Travaux de la commission des affaires sociales
- Mercredi 8 juin 2005
- Commission d'enquête sur les conditions de délivrance et de suivi des autorisations de mise sur le marché des médicaments - Examen du rapport
- Modification du code du travail en matière d'aménagement du temps de travail dans le secteur des transports - Examen du rapport
- Nomination d'un rapporteur - Cohésion sociale
- Commission d'enquête sur les conditions de délivrance et de suivi des autorisations de mise sur le marché des médicaments - Examen du rapport
Mercredi 8 juin 2005
- Présidence de M. Nicolas About, président -
Commission d'enquête sur les conditions de délivrance et de suivi des autorisations de mise sur le marché des médicaments - Examen du rapport
La commission a procédé tout d'abord à l'examen du rapport de Mme Marie-Thérèse Hermange sur la proposition de résolution n° 150 (2004-2005) de M. François Autain et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions dedélivrance et de suivi des autorisations de mise sur le marché des médicaments.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a observé que cette proposition de résolution doit être replacée dans le contexte du retrait du médicament anti-inflammatoire Vioxx, à l'initiative de l'entreprise qui l'a conçu et commercialisé, les laboratoires Merck, l'une des principales firmes pharmaceutiques américaines. L'annonce brutale, intervenue le 30 septembre 2004, a constitué le déclencheur d'une profonde crise de confiance du grand public à l'égard du médicament. Aussi bien les signataires de la proposition de résolution souhaitent-ils que des investigations soient menées dans quatre directions, afin d'apprécier : la qualité et la transparence des pratiques d'évaluation des médicaments ; l'indépendance des agences ; la qualité de l'expertise et le degré d'indépendance des experts ; la réalité du contrôle des médicaments après leur mise sur le marché.
Après avoir rappelé que les médicaments sont par nature des substances actives qui peuvent être dangereuses, elle a fait observer que dans tous les pays développés, ils reçoivent une autorisation de mise sur le marché (AMM) et font l'objet d'un suivi, la pharmacovigilance.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a considéré que les inquiétudes qui ont été exprimées lors de la crise du Vioxx s'expliquent d'abord par la rapidité surprenante avec laquelle a été prise la décision de son retrait du marché, ensuite par le fait accompli devant lequel se sont trouvées placées les agences sanitaires, en Europe plus encore qu'aux Etats-Unis, et enfin par la publication d'estimations préoccupantes faisant état de plusieurs milliers de victimes potentielles en raison des effets secondaires de ce médicament. Elle a regretté que la confusion, qui en a résulté, ait abouti à faire croire à nos concitoyens que les médicaments sont de plus en plus dangereux. Plus encore, elle s'est inquiétée qu'une partie de la population puisse penser que les agences sanitaires feraient passer l'intérêt de la santé publique après les considérations économiques.
Puis elle a relevé que deux rapports officiels sont venus alimenter le débat dans notre pays : le premier, publié par la Cour des comptes en septembre 2004, souligne les lacunes de la mission d'information de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) ; le second, établi en février 2005 par le sénateur Claude Saunier pour le compte de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), estime que si la France dispose aujourd'hui d'une procédure d'AMM des médicaments satisfaisante, bien que perfectible, cet acquis sera menacé dans un proche avenir, en raison notamment de la possibilité laissée aux laboratoires de choisir les Etats membres de l'Union européenne les plus compréhensifs pour autoriser la mise sur le marché de leurs médicaments.
Après avoir observé que l'onde de choc de la crise du Vioxx a été si forte que même la Food and Drug Administration (FDA) américaine, qui faisait pourtant figure de référence internationale pour la qualité de son travail, a été mise en cause, comme d'ailleurs l'ensemble des agences sanitaires dans le monde, y compris l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments, Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a considéré qu'il n'est guère surprenant que l'AFSSAPS ait fait l'objet de nombreuses critiques. Ses détracteurs ont mis en cause, tout à la fois, la manière dont elle a pris en compte le principe de précaution et la qualité des essais thérapeutiques.
