que de 3,8 %.
M. Martial Bourquin. - Le groupe socialiste mène une discussion avec la secrétaire d'État sur ces questions. Retirer autant de crédits à l'Insee, quand on connaît sa place dans l'ensemble des politiques publiques, n'est pas une bonne proportion. Nous votons contre.
Mme Élisabeth Lamure, rapporteure pour avis. - On souhaite abonder davantage le Fisac. Pour ne pas tomber sous le coup de l'article 40, nous devons chercher des crédits. Ceux de l'Insee baissent très peu. Là, ils seraient diminués de seulement 3,8 %. Cette mesure est raisonnable.
M. Martial Bourquin. - Franchement, les crédits de l'Insee sont essentiellement de fonctionnement. Je ne voudrais pas, comme pour la police et l'armée, qu'on soit contraint d'ajouter des crédits supplémentaires dans quelques années. On ne peut pas retirer autant de crédits à l'Insee.
Mme Élisabeth Lamure, rapporteure pour avis. - Ce n'est ni la police ni l'armée.
M. Jackie Pierre. - Et les 35 heures ?
M. Jean-Claude Lenoir, président. - C'est une façon d'obliger le Gouvernement à trouver des solutions.
L'amendement n° 1 est adopté.
La réunion est levée à 16 h 55.
Mercredi 25 novembre 2015
- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -Loi de finances pour 2016 - Mission « Politique des territoires » - Crédits « Ville » - Examen du rapport pour avis
La réunion est ouverte à 9 h 32.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Mes chers collègues, je passe la parole à notre collègue M. Martial Bourquin qui a souhaité intervenir.
M. Martial Bourquin. - Monsieur le Président, je souhaite revenir sur l'incident qui s'est déroulé hier. Je trouve qu'il est profondément inadmissible d'insulter de la sorte le ministre de l'agriculture que nous serons amenés à entendre régulièrement. Nous avons reçu des excuses un peu tardives, mais tout de même, ces attaques personnelles sont inacceptables ! Si de tels agissements venaient à se réitérer, nous ne manquerions pas de quitter la salle.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - je prends acte de vos propos. Nous en venons à l'examen des crédits du programme « politique de la ville ». Je salue la présence du rapporteur spécial, M. Daniel Raoul.
Mme Annie Guillemot, rapporteure pour avis. - Monsieur le Président, mes chers collègues, il me revient de vous présenter les crédits du programme 147 « Politique de la ville » qui est rattaché à la mission « politique des territoires ». L'examen de ce budget intervient cette année dans le contexte particulier d'attentats meurtriers qui ont ensanglanté à deux reprises la France en janvier d'abord, puis en novembre.
Prenant acte du « profond malaise social et démocratique » que connaît la France et que les attentats de janvier ont mis en évidence, le Comité interministériel à l'égalité et à la citoyenneté, réuni le 6 mars dernier, a adopté 60 mesures concernant notamment la laïcité, l'apprentissage du français, la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes, la mixité sociale, ou encore l'emploi des jeunes des quartiers. Le comité interministériel a également décidé de renforcer les moyens alloués à la politique de la ville en 2015 à hauteur de 31 millions d'euros. Ce comité s'est de nouveau réuni le 26 octobre dernier aux Mureaux pour annoncer de nouvelles mesures en matière de lutte contre les ségrégations, de lutte contre les discriminations et de prévention de la radicalisation. Je souhaite rappeler que la lutte contre les phénomènes de radicalisation est un combat de chaque instant et qu'elle suppose de ne pas transiger avec l'application de la laïcité.
J'organiserai mon propos en deux temps : j'analyserai les crédits du programme 147 inscrits au projet de loi de finances et je ferai ensuite plusieurs observations sur les mesures mises en oeuvre à la suite du comité interministériel en matière de développement économique et d'habitat dans les quartiers prioritaires.
S'agissant des crédits du programme, je tiens à saluer, dans un contexte global de restriction budgétaire, les efforts du gouvernement pour augmenter les crédits destinés aux quartiers prioritaires de la ville.
Les crédits du programme diminuent certes de 2,7 % en autorisations d'engagement et de 2,6 % en crédits de paiement pour atteindre, après examen par l'Assemblée nationale, 433 millions d'euros. Cependant cette baisse correspond à une « économie mécanique » résultant de la fin de l'entrée dans le dispositif des zones franches urbaines à compter du 1er janvier 2015.
En réalité, le budget de la politique de la ville augmente comme le montrent les crédits de l'action 1 « Actions territorialisées et dispositifs spécifiques de la politique de la ville ».
Les crédits de l'action 1 regroupent l'ensemble des crédits à destination, d'une part, des quartiers prioritaires dans le cadre des nouveaux contrats de ville, soit 197 millions et, d'autre part, des dispositifs spécifiques tels que le programme de réussite éducative et les adultes-relais soit 151 millions. Ces crédits augmentent de 4,6 %.
Aux crédits spécifiques de la ville, il ne faut pas oublier d'ajouter les crédits de droit commun, qui représentent 4,1 milliards d'euros, pour lesquels il convient d'être particulièrement vigilant quant à leur déploiement à l'occasion de la signature des contrats de ville.
La dotation de développement urbain (DDU) a été rebaptisée dotation de la politique de la ville. Ces crédits d'un montant de 100 millions d'euros, sont destinés à financer des actions prévues dans les contrats de ville mis en place dans les communes comptant parmi les plus défavorisées. Les critères d'éligibilité et de répartition devraient évoluer à compter de 2016. La population des nouveaux quartiers prioritaires actuellement en cours de calcul et d'authentification par l'Insee sera prise en compte. Je serai très attentive à l'évolution de ces critères et je souhaite que les élus soient le plus possible associés à cette réflexion. Par ailleurs, le Gouvernement a prévu de réformer la dotation globale de fonctionnement (DGF). Je serai particulièrement vigilante quant aux conséquences de cette réforme sur les communes éligibles à la DSU et plus généralement sur les communes comportant des quartiers relevant du PNRU et/ou du NPNRU.
Les crédits du programme 147 sont déployés dans le cadre de la nouvelle géographie prioritaire de la politique de la ville. La liste des 1514 quartiers prioritaires a été arrêtée en décembre dernier. Pour les quartiers sortants, deux dispositifs spécifiques sont maintenus : les conventions d'adultes-relais iront à leur terme et les programmes de réussite éducative bénéficieront jusqu'en 2017 d'une subvention progressivement réduite. De même, la Caisse des dépôts nous a indiqué maintenir la possibilité pour ces quartiers de bénéficier des prêts projet-urbain (PPU). Il faut informer les communes du maintien de cette disposition.
397 contrats de ville ont été signés, soit 90 %. Je rappelle que leur signature détermine à partir du 1er janvier l'application de certaines mesures fiscales. Le Conseil national des villes a été installé le 26 octobre dernier par le Premier ministre. L'observatoire national de la politique de la ville devrait quant à lui être installé d'ici la fin de l'année.
J'en viens maintenant à mon deuxième point qui concerne le renforcement des mesures en faveur de la création et de l'implantation des entreprises ainsi que de l'emploi des jeunes dans les quartiers prioritaires, dont le taux de chômage, je le rappelle, demeure très supérieur au taux constaté en dehors des QPV. Dans certains quartiers, le chômage des jeunes de moins de trente ans, atteint jusqu'à 40 %, voire plus.
Le présent programme consacre 99 millions d'euros au développement économique des quartiers : 46,2 millions sont ainsi prévus à l'action 1 pour l'emploi et l'insertion et 57,6 millions d'euros à l'action 2 « Revitalisation économique et emploi », pour les zones franches urbaines et l'EPIDe. Comme je l'avais déjà signalé dans mon rapport de l'année dernière, cette question m'apparaît essentielle.
S'agissant de l'emploi des jeunes, des dispositifs d'amélioration de la qualification des jeunes ont été renforcés. C'est le cas de l'EPIDe. Je rappelle que cet établissement met en place un cadre structurant d'inspiration militaire, un suivi personnalisé des jeunes et des équipes pluridisciplinaires pour les accompagner. Comme nous l'a indiqué sa directrice lors d'une audition préparatoire à cet examen du budget, 3 227 jeunes ont intégré l'EPIDe en 2014. 37 % résidaient dans les quartiers prioritaires. Le comité interministériel a décidé d'augmenter de 27 % le nombre de places d'accueil au sein de cet établissement. Ce sont ainsi 4 000 jeunes qui pourront être accueillis dans l'un des 18 centres à partir de 2016 pour une durée de 8 mois environ. En outre, deux nouveaux centres devraient ouvrir leurs portes à Nîmes et à Toulouse. Le financement de ces mesures est assuré par le dégel des crédits de l'année 2015.
Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit une subvention à hauteur de 26 millions d'euros, soit une augmentation de 17 %. Je tenais à saluer ce dispositif car si un tiers des jeunes abandonnent en cours de route, l'EPIDe a cependant permis en 2014 d'insérer 51 % des jeunes engagés alors même que le contexte économique était difficile.
Le gouvernement a également décidé de renforcer les dispositifs d'accès à l'emploi comme les emplois d'avenir ou la garantie jeune. Il a également mis en place le contrat Starter, à destination principalement des jeunes des quartiers prioritaires.
S'agissant de la création des entreprises dans les quartiers. Outre des mesures fiscales incitant à l'installation des entreprises dans ces quartiers - je pense à la mise en place d'un nouveau dispositif de ZFU, aux mesures d'exonération de taxe foncière pour les petites entreprises-, des mesures d'accompagnement à la création d'activité s'avèrent également essentielles.
L'Agence France entrepreneur, qui sera mise en place en 2016, contribuera à cette mission de soutien à la création des entreprises dans les quartiers. Je rappelle également que BpiFrance a mis en place plusieurs dispositifs d'aides aux entreprises des quartiers prioritaires et qu'elle a lancé le prêt Entreprises et Quartiers en mai dernier.
Enfin, d'autres mesures permettent de favoriser l'investissement dans l'immobilier économique. L'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA) joue un rôle important pour requalifier les centres commerciaux en perte de vitesse. L'établissement a enregistré deux fois plus de saisine par les collectivités locales dans le cadre du NPNRU. En complément, un partenariat vient de se mettre en place entre l'Anru et la Caisse des dépôts et consignations pour favoriser l'investissement dans l'immobilier des quartiers prioritaires. Si les opérations de constructions ou de réhabilitations d'immobilier commercial, d'entreprise ou d'activité sont principalement visées, ce partenariat pourrait également concerner des opérations d'équipement comme les maisons de santé, qui sont importantes pour un certain nombre de communes, ou des logements spécifiques.
J'en viens maintenant à mon dernier point qui ne manquera pas, mes chers collègues, de vous interpeller et qui concerne la concentration de l'habitat dans certains quartiers.
Ainsi, en matière d'habitat, le Premier ministre M. Manuel Valls a appelé le 6 mars dernier à « casser les logiques de la ségrégation avec une autre répartition de l'habitat ». À cette fin, le comité interministériel pour l'égalité et la citoyenneté a adopté plusieurs mesures parmi lesquelles : l'accélération de la mise en oeuvre du nouveau plan de renouvellement urbain (NPNRU), dont tous les acteurs rappellent l'importance au regard du succès du PNRU, et une meilleure répartition du parc social sur les territoires.
S'agissant du NPNRU, les listes des 200 quartiers d'intérêt national et des 250 opérations d'intérêt régional ont été arrêtées. L'Anru a adopté un nouveau règlement général qui précise que « seuls les projets qui visent une transformation du quartier grâce à un impact global, urbain, économique, social et environnemental » seront financés par l'Agence.
Dans les zones tendues, les logements sociaux détruits devront être reconstruits en dehors des quartiers prioritaires, sauf exception justifiée par l'intérêt local. Cette orientation traduit l'une des mesures adoptées par le comité interministériel pour l'égalité et la citoyenneté.
Les démolitions ne devraient plus être financées qu'à 70 % au lieu de 100 % auparavant. Or, cette décision, qui oblige les bailleurs sociaux à apporter plus de fonds propres, pourrait les conduire à proposer dans un premier temps de simples réhabilitations. Il me paraît essentiel qu'on mette fin à la concentration de logements sociaux dans un certain nombre de quartiers. Je souhaite redire que la démolition/reconstruction est l'un des moyens pour mettre un terme à une situation que le Premier ministre M. Manuel Valls a qualifié d'« apartheid territorial, social, ethnique ». Cela signifie qu'il faut avec bon sens, construire des logements dans des communes qui n'ont pas atteint leurs quotas de logements sociaux.
