Mardi 13 juin 2006

- Présidence conjointe de M. Gérard César, vice-président et de M. Philippe Leroy, président du groupe d'études « Forêt et filière bois ».

Agriculture pêche et forêts - Audition de M. Pierre-Olivier Drège, directeur général de l'Office national des forêts (ONF), de M. Henri Plauche-Gillon, président de la Fédération nationale des syndicats de forestiers privés de France et de Mme Sylvie Alexandre, adjointe au Directeur général de la forêt et des affaires rurales au ministère de l'agriculture et de la pêche

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La commission a, conjointement avec le groupe d'études « forêt et filière bois », procédé à l'audition de MM. Pierre-Olivier Drège, directeur général de l'Office national des forêts (ONF), Henri Plauche-Gillon, président de la Fédération nationale des syndicats de forestiers privés de France et de Mme Sylvie Alexandre, adjointe au Directeur général de la forêt et des affaires rurales au ministère de l'agriculture et de la pêche (MAP).

M. Pierre-Olivier Drège, directeur général de l'ONF, a souhaité rappeler en préambule que celui-ci travaillait beaucoup pour les communes et non seulement pour la forêt domaniale. Il a indiqué, à ce titre, que la France comptait 11.000 communes forestières.

Rappelant que l'action de l'ONF s'inscrivait depuis longtemps dans le cadre de contrats quinquennaux avec l'Etat, il a estimé que le dernier contrat entre l'Etat et l'Office permettait de donner plus de visibilité à sa gestion. Il a précisé que le nouveau contrat devait être signé le 24 juin 2006. Dressant le bilan de celui qui s'achevait et qui avait couvert la période 2001-2006, il a qualifié celui-ci de contrat de redressement, dans le contexte difficile des suites des tempêtes de 1999 et de l'importante réorganisation de l'ONF que celles-ci avaient entraîné. Il a rappelé que l'ONF avait ainsi perdu 88 millions d'euros en 2002. Se félicitant que l'établissement public soit revenu à l'équilibre dès 2005, soit un an avant la date prévue initialement, il a souligné que cette amélioration n'était en rien due à un redressement du prix des bois, mais à une réduction des coûts et des effectifs, puisque l'Office avait supprimé 1.500 postes sur les 12.000 qu'il comptait en 2001. Il a déclaré que cet effort très important n'avait été possible que grâce au soutien des maires des communes forestières et à la Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR). Il a estimé que la Charte de la forêt communale conclue en 2003 et qui avait fait l'objet d'un avenant en 2005 exprimait la clarification des relations entre les communes et l'ONF dans le cadre du régime forestier.

Dressant ensuite un panorama du secteur, il a jugé que la reconstitution d'après-tempêtes n'était pas achevée dans certaines régions et qu'il restait des efforts de repeuplement à faire, ce qui soulevait naturellement des questions de financement. Quant au marché du bois, il restait très déprimé dans tous ses compartiments, à l'exception de certaines qualités de chêne, qui retrouvaient tout juste le niveau de 1999. Il a rappelé que les prix du hêtre étaient inférieurs de 50 % à ce qu'ils étaient avant 1999. Dans le secteur des résineux, on assistait à un redressement lent, mais continu, des prix. Il a souligné que cette situation défavorable avait naturellement des incidences sur les recettes de l'Office. Par ailleurs, il convenait de relever les efforts accomplis par l'établissement public d'une part pour la certification des forêts, qui devaient permettre que la moitié des forêts domaniales soit certifiée d'ici la fin 2006, et, d'autre part, pour l'accueil du public dans les forêts.

M. Pierre-Olivier Drège, directeur général de l'ONF, a ensuite présenté les objectifs du nouveau contrat Etat-ONF, qui se voulait un contrat de développement permettant de consolider la filière forêt-bois, qui n'était pas pleinement remise des tempêtes et qui était surtout beaucoup moins forte que celle de nos principaux partenaires économiques. On pouvait noter, à ce titre, que la France transformait de moins en moins son bois, exportant des grumes jusqu'en Pologne, voire en Chine, pour importer du bois transformé de ces mêmes pays. Il a estimé que cette situation n'était pas normale dans un pays représentant le troisième massif forestier d'Europe. Il a fait part de l'intention du MAP et de l'ONF de consolider la filière de transformation, non pas en bradant le bois des forêts publiques, mais en cherchant à renforcer le lien entre la production et la consommation, par exemple par la mise en place de contrats d'approvisionnement des scieries. Il s'est félicité, à ce titre, des dispositions législatives introduites sur ce point dans la loi relative au développement des territoires ruraux et dans la loi d'orientation agricole.

Cette volonté de sortir d'une économie de cueillette pour passer à un système de valorisation efficace du bois avait justifié la mise en place d'une commission des ventes des bois des forêts publiques, qui avait permis de passer dans des conditions de pleine transparence du système d'adjudication au système économiquement plus performant du gré à gré. Il a rappelé que cette commission se réunissait tous les mois et examinait tous les contrats supérieurs à 5.000 mètres cubes par an. Reconnaissant que cette évolution avait suscité des réticences chez certains professionnels, il a estimé qu'elle n'en était pas moins indispensable si l'on songeait que la plus grande scierie française ne figurait pas parmi les trente premières scieries européennes et que la seconde ne représentait que 50 % du volume de la première. Il en a conclu que l'émiettement de la filière aboutissait à ce que l'engouement actuel pour le bois profite très peu à la France.

Le deuxième grand axe du contrat était de confirmer le régime forestier, c'est-à-dire le lien intime unissant l'ONF et les communes forestières, dans une relation dont l'Etat était le soutien financier au travers du versement compensateur. Il a indiqué que, comme M. Yann Gaillard, sénateur de l'Aube et Président de la FNCOFOR, il avait été partisan de conserver le régime forestier, même si cela devait se faire en euros courants, ce qui impliquait des gains de productivité. Il a estimé, en conclusion, que ce nouveau contrat était exigeant et volontaire.

M. Yann Gaillard a souhaité souligner l'accord total entre l'ONF et la FNCOFOR, même s'il n'avait pas été facile à dessiner. Rappelant le débat intense sur le versement compensateur à l'occasion du projet de loi de finances pour 2004, il a estimé que M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche, marquait un intérêt plus soutenu pour la forêt que ses prédécesseurs.

