Table des matières




Mardi 10 décembre 2002

- Présidence de M. Nicolas About, président -

Commission d'enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées - Examen du rapport

La commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de M. Jean-Marc Juilhard sur la proposition de résolution n° 315 (2001-2002) tendant à la création d'une commission d'enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en institution et les moyens de la prévenir.

Rappelant que la commission des lois s'était prononcée favorablement sur la recevabilité de la proposition de résolution au regard des conditions posées par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, a constaté qu'il revenait à la commission des affaires sociales de se prononcer sur son opportunité.

Il a ensuite présenté les quatre objectifs de la commission d'enquête : dresser un bilan de l'ampleur de la maltraitance dans les établissements d'accueil pour personnes handicapées, évaluer l'efficacité du contrôle effectué par les services de l'Etat, de la sécurité sociale et des collectivités locales pour assurer la sécurité et le respect des personnes accueillies dans ces établissements, examiner si les procédures d'écoute des inquiétudes ou d'enregistrement des plaintes exprimées par les personnes accueillies, leur famille ou par les personnels des établissements étaient satisfaisantes et, enfin, élaborer des propositions de réponse adaptées et efficaces au phénomène de la maltraitance en institution.

M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, a rappelé la vive émotion qu'avait provoquée la mise à jour récente d'actes de maltraitance envers des personnes handicapées accueillies en établissement. Il a estimé que ces événements devaient être l'occasion de mettre fin au silence qui entoure souvent ces situations et qui jette la suspicion sur le travail du personnel des établissements accueillant enfants et adultes handicapés qui, dans leur immense majorité, se dévouent pourtant au bien-être des personnes accueillies.

Il a indiqué que la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale avait réaffirmé les droits fondamentaux des personnes accueillies. Il a cependant constaté que la question de la maltraitance des personnes handicapées en institution était très peu étudiée et que les réformes apportées par la loi du 2 janvier 2002 resteraient lettre morte si le dispositif de prévention, de signalement et de lutte contre ce phénomène n'était pas amélioré.

M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, a indiqué qu'il avait été frappé par la faiblesse de l'information disponible sur l'ampleur des phénomènes de maltraitance envers des personnes handicapées accueillies en institution. Il a souligné que les derniers chiffres connus, datant du 25 juin 1999, ne reflétaient sans doute pas la réalité des situations vécues par les personnes handicapées et leur famille, compte tenu de la difficulté pour les intéressés à signaler ces traitements et à se faire entendre.

Il a précisé que la loi du 2 janvier 2002 avait renforcé la protection des salariés et des médecins dénonçant des actes de maltraitance, mais il a estimé qu'il était encore difficile d'évaluer l'impact de cette mesure sur le nombre de signalements.

Il a également observé que l'exploitation des signalements restait simplement statistique et qu'aucune typologie des dysfonctionnements des établissements mis en cause n'était actuellement disponible pour permettre une amélioration de la prévention.

Il a donc estimé qu'un bilan de l'ampleur du phénomène de maltraitance, une évaluation du dispositif d'écoute et d'alerte mis à la disposition des victimes et une sensibilisation des personnels à ces questions étaient indispensables, afin de mettre en place un dispositif de détection, de formation, de prévention et de contrôle efficace.

M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, a ensuite insisté sur le fait que l'analyse de l'efficacité des systèmes de prévention et de contrôle restait au stade embryonnaire dans notre pays. Il a ainsi indiqué qu'un programme pluriannuel d'inspections préventives avait été lancé en 2001, mais que ce dernier n'avait, à ce jour, fait l'objet d'aucun retour ou bilan intermédiaire permettant d'éclairer les causes de la maltraitance et les moyens de la prévenir.

Il a enfin estimé qu'une évaluation du contrôle exercé par les autorités de tutelle était également nécessaire. Il a concédé que la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale en avait amélioré les modalités, mais il a constaté que la complexité de la répartition des compétences dans le domaine du handicap, entre préfet et département, nuisait à la rapidité et à l'efficacité des procédures de contrôle du fonctionnement des établissements, de façon particulièrement dommageable dans les cas de maltraitance où l'urgence est la règle.

Aussi bien a-t-il jugé qu'il n'était pas incohérent que le Parlement examine l'application de ce régime de contrôle et propose toutes les améliorations nécessaires à la réalisation de l'objectif d'accompagnement et de protection des personnes handicapées, qui est la raison d'être des établissements qui les accueillent.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, il a proposé d'adopter la proposition de résolution, sous réserve d'une modification consistant à viser l'ensemble des « établissements et services sociaux et médico-sociaux », conformément aux termes désormais employés par la loi du 2 janvier 2002.

M. Jean Chérioux a souligné qu'il était important de montrer le bon fonctionnement d'ensemble des établissements accueillant les personnes handicapées. Il a cependant estimé que les actes de maltraitance visés par la proposition de résolution concernaient des personnes particulièrement fragiles et qu'il était sans doute nécessaire de renforcer encore les procédures de contrôle du fonctionnement de ces établissements.

Répondant à une question de M. Gilbert Barbier, M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, a précisé que le champ d'investigation de la commission d'enquête ne concernait pas le secteur hospitalier mais qu'il incluait, par contre, l'accueil familial.

Mme Michelle Demessine a considéré que les établissements et services sociaux et médico-sociaux constituaient un champ d'investigation cohérent et suffisamment large pour la commission d'enquête.

M. André Vantomme s'est interrogé sur la nature des contrôles existants. Il s'est demandé si une commission d'enquête ne constituerait pas un étage supplémentaire de contrôle, sans réelle efficacité.

M. Nicolas About, président, a rappelé que le rôle de la commission d'enquête était moins de contrôler directement les établissements, ce qui serait redondant avec le contrôle effectué par les autorités de tutelle, que de vérifier si le fonctionnement de ces procédures de contrôle était satisfaisant.

A l'issue de ce débat, la commission a adopté à l'unanimité la proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur la maltraitance des personnes handicapées accueillies en établissements et services sociaux et médico-sociaux et les moyens de la prévenir.

Commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites - Examen du rapport

La commission a ensuite procédé à l'examen du rapport de M. Jean-Marc Juilhard sur la proposition de résolution n° 348 (2001-2002) tendant à la création d'une commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites.

M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur
, a tout d'abord précisé que cette proposition de résolution avait été déclarée recevable par la commission des lois au regard des conditions posées par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Il a indiqué que cette commission d'enquête serait chargée de faire un bilan des politiques publiques de lutte contre la toxicomanie, ainsi que des connaissances scientifiques sur la définition des drogues et leurs effets sur la santé et la sécurité publiques, de manière à pouvoir définir une politique nationale forte, claire et cohérente de lutte contre les drogues illicites.

Il a précisé que la commission d'enquête examinerait plus particulièrement l'action des administrations et des organismes publics ou associatifs qui ont vocation à mettre en oeuvre les politiques de répression, de prévention et d'information en matière de toxicomanie, l'adéquation des moyens humains et matériels consacrés à la prévention de l'usage des drogues illicites, la pertinence des dispositions pénales réprimant l'usage et le trafic de stupéfiants et leur éventuelle adaptation, l'efficacité des moyens douaniers, policiers et judiciaires affectés à sa mise en oeuvre et, enfin, le fonctionnement des centres spécialisés de soins aux toxicomanes (CSST), ainsi que la possibilité d'étendre la gamme de ces établissements.

Il a, dans un premier temps, souligné que la consommation régulière de drogues illicites restait, heureusement, marginale en France mais que l'expérimentation de ces substances concernait une part de plus en plus importante de la population, s'agissant en particulier du cannabis, déjà expérimenté par un Français sur cinq. Il a convenu que le présent rapport n'avait pas pour objet de développer l'ensemble des dangers liés à la consommation de stupéfiants, mais il a tenu à souligner, au-delà des dommages individuels causés aux consommateurs eux-mêmes, le coût social de la consommation de ces produits, tel qu'évalué par l'Office français des drogues et de la toxicomanie (OFDT).

Aussi bien a-t-il estimé qu'une analyse plus poussée des conséquences sociales de la toxicomanie, tant sur la santé et la sécurité publiques que sur les finances publiques, était nécessaire pour mettre en adéquation les moyens de lutte contre ce fléau avec la réalité du phénomène.

M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, a ensuite rappelé que, face à la banalisation de la consommation de stupéfiants, l'existence d'un dispositif d'information et de prévention efficace était déterminante. Il a indiqué que ce dispositif faisait intervenir un grand nombre d'acteurs, aussi bien publics qu'associatifs, et concernant l'Etat lui-même, une pluralité des ministères, et qu'il demandait, par conséquent, une coordination centrale forte, assurée par la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT).

Il a observé que de nombreux rapports avaient, dernièrement, critiqué le fonctionnement de la MILDT. Il a notamment cité le rapport d'information de M. Roland du Luart, au nom de la commission des finances du Sénat, qui déplorait la faiblesse du contrôle et de l'évaluation exercés par la MILDT sur les actions et les organismes qu'elle contribue à financer.

Il a toutefois salué la nomination d'un nouveau président de la MILDT, M. Didier Jayle, médecin et homme de terrain, qui devrait donner un nouvel élan à cette structure ; il a estimé néanmoins que le Sénat se devait d'examiner les conditions dans lesquelles les améliorations demandées en 2001 par la commission des finances pourraient être mises en oeuvre.

Il est ensuite revenu sur l'objectif de gratuité des soins et de prise en charge anonyme des toxicomanes, confié aux CSST par la loi du 31 décembre 1970. Il a rappelé que ces centres avaient été classés par la loi du 2 janvier 2002 parmi les établissements sociaux et médico-sociaux.