Pourtant, le droit français actuel apparaît très protecteur de la santé publique, dans la mesure où il combine des règles nationales, qui demeurent largement prédominantes, avec celles issues du droit communautaire, qui ne cessent de se renforcer. Des autorités administratives indépendantes interviennent dans les procédures au niveau national comme au niveau européen. Ainsi, l'AFSSAPS dispose de très larges pouvoirs : dès qu'un produit présente ou est susceptible de présenter un danger pour la santé, l'agence peut prendre des mesures de suspension ou d'interdiction de toute activité industrielle, des mesures de suspension du produit, de retrait du marché ou de consignation. Il en va de même au niveau de l'Union européenne : l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments émet des avis sur la base desquels la Commission européenne autorise la mise sur le marché des médicaments innovants ou ceux issus des biotechnologies.
L'articulation des compétences entre ces deux niveaux s'organise selon trois procédures distinctes. Deux procédures sont communautaires : l'une est centralisée auprès de l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments et vaut autorisation pour tous les pays membres de l'Union ; l'autre repose sur une reconnaissance mutuelle d'autorisation entre les Etats membres. La dernière procédure est nationale : elle demeure applicable pour les médicaments dont la commercialisation se trouve limitée au marché d'un seul Etat membre.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a précisé que ce cadre juridique déjà développé sera encore complété par une directive et un règlement communautaires du 31 mars 2004, qui seront applicables au 30 octobre 2005. Ces nouvelles dispositions communautaires introduisent des obligations supplémentaires en termes de transparence, renforcent l'indépendance des agences, introduisent la notion de « valeur thérapeutique ajoutée » en matière d'évaluation des médicaments, renforcent la pharmacovigilance et créent des plans de gestion du risque pour un meilleur suivi des médicaments. Enfin, les modalités d'AMM des médicaments seront notablement améliorées grâce à une généralisation progressive, d'ici à 2008, de la procédure européenne centralisée à de nombreux traitements et une seconde réévaluation quinquennale des médicaments sera désormais possible pour des raisons justifiées ayant trait à la pharmacovigilance. Ces nouveaux dispositifs sont susceptibles de répondre en grande partie aux observations de la proposition de résolution examinée.
Toutefois, Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, est convenue que la crise de confiance des consommateurs n'a pas été encore totalement surmontée et qu'il lui paraît de ce fait nécessaire d'approfondir la réflexion. L'exercice est difficile, car il suppose tout à la fois de savoir comment mesurer le degré de toxicité des médicaments, d'intégrer les réponses de l'AFSSAPS aux accusations dont elle a fait l'objet et de lever les doutes que le débat sur les AMM a fait naître.
Sur le premier point, elle a souligné que l'évaluation du rapport bénéfice/risque pour l'ensemble de la société constitue le seul instrument de mesure et de décision, qu'elle ne peut être exhaustive puisque les tests s'effectuent sur des échantillons de population et qu'il convient de minimiser les risques sanitaires sans paralyser les progrès thérapeutiques.
Sur le deuxième point, elle a mis en garde contre une approche simplificatrice qui tendrait à désigner l'AFSSAPS comme seule responsable de la crise du Vioxx, alors même que cette agence y a réagi de manière, semble-t-il, pertinente en menant des campagnes d'information pour juguler rapidement les premiers mouvements de panique et en demandant, dès le 28 juillet 2002, à l'Agence européenne, une nouvelle expertise des substances anti-inflammatoires relevant de la famille des coxibs, pour évaluer leurs tolérances cardiovasculaire, gastrique et cutanée.
Sur le troisième point, elle a indiqué que l'AFSSAPS a déjà tiré certains enseignements de la crise du Vioxx, en anticipant sur l'entrée en vigueur de la directive européenne, en dégageant les moyens d'informer les professionnels de santé et le grand public sur les conditions d'un bon usage des médicaments et en renforçant l'indépendance des experts, notamment par l'amélioration de leurs rémunérations.
Au-delà de ces aspects directement liés à la crise du Vioxx, Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a énuméré les points qui mériteraient d'être étudiés plus avant : le niveau souhaitable de la contribution budgétaire de l'Etat à l'AFSSAPS, l'indépendance des experts vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique, le bien-fondé d'une exigence de valeur thérapeutique ajoutée avérée avant d'autoriser un nouveau médicament et les moyens qui permettraient de renforcer l'information du corps médical, de promouvoir la pharmacovigilance et d'accélérer le développement des études « post-AMM ».
