Mercredi 14 mai 2014
- Présidence de M. Simon Sutour, président -La réunion est ouverte à 15 heures.
Énergie - Coopération énergétique franco-allemande - Rapport d'information de M. Jean Bizet
M. Simon Sutour, président. - Notre collègue Jean Bizet va nous présenter son rapport d'information sur la coopération énergétique franco-allemande.
Je rappelle que Jean Bizet suit les relations franco-allemandes au sein de notre commission. Il nous a présenté ici-même en juin 2013 un rapport d'information très intéressant. Dans le contexte de la célébration du 50è anniversaire du Traité de l'Elysée, ce rapport soulignait l'apport de la relation franco-allemande à la construction européenne, identifiait les difficultés qu'elle a pu rencontrer et proposait des pistes pour la relance de la coopération entre nos deux pays. Il a participé lundi à une réunion de travail à l'Assemblée nationale avec des représentants du Bundestag sur la mise en place de la Conférence de l'article 13 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG)
L'énergie est évidemment un thème important pour la coopération franco-allemande. Dans sa conférence de presse du 14 janvier, le Président de la République l'a clairement identifiée comme l'un des thèmes à privilégier. Il a évoqué plus particulièrement la transition énergétique et avancé l'idée de faire une grande entreprise franco-allemande dans ce domaine.
L'énergie est un enjeu majeur pour l'Union européenne dans son ensemble. La crise ukrainienne est aussi là pour nous rappeler que l'Union aurait tout intérêt à agir de façon coordonnée.
En développant des projets communs, la France et l'Allemagne peuvent contribuer à faire émerger des pistes qui favorisent une plus grande intégration des politiques énergétiques. Encore faut-il identifier au préalable les divergences d'approche entre nos deux pays et savoir sélectionner les types d'énergie et les modèles qui soient pertinents pour l'avenir.
Je cède la parole à Jean Bizet.
M. Jean Bizet. - Vous connaissez l'intérêt que je porte aux relations franco-allemandes, thème auquel j'ai consacré assez récemment un rapport, dont celui que je vous présente aujourd'hui constitue une sorte de prolongement.
La coopération énergétique franco-allemande est un thème capital pour l'avenir économique de l'Union européenne, dont la réindustrialisation est notamment conditionnée par la disponibilité d'une énergie concurrentielle avec celle proposée sur le continent nord-américain.
Ce thème comporte de nombreux aspects, techniques ou économiques, abordés de façon systématique dans le rapport.
Aujourd'hui, je me propose d'adopter un autre axe d'approche, en faisant porter la présentation sur les enjeux : le coût de la transition énergétique engagée en Allemagne ; les conséquences délétères à grande échelle inhérentes à l'intermittence des énergies renouvelables éoliennes ou solaires ; les pistes techniquement prometteuses pour éviter ces graves effets ; enfin, le modèle économique très particulier des énergies renouvelables et les conclusions à en tirer.
Une facture annuelle qui atteint 24 milliards d'euros en 2012, avec un dynamisme très soutenu : tel est le coût de la transition énergétique en Allemagne, où les exonérations en faveur d'industries électro-intensives coûtent bon an mal an, 500 millions de plus que l'année précédente : le montant est passé en 2013 de 5,1 milliards d'euros à 5,6 ! Les autres consommateurs, notamment les ménages, subissent ainsi de plein fouet le coût astronomique induit par la décision d'éliminer à marche forcée la production électronucléaire en Allemagne, accompagnée d'une politique extrêmement volontariste quant au développement des énergies renouvelables, alors que les ressources hydroélectriques allemandes ne sont pas illimitées.
Au coût stratosphérique des subventions publiques, versées à guichet ouvert sans égard pour l'intérêt de la production renouvelable concernée, s'ajoute l'impossibilité concrète de persévérer dans une voie qui n'offre pas de perspective réaliste en matière d'énergie renouvelable, du moins tant que les conséquences délétères de l'intermittence continuent à se manifester avec la force irrésistible que nous connaissons.
En effet, la cause majeure des graves difficultés est inhérente à une caractéristique majeure du soleil et du vent : ils ne se manifestent que de façon intermittente.
Or, l'intermittence de ces énergies renouvelables offre aujourd'hui ses pires aspects dans toute leur plénitude.
Le premier est le surinvestissement en capacités par rapport à la contribution moyenne au bouquet énergétique. Pour obtenir une quantité d'électricité donnée, il faut créer une capacité trois fois plus importante pour l'éolien de mer, quatre fois plus grande pour l'éolien terrestre et huit fois plus en photovoltaïque ! Ainsi, la composition du bouquet d'énergies renouvelables remplaçant un certain niveau d'énergies traditionnelles peut se traduire par l'obligation de créer des capacités nouvelles atteignant au moins cinq fois celles détruites pour peu que l'on répartisse les capacités de remplacement à raison d'un tiers dans chacune de ces trois grandes filières de production d'électricité renouvelable.