M. Henri Plauche-Gillon, Président de la Fédération nationale des syndicats de forestiers privés de France, a souhaité consacrer son propos à l'importante question de la certification forestière. Rappelant que celle-ci était la conséquence de la reconnaissance au sommet de Rio de 1992 du rôle environnemental de la forêt, il a jugé que le système FSC (Forest Stewardship Council), mis en place dans un premier temps par certains pays anglo-saxons, n'était pas adapté à la forêt européenne, ce qui avait amené 32 pays, essentiellement en Europe, mais aussi sur d'autres continents, à définir un programme de reconnaissance des certifications forestières (PEFC). 28 de ces 32 pays bénéficiaient d'ores et déjà de la certification, ce qui représentait 187 millions d'hectares de forêts et 2.500 entreprises. Il a admis que l'effort de certification prenait plus de temps pour la forêt privée que pour la forêt publique, en raison du grand nombre et de la petite taille des acteurs. Quant au fait que la France comptait un grand nombre d'entreprises certifiées, il était d'interprétation ambiguë, dans la mesure où il témoignait certes d'un effort réel de la filière, mais aussi de son émiettement. Il a indiqué que le système PEFC intègrerait bientôt la Russie, qui possédait la plus grosse surface forestière au monde, et le Gabon, ce qui représentait un événement très important en matière de protection et d'exploitation durable de la forêt tropicale. Il a déploré que les responsables du système FSC refusent, pour l'heure, une reconnaissance mutuelle avec le système PEFC. Souhaitant, en conclusion, que le bois certifié prenne une part majoritaire et, à terme, exclusive, il a souligné le rôle moteur en la matière de la commande publique et en a appelé à l'engagement des élus dans ce domaine.

Après que M. Philippe Leroy, Président du groupe d'études « Forêt et filière bois » eut souhaité saluer l'action de M. Henri Plauche-Gillon en faveur du label PEFC, M. René Beaumont a fait part de son appréciation critique de la situation de la forêt française. Il a estimé que celle-ci ne résultait pas seulement des suites des tempêtes ou des importations d'Europe centrale, mais aussi d'une disposition législative spécifique à la France, qui avait interdit aux caisses de retraite de posséder des forêts, si bien que celles-ci s'apprêtaient à vendre les terres forestières qu'elles possédaient dans les 18 mois qui venaient. Rappelant qu'il avait interrogé le ministre de l'agriculture sur ce point par une question écrite, il a déploré de ne pas avoir reçu de réponse. Il a, en second lieu, estimé qu'il était discutable de présenter le nouveau contrat Etat-Office comme un contrat de développement de l'établissement public alors même que celui-ci fermait de nombreuses antennes comme dans son département de Saône-et-Loire. Il a souligné qu'une telle évolution ne pouvait qu'être très mal vécue par les élus locaux d'un département très forestier, puisqu'il était le premier producteur français de sapins de Douglas (Pseudotsuga Menziesii) et le deuxième de chêne. Il était d'autant plus regrettable de voir parallèlement la SNCF supprimer la plupart de ses gares-bois, puisqu'il n'en restait plus qu'une pour toute la Bourgogne. Il en a conclu que l'on assistait plutôt à l'enterrement de la forêt française.

M. Gérard Bailly a estimé qu'il fallait reconnaître que les services rendus aujourd'hui par l'ONF aux communes n'étaient plus aussi développés que par le passé, ce qui était du reste logique en raison de la réduction du nombre d'agents. Il a ensuite souhaité savoir si les ressources de la forêt française permettaient de faire face au développement du bois-énergie. Il s'est interrogé, enfin, sur les propositions concrètes qui pouvaient être faites pour soutenir la filière forêt-bois. Rappelant que ces questions revêtaient une importance considérable pour des départements comme celui du Jura, dont 46 % de la surface était boisée. Il a regretté l'absence d'une véritable politique forestière en France.

M. François Fortassin a regretté la permanence des difficultés d'organisation de la filière et a souligné la question des coûts d'exploitation des forêts en montagne.

M. Gérard Le Cam a estimé que seul demeurait le coeur de l'ONF, l'établissement public faisant l'objet d'une privatisation qui ne disait pas son nom. Relevant que les parcelles de forêt privée faisaient en moyenne trois hectares, il a estimé que les aides publiques n'étaient pas adaptées à ces petites surfaces. Il s'est également interrogé sur la capacité de la filière à fournir les chaudières au bois, souhaitant recueillir l'opinion de Mme Sylvie Alexandre sur ce point.

Mme Sylvie Alexandre, adjointe au Directeur général de la forêt et des affaires rurales au ministère de l'agriculture et de la pêche (MAP), a tout d'abord présenté ses excuses à M. René Beaumont pour le retard pris par les services dans la réponse à la question écrite que celui-ci avait posée au ministre de l'agriculture. Rappelant que le taux de rentabilité des investissements forestiers était inférieur à celui d'autres placements, elle a estimé que cela pouvait expliquer en soi le souhait des caisses de retraite de se désengager de ce secteur.

En réponse à M. Gérard Le Cam, elle a reconnu que le système d'aides était peu adapté aux petits projets, ce qui s'expliquait par le cofinancement communautaire de ces aides et la lourdeur des procédures qui s'ensuivait. Elle a toutefois indiqué que le ministre souhaitait les simplifier. Elle a enfin rappelé que les contraintes budgétaires pesant sur l'ensemble des finances de l'Etat avaient nécessairement des conséquences sur le programme « Forêt », ce qui imposait de faire des choix. En l'espèce, ceux-ci avaient consisté à privilégier la reconstitution après les tempêtes et l'amélioration de la desserte des forêts.

M. Pierre-Olivier Drège, Directeur général de l'ONF, a déclaré, en réponse à l'interpellation de M. René Beaumont, que la Saône-et-Loire n'avait pas été oubliée et que l'attente des maires imposait surtout une plus grande efficacité de la part de l'ONF. Il a indiqué que le choix avait été fait, dans la réorganisation de l'établissement public, d'alléger les superstructures au profit des actions de terrain.

En réponse aux interrogations de MM. Gérard Bailly et Gérard Le Cam quant aux capacités de la filière à faire face à la demande croissante de bois-énergie, il a souligné avec force que la forêt française, publique ou privée, était actuellement sous-exploitée. A ce titre, le nouveau contrat prévoyait de passer d'une production de 6,6 millions de mètres cube à 7,6 millions de mètres cube pour la forêt publique et de 6,8 à 7,5 millions de mètres cube pour la forêt privée, en développant en particulier l'exploitation en montagne. Il s'est donc élevé contre l'idée que le développement du bois-énergie pourrait assécher l'offre de bois, puisque celui-ci pourrait tout au plus permettre à certains produits forestiers de retrouver des prix normaux, ce qui n'était pas choquant. Il convenait de rappeler que la France disposait aujourd'hui de 30 millions de mètres cube supplémentaires pouvant être exploités, dont 12 millions dans des conditions faciles. Face à ces réserves, le bois-énergie ne représentait encore que quelques dizaines de milliers de mètres cube. Il n'y avait donc aucun risque de pénurie.