Toutefois, elle a déclaré que la formule de la commission d'enquête ne lui semble pas la formule la mieux adaptée pour répondre à ces interrogations, car il s'agit d'une procédure lourde, contraignante, dont on doit à l'avance fixer les limites et qui peut se heurter aux procédures judiciaires en cours.
Rappelant notamment l'importance du volet européen de ce dossier, elle a estimé que d'autres formules sont possibles pour travailler sur le suivi et l'autorisation de mise sur le marché des médicaments : le dépôt d'une question orale avec débat, la rédaction d'un rapport d'information, la formation d'un groupe de travail, interne à la commission ou commun avec d'autres structures du Sénat, comme par exemple la délégation pour l'Union européenne, ou encore la constitution d'une mission d'information sur ce thème.
M. François Autain s'est déclaré déçu du refus de principe de constitution d'une commission d'enquête. Cette structure lui paraît pourtant la mieux adaptée, dans la mesure où elle offre des garanties juridiques et assure la fiabilité des témoignages des personnes à auditionner. Une analyse similaire a d'ailleurs été faite par l'Assemblée nationale, où une proposition de résolution ayant le même objet a été déposée par M. Jean-Marie Le Guen. Toutefois, en second choix, il s'est dit partisan de la constitution d'une mission d'information.
Sur le fond, il a regretté que la question de la puissance de l'industrie pharmaceutique et de sa capacité d'influence sur les agences sanitaires et les pouvoirs publics n'ait pas été abordée. Il s'est également inquiété de la baisse des subventions budgétaires de l'Etat à l'AFSSAPS et de la prise en compte insuffisante du critère bénéfice/risque dans les décisions d'autorisation de mise sur le marché des médicaments, ce dont témoigne la commercialisation en grand nombre de copies déguisées de molécules déjà existantes : sur les 400 à 500 nouveaux médicaments introduits chaque année sur le marché français, moins de 5 % correspondraient en effet à de réelles innovations.
Mme Janine Rozier s'est réjouie de constater qu'une analyse approfondie du cadre juridique applicable au suivi et à la mise sur le marché des médicaments en France aboutit à un constat rassurant, qui diffère radicalement des informations alarmistes ayant circulé à l'automne dernier.
M. Alain Gournac a considéré que le Sénat devrait se saisir d'une question aussi importante que celle des enseignements à tirer de la crise du Vioxx et a privilégié le choix d'une mission d'information sur ce sujet, éventuellement complétée par le dépôt d'une question orale avec débat.
M. Michel Esneu a souligné la complexité des questions abordées. Après avoir noté l'intérêt de la pharmacovigilance, il s'est demandé pour quelles raisons les études « post-AMM » ne sont pas davantage développées dans notre pays.
Après avoir également regretté que la majorité de la commission semble vouloir écarter la formule d'une commission d'enquête, M. Guy Fischer a déploré le caractère tardif de l'intervention des autorités sanitaires dans l'affaire du Vioxx. Il a jugé que les considérations économiques avaient prévalu sur les impératifs de santé publique et que la décision de retrait précipité du Vioxx prise par les laboratoires Merck pouvait être qualifiée de « pharmacovigilance boursière ». Après avoir considéré qu'il convient de renforcer la valeur thérapeutique ajoutée dans le processus d'AMM, il a estimé que le Sénat, quelle que soit la formule qui sera finalement choisie, s'honorerait d'analyser en détail une question aussi importante que celle du suivi et de la mise sur le marché du médicament.
M. Gérard Dériot a estimé que la présentation du rapporteur permet de « démystifier » la procédure d'AMM, ce qui apparaît indispensable en raison des inquiétudes exprimées par l'opinion publique. Il a considéré que la France dispose d'un système de veille sanitaire très rigoureux et que les différents acteurs du système de santé sont sensibilisés de longue date aux problèmes des effets secondaires des médicaments.
Il a jugé que le cadre juridique français et communautaire du suivi et de la mise sur le marché du médicament mériterait vraisemblablement d'être amélioré, tout en rappelant que les nouvelles agences sanitaires ont été créées il y a quelques années seulement, et que notre pays est parvenu à éviter, dans le domaine des médicaments, des drames comparables à ceux du sang contaminé ou de l'amiante.