Il est vrai que la moyenne décevante d'utilisation complète est la résultante de moments où aucune énergie renouvelable n'est produite, de périodes où le débit est simplement inférieur au potentiel maximal et de pointes où chaque source d'énergie renouvelable produit au maximum. En Allemagne, la situation est particulièrement critique pour des raisons de géographie : les énergies renouvelables principalement produites au nord, la consommation industrielle est concentrée au sud, mais la population allemande refuse la construction de nouvelles lignes à haute tension.
Hélas, et contrairement à ce que l'on pourrait croire, cette dernière situation comporte elle aussi de graves inconvénients techniques et économiques.
Techniquement, l'électricité produite doit bien aller quelque part, à un moment où les autres sources de production électrique ne sont pas nécessairement à l'arrêt. Or, la capacité maximale des énergies renouvelables allemandes atteint la consommation courante du pays. Comme le soleil et le vent conjuguent leurs forces indépendamment de la demande, l'afflux massif d'électricité renouvelable rend aisément inutiles toutes les autres sources d'électricité. Tant qu'elles ne sont pas arrêtées, ce qui n'est pas possible rapidement en dehors des centrales au gaz, l'excès d'électricité emprunte les lignes à haute tension disponibles, hors des limites frontalières lorsque les lignes nationales sont déjà utilisées au maximum de leurs possibilités. Ce phénomène revient à répercuter sur ses voisins certains inconvénients d'une transition lancée de façon hâtive.
Mais transporter l'électricité ne suffit pas : il faut également la vendre sur le marché de gros. Ce qui se passe sur ce marché est fort simple : l'offre à utiliser immédiatement connaît une brusque poussée alors que la demande n'a aucune raison de bondir. L'énergie provenant de sources renouvelables précipite donc le marché de gros vers des abîmes exclus par les schémas économiques habituels, puisque les prix peuvent même faire des incursions en zone négative, du moins dans certains cas extrêmes. En d'autres termes, il arrive que les producteurs de gros payent les clients à qui leur production est «vendue» pour qu'ils veuillent bien l'«acheter». Autant dire que de graves difficultés apparaissent à l'horizon pour les producteurs traditionnels d'électricité. Vous savez comment l'actualité brûlante illustre cette situation, sur laquelle dix grands producteurs européens d'énergie avaient alerté en vain les pouvoirs publics il y a un peu plus d'un an. Ils soulignaient à juste titre le paradoxe insupportable de prix de gros trop bas, alors que les consommateurs finaux subissent des factures en hausse rapide. Sont en cause les taxes prélevées pour financer les investissements dans les énergies renouvelables : leur montant représente environ le tiers de la somme à payer en France, la moitié en Allemagne !
Les effets du gaz de schiste sur le marché américain tombent au plus mal pour la transition énergétique de l'Union européenne vers des ressources énergétiques non polluantes et ne contribuant pas au réchauffement climatique. En effet, le prix du gaz de schiste a privé le charbon de sa compétitivité sur le marché nord-américain. Les producteurs de ce carburant solide ont donc cherché de nouveaux débouchés. Ils ont trouvé très rapidement, puisque les tarifs élevés caractérisant les marchés énergétiques européens leur assurent une demande à la fois solvable et rentable. Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, le charbon est aujourd'hui moins cher que le gaz sur le territoire de l'Union. Ainsi, une transition énergétique à finalité environnementale engagée sur un marché en surcapacité se traduit à court et moyen terme par l'essor de la pire production qui soit ! Le mot « absurdité » s'impose de lui-même.
En 2013, l'Allemagne a émis 760 millions de tonnes de CO2, contre 346 millions de tonnes émis par la France, alors que les niveaux de production d'électricité sont comparables.
M. André Gattolin. - Mais pas la croissance !
M. Jean Bizet. - À quelque cinq euros par tonne, le coût du gaz carbonique n'a aucun effet incitatif. Ainsi, alors que l'Allemagne extrait 176 millions de tonnes de lignite et 23 millions de tonnes de charbon, elle en importe encore 50 millions de tonnes. Bien qu'elle soit partie de bonnes intentions, la transition énergétique en Allemagne se traduit par l'importation massive de charbon américain à bon marché. Les centrales à houille et à lignite fournissent plus de 40 % de l'électricité allemande.
Il est donc temps de suspendre le processus et de réfléchir à ce qu'il convient de faire.
