Réunion interparlementaire dans le cadre de l'accompagnement sénatorial de la Présidence française de l'Union européenne

Jeudi 10 juillet 2008


Les grands défis de la protection sociale dans les pays membres de l’Union européenne
The main challenges facing social welfare in the European Union’s member States

 

Réunion de l’après-midi
Thème : santé, assurance maladie

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales du Sénat  ‑ La séance est reprise.

La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale - Tous nos pays sont confrontés à des difficultés similaires qui posent des questions majeures en termes de soutenabilité financière et de solidarité sociale ou d’équité. Une réflexion commune en terme de benchmarking est intéressante et peut s’avérer riche d’enseignements, même si le modèle social unique n’est pas pour demain.

Tout d’abord, quelle progression des dépenses de santé peut être soutenable au regard des perspectives de croissance de l’Union européenne ?

Au cours des quatre dernières décennies, la part du PIB consacrée à la santé a doublé ; la moyenne se situe aujourd’hui à 9 % du PIB. La France est proche des 11 %. Il existe donc une dynamique de progression des dépenses d’assurance maladie, dont l’aspect positif réside dans la prolongation de l’espérance de vie, à hauteur d’un trimestre tous les ans.

Or, l’écart entre le taux de croissance des dépenses totales de santé par rapport à celui du PIB a été en moyenne de 2,3 points dans les pays de l’OCDE. La question de la soutenabilité des dépenses de santé se pose dans tous nos pays, d’autant que nous sommes parfois avec des systèmes fiscaux voisins très concurrentiels en matière d’impôts sur les sociétés ou de « flat tax ».

Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, en France, estime qu’il ne faudrait pas dépasser dans les années à venir un point de plus que l’évolution de la richesse nationale et infléchir légèrement la croissance, tout en considérant que les dépenses de santé constituent aussi un investissement.

Face à ces difficultés, il existe trois stratégies : accroître les ressources, limiter les dépenses par une diminution de la prise en charge ‑ nous sommes en France à 77 % de prise en charge collective, et à 13 % pour les systèmes complémentaires ‑ et améliorer l’efficience des dépenses. Nous pensons qu’il existe des marges de productivité et qu’il nous faut identifier les bonnes pratiques.

Dès lors, comment définir le panier de soins ? Comment favoriser une répartition territoriale plus équitable des professionnels de santé ? Nous voulions prendre des mesures. Les internes, l’an dernier, ont fait grève contre la localisation imposée aux nouveaux médecins. La solution la plus probable est de développer les maisons pluridisciplinaires de santé de façon à éviter la solitude, d’autant que les professions médicales sont de plus en plus féminisées.

Autre point : faut‑il décentraliser les enveloppes de santé pour surmonter le poids des corporatismes nationaux ? Ne sera‑t‑il pas plus facile que telle ou telle région, avec les professionnels, prenne des mesures de responsabilité ? C’est ce que l’on appelle les « enveloppes régionales » ?

Quel bilan tirer des agences d’expertise indépendantes ? Comment renforcer la coordination des soins ?

Par ailleurs, comment les dépenses de santé doivent‑elles être prises en charge par la solidarité et par l’assurance privée ? Je l’ai dit, 77 % des dépenses sont prises en charge par la collectivité depuis quinze ans. Il y a là trois types de systèmes mais nous voulons aider les plus pauvres à subventionner le rachat de complémentaires sans quoi 8 % à 10 % de la population n’ont pas ce type de système. L’idée est de faire prendre en charge une partie de la cotisation par le budget de l’Etat.

En octobre et novembre, le débat sur le PLFSS portera sur la prise en charge des petits risques. Nous sommes déjà à 30 % du PIB redistribué entre vieillesse, santé et prestations sociales. Nous avons aujourd’hui entre la naissance et la mort vingt-quatre prestations sociales différentes. Une inflexion nous paraît nécessaire pour ne pas étouffer le pouvoir d’achat individuel ou la compétitivité des entreprises.

Autre élément essentiel pour répondre à la question du petit risque : devons‑nous aller vers la prise en charge du bouclier sanitaire comme en Belgique et en Allemagne ? Notre problème vient de ce qu’une partie des médecins et des professions médicales ne respectent pas la convention et prennent des suppléments. Le reste à charge est donc par endroits plus important que les chiffres ne l’indiquent. Le débat n’est pas, là non plus, toujours très facile.

Si nous ne pouvons aller vers un modèle social européen, il faut s’en rapprocher progressivement. En ce qui nous concerne, nous restons attachés à la contribution basée sur les revenus comme élément essentiel du dispositif de santé.

Intervention de M. Giuseppe Palumbo (Italie) 

M. Giuseppe Palumbo ‑ En Italie, la Constitution italienne prévoit que la législation de l’Etat doit définir les niveaux essentiels des prestations sanitaires. Les droits civils doivent donc être garantis de la même façon sur tout le territoire national. En matière de santé toutefois, la mise en pratique des principes généraux d’assistance relève de la compétence des régions.

Ceci a bien entendu créé des différences entre le Nord et le Sud, où il existe encore des lacunes entre les structures et l’assistance. Peu à peu, on essaye de se rapprocher. En 2006 a été créé avec les régions un pacte pour la santé. La loi de finances pour 2006 a défini le financement du service sanitaire national. Ce financement doit être modifié tous les ans car la durée de vie est de plus en plus longue. Ceci comporte beaucoup de problèmes d’ordre sanitaire car les problèmes liés aux soins et à la dépendance augmentent.

C’est pourquoi on a créé différentes prestations en matière de droits sociaux. On définit donc les minima et les prestations sociales qui doivent être garantis sur tout le territoire national. Par la suite, les régions peuvent apporter leur contribution ‑ce qu’elles ne font hélas pas très souvent‑ pour augmenter ces minima sociaux. Nous avons créé le fonds national pour les politiques sociales, le fonds pour les politiques de la famille et le fonds pour l’autosuffisance, créé en 2007 et qui sera augmenté en 2008 et 2009.