Après avoir assuré de sa confiance dans l'indépendance des autorités sanitaires et la qualité de son personnel scientifique, il a déclaré que l'affaire du Vioxx ne doit pas conduire l'opinion publique à croire que l'on joue ou que l'on peut jouer avec la santé de la population et affirmé que le principe de précaution a toujours existé dans le domaine médical. Il a précisé qu'une partie du problème des effets secondaires des médicaments est liée à l'inobservation par les patients des posologies prescrites. Sur la question du choix à effectuer entre une commission d'enquête et une mission d'information, il a jugé que la souplesse de la seconde formule présente le maximum d'avantages et que le précédent de la commission d'enquête sur les farines animales atteste que les personnes auditionnées peuvent en réalité se soustraire à l'obligation qui leur est faite de se présenter devant les parlementaires.
M. Jean-Claude Etienne a reconnu que les nombreux médicaments nouveaux n'apportent pas tous une véritable innovation thérapeutique, mais qu'une large partie d'entre eux représente néanmoins un vrai progrès. Il a indiqué que, pour les patients qui en ont bénéficié, les médicaments Vioxx et Célebrex ont apporté une amélioration incontestable de leur qualité de vie. Il a confirmé que les procédures françaises en matière d'AMM figurent parmi les plus rigoureuses au monde. Avant de songer à renforcer davantage encore la réglementation applicable en la matière, il convient de noter que le nombre d'essais cliniques commandés par les différents laboratoires dans notre pays a diminué de moitié en quatre ans, vraisemblablement en raison de la rigueur de nos procédures nationales. Il a jugé qu'il convient surtout de réfléchir à la faible rémunération des experts scientifiques extérieurs consultés par l'AFSSAPS et à leur insuffisante disponibilité, dans la mesure où la plupart d'entre eux occupent d'autres fonctions. Après avoir fait part de l'intérêt des procédures « post-AMM », il s'est prononcé en faveur de la constitution d'une mission d'information.
Mme Gisèle Printz a indiqué que le groupe socialiste soutient l'option de constituer une commission d'enquête.
M. Paul Blanc s'est inquiété du déclin relatif de la recherche française dans le domaine médical au cours des deux dernières décennies. Il a jugé que le renforcement du cadre juridique des AMM ne doit pas faire obstacle au développement des produits innovants, surtout quand on sait que la France ne dispose plus que de deux grands laboratoires d'envergure internationale.
Après avoir salué tout l'intérêt du sujet, dans la mesure où il répond à une inquiétude exprimée par la population et où il pose des questions sensibles, M. Louis Souvet s'est demandé si la façon dont réagit le corps humain aux médicaments a évolué au cours des dernières décennies. Il s'est par ailleurs interrogé sur la possibilité de prévoir effectivement tous les effets secondaires des médicaments, y compris dans le cadre d'un système aussi strict que celui existant en France aujourd'hui.
M. Dominique Leclerc a confirmé le fait qu'un médicament est un produit actif et rappelé que d'autres produits ont été retirés du marché ou contestés par le passé. Il a considéré que le choix d'une commission d'enquête conduirait nécessairement, aux yeux de l'opinion publique, à jeter a priori le discrédit sur la qualité des contrôles pratiqués sur les médicaments. Il s'est dit favorable à une analyse approfondie du sujet, tout en veillant à préserver la sérénité des débats et à ne pas renforcer la confusion qui semble régner parmi nos concitoyens.
M. Nicolas About, président, a estimé que l'enjeu de ce débat sur le contrôle des médicaments consiste à promouvoir les progrès thérapeutiques, tout en minimisant les risques sanitaires. Il a considéré que la prédominance des taxes affectées, par rapport aux contributions budgétaires classiques, dans le budget de l'AFSSAPS ne met pas en question l'indépendance de l'agence. Il a jugé particulièrement complexe la question de l'indépendance des experts, qui doit être préservée tout en sachant qu'une séparation absolue entre les agences sanitaires et les laboratoires pharmaceutiques apparaît difficilement réalisable en pratique. Il s'est interrogé sur le bien-fondé de réserver les AMM aux seuls médicaments correspondant à un progrès thérapeutique, mais plus encore, il s'est dit étonné du prix souvent très élevé des nouveaux médicaments et du fait que des molécules peu efficaces puissent être maintenues sur le marché.