Sachant que l'Union consomme quelque 3.000 térawattheures par an, alors que sa capacité atteint 3.500 térawattheures, il est grand temps de ne plus accroître les capacités nettes de production électrique. En revanche, fermer les installations polluantes - fonctionnant au charbon ou au lignite - serait nettement préférable à la disparition de centrales au méthane, émettant certes du gaz carbonique, mais pas de substances toxiques.
D'autre part, tant que l'électricité produite par des sources intermittentes n'est pas stockable à grande échelle, l'extension de leurs capacités ne peut être envisagée que pour améliorer la maîtrise des technologies et les perfectionner. Si la capacité de production allemande en énergies renouvelables était plus que doublée, elle excéderait la demande ordinaire du pays et de ses voisins. Il y aurait de quoi déstabiliser totalement la production énergétique du toute l'Union ! Cette évolution ne se fera donc pas. Certains voisins de l'Allemagne ont déjà commencé à installer des sortes de disjoncteurs à même de confiner hors de leurs frontières l'électricité allemande lorsqu'elle est surabondante. Cette réaction est compréhensible, mais elle aboutit à l'inverse de ce que devrait être une Europe de l'énergie.
En effet, celle-ci devrait en premier lieu assurer des connexions à l'échelle du continent, pour que l'énergie produite en Espagne puisse en cas de besoin parvenir jusqu'à Helsinki, ou celle obtenue en France alimente des usines proches de Bucarest.
L'Europe de l'énergie devra commencer par développer les réseaux intelligents, car ces dispositifs permettent de caler partiellement la demande sur la production, alors que les mécanismes spontanés des marchés est inverse : c'est normalement le volume produit qui s'aligne sur la demande solvable. Avec les réseaux intelligents, les consommations finales d'énergie électrique peuvent être décalées dans le temps - jusqu'à une certaine mesure - afin que l'arrivée du vent et un beau soleil soient accompagnés par un surcroît provoqué de la demande. Par exemple, les chauffe-eau pourraient être mis en marche, de même que les appareils domestiques de lavage au moment où l'énergie renouvelable est abondante, selon un schéma semblable à celui du fonctionnement en heures de nuit, répandu actuellement. Remplacer le fonctionnement nocturne par la mise en marche pendant les pointes de production atténuerait considérablement les inconvénients de l'intermittence, qui est un phénomène certes subi, mais prévisible 24 heures à l'avance. Il est donc possible de quantifier l'excès spontané de production, pour que la gestion de la demande par les réseaux intelligents n'aboutisse pas à une consommation excessive.
Mais la gestion intelligente de la demande, même à l'échelle du territoire de l'Union, sera nécessairement insuffisante si la capacité de production intermittente s'accroît. Il faudra donc ajouter de réelles capacités de stockage. Aujourd'hui, seul est envisageable à grande échelle un stockage sous forme gazeuse, soit sous forme d'hydrogène obtenu par électrolyse de l'eau, soit sous forme de méthane, obtenu en faisant réagir l'hydrogène avec du gaz carbonique. Le passage par le méthane présente deux inconvénients : il nécessite des investissements supplémentaires et fait chuter le rendement énergétique. Cette voie paraît cependant inévitable, car ce gaz est nettement moins dangereux à manipuler que l'hydrogène. En outre, les gazoducs permettant de le transporter existent déjà. Sur le plan énergétique, un gazoduc représente la même capacité que vingt lignes à haute tension ! L'Europe de l'énergie doit donc impérativement devenir toujours plus celle du stockage diffus complété par un stockage à grande échelle de l'électricité produite en excès par suite de la météo.
Enfin, l'Europe de l'énergie doit impérativement trouver les moyens de financer la transition énergétique environnementale.
Ce défi capital peut être relevé de trois façons complémentaires : l'utilisation raisonnée de la filière électronucléaire aux prix de revient particulièrement bas, la vente de la production renouvelable aux conditions du marché, un financement cohérent avec le rythme de la vente d'énergie.
Seule l'électricité hydraulique est moins chère que celle obtenue grâce aux centrales nucléaires. Or, il n'y a guère de place pour augmenter la production des barrages. La filière nucléaire est donc la seule dont les faibles prix de revient apportent la marge de financement nécessaire, sans compromettre ni la propreté de l'air, ni le climat.
