Travaux de la commission des affaires sociales



Mercredi 7 avril 2004

- Présidence de M. Nicolas About, président -

Auditions - Projet de loi bioéthique

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à quatre auditions sur le projet de loi relatif à la bioéthique.

En préambule, M. Nicolas About, président, a, déclaré que le fait de procéder à de nouvelles auditions sur le projet de loi de bioéthique, à ce stade de son examen, constitue une procédure un peu exceptionnelle. Elle est justifiée néanmoins par le caractère spécifique de ce texte et par l'importance des sujets introduits par l'Assemblée nationale en décembre 2003, lors de la deuxième lecture, notamment l'extension du diagnostic préimplantatoire à la détection d'embryons potentiellement compatibles avec un enfant puîné, procédé parfois qualifié de « bébé médicament ».

Audition de M. Axel Kahn, directeur de l'Institut Cochin, directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

La commission a tout d'abord entendu M. Axel Kahn, directeur de l'Institut Cochin, directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

M. Francis Giraud, rapporteur, a demandé à M. Axel Kahn quelles réflexions lui inspirent les modifications, apportées par l'Assemblée nationale, à la composition du conseil d'orientation de l'agence de biomédecine, désormais élargie aux représentants de la société civile, et notamment à des représentants d'associations de malades.

M. Axel Kahn a estimé que cette modification répond à une demande sociale mais qu'à titre personnel, il demeure réticent à l'égard d'un processus aboutissant à substituer, aux délibérations entre tenants d'un mandat électif, la recherche d'un équilibre entre différents groupes de pressions, quelle que soit la légitimité des intérêts soutenus par ces derniers. Il a déclaré que si cette composition devait être maintenue, il serait nécessaire de mieux préciser les missions dévolues au conseil.

M. Francis Giraud, rapporteur, s'est interrogé sur la sous-représentation des experts scientifiques et médicaux qui résulte de cette nouvelle rédaction au regard des missions dévolues au conseil. Il a souhaité savoir s'il convient, en conséquence, de prévoir un autre collège à composition scientifique majoritaire pour remplir les missions les plus techniques actuellement dévolues au conseil d'orientation par le projet de loi.

M. Axel Kahn a déclaré que la réponse à cette question dépend de l'ambition qu'auront les parlementaires pour le conseil d'orientation. Il a constaté que la composition de ce dernier, telle que proposée par le projet de loi, laisse augurer que ses travaux seront plus particulièrement orientés sur les aspects sociaux et moraux et que, de ce fait, la répartition des compétences avec les différents comités d'éthique, qu'ils soient nationaux ou locaux, n'apparaît pas clairement et pourrait même aboutir à les affaiblir.

M. Francis Giraud, rapporteur, a rappelé que le texte adopté à l'Assemblée nationale créait l'obligation légale, pour une personne atteinte d'une anomalie génétique, de prévenir les membres de sa famille, dès lors qu'un traitement ou des mesures de prévention peuvent leur être proposés, et il a demandé si cette obligation paraissait fondée.

M. Axel Kahn a rappelé que ce sujet a été traité par le comité national d'éthique qui a estimé impératif de préserver les chances et les intérêts de tous, et notamment les membres d'une famille qui, étant prévenus de l'existence d'un gène morbide pourraient, de ce fait, bénéficier de mesures de prévention ou d'une thérapie. Il a toutefois rappelé que le comité d'éthique s'est interrogé sur le meilleur moyen de faire parvenir cette information, notamment entre les deux possibilités que constituent soit la création d'une obligation légale, soit le recours à la persuasion dans le cadre d'un dialogue singulier entre patients et médecin. Or, le comité a conclu que la méthode la plus efficace demeurait dans le respect du secret professionnel.

Il a indiqué que quatre explications pouvaient justifier ces cas rares où un patient refuse d'informer sa famille qu'une anomalie génétique lui a été détectée : le caractère estimé infamant de la tare génétique par le patient, la situation de conflits familiaux, l'existence d'un doute sur la filiation génétique que le patient ne veut à aucun prix éclaircir, enfin parfois le syndrome d'une sorte de vengeance sociale, comme cela a pu être constaté à quelques reprises chez des patients atteints du virus du sida.