En réponse à M. François Fortassin, il a reconnu que la question de la valorisation des bois de montagne était importante, ce qui devait sans doute notamment amener à développer le débardage par câble, ce qui soulevait essentiellement des questions de coût.

Quant à l'appréciation de M. Gérard Le Cam, il a estimé qu'on ne pouvait aucunement parler d'une privatisation de l'ONF. Il a déclaré qu'on ne saurait en effet considérer que la recherche de la performance par un établissement public industriel et commercial constitué aux deux-tiers de fonctionnaires était une privatisation. Il jugeait au contraire que les pertes colossales que l'Office avait connues auraient pu conduire, si elles avaient perduré, à menacer sa survie.

M. Henri Plauche-Gillon, président de la Fédération nationale des syndicats de forestiers privés de France, a confirmé les difficultés structurelles de la filière, estimant que l'outil industriel n'était pas à la hauteur de la forêt française. Il a souligné, pour le déplorer, qu'alors que les tempêtes de 1999 avaient entraîné la mise soudaine sur le marché de l'équivalent de trois années et demi de production, le sciage avait stagné en France et avait même reculé pour les résineux. Il a signalé que les coopératives forestières privées tâchaient de développer des réponses adaptées aux besoins des clients industriels ou du bois-énergie. Il a également jugé que la mise en place de contributions volontaires obligatoires (CVO) illustrait la volonté d'évolution des acteurs du secteur.

Se félicitant de la qualité des échanges et de la large étendue des débats, et après avoir rappelé que les questions forestières intéressaient plus du quart du territoire national, M. Philippe Leroy, président du groupe d'études « Forêt et filière bois », a indiqué qu'il estimait souhaitable que de telles séances communes de la commission et du groupe d'études sur la forêt soient organisées annuellement.

M. Gérard César, président, lui a répondu qu'il ferait part de ce souhait au président Jean-Paul Emorine et qu'il ne doutait pas que ce dernier en saisirait le Bureau de la commission.

Mercredi 14 juin 2006

- Présidence de M. Marcel Deneux, vice-président puis de M. Jean-Paul Emorine, président. -

Entreprises - Audition de M. Paul Hermelin, directeur général du groupe Capgemini

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord auditionné M. Paul Hermelin, directeur général du groupe Capgemini.

M. Paul Hermelin, directeur général du groupe Capgemini, a commencé en rappelant que l'informatique représentait une part importante des dépenses des entreprises et que leurs dépenses en ce domaine se partageaient à parts égales entre les services, d'une part, et l'achat de logiciels standards et de machines, d'autre part. Il a situé l'activité de Capgemini dans la branche « services », précisant que cette activité recouvrait aussi le conseil en informatique, l'infogérance et le conseil en organisation et en stratégie, ce qui apparentait Capgemini à Accenture.

Il a souhaité préciser deux points au sujet du marché dans lequel évoluait Capgemini :

- d'une part, le conseil en informatique est une activité concentrée dans les pays développés : en effet, les Etats-Unis représentent 40 % du marché mondial, l'Europe des douze 30 % et le Japon 12 %, la Chine ne constituant que 0,5 % du marché mondial, ce qui, même avec un taux de croissance annuel de 25 %, reste encore très marginal ;

- d'autre part, les acteurs dominants du marché sont essentiellement américains : au premier rang, se trouve la filiale « services » d'IBM ; au second rang, un autre américain, EDS, société texane issue de General Motors depuis 1996 ; au troisième rang, Computer Sciences ; au quatrième, Accenture ; Capgemini occupe le cinquième rang, suivi du japonais Fujitsu, les quatre suivants étant américains. Sur le marché européen, les Français s'en sortent bien, même s'ils ne se lancent pas hors d'Europe, ce qui les distingue de Capgemini, qui est à la première place en Europe. A la deuxième place, on trouve Atos Origin, suivi d'un allemand, puis du français Steria et enfin de l'anglais Logica, qui a récemment absorbé Unilog.

M. Paul Hermelin, directeur général du groupe Capgemini, a ensuite présenté son groupe, qui emploie près de 20.000 personnes en France et exerce trois types d'activités :

- l'infogérance, qui consiste en un transfert de tout le système informatique du client vers Capgemini. Le groupe a notamment signé un grand contrat d'infogérance avec Her Majesty's Revenue & Customs en Grande-Bretagne : pour un montant de 800 millions d'euros par an, Capgemini gère les déclarations en ligne, les émissions de rôles et de titres de recouvrement des services fiscaux britanniques. A ce sujet, M. Paul Hermelin a évoqué, pour nourrir la réflexion des sénateurs, le système britannique « Tupe », qui permet à Capgemini d'employer et de gérer comme tels des fonctionnaires britanniques affectés à ces tâches, système d'ailleurs proche de celui existant en droit privé du travail en France, puisque l'article L. 122-12 du code du travail prévoit que lorsqu'une société est cédée, ses salariés gardent leurs avantages et ces avantages s'imposent à leur nouvel employeur ;

- les activités de projets informatiques comme, par exemple, la refonte de l'informatique de gestion de l'Assistance publique ou l'offre de conseil faite à Alcatel et Lucent pour recalibrer leurs activités de services ;

- enfin, sous la marque « Sogeti », marque initiale du groupe, une activité de services de proximité aux entreprises, privilégiant les prestations sur mesure.

M. Paul Hermelin, directeur général du groupe Capgemini, a indiqué que le marché sur lequel évoluait Capgemini avait été peu porteur de 2000 à 2004, car les clients des sociétés de services informatiques, par crainte du bug de l'an 2000, avaient remplacé machines, réseaux, serveurs et applicatifs. Présentant l'investissement informatique comme la dérivée de l'économie, il a expliqué que l'activité de services proposée par Capgemini se comportait, quant à elle, comme une dérivée seconde de l'économie dont elle suit les accélérations et les freinages.

Il a ensuite déclaré qu'après cinq ans de diète, le marché donnait des signes de reprise. Il a relevé que l'effectif du groupe Capgemini était de 60.000 avant comme après la crise, soulignant toutefois que cette stabilité apparente dissimulait une considérable recomposition des ressources humaines de l'entreprise, puisque, sur la période, il y avait eu 20.000 licenciements, 20.000 départs liés au « turn over » et, depuis 2005, 20.000 embauches ou intégration, suite à des opérations de croissance externe du groupe. Par ailleurs, si la croissance est là, les salaires, eux, contrairement à ce qui se passait habituellement dans ce type de conjoncture, ne repartent pas à la hausse en raison de l'apparition de l'Inde sur le marché des services informatiques.