Dès lors que les réseaux intelligents conçus à l'échelle du continent et la création de capacités suffisantes de stockage auront mis fin à la déstabilisation des marchés de gros, les prix de marché doivent offrir un débouché acceptable aux producteurs d'énergie renouvelable. Les tarifs de rachat garantis n'auront donc plus lieu d'être. Le modèle économique très particulier de cette nouvelle filière est caractérisé par l'ampleur des investissements immédiats, compensés dans le temps par la gratuité de la ressource utilisée, qu'il s'agisse de l'eau, du vent ou du soleil. Le financement adéquat pourrait donc limiter les remboursements aux périodes où l'électricité obtenus est vendue sur le marché, soit parce que les conditions météorologiques s'y prêtent, soit par déstockage.
Ce coup de projecteur sur l'avenir possible et souhaitable de l'Union sur le plan énergétique trace la voie que la coopération franco-allemande en ce domaine doit s'attacher à explorer, pour entraîner ultérieurement le maximum d'États membres dans une coopération renforcée, en commençant par la Pologne et la Grande-Bretagne. Les finalités proprement énergétiques - notamment en termes d'indépendance et de solidarité - doivent s'accompagner au plus vite d'objectifs de réindustrialisation, condition sine qua non pour une reprise solide de la croissance.
Tel est le sens du rapport dont je vous demande d'autoriser la publication.
M. Simon Sutour, président. - À la problématique franco-allemande stricto sensu, ce rapport ajoute l'Europe de l'énergie.
M. Jean Bizet. - En effet.
M. André Gattolin. - Quand Mme Merkel s'est retournée contre le nucléaire en 2010 avec l'enthousiasme du néophyte, les Grünen allemands ont dénoncé sa précipitation irréaliste tranchant sur la vue à long terme qui avait guidé le gouvernement de M. Schröder, appuyé sur une majorité alliant le SPD avec les Grünen.
Voulant accélérer le rythme pour des raisons politiques, Mme Merkel a renforcé le recours au charbon. Pas un seul écologiste ne préfère substituer au nucléaire un carburant aussi détestable que le lignite !
J'aurais aimé que des spécialistes des énergies renouvelables figurent parmi les personnes auditionnées en vue de ce rapport d'information. Hier après-midi, la commission du développement durable a auditionné Nicolas Hulot, envoyé spécial du Président de la République pour préparer la 21e conférence sur le climat, prévue à Paris en 2015. Des progrès spectaculaires ont lieu en matière de stockage, notamment au Maroc, avec du sel fondu.
Le thème du stockage est crucial. Pour l'instant, les moyens en ce domaine restent insuffisamment mis en oeuvre. C'est par excellence l'axe d'une Europe de l'énergie, parallèlement aux réseaux intelligents.
Avec le précédent ministre de l'écologie - un poste instable s'il en est au sein du gouvernement actuel - j'ai visité le centre de pilotage national de GRDF. Des logiciels mis en place depuis trois ans permettent d'économiser plus de 10 % du gaz, sans le moindre inconvénient pour les consommateurs finals.
À propos des gaz non conventionnels, il faut être extrêmement prudent. Une grande partie des pertes subies par EDF à l'international est liée à un investissement dans une société de gaz conventionnel qui a très vite perdu 80 % de sa valeur. C'est une dépense cachée de l'énergie.
Certes, le gaz de schiste a temporairement transformé la situation aux États-Unis, mais le potentiel européen est bien plus modeste, pour des raisons de configuration géologique. Ainsi, les ressources effectives de la Pologne n'atteignent qu'un dixième de ce que faisait miroiter les promesses d'il y a quatre ans ! Résultat : Exxon-Mobil et Chevron vont se retirer. Une bulle spéculative se dessine en Grande-Bretagne autour du gaz de schiste. Nous verrons ce qu'elle donnera !
Je n'ai pas compris si la recommandation inscrite à ce propos dans le rapport concernait la France ou toute l'Europe.
L'énergie nucléaire ne peut jouer qu'un rôle de transition.
Le rapport mentionne la France comme producteur européen de premier plan dans le domaine des énergies renouvelables. J'ai des doutes, sauf à inclure le nucléaire parmi les énergies renouvelables... S'agit-il d'une production en valeur relative ou absolue ?
J'ai rencontré le secrétaire d'État aux affaires européennes, M. Harlem Désir. On parle d'une Europe de l'énergie, mais le débat porte en fait sur l'énergie et sur le climat. La Commission européenne fait passer à la trappe l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables, pour se concentrer sur les seules émissions de gaz à effet de serre. La politique européenne doit comporter des indications sur l'efficacité énergétique et sur le mix énergétique, malgré la compétence des États membres en ce domaine.
Enfin, j'observe que l'actualité internationale illustre l'enjeu géostratégique de la dépendance énergétique.
Les entreprises allemandes payent leur électricité à des tarifs doubles de ceux appliqués en France, mais leur compétitivité n'en a guère souffert.
Ces réserves n'enlèvent rien au mérite du rapport, très documenté.