Il a souligné que, pour le comité d'éthique, l'injonction d'une obligation légale peut se révéler contre-productive lorsqu'elle favorise la rupture du lien entre le patient et le médecin et sacrifie l'essentiel, c'est-à-dire la formulation d'un diagnostic et la poursuite d'un dialogue au cours duquel le médecin peut amener le patient à prendre conscience de l'ensemble de ses devoirs, y compris ses devoirs moraux. Il a insisté sur la nécessité de définir précisément les droits et les devoirs de chacun et notamment ceux du médecin, qui doit délivrer l'information de manière précise et réitérée, en particulier sur les obligations morales et légales du patient.

M. Nicolas About, président, s'est préoccupé de l'étendue de la notion de famille prévue par le projet de loi pour cette obligation et s'est interrogé sur la faisabilité d'une procédure inspirée de celle existant pour l'accouchement sous X.

M. Axel Kahn a précisé qu'il convenait d'entendre cette notion comme l'ensemble de la famille susceptible de partager avec le patient le gène morbide en cause. Il a en outre souligné que la solution retenue par l'Assemblée nationale n'était pas en conformité avec celle retenue pour le sida. Il a enfin estimé que le petit nombre de cas potentiellement en cause ici justifiait difficilement la mise en place d'une structure administrative ad hoc.

M. Francis Giraud, rapporteur, a demandé à M. Axel Kahn comment il percevait l'extension, votée à l'Assemblée nationale, du champ du diagnostic préimplantatoire à la sélection d'un embryon compatible avec un enfant aîné atteint d'une pathologie génétique.

M. Axel Kahn a rappelé la règle éthique essentielle que constitue le respect de la personne, dont l'existence constitue une fin en elle-même, mais a souligné que cette règle demeurait théorique, puisque donner naissance à un enfant répond à des ressorts psychologiques et humains qui dépassent le simple voeu de transmettre la vie. Concernant l'extension du diagnostic préimplantatoire, il a rappelé que ce cas avait été posé par les parents de la jeune Molly, atteinte d'une maladie génétique dite de Fanconie. Souhaitant avoir un autre enfant, ils ont recouru au diagnostic préimplantatoire afin de ne pas mettre au monde un bébé atteint de cette même pathologie, ce que la législation française autorise d'ailleurs. Les médecins ont alors procédé, parmi les différents embryons sains, à un test supplémentaire afin d'implanter en priorité dans l'utérus maternel un embryon dont les caractéristiques génétiques soient compatibles avec celles de Molly. Lorsque l'enfant est né, le sang prélevé dans le cordon ombilical a permis une greffe de moelle hématopoïétique en faveur de Molly, désormais en situation de rémission complète. M. Axel Kahn a estimé qu'aucun argument moral ne pouvait être opposé à la conduite de ce test supplémentaire, l'enfant né ayant bien été désiré pour lui-même et la sélection par recours au diagnostic préimplantatoire étant rendue nécessaire par la présence du gène porteur de la maladie de Fanconie au sein de la famille.

Il a, en revanche, estimé que la situation était tout autre dans le cas du jeune Florian, souffrant d'une forme d'aphasie dénommée anémie de Blackfan-Diamond, nécessitant lui aussi une greffe de cellules souches hématopoïétiques. L'enfant n'est ici pas atteint d'une maladie génétique, justifiant le recours à un diagnostic préimplantatoire pour son frère ou sa soeur à naître, ni même au recours à une fécondation in vitro. En l'espèce, le contexte familial laisse à penser qu'il existe une présomption forte qu'un autre enfant ne serait conçu que dans l'unique finalité d'offrir une solution thérapeutique à son frère malade. De surcroît, il est avéré que cette solution pourrait aboutir, le cas échéant, à ce que le don de moelle entraîne la mort de Florian.

Dans cette configuration, malgré la détresse parfaitement compréhensible ressentie par les parents, l'intervention du médecin et de l'État ne pouvait être considérée comme légitime. Au total, s'il semble difficile de s'opposer, pour des raisons morales, à ce que le praticien effectue un test supplémentaire dans des cas similaires à ceux de la petite Molly, il lui paraissait tout à fait dangereux, en revanche, de généraliser une pratique de fécondation in vitro et de diagnostic préimplantatoire uniquement dans l'intérêt d'un tiers.

M. Francis Giraud, rapporteur, a interrogé M. Axel Kahn sur les évolutions intervenues dans le domaine du clonage depuis l'examen du projet de loi, par le Sénat, en première lecture.