Abordant alors la question indienne devant les membres de la future mission parlementaire qui se rendra en Inde début septembre 2006, M. Paul Hermelin, directeur général du groupe Capgemini, a déclaré qu'il avait cru très tôt à ce pays, dont il cherche à utiliser le potentiel. Si le groupe Capgemini, au moment de l'acquisition d'Ernst & Young Consulting en 2000, employait 140 personnes en Inde, il en emploie aujourd'hui 5.000, et y recrute actuellement 300 salariés par mois.

Rappelant que l'Inde avait fait, dès la fin des années 70, un choix résolu d'investissement informatique, il a fait observer qu'aujourd'hui l'industrie du service informatique indien représentait 5 % du PIB et 20 % des exportations, employait un million de personnes et faisait vivre plusieurs îlots de prospérité, comme Bangalore, dont le développement se mesure aux embouteillages de voitures et de motos, Bombay, dont les salles blanches d'informaticiens méritent d'être visitées, et Calcutta.

L'économie indienne a connu une croissance de 8 % en 2005 et, sur le marché du service informatique, s'appuie sur trois grandes sociétés indiennes : Data Consulting, qui emploie autant de personnes que le groupe Capgemini mais pour un chiffre d'affaires trois fois plus faible, Infosys et Wipro, chacune d'elles employant près de 50.000 personnes. Avec ses 5.000 employés en Inde, Capgemini se situe donc loin derrière ces grandes sociétés indiennes, même s'il s'agit du premier groupe européen sur place et que sa croissance a atteint 75 % en 2005 ; il se trouve d'ailleurs devancé par plusieurs groupes américains. M. Paul Hermelin, directeur général du groupe Capgemini, a considéré que Capgemini devait atteindre rapidement un effectif de 20 à 25.000 personnes en Inde.

Il a exprimé avoir le sentiment que les promotions du personnel de Capgemini en Inde n'étaient pas indépendantes de l'appartenance à une caste, confirmant que l'Inde était à la fois très technologique et très traditionnelle. Il lui a été notamment indiqué que, dans certaines entreprises, les membres de la caste des « Intouchables » pouvaient être payés en espèces sans figurer sur la liste des employés. Il a relevé la très grande motivation des employés indiens, en grande partie imputable à leur jeunesse, et s'est dit dynamisé à leur contact. L'énergie des Indiens les conduit à vouloir faire des projets difficiles et innovants plutôt qu'à être des sous-traitants de production bas de gamme.

Evoquant l'organisation géographique du groupe Capgemini, il a distingué entre la délocalisation de proximité -« nearshore »- qui avait conduit à l'implantation de plateformes en Europe de l'est, notamment en Pologne, et la délocalisation nationale -« rightshore »- avec des implantations à Toulouse, Nantes et Clermont-Ferrand. M. Paul Hermelin, directeur général du groupe Capgemini, a estimé que la France devrait promouvoir l'équivalent de Bangalore au Maghreb, ce qui exigerait de déployer un effort de formation sur place. Le Maroc ayant manifesté un intérêt pour ce projet, c'est à Casablanca que Capgemini va ouvrir, sous la houlette d'un Indien d'ailleurs, une implantation susceptible de développer l'emploi informatique au Maroc, ce dont M. Paul Hermelin s'est félicité. Il a jugé que ces divers modes de délocalisation permettaient de faire baisser les prix, mais ne signifiaient pas pour autant une réduction de l'emploi en France, plutôt une modification des emplois destinés à y rester : l'écriture du code informatique partira à Toulouse, Casablanca ou plus loin, tandis que l'intelligence du code et le déploiement du projet resteront l'apanage des employés français.

M. Henri Revol a interrogé M. Paul Hermelin sur la nature des clients de son groupe, souhaitant savoir si en faisaient partie des petites entreprises industrielles ou même des artisans.

M. Paul Hermelin a répondu qu'historiquement le groupe avait plutôt vocation à servir les grandes entreprises, même s'il proposait maintenant, à des moyennes entreprises, des solutions adaptées du type des logiciels édités par SAP. En raison du prix élevé que représente l'adaptation d'un produit informatique à un client, il a jugé que les petites entreprises avaient intérêt à utiliser des logiciels « sur l'étagère », c'est-à-dire standardisés.

M. Marcel Deneux, président, a souhaité connaître le chiffre d'affaires et le capital du groupe Capgemini.

M. Paul Hermelin, directeur général du groupe Capgemini, a précisé que le chiffre d'affaires avait presque atteint 7 milliards d'euros en 2005 et qu'il s'était réparti entre les pays suivants : Royaume-Uni (24 %), France (23 %), Etats-Unis (21 %), Benelux (14 %), Allemagne, Europe du Nord, Espagne, Italie, Canada, Mexique, Australie, Chine... S'agissant du capital, il a rappelé que le groupe avait été fondé par Serge Kampf, qui avait créé l'entreprise en 1967, qui était aujourd'hui Président du Conseil d'administration. M. Paul Hermelin lui-même assure la fonction de directeur général du groupe et de mandataire social. Le capital est complètement dispersé, M. Serge Kampf étant l'actionnaire principal avec 4,8 % du capital. Il n'y a donc pas d'actionnaire engagé au capital de Capgemini, qui est détenu à hauteur de 36 % par des anglo-saxons et à hauteur de 30 % par des Français. Ceci explique que le titre Capgemini connaisse une volatilité supérieure à celle du marché.

M. Gérard Bailly, évoquant la révolution informatique, insoupçonnée il y a vingt ans, y compris dans le domaine agricole, a demandé à M. Paul Hermelin s'il était en mesure d'imaginer les modifications quotidiennes que l'informatique réservait pour l'avenir.

M. Paul Hermelin a considéré que la prospective devait se faire dans deux grands domaines : d'une part, la santé, avec le développement des systèmes médicaux prédictifs ; d'autre part, l'individualisation croissante des rapports entre les prestataires informatiques et leurs clients, des systèmes de plus en plus experts pouvant aller jusqu'à s'ingérer dans la vie privée par un traçage informatique permanent. Il a rapporté, à ce propos, les mots du président de Sun -« privacy is over »- annonçant la fin de la vie privée.

M. Pierre-Yvon Tremel s'est interrogé, d'une part, sur les raisons qui, selon M. Paul Hermelin, avaient justifié que Capgemini remporte le marché de l'infogérance des services fiscaux britanniques et d'autre part, sur le profil des 300 personnes recrutées chaque mois en Inde.

M. Paul Hermelin a expliqué que les services fiscaux britanniques avaient déjà externalisé leur système informatique depuis dix ans et que, de ce fait, l'appel d'offres visait à comparer les prestations proposées pour un prix donné. Comme EDS, jusque là chargé de l'infogérance de ce système, avait prouvé qu'il était très bon gestionnaire, mais peu innovateur, Capgemini a pu se distinguer en proposant des innovations et en introduisant une coordination avec des partenaires extérieurs plus compétents sur certains segments de la prestation globale, ce qui représentait 15 % de sous-traitance.