Il a estimé que ce nouveau statut permettait certes, une meilleure planification des ouvertures de places et une répartition de l'effort plus pertinente sur l'ensemble du territoire, mais qu'il soulevait également de nouvelles interrogations concernant notamment le transfert du financement de ces établissements à l'assurance maladie, les conditions de fixation de leur dotation globale, le regroupement, au sein des mêmes structures, de toxicomanes et de personnes en situation de dépendance alcoolique ou encore la prise en charge des polytoxicomanes.

Il a insisté sur le fait que la commission d'enquête pourrait détecter les points de blocage et les risques de saturation de ce réseau, et de ce fait, dégager des solutions nouvelles.

M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, a ensuite abordé le dernier pilier de la politique nationale de lutte contre les drogues illicites, celui de la répression de l'usage et du trafic de stupéfiants.

Il a rappelé que l'usage de stupéfiants restait un délit, mais que la politique pénale s'accompagnait d'un volet sanitaire et social important. Il a ainsi montré que, si les services de police et de gendarmerie continuaient à appliquer à la lettre le volet répressif de la loi du 31 décembre 1970, des circulaires étaient venues infléchir cette rigueur dans les autres secteurs, et notamment dans le secteur judiciaire.

Dans ces conditions, il a estimé qu'il était opportun de dresser un bilan de l'efficacité des dispositions, tant répressives que sanitaires, relatives à l'usage de stupéfiants. Il a indiqué que ce bilan pourrait également inclure une évaluation des moyens mis à la disposition des services répressifs et judiciaires, ainsi que la formation des différents acteurs aux problématiques liées à la toxicomanie.

Il a souligné, enfin, le fait que les données recensées par l'OFDT mettaient en lumière une évolution des arrestations de trafiquants sans commune mesure avec celle des interpellations d'usagers.

Il a concédé qu'il ne fallait pas sous-estimer la difficulté liée au caractère transfrontalier du trafic de stupéfiants et son imbrication avec la criminalité organisée et la délinquance financière. Il a jugé que ce constat devait conduire à une politique internationale et, avant tout européenne, de lutte contre le trafic de stupéfiants qui ne limite pas aux aspects douaniers, d'ores et déjà de la responsabilité de l'Union européenne.

Il a enfin estimé que la commission d'enquête devrait s'interroger sur la cohérence de l'allocation des moyens et de la répartition des efforts entre système répressif et prise en charge sanitaire et sociale, au regard des résultats comparés des interpellations d'usagers et de trafiquants.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, a proposé d'adopter cette proposition de résolution sans modification.

M. Jean Chérioux a fait part de son étonnement face à la proportion des interpellations d'usagers de stupéfiants classées sans suite. Il s'est demandé si la rédaction de la loi ne laissait pas une latitude trop importante à l'autorité judiciaire quant aux suites à donner à ces délits.

M. Gilbert Chabroux a souligné que les phénomènes d'addiction concernaient également le tabac et l'alcool.

M. Nicolas About, Président, a tenu à rappeler l'aspect européen de la lutte contre l'usage et le trafic de stupéfiants et il a souligné, à cet égard, le problème posé par la réglementation adoptée par les Pays-Bas, concernant notamment le cannabis. Il a également insisté sur les dommages neurologiques importants causés par les drogues synthétiques. Aussi, a-t-il estimé que la limitation du champ d'investigation de la commission d'enquête aux drogues illicites apparaissait cohérente.

Mme Michelle Demessine a estimé que la commission d'enquête avait un objet bien cadré, mais elle a déploré le caractère manichéen de l'exposé des motifs de la proposition de résolution. Elle a jugé que, d'une manière générale, le discours français sur la drogue et la toxicomanie ne parvenait pas à sortir de l'alternative entre répression et libéralisation totale.

S'agissant des conséquences de la toxicomanie sur la santé, elle a rappelé qu'on pouvait difficilement exclure de cette problématique le tabac, l'alcool et les médicaments psychotropes.

Elle a toutefois reconnu qu'au-delà des points communs liés au phénomène de dépendance, les liens existant entre la toxicomanie pure et les phénomènes mafieux justifiaient, sans doute, une limitation de la réflexion aux drogues illicites.

Concernant la MILDT, elle a concédé que cet organisme avait connu des difficultés de mise en place. Elle a toutefois estimé que la MILDT avait pu, ces dernières années, travailler avec davantage d'efficacité.

M. Jean Chérioux s'est prononcé contre un élargissement du champ d'investigation de la commission d'enquête au tabac et à l'alcool, soulignant qu'un tel élargissement conduirait à une dilution des problèmes et ne permettrait aucun progrès dans la lutte contre l'usage et le trafic de stupéfiants.

M. André Vantomme a tenu à souligner que les acteurs de terrain ignoraient la séparation effectuée par la loi entre drogues licites et illicites, dans la mesure où ils étaient confrontés à un phénomène de plus en plus important de polydépendance à l'égard de la drogue, de l'alcool ou des médicaments.

M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, a fait valoir que la proposition de résolution initiale était déjà très large et a réaffirmé son souhait de voir adopter la proposition sans modification.

A l'issue de ce débat, la commission a adopté la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites.

PJL Bioéthique - Saisine de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Puis la commission a procédé à l'examen de la demande de saisine de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes surle projet de loi n° 189 (2001-2002) relatif à la bioéthique. Elle a décidé de répondre favorablement à cette demande.

Emploi - Relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques - Audition de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité

Enfin la commission a procédé à l'audition de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, sur le projet de loi n° 91 (2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité,
a rappelé que le Gouvernement poursuivait son programme de réforme dans le domaine social selon le calendrier et la méthode annoncés par le Premier ministre à l'occasion de sa déclaration de politique générale : après l'adoption du dispositif relatif aux contrats « jeunes en entreprise » (23.000 auraient été signés après deux mois d'application) et l'assouplissement des 35 heures qui ouvrirait de nouveaux espaces de négociation sur l'aménagement du temps de travail, le projet de loi relatif à la négociation collective en matière de licenciements économiques visait à revenir sur les dispositions les plus critiquées de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, en attendant la réforme de la démocratie sociale, du revenu minimum d'activité (RMA), des retraites, de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la création du contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS).

M. François Fillon a indiqué que le projet de loi prévoyait, en effet, de suspendre pour 18 mois les articles les plus critiqués de la loi précitée. Il est revenu sur les raisons d'une démarche qu'il a jugée originale, innovante et cohérente. Il a constaté tout d'abord que la loi de modernisation sociale avait été une loi de circonstance, votée en dehors de toute concertation avec les partenaires sociaux. Il a considéré ensuite que cette loi était à la fois antiéconomique et antisociale. Antiéconomique, car elle avait affaibli l'image de notre pays à l'extérieur et comportait le risque de porter atteinte à son attractivité. Antisociale, car l'allongement des procédures avait conduit à la disparition pure et simple de certaines entreprises ainsi qu'au développement de pratiques détestables en matière de licenciement, dont témoigne l'augmentation sensible des licenciements pour faute personnelle et des négociations de gré à gré afin de contourner la complexité des procédures.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a donc revendiqué le choix d'une approche originale. Rappelant les principales dispositions dont le projet de loi prévoyait la suspension -mise en place d'un médiateur, non-concomitance dans le temps des procédures de consultation, disparition de la prise en compte des qualités professionnelles pour la détermination de l'ordre des licenciements et extension des interventions de l'inspection du travail- il a précisé que sa démarche était fondée sur deux innovations : l'encouragement à la négociation des partenaires sociaux et le développement des accords d'expérimentation dans les entreprises.

D'une part, la suspension, plutôt que l'abrogation des articles les plus critiquables de la loi de modernisation sociale, lui apparaissait comme une méthode innovante et moderne qui pouvait aboutir à changer la nature du dialogue social. Il a souligné que les partenaires sociaux devaient être associés à l'élaboration des solutions puisque, historiquement, ce sont eux qui, avant le législateur, ont impulsé la réglementation relative au droit du licenciement, comme ce fut le cas lors de la suppression de l'autorisation administrative de licenciement en 1986.

Compte tenu du climat général et des réserves des partenaires sociaux, la méthode de l'abrogation n'aurait pas permis un dialogue susceptible d'aboutir à des propositions constructives dans ce domaine.

M. François Fillon a précisé que dans dix-huit mois -au terme de la période de suspension- le Parlement serait à nouveau saisi de cette question à partir des propositions des partenaires sociaux ou du Gouvernement si la négociation collective n'aboutissait pas.

Par ailleurs, le ministre a récusé toute forme d'insécurité juridique durant la période de suspension. Le droit applicable serait le droit en vigueur au moment où les procédures de licenciement auront été engagées dans les entreprises concernées. S'appliqueraient donc, à l'avenir, les dispositions antérieures à la loi de modernisation sociale jusqu'à l'adoption d'un nouveau dispositif.

Enfin, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a précisé que le choix d'une période de suspension de dix-huit mois se justifiait par le caractère chargé du calendrier du dialogue social en 2003 et répondait au souci de laisser un espace de temps suffisant à la négociation. En effet, les partenaires sociaux devaient déjà aborder plusieurs thèmes : la formation professionnelle, l'avenir de l'Unédic, les conditions de la démocratie sociale et la réforme des retraites.

D'autre part, M. François Fillon a mis l'accent sur la seconde innovation de sa démarche : la légalisation de l'expérimentation dans les entreprises. Il a rappelé que, depuis l'adoption de la loi de modernisation sociale, des accords de méthode avaient été signés dans certaines entreprises, portant sur les conditions de travail, la formation ou l'aménagement des délais de procédures.