M. Axel Kahn a décrit la teneur de l'expérience sud-coréenne menée au cours des derniers mois, permettant qu'au terme d'un processus très long, une ligne de cellules souches embryonnaires avait pu être obtenue par clonage. Jusqu'ici personne n'avait réussi à appliquer une méthode de clonage d'embryons de primate sans anomalies. La publication de ces résultats dans des revues scientifiques a, de fait, éliminé une barrière technique majeure contre le clonage reproductif.

Il a constaté qu'au regard de cette expérience, il était désormais devenu réalisable de créer des embryons humains par clonage, mais que ce processus n'avait aucune chance, au regard de sa lourdeur, de constituer une procédure thérapeutique facile à utiliser pour quiconque. Aussi a-t-il insisté sur la pertinence de l'appel formulé par la communauté scientifique à modifier la dénomination du clonage thérapeutique en clonage scientifique. Il a précisé que les perspectives scientifiques de ce procédé pouvaient certes présenter un intérêt mais à des fins non thérapeutiques. Aussi bien les pouvoirs politiques devaient-ils procéder à un choix entre l'utilité, pour la recherche scientifique, d'autoriser le recours à ce type de pratique et la transgression qu'il constitue.

Audition de M. Christian Byk, magistrat, secrétaire général de l'Association internationale droit, éthique et sciences

Puis la commission a procédé à l'audition de M. Christian Byk, magistrat, secrétaire général de l'Association internationale droit, éthique et sciences.

M. Christian Byk a tout d'abord souhaité formuler quelques observations sur les rapports entre le droit, l'éthique et les sciences. Il a insisté sur la difficulté de légiférer dans un domaine oscillant entre le droit des principes et le droit des pratiques, la diversité des pratiques rendant parfois la législation d'application difficile et posant souvent des problèmes de cohérence. Il a souligné par ailleurs l'importance prise par un certain nombre d'établissements publics à vocation verticale, notamment les agences. Il a enfin insisté sur l'internationalisation croissante du droit des sciences de la vie.

M. Francis Giraud, rapporteur, s'est interrogé sur le régime de la responsabilité opposable aux patients chez lesquels une anomalie génétique fut détectée et qui s'abstiendraient d'en informer leur famille.

M. Christian Byk a tout d'abord rappelé les trois conditions nécessaires pour que les dispositions relatives à la responsabilité civile prévues par les articles 1382 et 1383 du code civil puissent être invoquées. Il a déclaré que l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité est nécessaire et, en l'espèce, constituée. En revanche, il n'a pas considéré que le fait, pour une personne, de se soustraire à l'obligation d'information de ses proches puisse constituer une faute au sens civil, car l'information relative aux droits de la santé relève de la protection de la vie privée. Il a toutefois admis que la rédaction du texte proposée par l'Assemblée nationale était susceptible de permettre d'invoquer la notion de malveillance dans le but de causer un dommage à autrui et que, sous cet aspect-là, la jurisprudence pourrait en accepter la sanction.

Il a ensuite rappelé que le droit pénal exige un état de danger ou une situation critique pour constituer le délit d'omission de porter secours et que cet état ne lui semble pas systématique dans le cas d'un gène familial morbide.

Il a enfin déploré que, par certains aspects, le texte retenu par l'Assemblée nationale réduise l'obligation d'information donnée par le médecin à un contenu purement formel.

Il s'est enfin interrogé sur l'intérêt potentiel de lever le secret médical si ce type d'information présente un intérêt effectif pour l'ensemble de la famille et constitue en quelque sorte un patrimoine commun.

M. Francis Giraud, rapporteur, a demandé quelles conséquences juridiques pouvaient entraîner l'élargissement du diagnostic préimplantatoire, résumé parfois sous l'expression de « bébé médicament ».

M. Christian Byk a tout d'abord rappelé que la participation d'une personne à la mise en place d'un procédé thérapeutique dans l'intérêt d'autrui était aujourd'hui courante, mais a souligné que, dans ce cas, le participant a généralement la faculté d'exprimer son consentement, ce qui ne peut se produire en l'espèce par définition.

Il a constaté que, juridiquement, le principe de cette extension introduit un conflit d'intérêts pour les parents qui sont, en tant que représentants légaux, à la fois responsables de la protection de l'enfant malade et de celle de l'enfant à naître. Aussi, a-t-il estimé que, sur le plan juridique, il est nécessaire de s'assurer que les intérêts de l'enfant conçu sont pris en compte, par l'intervention d'une commission d'experts et, dans le futur, par l'organisation d'un suivi psychologique, et que ce processus puisse, le cas échéant, s'effectuer sous le contrôle du juge.