Concernant l'Inde, M. Paul Hermelin a précisé qu'auparavant Capgemini ne se rendait pas sur les campus universitaires, mais qu'elle le faisait de plus en plus afin de dépasser les 10.000 employés en Inde en 2007. Aujourd'hui, le recrutement chez Capgemini en Inde se partage entre les jeunes diplômés -« freshers »- (5 %), les anciens employés des grosses sociétés indiennes (32 %), les anciens employés des autres entreprises locales (33 %), le dernier tiers faisant appel au tout-venant auquel Capgemini fournissait une formation. Il a rappelé que la France formait chaque année environ 15 ou 16.000 ingénieurs, soit la moitié de la seule production d'ingénieurs de la ville de Madras, l'Inde tout entière formant, quant à elle, 250.000 ingénieurs par an.

M. Marcel Deneux, président, s'est interrogé sur le fait de savoir si Capgemini rencontrait des difficultés de recrutement en France.

M. Paul Hermelin a précisé que Capgemini peinait à recruter les 4.000 personnes dont il avait besoin cette année, 30 % des élèves ingénieurs partant vers les métiers les plus techniques de la finance qui offraient des salaires nettement plus attractifs. Il a déploré que le nombre de places en école d'ingénieurs n'ait pas été augmenté pour tenir compte de ce phénomène. Par ailleurs, il a fait observer que Capgemini proposait des métiers plus cycliques et donc moins sûrs que d'autres grandes entreprises comme Airbus.

Il a conclu en encourageant les sénateurs qui se rendraient en Inde à bien choisir les villes où ils feraient étape, les incitant à passer à Bangalore, Bombay, Delhi... Il leur a indiqué que M. Gilles Taldu, directeur en charge des implantations offshore chez Capgemini, et le directeur financier français de Capgemini à Bombay étaient à leur entière disposition pour leur permettre de vérifier qu'ils avaient établi les contacts les plus utiles en Inde.

Mission commune d'information - Centre de décision économique et attractivité du territoire national - Désignation des membres

Ensuite la commission a procédé à la désignation des membres appelés à représenter la commission au sein de la mission commune d'information sur la notion de centre de décision économique et les conséquences qui s'attachent, dans ce domaine, à l'attractivité du territoire national.

Ont ainsi été nommés : MM Gérard César, Gérard Cornu, Mme Michèle Demessine, MM. Bernard Dussaut, Christian Gaudin, Francis Grignon, Mme Elisabeth Lamure, MM. Michel Teston et Pierre-Yvon Trémel.

Nomination d'un rapporteur

Puis M. Marcel Deneux, président, a indiqué que, dans le cadre de l'examen du projet de loi de règlement du budget 2005 selon la nouvelle procédure résultant de la mise en oeuvre de la LOLF, seront organisés, les 27 et 28 juin, quatre débats particuliers sur les crédits de certaines missions, au nombre desquelles figure la mission « Ecologie et développement durable », qui intéresse la commission.

A ce titre, afin qu'elle puisse participer en tant que telle au débat, M. Marcel Deneux a proposé de désigner comme rapporteur pour avis M. Jean Bizet, qui était le rapporteur pour avis des crédits, pour la loi de finances pour 2006, de cette mission. Compte tenu du format de l'exercice arrêté par la commission des finances, il a précisé que le rapport de M. Jean Bizet serait oral.

M. Marcel Deneux, président, a ajouté que dans la même perspective, la commission des finances organisera, les 20, 21 et 22 juin, en salle Médicis ou Clemenceau, des auditions de ministres sur leurs crédits, selon une procédure identique à celle précédemment exposée. Il a proposé, en conséquence, d'autoriser les rapporteurs pour avis désignés par la commission pour la loi de finances pour 2006 à intervenir, s'ils le peuvent et s'ils le souhaitent, au nom de la commission. Il a énuméré les noms de ceux qui seraient concernés, à savoir :

- MM. Jean-Paul Alduy, Christian Gaudin et Dominique Mortemousque pour l'audition de M. Christian Estrosi sur les crédits de la mission « Développement des territoires », le mardi 20 juin 2006 à 18 h 30 en salle Médicis ;

- MM. Pierre André et Thierry Repentin pour l'audition de M. Jean-Louis Borloo sur les crédits de la mission « Ville et Logement », le mercredi 21 juin 2006 à 18 h 30 dans la salle de la commission des finances ;

- M. Henri Revol pour l'audition de M. François Goulard sur les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », le jeudi 22 juin 2006 à 11 heures en salle Clemenceau ;

- et enfin M. Claude Lise pour l'audition de M. François Baroin sur les crédits de la mission « Outre-mer » le jeudi 22 juin 2006 à midi en salle Clemenceau.

La commission a approuvé les deux propositions qui lui étaient soumises et mandat a donc été donné aux sénateurs désignés.

Energie - Audition de MM. Jean-François Cirelli, président-directeur général de Gaz de France, et Gérard Mestrallet, président-directeur général de Suez

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de MM. Jean-François Cirelli, président-directeur général de Gaz de France, et de Gérard Mestrallet, président-directeur général de Suez.

M. Jean-Paul Emorine, président, a tout d'abord remercié les présidents des deux entreprises d'avoir accepté de venir présenter devant la commission le projet de fusion entre Gaz de France et Suez qui, a-t-il estimé, vise à créer un champion mondial dans le domaine de l'énergie et de l'environnement. Il a noté que le Parlement se trouvait face à une échéance décisive pour permettre la réalisation de ce projet. Il a enfin excusé l'absence de M. Henri Revol, retenu à une réunion de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, qu'il préside.

M. Gérard Mestrallet a rappelé que le projet de fusion résultait d'un travail engagé de longue date entre les deux entreprises et que celui-ci avait été rendu public en février dernier, au moment où la possibilité d'une offre publique d'achat d'ENEL sur Suez avait été annoncée. Soulignant que le paysage énergétique européen avait profondément changé au cours des dernières années, il a jugé indispensable que les entreprises de ce secteur s'adaptent à ce nouveau contexte. En effet, les directives européennes ont profondément transformé les marchés de l'électricité et du gaz en les ouvrant à la concurrence. A ce titre, les marchés seront totalement ouverts à compter du 1er juillet 2007. Les directives imposent, en outre, la séparation des activités régulées, comme le transport ou la distribution, des activités concurrentielles, comme la production et la commercialisation.

Le président de Suez a ensuite noté que le gaz naturel, qui constitue la deuxième source d'énergie après le pétrole, voyait sa consommation croître régulièrement en Europe, à un niveau de 2 % par an en moyenne, en raison de son utilisation croissante pour la production d'électricité. Enfin, il a relevé que la crise énergétique actuelle, touchant toutes les sources d'énergie, exerçait des pressions à la hausse sur le prix des énergies dérivées. Puis, citant l'exemple du rachat de Ruhrgas par E.ON, il a indiqué que l'ensemble des groupes énergétiques européens se regroupaient afin de proposer aux clients une fourniture mixte d'électricité et de gaz.