Il a donc exprimé le souhait de donner une base légale à ces accords de méthode. Cette expérimentation devait néanmoins être encadrée et soumise au régime de l'accord majoritaire dans les entreprises.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a conclu sur la cohérence de son programme en matière sociale et sur sa volonté de placer les partenaires sociaux au coeur de leurs responsabilités, sans ignorer celles des pouvoirs publics dont l'action serait conforme aux engagements présidentiels.

M. Alain Gournac, rapporteur, s'est interrogé sur l'état d'application des dispositions relatives au licenciement économique de la loi du 17 janvier 2002.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a précisé que certaines de ces dispositions étaient d'ores et déjà applicables, citant notamment la non-concomitance des procédures prévues aux livres III et IV du code du travail, les nouvelles règles en matière d'annonce publique, le doublement des indemnités de licenciement et l'extension des pouvoirs de l'inspection du travail. Il a, en revanche, indiqué que d'autres dispositions n'étaient pas applicables, les décrets d'application n'ayant pas été publiés.

Plus largement, s'agissant de l'impact de la loi sur le terrain, il a observé qu'il n'était pas possible d'identifier d'éventuels effets positifs, compte tenu de l'augmentation du nombre de plans sociaux, mais qu'en revanche certains effets négatifs apparaissaient, s'agissant notamment des décisions d'investissement dans notre pays.

M. Alain Gournac, rapporteur, s'est interrogé sur les conditions de réussite de la future négociation nationale interprofessionnelle.

M. François Fillon a considéré que cette négociation serait nécessairement difficile, compte tenu des sujets abordés, mais il a récusé l'idée que les partenaires sociaux ne puissent discuter et aboutir sur des sujets difficiles. Il a indiqué que quatre organisations syndicales avaient, d'ores et déjà, accepté le principe de la négociation et que celle-ci allait donc s'engager. Il s'est d'ailleurs félicité des évolutions constatées sur ce point depuis septembre, observant qu'à l'époque les organisations patronales déclaraient ne pas être en mesure d'engager une telle négociation.

M. Alain Gournac, rapporteur, s'est interrogé sur les accords de méthode qui avaient déjà pu être conclus dans certaines entreprises menacées par des restructurations.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a précisé qu'un nombre important d'entreprises avaient déjà conclu de tels accords, qui visent principalement à améliorer les règles de procédure en matière d'information. Il a souligné que malgré la diversité de ces accords, on y retrouvait généralement deux types de dispositions : d'une part, l'aménagement des délais de procédure en contrepartie d'un engagement sur la qualité de l'information et de la concertation ainsi que sur les moyens à la disposition des représentants du personnel et, d'autre part, la création de structures paritaires ad hoc pour définir une méthode devant présider à la conduite des restructurations ou pour gérer de manière paritaire l'exécution du plan de sauvegarde de l'emploi.

M. Alain Gournac, rapporteur, s'est enfin interrogé sur l'articulation entre les accords expérimentaux prévus par le présent projet de loi et les futures dispositions du projet de loi annoncé par le Gouvernement sur la démocratie sociale.

M. François Fillon a estimé que cette articulation devrait être tranchée par les partenaires sociaux dans le futur accord national interprofessionnel qu'il appelle de ses voeux dans le domaine de la modernisation de la démocratie sociale. Il a toutefois indiqué que, si cette négociation ne débouchait pas sur un accord, le Gouvernement pourrait reprendre, après évaluation, les dispositions les plus intéressantes de ces accords expérimentaux.

M. Gilbert Chabroux a estimé que le projet de loi constituait une nouvelle remise en cause des avancées sociales réalisées sous la précédente législature et a regretté que le Gouvernement ne choisisse pas une démarche plus constructive. Il a jugé que la suspension des dispositions de la loi du 17 janvier 2002 conduisait en réalité à vider cette loi de son contenu. Il s'est également interrogé sur les perspectives réelles de la négociation interprofessionnelle observant la faible volonté des partenaires sociaux de discuter sur ce sujet. Il a en outre regretté que le Gouvernement ait accepté les amendements de l'Assemblée nationale, alors même qu'ils n'avaient pas fait l'objet d'une consultation des partenaires sociaux. Il a enfin observé que la loi du 17 janvier 2002 n'était, pour l'essentiel, pas applicable et qu'on ne pouvait donc pas considérer qu'elle était responsable de tous les maux. A cet égard, il a considéré que les délais des procédures de licenciement se situaient en France dans la moyenne européenne.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a précisé que le Gouvernement ne détruisait pas sans reconstruire, et qu'il était conforme aux principes de la démocratie que la nouvelle majorité, issue des urnes, entende mettre en oeuvre son programme.

Insistant sur la gravité de la situation économique, il a souligné la multiplication des délocalisations des activités de production et un vrai risque de désindustrialisation faisant planer d'importantes menaces sur l'emploi.

S'agissant des deux amendements adoptés à l'Assemblée nationale, il a jugé que la suspension de la disposition dite « amendement Michelin » était cohérente avec les décisions du Gouvernement en matière de temps de travail et que l'amendement sur le harcèlement moral ne remettait pas en cause la nouvelle législation. Sur ce point, il a précisé que l'amendement visait à rééquilibrer la charge de la preuve pour rapprocher la législation de la directive européenne et de la tradition juridique française.

M. Guy Fischer s'est interrogé sur les possibles évolutions du régime de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Il s'est notamment demandé si ces évolutions exigeraient des modifications d'ordre législatif.

M. François Fillon a constaté que le précédent Gouvernement avait mis en oeuvre l'APA sans prévoir de financement et que le souci de l'actuel Gouvernement était d'assurer un tel financement sans mettre en péril les équilibres financiers des départements. Il a précisé qu'un groupe de travail, largement composé de présidents de conseils généraux, remettrait ses conclusions au Premier ministre le 15 décembre et que ce dernier serait appelé à procéder aux nécessaires arbitrages. Il a observé que, parmi les mesures envisageables, certaines relevaient du décret, comme la modification du barème, mais que d'autres relevaient de la loi.

M. Roland Muzeau a fait part de l'opposition de son groupe au projet de loi, estimant qu'il n'y avait pas de bonne négociation sans de bonnes lois. Rappelant que les organisations syndicales avaient pu faire part de leur mécontentement lors de l'élaboration de la loi du 17 janvier 2002, il a souligné qu'elles avaient également fait part de leur mécontentement face à l'extension du champ des articles suspendus par l'Assemblée nationale. Il a en outre regretté que le Gouvernement n'ait prévu aucune disposition pour encadrer les procédures de licenciement dans les petites et moyennes entreprises (PME).

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a indiqué qu'il avait consulté les partenaires sociaux lors de la préparation du projet de loi et que ce projet de loi renvoyait en outre très largement aux partenaires sociaux le soin de faire de nouvelles propositions dans le domaine du droit du licenciement. Il a indiqué qu'il s'était interdit de leur donner des pistes, notamment pour le licenciement dans les PME, et qu'il leur faisait confiance pour trouver des solutions intelligentes. Il a d'ailleurs souligné que le champ de la négociation à venir n'était pas limité et que si les partenaires sociaux voulaient aborder des sujets autres que le licenciement dans le cadre de cette négociation, il n'y verrait que des avantages tant ces sujets, notamment celui de la formation professionnelle, pouvaient être liés.

M. Bernard Seillier a jugé le projet de loi convaincant sur le fond et séduisant sur la forme. Il a estimé que ce dispositif d'expérimentation régulé devait pouvoir être transposé en matière de démocratie locale, considérant qu'il existe un « effet miroir » entre démocratie locale et démocratie sociale.

M. Michel Esneu a encouragé le Gouvernement à persévérer dans sa méthode de concertation. Il a observé que cette méthode était certes difficile, mais qu'elle était également la seule qui produisait des résultats durables.

S'appuyant sur l'exemple d'une entreprise en restructuration de son département, il a souligné que les procédures issues de la loi du 17 janvier 2002 encourageaient le risque de délocalisation et dissuadaient les investisseurs étrangers. Il a estimé urgent de rendre les procédures plus lisibles.

M. Louis Souvet a souscrit à la méthode sous-jacente du projet de loi. Il a souhaité que la future négociation nationale interprofessionnelle et le futur projet de loi abordent également la question des mesures d'âge qui occupent une place considérable dans les restructurations et qui soulèvent de graves difficultés pour notre pays où le taux d'emploi des salariés les plus âgés est très faible.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a estimé nécessaire d'engager une nouvelle approche sur les relations entre âge et travail, soulignant notamment les conséquences des préretraites, tant en termes de coût pour les régimes sociaux que de perte d'expérience pour les entreprises et de risque de fragilisation pour les individus.

Revenant sur le témoignage de M. Michel Esneu, il a souligné que cet exemple était révélateur des effets pervers de la loi du 17 janvier 2002, l'allongement des délais et l'enchevêtrement des procédures tendant à rendre impossible tout accord avec des repreneurs éventuels.

Mercredi 11 décembre 2002

- Présidence de M. Nicolas About, président -

Emploi - Relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques - Examen du rapport

La commission a procédé à l'examen du rapport de M. Alain Gournac sur le projet de loi n° 91 (2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques.

M. Alain Gournac, rapporteur,
a rappelé qu'en déposant le présent projet de loi, le Gouvernement avait fait le choix d'engager une réforme en profondeur de notre droit du licenciement économique.

Il a concédé que la réglementation applicable en la matière était ancienne et se caractérisait par sa dimension essentiellement procédurale. Son formalisme, souvent excessif, conduisait le plus souvent à entretenir une dynamique d'affrontement. Il ne permettait pas d'anticiper et d'accompagner avec suffisamment d'efficacité les conséquences sociales des restructurations et réduisait par là même les possibilités de négociation entre les partenaires sociaux.