Les projets bénéficieront de moyens financiers sous deux formes : des subventions ou des prêts bonifiés distribués par Action Logement. Les représentants de l'USH m'ont indiqué que le recours au mécanisme d'équivalent subvention n'était pas neutre et que les organismes Hlm seraient perdants à hauteur de 150 à 200 millions d'euros.
Les règles de financement ont été actées au mois d'octobre dernier. Action Logement est le premier contributeur du NPNRU. Ce dernier apportera 84 % des fonds sous deux formes : 3,2 milliards d'euros de subventions et 2,2 milliards de prêts équivalents-subvention.
Ce sont ainsi 6,4 milliards d'euros qui seront consacrés au NPNRU : 5,3 milliards seront dédiés aux quartiers d'intérêt national et 1,1 milliard d'euros aux quartiers d'intérêt régional. Il devrait rester un reliquat de 600 millions d'euros du PNRU, dont le programme est engagé à hauteur de 92 %. Ce reliquat sera affecté au financement du NPNRU.
S'agissant de la mise en oeuvre du NPNRU, les prévisions budgétaires pour 2015 à 2017 prévoient surtout des crédits d'ingénierie et d'études permettant de réaliser les protocoles de préfiguration. Le comité interministériel pour l'égalité et la citoyenneté a cependant souhaité accélérer la mise en oeuvre du NPNRU avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignations. Un prêt d'un milliard d'euros de la Caisse des dépôts devrait permettre aux maîtres d'ouvrage, aux bailleurs sociaux et aux collectivités territoriales de lancer dès 2015 les opérations de reconstruction hors site, de démolition et de création et de rénovation d'équipements publics. Pour faire face à d'éventuels besoins de trésorerie, l'Anru aura deux sources de financements à disposition : 100 millions d'Action Logement et le prêt d'un milliard de la Caisse des dépôts et consignations.
En outre, le financement du NPNRU est stabilisé jusqu'en 2031 et Action Logement devrait concourir au financement du NPNRU au-delà de 2019, à hauteur de 500 millions d'euros chaque année.
Je me félicite que la question de la trésorerie soit résolue. Toutefois je ne vous cache pas mon inquiétude quant aux conséquences, sur la réalisation de projets de rénovation urbaine, des baisses de dotations aux collectivités territoriales et des nouvelles règles de financement de l'Anru qui obligent les bailleurs sociaux à avoir recours de façon plus importante à leurs fonds propres. De telles remarques ont également été formulées par l'Association des maires de France (AMF). Je crains en effet que faute de moyens suffisants, les opérations de rénovation urbaine soient moins importantes que prévues ou, pire, ne puissent être réalisées alors qu'il est indispensable d'agir et d'agir vite. Cette exigence de célérité a d'ailleurs été rappelée par le Ministre en charge de la politique de la ville.
Enfin, le comité interministériel à l'égalité et à la citoyenneté a rappelé la nécessité de favoriser la mixité sociale dans les logements des quartiers prioritaires. La loi de finances pour 2016 prévoit deux mesures spécifiques destinées à favoriser cette mixité sociale.
L'article 2 bis prévoit des ajustements techniques afin de faciliter la mise en oeuvre de l'application d'un taux de TVA réduit à 5,5 % pour les opérations d'accession sociale dans les quartiers et dans une bande de 300 mètres autour. Pour bénéficier de la TVA à 10%, les opérations de constructions de logements intermédiaires doivent comprendre 25 % de logements sociaux. L'article 3 ter dispense de cette condition les opérations réalisées dans des communes comptant déjà plus de 50 % de logements sociaux ou dans des quartiers objets d'une convention ANRU. Cette mesure répond aux attentes de nombreux maires.
Ces mesures destinées à favoriser la mixité sociale viennent en complément du renforcement de l'application de l'article 55 de la loi SRU. Elles complètent également une mesure d'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) prorogée l'an dernier au bénéfice des organismes Hlm et dont la contrepartie permet d'améliorer les conditions de vie des habitants des quartiers prioritaires. Une charte précisant les conditions d'utilisation de cet abattement a été signée en avril dernier. Je regrette cependant que seul 26 % du montant soit remboursé par l'État aux communes.
En conclusion, vous comprendrez, Monsieur le Président, mes chers collègues, que dans le contexte qui est le nôtre, le montant des crédits affectés à ce programme me satisfait. Je vous invite à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 147 « politique de la ville »
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous remercie, Madame le rapporteur. Je me tourne vers Daniel Raoul, rapporteur spécial de la commission des finances pour qu'il nous fasse part de ses observations.
M. Daniel Raoul, rapporteur spécial de la Commission des finances. - J'ai écouté avec beaucoup d'attention Madame Guillemot. On parle beaucoup de mixité sociale, mais je souhaite que l'ANRU avec l'aide de l'Agence France-entrepreneur accorde une place importante à la mixité fonctionnelle. En effet, il n'est pas normal qu'il n'y ait pas d'entreprises qui s'installent dans ces quartiers. Je me suis toujours battu pour qu'il y ait des entreprises, des services et de l'artisanat dans ces territoires et ce, y compris au pied des immeubles ! Il faut insister sur ce point car sinon, nous aurons toute une génération de jeunes qui n'auront jamais eu de contact avec le monde du travail. J'en ai parlé avec le directeur de l'ANRU. Il faudra ainsi qu'au sein de ces futurs projets, la mixité fonctionnelle soit une priorité.
Vous avez évoqué, Madame le rapporteur, le milliard de prêts de la Caisse des dépôts et consignations. Je ne suis pas certain qu'il sera nécessaire de le solliciter. Pour avoir discuté du plan de financement de l'ANRU avec son directeur, normalement, ce prêt ne devrait pas être activé. Cependant, se pose la question de la disponibilité du reliquat de six cent millions d'euros, que vous avez évoqué. Certaines communes, signataires des contrats avec l'ANRU, ont bénéficié d'avances, conformément aux dispositions de l'ancien système de financement, mais n'ont ensuite pas réalisé les programmes afférents. Le changement intervenu, en matière de décaissement, devrait éviter de telles situations, puisque désormais l'ANRU paiera au moment de l'ordre de service. Ce reliquat de six cent millions d'euros pourra-t-il être utilisé pour le financement du NPNRU? Ceci étant, nous disposons du milliard d'euros de la Caisse des dépôts et consignations en trésorerie. Sur le reste, je demeure en phase avec les autres propositions de votre rapporteur. Je tenais enfin à souligner que si, optiquement, une baisse des crédits peut être notée, les actions opérationnelles enregistrent une augmentation de l'ordre de 4,3 %. Dans le contexte que l'on connaît, à la fois budgétaire et social, mettre le paquet sur la politique de la ville doit être une priorité.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Monsieur le rapporteur spécial, la commission des finances a-t-elle voté les crédits de ce programme ?
M. Daniel Raoul, rapporteur spécial de la Commission des finances. - Les dysfonctionnements entre les ministères représentent un réel problème. Je ne comprends pas que la politique de la ville soit séparée de celle du logement. Au regard des sommes en jeu, cette dichotomie ne va pas de soi.
Je me bats depuis l'année dernière pour que la politique de la ville soit rattachée à la mission « égalité des territoires et logement ». Cette complémentarité est évidente et ce rattachement nous permettrait de disposer d'une vision globale des choses.
Les crédits des autres programmes de la mission ont été rejetés, ce qui a entraîné le rejet de l'ensemble des crédits de la mission, alors que tout est positif dans ce programme 147. C'est là le sort d'un programme inséré dans une mission.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci Monsieur le rapporteur spécial. Je passe à présent la parole aux membres de notre commission qui ont demandé à s'exprimer.
M. Franck Montaugé. - Merci à notre rapporteur pour son rapport très précis. Je voulais saluer, à titre liminaire, la pertinence de la nouvelle politique de la ville marquée notamment par l'introduction du critère de revenu qui a permis à des quartiers de zone rurale, voire très rurale, de devenir éligibles à ses différents dispositifs. Une évaluation de l'efficacité des sommes dépensées dans ce domaine, au cours des décennies passées, a été réalisée et a conduit à la remise en cause des stratégies de peuplement et de renouvellement de l'habitat. L'objectif de mixité sociale et spatiale constitue l'enjeu principal de la politique de la ville. C'est d'ailleurs ce que nous faisons en raisonnant au niveau des périmètres des quartiers et des territoires concernés, en particulier lorsqu'il s'agit d'agglomérations. S'agissant des crédits qui touchent à la vie de ces quartiers et qui ne relèvent pas strictement de la mission qui vient d'être évoquée, il me paraît important de souligner l'importance des politiques de droit commun qui concernent l'ensemble des domaines de l'existence de nos concitoyens. Il est essentiel de préserver un niveau significatif pour ces crédits de droit commun, puisque l'efficacité du dispositif d'ensemble de cette politique de la ville résultera aussi de la manière dont ces crédits auront été mis en oeuvre et l'ensemble de ces domaines pris en compte au bénéfice des habitants de ces quartiers. Il importe d'assurer le pilotage au niveau local de la coordination de toutes ces actions afin d'assurer la réussite de cette nouvelle politique de la ville. Ainsi, il est essentiel d'assurer la préservation de ces crédits dans la durée.
Mme Élisabeth Lamure. - Je souhaitais intervenir sur la création de l'Agence France-entrepreneur annoncée par le Président de la République à la Courneuve. Nous avions compris que cette agence avait vocation à soutenir les créateurs d'entreprises dans les quartiers prioritaires. Or, c'est loin d'être le cas puisque cette agence doit remplacer l'Agence pour la création d'entreprises (APCE), au plan national. Pour autant que je sache, cette nouvelle entité devrait être financée à hauteur de 3,5 millions d'euros. Une telle somme est infime sur le plan national lorsqu'il s'agit d'assurer le soutien à la création d'entreprises, mais elle eût été bienvenue pour soutenir les actions conduites dans les quartiers prioritaires. Quelle va donc être l'efficacité de cette nouvelle agence dans les quartiers prioritaires ?
M. Jean-Claude Lenoir, président. - C'est une question très pertinente. En effet, je découvre que l'objet de cette nouvelle agence a été modifié par rapport à ce qui avait été précédemment annoncé.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Une fois n'est pas coutume, mais je ne suivrai pas les propos de notre collègue M. Daniel Raoul lorsqu'il souhaite que la politique de la ville soit rattachée au budget du logement. Justement, la politique de reconfiguration du bâti, telle qu'elle a été conduite depuis de nombreuses années, n'est pas suffisante. Je rappelle que l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé) est peu présente dans les quartiers, lorsqu'il s'agit de lutter notamment contre l'échec scolaire et la désocialisation. L'éducation populaire, la vie associative et surtout l'école sont autant de facteurs de réussite du vivre ensemble permettant le désenclavement des quartiers. Si la politique de la ville se limite au bâti, alors point n'est besoin d'avoir un ministère de la ville ! Le champ couvert par la politique de la ville est d'un tout autre ordre, et c'est bien ce tout autre ordre qu'on n'arrive pas à réaliser ! Je connais des quartiers rénovés dernièrement, de manière très correcte, où demeurent les problèmes sociaux faute de politiques d'intégration et d'insertion des populations. Le regroupement de l'ANRU avec l'Acsé aurait été une bonne solution.
Je trouve que la lisibilité des actions distinctes de celles sur le bâti est insuffisante aux yeux de nos concitoyens et notamment de ceux qui vivent dans ces quartiers. Je pense en particulier à l'éducation populaire : on ne peut demander à l'école d'assurer à elle seule l'intégration et il devrait y avoir un programme d'éducation populaire dans ces quartiers destiné à y fortifier l'esprit civique.
Deuxièmement, il faut s'interroger sur le niveau des loyers. Les plus pauvres résident dans les quartiers qu'on vient de rénover car c'est le seul endroit où les loyers sont abordables. Aussi recommanderais-je que dans le rapport soit mentionnée la nécessité d'obtenir une visibilité sur l'éventail des loyers pour permettre une mixité.
Par ailleurs, j'aurais une observation sur l'école. Je demande qu'on étudie le nombre d'enfants qui demandent une dérogation scolaire dans ces quartiers. Ceux qui font cette démarche, afin d'étudier avec le Centre national d'enseignement à distance, se retrouvent ensuite dans les écoles coraniques. Personne ne surveille cette démarche ! La meilleure manière de le faire, c'est de contrôler par quartier combien d'enfants demandent cette dérogation scolaire.
Enfin, je souhaiterais obtenir le montant des soutiens alloués aux entreprises dans ces quartiers car, manifestement, 3,5 millions d'euros peuvent permettre une forme d'amorçage, mais ne sont, au final, nullement suffisants.