La dépendance reste un problème. Je m’en occupe depuis 2001 et les coalitions ont toujours été d’accord pour reconnaître les lacunes de la politique d’aide à la dépendance. On n’a jamais pu vraiment quantifier le nombre de personnes dépendantes. Or, si on ne peut connaître ce nombre, on ne peut quantifier les dépenses. Les dépenses sanitaires augmentent année après année. Les structures sont de plus en plus chères, les appareils également.

Nous sommes d’accord avec ce que vous avez suggéré, même si l’organisation des hôpitaux est différente par rapport à la vôtre. En Italie, le système d’assistance sanitaire est quelque peu dépassé. Le médecin de famille crée une sorte de filtre vis‑à‑vis des hôpitaux mais, peu à peu, l’aide des médecins de famille a disparu et le nombre de personnes qui s’adressent aux hôpitaux a augmenté ; ceci a conduit à l’augmentation progressive des dépenses. Il faudrait rétablir le filtre du médecin de famille pour tenter de réduire les dépenses des hôpitaux.

Je suis médecin moi‑même et je me rends compte que le progrès technologique concentre toutes les activités dans certaines structures. Les patients s’adressent tous aux mêmes hôpitaux alors qu’on ne peut tout faire dans tous les hôpitaux. Ceci entraînerait de gros gâchis de ressources et même d’assistance : si l’on fait dix interventions chirurgicales sur une année, on est moins bon que le chirurgien qui en fait mille ! Il faut donc mieux s’organiser.

Une remarque sur la réduction de la natalité et les femmes. Ceci est dû au changement social. Je lisais dans un journal italien que les femmes ont désormais des enfants plutôt vers 40 ans. Ceci entraîne une réduction du nombre des naissances, pour des raisons physiologiques. Il faut donc mettre en place des aides afin que les femmes ne soient pas pénalisées.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale ‑ La régionalisation des dépenses de santé entraîne‑t‑elle des différences de remboursement selon les régions ?

M. Giuseppe Palumbo (Italie) ‑ Non car tout ceci est défini nationalement mais il existe des différences dans l’efficience et l’efficacité. Tous les hôpitaux n’ont pas le même niveau. Il y a des centres d’excellence au Sud, d’autres au Nord mais il y a de grosses différences, avec des listes d’attente très longues. Il faut niveler l’assistance sanitaire qui existe pour tout le monde. Vous avez évoqué l’assistance transfrontalière : beaucoup de gens du Sud vont se faire soigner dans les hôpitaux du Nord mais c’est toujours la région, où ils habitent, qui paye. Les fonds sont donc transférés au Nord. Si on créait des structures au Sud, on n’assisterait pas à cette migration sanitaire à l’intérieur d’un même pays.

Intervention de Mme Camille Dieu (Belgique)

Mme Camille Dieu ‑ En Belgique, tous les salariés sont obligés de payer pour une mutuelle qui couvre les gros risques et ils prennent une assurance complémentaire pour les petits risques. Aujourd’hui, les indépendants, qui n’étaient pas obligés de prendre une assurance complémentaire contre les petits risques sont obligés de le faire.

Les membres de la famille sont couverts par l’assurance du chef de famille. La partie personnelle des frais se nomme « ticket modérateur ». On a inventé un système appelé le « maximum à facturer » pour empêcher d’aller au‑delà d’un certain plafond et limiter le ticket modérateur. Cela remonte à quelques années.

Dans les hôpitaux, le malade ne paye que le tiers‑payant, l’hôpital prenant directement en charge le reste. Nous avons une norme de croissance de 4,5 % par an des soins de santé. Ceci a fait l’objet d’un accord gouvernemental dans le passé et a été reconduit sous ce Gouvernement. On a assainit le secteur des soins de santé par une meilleure gestion, sans diminuer quoi que ce soit. Du coup, on verse le surplus dans un fonds pour l’avenir, le vieillissement de la population induisant à terme une augmentation des soins de santé.

On a créé également le statut « Omnio ». Toute personne en dessous de 312 000 €, majoré de 2500 € par personne à charge, voit ses remboursements majorés depuis le 1er juillet 2007 ; la contribution personnelle peut aller de 0 à 15 % des honoraires au lieu des 25% habituels. Malheureusement, peu de malades sont informés de cette situation et l’on va mener une campagne pour l’expliquer aux patients.

La pilule contraceptive est remboursée jusqu’à 21 ans à raison de 3 € par mois, soit un remboursement total des pilules de première génération.

Le prix de nombreux médicaments a baissé et l’on prescrit de plus en plus de médicaments qui coûtent moins cher ou génériques.

De nouveaux médicaments réellement innovants contre le cancer, le Sida, le diabète sont maintenant remboursés grâce aux marges budgétaires dégagées suite à la diminution du prix de certains anciens médicaments. Ainsi, l’Herceptin, médicament très cher qui sert pour certains cancers du sein, dont le coût de 36 000 € par an, est remboursé aujourd’hui par notre système de santé.

On va de plus en plus, dans les hôpitaux, vers des structures de chambres à deux lits, ce qui est humainement plus supportable. Il est aujourd’hui interdit de demander des suppléments pour une chambre à deux lits alors qu’auparavant les chambres à quatre lits étaient la norme.

Quand un enfant est hospitalisé et qu’un parent souhaite l’accompagner, on ne peut plus demander de suppléments pour l’accompagnement de l’enfant.

Enfin, les soins dentaires sont gratuits jusqu’à l’âge de 15 ans depuis le 1er juillet 2008. On a dégagé 30 millions d’euros pour améliorer le remboursement des maladies chroniques. On rembourse les frais de déplacement des malades cancéreux ou dialysés, en tout cas pour les enfants.

On a créé également le fonds d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux, à la fois un soulagement pour le patient qui ne doit plus démontrer l’erreur médicale mais en même temps pour le prestataire des soins, qui est aussi conforté du fait du soutien qui lui est apporté sans qu’on augmente les primes d’assurance comme c’était le cas avant.

Nous avons également un système assez performant pour les accidents du travail et pour les maladies professionnelles ; des rentes sont allouées avec un soutien assez grand. Nous pensons que personne ne doit être dans l’impossibilité d’accéder aux soins de santé.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale ‑ Où avez‑vous fait des économies dans la gestion pour assurer l’assainissement financier des comptes ?