Après avoir estimé que le choix d'une commission d'enquête risquerait d'être interprété comme une procédure de type inquisitorial, il s'est prononcé en faveur de la constitution d'une mission d'information, formule à la fois plus souple d'utilisation et plus large dans son champ d'application. Il a précisé par ailleurs qu'il n'est pas hostile, en parallèle, à la discussion en séance publique d'une question orale avec débat sur ce thème.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a souligné l'importance de promouvoir la pharmacogénomique, qui devrait permettre à l'avenir de mieux cibler les traitements thérapeutiques envisagés par rapport au potentiel génétique du patient. Cette technologie prometteuse est d'ailleurs déjà utilisée pour le traitement de certains cancers. Elle a indiqué en outre qu'une trentaine d'études « post-AMM » ont été réalisées au cours des trois dernières années, ce qui permet de compléter utilement les efforts conduits en matière de pharmacovigilance.
Elle a précisé qu'il convient d'analyser la question des effets secondaires des médicaments au regard du respect par les patients des posologies prévues. Elle s'est déclarée convaincue que le Sénat doit analyser d'une façon objective et équilibrée les différentes questions évoquées et s'en est remise à la sagesse de la commission sur la question de la constitution d'une mission d'information.
M. Guy Fischer a souhaité que la commission puisse d'abord se prononcer sur la question de la constitution d'une commission d'enquête.
Mme Catherine Procaccia a demandé des précisions sur le rôle de la commission des lois dans la procédure de constitution des commissions d'enquête.
M. Nicolas About, président, a indiqué que la commission des lois n'intervient qu'au titre de la recevabilité, au regard du règlement du Sénat, des demandes de constitution de commission d'enquête, et non pas sur l'opportunité d'y procéder.
La commission a ensuite rejeté la demande de création d'une commission d'enquête, puisadopté à l'unanimité la demande de constitution d'une mission d'information interne sur le thème du médicament.
Modification du code du travail en matière d'aménagement du temps de travail dans le secteur des transports - Examen du rapport
Puis la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Jackie Pierre sur le projet de loi n° 287 (2004-2005) ratifiant l'ordonnance n° 2004-1197 du 12 novembre 2004 portant transposition de directives communautaires et modifiant le code du travail en matière d'aménagement du temps detravail dans le secteur des transports.
M. Jackie Pierre, rapporteur, a indiqué que le secteur des transports, et particulièrement celui des transports routiers, se porte mal : pour le seul transport routier de marchandises, qui représente 1,2 % du produit intérieur brut (PIB), les parts de marché détenues par le pavillon français ont reculé de 21 % en quatre ans et cette tendance est alarmante pour un secteur qui supporte 330.000 emplois.
Il a rappelé que ce projet de loi constitue le terme d'un cheminement juridique complexe, puisque la loi du 18 mars 2004 avait habilité le Gouvernement à transposer, par ordonnance, des directives communautaires et que, parmi celles-ci, figurait la directive n° 2000/34 du Parlement européen et du Conseil concernant l'aménagement du temps de travail dans les transports. Or, cette loi d'habilitation avait prévu qu'outre les mesures législatives nécessaires à la stricte transposition de cette directive, des mesures d'adaptation du code du travail pouvaient être prises, dès lors qu'elles étaient « rendues nécessaires par les caractéristiques particulières des activités concernées ». En conséquence, le texte de l'ordonnance comporte effectivement deux types de mesures : d'une part, des mesures tendant à la transposition de directives communautaires, d'autre part, des mesures d'adaptation.