Mme Bernadette Bourzai. - En effet : il constitue une véritable somme de renseignements.
La filière hydraulique française devrait bénéficier d'un investissement à concurrence de 2 milliards d'euros dans le cadre du schéma de renouvellement des concessions hydroélectriques. Il y a donc bien une certaine marge de progression. La commission du développement durable va en débattre.
M. Simon Sutour, président. - Nous avons de la concurrence !
Mme Bernadette Bourzai. - La sixième suggestion du rapport est ambiguë : s'agit-il de construire de nouvelles centrales nucléaires à l'emplacement de celles qui existent aujourd'hui, ou simplement de moderniser l'existant ?
Dans un rapport qu'il a déposé le 30 avril dernier alors qu'il siégeait à la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, M. Frédéric Barbier a constaté que le gaz de schiste ne serait pas rentable en France, non plus qu'en Europe. Le rapport n'a pas encore été publié, mais nous savons qu'il suggère d'abaisser le prix de l'énergie payé par les entreprises.
Avant d'aller plus loin dans la voie des hydrocarbures non conventionnels, attendons les conclusions de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Les techniques de prospection sont identiques à celles de l'exploitation. Je fais mienne les observations de M. Gattolin sur les déconvenues du gaz de schiste en Pologne.
Mme Françoise Boog. - Je félicite M. Bizet pour son rapport.
Comment éviter les effets indésirables de la surproduction et stocker l'énergie ? Existe-t-il des installations de stockage en fonctionnement ?
M. Jean Bizet. - Les hydrocarbures non conventionnels sont à l'origine d'une problématique délicate. Des interrogations se font jour à leur propos, même au sein du Gouvernement.
Monsieur Gattolin, j'ignorais jusqu'à présent le scepticisme des Grünen face au calendrier fixé par la Chancelière, dont les choix avaient une forte connotation politique, mais ont fini par susciter des difficultés dont les milieux économiques allemands sont conscients, malgré l'exonération dont bénéficient certaines activités, à concurrence de 5,6 milliards d'euros en 2013. La Commission européenne a d'ailleurs froncé les sourcils à leur sujet.
Ai-je auditionné des spécialistes des énergies renouvelables ? Oui ! EDF est engagée dans cette transition ; Total occupe la première place mondiale dans la filière photovoltaïque, grâce à sa filiale Sun power. D'autre part, nous avons auditionné le directeur adjoint de l'Office franco-allemand pour les énergies renouvelables, ainsi que les diplomates allemands, polonais et anglais chargés des énergies renouvelables et des questions climatiques.
Je me réjouis qu'il y ait beaucoup de recherche en matière de stockage d'électricité. Leur mise en oeuvre pratique reste insuffisante ? C'est pourquoi le stockage est mentionné dès la première proposition du rapport. Pour corriger les conséquences délétères de l'intermittence, il n'y a que deux voies : le stockage et les réseaux intelligents. J'observe que l'Allemagne est parcourue par 30 000 kilomètres de lignes électriques, souvent à très haute tension. Et la société allemande est aussi rétive que la société française face à toute création de nouvelles lignes, ce qui vient encore compliquer le problème outre-Rhin, où l'essor des énergies renouvelables ne pourra pas se poursuivre très longtemps selon des modalités au coût insupportable même pour une économie florissante.
Monsieur Gattolin, la France est le deuxième producteur d'énergie renouvelable, d'origine principalement hydraulique.
Le lien entre énergie et climat est incontestable, mais la donne économique l'a emporté sur la dimension climatique, puisque nous avons mis des doigts dans la confiture dès que les Américains ont proposé, non sans malice, de la houille à bon marché.
M. André Gattolin. - Et M. Obama vient de publier un rapport tirant la sonnette d'alarme à propos du changement climatique !
M. Jean Bizet. - J'ai toujours dit que les Américains ne signeraient pas le protocole de Kyoto, tant que leurs brevets ne leur permettraient pas de faire sauter les Européens à la corde.
Le prix de la tonne de CO2 devrait être incitateur et moralisateur. La transition énergétique est un choix. Délocaliser certaines productions vers la Chine aurait des conséquences dommageables pour le chômage. La problématique climat-énergie doit être abordée à l'échelle de la planète, pas à celle d'un continent.
L'administrateur général du CEA, M. Bigot, a rappelé que nos 58 centrales avaient sensiblement le même âge. La transition énergétique ne peut se faire que si l'on dispose d'une énergie bon marché, donc d'origine nucléaire. Nous voulons tous la transition énergétique. Ce processus impose que la filière nucléaire fournisse l'énergie de base. Des travaux de sécurité sans indispensables après l'accident de Fukushima, mais la transition énergétique exigera de remplacer certaines centrales par la technologie EPR. Le dire est une question d'honnêteté intellectuelle.