Mme Valérie Létard. - Nous avons un premier ensemble de quartiers prioritaires de la politique de la ville qui bénéficient de mesures favorisant le développement de l'ensemble des activités, via un accompagnement général des associations et des populations par le biais de mesures d'insertion et d'intégration spécifiques. Parmi ces quartiers, on trouve les quartiers considérés comme prioritaires par l'ANRU, c'est-à-dire des zones où les crédits en matière d'investissement vont être concentrés, en plus des mesures d'accompagnement des populations.
Sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville, où il importe de porter les efforts nécessaires à l'accompagnement des populations afin d'assurer leur sortie de la précarité et de résoudre la concentration de problèmes qui s'y fait jour, les efforts budgétaires existants s'avèrent beaucoup plus faibles historiquement que le niveau des financements que reçoit l'ANRU. Prenons garde de ne pas réduire les enveloppes et soyons, à l'inverse, extrêmement présents. Les événements que nous avons vécus témoignent de la nécessité de ne pas limiter notre action au bâti, mais d'être en capacité d'agir par l'éducation, la prévention auprès des familles, et par l'insertion, l'emploi et la présence d'entreprises dans ces quartiers. Lorsque vous avez mis en place un processus d'accompagnement et de sortie de la difficulté scolaire dans les quartiers, et que vous avez remis les jeunes sur la voie de l'emploi, il faut être en mesure d'assurer de réels débouchés et des solutions pérennes à défaut de voir tous les efforts déployés ruinés et de constater une perte de confiance des jeunes.
Pour cela, la mixité sociale et fonctionnelle est nécessaire. Cette dernière requiert du temps pour être mise en oeuvre. Aussi, les programmes de l'ANRU doivent-ils être liés à des études de peuplement et il faut monter des projets pour mettre en place des habitats divers et pour obtenir une organisation un peu plus équilibrée dans ces quartiers. L'école est le reflet du quartier et l'absence de mixité dans le quartier se retrouve en son sein. Il faut ainsi accompagner tous les dispositifs et les leviers d'insertion.
Quand on réduit les budgets de l'État, on génère un effet domino à la baisse qui touche l'ensemble des collectivités locales qui ne sont pas en mesure de s'y substituer. Un euro retiré sur ces budgets provoque un effet délétère. Cette enveloppe devrait ainsi être renforcée !
Aussi, les effets de la baisse des crédits vont bien au-delà de l'assistanat pour toucher l'accompagnement à la formation et à l'emploi. Sur la question du financement de l'agence France-entrepreneur, il y a là manifestement un problème. On a en effet besoin d'obtenir des moyens significatifs, car les avantages fiscaux permettent aux petites entreprises et aux artisans de s'implanter dans les quartiers et d'y pérenniser leurs activités. Il faut que l'EPARECA y consacre des moyens et soit associé à cette démarche. La présence d'entreprises et de parcs artisanaux dans les quartiers permet que des jeunes y viennent en apprentissage et pas seulement en emplois aidés. Seul l'apprentissage permet, à terme, de créer des emplois.
Enfin, sur l'ANRU, il faut faire attention à deux aspects qui seront déterminants. D'une part, en 2017 va débuter le NPNRU. Soyons vigilants sur la construction du budget de ce nouveau programme. Action logement en finance une grande partie. Que va-t-il se passer ? Légitimement, les bailleurs et les financeurs du logement vont demander à ce que ces crédits soient utilisés pour démolir et rénover du logement ce qui, en définitive, ne relève que du Ministère du logement. N'oublions pas que l'ANRU a vocation à financer les équipements publics et un certain nombre d'infrastructures. Si l'ANRU ne finance plus cela, il incombera alors aux collectivités, dont la situation financière est difficile, de le faire ! Elles n'y arriveront pas. Sur le montant des financements accordés par l'ANRU, lorsqu'une collectivité a une capacité d'autofinancement, alors on lui donne des moyens d'interventions faibles tandis que lorsqu'elle n'a pas cette capacité, les moyens sont certes plus importants mais en réalité la collectivité ne fait pas la demande ! Il faut faire attention, car de cette manière, on ne risque pas de consommer les crédits !
M. Michel Le Scouarnec. - J'aurais un mot sur la mixité sociale, à l'aune de mon expérience dans ma commune dont j'ai été le maire pendant dix-sept ans. Il est très important de la réaliser ! En fait, la région Bretagne, en choisissant cinq villes moyennes, avait réalisé l'ANRU sans ANRU, en apportant de l'argent, secondée en cela par le département. Les bailleurs sociaux et la municipalité ont aussi participé financièrement à ces opérations. Il a fallu réaliser la mixité là où elle n'existait pas. J'ai ainsi réalisé dix-sept nouvelles résidences qui ont été de francs succès !
Sur l'école, j'ai été directeur d'un groupe scolaire situé dans un quartier populaire qui concentrait les logements sociaux de ma ville. Autour de l'école se trouvaient ainsi 512 logements sociaux. Puisque des enfants des autres quartiers y étaient scolarisés, la mixité sociale s'opérait naturellement. Notre établissement obtenait ainsi les meilleurs résultats d'Auray. Or, la perte de la mixité a entraîné une baisse des résultats. Comment faire pour lutter contre un tel phénomène ? J'avais travaillé à l'époque avec l'Inspection d'académie pour obtenir des règles dérogatoires et des classes moins nombreuses. Pour les quartiers dits d'habitat social et pour les petites communes rurales, qui ont entre une et trois classes, peut-on appliquer les mêmes règles d'ouverture et de fermeture de classes que pour le reste du pays ? L'école est le pilier de la République dans les quartiers populaires, en difficulté, ou dans les petites communes rurales. J'ai pris conscience des difficultés spécifiques à ces petites communes rurales, où la perte de l'école entraîne bien souvent celle du dernier commerce, dans l'exercice de mon mandat de sénateur ! On peut faire des progrès dans ce domaine.
Mme Sophie Primas. - Avant d'intervenir sur la politique de la ville, je souhaiterais dire à notre collègue qui a fait une remarque liminaire qu'en matière d'élégance, le Gouvernement peut aussi être pris en défaut, en ne conviant ni les parlementaires ni le président du conseil départemental, à une réunion interministérielle aux Mureaux à laquelle quinze de ses membres participaient pourtant ! Nous avions très certainement quelque chose à dire sur la politique de la ville dans notre département des Yvelines.
Ceci étant dit, je souhaite évoquer le déclassement de certaines zones du domaine couvert par la politique de la ville. Certain quartiers ont été retirés de la liste des quartiers prioritaires arrêtée en décembre dernier. Ces quartiers sont toujours fragiles. Les bailleurs y connaissent de réelles difficultés pour garder le parc de logements sociaux en l'état. Les habitants ont toujours des conditions de vie fragiles. Les exonérations de taxes locales ont été supprimées. Les surloyers y ont été appliqués et dans les écoles, les procédures relatives aux zones urbaines sensibles ont été supprimées. L'effort de l'État pour soutenir ces populations fragiles n'est plus le même. Une telle tendance se conjugue à la baisse des dotations des communes et à celle des dispositifs de prévention. Ces communes connaissent ainsi une série de problèmes et leur déclassement, dans le contexte actuel, n'est pas sans susciter notre interrogation.
Je suis d'accord avec notre rapporteur en ce qui concerne la mixité sociale. Dans la vallée de Seine, nous connaissons les ghettos sociaux et nous mettons en oeuvre les mesures de rénovation urbaine pour les contrer. Néanmoins, j'attire l'attention du Gouvernement, du rapporteur et de notre commission, sur la loi SRU qui pourrait être appliquée avec plus de bon sens. Quand deux communes se touchent et que l'une dispose de 50 % de logements sociaux, tandis que l'autre n'en accueille que 5 %, sachant que toutes deux partagent les mêmes infrastructures, parmi lesquelles les écoles, faut-il nécessairement pénaliser cette dernière commune ? Opérer une fusion de communes n'est pas nécessairement la solution ! Il faut ainsi revoir les enjeux de la mixité sociale et les modalités de classement des quartiers.
M. Martial Bourquin. - Monsieur le Président, je voudrais féliciter Annie Guillemot pour son excellent rapport. Les crédits de la ville ont évolué. Les zones franches urbaines (ZFU) n'ont pas toujours donné de bons résultats, en matière d'embauche des jeunes des quartiers. Dans notre ville, on a mis en place des zones d'accueil artisanal qui se sont révélées bien plus efficaces que la ZFU et son dispositif de défiscalisation.
Dans la politique de la ville actuellement conduite, on renforce significativement les moyens donnés aux associations. Après 50 millions d'euros débloqués en 2015, ce sont 131 millions d'euros, tous ministères confondus, dont 77 pour le ministère de la ville. Cette évolution est très importante. Plusieurs collègues ont mis en exergue que la politique de la ville, ce n'est pas que le logement et elle va bien au-delà des crédits de l'ANRU. Cette politique agit sur la citoyenneté et dans beaucoup d'autres domaines. Même si le logement est important, il faut parfois recomposer la ville en modifiant la densité des quartiers. Il importe d'agir sur l'humain en même temps ! Faute de quoi, cette politique est inefficace !
Plusieurs actions peuvent s'avérer pertinentes. Les jeunes connaissent actuellement un engouement pour l'armée et la police. Nous avons renforcé les moyens de l'EPIDe. L'ouverture de 570 places supplémentaires permettant d'accueillir 1000 jeunes est une très bonne chose, tout comme le maintien de la défiscalisation au bénéfice des activités artisanales dans les quartiers. Voilà de la défiscalisation à bon escient !
Cependant, certains quartiers, non éligibles au NPNRU ont une sociologie pourtant proches des quartiers éligibles. Or, les moyens dont on dispose pour ces quartiers non éligibles s'avèrent extrêmement réduits au regard de ceux des quartiers sous convention avec l'ANRU. Lorsque nous aurons terminé le NPNRU, je crains que les quartiers qui sont actuellement en dehors de ce programme deviennent très lourds à supporter pour les collectivités.
En tout état de cause, je reconnais la qualité à la fois du budget et du rapport de notre collègue.
M. Joël Labbé. - Merci également de ce rapport. On se rend compte que d'année en année, on avance, certes avec des moyens toujours limités. Au sujet de nos anciennes ministres de la ville, Mesdames Lienemann et Létard, j'entends toujours leurs propos avec intérêt et ceux-ci me paraissent convergents. Une telle convergence est essentielle lorsqu'on définit des politiques publiques de cette ampleur ! Si l'on les écoutait toutes les deux, on irait bien plus loin que cela.
Je reviendrai sur les propos de M. le rapporteur spécial de la Commission des finances sur la mixité fonctionnelle. Nous en avons parlé d'ailleurs les uns et les autres. Il est temps de revenir à de véritables politiques globales ! Car, dans le passé, la mixité sociale, fonctionnelle, culturelle et générationnelle existait. Cette difficulté à réformer tient également au fait d'avoir une politique de la ville, une politique des espaces ruraux et hyper-ruraux, sans vision globale. Je trouve que c'est là un manque regrettable.
À cet égard, j'ai été saisi d'une question qui me paraît emblématique et qui concerne la fermeture d'un collège, situé à Vannes. Celui-ci accueille deux cents élèves et vingt-quatre nationalités. Ce collège enregistre des résultats mais sa fermeture est projetée vraisemblablement pour des motifs budgétaires. Il devrait être fusionné avec le collège du centre-ville qui devrait alors passer à huit cents élèves. La défense de ce collège de proximité ne mobilise d'ailleurs pas la totalité de son corps enseignant tandis que certains parents d'élèves considèrent que cet établissement fonctionne bien. Les avis sont ainsi partagés et je pense que l'État doit jouer un rôle essentiel dans ce domaine.
M. Jean-Pierre Bosino. - Je partage l'avis de nos collègues sur la qualité du rapport qui nous a été présenté. La question des crédits affectés à la politique de la ville relève toujours de la même histoire. Une réduction puis une augmentation, la politique de la ville suit toujours cette même démarche. Je suis très attaché aux politiques spécifiques en direction des quartiers prioritaires et on ne peut faire croire qu'on est en mesure de régler les problèmes économiques et sociaux dans ces seuls quartiers. En effet, pour assurer leur développement économique, il faut aider l'installation des petites entreprises et ce sont surtout l'artisanat et le commerce qui sont moteurs, du fait de la localisation de ces quartiers qui ne permet pas toujours aux entreprises de s'y implanter. Manifestement, il y a un manque d'espace. S'agissant des crédits dont nous discutons, il nous faut être très attentifs à la manière dont les crédits de droit commun sont fléchés. Je n'ai toujours pas compris comment ce fléchage va s'opérer.