Mme Camille Dieu (Belgique) ‑ Je demanderai au ministre qu’il vous réponde car je n’étais pas à ce moment‑là en charge de la présidence des affaires sociales. Vous savez que l’on vit dans un pays fédéral et que les choses sont parfois difficiles mais voilà un ministre francophone qui a reçu les applaudissements du Nord à cet égard.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales du Sénat ‑ Le président Méhaignerie évoquait les affections de longue durée, qui sont en France prises en charge à 100 %. Aujourd’hui, cela concerne huit millions de personnes. La progression des dépenses liées aux ALD s’élève à environ 60 % des dépenses de santé cette année. Comment cela se passe‑t‑il chez les uns et les autres ? Avez‑vous des listes d’ALD ? Combien avez‑vous d’affectations reconnues ? Nous en sommes pour notre part à 35 ou 37.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale ‑ Les immigrants clandestins, même en situation illégale, en France, bénéficie de la gratuité des soins médicaux. Nous sommes passés en 5 ans de 50 à 500 millions d’euros de dépenses. Nous recevons énormément de familles dans nos permanences qui veulent faire venir pour un mois ou quinze jours leur parent ; dès lors que celui‑ci est en France et qu’il est malade, il ne peut plus être expulsé. Il y a là des problèmes à la fois humains et financiers redoutables en ce domaine. Existe‑t‑il des situations identiques dans d’autres pays ?

Intervention de M. Gérald Weiss (Allemagne

M. Gérald Weiss ‑ En Allemagne, c’est le second secteur des dépenses de maladie, qui s’élèvent à 140 milliards d’euros. Dans l’ensemble, 230 milliards d’euros sont dépensés dans le domaine sanitaire, soit 11 % de notre PIB et les problèmes de fond sont comparables à ceux des autres pays européens, marqués par une augmentation importante des coûts et des tentatives pour les endiguer.

Nous voulons éviter une augmentation des cotisations, cette assurance sociale étant financée de manière paritaire, bien que l’employé assume maintenant certains risques seul. Pendant six semaines, en cas d’arrêt maladie, il touche son salaire ; au‑delà, si la maladie perdure, il touche un salaire de remplacement de l’assurance maladie. C’est un risque que court l’employé.

La même chose vaut pour les soins dentaires qui sont de l’ordre de 14% à 15 % ; l’augmentation montre qu’il existe un risque d’augmentation des coûts secondaires du salaire. Le travail devient donc plus cher pour le patronat ; d’autre part, il s’ensuit une diminution du salaire net de l’employé. Nous essayons toujours d’endiguer les dépenses ou de les stabiliser et d’élargir la compétitivité du système.

Aujourd’hui, il n’existe pas de conditions équitables de compétition entre les caisses maladie. Les caisses contribuent à l’assurance massive et ont une grande part d’ALD et de seniors ; elles doivent donc dépenser beaucoup d’argent. Les jeunes qui gagnent mieux leur vie cherchent des caisses moins chères. Cette compétition entre les caisses est d’une certaine façon dénaturée et tourne à la compétition pour attirer les jeunes en bonne santé qui gagnent bien leur vie.

D’autres caisses poursuivaient le même objectif. C’est pourquoi nous avons planifié et voté une restructuration qui entrera en vigueur l’année prochaine. Nous essayons d’assurer cette compétition entre les caisses de manière équitable en matière de cotisations. Celles‑ci sont gérées par un fonds sanitaire qui paye la même somme à chaque assuré. Cela met un terme à la compétition destinée à attirer les jeunes. L’heure de la vérité arrivera pour les caisses d’assurance maladie qui gèrent bien leurs affaires et qui entrent dans cette compétition équitable avec leurs ressources.

Pour ce qui est des remboursements, il y a donc des restitutions d’argent aux assurés lorsque les caisses sont excédentaires ; celles qui en ont moins peuvent demander un surplus pour compenser les manques.

La compétition devient alors transparente ; je crois que nous avons posé les bons jalons. Ceci s’accompagne par une compensation de mobilité. Les caisses qui ont une grande part d’ALD ou de maladies chroniques ‑50% à 60 %‑ bénéficient d’une compensation.

Nous avons également un système de participation aux frais mais cela se limite à 2 % maximum lorsqu’on additionne des impayés et à 1 % pour les maladies chroniques.

Nous avons réalisé une restructuration pour ce qui est des remboursements aux hôpitaux ; à partir de l’année prochaine, nous aurons un système de dépenses fixes selon la maladie et indépendamment selon la durée d’hospitalisation des malades. Nous pouvons déjà constater que les coûts ont pu être réduits.

La rémunération des médecins est également réorganisée. Les prestations des médecins qui ont leur propre cabinet sont rémunérées.

Vous avez posé la question des immigrants clandestins. Lorsqu’ils arrivent dans notre pays, ils bénéficient de soins et si personne ne peut assumer ce coût, c’est l’aide sociale qui paye.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale ‑ Que faire pour la restructuration de petits hôpitaux ?

Intervention de Mme Anne‑Lene Hansen (Danemark) 

Mme Anne‑Lene Hansen ‑ Nous ne disposons pas de liste de maladies donnant droit à un remboursement à 100 %. Au Danemark, tout résident est couvert par le système de santé public qui donne droit à une hospitalisation et à un traitement gratuit. Cette aide est fournie quel que soit l’état de santé, l’âge, les revenus et la nationalité.

Le débat au Danemark porte actuellement sur la question de savoir pourquoi tant de gens ressentent le besoin d’avoir recours à des assurances privées alors que nous avons tous un droit aux traitements et aux soins gratuits.

Les employeurs ont tendance à offrir à leurs employés un système d’assurance privée ; près d’un millions de Danois y ont actuellement recours. Nous considérons cela comme une menace pour notre système de santé financé publiquement. En effet, nous craignons d’arriver à la situation que l’on observe aux Etats‑Unis. J’espère que nous n’en arriverons jamais là en Europe.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales du Sénat ‑ Quel montant de cotisations assure le traitement gratuit pour tous ?