M. Francis Giraud, rapporteur, a ensuite demandé quelle était la portée juridique du principe d'équité dans les règles de répartition des greffons.

M. Christian Byk a déclaré que le principe d'équité veut littéralement que soient traitées également des choses égales et inégalement des choses inégales. Il a souligné qu'une difficulté se pose dans la mesure où la répartition des greffons doit respecter un grand nombre de critères dont l'âge, le degré d'urgence, les moyens disponibles ou encore la nationalité. Il a rappelé que l'article 3 de la convention européenne sur la biomédecine définit l'équité comme l'absence de discriminations injustifiées et a souligné que cette mise en oeuvre doit être confiée aux praticiens.

M. Francis Giraud, rapporteur, s'est enfin interrogé sur le régime juridique pénal entourant le crime contre l'espèce humaine créé par le projet de loi.

M. Christian Byk a déclaré que les principes contenus dans le projet de loi constituent un paradoxe avec la loi du 4 mars 2002 qui a affirmé, dans un contexte différent, l'impossibilité de se prévaloir d'un préjudice du seul fait d'être né. Concernant les délais de prescription, il a rappelé que le report du point de départ du délai de prescription à la majorité de l'enfant, dans les cas de crimes sexuels sur mineurs, est justifié par les conséquences psychologiques de ce crime sur la victime. En revanche, le clonage n'entraîne pas une mise en cause de l'intégrité de la personne telle qu'elle est envisageable dans le viol, même s'il s'agit sans doute d'un crime contre l'organisation familiale ou contre l'espèce humaine. Il a estimé nécessaire de conduire une réflexion sur le statut de l'enfant, statut qui se situe peut-être dans un cadre proche de celui de l'enfant incestueux.

M. Guy Fischer s'est interrogé sur les moyens de renégocier la directive européenne régissant les dispositions permettant la brevetabilité du vivant.

M. Christian Byk a remarqué qu'en l'état du droit, le projet de loi demeure contraire aux engagements internationaux de la France, rappelés d'ailleurs par la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes. Il a souligné que cette renégociation dépend du pouvoir politique.

Audition de Mme Jacqueline Rubellin-Devichi, professeur émérite de l'Université Jean Moulin Lyon 3, présidente de l'Association française de recherche en droit de la famille

La commission a ensuite procédé à l'audition de Mme Jacqueline Rubellin-Devichi, professeur émérite de l'Université Jean Moulin Lyon 3, présidente de l'Association française de recherche en droit de la famille

M. Francis Giraud, rapporteur, s'est interrogé sur les conséquences de la référence faite à la responsabilité des patients chez lesquels une anomalie génétique a été détectée et qui ne préviendraient pas les membres de leur famille alors que ceux-ci pourraient bénéficier de mesures de soins ou de prévention.

Mme Jacqueline Rubellin-Devichi a déclaré que la référence faite par la rédaction adoptée à l'Assemblée nationale en deuxième lecture ne pouvait être considérée comme induisant une responsabilité de caractère pénal, cette dernière requérant une incrimination stricte. De même, les dispositions du code pénal relatives à l'omission de porter secours ne semblaient pouvoir être mises en oeuvre, la non-révélation d'une information ne constituant pas un délit. A l'extrême limite, si l'absence d'information d'un proche se traduisait par une mort certaine, l'incrimination pour homicide par imprudence pourrait être envisagée.

En revanche, Mme Jacqueline Rubellin-Devichi a insisté sur la lourde responsabilité civile qui pourrait être invoquée à l'encontre d'un patient ne révélant pas une information utile à autrui, le juge civil appréciant dans ce cas le montant d'une indemnité qui ne sera que pécuniaire.

M. Francis Giraud, rapporteur, s'est ensuite interrogé sur l'articulation entre cette obligation civile de révéler une information à autrui, d'une part, et la préservation du secret médical et du droit de ne pas connaître sa situation médicale, d'autre part. Il a, en outre, demandé quelle étendue juridique visait le recours aux termes de « membres de la famille ».

Mme Jacqueline Rubellin-Devichi a déclaré que les droits au respect de la vie privée sous ces différents aspects ne semblent pas suffisants pour écarter la mise en oeuvre de la responsabilité civile d'une personne qui, par son silence, porte un préjudice direct ou indirect à autrui.

Concernant la population visée par les termes « membres de la famille », elle a déclaré que le droit civil prévoit déjà, en matière de succession, une acception large, allant jusqu'au sixième degré. En revanche, elle a admis que la transmission de l'information n'a d'utilité qu'entre personnes partageant les liens du sang.