M. André Gattolin. - Le choix en matière d'EPR a une dimension stratégique, mais ce vrai débat n'a guère lieu en France.
M. Jean Bizet. - Contrairement aux Européens du Nord, nous ne savons pas discuter sereinement.
Je rappelle que l'EPR fonctionne avec du MOX, ce qui réduit les déchets.
M. André Gattolin. - Quel est son coût ?
M. Jean Bizet. - L'âge moyen de nos centrales exige un accord très large dépassant les clivages politiques, afin de programmer la rénovation du parc. Attendre son extinction progressive serait dangereux pour notre sécurité. Le titre du rapport rappelle que la transition énergétique ne peut se concevoir qu'à plusieurs États membres. Ainsi, les habitudes de vie très différentes en France et en Allemagne décalent les pointes de consommation. Nos deux pays ont besoin d'une importante production de base, nécessairement d'origine nucléaire. Madame Bourzai, faut-il « remplacer » ou « moderniser » les centrales nucléaires existantes ? La recommandation du rapport sur ce point ne comporte aucune ambiguïté. Comme on dit en Normandie, vous pouvez choisir le terme que vous voulez !
Madame Boog, la surproduction déséquilibre le marché de gros de l'électricité, d'où le cri d'alarme lancée par le « G 10 » contre la possible apparition de prix négatifs sur le marché de gros de l'électricité. En Allemagne, des centrales à gaz récentes sont arrêtées, au profit de centrales à charbon, moins coûteuses mais ennemies de l'environnement. Quel gâchis ! Cela nous ramène au prix moralisateur du CO2.
M. Simon Sutour, président. - Le débat sur ce rapport d'information, très utile par les données qu'il comporte, ne clôt pas le dossier énergétique pour notre commission, puisque Mme Bourzai nous présentera bientôt ses conclusions sur le nouveau paquet énergie-climat.
D'autre part, un débat aura lieu en séance publique mercredi prochain sur l'énergie et le climat en Europe.
À l'issue du débat, la publication du rapport d'information est autorisée par la commission.
Économie, finances et fiscalité - Octroi de mer - Communication de M. Georges Patient
M. Simon Sutour. - Nous allons maintenant entendre une communication de notre collègue Georges Patient sur l'octroi de mer.
C'est un sujet majeur pour nos collectivités d'Outre-mer qui dégagent plus d'un milliard de recettes à travers ce régime fiscal très ancien. Pourtant celui-ci fait l'objet de débats au regard de la libre circulation des marchandises dans le marché intérieur.
En novembre 2012, nous avions adopté sur la suggestion de Georges Patient, une proposition de résolution européenne qui faisait plusieurs recommandations dans la perspective de l'échéance du régime actuel qui doit expirer au 1er juillet 2014.
Lors de son audition, le 10 avril dernier, le commissaire chargé de la fiscalité, M. Algirdas Semeta nous a indiqué que la Commission européenne avait proposé de prolonger temporairement ce régime jusqu'au 1er janvier 2015.
Georges Patient va donc nous faire un point très utile sur l'état de ce dossier et sur les perspectives pour ce régime de l'octroi de mer.
M. Georges Patient. - Le financement des régions ultrapériphériques françaises est largement tributaire de décisions qui relèvent de Bruxelles. Un sujet préoccupe particulièrement les RUP aujourd'hui: l'avenir du régime de l'octroi de mer. Je me propose de faire aujourd'hui un point sur l'actualité de ce dossier. C'est en effet le 1er juillet 2014 qu'expire la décision du Conseil du 10 février 2004, qui a autorisé le régime actuel pour dix ans.
Ce régime fiscal très ancien, puisqu'il remonte au XVIIème siècle, s'applique à la fois aux marchandises importées et aux biens fabriqués localement. Le principe est que les biens importés et les biens similaires produits sur place doivent se voir appliquer le même taux d'octroi de mer. Son taux de base diffère selon les régions : de 6,5 % à La Réunion à 17,5 % en Guyane. Toutefois, à titre dérogatoire, le conseil régional peut appliquer un régime de taxation différencié favorable aux productions locales, sous réserve de respecter un écart de taxation: ainsi, dans chaque DOM, le Conseil régional peut décider d'exonérer totalement ou partiellement les biens produits sur place, ce qui crée de fait un différentiel de taxation par rapport aux produits importés, pour compenser le handicap subi. L'industrie locale voit ainsi améliorée sa compétitivité, laquelle souffre des contraintes particulières énumérées à l'article 349 du TFUE : l'éloignement, la dépendance à l'égard des matières premières et de l'énergie, l'obligation de constituer des stocks plus importants, la faible dimension du marché local combinée à une activité exportatrice peu développée...