M. Jackie Pierre, rapporteur, a estimé que si les mesures de transposition sont globalement protectrices, les mesures d'adaptation se justifient par un contexte économique difficile, marqué par une concurrence mettant en danger le pavillon français. A cet égard, il a rappelé que l'ordonnance du 12 novembre 2004 constitue un élément du plan de mobilisation et de développement en faveur du transport routier de marchandises qu'avait présenté le ministre des transports en septembre 2004 et qui comportait trois volets :
- un volet fiscal qui portait sur la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) et sur la taxe professionnelle, mais dont les mesures n'ont que très partiellement compensé l'augmentation du prix du pétrole en 2003 et 2004 ;
- un volet juridique pour renforcer la lutte contre les pratiques illégales, notamment le cabotage irrégulier ;
- un volet social portant sur les rythmes de travail et proposant une augmentation modérée de certains maxima hebdomadaires, sans changement des durées normales de service, une modulation du temps de travail sur la base d'un trimestre et la simplification de la réglementation des repos compensateurs.
M. Jackie Pierre, rapporteur, a donc fait valoir que l'ordonnance, dont la ratification est proposée au Parlement, respecte les termes de la loi d'habilitation du 18 mars 2004, tout en réalisant les ambitions du volet social du plan de mobilisation.
Elle permet aussi de mettre un terme à une certaine insécurité juridique, en procédant enfin à la transposition de directives qui risquent d'être directement invoquées devant les juridictions nationales. Tel est le cas de la directive n° 2000/34, qui aurait dû être transposée en août 2003, et de la directive n° 2002/15 du 11 mars 2002, spécifique au temps de travail dans le transport routier, qui devait être transposée avant le 23 mars 2005. Enfin, la ratification de cette ordonnance donnera aux dispositions réglementaires régissant le temps de travail dans les transports, de nature dérogatoire, le fondement juridique solide qu'elles n'avaient pas jusqu'à présent.
M. Jackie Pierre, rapporteur, en est venu à l'examen des mesures d'adaptation qui, prises en vertu de l'article 7 de la loi d'habilitation, concrétisent les orientations du plan de mobilisation en faveur du transport routier de marchandises. Ces mesures tendent d'abord à assouplir les règles concernant le temps de travail maximal : si la durée du travail normal demeure inchangée, la durée moyenne hebdomadaire de travail maximale pourra être portée de 44 heures à 46 heures sur une période de référence de trois mois ; la période de référence servant au décompte des heures supplémentaires pourra être portée à trois mois ; les droits à repos compensateur pourront faire l'objet d'un décompte simplifié, en fonction du seul nombre d'heures supplémentaires effectuées ; ce repos pourra être pris dans un délai de trois mois au lieu des deux mois du droit commun ; enfin, pour les bateaux « exploités en relève », les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires du travail pourront être dépassées, ce qui fournit une base légale à certains modes d'organisation du travail.
Puis M. Jackie Pierre, rapporteur, a souhaité examiner le décret du 31 mars 2005 relatif à la durée du travail dans les entreprises de transport routier de marchandises, ayant précisé qu'il s'agit du premier, et plus attendu, décret d'application de l'ordonnance. Conformément aux termes de l'ordonnance, ce décret prévoit que les temps de service normaux demeurent inchangés, mais que les durées moyennes maximales hebdomadaires sont portées, pour les « grands routiers », de 50 heures à 53 heures et pour les « autres personnels roulants marchandises », de 48 heures à 50 heures. Par ailleurs, les périodes de référence pour l'appréciation de ces durées moyennes sont portées d'un mois au trimestre civil, voire au quadrimestre civil. Le rapporteur a fait valoir que l'augmentation du temps de travail qui résulte de l'ensemble de ces dispositions doit être relativisée en raison de l'existence d'un règlement communautaire qui, limitant spécifiquement la durée de conduite, continue à s'appliquer.
Enfin, il a souligné que la période retenue pour le calcul de la durée hebdomadaire de travail peut être portée d'un mois à trois mois par l'entreprise, ce qui est susceptible de diminuer le nombre d'heures supplémentaires donnant lieu à repos compensateur. Toutefois, il a insisté sur le fait que le paiement des heures majorées devrait continuer à s'effectuer sur la base inchangée de l'accord collectif du 23 avril 2002 concernant les rémunérations et ajouté qu'il ne manquerait pas d'interroger le ministre en charge des transports sur ce point, de sorte que leurs analyses communes soient confortées par les travaux préparatoires du présent texte de loi.
Au total, il a estimé que l'ensemble de ces assouplissements permet de qualifier l'équilibre atteint de « gagnant-gagnant » : dans l'ensemble, les routiers travailleront un peu plus pour une rémunération un peu plus élevée.