Mme Anne‑Lene Hansen (Danemark) ‑ Le système privé mis à la disposition des employés est conçu de façon à ce que ce soit gratuit. C’est un avantage en nature offert à la place d’une augmentation de salaire.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale ‑ Si le système est gratuit, pourquoi les gens vont‑ils vers des financements privés ?

Mme Anne‑Lene Hansen (Danemark) ‑ C’est précisément la question que se posent les hommes et les femmes politiques danois. La réponse, à mon sens, est qu’il y a un manque croissant de confiance envers le système. Nous manquons de professionnels, de médecins, d’infirmières et ce manque a engendré de longues listes d’attente dans le système public. Un système privé s’est donc créé en parallèle. Il est très largement financé par le Gouvernement.

 Le système privé n’offre pas les mêmes opérations ; il ne réalise que des opérations banales et ne prend pas en charge les cas extrêmes. Vous pouvez aller dans un hôpital privé et être soigné dès demain si vous avez les moyens de payer ou si vous bénéficier de l’assurance correspondante. Si en revanche vous voulez être soigné dans le système public, il est possible que l’on vous fasse attendre trois mois car il y a une pénurie de professionnels de santé.

Intervention de Mme Helena Rivière (Suède) 

Mme Helena Rivière ‑ En Suède, on a la durée de congé maladie la plus longue du monde. C’est un paradoxe puisqu’on a aussi une population qui est plus saine que jamais.

Il y a quelque chose qui ne s’explique pas là‑dedans. Toutes les maladies bénéficient d’une prolongation de durée importante. Une cheville foulée engendre un congé maladie trois fois plus long qu’il y a quinze ans.

On a 200 000 personnes en congé de maladie de longue durée, en plus des 500.000 en préretraite. 45 % du budget de l’Etat vont aux assurances sociales qui couvrent aussi les allocations familiales, les allocations pour handicapés, etc.

Le grand défi du Gouvernement a été de remettre au travail le plus grand nombre possible de personnes qui n’étaient plus dans le système. Ceci a été difficile. Les Suédois se sont en effet adaptés à cet Etat providence et ont pris l’habitude d’utiliser l’assurance maladie pour résoudre des problèmes sociaux. Ainsi, dans les régions reculées, ceux qui ne disposaient pas de la formation minimale se sont tournés vers l’assurance maladie pour vivre.

Nous venons de faire adopter la plus grande réforme de l’assurance maladie des quinze dernières années. Elle met un terme aux congés maladie pour une durée d’un an ; elle établit également des contrôles fixes durant cette première année. Durant les trois premiers mois, on mettra en œuvre tout l’arsenal possible en faveur de la réhabilitation. Ces période est cruciale car 90 % des cas recouvrent la santé au bout de trois mois. Les gens qui utilisent la maladie comme solution à l’absence de travail perdent facilement le contact avec le marché du travail.

Au bout de six mois, si la reprise du travail n’est pas possible ou si l’employeur ne peut offrir une autre activité dans le même endroit, les personnes seront prises en charge par l’assurance chômage et seront obligées de chercher du travail. Il existe toutefois des exceptions qui permettront de prolonger le congé maladie.

On espère ainsi réduire le nombre de personnes qui deviennent inaptes au travail.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale ‑ La question de la perte de contact avec le marché du travail que vous soulevez, nous la connaissons aussi. Nous avons un douloureux problème : un système de financement du chômage qui n’a pas de dégressivité pendant 23 mois ‑ un certain nombre de personnes attendent le vingt-et-unième mois pour redémarrer un emploi ‑ et un RMI autour de 700 € pour un célibataire avec les avantages connexes. Nous allons le transformer en RSA pour pousser au retour au travail.

Dans le même temps, nous avons 450 000 offres d’emploi non satisfaites. Le curseur reste placé sur la solidarité mais doit être orienté vers la responsabilité individuelle.

Intervention de M. Zsolt Torok (Hongrie) 

M. Zsolt Torok ‑ En Hongrie, les sociétés payent 29 % et les employés 4 %. Nous n’avons qu’un système d’assurance de l’Etat mais cela signifie que tous les employeurs et les groupes de population qui ne travaillent pas, comme les retraités et les jeunes, ont accès à un système de soins gratuit.

Un référendum a eu lieu et nous avons dû mettre un terme à un système de réformes envisagé.

Enfin, en Hongrie, il n’existe pas de système de remboursement car le système d’assurance verse directement les sommes correspondantes aux professionnels de santé ou aux institutions ‑hôpitaux, etc.

Le système de contrôle est extrêmement strict car, dans le passé, beaucoup de gens fraudaient et ne versaient pas leur contribution. A l’issue de ce nouveau système de contrôle, 300 000 personnes sont revenues dans le système de santé étatique, soit 10 % de la population active.

En outre, après la transition, le système d’assurance étatique a perduré. Il n’y a pas de co‑paiement. Il s’agit vraiment d’un système d’assurance pur.

Intervention de M. Juha Rehula (Finlande) 

M. Juha Rehula ‑ Nos problèmes sont les mêmes que ceux rencontrés par nos voisins scandinaves. Nous autres, hommes et femmes politiques, faisons confiance à notre système. C’est un système onéreux mais relativement peu cher compte tenu des services fournis.

Nous tentons de réformer notre organisation. Des réformes du secteur public sont en cours ; nous essayons de modifier notamment l’organisation administrative.

Cela étant, il s’agit de voir comment faire de la prévention. Nous prenons tous des décisions conscientes ou inconscientes pour cela. Certaines décisions concernent des facteurs structurels. Ce n’est donc pas nécessairement quelque chose qui tient à la santé. Ce sont des questions plus larges. Je pense en particulier aux conditions de travail, notamment dans l’industrie ou concernant les personnes âgées. Comment protéger leur santé ? C’est quelque chose d’important.

Une des questions les plus importantes aujourd’hui quant aux problèmes de santé en Finlande est l’alcool. A l’échelle de l’Union européenne, l’alcool est traité par le biais de la filière agricole mais, en Finlande ou dans les pays nordiques, l’alcool, traditionnellement, est souvent traité par le biais des politiques sociales ou de santé. C’est donc une approche différente.