M. Gérard Mestrallet a ensuite évoqué la crise d'approvisionnement gazier survenue lors de l'hiver dernier. La plupart des pays producteurs de gaz exercent des pressions à la hausse sur les prix de cette énergie. Dans ce contexte, un grand nombre de pays européens ont vu le prix du gaz augmenter considérablement et ont manqué de ressources gazières au cours de l'hiver. Même si le prix de la fourniture de gaz aux particuliers a connu une progression sensible en France, ce pays, comme la Belgique, n'a pas connu une crise de même nature que celle qu'a subie l'Ukraine ou, plus récemment, la Biélorussie. De telles crises sont d'ailleurs également survenues dans d'autres continents, notamment en Amérique latine.

Il a ensuite souligné que ces évolutions générales étaient intimement liées au projet de fusion. Dans la mesure où les pays producteurs disposent d'un levier d'action important et où l'Europe devra bientôt importer la totalité du pétrole et du gaz dont elle a besoin, il est indispensable de multiplier les filières d'approvisionnement, en recourant plus massivement au gaz naturel liquéfié (GNL). Il s'agit là d'un élément important de nature à stabiliser les prix et à renforcer la sécurité d'approvisionnement.

Puis le président de Suez a relevé que le marché énergétique européen se caractérisait par l'apparition de « géants » énergétiques propriétaires de leurs propres moyens de production, disposant de relais de croissance hors d'Europe, dans un contexte où les pays de l'Union manquent de capacités de production. Il a, pour terminer, noté que la date du 1er juillet 2007 constituait un butoir pour libéraliser les marchés, mais que certains pays avaient déjà souscrit à cette évolution, à l'instar de la Belgique.

M. Jean-François Cirelli a relevé que Gaz de France se situait à un moment crucial de son évolution, déterminant pour l'avenir des 53.000 collaborateurs de l'entreprise. Tout en rappelant que l'environnement économique avait profondément évolué depuis 2004, notamment du fait de la fin du monopole de fourniture dont bénéficiait Gaz de France, il a souligné que le droit communautaire obligeait l'entreprise à filialiser ses activités de gestionnaire des réseaux de distribution et à mettre fin à la facturation commune de l'électricité et du gaz.

Après avoir rappelé le mouvement de convergence entre l'électricité et le gaz, il a estimé que la concentration des énergéticiens répondait à la nécessité de disposer de moyens financiers importants pour procéder aux investissements de production. A titre d'exemple, la construction d'un terminal méthanier nécessite un montant de 500 millions d'euros. Il est en outre impératif de renforcer la sécurité d'approvisionnement du pays, notamment face au poids déterminant des producteurs. Enfin, une très grande majorité de clients souhaitait disposer d'un seul fournisseur pour l'électricité et le gaz.

Puis M. Jean-François Cirelli a indiqué que le projet de fusion avec Suez présentait de nombreux avantages industriels en raison des complémentarités entre les deux entreprises. La réalisation de ce projet permettra de constituer le premier gazier européen, disposant de 20 % de la fourniture de gaz en Europe, et de renforcer son pouvoir de négociation face aux pays producteurs. La nouvelle entité sera également le numéro un mondial du GNL, bénéficiant de positions dans des terminaux méthaniers situés dans le monde entier. Or, le marché du GNL connaît une croissance de 7 % par an et le renforcement de cette filière permet de fortifier l'indépendance énergétique.

Il a ensuite souligné que Gaz de France était contraint de proposer des offres de fourniture électrique à ses clients pour répondre à leurs demandes. Or, l'entreprise ne pourra renforcer ses possibilités d'action dans ce domaine que par un rapprochement avec Suez, qui est l'un des premiers électriciens en Europe.

Il a ensuite précisé que l'annonce de la privatisation de Gaz de France n'avait pas suscité de grèves importantes au sein de l'entreprise, mais avait révélé un besoin de dialogue avec les salariés du groupe. La principale inquiétude des salariés réside dans la réforme profonde des services communs de distribution, celle-ci répondant à une obligation fixée par les directives européennes qui imposent la neutralité du gestionnaire de réseaux par rapport aux entreprises commercialisant l'énergie. Toutefois, sur ce sujet, qui est indépendant du projet de fusion, EDF et Gaz de France entendent conserver un réseau technique commun.

En conclusion, M. Jean-François Cirelli a souligné que ce projet était de nature à constituer un grand acteur incontournable du secteur de l'énergie en Europe et serait profitable tant aux consommateurs qu'à l'aménagement du territoire.

Avant de donner la parole aux membres de la commission, M. Jean-Paul Emorine, président, a rappelé l'unanimité syndicale qui s'était exprimée au sein du comité d'entreprise de Suez en faveur de la fusion.

M. Ladislas Poniatowski a interrogé MM. Gérard Mestrallet et Jean-François Cirelli sur les conséquences prévisibles pour les deux entreprises d'une absence de fusion. Il a ainsi demandé au président de Suez son sentiment sur les risques d'une OPA d'ENEL sur Suez, sur la volonté de General Electric de racheter les activités « eau » du groupe et sur l'avenir des 160.000 salariés en cas de démantèlement de l'entreprise. Puis il a interrogé le président de Gaz de France sur les partenariats alternatifs possibles pour l'entreprise. Enfin, il s'est interrogé sur la faisabilité d'une fusion entre EDF et Gaz de France.

M. Gérard Cornu a demandé des précisions sur l'évolution du paysage énergétique européen à un horizon de dix ans. Tout en affirmant comprendre l'intérêt que Gaz de France avait de fusionner avec Suez, il s'est interrogé sur l'intérêt que les actionnaires de Suez pouvaient retirer de ce projet, compte tenu de la décision de réaliser la fusion sur la base d'une parité entre les actions des deux entreprises.

M. Bruno Retailleau a fait part de ses craintes sur l'évolution du prix des énergies. Il s'est notamment interrogé sur les liens entre les variations de prix et la structure capitalistique des entreprises. S'agissant des dispositifs permettant d'assurer à l'Etat un contrôle excédant son seul poids capitalistique au sein de l'entreprise, il s'est demandé si l'octroi d'une « golden share » à l'Etat au sein de la nouvelle entité résultant de la fusion serait compatible avec le droit communautaire et si elle permettrait de protéger cette dernière d'une offre publique d'achat.