En 1998, la jurisprudence communautaire avait confirmé la validité de ce dispositif dérogatoire mais en l'encadrant : les exonérations sont compatibles avec le droit communautaire si elles sont « nécessaires, proportionnées, précisément déterminées et limitées dans le temps ». Le régime actuel d'octroi de mer est aujourd'hui encadré par deux textes :
- la décision de la Commission du 23 octobre 2007 qui autorise le régime d'aides d'État de l'octroi de mer, sur le fondement de l'article 299 du traité CE (devenu l'article 349 du TFUE) ;
- la décision du Conseil du 10 février 2004 relative au régime de l'octroi de mer dans les DOM qui a donc autorisé ce régime pour dix ans, jusqu'au 1er juillet 2014. Elle encadre les différentiels de taux qui peuvent être de 10, 20 ou 30 points de pourcentage.
Les recettes générées par l'octroi de mer et l'octroi de mer régional représentaient, en 2011, entre 147 millions d'euros pour la Guyane et 380 millions pour La Réunion. Au total, les DOM bénéficient de plus d'un milliard au titre de l'octroi de mer. Cela représente une part importante des recettes fiscales des collectivités, jusqu'à 90 % pour certaines communes guyanaises.
Or l'avenir de ce régime fiscal, qui déroge au principe de liberté de circulation des marchandises dans le marché intérieur, est incertain. Un rapport à mi-parcours était attendu des autorités françaises afin de vérifier l'impact du régime actuel. Si la France a bien remis ce rapport en 2009, la Commission a jugé que son contenu ne permettait pas d'étayer sérieusement le bien-fondé du régime dérogatoire.
Inquiet de voir l'échéance du 1er juillet 2014 se rapprocher, je vous avais soumis en novembre 2012 une proposition de résolution européenne afin de tirer la sonnette d'alarme et de presser le gouvernement de dialoguer avec la Commission européenne pour préparer l'avenir de ce régime fiscal. Cette résolution, adoptée par le Sénat le 19 novembre 2012, recommandait aussi d'améliorer les moyens statistiques des DOM pour rendre plus fiable l'évaluation de l'efficacité de l'octroi de mer au regard de son objectif premier, à savoir le développement local.
Où en sommes-nous à presque un mois de l'échéance ?
Les autorités françaises ont introduit une demande de reconduction du dispositif d'octroi de mer le 7 février 2013, assortie d'une note détaillée pour légitimer cette reconduction. Tout en sollicitant le maintien de l'essentiel du régime, la France a demandé plusieurs adaptations : abaissement du seuil d'assujettissement des entreprises à 300.000 euros, création d'un différentiel temporaire pour les productions nouvelles non listées, allègement des procédures de révision des listes ou extension des possibilités d'exonérations en faveur de certaines activités (infrastructures de développement économique, recherche et tourisme).
En mai 2013, les listes des produits susceptibles de bénéficier d'un différentiel de taxation ont été transmises à la Commission européenne. En août 2013, le Président de la République m'a adressé, en ma qualité de président de l'intergroupe parlementaire des outre-mer, un courrier confirmant que la France était mobilisée pour obtenir le maintien de l'octroi de mer.
Mais la Commission européenne entend faire un examen précis, ligne à ligne, de nos demandes. Elle veut vérifier, pour chaque produit - et plusieurs centaines de produits sont concernés-, qu'il existe bien :
- une production locale ;
- des importations significatives la menaçant ;
- et des surcoûts justifiés pour les produits fabriqués localement, du fait de la distance géographique par exemple.
Cet examen exigeant a rendu matériellement impossible toute proposition de décision dans les temps.
Afin d'éviter un vide juridique à partir du 1er juillet 2014, la Commission européenne a donc proposé de proroger le régime actuel pour six mois. Cette décision a obtenu l'aval du Parlement européen le 16 avril dernier. Elle doit désormais être adoptée définitivement par le Conseil afin de sécuriser la fin de l'année 2014.
Il est quand même regrettable d'avoir eu besoin d'une telle « rustine » juridique dans l'attente du nouveau régime qui suivra. Ce n'est pas faute d'avoir alerté nos autorités sur la brièveté des délais et la longueur des procédures européennes...
Mais l'essentiel est que les dernières informations que j'ai pu recueillir auprès du cabinet du commissaire Semeta, en charge de la fiscalité, me rendent raisonnablement optimiste sur la reconduction après 2014 du régime d'octroi de mer. La récente reconduction du régime équivalent dont bénéficient les Canaries plaide aussi en ce sens.