Par ailleurs, j'ai participé, comme d'autres de nos collègues, à la journée d'information organisée par l'ANRU. Je nourris une certaine inquiétude quant aux critères retenus par l'ANRU pour accorder son financement. Le concept de « scoring » qui nous a été présenté à cette occasion induit de réelles conséquences pour les villes qui possèdent des quartiers éligibles. La question du financement des projets est ainsi sous-jacente.
Enfin, il est vrai que le taux de chômage des jeunes peut atteindre, dans certains quartiers, jusqu'à 50 %. On peut intervenir sur deux leviers. Le premier concerne le parrainage des jeunes, via le soutien aux associations et missions locales. Comment aider les jeunes à aller vers l'entreprise en acquérant le comportement requis ? Dans ma ville, nous avons organisé un forum de l'emploi après avoir organisé une rencontre entre des chefs d'entreprises et des jeunes. Lors du débat, nous nous sommes très vite interrogés sur la qualité du relationnel pour les jeunes du quartier ? Le parrainage peut ainsi fournir une réponse. Le second levier concerne les dispositifs d'insertion. Il faut les revisiter puisque leur durée actuelle ne permet pas de dispenser une formation aux jeunes dans une entreprise en allant au-delà de la simple occupation. Globaliser et mutualiser, dans des secteurs d'activités comme le BTP, sur plusieurs chantiers pourraient s'avérer une solution.
M. Michel Houel. - Je suis particulièrement satisfait que l'EPIDe continue de fonctionner avec un budget intéressant. Le premier EPIDe a été créé dans mon département de Seine-et-Marne. Lorsque les jeunes issus des quartiers difficiles veulent travailler, cela leur est possible ! Ils obtenaient ainsi un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) de cuisinier collectif ou de jardinier en collectivité. Le Président de la République a d'ailleurs visité l'année dernière l'EPIDe de Montry et il a compris qu'il fallait maintenir ce dispositif. Je formulerai une autre observation. Je regrette l'abandon des zones franches qui ont enregistré de réels résultats et permis à certains jeunes de créer leur propre entreprise et de s'en sortir. Mon troisième point portera sur mon expérience passée de maire. Lorsque je délivrais des permis de construire pour des immeubles collectifs, je demandais aux promoteurs de mettre 20 % de logements sociaux dans ces nouveaux bâtiments. Cette démarche produisait ses fruits et le 1 % patronal venait, la plupart du temps, acheter ces logements. De tels organismes ne manquaient pas d'investir dans ces programmes.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous remercie, mes chers collègues, et passe maintenant la parole à notre rapporteur pour avis, Mme Annie Guillemot.
Mme Annie Guillemot, rapporteure pour avis. - Merci, mes chers collègues, pour la richesse de vos témoignages. En effet, les questions auxquelles nous sommes confrontés sont particulièrement difficiles à résoudre.
Je partage l'opinion de M. le rapporteur spécial de la Commission des finances sur la mixité fonctionnelle. Nos collègues MM. Jean-Pierre Bosino et Joël Labbé l'ont signalé : nos quartiers sont monofonctionnels et ce, à grande échelle. Une telle configuration est le résultat de la politique conduite après la seconde guerre mondiale. Il faut que nous nous interrogions sur la réalité de notre urbanisme. Tous nos plans locaux d'urbanisme (PLU) sont fondés sur des fonctions : nous ne travaillons pas où nous dormons et nous faisons nos courses dans de grandes zones commerciales. Cet urbanisme fonctionnel est une source de difficultés. Lorsqu'on a tenté d'implanter des entreprises dans des quartiers d'habitat, tous les maires savent ce qui s'est passé ! Cet urbanisme fonctionnel a été poussé à son paroxysme dans les grands ensembles. C'est un réel problème qui nous est posé. Lorsque des chercheurs analysent les conditions d'élaboration des PLU, ils mettent en exergue le rôle nodal des « dormeurs ». Ainsi, seules les personnes qui dorment, c'est-à-dire les habitants, dessinent la configuration de nos villes, tandis que les acteurs économiques sont exclus de la réflexion des PLU. A l'inverse, dans d'autres pays comme en Belgique, les quartiers en difficulté se trouvent au coeur des villes-centres tandis qu'en France, ils se trouvent dans les banlieues. Cette différence est la conséquence de notre histoire.
Sur l'artisanat, j'ai été présidente de l'EPARECA et, à ce titre, j'ai pu faire en sorte que cet établissement puisse intervenir non seulement pour les commerces, mais aussi pour les artisans. Cette possibilité est importante en ce qu'elle permet de générer de l'activité.
La question des avances dans le cadre du PNRU représente en effet un réel problème.
L'observation de notre collègue, M. Frank Montaugé, est importante et elle rejoint l'intervention de Mme Sophie Primas sur la fin de l'éligibilité de certains quartiers à la politique de la ville. J'ai co-présidé la Concertation nationale sur la réforme de la politique de la ville et je dois dire que la prise en compte du critère de pauvreté a permis de retenir un certain nombre de quartiers qui n'étaient pas jusqu'alors éligibles. De mémoire, je rappellerai que le montant considéré est de 7.800 euros de ressources annuelles par ménage.
Je retiens vos propos, mes chers collègues et je pense, comme l'évoquait Madame Valérie Létard que nous pourrons évaluer la situation des quartiers qui ont connu soit la perte de leur éligibilité aux dispositifs de la politique de la ville soit ne sont pas éligibles à ces dispositifs comme l'a évoqué M. Martial Bourquin. Il y a vingt ans, je participais déjà aux travaux de la Commission Cavaillé sur la préfiguration des contrats de ville et, en matière d'habitat social, j'ai toujours été hostile à retenir comme unique critère l'habitat social. Le nombre d'allocataires des caisses d'allocations familiales (CAF) qui disposent de statistiques actualisées chaque année me paraît un bien meilleur indicateur de la pauvreté des populations des communes, car celui-ci recense concomitamment les habitants des parcs publics et privés.
Sur les crédits de droit commun, je pense qu'autant la politique de la ville doit viser au rattrapage et à résoudre des problèmes très complexes, autant le droit commun d'aujourd'hui, comme héritage d'une conception sociale issue du programme du Conseil national de la Résistance qui visait à instiller l'égalité dans toutes les politiques régaliennes, me paraît devoir être actualisé. Pour assurer l'équité, ne faudrait-il pas instaurer un certain nombre de critères inégalitaires dans un certain nombre de ces politiques régaliennes, comme la police, la justice et l'éducation ? Dans certains quartiers, il faudrait mettre un instituteur pour dix élèves dans les classes, tandis que dans d'autres quartiers en proie à de moindres problèmes, un instituteur pour trente élèves pourrait s'avérer suffisant. Il faut que nous réfléchissions à cette question.
A la question posée par notre collègue Mme Élisabeth Lamure, il nous a été indiqué que cette Agence France-Entrepreneur aura vocation à encourager la création d'entreprises dans « les territoires fragiles économiquement », et en particulier dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville en favorisant la création d'entreprise pérenne, en luttant contre un taux très élevé d'échec et en aidant au développement des petites et moyennes entreprises. Dirigée par M. Mohed Altrad, cette agence prendra appui sur les acteurs oeuvrant pour le développement économique tels que Citelab, BGE, Adie, ou encore Réseau entreprendre. L'agence bénéficiera d'une mutualisation des moyens existants et il nous faudra vérifier que ceux-ci s'élèvent bel et bien à 3,5 millions d'euros. À cette fin, le gouvernement a souhaité que les crédits destinés à cette agence soient regroupés au sein de la mission « Économie ». En conséquence, les députés ont adopté un amendement diminuant les crédits du présent programme de 660 000 euros, afin de les affecter au sein de la mission « Économie ». Nous essaierons ainsi d'assurer cette veille des activités et du financement de cette nouvelle agence.
Je partage ce qu'a dit notre collègue, Madame Marie-Noëlle Lienemann, sur le vivre ensemble. Aujourd'hui, c'est moins la construction de logements que l'accessibilité des loyers qui pose problème. On peut certes construire des logements, mais à partir du moment où ceux-ci ne sont pas accessibles aux populations qui continuent, quant à elles, de se concentrer dans un certain nombre de quartiers, nous manquons notre cible. Aujourd'hui, le coût du foncier représente le premier facteur de ségrégation en France. Il nous faut conduire une réflexion sur cette question, ce que nous avons commencé à faire avec la mission conduite par notre ancien collègue M. Thierry Repentin. Cette ségrégation des quartiers se retrouve à l'école et je souscris tout à fait à ce qui a été dit sur le CNED. Il faudrait ainsi faire en sorte que ce ne soit plus les maires qui vérifient si les enfants sont scolarisés et il faut arrêter d'accorder des dérogations qui se multiplient dans un certain nombre de villes. On ne sait pas ce que deviennent par la suite ces enfants !
Avec les événements survenus en France, chaque famille aujourd'hui est confrontée au risque d'une stigmatisation accrue. Avoir un logement, un emploi, du respect et de l'espérance, c'est essentiel. A défaut, les problèmes de cohésion sociale ne peuvent que survenir. Les politiques de droit commun doivent vraiment évoluer pour prendre en compte la spécificité des territoires, mais une telle démarche suppose que les régions, les départements et les métropoles se mettent ensemble autour d'un projet, ce que du reste, nos collègues MM. Martial Bourquin et Jean-Pierre Bosino appellent également de leurs voeux. Il faut vraiment retrouver cette phase de projet afin que les efforts soient recentrés vers les quartiers qui en ont le plus besoin. Il est vrai qu'une telle démarche peut s'avérer complexe. Je partage également ce que notre collègue, Mme Valérie Létard, a dit sur l'ANRU. Ce n'est pas parce qu'Action logement finance, que les programmes de réhabilitation doivent se limiter à la démolition de logements, même si celle-ci est essentielle dans un certain nombre de sites. Il faut refaire la ville dans la durée. Il importe ainsi que l'ANRU ne connaisse pas deux ou trois années de moindre activité.
Comme l'évoquait notre collègue M. Michel Le Scouarnec, les maires sont confrontés au problème de la mixité sociale et agissent pas à pas en ce sens. À la suite également de la question posée par notre collègue Mme Sophie Primas, pour résoudre les problèmes de mixité et de ghetto, il faut investir dans la culture et dans le sport. Une telle démarche repose sur les politiques de droit commun et ce, au moins au départ.
Comme je l'indiquais à Monsieur le ministre de la ville, il importe d'informer davantage sur les réussites dans nos quartiers.
En réponse à notre collègue M. Joël Labbé, on avance bel et bien, d'année en année, sur la mixité fonctionnelle.
S'agissant des zones franches urbaines évoquées par notre collègue M. Martial Bourquin, je rappellerai que celles-ci n'ont pas été abandonnées, mais plutôt recentrées. Le resserrement des critères présidant aux zones franches urbaines a permis de corriger certains dysfonctionnements.
La charte Entreprises et Quartiers a pour objet la mobilisation des entrepreneurs en faveur du développement économique et social des quartiers prioritaires.
Mme Valérie Létard et moi-même serons vigilantes sur les modalités de fonctionnement de l'ANRU.
Sur les EPIDe, sur lesquels est intervenu notre collègue M. Michel Houel, j'ai toujours pensé que ces dispositifs étaient efficaces. On devrait également créer des internats. Dans les quartiers, les maires que nous sommes rencontrons des parents qui ne savent plus gérer leurs enfants. L'internat fournit une réponse et je n'aurais pas pu poursuivre des études sans y être scolarisée. La police nous évoque souvent la situation de jeunes qui ont perdu tous leurs repères. La justice n'a d'ailleurs pas vocation, ni les moyens du reste, pour placer les enfants. L'internat est une école de vie qui peut donner des repères aux enfants.
Mme Sophie Primas. - C'est à la justice pourtant de décider le placement d'un enfant !
Mme Annie Guillemot. - Je suis d'une génération où nombre de jeunes filles, issus de familles difficiles, ont pu s'en sortir en trouvant dans l'internat des adultes qui étaient en mesure de les prendre en charge et de leur inculquer des repères. Je me félicite de la création de deux nouveaux EPIDe, mais je pense que les internats peuvent répondre aux vicissitudes de la situation qui est la nôtre aujourd'hui.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Madame le rapporteur, je vous remercie. Je donne tout de suite la parole à M. le rapporteur spécial de la Commission des finances. M. Daniel Raoul, rapporteur spécial de la commission des finances. - Je voudrais préciser quelques chiffres concernant les problèmes qui ont été évoqués par nos collègues Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Valérie Létard. La politique de la ville ne doit pas se limiter au béton, mais doit inclure d'autres domaines, comme la vie associative. Les crédits de droit commun doivent être surveillés de très près et sont négociés dans le cadre des contrats de ville. Leur montant doit s'élever à 4,2 milliards d'euros en 2016. C'est maintenant que tout se joue ! La tentation des autres ministères est de lever le pied ! Il nous faudra être particulièrement vigilant.