Nous nous interrogeons plusieurs fois par an pour savoir comment réduire la consommation d’alcool. C’est l’un des plus grands problèmes actuels en termes de santé. En France, l’alcool est plus accessible et moins cher qu’en Finlande mais nous avons une législation particulière parce que l’alcool est quelque chose de particulier.

Le Gouvernement favorise une approche globale de ce problème et de celui de la santé. Ce fut le cas l’année dernière. Nous tenons d’organiser une coopération avec d’autres secteurs car la santé touche de nombreux domaines.

Comment lutter contre les inégalités sans perdre sur le plan de la compétitivité économique vis‑à‑vis de l’Asie, la Chine, les Etats‑Unis ? Nous sommes convaincus qu’une réelle égalité des chances pour tous réside dans une société plus sûre et qui a devant elle de meilleurs potentiels de croissance.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale ‑ Dans tous les pays, il y a un équilibre entre compétitivité, revenus individuels et revenus socialisés. C’est cet équilibre qu’il serait intéressant d’approfondir entre les différentes délégations.

Intervention de M. Stef Blok (Pays Bas) 

M. Stef Blok ‑ Je ne crois pas que la Hollande est experte en matière de politiques de retour à l’emploi. Le chômage est très bas, à hauteur de 4 %. On peut donc discuter pour savoir s’il est utile de faire beaucoup plus pour réduire ce taux.

Notre système d’assurance maladie, qui est très particulier, fonctionne bien selon moi. L’assurance maladie est entre les mains d’entreprises privées qui se font concurrence sur les prix. Ce sont les entreprises d’assurances qui négocient avec les hôpitaux et les médecins le prix de leur travail. Cela fonctionne assez bien.

Les entreprises privées sont obligées d’accepter toutes les personnes. L’employé moyen paye 100 euros par mois et l’employeur 150 euros, beaucoup moins cher que l’assurance publique.

Quant aux immigrés clandestins, les hôpitaux sont obligés de les accueillir mais ils ne perçoivent pas de remboursement. Cela fonctionne. Si le cas est vraiment important, les médecins le traitent mais si ce n’est pas le cas, on leur conseille de retourner dans leur pays.

Intervention de M. Edwin Vassallo (Malte) 

M. Edwin Vassallo ‑ Nous avons pour ainsi dire tous les mêmes problèmes. Nous parlons me semble‑t‑il ici de la valeur de la solidarité en Europe.

Nos concitoyens accepteront une Europe qui leur rendra les bons services dans chaque pays. Tant que le Gouvernement convient à nos concitoyens, l’Europe leur convient.

A Malte, on forme gratuitement les médecins. Une fois formés, ils partent ailleurs en Europe, là où les salaires sont meilleurs. On se retrouve avec un hôpital flambant neuf mais sans médecins !

Nos concitoyens sont mieux placés que les Américains : aux Etats‑Unis, c’est le problème inverse : la gratuité des soins médicaux fait défaut alors qu’en Europe, il existe toujours un Etat qui repose sur la notion de solidarité, un Etat providence qui fournit gratuitement s’il faut une assurance santé.

Le problème que cela pose est considérable. Si le coût des soins augmente, les gens vont se tourner vers les assurances privées et cette valeur de solidarité sera sapée en Europe, tant et si bien qu’un jour, même si un Gouvernement veut financer une assurance santé, il ne trouve plus personne en face, les gens recherchant ailleurs une qualité supérieure. Les Gouvernements seront alors coincés, après avoir créé eux-mêmes cette situation !

Si nos concitoyens ne reçoivent pas le service auquel ils sont convaincus d’avoir droit de la part de leur Gouvernement, c’est toute l’Europe qui pourrait être en danger. Dès lors que quelque chose ne plait pas aux citoyens, c’est toute la notion d’Europe qui est contestée et battue en brèche.

La solidarité a un coût : jusqu’à quel point acceptons‑nous le besoin de financement du social ? Si on continue d’accorder à nos concitoyens droits après droits, ceux‑ci feront naître de nouvelles revendications sociales.

Il me semble que nous ferions bien de relancer notre réflexion car il y a là une réelle difficulté.

Intervention de M. Boris Sustarsic (Slovénie) 

M. Boris Sustarsic ‑ Le système d’assurance slovène est fondé sur la notion de solidarité. Cela continue de fonctionner apparemment mais nous voyons qu’il y a les mêmes lacunes que celles évoquées pour le Danemark, avec notamment une pénurie de médecins.

J’aimerais que la Slovénie conserve son système étatique. Je ne vois pas l’avantage qu’il y aurait à changer notre fusil d’épaule. Des problèmes demeurent malgré tout concernant les médicaments, les dispositifs médicaux. Un ami médecin me dit toujours qu’il comprend mal que les Slovènes soient en si bonne santé en dépit de la quantité industrielle de comprimés qu’ils consomment ! Manifestement, il y a là quelque chose qui ne va pas.

Intervention de Mme Anne‑Lene Hansen (Danemark) 

Mme Anne‑Lene Hansen ‑ Je suis tout à fait d’accord avec ce que nos amis de Malte et de Slovénie viennent de dire.

Ces assurances privées, pour moi, constituent la plus grave des menaces qui pèsent sur l’Etat providence au Danemark car le système libre et gratuit est la fondation même de notre système d’assistance sociale. Si la philosophie américaine devait l’emporter, ce serait la fin du modèle social scandinave.

Il ne faut pas que nous permettions aux médecins dont nous avons financé la formation, de pantoufler dans le privé tout en assurant 30‑35 heures dans le public. Les heures de travail dans le privé leur appartiennent mais ils auraient pu aussi bien utiliser ce temps à l’hôpital public ! Je pense qu’il faudrait qu’ils donnent gratuitement cinq années de leur temps au secteur public en contrepartie de la formation gratuite qu’ils ont reçue.

Intervention de M. Tiziano Treu (Italie) 

M. Tiziano Treu ‑ Il est important de relier les sujets évoqués ce matin avec ceux de cet après‑midi. Politique du travail et politique de santé doivent être intégrées. Nous n’avons qu’un seul ministère pour traiter les deux sujets.