La plupart des difficultés semblent en voie d'être levées : des progrès nets ont été accomplis dans l'examen des lignes, ainsi que concernant la possibilité de couvrir des produits qui représentent une large part du marché local. L'examen des demandes françaises se poursuit : le cas de la Guadeloupe a été examiné, les compléments relatifs à la Guyane sont en cours d'analyse et les compléments sur la Martinique et la Réunion suivront. Il reste un déficit de données sur la production locale : les données n'existent pas toujours ou ne sont pas toujours disponibles, mais la France s'est engagée à faire le maximum pour combler les derniers manques.
En revanche, une difficulté semble persister sur une des demandes-clés de la France en matière de perfectionnement du dispositif : la France demande la possibilité de réviser la liste des produits éligibles de manière souple pour tenir compte de l'évolution des besoins, ainsi que la création d'un différentiel temporaire pour couvrir le délai d'examen et de réponse à de telles demandes exceptionnelles. La Commission entend cette demande, mais elle estime que cela pose des difficultés juridiques : encadrer des exceptions au sein d'un régime d'exception ne va pas de soi. Un travail spécifique devrait donc s'ouvrir sur ce sujet ; il sera découplé de la préparation de la décision pour ne pas la retarder, même s'il a vocation à y être inclus avant adoption, si son résultat est concluant.
Malgré le pointillisme de la Commission européenne et le retard accumulé en conséquence, le dossier est à présent sur les rails : la proposition de décision du Conseil portant sur le renouvellement de l'octroi de mer pour les cinq départements d'outre-mer, incluant donc Mayotte, devrait être adoptée par la Commission avant l'été, ou au plus tard en septembre prochain. Ceci devrait permettre la consultation du Parlement européen puis l'adoption de la décision par le Conseil (à la majorité qualifiée) avant la fin de l'année. La validation en matière d'aide d'État, qui ressort quant à elle de la DG Concurrence de la Commission, ne devrait pas ensuite poser de difficultés, selon les informations que j'ai recueillies auprès de notre représentation permanente auprès de l'Union européenne. La décision devrait donc normalement être adoptée assez tôt pour permettre d'intégrer ses dispositions dans le projet de loi de finances pour 2015.
Je crois que nous pouvons être rassurés, au moins pour la période 2015-2020. Toutefois, je rappellerai que mes entretiens à Bruxelles en juillet 2012 m'avaient beaucoup inquiété : la Commission nous avait encouragés à anticiper la fin du régime en place, rappelant l'incompatibilité de l'octroi de mer avec l'esprit du marché unique. Les services de la Direction générale Fiscalité de la Commission européenne avaient insisté sur le fait qu'un tel régime ne pouvait être que transitoire et devrait bientôt disparaître ; ils avaient jugé que si des décisions politiques avaient pu valider ce type de régimes par le passé, il faudrait de plus en plus les justifier au plan économique et préparer la transition vers un système alternatif, qui ne reposerait pas sur une taxation discriminatoire. Je rappelle aussi que la France est un État parmi les 28 qui sont au Conseil, et que seuls 3 États sur ces 28 ont des régions ultrapériphériques à défendre, ce qui ne permet même pas une minorité de blocage.
Selon moi, si le régime est bien renouvelé pour la période 2015- 2020, il faudra donc en profiter pour anticiper la prochaine échéance de 2020 et continuer à faire valoir la spécificité de l'outre-mer, en mettant en avant l'article 349 du TFUE qui la reconnaît et dont la Commission a une interprétation très, voire trop restrictive.
Alors que certaines voix dénoncent la part de responsabilité que l'octroi de mer pourrait avoir dans le coût de la vie outre-mer, il faudrait ouvrir très vite en amont un débat de fond sur le meilleur moyen d'assurer le développement économique outre-mer, sans fragiliser les recettes fiscales des collectivités territoriales. Je vous propose donc de rester attentif à l'évolution de ce dossier important pour l'outre-mer.
M. Simon Sutour, président. - C'est un dossier important avec un fort enjeu pour les recettes des collectivités territoriales. Nous avons fait un travail très important au sein de la commission avec Georges Patient. Je me réjouis de la bonne nouvelle que nous apporte cette communication si le dispositif doit être reconduit moyennant quelques aménagements. Comme l'a dit le rapporteur, seulement 3 pays sur 28 ont des régions ultrapériphériques, et la France est en outre celle qui en a le plus, surtout avec la récente accession de Mayotte au statut de RUP. Il faut commencer à préparer la prochaine échéance de 2020.
La réunion est levée à 16h25.