Puisque nous avons une différence d'approche sur les montants, ma seconde précision concerne le concours financier nécessaire de la seconde version de l'ANRU qui est de 6,4 milliards d'euros. Ce montant correspond en fait à 5,5 milliards d'euros équivalents subventions et Action logement sera le principal contributeur de ce programme avec 3,2 milliards d'euros de subventions directes et 2,2 milliards d'euros de prêts bonifiés. Ces chiffres sont contractualisés depuis le mois d'octobre dernier. Le reste du financement sera assuré par 600 millions d'euros issus du reliquat du PNRU et par la contribution, à hauteur de 400 millions d'euros, de la Caisse de garantie du logement locatif social.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Les organismes Hlm contribuent également à la réalisation du NPNRU !
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Notre collègue Marie-Noëlle Lienemann adressera aux rapporteurs une note sur ce sujet. Je mets aux voix les crédits du Programme 147 « Politique de la ville ».
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « politique de la ville ».
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je voudrais remercier Mme Annie Guillemot pour son excellent rapport et M. Daniel Raoul pour sa participation à la réunion de notre commission.
Loi de finances pour 2016 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » - Crédits « Énergie » - Examen du rapport pour avis
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous examinons à présent l'avis budgétaire du Programme 174 consacré aux « crédits énergie ». Je passe la parole à notre collègue M. Bruno Sido, rapporteur pour avis.
M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Monsieur le Président, mes chers collègues, comme chaque année, notre commission s'est saisie pour avis du programme 174 « Énergie, climat et après-mines » qui retrace les crédits consacrés à l'énergie. Au-delà de cet exercice un peu contraint, j'ai souhaité revenir sur la situation du groupe Areva après l'annonce d'une perte record de 4,8 milliards d'euros en 2014, et examiner la pertinence des mesures annoncées pour sortir de la crise.
Quelques mots, d'abord, sur le budget : en réalité, la dotation du programme - un peu plus de 510 millions d'euros - couvre dans sa quasi-intégralité les droits des anciens mineurs, ce qui justifie sa contraction régulière de l'ordre de 5,6 % cette année, en ligne avec l'évolution démographique.
Ainsi, entre 2012 et 2016, le nombre de bénéficiaires des prestations servies par l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs, l'ANGDM, aura diminué de près de 20 % ; les dépenses d'intervention - avantages en nature et prestations de pré-retraite pour l'essentiel - baisseront quant à elles encore plus rapidement pour connaître une baisse de 25 %, du fait des départs en pré-retraite ou en retraite des derniers agents actifs dont l'agence assumait encore les salaires. Parmi les prestations servies, les dépenses de chauffage et de logement diminuent aussi mais dans une proportion moindre, de l'ordre de 14 %, pour permettre la revalorisation régulière des aides et la mise en oeuvre de programmes de réhabilitation et d'adaptation des logements pour une population vieillissante.
Autre action financée par le programme, à hauteur de 29 millions d'euros, la « lutte contre le changement climatique » correspond en fait, pour l'essentiel, au financement du dispositif national de surveillance de la qualité de l'air. Après la contraction significative des crédits déjà observée l'an dernier, de l'ordre de 12 %, - cette baisse pouvant cependant s'expliquer par la non-reconduction de la contribution au financement de la COP 21 et par la fin de l'effort budgétaire consenti pour accélérer l'adoption des plans de protection de l'atmosphère notamment -, cette action enregistre une nouvelle baisse de 6 % qui interpelle précisément à quelques jours de la tenue de la COP 21. Or, aucune justification à la baisse de ces crédits n'a été fournie, ni dans les documents budgétaires ni à la suite des sollicitations de votre rapporteur pour avis.
Enfin, le programme finance, pour 4 millions d'euros, quelques dépenses très spécifiques en lien avec l'énergie telles que le contrôle de la qualité des carburants ou la subvention versée à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, pour l'inventaire triennal des déchets radioactifs, d'une part, et l'assainissement de sites pollués ou la reprise de déchets « orphelins », d'autre part. Au total, ces crédits baissent de près de 23 %, ce qui, s'agissant de l'ANDRA, tient compte en 2016 du report de certains chantiers de dépollution déjà financés ; à moyen terme, la poursuite de la baisse des subventions pourrait cependant obliger l'agence à retarder certaines opérations.
Fort heureusement, l'effort de la Nation en matière d'énergie va bien au-delà du périmètre du seul programme 174. Ainsi, la dépense fiscale augmentera l'an prochain de près d'un milliard d'euros, à 2,3 milliards, sous l'effet de la montée en charge du crédit d'impôt pour la transition énergétique, le CITE, et de l'application de deux mesures adoptées en 2014 et 2015 en faveur des industries électro-intensives. Au total, si l'on ajoute le taux réduit de TVA pour les travaux de rénovation énergétique des logements, rattaché formellement à un autre programme, la dépense fiscale atteint près de 3,5 milliards d'euros.
Les crédits en faveur de l'électrification rurale, retracés dans un compte d'affectation spéciale, sont par ailleurs reconduits à 377 millions d'euros même si l'on observe, sur l'année 2014, une sous-consommation importante des crédits. Ainsi, moins de la moitié des crédits de paiement ont été consommés. Le Gouvernement explique qu'il s'agit là d'une situation transitoire, liée notamment au déménagement de la mission « FACÉ » sur le site de la Défense et au départ de plusieurs gestionnaires, et que les retards seront en grande partie résorbés courant 2015.
Enfin, plusieurs mesures nouvelles en lien avec l'énergie sont prévues : d'une part, dans le prolongement de la disposition adoptée l'an dernier pour les nouvelles installations de méthanisation, l'exonération de fiscalité locale est étendue aux méthaniseurs existants, dits « pionniers », pour un coût total sur entre 2016 et 2021 de 18 millions d'euros ; or, si l'effet d'aubaine est réel, cette mesure est avant tout l'une des réponses aux difficultés actuelles de l'élevage. D'autre part, le rapprochement des fiscalités du diesel et de l'essence générera, compte tenu de la forte diésélisation du parc, une recette d'environ 245 millions d'euros qui servira en particulier à alléger la fiscalité locale des retraités.
Je rappellerai cependant, entre autres, que le mouvement avait en fait déjà été initié par la mise en place de la composante carbone en 2014, qu'il a jusqu'à présent été relativement indolore pour nos concitoyens compte tenu de la baisse des cours du pétrole mais qu'il n'en sera pas toujours ainsi et qu'enfin, le moteur diesel, par son rendement thermique supérieur, émet moins de CO2 qu'un moteur essence. Surtout, cette mesure aurait mérité d'être intégrée dans une réflexion plus globale sur la fiscalité énergétique. Également, un prélèvement de 90 millions d'euros est opéré sur le fonds de roulement de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'Ademe ; entre 2009 et 2014, le fonds de roulement, de 434 millions d'euros au 31 décembre 2014, avait il est vrai été abondé par des rentrées de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) supérieures aux décaissements des aides mais cette réserve était destinée à financer la montée en puissance des actions de l'agence. Ainsi, depuis 2015, le fonds de roulement est consommé au rythme d'au moins 100 millions d'euros par an, sachant que l'agence doit conserver une trésorerie minimale d'environ 100 millions pour assurer les premiers décaissements de l'année avant le versement de la TGAP. Dès lors, si un tel prélèvement ne pose pas de problème sur 2016, il obligera à se reposer la question du financement de l'agence dès la préparation de son budget pour 2017 et l'on ne peut donc que regretter cette gestion de court terme alors même que les missions de l'Ademe vont croissant.
En outre, le Gouvernement a introduit une mesure attendue de « compensation carbone » au profit des électro-intensifs à laquelle le Sénat, à l'initiative de notre commission, lui avait demandé de travailler dans le cadre de la loi « transition énergétique » : concrètement, il s'agit d'une aide, autorisée par le droit européen et déjà mise en place chez certains de nos voisins, qui compensera le coût indirect du carbone, c'est à dire le coût des quotas d'émissions répercutés sur les prix de l'électricité ; cette aide viendra alléger la facture des industriels d'environ 3 euros par MWh, pour un coût estimé à 93 millions d'euros en 2016. Enfin, les prorogations du CITE, pour une année supplémentaire, et de l'éco-prêt à taux zéro, pour trois ans, apportent de la visibilité mais ne dispenseront pas d'une évaluation de l'efficacité de ces dispositifs, qui est contestée pour le premier tandis que pour le second, le nombre de prêts distribués n'a cessé de diminuer depuis 2010.
Mais ce budget se caractérise aussi par ce qui n'y figure pas. En premier lieu, le financement de la transition énergétique doit être assuré par des montages extrabudgétaires complexes, via un fonds d'1,5 milliard d'euros sur trois ans logé à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et au sein duquel une « enveloppe spéciale transition énergétique » est elle-même créée. De nombreuses ressources doivent l'abonder : une partie des dividendes de la CDC et du produit des certificats d'économie d'énergie, le redéploiement d'enveloppes existantes du programme d'investissement d'avenir ou encore des ressources propres de la caisse. Sauf qu'à ce jour, le compte n'y est pas puisqu'en additionnant toutes les ressources annoncées, il manque encore 150 millions d'euros !
En second lieu, deux mesures structurantes sont renvoyées au « collectif » budgétaire qui justifient que notre commission s'en saisisse pour avis : l'évolution de la composante carbone pour 2017, qui tient compte de la trajectoire votée dans la loi de « transition énergétique » mais qui laisse entière la question de la compensation de la mesure par la baisse d'autres prélèvements, pourtant prévue par la même loi ; et, surtout, la budgétisation de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) qui aura pour effet de réintégrer, dès 2016 - ce qui appellera des mesures de coordination dans le présent texte -, plus de 6,4 milliards d'euros de charges et de ressources dans le budget de l'État. Sans entrer dans le détail, notons déjà que cette réforme valide rétrospectivement l'analyse du Sénat tant en termes de contrôle parlementaire que de sécurisation juridique du dispositif au regard du droit communautaire.
J'en viens maintenant à l'analyse de la situation d'Areva qui fait ressortir plusieurs éléments saillants.
S'agissant du diagnostic, globalement partagé par tous les acteurs du dossier, il apparaît clairement que les causes des difficultés actuelles sont autant externes qu'internes à l'entreprise. Après l'accident de Fukushima, le marché du nucléaire s'est brutalement contracté quand, dans le même temps, la crise économique entraînait une stagnation de la demande dans les pays développés et que l'exploitation des gaz de schiste aux États-Unis, en rendant les centrales au gaz plus compétitives, avait un effet d'éviction sur la construction de centrales dans le pays. Les fondamentaux du marché ont aussi changé rapidement, sur les marchés matures d'abord, où la stabilité de la demande et la baisse des prix de marché ont accru la pression sur les clients d'Areva, qui la répercutent sur leurs fournisseurs ; sur le marché des nouveaux réacteurs ensuite, avec l'émergence de nouveaux concurrents chinois, russes ou sud-coréens bénéficiant d'un marché intérieur captif et du soutien financier de leurs États.
La situation a cependant été aggravée par des erreurs stratégiques et de gestion propres à l'entreprise. Sur le plan de la stratégie, le pari du « modèle intégré » regroupant l'ensemble des métiers du nucléaire n'a jamais produit les synergies escomptées. Dans le cadre d'une gouvernance qui interroge, il a surtout servi à justifier une course à la croissance qui s'est soldée par des investissements malencontreux, à commencer par un UraMin payé au prix fort et sans toutes les certitudes sur la teneur en minerais des gisements, et par la signature de contrats très favorables aux clients, dont l'EPR finlandais est symptomatique : une fourniture « clés en main » sans précédent dans le nucléaire, un calendrier excessivement optimiste - 50 mois contre 150 pour la tête de série des réacteurs de seconde génération - et la possibilité pour le client d'exiger des modifications à tout moment sans compensation, ce qu'il n'a pas manqué de faire.
À ces difficultés propres au groupe se sont ajoutées celles liées au manque de cohérence entre les stratégies d'Areva et d'EDF, en matière d'approvisionnement, où la diversification des achats décidée par EDF a réduit les volumes confiés à Areva, et à l'international, où « l'équipe de France » s'est souvent présentée en ordre dispersé, voire parfois en concurrence frontale.