Il a reconnu que cette situation n'était guère satisfaisante, alors que le droit a vocation à assurer, dans les meilleures conditions, l'équilibre entre les nécessaires garanties accordées au salarié et les contraintes pesant sur les entreprises en restructuration.

M. Alain Gournac, rapporteur, a déploré que ce point d'équilibre n'ait jamais pu être durablement atteint, cristallisant sans cesse les insatisfactions des entreprises comme des salariés.

Il a d'ailleurs observé qu'en la matière le dialogue social semblait « en panne », le dernier accord interprofessionnel d'importance remontant à 1986. Il a estimé néanmoins que les partenaires sociaux étaient les plus à même de déterminer et de faire évoluer cet équilibre. De fait, la relance du dialogue social supposait, au préalable, la mise entre parenthèses des récentes dispositions législatives adoptées en ce domaine, dont le maintien en l'état ne pourrait, à l'évidence, que brouiller la négociation à venir.

Il a déclaré que la loi du 17 janvier 2002, dite de modernisation sociale, resterait sans nul doute, dans les annales parlementaires, comme le contre-exemple d'un travail législatif de qualité. Le volet de ce texte consacré aux licenciements économiques en témoignait avec force. Composé initialement de 6 articles, ce volet en comportait désormais 30, la plupart ayant été introduits en deuxième lecture, à l'Assemblée nationale, à l'issue, qui plus est, d'une seconde délibération.

Puis il a rappelé le contexte dans lequel ces modifications ont été introduites. A la suite d'annonces de plusieurs plans sociaux au printemps 2001 et sous la pression d'une partie de sa majorité plurielle, le précédent gouvernement avait accepté d'introduire un nombre important d'amendements conduisant à réformer profondément notre droit du licenciement économique.

M. Alain Gournac, rapporteur, a jugé que cette loi de circonstance, élaborée à la hâte, ne pouvait apporter une réponse satisfaisante, tant elle restait marquée par ses deux défauts originels.

D'abord, sur la méthode, les partenaires sociaux n'avaient en aucune manière été associés, ni même consultés.

Ensuite, sur le fond, ces dispositions avaient eu pour effet de complexifier à l'extrême les procédures de licenciement économique sans les rendre plus protectrices pour les salariés, mais en accentuant encore l'insécurité juridique pesant sur les entreprises.

Il a souligné que le Gouvernement avait donc logiquement souhaité suspendre, pour une durée limitée, les dispositions les plus critiquées de la loi du 17 janvier 2002.

Il a expliqué que, pour mener à bien la réforme de notre droit du licenciement économique, le Gouvernement entendait en définir la méthode et en organiser les conditions.

S'agissant de la méthode, il a affirmé que le projet de loi visait, au niveau interprofessionnel, à renouer avec la tradition du dialogue social, en invitant explicitement et solennellement les partenaires sociaux à engager une nouvelle négociation nationale interprofessionnelle, préalable indispensable à toute nouvelle intervention législative.

Evoquant les échanges qu'il avait pu avoir avec les partenaires sociaux dans le cadre de la préparation de son rapport, M. Alain Gournac, rapporteur, s'est dit convaincu du succès de cette négociation.

Il a cependant précisé que, pour aboutir à un compromis constructif, cette négociation ne pourrait se limiter à la seule question des procédures de licenciement, mais devrait embrasser plus largement l'ensemble de la question de l'emploi.

Puis il a ajouté qu'au-delà du niveau national, le projet de loi cherchait aussi à redynamiser la négociation d'entreprise en favorisant la conclusion d'accords en matière de licenciement économique collectif.

Or, il a admis, qu'en ce domaine, la France se singularisait par la faiblesse de la culture de la négociation d'entreprise, alors que le droit européen, en particulier la directive du 20 juillet 1998, insistait sur la nécessité de recherche d'un accord.

Aussi bien le projet de loi visait-il à favoriser la négociation d'entreprise, en instituant des accords expérimentaux pouvant mettre en place des procédures mieux adaptées aux réalités et aux spécificités de chaque entreprise. L'article 2 du projet de loi permettait, en effet, la conclusion d'accords d'entreprise, à titre expérimental et pour une durée de dix-huit mois à compter de la promulgation de la loi, définissant la procédure applicable dans le cadre d'une restructuration impliquant la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Ces accords ne pouvaient toutefois être conclus que pour une durée n'excédant pas deux ans.

Il a constaté que cette démarche expérimentale n'était pas une création ex nihilo. Elle s'inspirait largement des « accords de méthode » qui avaient pu être conclus avec succès dans certaines entreprises ces dernières années.

M. Alain Gournac, rapporteur, a jugé que ces accords expérimentaux constituaient autant d'opportunités dans l'attente de la conclusion d'un accord national interprofessionnel et pourraient contribuer, après évaluation approfondie, à nourrir cette négociation et, le cas échéant, à préparer le futur projet de loi.

Il a toutefois considéré que la démarche du Gouvernement se heurtait aujourd'hui à certaines dispositions de la loi du 17 janvier 2002 qui ne relevaient pas de cette logique de négociation.

Aussi le projet de loi prévoyait-il de suspendre temporairement, le temps que la négociation nationale interprofessionnelle porte ses fruits, les dispositions de ce texte relatives aux procédures de licenciement.

M. Alain Gournac, rapporteur, a rappelé que cette suspension était prévue pour une durée maximale de 18 mois, cette durée laissant suffisamment de latitude aux partenaires sociaux pour engager une négociation dans la sérénité. Elle pourrait, le cas échéant, être prorogée d'une année supplémentaire si un projet de loi « définissant les procédures relatives à la prévention des licenciements économiques, aux règles d'information et de consultation des représentants du personnel et aux règles relatives au plan de sauvegarde de l'emploi » était déposé au cours des 18 premiers mois.

Il a spécifié que ce projet de loi, dont le contenu serait déterminé « au vu des résultats de la négociation interprofessionnelle », devrait toutefois être déposé, que la négociation aboutisse ou non. Tout statu quo pour notre droit du licenciement serait en effet préjudiciable tant pour les entreprises que pour les salariés. En l'absence d'accord, il appartiendrait donc au législateur de prendre ses responsabilités.

M. Alain Gournac, rapporteur, a précisé que l'article premier du projet de loi déterminait le champ des dispositions suspendues qui visait neuf des trente articles que comporte le volet « licenciement » de la loi du 17 janvier 2002.

Il a constaté que six de ces articles concernaient très directement le déroulement des procédures collectives : les articles 97 et 98 imposaient aux chefs d'entreprise, avant toute restructuration ayant pour conséquence la suppression d'au moins 100 emplois, de présenter aux organes de direction et de surveillance une étude d'impact social et territorial des conséquences de la restructuration ; l'article 99 instaurait une séparation stricte des procédures de consultation des représentants du personnel sur le projet de restructuration au titre du livre IV d'une part, et sur le plan de sauvegarde de l'emploi au titre du livre III, d'autre part ; les articles 101 et 106 introduisaient notamment un nouveau droit d'opposition pour le comité d'entreprise sur le projet de restructuration, qui prenait la forme de la saisine d'un médiateur ; l'article 116 élargissait les pouvoirs de l'inspection du travail, permettant notamment d'exiger une réunion supplémentaire du comité d'entreprise si l'inspection du travail constatait une carence éventuelle.

Deux articles, les articles 102 et 104, étaient des articles de cohérence rédactionnelle tirant les conséquences de l'article 101. Le dernier article, l'article 109, était relatif aux critères présidant à la fixation de l'ordre des licenciements et supprimait le critère des qualités professionnelles.

Au terme de ces observations, M. Alain Gournac, rapporteur, a jugé que ces dispositions conduisaient à complexifier et à ralentir les procédures, avant de relever que la commission avait alors proposé soit de les supprimer, soit de les modifier significativement.

Toutefois, il a insisté sur le champ relativement restreint des dispositions suspendues. Cela tenait à la logique même du projet de loi. Dans la mesure où le texte renvoyait à la négociation nationale interprofessionnelle le soin de déterminer les voies et moyens permettant de faciliter le dialogue social au sein de l'entreprise sur les projets de restructuration, et annonçait un futur projet de loi portant sur les procédures de prévention des licenciements économiques, il a considéré qu'il était logique que, par cohérence avec le champ tant de la négociation que du futur projet de loi, les articles suspendus se limitent aux dispositions relatives à la procédure de licenciement.

Il a relevé qu'à l'occasion de l'examen du texte en première lecture le 5 décembre dernier, l'Assemblée nationale avait suspendu l'application de deux nouveaux articles : les articles 96 et 100 de la loi du 17 janvier 2002.

Il a approuvé cette extension, qui correspondait pleinement à la logique du projet de loi, dans la mesure où les deux articles en question avaient également trait aux procédures applicables en cas de restructuration.

Ainsi, l'article 96 issu de l'amendement -dit « amendement Michelin »- introduisait, pour les entreprises employant au moins 50 salariés, l'obligation pour l'employeur d'engager une négociation sur un accord de réduction du temps de travail, préalablement à l'établissement d'un plan social et à sa communication aux représentants du personnel.

De même, l'article 100 prévoyait que toute annonce publique d'un chef d'entreprise de mesures ayant des conséquences sur l'emploi et les conditions de travail devrait avoir, au préalable, fait l'objet d'une information du comité d'entreprise.

Il a rappelé que, lors des débats sur le projet de loi de modernisation, la commission avait là encore formulé ses plus vives réserves sur ces deux articles.

M. Alain Gournac, rapporteur, a précisé que l'Assemblée nationale avait, en outre, souhaité modifier au fond deux dispositions issues de la loi du 17 janvier 2002 et relatives au harcèlement moral au travail.