En réponse, M. Gérard Mestrallet a apporté les précisions suivantes :

- dans le cas où la fusion ne se réaliserait pas, le risque d'une OPA hostile d'ENEL sur Suez est avéré. A ce titre, les déclarations récentes du président du conseil italien renforcent cette crainte ;

- le projet d'ENEL vise à acheter 100 % du capital de Suez. L'entreprise est, à cet effet, en capacité de mobiliser 50 milliards d'euros. Dans un second temps, ENEL entend ne conserver qu'Electrabel et revendre à d'autres entreprises les différents départements du groupe ;

- hormis General Electric qui s'est déclarée intéressée par le rachat de la Lyonnaise des eaux, seuls des fonds d'investissements souhaitent accompagner ENEL pour la réalisation de ce projet, ce qui fait planer des risques, dans la mesure où de tels acteurs privilégient une approche fondée sur la rentabilité à court terme ;

- les 160.000 salariés de Suez se sont déclarés extrêmement inquiets sur un tel projet, qui ferait disparaître l'entreprise ;

- toute hésitation des décideurs politiques renforce le risque de cette OPA ;

- le projet de fusion Gaz de France/Suez n'a aucun impact sur l'emploi ou le statut des salariés. Le prélèvement de 1 % sur le chiffre d'affaires des activités énergétiques en faveur du comité d'action sociale sera applicable au nouveau groupe.

Puis M. Jean-François Cirelli a précisé les éléments suivants :

- les entreprises n'ont aucune marge de manoeuvre sur la gestion du prélèvement en faveur du comité d'action sociale, dont les règles sont fixées par l'Etat ;

- les entreprises EDF et Gaz de France sont dans des situations totalement différentes, puisque Gaz de France ne dispose pas de moyens de production ;

- en cas d'échec de la fusion, Gaz de France sera contrainte de chercher à nouer d'autres alliances ;

- le débat sur la fusion EDF/Gaz de France est récemment réapparu sur la scène publique. Tous les syndicats ne sont d'ailleurs pas favorables à ce scénario. En tout état de cause, la réalisation d'un tel projet n'est pas possible en raison du droit communautaire de la concurrence et des positions dominantes respectives des deux entreprises sur leur marché national. Certaines études estiment que la fusion entre les deux entreprises conduirait les autorités européennes à demander à cette entité de se séparer de 30 % du parc nucléaire et d'abandonner les activités de transport de gaz. Un tel projet est inacceptable tant sur le plan social qu'économique. A titre d'exemple, le gazier et l'électricien portugais avaient envisagé ce scénario qui a été refusé, en définitive, par la Commission européenne.

M. Gérard Mestrallet a ensuite indiqué que l'évolution des prix de l'énergie et la composition du capital des entreprises énergétiques constituaient deux questions différentes. Ainsi, en Belgique, des tarifs administrés sont applicables, alors même que tous les énergéticiens sont privés. Dans ce contexte, le régulateur belge a un pouvoir non négligeable sur la fixation des prix, qui restent très proches de ceux qui sont pratiqués en France. La fusion Gaz de France/Suez devrait renforcer le pouvoir de négociation de la nouvelle entité pour obtenir de meilleurs prix auprès des producteurs de gaz. Depuis plusieurs années, les prix de l'électricité ont, en Europe, augmenté sur les marchés en raison de la hausse des cours du pétrole, des nouvelles contraintes environnementales relatives à la limitation des émissions de gaz à effet de serre et de l'insuffisance des investissements de production.

Puis le président de Suez a expliqué que la « golden share » envisagée par l'Etat pour l'entité résultant de la fusion était conforme au droit communautaire. Il existe un dispositif de même type en Belgique pour l'entreprise Fluxys, qui a été examiné par les autorités communautaires. La clause que le Gouvernement envisage de rendre applicable pour le groupe Suez/Gaz de France devrait permettre à l'Etat de s'opposer aux cessions d'actifs stratégiques.

Après avoir indiqué que plusieurs des questions qu'il avait envisagé de poser avaient déjà été évoquées par ses collègues, M. Roland Courteau s'est tout d'abord demandé s'il existait un scénario alternatif à la fusion Suez/Gaz de France et si Suez avait adopté des mesures pour résister à une éventuelle OPA. Puis il s'est interrogé sur la finalité de l'opération et a souhaité savoir si ce projet répondait à la nécessité de contrer une OPA hostile ou de réaliser un projet industriel préparé de longue date. Dans ce deuxième cas de figure, il s'est demandé pour quelles raisons le comité d'entreprise n'avait pas été informé préalablement. Il s'est ensuite interrogé sur l'avenir du contrat de service public liant Gaz de France à l'Etat, sur l'évolution du statut du personnel de Gaz de France et sur les rumeurs relatives à la suppression de 6.000 emplois en cas de fusion.

En réponse, M. Gérard Mestrallet a indiqué que l'assemblée générale des actionnaires de Suez avait autorisé l'émission de bons de souscription d'actions qui permettent de limiter les risques d'une OPA et contraignent tout acheteur potentiel à acquérir les actions à leur niveau le plus élevé. Puis il a rappelé que les discussions relatives au rapprochement entre Suez et Gaz de France avaient débuté lorsque Pierre Gadonneix était encore président de Gaz de France et que des coopérations ponctuelles entre les deux entreprises avaient déjà été réalisées. Il a également souligné que le Gouvernement de Lionel Jospin avait envisagé d'ouvrir le capital de Gaz de France pour faire entrer des industriels, au nombre desquels Suez, dans son actionnariat. Les négociations sur la fusion ont débuté en novembre 2005 et les menaces d'une OPA ont accéléré le processus en février, a-t-il ajouté.

Enfin, il a démenti les informations selon lesquelles 6.000 emplois seraient menacés en cas de fusion et a rappelé que Suez créait environ 1.000 emplois par an et embauchait près de 9.000 personnes chaque année.

M. Jean-François Cirelli a précisé que le droit commercial français interdisait d'informer les instances internes avant de rendre public le projet de fusion. S'agissant de l'impact de ce projet au sein de l'entreprise, il a souligné que le conseil d'administration l'avait approuvé, exception faite des administrateurs de deux centrales syndicales, qui avaient voté contre.

Il a ensuite rappelé que le contrat de service public de Gaz de France traitait de l'ensemble des obligations de service public, qu'il s'agisse de la sécurité des réseaux, de la protection de l'environnement ou de l'évolution des tarifs. L'ensemble de ces obligations et ce contrat seront maintenus en cas de fusion, a-t-il relevé.

Le président de Gaz de France a enfin indiqué que le statut du personnel des industries électriques et gazières, arrêté par l'Etat, s'appliquait à tous les salariés de la branche.

M. Gérard Mestrallet a considéré qu'au cours des dix prochaines années le mouvement de regroupement des entreprises énergétiques se poursuivrait et que les marchés européens seraient dominés par cinq grands groupes. Il a noté que deux de ces groupes pourraient être de nationalité française en cas de réalisation de la fusion, qui donnera à la France des outils de politique industrielle.