M. Jackie Pierre, rapporteur, a ensuite abordé l'examen des mesures de transposition qui concernent le travail de nuit et la réglementation des pauses et des repos quotidiens et hebdomadaires.
En matière de travail de nuit, il a précisé que si le plafond de dix heures quotidiennes mis en place se trouve supérieur aux huit heures du droit commun, cet aménagement, introduit à l'Assemblée nationale, traduit la volonté de respecter l'accord sur le travail de nuit dans le secteur routier de marchandises du 14 novembre 2001.
Il a ensuite rappelé que les personnels roulants et navigants étaient initialement exclus du droit commun des pauses et des repos quotidiens et expliqué qu'en ces domaines, les mesures de transposition sont surtout protectrices, puisqu'elles élèvent au niveau législatif des règles préexistantes au niveau réglementaire et conventionnel.
Avant de conclure, M. Jackie Pierre, rapporteur, a souhaité exposer les problèmes posés par le cabotage sur le territoire français, bien qu'ils ne fassent pas l'objet d'un traitement particulier dans l'ordonnance. Cette pratique consiste à faire effectuer le transport interne à un Etat membre par des prestataires établis dans un autre Etat membre. Or, la France y est particulièrement exposée en raison du flou juridique qui entoure le droit applicable et de l'insuffisance des moyens de contrôle. Il a indiqué qu'il interrogerait le Gouvernement sur les voies et moyens d'une régulation efficace du cabotage, réclamée par tous les professionnels.
Enfin, il a conclu en faisant observer que ce texte résulte d'arbitrages longs et complexes sur lesquels il serait imprudent de revenir sans risquer de compromettre certains équilibres acquis par voie conventionnelle. Estimant que l'ordonnance est de nature à renforcer les droits fondamentaux des salariés du secteur des transports, tout en en permettant des assouplissements raisonnables dans le contexte d'une concurrence accrue, il a proposé de ne pas lui apporter de modification.
M. Guy Fischer, après avoir observé que le projet de loi avait été examiné à l'Assemblée nationale avant le référendum du 29 mai et souligné que l'ordonnance faisait l'objet d'un recours juridictionnel, a contesté qu'on puisse qualifier d' « assouplissement » ou d' « adaptation » ce qu'il estime être un véritable « démantèlement », car les diverses évolutions concernant les durées maximales de travail constituent un indubitable recul social. En conséquence, le groupe communiste républicain et citoyen y sera résolument hostile.
Mme Raymonde Le Texier a déploré que l'étendue de l'habilitation ait permis que l'ordonnance excède largement la seule transposition de la directive européenne n° 2002/15. De ce fait, le texte proposé au vote du Parlement se rapporte à l'ensemble des transporteurs, et non aux seuls chauffeurs sur longue distance, ce qui multiplie par dix le nombre de salariés concernés. Elle a également déploré que l'augmentation générale des temps de travail ne puisse que porter préjudice à la sécurité routière.
En réponse, M. Jackie Pierre, rapporteur, a confirmé le recours contre l'ordonnance du 12 novembre 2004, au motif qu'elle aurait réduit le niveau général de protection aux salariés, en contravention à l'article 10 de la directive n° 2002/15. Il a toutefois précisé que ce recours n'a que de faibles chances d'aboutir, car toutes les dispositions de l'ordonnance qui visent à transposer le droit communautaire sont de nature protectrice et, qu'en tout état de cause, la ratification de l'ordonnance par le Parlement interdirait désormais les recours devant le juge administratif. D'une façon générale, il a considéré que la transposition de la directive n° 2002/15 se traduira par un véritable « alignement par le haut » qui renforcera la compétitivité des entreprises nationales. Enfin, il a souligné qu'il convient de relativiser les augmentations de la durée du travail en raison de l'application directe du règlement communautaire de 1985 concernant le temps de conduite maximal, dont les termes demeurent inchangés.
Puis la commission a approuvé le projet de loi sans modification.
Nomination d'un rapporteur - Cohésion sociale
Enfin, la commission a procédé à la désignation de M. Dominique Leclerc en tant que rapporteur sur le projet de loi n° 2348 (AN) relatif au développement desservices à la personne et à diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.