Cette loi avait, en effet, introduit, à ses articles 168 à 180, des dispositions spécifiques à la lutte contre le harcèlement moral au travail dans notre législation.

Il a rappelé que la commission avait, en son temps, souscrit à cet objectif et avait d'ailleurs largement contribué à l'élaboration de ces nouvelles dispositions. Mais elle avait également souligné, à l'époque, le manque de cohérence de certaines des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale, qui risquaient de déséquilibrer fortement la nouvelle législation et d'aboutir à une judiciarisation excessive des relations du travail.

M. Alain Gournac, rapporteur, a souligné qu'en première lecture, l'Assemblée nationale avait modifié le dispositif sur deux points dans le sens qu'avait alors préconisé la commission : elle avait d'abord rééquilibré les conditions d'établissement de la charge de la preuve devant le juge, modifiant en cela des dispositions du code du travail issues de l'article 169 de la loi du 17 janvier 2002 ; elle avait également simplifié la procédure de médiation prévue par le code du travail et instituée par l'article 171 de ladite loi.

Enfin, l'Assemblée nationale avait introduit un article 6 nouveau, à l'initiative du Gouvernement, visant à mettre à la charge du fonds de solidarité vieillesse (FSV) le financement des cotisations de retraite complémentaire des bénéficiaires de l'allocation équivalent retraite (AER).

Il a rappelé que la commission avait, à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, fait part de sa grande réticence quant à l'intervention du FSV dans le champ de la protection sociale complémentaire. Il a constaté, au demeurant, que le coût de la mesure proposée par le Gouvernement, évalué à 3,9 millions d'euros, posait moins un problème de montant qu'un problème de principe.

Prenant acte que le dispositif proposé visait à répondre dans l'immédiat à une demande justifiée des régimes complémentaires, et sous le bénéfice des engagements pris par le Gouvernement d'aboutir rapidement à une remise en ordre des circuits financiers de la sécurité sociale, il a demandé à la commission d'accepter, à titre transitoire, cette extension des missions du FSV.

En conclusion, M. Alain Gournac, rapporteur, a déclaré souscrire très largement aux dispositions du présent projet de loi. Il a concédé que ce dernier ne constituait certes qu'une première étape dans la nécessaire réforme de notre droit du licenciement économique. Mais il s'est réjoui de ce qu'il fixait clairement la méthode -celle du dialogue social- et mettait en place les conditions nécessaires à son aboutissement. Il a donc proposé à la commission d'adopter ce projet de loi sans modification.

M. Louis Souvet a souligné que tout licenciement était un drame, aussi bien pour le salarié que pour l'employeur. Il a considéré que l'abrogation des dispositions de la loi du 17 janvier 2002 aurait peut-être été plus simple, mais que leur suspension s'inscrivait dans la logique du dialogue social et relevait, en cela, d'une démarche intelligente. Il a estimé que l'objectif du projet de loi était d'instaurer un nouvel état d'esprit fondé sur la confiance et le dialogue. Il a, à cet égard, précisé que la négociation constituait le seul moyen d'aboutir à un équilibre durable et que les relations du travail ne pouvaient être exclusivement régies par la loi. Il a insisté sur l'importance de la négociation d'entreprise dans le domaine du licenciement, mais a également relevé que le dialogue social restait trop souvent limité à ce niveau. Il a estimé que la démarche expérimentale proposée par le projet de loi était intéressante, mais nécessitait un suivi important et une évaluation approfondie. Il a, enfin, déploré que les plans sociaux se multiplient, y compris dans des entreprises en bonne santé économique et financière.

M. Jean Chérioux a considéré que les difficultés actuelles du droit du licenciement s'expliquaient très largement par la faiblesse de la concertation. Il a estimé qu'il fallait tenir compte des difficultés des entreprises et que le report de nécessaires restructurations ne pouvait constituer une solution durable, comme l'a souligné l'exemple de la sidérurgie au début des années quatre-vingt. Il a en revanche considéré que les restructurations « de confort » imposées par les fonds de pension, visant simplement à soutenir les cours boursiers et à garantir un retour sur investissement élevé pour les actionnaires, étaient inacceptables. Il a alors estimé nécessaire de privilégier l'esprit d'entreprise à un capitalisme strictement financier.

M. Roland Muzeau a fait observer que, souvent, les licenciements ne résultaient pas des difficultés des entreprises, mais d'exigences exorbitantes de rentabilité dont l'emploi constituait la variable d'ajustements ; il a jugé cette évolution insupportable. Il a également souligné la cohérence du rapporteur entre la position qu'il avait soutenue lors des débats sur le projet de loi de modernisation sociale et sa position actuelle. Il a néanmoins observé que le fait qu'il ne propose aucun amendement avait pour conséquence de permettre une promulgation rapide de la loi et donnait en cela satisfaction au MEDEF. Revenant sur l'amendement relatif au harcèlement moral, adopté à l'Assemblée nationale, il a considéré que les modifications en matière de charge de la preuve constitueraient un obstacle infranchissable pour les salariés à faire valoir leurs droits, alors même que le harcèlement moral tendait à devenir un phénomène de société. Il a fait part de son opposition résolue à la suspension, introduite à l'Assemblée nationale, de l'article issu de l'amendement « Michelin », estimant qu'il n'était pas acceptable que de nombreuses entreprises procèdent à des licenciements sans avoir procédé à une réduction du temps de travail.

M. Gilbert Chabroux s'est déclaré surpris par l'absence de proposition d'amendement du rapporteur et s'est interrogé sur le fait de savoir si certaines consignes avaient été données pour favoriser un vote conforme du projet de loi. Il a souhaité avoir des précisions sur l'évolution du nombre de licenciements et de plans sociaux au cours des derniers mois. Il a considéré que les partenaires sociaux ne semblaient manifester que peu d'appétence à engager la négociation interprofessionnelle souhaitée par le Gouvernement et a estimé que les perspectives d'aboutir à un accord semblaient limitées. Il a enfin regretté que l'intervention du rapporteur n'ait pas suffisamment analysé l'impact de la loi du 17 janvier 2002, notamment en termes de complexité de procédure et de ses conséquences, mises en avant par le ministre, sur l'attractivité de la France.

M. Guy Fischer a observé qu'à sa connaissance l'absence d'amendements proposés par le rapporteur constituait un précédent pour la commission. Il a estimé que les accords expérimentaux prévus par le projet de loi conduiraient à remettre en cause l'ensemble du droit du licenciement et en a conclu qu'un vote conforme de ce texte traduisait le souci d'aller vite pour faciliter le dépôt de plans sociaux. Il a enfin souhaité recueillir les réactions du rapporteur sur les récents propos de M. Guillaume Sarkozy sur les délocalisations.

M. Nicolas About, président, a précisé que les difficultés rencontrées aujourd'hui par notre droit du licenciement étaient largement liées à la loi du 17 janvier 2002. Il a considéré que le projet de loi était un texte équilibré, reposant avant tout sur une méthode et devant permettre la relance du dialogue social sur le thème de l'emploi et du licenciement et, qu'en conséquence, il n'était pas illogique que le rapporteur ne propose pas d'amendements. A cet égard, il a rappelé que ce n'était pas la première fois que la commission proposait d'adopter conforme un texte en première lecture, citant notamment l'excellente proposition de loi relative à l'autonomie des jeunes, déposée par le groupe communiste de l'assemblée nationale et devenue la loi du 4 juillet 2001.

Mme Annick Bocandé a insisté sur l'importance de relancer le dialogue social dans l'entreprise et a regretté que la législation applicable, notamment en matière de licenciement, soit souvent trop précise et trop pointilleuse, laissant alors peu de marge à la négociation collective. Elle a observé que les partenaires sociaux devaient prendre leurs responsabilités en engageant une négociation interprofessionnelle dans le domaine de l'emploi mais aussi de la formation professionnelle. Elle a en outre déclaré partager pleinement les positions exprimées par MM. Louis Souvet et Jean Chérioux sur les restructurations dites « de confort ».

En réponse aux différents intervenants, M. Alain Gournac, rapporteur, a estimé que tout licenciement constituait un drame non seulement pour le salarié mais aussi pour l'employeur. Il a considéré qu'il était devenu nécessaire de réformer en profondeur notre droit du licenciement et qu'il était préférable pour cela de favoriser le dialogue social, non seulement au niveau national et interprofessionnel mais aussi au niveau de l'entreprise, afin de mieux prendre en compte les spécificités de chaque établissement. Il a déclaré que les délocalisations ne pouvaient en aucun cas être une solution. Il a également jugé que les restructurations « de confort » devraient faire l'objet d'une attention toute particulière et restaient largement inacceptables. A cet égard, il a observé que la loi de modernisation sociale n'apportait aucune solution concrète et a souhaité que les partenaires sociaux abordent cette question lors de leurs négociations. Il a estimé que les perspectives d'accord national interprofessionnel étaient réelles, rappelant que les partenaires sociaux qu'il avait auditionnés s'étaient tous montrés ouverts à la négociation à l'exception d'une organisation syndicale.

S'agissant du harcèlement moral, il a rappelé que c'était à son initiative que le Parlement avait introduit une disposition aménageant la charge de la preuve en faveur du salarié, même si le texte finalement adopté s'écartait largement de ses propositions. Il a observé que l'amendement adopté par l'Assemblée nationale revenait très largement au dispositif qu'il avait proposé et restait plus favorable aux salariés que le droit commun.