M. Francis Giraud, rapporteur, s'est interrogé sur la portée du principe d'équité dans les règles de répartition des greffons et la possibilité d'un éventuel recours sur les conditions d'application de ce principe.

Mme Jacqueline Rubellin-Devichi a rappelé que la référence aux principes d'équité figure déjà dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Elle a souligné qu'il est désormais fait usage du même principe en matière de droit civil familial, notamment dans la législation régissant le droit du divorce. Le principe d'équité permet d'écarter les conséquences injustes qu'aurait une application stricte de la règle de droit et qu'il est fréquent que les parties en acceptent l'application lorsqu'elles font appel à une instance d'arbitrage.

Elle a, en outre, ajouté que ces dispositions visent ici à écarter une répartition moralement condamnable des greffons, notamment selon des critères marchands. Elle a considéré improbable qu'un recours, fondé sur le principe d'équité, puisse être engagé contre une décision d'attribution de greffons puisque, par définition, une décision prise en équité repose sur la mise à l'écart de la règle de droit et sur l'appréciation d'une situation donnée.

M. Francis Giraud, rapporteur, a demandé quelles difficultés juridiques et éthiques pose l'élargissement du diagnostic préimplantatoire de la sélection d'un embryon potentiellement compatible avec un aîné atteint d'une affection génétique grave.

Mme Jacqueline Rubellin-Devichi a considéré que cette question ne devrait pas être appréhendée de manière juridique, mais de manière morale et que, sur un strict plan humain, elle jugeait légitime, pour sa part, la demande des parents.

M. Francis Giraud s'est interrogé sur les dispositions pénales régissant le crime contre l'espèce humaine que le projet de loi propose de créer.

Mme Jacqueline Rubellin-Devichi a considéré que, en l'état actuel des connaissances scientifiques, cette question appartenait encore à la futurologie, même si la tentative pouvait être incriminée. Elle s'est félicitée que le législateur prévoie une interdiction pour les deux types de clonage, qu'il soit thérapeutique ou reproductif. Elle a considéré qu'il n'était pas légitime de reconnaître l'existence d'un préjudice du fait d'être né clone, par analogie avec les dispositions législatives applicables à d'autres circonstances particulières de naissance, comme les enfants nés handicapés ou résultant d'un viol.

Audition de M. Didier Sicard, président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé

La commission a enfin procédé à l'audition de M. Didier Sicard, président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé.

M. Francis Giraud, rapporteur, s'est interrogé sur la pertinence du régime de responsabilité des personnes atteintes d'une anomalie génétique grave et ne prévenant pas leurs proches, tel qu'il résulte du projet de loi.

M. Didier Sicard a évoqué la teneur de l'avis du comité d'éthique sur cette conciliation entre respect de la vie privée et nécessité d'avertir autrui, conciliation considérée comme l'une des plus difficiles à réaliser. Il a considéré qu'il était indispensable que, pour des raisons de santé publique, la certitude soit donnée aux patients que le médecin ne révélera pas l'information. Dans le doute, beaucoup de patients pourraient renoncer à respecter ces textes. Il a rappelé l'appréciation de Mme Delmas-Marty, professeur au collège de France, selon laquelle l'établissement d'une sanction au défaut d'information était moralement difficile à inscrire dans la loi. Il a enfin déclaré que le comité s'était déclaré hostile à l'institution d'une responsabilité pénale.

M. Francis Giraud, rapporteur, s'est interrogé sur l'élargissement du diagnostic préimplantatoire visant à permettre la sélection d'un embryon dans l'intérêt d'un aîné atteint d'une maladie génétique.

M. Didier Sicard a déclaré que le comité avait rappelé qu'aucune autre fin que la procréation ne devait être attachée à l'usage du diagnostic préimplantatoire. De ce fait, la sélection d'un embryon dans l'intérêt d'un aîné atteint d'une maladie génétique devait être réservée à des cas qui nécessiteraient le recours au diagnostic préimplantatoire pour des raisons indépendantes, notamment l'existence d'une pathologie génétique familiale grave et avérée. Il a en outre souligné que des problèmes psychologiques sérieux pour les parents et les deux enfants ne manqueraient pas de résulter de l'usage de ce procédé et que le diagnostic préimplantatoire ne doit en aucun cas s'inscrire dans une philosophie thérapeutique.

Il s'est enfin étonné de la faible importance du débat que cette question avait suscitée lors de son examen à l'Assemblée nationale.