Sur le plan de la gestion, ce sont surtout les difficultés d'exécution des grands projets qui ont pesé sur les résultats et sur l'endettement du groupe : accusant neuf ans de retard, l'EPR finlandais a obligé le groupe à inscrire dans ses comptes 4,5 milliards d'euros de provisions pour pertes ; à Flamanville, Areva, fournisseur de la chaudière nucléaire, doit maintenant démontrer la sûreté de la cuve à l'issue d'un programme d'essais dont les résultats, sur lesquels tant Areva qu'EDF affichent leur confiance, sont attendus courant 2016 ; enfin, la complexité du réacteur de recherche Jules Horowitz s'est aussi soldée par des retards importants et par un triplement du budget initial, à 1,5 milliard d'euros.
Il reste qu'Areva dispose d'atouts importants pour se redresser : un carnet de commande de près de 47 milliards d'euros représentant plus de cinq années d'activité, des compétences et un savoir-faire reconnus ainsi qu'un outil industriel modernisé, voire même sans équivalent dans l'aval du cycle.
Pour surmonter ses difficultés et capitaliser sur ses atouts, Areva a annoncé, en mars dernier, un plan de transformation assis sur trois piliers qui font sens sur le plan industriel.
En premier lieu, il s'agit de recentrer le « nouvel Areva » sur son « coeur de métier », les activités du cycle de l'uranium, c'est-à-dire le périmètre de l'ancienne Cogema, où le groupe détient des positions fortes. De cette première orientation découlent la recherche de partenariats - comme avec l'espagnol Gamesa dans l'éolien offshore - ou la cession d'actifs dans les autres métiers - tels que la filiale Canberra dans la mesure de la radioactivité et surtout celle de la branche réacteurs et services à la base installée, Areva NP - l'ex Framatome - à EDF.
Ce qui nous amène au second pilier, la refonte du partenariat avec EDF qui est centrale tant les deux entreprises sont liées : Areva est le premier fournisseur d'EDF et EDF son premier client. Cette refonte passera d'abord par la prise de participation majoritaire d'EDF, entre 51 et 75 %, dans Areva NP, qui est justifiée par la proximité de ces activités avec ses métiers historiques. Compte tenu du lien qui demeurera entre les deux entités sur le combustible, le nouvel Areva en conservera une part minoritaire stratégique comprise entre 15 et 25 %, les parts définitives de l'un et de l'autre devant varier en fonction de l'entrée de partenaires industriels tiers, sans doute chinois et japonais. Dans ce cadre, EDF a demandé en particulier à être immunisé de tout risque lié à l'EPR finlandais, j'y reviendrai.
Le renforcement de la relation entre les deux groupes passera en outre par la création d'une société commune d'ingénierie, de gestion de projet et de commercialisation de réacteurs neufs, qui est décisive pour arriver groupés dans la bataille à l'export, et par un accord de coopération stratégique pour sécuriser les contrats entre les deux groupes.
Second volet du plan de transformation, le plan de compétitivité a pour objectif de générer un milliard d'euros d'économies d'ici à 2017. Sur le plan social, cet effort se traduira par un plan de départs volontaires - puisque les départs non forcés seront la règle - qui devrait concerner, selon le projet transmis aux syndicats en octobre, 2 700 postes en France.
Dernier axe, la couverture des besoins de financement, estimés à 7 milliards d'euros sur 2015-2017, sera assurée par des financements propres, pour 1,2 milliard, et des cessions d'actifs, pour 2,4 milliards - 2 milliards pour 75 % d'Areva NP et 400 millions pour Canberra. Quant aux 3,4 milliards restants, ils devront être couverts pour l'essentiel par une augmentation de capital souscrite par l'État à hauteur de 2,5 à 3 milliards d'euros et financée par le programme de cessions de l'Agence des participations de l'État.
Au total, les principes mis en oeuvre dans ce que le Président de la République a qualifié de « refondation de la filière nucléaire française » me semblent bons et de nature à sortir Areva de la crise, à savoir, dans le cycle, un nouvel Areva plus compétitif est en mesure de reconquérir des parts de marché et, dans les réacteurs, la répartition des rôles est clarifiée avec une « équipe de France » remise en ordre de bataille et réorganisée autour d'un « trépied » constitué d'un chaudiériste-fournisseur de services, Areva NP, une filiale commune d'ingénierie et un architecte-ensemblier, EDF.
La réussite de l'opération est désormais conditionnée à l'atteinte d'un certain nombre d'objectifs qui sont autant de points de vigilance: la bonne réalisation du plan de compétitivité, qui devra tout particulièrement préserver les compétences commerciales et celles liées à la sûreté ; l'accompagnement social des mesures de productivité ; la définition d'une relation équilibrée avec EDF, notamment par la conclusion de contrats équitables pour les deux parties ; la recherche de partenariats industriels créateurs de valeur ; pour être clair, il s'agira de s'assurer que l'entrée de partenaires tiers n'aboutisse pas à des transferts massifs de technologies ; l'adaptation de l'offre aux nouvelles demandes du marché - c'est notamment l'objet de l'EPR « nouveau modèle » qui vise une baisse des coûts d'environ 20 % ; la mise en oeuvre d'une augmentation de capital adaptée aux besoins de financement du nouvel Areva et la plus rapide possible afin de donner de la visibilité sur le devenir de l'entreprise ; la validation des opérations de cession et de recapitalisation par les autorités européennes ; et enfin, la question centrale du portage du risque finlandais, auquel EDF a exclu de participer et qu'il paraît difficile de reporter sur un nouvel Areva au périmètre resserré. Avec l'entrée d'investisseurs tiers, c'est là l'une des incertitudes qui pèse encore sur le dossier.
S'agissant du vote sur les crédits du programme 174 et du compte d'affectation spéciale sur l'électrification rurale, je recommande ainsi à la commission un avis de sagesse. Je vous remercie de votre attention.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci monsieur le rapporteur. Votre avis nous a permis de faire un tour d'horizon sur les questions qui se posent à la filière dans son ensemble. Je passe la parole à nos collègues qui en ont fait la demande, en commençant par M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. - Merci monsieur le Président. Il est vrai que les crédits du programme sont en baisse sur la plupart des actions, mais vous l'avez précisé vous-même, monsieur le rapporteur, cette baisse participe de l'effort budgétaire. Elle est aussi la conséquence structurelle de la baisse régulière, de l'ordre de 3 % pour l'année 2015, du nombre d'anciens mineurs bénéficiaires des droits et prestations sociales. Vous avez eu raison de préciser également que le budget de ce programme ne représentait qu'une faible partie des moyens consacrés à la politique énergétique. En effet, la politique énergétique est transversale et d'autres programmes ainsi que d'autres missions, comme celle consacrée à l'écologie, participent à son financement. Les dépenses fiscales, je l'ai bien noté, sont en hausse pour atteindre 3,5 milliards d'euros, soit six fois le total des crédits du programme. Le crédit d'impôt transition énergétique passe à 1,4 milliard d'euros et le taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 5,5 % en faveur de la rénovation thermique des logements est chiffré à 1,12 milliard d'euros pour 2016. Le fond dédié à la transition énergétique est quant à lui doté de 1,5 milliard d'euros sur trois ans. Les programmes d'investissement d'avenir participent à la transition énergétique à hauteur de 11 milliards d'euros. Enfin l'ADEME voit son financement inchangé et la Caisse des dépôts a ouvert une ligne de crédits de 5 milliards d'euros au profit des collectivités pour la rénovation des bâtiments communaux.
Comme vous l'avez indiqué, monsieur le rapporteur, la CSPE devrait être portée à 7 milliards d'euros en 2016, avec une réforme à laquelle d'ailleurs le Sénat s'était associé dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. La loi de finances rectificative permet d'ailleurs d'examiner à nouveau ce dispositif. Quels sont les avantages de cette réforme ? La définition d'un cadre juridique robuste qui tienne compte de la jurisprudence confirmée en matière d'accises, le renforcement du contrôle du Parlement - en phase, d'ailleurs, avec les recommandations de la Cour des comptes - et la transparence accrue des charges. Cette réforme permet également de mettre en conformité les régimes d'exonérations, dont les gros consommateurs sont bénéficiaires, avec le droit communautaire, s'agissant notamment des nouvelles lignes directrices sur les aides d'État en matière d'énergie et d'environnement qui ont été publiées en 2014. En outre, cette réforme assure également un partage plus efficient de l'effort entre l'électricité et les autres énergies, afin d'éviter que la totalité des coûts du service public et de la transition énergétique ne soit uniquement assumée par l'électricité laquelle, en France, demeure largement décarbonée.
Je voudrais terminer, monsieur le Président, sur un point. Aux causes déjà évoquées des difficultés de l'opérateur Areva, me paraissent devoir être ajoutés, d'une part, les dysfonctionnements profonds de la filière nucléaire dont les opérateurs se sont faits concurrence à eux-mêmes à l'international ainsi que, d'autre part, la réorientation de l'approvisionnement d'EDF vers Rosatom, au moment où Areva investissait massivement dans son outil de conversion en uranium, comme le programme Comurhex 2 implanté dans l'Aude.
Je ne formulerai qu'une seule question, monsieur le rapporteur : où en est-on du traitement de l'anomalie constatée dans la composition de l'acier de certaines zones du couvercle et du fond de cuve du réacteur de Flamanville ? Avons-nous avancé sur cette question ? Je vous remercie.
M. Ladislas Poniatowski. - Je félicite notre rapporteur pour son rapport très complet. Je soutiens sa proposition de sagesse, compte tenu des observations équilibrées qui ont été les siennes. Je formulerai à mon tour quatre observations. La première concerne la CSPE dont la situation va sans doute évoluer après la loi de finances rectificative. Si nous ne savons pas encore quelle sera la position de l'Assemblée nationale, nous pouvons en revanche anticiper les contours de cette évolution. Elle correspond peu ou prou à la proposition de la commission des finances du Sénat que nous avions adoptée dans la loi relative à la transition énergétique, avec un avis de sagesse émanant de l'opposition sénatoriale d'ailleurs. La proposition du Gouvernement fixe certes le scénario qui se prépare mais nous manquons encore d'éléments quant à sa mise en oeuvre. En tous les cas, nous aurons à nous prononcer les 9 et 11 décembre sur cette question.
Monsieur le rapporteur, je partage les inquiétudes qui sont les vôtres sur la situation d'Areva. On attend beaucoup des contrats qui doivent venir de l'étranger, s'agissant notamment des projets partagés avec les Chinois et concernant les centrales à dimension intermédiaire. J'ai beaucoup apprécié votre analyse même si je demeure plus pessimiste que vous ne l'êtes !
Ma troisième observation concernera le retard enregistré sur le chantier de Flamanville. Je ne peux, à cet égard, qu'opérer un rapprochement avec Fessenheim et vous auriez pu être plus sévère dans votre constat ! Le raccordement au réseau de Flamanville, sauf mauvaise surprise, ne pourra être assuré qu'en 2018 et arrêter Fessenheim avant cette date constituerait une véritable erreur économique pour notre pays ! Vous auriez pu, monsieur le rapporteur, parler de la situation de Fessenheim et être beaucoup plus ferme là-dessus ! Il faut lier les évolutions respectives de ces deux centrales ! J'espère que ce choix ne sera pas définitif.
Enfin, concernant la question des partenariats avec d'autres industriels que pourraient nouer Areva et EDF, il faut aller beaucoup plus loin ! S'il est très bien qu'EDF ait trouvé des partenaires chinois pour construire des EPR en Grande-Bretagne, des partenariats seront aussi indispensables pour assurer le financement de la prolongation de la durée de vie de nos centrales. Il va falloir en effet débourser de 400 à 600 millions d'euros par centrale ! L'endettement d'EDF ne lui permettra pas de tout financer. Lorsque nous l'avions auditionné, M. Jean-Bernard Lévy avait éludé la question mais il l'a évoquée depuis. Vous auriez pu prendre une position dans votre rapport en faveur de tels partenariats. Dans tous les cas, je vous suivrai, monsieur le rapporteur, dans votre souhait de position de sagesse sur les crédits.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Ce rapport est intéressant car il élargit le débat. Lors du débat sur la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, nous avions évoqué le caractère inflationniste sur les matériaux que pouvaient induire les subventions et les aides fiscales. Nous avions ainsi préconisé que soit conduite une observation des prix des matériaux sur l'ensemble de la filière.
S'agissant d'Areva, je suis favorable à des partenariats pour autant que les transferts de technologies soient maîtrisés. En revanche, la question de l'ouverture du capital d'entreprises nucléaires au secteur privé, voire à des investisseurs étrangers, ne me paraît pas souhaitable. Disposez-vous d'informations sur cette question ?