S'agissant des intérêts des actionnaires de Suez à soutenir ce projet, il a précisé que le comité d'entreprise s'était déclaré favorable à la fusion dans des conditions de parité d'actions avec Gaz de France. Il a noté que les principaux actionnaires du groupe avaient également validé cette stratégie. Il a enfin souligné que les synergies rendues possibles par la fusion permettraient la réalisation d'un projet industriel créateur de richesses et que le nouveau groupe pourrait développer ses activités économiques dans des conditions normales, y compris avec un Etat propriétaire d'un tiers de son capital, à l'instar de Renault, d'Air France ou de France Télécom.

Tout en s'associant aux craintes exprimées par ses collègues sur les conséquences sociales d'une OPA hostile d'ENEL sur Suez, M. René Beaumont s'est interrogé sur les conditions dans lesquelles le projet avait été présenté et a souligné qu'un grand nombre d'observateurs n'avaient pas forcément perçu la finalité industrielle de cette démarche.

M. Jean-François Cirelli a souligné, en réponse, que les acteurs italiens avaient défendu la thèse selon laquelle la fusion constituait une parade pour protéger Suez d'une OPA hostile et avaient contesté le projet de fusion devant les autorités communautaires. Or, celles-ci ont rejeté cette requête, dans la mesure où les entreprises avaient démontré que le rapprochement avait été envisagé antérieurement au projet d'OPA d'ENEL.

M. René Beaumont a ensuite relevé que ce projet intervenait à un moment où l'opinion publique était particulièrement sensible aux questions relatives à la libéralisation des marchés de l'énergie et à l'évolution des prix. Il a ainsi fait part de ses inquiétudes sur la progression très forte des prix de marché de l'électricité. Il a notamment indiqué qu'il proposerait prochainement la création d'une commission d'enquête parlementaire sur l'évolution des prix de l'énergie.

M. Marcel Deneux a également estimé que le climat n'était pas propice à ce projet, tant dans l'opinion publique qu'au sein des parlementaires. Il a jugé que ces derniers manquaient d'information sur les questions énergétiques. Il s'est ensuite interrogé sur les projets du groupe Suez/Gaz de France en matière d'énergies renouvelables.

M. Philippe Dominati a fait part de sa perplexité sur l'opportunité de mener à bien ce projet. Tout en relevant que le calendrier de réalisation était problématique, il a souligné que cette initiative mettait l'Etat en difficulté par rapport aux promesses qui avaient été faites en 2004 de conserver 70 % du capital de Gaz de France. Il a ensuite relevé que la presse économique avait fait part de la décision d'ENEL de renoncer à une OPA hostile. Il s'est demandé si, dans ces conditions, des solutions alternatives à la fusion ne pouvaient être envisagées. Puis il a fait part de son étonnement quant à la volonté de Suez de fusionner avec une entreprise aujourd'hui publique afin de constituer un groupe au sein duquel l'Etat serait un actionnaire important. Il a ensuite demandé si un accord avec ENEL était envisageable, si le projet de fusion présentait un caractère d'urgence et s'il était possible de reporter la réalisation de ce projet.

M. Jean-Pierre Vial a également noté que le climat politique national n'était pas propice à la réalisation de ce projet en raison des variations des prix de l'énergie attribuées au mouvement de libéralisation des marchés de l'énergie. Il a d'ailleurs noté que les industriels avaient subi de plein fouet les conséquences de ces variations, qui avaient amené le législateur à prendre des mesures en faveur des industries électro-intensives. Il s'est enfin interrogé sur les conséquences sur les prix en cas de réalisation ou de non réalisation du projet de fusion.

En réponse à ces interventions, M. Gérard Mestrallet a apporté les précisions suivantes :

- quand l'Union européenne a décidé, il y a dix ans, de lancer le mouvement de libéralisation des marchés de l'énergie, les autorités communautaires estimaient que la concurrence favoriserait une baisse des prix ;

- l'expérience de libéralisation menée dans le secteur des télécommunications est, à cet égard, positive ;

- toutefois, l'électricité est un produit spécifique non stockable et pour lequel l'offre et la demande doivent être constamment en équilibre ;

- les coûts de production de l'électricité ont fortement augmenté en raison de la hausse du prix des combustibles fossiles et des obligations liées à l'application du protocole de Kyoto ;

- les pays européens n'ont pas suffisamment investi dans les moyens de production et se sont reposés sur le parc nucléaire français, qui était surdimensionné il y a quinze ans et qui est aujourd'hui insuffisant compte tenu de la croissance de la consommation électrique en Europe ;

- la France a également besoin de développer à court terme ses capacités de production électrique, notamment grâce aux centrales à gaz ;

- la concurrence profite aux consommateurs : Suez a ainsi conquis un grand nombre de marchés en France grâce à ses offres compétitives ;

- l'Etat italien a les moyens juridiques de bloquer les décisions d'actionnaires étrangers si Suez venait à entrer dans le capital d'ENEL, à l'instar de la situation vécue par EDF avec Edison ;

- ENEL ne s'intéresse qu'à Electrabel, qui lui permettrait d'obtenir une position stratégique au coeur de l'Europe sur le marché de l'électricité ;

- la fusion de Suez avec Gaz de France réduit considérablement les risques d'OPA hostile ;

- le nouveau groupe issu de la fusion restera une entreprise privée avec l'Etat comme actionnaire minoritaire ;

- Suez n'a entamé aucune discussion avec ENEL. Il serait préférable de réaliser la fusion, puis d'envisager des partenariats équilibrés avec ENEL.

Puis M. Jean-François Cirelli a apporté les éléments d'information suivants :

- les prix du gaz sont indexés sur ceux du pétrole ;

- les consommateurs font part de leur incompréhension quant à l'augmentation du prix de l'électricité, alors que la France bénéficie de l'énergie nucléaire, qui est très compétitive ;

- la concurrence favorise la baisse des prix, mais la grave crise énergétique actuelle, qui se caractérise par un baril de pétrole à 75 dollars, efface les effets bénéfiques de la concurrence ;

- Gaz de France ne tire pas de profit de ses activités de fourniture de gaz ;

- la Commission européenne devrait donner son accord sur la fusion à la fin du mois de novembre 2006, mais il est nécessaire de rendre la fusion possible avant cette date pour ne pas laisser l'entreprise et ses salariés dans l'incertitude.

En conclusion, M. Jean-Paul Emorine, président, a remercié les présidents pour la qualité de leurs explications et a noté que les modalités de réalisation de ce projet seraient plus claires après la tenue du débat sur la politique énergétique devant les assemblées parlementaires.