M. Francis Giraud, rapporteur, s'est enquis de l'appréciation de M. Didier Sicard sur les conséquences des dispositions relatives au comité national consultatif d'éthique introduites par l'Assemblée nationale dans le présent projet de loi. Il s'est ensuite interrogé sur l'articulation entre les travaux du comité national consultatif d'éthique et ceux du futur conseil d'orientation de l'agence de biomédecine.

M. Didier Sicard s'est réjoui de l'adoption d'une disposition qui aboutit à un double renforcement de l'indépendance du comité national consultatif d'éthique, tant intellectuelle que financière, les procédures budgétaires ne permettant pas actuellement au comité de bénéficier des crédits qui lui sont de droit réservés dans les comptes de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Il a enfin souligné que l'adoption d'une disposition législative relative au comité national consultatif d'éthique constituait une reconnaissance, par le législateur, des travaux du comité.

Concernant l'articulation entre les travaux du comité national consultatif d'éthique et ceux de l'agence de biomédecine, il a souligné le risque de voir dédoublé le comité, eu égard à la composition du conseil d'orientation de l'agence qui n'est pas majoritairement composé de scientifiques, nourrissant ainsi un risque d'ambiguïté, voire de divergences, sur certaines questions.

M. Gilbert Chabroux a rappelé que depuis décembre 2003, date de l'examen en deuxième lecture du projet de loi par l'Assemblée nationale, des travaux menés par des équipes scientifiques sud-coréennes ont permis de créer des embryons humains par clonage et des cellules souches. Il s'est interrogé sur la portée d'une telle innovation et la position de la recherche française sur ces questions.

M. Guy Fischer a constaté que l'Assemblée nationale en deuxième lecture n'avait rétabli ni le principe du transfert post mortem d'un embryon, ni la possibilité de créer des embryons dans le cadre de l'évaluation de nouvelles techniques d'assistance médicale à la procréation. Il s'est aussi interrogé sur les moyens d'associer les citoyens aux décisions prises par les parlementaires sur les sujets touchant à la bioéthique.

M. Didier Sicard a rappelé que la France ne menait pas de recherche sur les cellules embryonnaires, mais seulement sur les cellules tardives et que, de ce fait, les recherches accusent un certain retard. Il a toutefois déclaré qu'aucune légitimité scientifique ne peut en l'état être apportée au postulat thérapeutique et que la création d'un embryon dans une finalité autre que la procréation pose des difficultés éthiques majeures.

Concernant le transfert post mortem d'embryon, il a estimé que son autorisation relevait de la conviction des parlementaires.

Il a enfin déploré le faible enthousiasme soulevé, au sein de la population, par les enjeux de la bioéthique.

Assurance maladie - Audition de M. Bertrand Fragonard, président du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie

Au cours d'une seconde séance tenue dans la matinée, la commission a entendu une communication de M. Bertrand Fragonard, président du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, sur le rapport présenté par le Haut conseil le 23 janvier 2004.

M. Bertrand Fragonard s'est proposé de présenter les travaux du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie à travers quatre thèmes principaux : la qualité du système, l'évaluation de son fonctionnement et la recherche d'un optimum, les conditions de sauvegarde des éléments constitutifs et la réforme de la gouvernance de l'assurance maladie.

Il a souligné que les travaux du Haut conseil avaient mis en exergue une évaluation positive, voire élogieuse, de notre système d'assurance maladie, fondé sur le principe d'universalité, puisque la couverture de la population n'est pas différenciée selon le risque, la composition de la famille, l'âge ou l'état de santé et qu'aucune condition de revenu n'est appliquée.

Il a en outre fait observer que le niveau de prise en charge des dépenses de santé par l'assurance maladie est élevé (81 %), que contrairement à certaines idées reçues, il croît régulièrement et qu'il permet un remboursement quasi intégral des dépenses les plus onéreuses.

M. Bertrand Fragonard a également rappelé l'attachement des Français à leur système d'assurance maladie, et notamment aux principes de la médecine libérale, qui reposent sur la liberté de choix du praticien et sur le paiement à l'acte.

Il a ensuite souligné que, malgré d'évidentes qualités, ce système d'assurance maladie n'avait pas atteint son optimum, ni en matière de qualité des soins, ni en matière de coût. Il a déploré qu'aucun chiffrage ne soit disponible pour évaluer ces dérèglements, mais il a fait part du consensus apparu lors des travaux du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie sur la possibilité d'améliorer la qualité du système et d'en réduire les coûts. Atteindre cet objectif nécessite une action méthodique et résolue pour réorganiser le système autour d'un meilleur rapport qualité/prix, ce qui suppose également d'aménager les conditions de prise en charge et d'agir sur les recettes.