M. Jean-Pierre Bosino. - Ma première question portera sur l'expérimentation du chèque énergie qui concerne 150 000 foyers. Nous serions intéressés à ce qu'il y ait une première évaluation de la mise en oeuvre de ce dispositif qui ne semble pas améliorer la situation des personnes en situation de précarité énergétique. Nous sommes attentifs également à l'évolution de la CSPE qui fera d'ailleurs l'objet d'un prochain débat.
S'agissant d'Areva, nous pensons qu'au-delà de la recherche de partenaires, l'État doit recapitaliser. Nous sommes un peu dans la même situation à cet égard qu'avec la SNCF. Areva a en effet réalisé un certain nombre d'investissements, quand bien même elle a pu commettre certaines erreurs stratégiques. Dans l'intérêt de la Nation, il serait juste que l'État participe, à bonne hauteur, à la recapitalisation de cette entreprise. En outre, je rejoins mon collègue Ladislas Poniatowski en m'interrogeant également sur la capacité financière d'EDF d'assurer le renouvellement de son parc. Enfin, je souhaiterais, comme ma collègue Marie-Noëlle Lienemann, avoir des précisions sur le capital d'Areva et ses perspectives d'évolution.
M. Joël Labbé. - Comme vous vous y attendez, nous n'allons pas voter ce budget. Néanmoins, je formulerai une première observation sur les futurs marchés du nucléaire et tout particulièrement sur celui du démantèlement de centrales nucléaires, qui va se développer. Nos sociétés françaises, qui savent les construire, doivent aussi se positionner pour en assurer la déconstruction. Parmi les causes des difficultés que traverse actuellement l'opérateur Areva, vous avez évoqué une acquisition d'UraMin au prix fort et j'aurais aimé avoir des précisions sur ce point.
M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Notre collègue Roland Courteau a précisé des chiffres sur lesquels je n'ai rien à ajouter. Il a également posé une question, dont il connaît la réponse en tant que membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). Lorsque l'Opecst a organisé une table ronde sur le sujet, il nous a été précisé que des essais seraient réalisés début 2016 sur des échantillons similaires aux forgés de la cuve de Flamanville. Ces tests seront suivis par l'ASN qui devrait donner son avis définitif sur la sûreté de la cuve à la fin du premier semestre 2016. L'affaire est suivie de très près et je dois souligner, pour les avoir interrogés, que ni AREVA ni EDF ne sont inquiets quant aux résultats de ces études complémentaires.
Je vous remercie, M. Ladislas Poniatowski, pour votre soutien. Il est vrai que la budgétisation de la CSPE représente une grande victoire car elle permettra un meilleur contrôle du Parlement. Je rappellerai que les charges couvertes par la CSPE ont explosé et que, par le seul prolongement de la trajectoire actuelle la CSPE représenterait demain près de 25 % de la facture du consommateur. Que le Parlement vote la CSPE dans le cadre du budget me paraît une très bonne chose !
S'agissant de la situation d'Areva, je ne suivrai pas votre pessimisme. Au fond, la réorganisation prévue revient à ramener le nouvel Areva dans le périmètre de l'ancienne Cogema et à recréer Framatome de l'autre, tout en créant une filiale commune avec EDF pour la conception, la gestion de projet et la commercialisation des nouvelles centrales nucléaires. Surtout, le nouvel Areva et Areva NP disposent d'un carnet de commandes important et tous les collaborateurs d'Areva sont très motivés pour assurer le redémarrage de leur société. Il faut solder le passé et il faudra aussi recapitaliser.
S'agissant des partenariats avec d'autres opérateurs, il est clair qu'EDF ne pourra pas financer à lui seul le grand carénage et le renouvellement du parc et qu'il est à la recherche de partenariats dans cette optique.
À notre collègue Mme Marie-Noëlle Lienemann, qui évoquait l'effet inflationniste des aides fiscales, il est vrai que l'UFC-Que choisir a constaté que, comme à l'accoutumée, les subventions profitaient aux fournisseurs et non aux clients en se traduisant par une augmentation des prix. C'est hélas une tendance générale. Comment faire pour que ces subventions profitent bel et bien aux usagers ? C'est toujours la même question.
S'agissant de l'évolution du capital d'Areva NP, celui-ci sera détenu par le secteur public au minimum à 66 %, soit EDF à hauteur de 51 % et Areva à hauteur de 15 %. Il n'y a donc pas de crainte à avoir ! S'agissant des 34 % restants, divers partenaires ont exprimé leur souhait d'entrer au capital d'Areva. Ainsi, il semblerait que Mitsubishi, qui a déjà travaillé avec Areva sur le réacteur Atmea, qui est une grande réussite, souhaiterait en devenir le troisième et unique actionnaire. Le Gouvernement, quant à lui, privilégierait l'entrée, à la fois, d'investisseurs japonais et chinois, Areva devant rester, en tout état de cause, l'actionnaire minoritaire le plus important. Il faudra cependant rester vigilant sur les transferts de technologies potentiels à l'occasion de ces partenariats.
Le chèque énergie n'entrait pas dans le champ du rapport mais ce dispositif doit faire l'objet, comme l'a évoqué notre collègue Jean-Pierre Bosino, d'une expérimentation, il est donc encore trop tôt pour en tirer les enseignements. Puisque celui-ci sera payé par la CSPE, il nous faudra surveiller de très près l'évolution des prix de l'énergie afin de nous assurer que ce dispositif n'induit pas de conséquences inflationnistes !
L'État devrait recapitaliser le nouvel Areva pour un montant sans doute compris entre 2,5 et 3 milliards d'euros. S'il le fait, ce sera bien en tant qu'investisseur avisé et non à pertes car les perspectives sont bonnes !
Notre collègue Joël Labbé a raison en évoquant le futur marché que représente le démantèlement des centrales nucléaires. Même si les centrales qui ont aujourd'hui quarante ans peuvent être prolongées jusqu'à soixante, un moment ou un autre, leur démantèlement s'avérera inéluctable. EDF dispose d'une certaine expérience dans ce domaine, à l'image du démantèlement de la centrale de Brennilis, dont le retard - je le dis sans aucun esprit polémique - était dû au contentieux juridique auquel cette opération a donné lieu.
Concernant UraMin, Areva a effectivement acheté au plus haut des cours de l'uranium avant que ceux-ci ne s'effondrent, en raison notamment de l'accident de Fukushima. On a également l'impression que toutes les précautions n'ont pas été prises pour s'assurer de la teneur en minerais des gisements et que des divergences existaient, au sein de l'état-major d'Areva lui-même, quant à la pertinence de cette transaction. Au total, la dépréciation des actifs engagés se monte à plus de deux milliards d'euros sur les trois milliards dépensés pour acheter la société puis investir dans l'exploitation des gisements.
À ce problème s'ajoute l'évolution de l'EPR finlandais, dont le contrat a été mal rédigé non par incompétence, mais dans un contexte où l'on s'attendait à ce que les autres marchés assurent le renflouement des pertes, qu'on imaginait par ailleurs moindres, de ce programme qui devait être pilote. Les pertes essuyées dans le cadre de ce programme sont considérables et s'élèvent, quant à elles, à plus de 4 milliards d'euros.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous remercie monsieur le rapporteur. J'invite désormais la commission à se prononcer sur les crédits du Programme 174 « Énergie, climat et après-mines » ainsi que sur le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale ».
La Commission émet un avis de sagesse sur les crédits du programme « Énergie, climat et après-mines » ainsi que sur le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale ».
Loi de finances pour 2016 - Mission « Ecologie, développement et mobilité durables » - Crédits « Pêche et aquaculture » - Examen du rapport pour avis
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous examinons à présent l'avis budgétaire concernant la pêche maritime et l'aquaculture au sein du programme 205. Je passe la parole à notre collègue M. Michel Le Scouarnec, rapporteur pour avis.
M. Michel Le Scouarnec, rapporteur pour avis. - Monsieur le Président, mes chers collègues, nous n'avons pas souvent l'occasion de nous pencher sur la pêche maritime et l'aquaculture. Or, il existe une ligne budgétaire au sein du programme 205 « sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture » de la mission « écologie, développement et mobilité durables », qui vise à soutenir le secteur de la pêche et de l'aquaculture.
Le projet de loi de finances permet donc de parler un peu de nos ports de pêche, de nos navires, de nos conchyliculteurs, essentiels à l'économie du littoral.
Tout d'abord, constatons que la pêche française va mieux depuis deux à trois ans. Après 10 années de crise, au cours de laquelle la réduction de la taille de notre flotte de pêche s'est poursuivie, les cours du poisson se maintiennent voire progressent - on pêche moins mais on vend plus cher - les stocks sont en voie de reconstitution dans certaines zones, en particulier l'Atlantique Nord, et les prix du carburant ont baissé.
Tous ces facteurs permettent aux pêcheurs de dégager de meilleurs revenus qu'auparavant. Lors de l'audition du comité national des pêches maritimes et élevages marins, il m'a été indiqué que l'année dernière, la part de pêche, c'est-à-dire le salaire du pêcheur, pouvait aller de 2 000 à 8 000 euros mensuels.
Si la pêche maritime française va mieux, tous les problèmes ne sont pas pour autant réglés : certaines pêcheries restent menacées par des baisses de quota - la sole en golfe de Gascogne ou en Manche-Est, le cabillaud et l'églefin en mer celtique - ou encore par des arrêts temporaires d'activité de pêche, comme on peut le craindre pour le bar dans l'Atlantique. Par ailleurs, la Méditerranée continue à manquer de poissons. La profession réclame moins de brutalité dans les variations de quotas, et notamment la mise en place de systèmes de quotas pluriannuels, pour plus de lisibilité.
La pêche doit par ailleurs s'adapter à la nouvelle politique commune de la pêche (PCP), notamment en mettant fin aux rejets en mer, c'est-à-dire en débarquant toutes les prises, en améliorant la sélectivité des engins, en répondant à l'impératif d'excellence environnementale. S'il faut tout débarquer, des investissements doivent être faits. Au demeurant la pêche est très contrôlée, en mer, à terre, dans les criées ...
Nous sommes à la croisée des chemins : la pêche française doit profiter de la période plutôt favorable qu'elle traverse pour se moderniser : avec un âge moyen de 26 ans, la flotte métropolitaine est vieillissante, gourmande en carburant et peu confortable pour les équipages et constitue à terme un handicap structurel. L'année dernière, j'avais indiqué que la part du carburant pouvait atteindre 40 % des coûts de fonctionnement. Il faut profiter de l'actuelle période pour construire des bateaux ou les rénover.
Concernant les crédits des pêches maritimes et de l'aquaculture proprement dit, le budget 2016 s'inscrit dans la continuité du budget 2015 : l'enveloppe est en légère baisse, avec 46,8 millions d'euros contre 47,9 millions d'euros l'année dernière.
La répartition de l'enveloppe n'évolue pas significativement avec 6,8 millions d'euros pour la recherche scientifique, dont une part importante est destinée à l'IFREMER. À cet égard, les professionnels craignent un désengagement de l'IFREMER sur la recherche halieutique, qui représenterait aujourd'hui 8 millions d'euros environ sur les 215 millions de budget de l'Institut. Il nous faudra être d'une grande vigilance sur le sujet car l'acquisition de données scientifiques, notamment par les programmes d'observations en mer, est décisive dans le cadre des négociations annuelles avec Bruxelles sur les quotas.
6,2 millions d'euros de crédits sont consacrés au contrôle des pêches, qui constitue une obligation communautaire. Mais le budget des pêches ne porte qu'une faible part des moyens de contrôles, la prise en charge des moyens humains relevant d'autres budgets. L'activité de contrôle est évaluée à 460 emplois temps plein par la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA).
Les lignes de crédits destinés à la caisse de solidarité intempérie des marins, à l'assistance technique et au repeuplement de civelles ou à la recherche outre-mer sont reconduites.
Enfin, un peu plus de 20 millions d'euros sont mobilisés pour cofinancer les actions de développement économique qui sont éligibles aux aides européennes : plans de production et de commercialisation des organisations de producteurs, aides au stockage, innovation, appels à projets.
En réalité, le budget de l'État n'est ni le seul, ni le plus important des soutiens à la pêche et l'aquaculture : depuis plusieurs années, les crédits européens jouent un rôle majeur.