Pour ce qui concerne la maladie et l’invalidité, nous retrouvons de nombreux aspects de problèmes sociaux. Lorsqu’on mène des politiques de travail actives, on permet parfois également de résoudre des problèmes dans le secteur sanitaire.

Dans le Sud de l’Italie, le nombre des pensions d’invalidité est double par rapport au Nord. Ce n’est pas parce qu’ils sont plus fragiles dans le Sud mais parce que l’invalidité remplace d’autres mesures d’aide au travail !

Si nous avons une bonne prévention et un bon contrôle épidémiologique, on peut réduire certains phénomènes de maladies professionnelles. En Italie, nous avons eu, comme partout, une explosion des maladies dues à l’amiante : 800 000 cas ! Les deux politiques doivent donc être coordonnées.

Seconde remarque : la dépense augmente partout. Certains pays entendent faire mieux contrôler les dépenses « inutiles » par les médecins. Nous avons chez nous des dizaines de milliers d’examens inutiles. Il faut donc que les généralistes exercent un filtre.

En second lieu, nous avons défini des normes de coût pour les régions. Nous avons un système universel en Italie mais l’Etat a passé des accords avec les régions et on a défini des coûts standards pour certains actes. Ceux qui les dépassent doivent se voir imposer un ticket modérateur ou être plus efficients.

Je pense qu’il faudrait avoir un mélange entre le système sanitaire public et le privé. En Italie, la population est en grande partie couverte par le système sanitaire public mais nous assistons à la naissance de mutuelles ou de systèmes privés, un peu comme avec les retraites. La mutuelle ne remplace pas bien sûr l’assistance sanitaire publique nationale mais un meilleur « mix » entre les deux ‑20 % des coûts sont remboursés par les mutuelles‑ pourrait nous aider.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale ‑ Nous avons le même phénomène en France. Un chirurgien du secteur public me disait ce matin que la tentation était que le secteur privé se développe au détriment du public mais il existe aussi d’autres explications : rigidités administratives, délais, problèmes relationnels expliquent que la flexibilité, la rapidité d’action, la possibilité d’être immédiatement admis soient plus fortes dans le privé.

On ressent aujourd’hui un déplacement assez important en France du public vers le privé en ce domaine.

(La séance est suspendue quelques instants).

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales du Sénat ‑ La séance est reprise.

La parole est à Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports ‑ Mesdames les Présidentes de Commissions, Messieurs les Président de Commissions, Mesdames, Messieurs, la présidence française du Conseil de l’Union européenne est entrée en fonction il y a dix jours maintenant.

Le mois dernier, l’Irlande votait « non » à la ratification du traité de Lisbonne.

C’est à ce moment charnière, dans un contexte porteur de grands espoirs mais aussi de grandes interrogations, que vous avez souhaité m’entendre sur les priorités et les actions de mon ministère, lors de la présidence française.

Votre invitation tombe à point nommé. Je tiens à vous remercier les présidents About et Méhaignerie, pour l’occasion que vous me donnez.

Le Président de la République, Nicolas Sarkozy, veut promouvoir une Europe du concret, une Europe qui sache se faire entendre, se faire connaître et reconnaître par ses concitoyens. Les priorités du Président portent sur des domaines où la plus‑value d’une action européenne s’impose comme une évidence, où il s’agit de gagner un surcroît de force et d’efficacité au service de causes qui nous concernent tous.

Ces priorités, vous les connaissez. Je les rappelle à grands traits. La France veut ainsi jeter les fondements d’une véritable Europe de la défense, lancer le Pacte européen sur l’immigration pour faire face de manière concertée à la gestion des flux migratoires, négocier un paquet « énergie‑climat » pour répondre à la crise pétrolière et au dérèglements climatiques, préparer l’avenir de la politique agricole commune au moment où le cours des denrées s’envole et où les pays en voie de développement sont confrontés à des émeutes de la faim.

Toutes ces priorités ont des impacts sur les politiques sociales.  

Tous les ministères travaillent depuis un an à cette présidence. La réflexion, les initiatives et les projets du Gouvernement français se déploieront selon trois temporalités.

La première est législative. Nous serons les héritiers de travaux engagés par d’autres avant nous, que ce soit la Commission européenne ou les présidences antérieures. Le système communautaire est ainsi fait que nous allons porter des décisions conçues par d’autres. Les Etats qui succéderont à la France auront la responsabilité, après nous, de mettre en place les résolutions issues de nos priorités. Cette fluidité est la marque de notre œuvre commune.

La deuxième temporalité est institutionnelle. La France a élaboré un programme pour dix-huit mois, en accord avec les deux pays qui lui succéderont : la République tchèque et la Suède.

Nous ne serons donc pas seuls à la manœuvre. Cet exercice garantit en revanche une vraie continuité des travaux. Cette partition jouée à trois voix préfigure ainsi la présidence permanente et stable du Conseil de l’Union que nous verrons, je l’espère, naître un jour.

La troisième et dernière temporalité est politique. Nos priorités doivent tenir compte des attentes de nombreux acteurs : parlementaires européens, parlementaires nationaux, membres de la Commission européenne, partenaires sociaux, monde de l’entreprise et bien évidemment société civile. Tous doivent pouvoir être associés au débat communautaire.

Les Irlandais ont voté « non » au Traité de Lisbonne. C’est un choix que je regrette mais les faits sont têtus.

Nous ne devons pas feindre d’ignorer cette crise, ni ignorer la défiance qui, à plusieurs reprises, et notamment en France en mai 2005, s’est exprimée face au projet européen.

Nous ne convaincrons pas les peuples uniquement en nous contentant de monter le volume, au moment d’entonner nos professions de foi européennes.

Il ne s’agit pas de parler plus fort. Il faut parler autrement de l’Europe. Il nous faut désormais prouver, par des actes et dans les faits, que seule l’Europe peut apporter des solutions efficaces et concrètes aux préoccupations des Européens.

Les priorités politiques de la France visent donc à relancer l’adhésion de nos concitoyens au projet européen.

Le traité de Lisbonne comporte des innovations institutionnelles importantes pour la santé.