S'étonnant des critiques de l'opposition sur l'absence d'amendements, il a à nouveau souligné son souci de laisser prioritairement les partenaires sociaux se saisir du sujet, mais a déclaré qu'il n'hésiterait pas à prendre ses responsabilités au terme de la période de suspension. Il a, enfin, donné des précisions sur l'évolution récente du nombre de licenciements économiques et de plans sociaux : fin septembre 2002, le nombre de licenciements économiques atteignait 207.000, soit une augmentation de 20 % par rapport aux neuf premiers mois de 2001, et, à la fin août 2002, le nombre de plans sociaux était de 676, soit une hausse de 6,4 % par rapport aux huit premiers mois de 2001. Il a alors estimé que ces évolutions étaient préoccupantes et constaté que la loi du 17 janvier 2002 n'avait pas permis de prévenir l'augmentation du nombre de licenciements économiques et de plans sociaux.

La commission a adopté le projet de loi sans modification.

Jeudi 12 décembre 2002

- Présidence de M. Nicolas About, président -

Commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites - Examen des amendements

La commission a procédé à l'examen des amendements aux conclusions de la commission sur la proposition de résolution n° 348 (2001-2002) tendant à la création d'une commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites.

M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur, a d'abord précisé que les deux amendements présentés visaient à étendre au tabac, à l'alcool et aux médicaments le champ d'investigation de la commission d'enquête. Il a rappelé que la commission avait déjà eu l'occasion de débattre de cette question et il a convenu qu'elle était légitime, dans la mesure où il y avait une similitude dans les phénomènes d'addiction engendrés par ces différents produits. Il a toutefois fait valoir que la commission d'enquête ne pouvait avoir pour objet l'ensemble des comportements à risques des Français et que son champ d'investigation était déjà très large.

Il a par ailleurs estimé que la limitation aux drogues illicites avait une cohérence indéniable, dans la mesure où l'enjeu de la commission d'enquête résidait dans l'articulation entre la politique pénale de répression de l'usage et du trafic de stupéfiants et la politique de prise en charge sanitaire et sociale des toxicomanes.

Pour toutes ces raisons, il a proposé de donner un avis défavorable aux deux amendements nos 1 et 2 présentés par M. Guy Fischer, Mme Michelle Demessine et M. Roland Muzeau.

M. Nicolas About, président, a fait observer que la commission d'enquête aborderait nécessairement la question de la polydépendance, notamment à l'occasion de l'examen du fonctionnement des centres de soins spécialisés.

Mme Nelly Olin a approuvé la limitation du champ de la commission d'enquête aux drogues illicites.

A l'issue de ce débat, la commission a donné un avis défavorable à l'adoption de ces deux amendements.

Bioéthique - Audition de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

La commission a procédé à l'audition de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur le projet de loi n° 189 (2001-2002) relatif à la bioéthique.

Formulant trois séries de réflexions préliminaires, M. Jean-François Mattei a rappelé le contexte dans lequel les lois de 1994 avaient été votées, fait d'incertitude sur la légitimité de l'intervention du législateur dans le domaine de la médecine de la reproduction, de la génétique ou du don d'organes et de méfiance des professionnels intéressés, mais aussi de tous ceux qui craignaient que ne soit figée la morale commune, dans un sens trop lâche ou au contraire trop contraignant.

Il a constaté que les doutes s'étaient aujourd'hui taris, les lois de 1994 ayant fait la preuve de leur nécessité. Il a relevé que ces lois avaient permis, de l'avis général, à la fois une pacification du débat et une moralisation des pratiques. Il a fait observer que les praticiens étaient aujourd'hui les premiers à réclamer, à l'occasion de leur révision, une précision accrue des textes, puisque ceux-ci avaient donné l'onction du droit à des pratiques pour lesquelles ils encouraient auparavant des poursuites et en avaient aussi favorisé l'acceptabilité sociale. Ainsi, le diagnostic pré-implantatoire avait pu se développer en France dans un cadre strictement défini qui garantissait le caractère exceptionnel de sa mise en oeuvre.

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a souligné que les lois de 1994 avaient eu, en outre, une fonction éducative et avaient contribué à l'élévation du niveau du débat public. Aujourd'hui, les citoyens étaient mieux informés et les interrogations se portaient plus en amont, vers l'embryon humain, le clonage ou encore la frontière entre les fondements biologiques et sociaux du comportement humain.

Il a estimé que le succès de l'arsenal législatif particulièrement complet, dont la France s'était dotée en 1994, tenait à deux facteurs. Le premier était une conscience aiguë que le développement des sciences biomédicales appelle des limites, faute de quoi il ne procure qu'un progrès apparent. Afin que les développements biomédicaux soient en accord avec la dignité de chaque être humain, une régulation des sciences du vivant s'impose et elle relève bien du législateur, et non des seuls professionnels. Sont en cause, en effet, des pratiques qui mettent en jeu les représentations mêmes de la société et qui dépassent largement l'exercice de la médecine : qu'est-ce que la personne humaine ? Jusqu'où le respect lui est-il dû ? De quoi peut-il être fait commerce ? Quelles sont les implications de la médecine prédictive ou de la possibilité de concevoir un enfant avec un tiers donneur ? La bioéthique éprouve notre édifice juridique dans ce qu'il a de plus central, le statut des personnes, le droit de la filiation et de la famille ou encore le droit des contrats.

M. Jean-François Mattei a estimé que le second facteur de succès des lois de 1994 tenait à la manière dont le législateur avait conçu son rôle en matière de sciences du vivant : sans fuir devant la difficulté de la tâche, le législateur avait assumé ses responsabilités, traçant, avec raison et intelligence, les limites de son intervention : ni philosophie ni science, mais le droit.

Il a souligné que cette juste conception de sa fonction était particulièrement manifeste dans la manière dont le législateur traitait l'embryon humain. Le législateur avait édicté un régime fondé sur le principe du respect dû à l'embryon et sur la définition des atteintes qui pouvaient lui être portées, mais il avait renoncé à définir cet embryon. Ce faisant, le législateur s'était tenu à l'écart des querelles biologiques et philosophiques.

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a fait valoir que, si la question de la nature de l'embryon ne pouvait être tranchée, en revanche, sur le plan pratique, celle de la conduite à son égard pouvait et même devait être définie. Le législateur s'était donc situé sur le plan du devoir-être à l'égard de l'embryon, et non de son être. Ce choix, critiqué par certains, au motif que c'est le statut qui doit imposer les limites et non le contraire, était à la fois juste et efficace. Juste, parce que la loi n'a pas à qualifier les êtres humains, mais seulement à les constater et à les protéger. Efficace, parce qu'en ne déterminant pas ce qu'est l'embryon mais en disant comment on doit le traiter, l'éthique et le droit ont trouvé leur espace propre.

Abordant une deuxième série de réflexions, M. Jean-François Mattei a constaté que le retard pris par le Gouvernement précédent avait rendu irréalisable l'objectif, voulu en 1994, d'une révision des lois dans un délai de cinq ans après leur vote, et ceci malgré les annonces et en dépit du travail considérable réalisé par de fort nombreuses instances, depuis plus de quatre ans, pour préparer cette révision. Il a tenu à saluer, à cet égard, la qualité des travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Il a estimé que ce retard avait résulté en particulier de la difficulté éprouvée par le Gouvernement précédent à assumer certains de ses choix, notamment, en matière de clonage à visée thérapeutique, d'abord autorisé, puis interdit. Cet embarras avait conduit le Gouvernement précédent à ne pas toujours afficher ses partis pris et à avancer masqué pour consacrer parfois des changements considérables conduisant, sans que cela soit dit, à bouleverser profondément l'équilibre que le législateur avait voulu consacrer entre le respect dû à l'embryon humain et la confiance dans la liberté du chercheur, celle qui l'engage à chercher et à trouver.

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a considéré qu'afin que le choix éthique qui serait fait, en matière de recherche sur l'embryon notamment, reflète au mieux les convictions morales de chaque citoyen, il fallait poser le débat aussi purement que possible et ne pas s'abriter derrière des barrières langagières érigées pour les besoins de la recherche ; il était essentiel que scientifiques, juristes, politiques et media s'attachent à ne pas occulter les difficultés par des querelles terminologiques. Pour autant des clarifications sémantiques s'imposaient : ainsi il était exact que les cellules souches embryonnaires étaient issues d'un embryon, mais il était inexact de prétendre qu'elles étaient des embryons.

M. Jean-François Mattei a souhaité, puisque l'on inscrivait dans la loi, pour la première fois, le mot de « bioéthique », que l'on ne puisse pas lui attacher une signification trouble. Afin de le laver de tout soupçon, il était indispensable que cette révision montre que l'éthique biomédicale n'était pas obligée d'adapter inévitablement ses principes à toute pratique nouvelle afin de la justifier a posteriori. On n'attendait pas du législateur bioéthique qu'il concilie tous les contraires, mais qu'il dise les limites, c'est-à-dire donne, avec humanité, un cadre permettant à la créativité et à la liberté de chacun de s'exprimer, dans le respect de l'intérêt collectif.

Il a semblé au ministre que le gouvernement précédent, qui souhaitait valider, pêle-mêle, une ouverture de la recherche sur l'embryon et le clonage thérapeutique, quand celui-ci n'en était qu'à ses prémices, avait contribué au discrédit de la bioéthique.

Aussi M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a-t-il souhaité au contraire que celle-ci soit consolidée. Il a jugé que l'inscription dans la loi du principe d'une révision périodique de la législation apparaissait comme un procédé ambigu et néfaste. Ambigu, car dépourvu de toute valeur normative, il ne contraignait en rien le législateur et ne modifiait pas la faculté dont dispose celui-ci de remettre en chantier la loi si cela s'avère nécessaire. Néfaste, car le législateur n'avait pas, en particulier lorsqu'il édicte des principes, vocation à faire une oeuvre dont la date de péremption est déjà annoncée. Afin que les normes édictées en matière de bioéthique constituent un encadrement des pratiques biomédicales et ne soient pas, dans une perspective instrumentale, sans cesse remodelées au gré de l'évolution des possibilités techniques, il était essentiel qu'elles ne soient pas conçues d'emblée comme caduques.