Il a estimé que cette action devait être engagée et qu'un consensus pouvait être trouvé, sous réserve du respect de deux conditions : le maintien d'un niveau de protection élevé et la mise en oeuvre d'une aide à l'acquisition d'une couverture complémentaire.

M. Bertrand Fragonard a ensuite abordé la question de la gouvernance de l'assurance maladie, c'est-à-dire la manière dont est organisé le système institutionnel chargé de mettre en oeuvre les conditions et les modalités de la prise en charge des soins remboursables.

Il a souligné que cette question était centrale, car la pluralité des acteurs, mais également le manque d'autonomie ou l'absence d'instruments de coordination, étaient préjudiciables à la qualité du système. Il a précisé que le mode de gestion actuel, par les partenaires sociaux, présentait des avantages et qu'il ne convenait pas de le remettre en cause dans son intégralité.

M. Bertrand Fragonard a achevé son exposé liminaire par deux remarques : la première pour souligner la pauvreté de l'information disponible sur l'hôpital public, ce qui explique que le Haut conseil ait souhaité ajouter ce thème à son programme de travail ; la seconde pour indiquer que l'éventualité d'une régionalisation de l'assurance maladie n'avait pas été abordée par le Haut conseil en raison de l'ampleur de cette question et du changement potentiel radical qui en résulterait.

M. Alain Vasselle a posé le problème de l'articulation entre les différents textes intervenant parallèlement dans le domaine de la santé et susceptibles d'influer sur le financement du système d'assurance maladie.

M. Bertrand Fragonard a considéré que les lois de financement de la sécurité sociale avaient apporté des améliorations positives, mais que l'ambition des ordonnances de 1996 n'avait pas été satisfaite : quel que soit le gouvernement, il n'a pas été possible de voter une enveloppe de dépenses réaliste et respectée. L'échec des mécanismes de régulation des dépenses a conduit à des dépassements réguliers de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), cette situation portant atteinte à la crédibilité de la loi de financement. Il a considéré que les autres interventions législatives, notamment le projet de loi de santé publique actuellement en cours d'examen, étaient, en effet, porteuses de conséquences sur l'assurance maladie et qu'il convenait d'en mesurer l'effet.

M. Alain Vasselle s'est interrogé sur la situation de l'hôpital dans la future réforme de l'assurance maladie.

M. Bertrand Fragonard a précisé que le plan « Hôpital 2007 » constituait une réforme importante et que la tarification à l'activité permettra une approche saine du financement hospitalier. Toutefois, celle-ci ne règlera pas, à elle seule, la question de la gestion hospitalière. Il est indispensable d'établir un diagnostic consensuel sur la situation de l'hôpital, compte tenu de la grande diversité des statistiques et des chiffres diffusés à ce sujet. Il a considéré qu'un effort de clarification devait être entrepris et s'est déclaré convaincu du pouvoir pédagogique des chiffres, dès lors qu'ils étaient incontestables.

M. Nicolas About, président, a demandé si l'on constatait certaines réticences des partenaires sociaux sur la manière d'aborder la question hospitalière.

M. Bertrand Fragonard a fait observer que les partenaires sociaux ne pouvaient qu'être partagés entre l'affirmation du caractère trop coûteux de l'hôpital et, dans le même temps, la dénonciation du manque de moyens dont il dispose. En l'état actuel du discours, le consensus reste donc à ce stade difficile à trouver. Il a considéré que, à son sens, le risque majeur n'était pas tant d'augmenter les cotisations ou de diminuer les remboursements, mais plutôt de ne pas suivre l'évolution des progrès médicaux et de restreindre la qualité des soins.

M. Alain Vasselle s'est alors préoccupé de l'articulation à organiser entre régime de base et régimes complémentaires.

M. Bertrand Fragonard a estimé que la qualité des soins était un élément central de la réforme de l'assurance maladie et de la régulation future du système et que si la réglementation émise par l'assurance maladie pouvait contribuer à cette recherche de la qualité, il ne lui appartenait pas d'accréditer les médicaments. Or, le fonctionnement actuel du système rend parfois les choses plus complexes : c'est le cas lorsque certains médicaments sont moins bien remboursés par le régime de base, en raison de leur faible intérêt thérapeutique, mais qu'ils sont, en conséquence, davantage pris en charge par les régimes complémentaires.