Je pense notamment à la nouvelle rédaction de l’article 152, qui permet de mieux coordonner la gestion européenne de la sécurité sanitaire. Celle‑ci dépend pour l’instant d’un cadre juridique lâche, qui ne concerne que la santé animale.

L’Union européenne, aujourd’hui, est bien armée face aux épizooties. Elle doit pouvoir réagir demain avec la même efficacité face à une crise qui concerne la santé humaine.

La santé est, par excellence, le domaine où les Etats demeurent libres de définir et de financer leur offre de soins et de planifier leur gestion des risques mais il est nécessaire de mieux coordonner nos systèmes de santé, parfois bousculés par le fonctionnement d’un grand marché intérieur qui ne tient pas assez compte de certains impératifs de santé publique.

Le traité de Lisbonne prévoit ainsi de mettre en place la « méthode ouverte de coordination » en santé, bâtie sur le modèle éprouvé dans le secteur « Emploi ». Vous le savez, cette méthode a permis d’accomplir un travail de pédagogie remarquable ces dernières années : nous lui devons par exemple la diffusion du modèle scandinave de « flexsécurité ».

Si aujourd’hui, l’avenir du traité de Lisbonne reste incertain, nous devons cependant continuer à avancer.

La santé en Europe a, en effet, tout à attendre des innovations qu’il comporte.

Les objectifs de la présidence française sont ambitieux. Le futur trio présidentiel ‑France, République Tchèque et Suède‑ a arrêté cinq axes de travail pour les dix-huit mois à venir :

‑ améliorer la sécurité sanitaire ;

‑ vieillir en bonne santé ;

‑ concrétiser l’Europe de la santé au service des patients et de leurs familles ;

‑ agir sur les déterminants de santé ;

‑ faire progresser les dossiers relatifs aux médicaments.

La présidence française va être particulièrement active sur les trois premières.

Premier point : améliorer la sécurité sanitaire. Notre objectif est d’évaluer le degré de préparation des Etats face à une crise de grande ampleur, et de mesurer ainsi notre fragilité collective potentielle.

Je suis convaincue qu’à terme, il nous faudra mettre au point les outils nécessaires à une meilleure coordination de la gestion des risques sanitaires au sein de l’Union européenne.

Les efforts accomplis dans le domaine de la préparation à une pandémie grippale fourniront le point de départ de cette réflexion que je souhaite particulièrement fructueuse.

Le second volet de cette priorité sera l’engagement des réformes du Comité de sécurité Sanitaire et du Centre de contrôle des maladies, réformes prévues en 2009.

Les 8 et 9 septembre prochains, je tiendrai une réunion informelle des ministres à Angers, sur le thème de « la gestion des risques sanitaires de grande ampleur », réunion qui sera précédée d’un séminaire d’experts sur la grippe.

Deuxième point : vieillir en bonne santé. Les défis politiques, économiques et sociaux que représentent le vieillissement et la gestion de la dépendance en Europe sont immenses.

Tous les ministres de la santé européens rencontrés au cours de mes déplacements de préparation de notre présidence européenne m’ont fait par de leurs très grandes préoccupations face à l’évolution des maladies dégénératives et du défi qu’elles représentent pour la société.

Nous aborderons cette priorité « vieillissement et dépendance » en particulier sous l’angle de la lutte contre la maladie d’Alzheimer. C’est une priorité nationale du Président de la République en France et ce choix s’est imposé comme une évidence tant notre réflexion a avancé depuis la publication du rapport Ménard, l’année dernière.

J’organiserai une grande conférence ministérielle autour de la maladie d’Alzheimer les 30 et 31 octobre 2008 à Paris.

Ce rendez‑vous, qui réunira politiques et experts, nous permettra d’établir les modalités d’une action européenne, en termes de financement de la recherche, d’établissement de lignes directrices dans le domaine des soins et de l’accompagnement social. Nous réfléchirons également à la soutenabilité financière des systèmes nationaux, ainsi qu’à l’évolution des métiers et compétences des aidants.

Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso et le président en exercice de l’Union, Nicolas Sarkozy, ont annoncé le 1er juillet à Paris que nous devrions tendre vers la préparation d’un plan européen de lutte contre la maladie d’Alzheimer.

Cette perspective sera débattue lors du conseil des ministres de la santé les 15 et 16 décembre prochain à Bruxelles.

Troisième axe : concrétiser l’Europe de la santé au service des patients et de leurs familles.

Ce thème très large répond à des attentes concrètes des citoyens européens. Il regroupe plusieurs projets législatifs et non législatifs initiés par la Commission européenne. Je pense en particulier à un important projet de directive sur les droits des patients et les soins de santé transfrontaliers que la Commissaire européenne Androulla Vassiliou a présenté dans le cadre de l’agenda social rénové adopté par le collège des Commissaires européens le 2 juillet dernier.

Dans cette perspective, nous organisons une conférence ministérielle sur le thème de « l’Europe de la santé au service des patients » les 13 et 14 octobre prochains à l’institut Pasteur de Paris.

Nous pourrons également traiter d’une communication sur les maladies rares. Notre pays est en pointe sur ces sujets. Il existe un plan « maladies rares » qui doit s’achever cette année et que j’évalue pour en lancer un nouveau.

 Les dons d’organes feront également l’objet de nombreux échanges avec nos partenaires européens, qui se concrétiseront par un projet de directive ou un plan d’action.

De grandes avancées sont également en préparation dans les domaines de la sécurité des patients, de la lutte contre les maladies nosocomiales ou de la résistance aux antibiotiques. Cette question essentielle fera l’objet de plusieurs réunions d’experts, dont une organisée par l’Institut national de veille sanitaire.

Quatrième point : agir sur les déterminants de santé.

Alcool et tabac viennent au premier rang des déterminants « comportementaux ». La lutte contre la consommation d’alcool, notamment chez les jeunes, sera une priorité de la Suède.

La France, qui a récemment imposé l’interdiction de fumer dans tous les lieux publics, coordonnera les positions des pays de l’UE dans le cadre des travaux liés à la Convention internationale de lutte contre le tabagisme qui se dérouleront à Durban, en Afrique du Sud. Le tabac sera également le sujet principal de discussion de la réunion des directeurs de la santé, le 2 octobre prochain.