Formulant une dernière réflexion liminaire, M. Jean-François Mattei a souligné que les questions liées aux sciences du vivant et à la bioéthique prenaient sur la scène internationale une importance croissante. Afin de ratifier enfin la Convention du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine signée à Oviedo le 4 mars 1997, afin de poursuivre les travaux engagés dans le cadre de l'ONU à l'initiative de la France et de l'Allemagne et, lors du prochain G8, afin de progresser vers la définition de positions communes en matière de biomédecine, il fallait que notre pays, le premier à s'être doté d'une législation complète en matière de bioéthique, améliore son arsenal législatif. En interdisant aujourd'hui nettement, par exemple, le clonage à but reproductif, et en le pénalisant sévèrement, la France adresserait ainsi à ses partenaires un signal fort.

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a ensuite détaillé les principales modifications qu'il souhaitait voir apporter au texte adopté par l'Assemblée nationale en janvier 2002.

S'agissant du don d'organes et du grave problème posé par le déficit en greffons, il a estimé que le texte adopté par l'Assemblée nationale choisissait de répondre par la facilité en élargissant sans précaution le champ des donneurs vivants aux personnes ayant « un lien étroit et stable » avec le receveur. Il a jugé qu'eu égard aux risques inhérents à ces prélèvements, il convenait au contraire de rendre pleinement effectif le régime actuel de consentement présumé des personnes décédées, notamment par une politique d'information plus active. Il a souhaité que la liste des donneurs vivants d'organes ne soit élargie qu'à des personnes limitativement énumérées, afin de prévenir toute dérive commerciale et toute forme de pression sur les donneurs potentiels.

S'agissant de l'assistance médicale à la procréation (AMP), il a estimé que le bilan de la législation introduite en 1994 était satisfaisant, tant du point de vue du débat public que de la progression des naissances par fécondation in vitro. Il a souligné que le réalisme sans intransigeance dont faisait preuve le texte de 1994 avait en effet conféré une portée durable aux arbitrages auxquels il avait procédé. Le législateur avait permis le développement des techniques d'AMP, mais dans le respect de l'intérêt primordial de l'enfant, c'est-à-dire de son environnement affectif. Pour l'essentiel, la révision proposée visait à répondre aux demandes d'améliorations et de compléments des praticiens et des usagers et non à bouleverser les choix de 1994.

M. Jean-François Mattei a cependant fait part de son intention de revenir sur l'autorisation du transfert d'embryon post mortem en cas de décès de l'homme, introduite dans le projet de loi par l'Assemblée nationale. Il a souligné que cette « transgression du temps » conduisait à bouleverser les fondements du droit civil pour résoudre quelques cas individuels. Il a également souhaité que l'accès à l'AMP demeure subordonné, pour les couples non mariés, à la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans, de sorte que seuls des couples stables se lancent dans l'aventure souvent difficile de la procréation assistée et que les embryons conçus artificiellement le soient dans le cadre d'un projet parental solide.

Evoquant la recherche sur l'embryon, M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a souligné qu'il n'était pas question de revenir sur le principe fondamental fixé par l'article 16 du code civil qui « garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ». Il a considéré que l'embryon pouvait être un objet d'étude si l'on respectait son intégrité et si les recherches étaient menées dans l'intérêt de l'embryon.

Après avoir formulé le souhait que la France se distingue par un engagement massif dans la recherche sur les cellules souches adultes, il a expliqué que les perspectives thérapeutiques des cellules souches embryonnaires apparaissaient encore lointaines. Il a jugé indispensable de mener de front, pendant quelques années au moins, des recherches sur les cellules embryonnaires et sur des cellules souches adultes, afin de comparer leur potentialité et leur innocuité pour l'homme. Souhaitant ouvrir une « fenêtre pour la recherche » strictement délimitée, il a fait observer que la médecine avait toujours progressé par transgressions successives, qu'il s'agisse par exemple de l'autopsie, de la transfusion ou de la transplantation d'organes.

M. Jean-François Mattei a souligné que la possibilité de mener des recherches sur l'embryon et les cellules embryonnaires aurait « un caractère dérogatoire et transitoire » et que ses conditions de mise en oeuvre seraient très précisément circonscrites. Les recherches ne pourront être menées que sur des embryons in vitro conçus dans le cadre d'une AMP et pour lesquels il n'existe plus de projet parental. Le bien-fondé de cette recherche sera réexaminé au bout de cinq ans.

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a estimé que la création d'embryons humains à des fins de recherche devait demeurer fermement exclue et sévèrement sanctionnée ; il a jugé par conséquent que la possibilité, introduite par l'Assemblée nationale par voie d'amendement au projet de loi, que des embryons soient créés pour l'évaluation de nouvelles techniques d'AMP était inacceptable et d'ailleurs contraire à l'article 18 de la Convention d'Oviedo, que la France souhaitait pouvoir ratifier dans les meilleurs délais.

Il a également rejeté toute possibilité de clonage thérapeutique, qu'il a qualifié de « porte ouverte au clonage reproductif ». Afin d'empêcher toute tentation de clonage à visée reproductive, il a souhaité la création, dans le code pénal, d'une nouvelle incrimination, baptisée « crime contre la dignité de la personne humaine », qui viserait tant le clonage à but reproductif que les pratiques eugéniques tendant à l'organisation de la sélection des personnes. Cette incrimination ne pourrait être prescrite que trente ans après la majorité de l'enfant cloné et aurait une portée extraterritoriale.

S'agissant de l'agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines (APEGH), M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a proposé de constituer aussi rapidement que possible, mais si nécessaire en deux étapes, une Agence de la biomédecine et des produits de santé comportant cinq départements dédiés respectivement aux médicaments, aux dispositifs médicaux, au sang, aux organes et aux tissus, à l'assistance médicale à la procréation, à la médecine embryonnaire et foetale et à la génétique humaine. Il a précisé qu'une étape intermédiaire à la constitution de cette grande agence pourrait consister à regrouper les activités de l'APEGH et de l'établissement français des greffes (EFG) en une Agence de la biomédecine, la proximité des questions scientifiques et la parenté des questions éthiques traitées par l'une et l'autre lui paraissant légitimer ce rapprochement.

Il a indiqué que le département « AMP et médecine embryonnaire et foetale » assumerait les missions dévolues, en l'état du projet, à l'APEGH, qui seraient redéfinies et précisées. En effet, cette agence ne pouvait être une simple instance de veille et de conseil. Afin qu'elle rende des avis aussi équilibrés que possible, il semblait essentiel qu'elle soit chargée d'évaluer les protocoles de recherche d'un point de vue scientifique et éthique et qu'il lui appartienne de prendre une décision. Ce pouvoir de décision ne devait pas revenir au seul directeur, mais à un collège. Le ministre chargé de la santé et, dans des domaines plus précis, le ministre chargé de la recherche auraient un droit de veto sur les décisions de l'agence et pourraient en outre la saisir pour avis.

Evoquant la brevetabilité d'éléments du corps humain, M. Jean-François Mattei a souligné que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale à l'article 12 bis (« Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, ne peut constituer une invention brevetable »), si elle correspondait parfaitement à ses convictions, ne pourrait toutefois trouver à s'appliquer dès lors qu'elle était directement contraire aux dispositions de l'article 5 de la directive européenne 98-44/CE. Il a considéré que les dispositions de cette directive étaient en elles-mêmes contradictoires et qu'une renégociation du texte s'imposait. Il a estimé qu'il fallait, pour sortir de cette impasse, trouver une formulation juridique qui préserve les principes auxquels la France était attachée tout en constituant une interprétation de la directive acceptable par la Commission européenne. L'objectif était d'empêcher qu'un brevet puisse interdire aux chercheurs de mener des recherches concernant des applications nouvelles sur des molécules, gènes ou autres éléments du corps humain qui seraient déjà couverts par un brevet.

M. Francis Giraud, rapporteur, a rendu hommage à la perspicacité du ministre et a souligné que les propositions que celui-ci venait de formuler étaient équilibrées et sages. Il a rappelé que le projet de loi avait été adopté par l'Assemblée nationale avec un nombre important d'abstentions, mais peu de votes défavorables, et qu'il était, sur des sujets de société aussi délicats, impossible de satisfaire toutes les positions. Il s'est demandé s'il ne serait pas utile de faire référence dans le projet de loi aux cellules souches adultes et de bien préciser la différence entre recherche sur l'embryon et recherche sur les cellules embryonnaires. Il s'est interrogé sur une éventuelle marginalisation de la France d'un point de vue scientifique et économique du fait des positions prises en matière de bioéthique. Intervenant au nom de M. Jean-Louis Lorrain, il s'est interrogé sur les liens entre diagnostic pré-implantatoire (DPI) et injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI).

Après que M. Nicolas About, président, a rappelé que la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes avait souhaité être saisie de ce projet de loi, Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur de cette délégation, a mis l'accent sur l'AMP, qui constitue une problématique particulièrement importante pour les femmes. Elle s'est interrogée sur la pénurie de dons d'ovocytes et sur les possibilité ouvertes par le transfert d'embryons post-mortem. Elle a formulé le souhait d'un accompagnement psychologique des couples recourant à l'AMP. Elle a précisé que la délégation aux droits des femmes procéderait, la semaine suivante, à l'audition d'un certain nombre de personnalités sur ce thème.