Il a fait observer que le régime de base équivalait à six ou sept fois les régimes complémentaires, ceux-ci assumant d'ailleurs les charges d'une manière différente suivant les lignes : massivement pour les soins dentaires, de façon insignifiante pour les dépenses hospitalières, de 35 % à 40 % pour les indemnités journalières et d'environ 25 % à 30 % pour les soins ambulatoires. L'assurance maladie complémentaire (AMC) se développe, mais dans des proportions moindres qu'on ne le pense. Il s'est déclaré convaincu qu'aucun transfert majeur de prise en charge de l'assurance maladie obligatoire vers l'AMC n'était indispensable. Il a considéré que la question de la participation de l'AMC devait plutôt être abordée sous l'angle de la question de l'égalité de l'accès aux soins car un transfert excessif conduirait à en évincer les populations les plus démunies. Il a indiqué, qu'à titre personnel, il ne lui semblait pas illégitime de lisser les effets de seuil et de rendre moins restrictif le barème de la couverture maladie universelle (CMU).

M. Alain Vasselle l'ayant interrogé sur la question du financement et les conséquences institutionnelles pouvant résulter d'une augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG), M. Bertrand Fragonard a insisté sur la nécessité de crédibiliser l'ONDAM et a écarté l'idée que la nature des recettes, qu'elles soient fiscales, patronales ou salariales, puisse être déterminante sur la répartition des rôles dans la gouvernance de la sécurité sociale.

M. Gilbert Chabroux a souligné l'intérêt du diagnostic partagé auquel avaient abouti les travaux du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, mais il s'est interrogé sur le contenu possible de la future réforme. Il a souhaité connaître quel sera le rôle du Haut conseil dans sa détermination et s'est interrogé sur la possibilité d'aboutir à un consensus, non plus sur le diagnostic, mais sur les modalités de la réforme. Il a souhaité que celle-ci prenne en compte les inégalités sociales ou géographiques qu'il convient de ne pas laisser perdurer.

M. Guy Fischer a demandé à connaître les positions du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie sur la future gouvernance de l'assurance maladie, et notamment savoir s'il s'était prononcé en faveur d'un maintien du paritarisme.

Il s'est également déclaré perplexe devant les objectifs poursuivis par la politique de déremboursement des médicament à service médical rendu insuffisant, considérant que la logique devrait conduire non pas à une moindre prise en charge, mais à sa suppression pure et simple.

Il s'est enfin inquiété des conséquences d'une éventuelle restructuration hospitalière, observant qu'il résultera du plan « Hôpital 2007 » la disparition d'un grand nombre de structures de soins publiques ou privées.

M. Bernard Cazeaux a souligné qu'au-delà de la question hospitalière, il lui semblait difficile d'équilibrer les comptes des soins de ville, qui s'inscrivent dans un système mutualisé et un contexte concurrentiel qui supporte mal l'encadrement des dépenses.

M. Bertrand Fragonard a indiqué que le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie poursuivait ses travaux, mais sans être partie prenante dans la phase de concertation et de négociation actuellement en cours, ce qui lui semblait d'ailleurs justifié. Toutefois, il peut donner son avis au Gouvernement ou aux partenaires sociaux, si on le sollicite sur telle ou telle disposition.

Sans vouloir faire preuve d'angélisme, il s'est déclaré convaincu qu'un consensus pouvait être trouvé entre les différents acteurs du système sur les modalités de la réforme, mais qu'il s'agissait de décisions politiques qui n'étaient pas de son ressort.

Il a considéré que l'étatisation de l'assurance maladie ne lui paraissait pas la solution la plus pertinente et qu'il serait judicieux de valoriser l'intérêt du paritarisme, qui a démontré son utilité et son efficacité dans d'autres structures comme l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC) ou les systèmes de retraites complémentaires obligatoires.

Il a déclaré partager les observations de M. Guy Fischer sur le remboursement des médicaments à faible apport thérapeutique et a confirmé son sentiment suivant lequel la réforme hospitalière devait avoir pour objectif central la qualité des soins.

Evoquant les effets de seuils de la CMU, il a fait savoir qu'à titre personnel, il serait plutôt favorable à faire porter l'effort en faveur des familles avec enfants qui lui paraissent les éléments les plus vulnérables de la population, si l'on se rapporte aux conclusions du récent rapport du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC).