AFFAIRES SOCIALES
Table des matières
- Mardi 29 juin 1999
- Mercredi 30 juin 1999
- Application des lois - Loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail - Communication
- Mission d'information - Etat sanitaire et social de la Guyane - Désignation des membres
- Mission d'information - Organisation des systèmes de soins et évolution des dépenses de santé en Espagne - Désignation des membres
- Nomination de rapporteur
- Lutte contre la drogue et la toxicomanie - Audition de Mme Nicole Maestracci, présidente de la mission interministérielle de la lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT)
Mardi 29 juin 1999
- Présidence de M. Jean Delaneau, président -
Sécurité sociale - Création d'une couverture maladie universelle - Examen des amendements en nouvelle lecture
Au cours d'une première séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'examen des amendements au projet de loi n° 440 (1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant création d'une couverture maladie universelle.
A l'article 13, M. Charles Descours, rapporteur, a tout d'abord indiqué que l'Assemblée nationale avait inséré, en nouvelle lecture, un dispositif de suppression des contingents communaux d'aide sociale après achèvement de la concertation avec l'assemblée des départements de France, l'association des maires de France et l'association des maires des grandes villes de France. Il a toutefois souligné que la mise en oeuvre de ce dispositif risquait d'entraîner un " pic " de financement pour les communes au cours de l'année 2000, où elles seraient conduites à subir un prélèvement comprenant l'intégralité du montant du contingent communal versé en 1999, ainsi que le solde correspondant à la dette due au titre de l'année antérieure. Il a indiqué que le Gouvernement avait déposé quatre amendements proposant que le prélèvement compensatoire sur la dotation globale de fonctionnement (DGF) en l'an 2000 corresponde au montant du contingent versé et appelé au titre de l'exercice 1999.
Il a souligné par ailleurs que, pour résoudre le problème du solde dû par les communes au titre des contingents, la commission était saisie de deux dispositifs dont l'inspiration était comparable : un dispositif de versement différé du solde sur dix ans au moins, proposé par M. Yves Fréville ; un dispositif permettant aux départements et aux communes de déterminer un échéancier de paiement par voie contractuelle, proposé par M. Michel Mercier.
M. Jean Delaneau, président, a souligné la complexité du texte de l'article 13, tel que transmis par l'Assemblée nationale, et il a regretté que la suppression des contingents communaux ait été introduite seulement en nouvelle lecture.
Après un débat au cours duquel sont intervenus MM. Bernard Cazeau, Alain Vasselle, Alain Gournac, Charles Descours, rapporteur, et Jean Delaneau, président, la commission a donné un avis favorable à l'amendement n° 106 présenté par le Gouvernement.
Elle a également émis un avis favorable à l'amendement rédactionnel n° 96 présenté par Mme Marie-Madeleine Dieulangard, M. François Autain et les membres du groupe socialiste et à l'amendement n° 93 de M. Alain Vasselle sous réserve de la suppression du paragraphe prévoyant une référence calculée par strates démographiques.
Elle a émis par coordination un avis favorable à l'amendement n° 107 du Gouvernement et a considéré en conséquence comme satisfait l'amendement n° 97 de Mme Marie-Madeleine Dieulangard, ainsi que l'amendement n° 89 de M. Michel Mercier.
Elle a émis un avis favorable à l'amendement rédactionnel n° 98 de Mme Marie-Madeleine Dieulangard et les membres du groupe socialiste, ainsi que par coordination à l'amendement n° 108 du Gouvernement.
Elle a décidé de s'en remettre à l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 90 de M. Michel Mercier et sur l'amendement n° 83 de M. Yves Fréville, tout en émettant une préférence pour le dispositif contractuel plus souple proposé par M. Michel Mercier.
Après l'intervention de M. Jean Delaneau, président, elle a émis un avis favorable à l'amendement n° 105 présenté par M. Louis Boyer.
Elle a émis par coordination un avis favorable à l'amendement n° 109 du Gouvernement.
Enfin, elle a émis un avis favorable à l'amendement n° 88 présenté par MM. Jacques Oudin et Michel Mercier au nom de la commission des finances après les interventions de MM. Alain Vasselle et Charles Descours, rapporteur.
A l'article 20, elle a décidé de demander l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 92 déposé par M. Jean-Louis Lorrain prévoyant l'institution d'un plafond de ressources en dessous duquel les résidents des départements d'outre-mer bénéficieraient d'une dispense d'avance de frais.
A l'article 37 sexvicies, M. Claude Huriet, rapporteur du titre IV du projet de loi, a regretté la procédure choisie par le Gouvernement pour réformer les procédures de création des officines de pharmacie. Il a estimé que les parlementaires avaient manqué de temps pour examiner les enjeux et les conséquences de cette réforme. Il a observé, compte tenu des réactions des professionnels depuis le vote de l'amendement déposé par M. François Autain en première lecture, que les positions des uns et des autres, loin d'aller vers un rapprochement, se radicalisaient d'heure en heure. Constatant que cette réforme avait été prévue dans un protocole d'accord conclu entre l'Etat et les syndicats représentatifs des pharmaciens d'officine au mois de septembre 1998, il s'est déclaré surpris que le Gouvernement n'ait pas tiré les conséquences législatives des stipulations de ce protocole autrement que par voie d'amendement déposé par un parlementaire sur le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle.
M. Claude Huriet, rapporteur, a estimé que la commission avait le choix entre le ralliement à l'amendement de suppression n° 87 rectifié présenté par MM. Jean Huchon, André Dulait, Jacques Machet, André Bohl, Denis Badré, Gérard César, et le soutien aux dispositions votées par l'Assemblée nationale résultant de l'amendement de M. François Autain déposé en première lecture, modifiées par un amendement améliorant la rédaction de l'Assemblée nationale qui avait prévu l'application du droit commun dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Il a rappelé qu'en vertu de l'article 45 de la Constitution, l'Assemblée nationale, lors du " dernier mot ", ne pouvait que reprendre le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs amendements adoptés par le Sénat. Il a donc fait valoir que la suppression de l'article 13 par le Sénat conduirait immanquablement l'Assemblée nationale à reprendre son texte de nouvelle lecture.
Au cours d'une seconde séance tenue dans la soirée, la commission a poursuivi l'examen des amendements au projet de loi n° 440 (1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant création d'une couverture maladie universelle.
M. Jean Delaneau, président, a rappelé que la commission était parvenue à l'examen des amendements à l'article 37 sexvicies.
M. François Autain s'est déclaré partisan de l'adoption, par le Sénat, du texte de l'Assemblée nationale reprenant son amendement de première lecture, mais modifié en ce qui concerne le régime applicable aux départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.
La commission a donné un avis défavorable à l'adoption de l'amendement n° 87 rectifié.
Après que M. Alain Vasselle a indiqué qu'il présentait à nouveau un amendement identique au sous-amendement qu'il avait déposé en première lecture et qui avait été adopté par le Sénat, tendant à fixer à 5.000 habitants l'importance de la population déclenchant l'application du quota des 3.000 habitants pour la création d'une pharmacie, la commission a donné un avis défavorable à l'amendement n° 100 de M. Alain Vasselle, ainsi qu'aux amendements nos 101 et 103, du même auteur présentés en cohérence avec le premier.
Un débat s'est ensuite engagé sur les amendements n° 84 présenté par MM. Jean-Louis Lorrain, Francis Grignon, Daniel Hoeffel, Philippe Richert, André Bohl, Hubert Haenel, Daniel Eckenspieller, Joseph Ostermann, Roger Husson et Jean-Marie Rausch, n° 91 présenté par Mme Gisèle Printz et n° 95 rectifié de M. Dominique Leclerc, relatifs aux départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.
M. Dominique Leclerc a indiqué que son amendement résultait de discussions entreprises entre les représentants des pharmaciens d'officine et les ministères.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard et M. Jean-Louis Lorrain ont estimé que son adoption conduirait à instituer, en pratique, des quotas de population très élevés pour ces départements.
M. Alain Vasselle s'est interrogé sur les limites du système administré de répartition des officines et a observé que la commission voulait instituer des quotas de population très élevés dans les départements d'Alsace-Moselle alors qu'en refusant l'amendement n° 100, elle n'acceptait pas de fixer à 5.000 habitants l'importance de la population d'une ville à partir de laquelle s'appliquait le quota des 3.000 habitants. Il a estimé qu'il eut été préférable que le Gouvernement propose la réforme des créations des pharmacies d'officine dans le cadre d'un prochain projet de loi portant diverses mesures d'ordre social.
La commission a donné un avis favorable aux amendements nos 84 et 91 et un avis défavorable à l'amendement n° 95 rectifié.
Elle a également donné un avis défavorable aux amendements nos 102 et 104 présentés par M. Alain Vasselle qui substituaient aux critères objectifs fixés par l'article 37 sexvicies pour les transferts et les regroupements d'officines des critères subjectifs, dont l'application conduirait à la multiplication des recours contentieux.
La commission a donné un avis favorable à l'amendement n° 94 présenté par MM. François Autain, Michel Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés, préservant la possibilité de créer ou de transférer des officines de pharmacie à la suite de décisions de justice pendant la période préalable à l'entrée en vigueur de la réforme. En revanche, elle a donné un avis défavorable à l'amendement n° 85 présenté par M. Jean-Louis Lorrain, M. Claude Huriet, rapporteur du titre IV du projet de loi, ayant estimé qu'il avait une portée trop large.
Elle a émis un avis de sagesse à l'amendement n° 86 rectifié présenté par M. Jean-Louis Lorrain élargissant aux élus locaux la composition d'une commission paritaire entre l'administration et les professionnels instituée par le paragraphe E de l'article 37 sexvicies.
Enfin, la commission a adopté, sur proposition de MM. Charles Descours et Claude Huriet, rapporteurs, un amendement modifiant l'intitulé du projet de loi, qui deviendrait désormais " projet de loi portant diverses dispositions d'ordre sanitaire et social ", M. Claude Huriet ayant précisé qu'il s'agissait de tirer les conséquences du contenu du projet de loi qui comportait 34 articles consacrés à la CMU, 37 articles de diverses mesures d'ordre sanitaire et social et un article relatif à l'entrée en vigueur de l'ensemble.
Mercredi 30 juin 1999
- Présidence de M. Jean Delaneau, président -
Application des lois - Loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail - Communication
La commission a tout d'abord entendu une communication de M. Louis Souvet sur l'application de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail.
M. Jean Delaneau, président, a rappelé que la commission avait souhaité que M. Louis Souvet, rapporteur de la loi du 13 juin 1998 et rapporteur pour avis des crédits budgétaires de l'emploi, fasse le point sur la mise en oeuvre de cette loi.
M. Louis Souvet a rappelé que la loi du 13 juin 1998 prévoyait le principe d'un abaissement de la durée légale du travail hebdomadaire à 35 heures, des incitations financières, une nouvelle définition du travail effectif et des modifications des dispositions régissant le repos compensateur et le travail à temps partiel.
Il a observé que cette loi, volontiers qualifiée " d'avancée historique " par ses promoteurs, devait permettre de créer de nombreux emplois et d'améliorer les conditions de travail et la qualité de vie des salariés.
Il a déclaré que l'idée de réduire la durée légale du travail pour créer des emplois remontait aux années 1970 et s'est interrogé sur sa pertinence dans un contexte économique marqué par la mondialisation. Il a observé que le Gouvernement persistait à présenter cette politique de réduction de la durée du travail comme sa principale mesure destinée à réduire le chômage et à moderniser l'organisation des entreprises, cette politique s'inscrivant en rupture avec les politiques des gouvernements précédents qui avaient opté depuis 1993 pour des allégements de charges en faveur des bas salaires.
M. Louis Souvet a déclaré qu'un peu plus d'un an après le vote de la première loi sur les 35 heures, la commission lui avait demandé de procéder à un bilan des résultats obtenus et des enjeux du second projet de loi. Il a souligné qu'il avait souhaité, à cette occasion, rencontrer les partenaires sociaux sur le terrain à travers des visites d'entreprises représentant les différents secteurs de l'économie, en Ile-de-France comme en province, à Lyon et Rennes. Il a remercié ses collègues qui avaient bien voulu se joindre à lui pour ces déplacements, Mmes Annick Bocandé et Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Alain Gournac, Philippe Nogrix, Guy Fischer et Alain Vasselle.
M. Louis Souvet a insisté sur le fait que son bilan se voulait être celui du terrain tel que le ressentaient les intéressés, chefs d'entreprises, directeurs de service, délégués syndicaux d'établissements. Il a constaté que ce bilan contrastait avec les déclarations du Gouvernement qui s'affichaient dans la presse, parfois sous la forme d'encarts publicitaires financés par le contribuable.
Il a souligné en effet que les effets de la loi sur les 35 heures n'étaient pas à la hauteur des attentes du Gouvernement.
Il a considéré que cette appréciation s'appuyait sur un quintuple constat : les créations d'emplois ne sont pas au rendez-vous, les conditions de travail ont tendance à se dégrader, le principe de l'innocuité économique des 35 heures pour les entreprises et l'économie est remis en cause, le secteur médico-social se trouve dans une situation particulièrement menacée et le coût du dispositif pour les finances publiques ne semble être ni correctement estimé, ni maîtrisé.
Revenant sur la question des créations d'emplois, M. Louis Souvet a considéré que le bilan quantitatif de la loi du 13 juin 1998 était décevant. Après avoir rappelé que le Gouvernement avait annoncé la création ou la préservation de 75.000 emplois, il a estimé que le véritable compte des emplois créés dans le secteur privépourrait se situer plus probablement autour des 25.000.
M. Louis Souvet a en effet considéré qu'il convenait de soustraire du décompte du Gouvernement les emplois créés par le dispositif de la loi du 11 juin 1996 dite loi " de Robien ", les effets d'aubaine, les emplois préservés qu'il a estimés largement virtuels puisqu'il était impossible de déterminer dans quelle mesure ils auraient été effectivement supprimés en l'absence d'aide publique, les emplois créés par les entreprises publiques (Electricité de France, La Poste, SNCF...) sur instruction de la tutelle et sans grande considération de leur coût pour les finances publiques.
Il s'est interrogé a contrario sur les destructions virtuelles d'emplois que la mise en oeuvre des 35 heures avait pu occasionner, considérant que des entreprises avaient pu décider de suspendre ou de réduire leurs embauches par crainte de la hausse du coût du travail, que certaines avaient pu choisir de développer l'emploi dans leurs filiales à l'étranger ou de délocaliser leur activité, que des emplois pourraient être détruits par la hausse des prélèvements consécutive à la nécessité de financer les 35 heures et que des emplois supplémentaires auraient pu être créés si d'autres politiques avaient été suivies.
Dans ces conditions, M. Louis Souvet a observé que le chiffre des 25.000 créations d'emplois qu'il retenait était réaliste, sans exclure tout à fait que la loi sur les 35 heures ait pu donner lieu à des destructions d'emplois en solde net.
Pour expliquer cet échec, il a indiqué que les 35 heures obligatoires et généralisées constituaient une charge pour les entreprises susceptible de contrarier leurs prévisions d'embauche en raison d'une hausse du coût du travail et que l'incertitude juridique qui existait depuis deux ans sur des notions aussi importantes que les heures supplémentaires, le temps partiel, les règles applicables aux cadres, les allégements de charges, voire même les impôts avaient favorisé un certain attentisme.
M. Louis Souvet a déclaré que seul le retour de la croissance avait permis d'éviter que les 35 heures ne constituent un obstacle plus dommageable encore pour l'économie en observant néanmoins que l'inquiétude des employeurs était palpable, plus de la moitié des 290.000 embauches réalisées depuis un an ayant pris la forme d'une mission d'intérim.
Il a observé que les entreprises et les salariés n'avaient eu que 18 mois pour devancer l'abaissement de la durée légale et repenser l'organisation de l'entreprise, ce qui était insuffisant compte tenu des défis que portait cette loi, notamment en matière de hausse du coût du travail.
M. Louis Souvet a estimé qu'aujourd'hui, la majorité des entreprises n'était pas prête à passer aux 35 heures et que le Gouvernement, ayant pris conscience de cette situation, avait décidé d'en reporter la mise en oeuvre d'un an en atténuant la portée des dispositions les plus pénalisantes pour les entreprises.
Il a observé que la loi relative aux 35 heures avait déjà commencé à produire ses effets : parfois positifs, lorsque des emplois ont été créés, que des entreprises ont pu améliorer leurs processus de production, et que certains salariés bénéficient de plus de temps libre comme chez Edixia, société spécialisée dans la vision industrielle et les systèmes de télécommunication qu'il avait visitée à Rennes ; les effets de la loi peuvent être également négatifs, notamment lorsque les accords signés ont pour conséquences une dégradation des conditions de travail des salariés et un durcissement du climat social.
Observant que la diminution du temps de travail avait presque toujours pour contreparties une annualisation du décompte du temps de travail et une modulation des horaires de travail hebdomadaire, M. Louis Souvet a indiqué que des négociations précipitées, pour cause de mise en oeuvre imminente des 35 heures, avaient pu mener à l'adoption de nouvelles modalités d'organisation du travail difficiles à supporter pour les salariés.
Il a souligné que le " stress " avait eu tendance à augmenter comme le lui avaient indiqué des salariés en travail posté qu'il avait rencontrés chez Pasteur-Mérieux-Connaught à Lyon, et que la vie de famille des salariés était perturbée par le travail de nuit ou le week-end.
M. Louis Souvet a rappelé que la flexibilité était indispensable pour les entreprises et qu'il avait souvent défendu l'idée qu'il était nécessaire d'aménager le temps de travail. Il a néanmoins remarqué que la réduction du temps de travail à 35 heures s'était souvent accompagnée du maintien de la charge de travail en volume, ce qui avait eu tendance à augmenter les cadences et la pénibilité des tâches.
Il a estimé que ce durcissement des conditions de travail pourrait avoir pour conséquence d'exclure un peu plus les salariés les plus fragiles, incapables de suivre une telle évolution. Il a observé que la réduction du nombre des emplois les moins intensifs était d'ailleurs concomitante d'une hausse du taux de chômage de longue durée depuis un an, ce qui constituait une coïncidence troublante.
M. Louis Souvet a déclaré que l'accélération des progrès en matière de productivité du travail consécutive à la mise en place des 35 heures pourrait in fine constituer un puissant facteur favorisant la dualisation de l'économie et la segmentation du marché du travail, ce qui n'était sans doute pas l'objectif poursuivi.
M. Louis Souvet a rappelé que la loi du 13 juin 1998 reposait sur la négociation collective et que l'un de ses mérites devait être de relancer le dialogue entre les partenaires sociaux. Il a néanmoins observé qu'au fil des mois la négociation collective avait connu des bonheurs inégaux. Il a en effet indiqué que les accords signés étaient peu nombreux et souvent peu favorables aux salariés, que la négociation était dans l'impasse, faute de " grain à moudre ", les employeurs étant en effet unanimes à exiger la modération salariale quand ce n'était pas un blocage pur et simple des salaires en contrepartie de la réduction du temps de travail.
Il a souligné que les syndicats rencontraient beaucoup de difficultés à faire accepter par les salariés en place un blocage des salaires accompagné d'une dégradation des conditions de travail, ceci d'autant plus que les créations d'emplois étaient minimes.
Il lui a semblé que les entreprises qui pouvaient sans conséquence négative réduire la durée du travail s'y étaient souvent déjà employées, notamment en ayant recours au dispositif " de Robien ".
Il a rappelé que la loi du 11 juin 1996 prévoyait des incitations financières importantes à la réduction du temps de travail, sur la base du volontariat, l'entreprise qui réduisait d'au moins 10 % la durée du travail de tout ou partie de ses salariés pouvait bénéficier d'un allégement de 40 % des cotisations sociales patronales la première année et de 30 % les six années suivantes. Il a estimé que cette aide, proportionnelle au salaire était très motivante pour les entreprises à fort encadrement et que c'était précisément celles-ci qui étaient présentes dans les secteurs les plus porteurs en termes de développement de l'activité et de l'emploi.
M. Louis Souvet a remarqué que c'était l'ensemble des entreprises qui devait adopter aujourd'hui des mesures d'urgence pour s'adapter aux conséquences prévisibles de l'abaissement de la durée du travail. Il a considéré que l'aide forfaitaire était moins intéressante pour les entreprises dont la structure en personnel comprenait un fort taux d'encadrement et que les entreprises de main-d'oeuvre étaient rarement les plus à même de procéder à des créations d'emplois.
Il a observé que cette situation ne manquait pas de préoccuper les salariés, qui, dubitatifs à l'issue du vote de la première loi, semblaient maintenant inquiets comme il avait pu le constater dans les entreprises qu'il avait visitées, notamment chez Usinor et Aéroports de Paris.
M. Louis Souvet a déclaré que les gains de productivité avaient été tels depuis dix ans que nombre de salariés ne comprenaient pas comment l'entreprise pourrait à la fois maintenir les salaires, l'emploi et la compétitivité et que cette peur, apparente, nourrissait les conflits sociaux à l'occasion des négociations sur les 35 heures dans plusieurs entreprises.
Il a rappelé que la signature d'un accord avait donné lieu à des grèves chez Air-France au mois de janvier pour cause de baisse du taux de rémunération des " horaires décalés " (nuit, dimanche, jours fériés) et que les salariés entendaient également protester contre le rythme des négociations menées " à la hussarde " et le manque d'information dont ils pouvaient disposer.
Il a observé qu'à la Régie autonome des transports parisiens (RATP), les salariés s'étaient mis en grève en avril, pour réclamer que le Gouvernement apporte une aide financière à l'entreprise publique et pour manifester leur désaccord face aux propositions de la direction, et que, chez Renault, les syndicats avaient provoqué au printemps des débrayages pour obtenir une baisse du temps de travail plus forte que ce que proposait la direction, tout comme chez Peugeot où la négociation avait également donné lieu à des arrêts de travail.
Il a indiqué qu'à la SNCF, les conducteurs s'étaient mis en grève en mai pour refuser l'allongement de 16 minutes de leur journée de travail proposé par la direction contre sept jours de repos supplémentaires par an.
Il a considéré qu'il ne s'agissait là que de quelques exemples qui illustraient la recrudescence des conflits sociaux sur fond d'inquiétude et d'incompréhension, les tensions restant par ailleurs fortes dans les secteurs de la banque, de l'assurance et du commerce.
M. Louis Souvet a estimé que les tensions sociales étaient d'autant plus vives que les 35 heures ne constituaient pas une attente du monde du travail. Il a indiqué que nul n'avait d'ailleurs le souvenir d'un conflit social qui ait été mené avant 1998 au nom des 35 heures. Il a considéré que, dans une économie soumise à des impératifs de restructuration, les salariés étaient d'abord et légitimement préoccupés par le maintien de leur emploi, et souhaitaient préserver leur pouvoir d'achat même au moyen des heures supplémentaires qui apportaient un complément de revenu appréciable. Il a souligné que les salariés, n'ayant pas demandé les 35 heures, n'étaient pas prêts à se sacrifier pour une mesure qui n'avait pas d'effet tangible sur le chômage.
M. Louis Souvet a rappelé que le Gouvernement considérait que la réduction du temps de travail permettrait d'augmenter la productivité et que des aides ponctuelles permettraient de compléter le financement des nouveaux emplois.
Il a estimé qu'en fait, l'environnement économique marqué par un impératif accru de compétitivité avait supprimé les marges de manoeuvre des entreprises, que les gains de productivité avaient tous été exploités dans l'industrie, et que les seuls espaces qui demeuraient dans les fonctions administratives faisaient la part belle à l'outil informatique.
Il a considéré que, dans ces conditions, l'abaissement de la durée du travail et la hausse du taux de rémunération des heures supplémentaires, qui en constitue une des conséquences, se répercutaient directement sur le coût du travail et donc sur la compétitivité des entreprises. Ces dernières risquaient de perdre des parts de marché au profit notamment de leurs concurrentes étrangères.
M. Louis Souvet a observé que cette hausse du coût du travail aurait été absorbée dans les années 1980 par une dégradation du taux de change du franc, et que cette dévaluation aurait mécaniquement effacé les gains de pouvoir d'achat des salariés et les pertes de compétitivité des entreprises. Il a rappelé que cette solution de facilité était aujourd'hui exclue en régime de monnaie unique et que, dans ces conditions, l'unique outil dont disposait le Gouvernement était l'arme budgétaire qui prenait, dans ce cas précis, la forme d'allégements de charges sociales.