M. Jean Chérioux a souligné que le législateur de 1994 avait été confronté à deux problèmes éthiques : celui de la réification de l'embryon et celui de sa disparition. Il a rappelé que l'embryon ne pouvait être conçu que dans le cadre d'un projet parental et qu'il convenait dès lors de lier son sort à celui du projet parental. Il a considéré qu'en cas de disparition du projet parental, il conviendrait à l'avenir de mettre fin automatiquement à la conservation des embryons congelés. Il a estimé que le nombre important d'embryons congelés existants aujourd'hui était suffisant pour créer des lignées et faire face aux besoins éventuels de la recherche.

Après avoir rendu hommage à la clarté de l'exposé du ministre, M. Bernard Cazeau a souligné qu'il avait trouvé M. Jean-François Mattei un peu frileux s'agissant de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Il s'est demandé si l'on pouvait faire abstraction de l'évolution de la recherche internationale en la matière, dans un contexte de forte compétition. Il a estimé que le droit français devait notamment suivre l'évolution du droit international. Evoquant le souhait du ministre de rapprocher les différentes structures existantes en matière de sécurité sanitaire et de santé publique, il a exprimé la crainte que l'on crée ainsi des institutions trop lourdes et pas nécessairement plus efficaces.

M. André Lardeux a fait part de son accord de principe sur la plupart des positions exprimées par le ministre. Il a estimé que le droit ne pouvait s'affranchir de la morale et que la loi devait permettre d'aboutir à une solution qui ne violente pas les convictions de chacun. Il s'est demandé ce que l'on ferait si un citoyen français recourrait au clonage à l'étranger. Il s'est interrogé sur le sort qui devrait être réservé aux embryons surnuméraires que l'on n'utiliserait pas. Il s'est dit opposé au transfert d'embryons post-mortem en soulignant qu'une telle possibilité aboutirait à ce que des couples qui ne rencontraient aucun problème de procréation demandent la création d'embryons, par précaution en quelque sorte, destinés à être implantés en cas de décès de l'homme.

M. Guy Fischer a remercié le ministre pour la clarté et la simplicité de son propos sur un sujet particulièrement complexe. Il a considéré, à cet égard, qu'il était de la responsabilité du politique de faire en sorte que le plus grand nombre de nos concitoyens s'approprient les questions de bioéthique et a souligné le caractère pédagogique des auditions menées par le rapporteur et la commission depuis le printemps 2002. Relevant que le ministre avait proposé des modifications importantes au projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, il a fait observer que le Gouvernement souhaitait encadrer plus strictement l'utilisation des embryons surnuméraires. Il a constaté que le législateur était soumis en la matière à des pressions fortes émanant d'un certain nombre de lobbies. Il a rappelé que l'interdiction d'une brevetabilité du génome, votée par l'Assemblée nationale, résultait d'un amendement présenté par M. Jean-Claude Lefort, adopté à l'unanimité. Il a indiqué qu'il avait cru comprendre que le Gouvernement proposerait de revenir sur cette rédaction.

En préambule à sa réponse aux différents intervenants, M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a constaté que les différents projets de lois relatifs à la bioéthique, en 2002 comme en 1994, auront été discutés à cheval sur deux législatures et par deux majorités différentes. Il a observé que cette répétition soulignait que ces sujets n'étaient pas ou peu traversés par les clivages partisans traditionnels.

Il a précisé, à cet égard, que la reprise du texte déposé par le gouvernement précédent était motivée par le souci de voir la révision des lois bioéthiques aboutir avant la fin de la session 2002-2003.

En réponse à M. Francis Giraud, rapporteur, il a déclaré qu'il ne lui semblait pas utile de mentionner la notion de cellule souche adulte dans la loi, cette dernière devant se borner à fixer les principes sans se transformer en une sorte de précis de médecine ou de biologie, mais il a souhaité que les rapports et les interventions en séance publique puissent insister fortement sur cette question à l'attention notamment du ministère de la recherche.

Concernant les agences relatives à la santé publique, il a confirmé que sa volonté était de ne pas multiplier celles-ci, déjà au nombre de 8, mais, au contraire, de constituer une seule agence rassemblant les structures existantes en charge de préoccupations connexes et situées dans une même démarche éthique.

Il a ensuite précisé que, selon lui, la différence essentielle entre la cellule embryonnaire et l'embryon tenait à ce que la recherche sur la première visait la mise au point de traitement pour l'ensemble de la population, la recherche sur le second devait profiter exclusivement à l'embryon lui-même, celui-ci faisant l'objet de la recherche sur l'embryon en général.

Concernant les difficultés posées par le clonage, il a rappelé que la France avait formulé à l'organisation des Nations unies (ONU) une proposition d'interdiction du clonage reproductif et que les Etats-Unis avaient, pour leur part, proposé un texte visant à interdire l'ensemble du clonage, tant thérapeutique que reproductif.

Il a observé que la position américaine aboutissait, en fait, à retarder l'adoption d'une résolution contre le clonage reproductif et a noté, dans cette démarche, une forme d'hypocrisie, car une déclaration fédérale demeurait sans effet sur les possibilités de recherches dans ce pays. Il a, à cet effet, rappelé que l'université de Stanford avait très récemment fait part de son intention de cloner des cellules souches embryonnaires.

En réponse à M. Jean-Louis Lorrain, dont la question avait été formulée par M. Francis Giraud, rapporteur, M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a rappelé qu'il n'était pas justifié de faire le lien automatique entre le diagnostic pré-implantatoire (DPI) et l'injection cytoplasmique de sperme (ICSI). S'il a admis qu'un risque légèrement plus élevé d'anomalies était constaté chez les enfants issus d'une ICSI, le recours à un diagnostic pré-implantatoire systématique serait en lui-même porteur de dérives eugénistes et d'inégalités, car il tendrait à rendre les fécondations in vitro, sécurisées au moyen du DPI, plus sûres d'un point de vue génétique que les fécondations naturelles qui, elles, ne détectent d'éventuelles anomalies qu'au moyen du diagnostic pré-natal (DPN), moins précis.

En réponse à Mme Sylvie Desmarescaux, il a observé que les dons d'ovocytes présentaient les mêmes difficultés qu'avait initialement entraînées le don de sperme ; il a rappelé qu'afin d'assurer un stock de gamètes dans les banques de sperme, les couples candidats à une insémination artificielle venaient avec un donneur mais que le sperme de ce dernier, pour des raisons d'anonymat, n'était pas utilisé pour la création de l'embryon qui serait in fine implanté audit couple. Il a en outre déclaré que le don d'ovocytes ne pouvait être développé sur grande échelle car il s'agit là d'un prélèvement médical qui n'est pas anodin et qui nécessite au préalable une stimulation hormonale. Il a enfin observé que l'idée même qu'une partie de soi puisse être implantée au sein d'une autre femme demeurait problématique pour beaucoup de donneuses. Il a en conséquence affirmé que l'approvisionnement en ovocytes ne devait en aucun cas reposer sur la loi de l'offre et de la demande.

Bien que se montrant sensible aux arguments allant dans le sens d'un accompagnement psychologique des bénéficiaires de l'AMP, M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a souligné que le risque d'une stigmatisation de ces derniers ne plaidait pas en faveur de cette proposition. En revanche, il s'est déclaré favorable à l'hypothèse d'un amendement introduisant le principe de cet accompagnement lorsque les bénéficiaires d'une AMP, en cas d'échec, devaient faire le deuil de « l'enfant biologique » pour s'orienter vers l'adoption.

Il a ensuite partagé la position de M. Jean Chérioux selon laquelle l'embryon dont l'existence était fondée sur le projet parental devait naturellement disparaître dès lors que ce dernier prenait fin. Il a toutefois déclaré qu'il n'était pas possible de parler de réification du fait de la recherche sur les cellules embryonnaires, ces dernières n'étant pas elles-mêmes des embryons. Fort de ce distinguo, il s'est déclaré convaincu de la possibilité de mener des études strictement encadrées, celles-ci devant être néanmoins accompagnées d'un approfondissement indispensable des recherches alternatives, notamment sur des primates.

En réponse à M. Bernard Cazeau, il a ensuite observé que les cellules souches embryonnaires ne pouvaient être considérées comme une matière première banale.

Il a affirmé que, sur le plan international, la France devait être consciente qu'un accord ne pouvait être trouvé sur tous les points, citant, à ce titre, les divergences sur la définition même de la mort ou sur la légitimité du consentement présumé au prélèvement d'organes post-mortem, mais que sa vocation était de peser de tout son poids dans les discussions internationales.

Concernant la recherche, il a souhaité que notre pays choisisse les créneaux correspondant à ses valeurs ; il a observé, à cet égard, que si les chercheurs français ne seraient sans doute pas en tête de la recherche menée sur les cellules souches embryonnaires, ils pourraient en revanche l'être dans celle exercée sur les cellules souches adultes.

En réponse à M. André Lardeux, il a assuré que le droit ne pouvait s'affranchir de la morale mais que, parfois, les droits moral et civil demeuraient incompatibles ainsi que le rappelait, depuis l'Antiquité, l'opposition entre Antigone et Créon. Il a ensuite constaté que la demande des parents entrés dans une démarche d'AMP visait à obtenir une seule grossesse et que, dans bien des cas, ils se désintéressaient du devenir des embryons surnuméraires. Il a souligné, à ce titre, la nécessité d'améliorer la consultation préalable afin que les parents ne se sentent pas déresponsabilisés.

En réponse à M. Guy Fischer, il a expliqué que la nécessité d'une nouvelle rédaction de l'article 12 bis du projet de loi, qu'il avait lui-même voté à l'Assemblée nationale, était motivée par son caractère antinomique avec l'article 5 de la convention d'Oviedo.