L'enveloppe de la France au titre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) pour la période 2014-2020 est bien plus importante que l'enveloppe du fonds européen pour la pêche (FEP) de 2007-2013. Les 588 millions d'euros de crédits européens doivent permettre de lever au total 822 millions d'euros d'aides publiques, venant aussi en partie des régions. C'est considérable ... mais pour l'instant virtuel car la mise en oeuvre du FEAMP est encore différée : présenté en avril dernier, le programme opérationnel français n'est toujours pas approuvé à Bruxelles. J'avais déjà indiqué l'année dernière qu'il fallait accélérer la mise en oeuvre du FEAMP. Les professionnels s'inquiètent à juste titre, car cela retarde la mise en oeuvre des appels à projets, qui ne seront probablement pas sélectionnés avant la fin 2016, soit près de 3 ans après le lancement du fonds. On risque au final de ne pas pouvoir consommer l'enveloppe, ce qui serait bien dommage, et aurait probablement pour conséquence une baisse des crédits attribués à la France sur la prochaine période de programmation budgétaire.
Enfin, j'attire votre attention sur le fait que l'interprofession de la pêche, France Filière Pêche, a continué en 2015 et continuera en 2016 à apporter son soutien à la filière pêche, grâce aux 30 millions d'euros de contributions volontaires, essentiellement payées par la grande distribution. Il convient de voir pérenniser cette manne au-delà de 2016, par un nouvel accord pour France Filière Pêche, faute de quoi nous serions amenés à réfléchir à la réinstauration d'une contribution de la grande distribution.
France Filière Pêche a maintenant un rôle incontournable, pour la valorisation de la pêche française avec le label Pavillon France désormais connu par 57 % des consommateurs, mais aussi pour la recherche scientifique en apportant un soutien ponctuel aux projets qui rencontrent des difficultés de financement, mais aussi pour l'investissement à bord des navires. Cela doit continuer mais je regrette au passage que les règles européennes interdisent d'apporter des fonds publics pour soutenir l'investissement dans les nouveaux navires. Autrefois, des crédits importants y ont été consacrés. Cette interdiction conduit à ne favoriser que les grandes structures ayant de grandes capacités financières propres. Cela pousse aussi au regroupement des investisseurs, car il devient impossible de financer seul l'acquisition de navires de plus de 12 mètres.
Lors du comité interministériel de la mer (CIEM) du 22 octobre dernier, le Gouvernement a annoncé une nouvelle ambition pour la pêche et l'aquaculture, notamment dans le but de réduire notre dépendance aux produits importés, qui représentent environ 85 % de notre consommation. Nous n'en serions qu'à 50 % si nous ne mangions plus de saumons et de crevettes massivement importées. Deux mesures ont été mises en avant : un encouragement de l'investissement dans des nouveaux navires avec une réglementation plus adaptée afin de ne pas décourager le renouvellement de la flotte de pêche et l'identification de sites propices et l'attribution de 15 % des crédits européens pour l'aquaculture.
Je salue ces propositions, mais il faudra qu'elles soient suivies d'effets. Les annonces concernant l'aquaculture ne sont pas nouvelles, et l'expérience des schémas régionaux de développement de l'aquaculture marine, promis en 2010 et dont bien peu ont été élaborés, est à cet égard instructive.
La pêche maritime française a aussi besoin d'un véritable plan stratégique pour se moderniser. J'ai reçu les auteurs du rapport sur le renouvellement de la flotte de pêche, MM. Deprost et Suche, qui mettent en évidence le caractère stratégique de la flotte des navires de plus de 12 mètres. Il s'agit de moins de 1 000 navires qui apportent plus des deux tiers des captures dans les ports français. Leur modernisation, avec éventuellement leur remotorisation est indispensable car ces navires sont énergivores.
En septembre, le navire Arpège, dit « navire du futur », un navire de 25 mètres d'un coût de 8 millions d'euros, dont un quart a été financé grâce au programme des investissements d'avenir, a été mis à l'eau. Il apporte d'importants gains en consommation d'énergie et en confort à bord, ce qui est indispensable pour attirer du personnel. Une construction en série permettrait de faire baisser considérablement les coûts, probablement autour de 3,5 millions d'euros.
Encore faut-il trouver des investisseurs qui veuillent s'engager et financer de nouveaux navires. Or, leur coût les rend inaccessibles à des artisans-pêcheurs. Il faut dès lors encourager le regroupement des pêcheurs, pour leur permettre de financer la construction de navires neufs de plus de 12 mètres.
Le rapport Deprost-Suche formule de nombreuses propositions, dont la réforme du permis de mise en exploitation. Lors d'un entretien avec les responsables du port de Lorient, j'ai eu confirmation que le problème du droit à pêcher constituait un obstacle à l'installation de nouveaux pêcheurs, du fait du coût que cela représente.
La modernisation de notre flotte de pêche est nécessaire. Elle est possible. Et elle devra se faire dans le respect d'un modèle social respectueux des marins, et non pas, comme le font certains États membres de l'Union européenne, avec des matelots sous-formés, sous-payés et exposés à une multitude de risques inhérents aux sorties en mer. Le dumping social existe dans le secteur de la pêche. Beaucoup reste à faire pour lutter contre ce phénomène.
Pour conclure, je propose à la commission d'émettre un avis de sagesse à l'adoption des crédits relatifs à la pêche figurant au sein de la mission « Écologie, développement et aménagements durables », et j'espère qu'au printemps prochain, notre commission pourra constater les progrès de la pêche française sur la criée de Lorient. Car s'il faut faire évoluer les navires, il faut aussi moderniser les criées et équipements à terre.
M. Yannick Vaugrenard. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de son rapport ainsi que pour les auditions de terrain qu'il a menées. Avec ses 5 000 kilomètres de côtes et ses 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive, la France dispose du deuxième domaine maritime au monde. Malgré cela, nous ne sommes qu'au quatrième rang en Europe avec environ 10 % des captures. Il est donc absolument indispensable de moderniser l'ensemble de notre flotte et de faire entendre à l'Europe qu'une intervention de la puissance publique est justifiée pour se remettre à niveau. En outre, il faut lutter contre le dumping social des pays hors-Union européenne.
La question du renouvellement des navires est majeure pour l'avenir de la filière : dans les six prochaines années, la France aura besoin de 300 bateaux neufs ou modernisés si l'on veut utiliser tous nos quotas de pêche. Lors du conseil interministériel de la mer réuni en octobre dernier, le Premier ministre a annoncé des mesures pour financer le renouvellement des flottes de ferrys, de commerce et de pêche ainsi qu'une refonte des permis de mise en exploitation pour libérer des capacités et encourager l'installation de jeunes pêcheurs. Concernant la flotte de pêche, une concertation rapide avec la profession devra mettre au point un dispositif de facilitation fiscale du renouvellement.
Enfin, je rappellerai que l'essentiel du soutien fiscal aux entreprises de pêche passe par la détaxation du carburant et par l'exonération de TVA sur la vente des produits de leur pêche. Je considère donc que l'avis de notre rapporteur est un avis de sagesse positif et c'est pourquoi le groupe socialiste votera ce projet de budget.
M. Joël Labbé. - J'ai moi aussi apprécié le fond et la forme, toujours savoureuse, de la présentation de notre rapporteur. Je voudrais insister sur la pêche artisanale qui, bien que n'exerçant pas de pression lourde sur le milieu marin, est malgré tout victime des excès de la pêche industrielle. Il faut sauver cette pêche artisanale et tout particulièrement la pêche au bar de ligne qui est une pêche de très grande qualité, avec un prélèvement maîtrisé de la ressource. Or, il est question d'un moratoire de six mois qui risque de mettre en difficulté les pêcheurs spécialisés.
En matière de conchyliculture, il nous faudra profiter de l'examen de la loi relative à la biodiversité pour introduire un véritable étiquetage, de façon à permettre au consommateur de distinguer les huitres triploïdes, qui poussent en deux ans au lieu de trois et ne sont pas laiteuses l'été, des autres. En parallèle, il faut continuer à travailler avec les ostréiculteurs sur le dossier de demande de spécialité traditionnelle garantie.
M. Bruno Sido. - Je remercie à mon tour le rapporteur pour ce rapport qui sent l'iode ! Une question pour ma culture personnelle : où se situe la mer celtique ?
Le prix du carburant est un sujet très sensible pour les pêcheurs. Le fioul utilisé par les navires étant très peu taxé, les taxes ne jouent pas leur rôle d'amortisseur habituel des variations des cours du brut.
Comment s'opère la surveillance de nos zones économiques exclusives, par exemple dans les archipels des Kerguelen ou des Crozet où nos réserves seraient pillées ?
Enfin, j'ai pu observer à Concarneau que les bateaux de l'Ifremer restaient à quai, est-ce par manque d'argent ? Je suis très attaché à la préservation de la ressource, et ce faisant de nos pêcheurs, et il faut donc que l'Ifremer ait les moyens de travailler.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je profite de l'occasion pour insister sur l'importance de l'amendement voté au Sénat en matière de suramortissement des coopératives, qui pourra s'appliquer aux coopératives de pêche et aider en particulier au renouvellement des navires.
Comment se fait-il que la France ne soit pas capable, malgré ses ressources maritimes et sa tradition de pêche, de développer une aquaculture de saumons ? Il nous faut regagner des parts de marché sur ce secteur.
Il faut effectivement doter l'Ifremer des moyens nécessaires à l'exercice de ses missions, en particulier dans le cadre de la directive « stratégie pour le milieu marin » qui vise la restauration du bon état écologique des mers en 2020.
Est-ce le ministère de l'outre-mer qui gère la pêche dans les outre-mer ? Il me semble qu'il existe très peu d'initiatives de gestion maritime de ces territoires alors que la ressource est là !
M. Gérard Bailly. - Les pêcheurs sont très méritants. Nous avons aussi des ressources sur nos territoires dont nous pourrions mieux tirer avantage, qu'il s'agisse des rivières, des étangs ou des lacs. Les cormorans, dont la population a été multipliée par soixante, fait des dégâts très importants, il est temps d'y mettre un terme !
M. Yannick Vaugrenard. - Je voudrais simplement préciser que la France a demandé à pouvoir utiliser les crédits du plan Juncker pour le renouvellement de sa flotte.
M. Martial Bourquin. - Il faut aussi supprimer le « Roundup » pour préserver nos rivières.
M. Michel Le Scouarnec, rapporteur pour avis. - En réponse à l'interrogation de Mme Lienemann, sachez que le développement de l'aquaculture se heurte à des difficultés pour identifier les sites propices, compte tenu du risque d'opposition des riverains.
La mer celtique, située entre l'Angleterre et l'Irlande, est une zone de pêche importante pour la France. La construction de navires neufs pourrait servir à la fois à accélérer la transition énergétique et à développer l'emploi : 400 000 emplois seraient possibles dans les secteurs de la pêche et de la mer au sens large.
Le faible prix actuel des carburants ne doit pas conduire à renoncer à la modernisation de nos outils. Par ailleurs, la détaxation du carburant utilisé pour l'avitaillement des navires de pêche est essentielle.
Il ne faut pas opposer la pêche artisanale côtière et la pêche sur des navires plus gros, qui contribue d'ailleurs à l'essentiel des captures, de la même manière que nous ne devons pas opposer les différentes formes d'agriculture.
Les ressources halieutiques sont très dégradées en Méditerranée, en revanche, dans l'Atlantique, on constate l'amélioration de certains stocks, laissant penser que les quotas pourront augmenter dans l'avenir. Mais nous ne consommons pas tous nos quotas, qui ne concernent au demeurant que 50 % des quantités pêchées. Sachons aussi que nos ports de pêche traitent du poisson pêché par des navires battant pavillon étranger.
La surveillance des pêches est extrêmement forte. J'ai pu visiter avec le ministre Alain Vidalies le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage d'Étel, qui est doté de moyens techniques impressionnants. Ceux qui trichent courent un grand risque d'être identifiés.
La flotte outre-mer est très artisanale, même si elle est plus récente. Nous devons développer la pêche dans les outremers.
L'IFREMER est surtout financé sur le programme 172, qui relève de la mission « recherche et enseignement supérieur ».
La Commission émet un avis de sagesse sur les crédits consacrés à la pêche et à l'aquaculture au sein du programme 205 « sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture » de la mission « écologie, développement et mobilité durables ».
Loi de finances rectificative pour 2015 - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
La commission des affaires économiques demande à être saisie pour avis sur le projet de loi de finances rectificative pour 2015 (A.N., n° 3217).
M. Jean-Claude Lenoir est désigné rapporteur pour avis.
Désignation d'un rapporteur
M. Jean-Jacques Lasserre est désigné rapporteur sur le projet de loi n° 652 (2014-2015) ratifiant l'ordonnance n° 2015-333 du 26 mars 2015 portant diverses mesures de simplification et d'adaptation dans le secteur touristique.
La réunion est levée à 12 h 18.