Enfin, cinquième et dernier point : faire progresser les dossiers relatifs aux médicaments.

Nous attendons avec intérêt les initiatives du Commissaire Verheugen prévues pour le mois de novembre et qui pourraient prendre la forme d’un paquet « médicaments ».  Il y a sur cette notion un assez grand consensus.

La Commission européenne prépare ainsi des initiatives dans les domaines de la pharmacovigilance et de l’information des patients. Elle s’attellera également à la révision de la législation relative aux modifications d’autorisations de mise sur le marché afin d’étendre aux AMM nationales le modèle existant pour les procédures communautaires et de simplifier la gestion administrative des dossiers.

La Commission prépare également une communication sur l’avenir des produits pharmaceutiques et une initiative dans le domaine de la lutte contre la contrefaçon à laquelle je tiens particulièrement.

La France est fière d’être l’un des rares pays préservé de la pénétration de contrefaçons médicamenteuses, en‑dehors des voies illégales.

Bien des pays dans le monde et en Europe même ont connu ou connaissent les drames auxquels peut conduire la moindre brèche dans le système de sécurisation du circuit du médicament.

Dans les meilleurs des cas, les patients ne sont pas soignés par les produits neutres contenus dans les comprimés contrefaits. D’autres substances, en revanche, peuvent se révéler toxiques. La morbidité et la mortalité liées à la contrefaçon sont d’autant plus significatives que ces faux produits peuvent être largement diffusés.

Sans vouloir poser notre pays en modèle, je veux que nous puissions réfléchir aux enjeux de la sécurisation du circuit du médicament, ainsi qu’aux conséquences de failles éventuelles dans nos organisations respectives. Notre vigilance ne peut être prise en défaut. Les services de mon ministère travaillent ainsi actuellement à garantir l’inviolabilité des boîtes de médicaments présentées à l’avant des comptoirs dans les pharmacies.

Les médicaments ne peuvent être considérés comme des biens ordinaires que l’on peut se procurer entre deux boîtes de conserve. Une chaîne de distribution non spécifique peut devenir un point d’entrée potentiel pour les médicaments contrefaits.

La récupération de médicaments non utilisés pour les pays en voie de développement peut également présenter des risques de progression de la contrefaçon.

A ma demande, le Forum pharmaceutique du 2 octobre prochain à Bruxelles réunira les vingt-sept ministres de la santé sur le thème de la lutte contre la contrefaçon.

L’Europe de la santé est depuis longtemps une réalité pratique. Les patients, les médicaments, les professionnels de santé circulent librement en Europe. Les capitaux aussi, qui s’investissent de plus en plus souvent au‑delà de leurs frontières d’origine.

Si l’Europe de la santé a une réalité pratique, elle manque toutefois de contenu stable et de contours juridiques, d’une armature souple et solide qui lui permette d’assurer à tous les ressortissants de l’Union européenne les mêmes garanties de santé publique.

Dans ce domaine, rien n’est écrit d’avance. L’actualité politique récente vient de le démontrer.

Si la crise de confiance que traverse l’Europe aujourd’hui nous incite à remettre en question certaines de nos certitudes, elle nous invite à nous investir plus fortement, plus énergiquement dans la construction d’une santé commune pour tous les Européens.

Je compte beaucoup sur les parlements nationaux pour faire vivre ce débat en communication et en harmonie et partenariat avec les parlementaires nationaux européens et les Conseils des ministres de la santé.

Je suis à votre disposition pour en débattre. Je vous remercie.

Intervention de M. Stef Blok (Pays Bas) 

M. Stef Blok ‑ Votre second axe, si j’ai bien compris, est de vieillir en bonne santé. Chacun espère vieillir en bonne santé mais quel sera le rôle de la communauté européenne ? On a là des systèmes nationaux très différents.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports ‑ Effectivement.

Je le vois sous deux angles. L’échange des bonnes pratiques est très important. La simple définition de la maladie d’Alzheimer ‑est‑ce une maladie ou un phénomène irréversible de dépendance ?‑ revêt bien des aspects en Europe, avec des visions très sanitaires et des visions très médico‑sociales qui n’amènent évidemment pas la même prise en charge.

Toutefois, on voit bien, à travers la prise en charge de cette maladie que nous sommes confrontés à des prises en charge multifactorielles. On passe du sanitaire à la prise en charge dans un service de gériatrie dans un hôpital, à une maison de retraite, puis à un passage en famille. Toutes les expériences sont intéressantes et peuvent approfondir les politiques nationales.

Le deuxième, c’est évidemment la recherche et la constitution d’un réseau d’excellence dans ce domaine. Nous en sommes au balbutiement de la recherche parce que la vision médico‑sociale l’ayant emporté sur la vision sanitaire, on a été durant de nombreuses années les bras ballants face à ces maladies en les considérant comme une fatalité à prendre en charge.

On voit bien, à travers la maladie d’Alzheimer, qu’il s’agit d’une maladie. Ce n’est pas pour rien qu’il existe 8000 malades, en France, âgés de moins de 60 ans. Cette réalité débouche sur des champs considérables dans le domaine de la recherche. C’est pourquoi je veux créer dans mon pays un centre d’expertise sur la maladie chez des sujets encore relativement jeunes.

Je veux savoir ce que donnent les recherches dans d’autres pays : Berlin a un centre de recherches très intéressant. Je veux que l’on puisse échanger avec lui.

Echanges de bonnes pratiques, échanges de recherches, constitution de réseaux d’excellence, voilà la valeur ajoutée de l’Europe en ce domaine.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales du Sénat ‑ Ce sera notre conclusion de la journée.

Cette première rencontre entre les présidents des commissions en charge des affaires sociales est importante. Tout ce dont nous avons parlé doit nous donner l’occasion de nous revoir souvent car nous devons avancer ensemble. Nous ne pourrons plus penser régler individuellement ces dossiers. La solution devra peu à peu s’imposer à tous. Si les uns ont les bonnes solutions plus rapidement que d’autres, nous aurons à cœur de les mettre aussi en pratique !

La séance est levée à 16 heures 20.