Il a considéré que ces allégements supplémentaires n'avaient pas pour objet d'améliorer les chances de trouver un emploi pour les salariés les moins rémunérés, comme c'était le cas depuis 1993, et qu'ils devaient seulement permettre de neutraliser le surcoût consécutif à la hausse des taux de rémunération des heures de travail entre 35 et 39 heures et d'éviter que des salariés ne perdent leur emploi, ce qui est très différent. Il a estimé qu'il s'agissait d'une conception défensive des allégements de charges sociales.
Il a également souligné le changement radical d'attitude que le Gouvernement venait d'opérer sur la question des allégements de charges, Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle ayant déclaré, il y a un an lors du débat au Sénat sur la proposition de loi de M. Christian Poncelet tendant à alléger les charges sur les bas salaires, que le Gouvernement n'avait pas fait de la poursuite de l'allégement des charges patronales une priorité parce qu'il n'était pas certain que le niveau des charges patronales soit l'obstacle majeur à l'emploi, parce que l'efficacité des allégements de charges patronales lui semblait relative au regard d'autres politiques telles que la réduction du temps de travail et parce qu'il lui paraissait difficile de financer une telle mesure.
M. Louis Souvet a estimé que la mise en oeuvre des 35 heures pourrait être particulièrement difficile dans le secteur médico-social privé à but non lucratif.
Rappelant que les gains de productivité y étaient inexistants, il a observé qu'on ne pouvait réduire le temps de travail d'un médecin ou d'une infirmière sans procéder à des recrutements pour faire face à une charge de travail globale inchangée.
Il a estimé que les hôpitaux, les maisons de retraite et les établissements d'accueil du secteur privé se sentaient par conséquent pris au piège.
Ne pouvant supporter un renchérissement du coût du travail à travers des majorations pour heures supplémentaires, ces établissements étaient obligés de signer des accords de réduction du temps de travail. Ne pouvant augmenter la productivité du travail du personnel de soins, ils seraient obligés de recourir à des embauches. Ne pouvant financer ces recrutements par des gains de productivité globale, ces établissements auraient un absolu besoin de l'aide publique et de ressources nouvelles pour assurer leur survie financière.
M. Louis Souvet a regretté que le ministère n'ait toujours pas, à sa connaissance, étendu les accords de branche applicables au secteur hospitalier privé, aux maisons de retraite et au secteur sanitaire et social, alors qu'environ 400.000 salariés étaient concernés.
Il a rappelé qu'à partir du 30 juin, le barème des aides incitatives à la réduction du temps de travail devenait moins favorable, fragilisant un peu plus l'équation financière des 35 heures dans ce secteur sensible.
Devant ce problème considérable, M. Louis Souvet a souhaité attirer solennellement l'attention du Gouvernement. Il a déclaré que les établissements du secteur médico-social n'arriveraient pas à couvrir le coût des embauches rendues nécessaires pour la mise en place des 35 heures, malgré les aides publiques et le blocage des salaires, et que cette situation mettrait en péril le maintien du service aux patients et la continuité des soins.
Il a estimé que l'application des 35 heures dans le secteur médico-social pourrait donc constituer un véritable enjeu de santé publique puisque les professionnels qu'il avait rencontrés lui avaient assuré que c'était la sécurité même des patients qui pourrait s'en trouver menacée.
Il a considéré qu'à court terme la mise en place des 35 heures dans le secteur médico-social privé devrait se traduire par une hausse du prix des prestations qui serait in fine supportée par le patient, l'assurance maladie ou le département.
Il a observé que le coût pour les finances publiques de la réduction du temps de travail dans le secteur médico-social ne se limitait pas au montant déjà considérable des aides incitatives et que les conseils généraux seraient amenés à apporter leur contribution, ce qui renchérirait d'autant le coût de cette loi pour les finances publiques, au sens large, et constituerait une menace supplémentaire pour les finances locales.
A plus long terme, il a estimé que ces établissements devraient s'interroger sur leur viabilité compte tenu de la dégressivité des aides financières de l'Etat et que, si les établissements les plus riches devraient pouvoir s'adapter, les plus fragiles pourraient ne pas supporter le choc.
Evoquant sa visite à la Fondation Léopold Bellan, il a déclaré que son établissement de Magnanville prévoyait de créer 13 emplois supplémentaires pour un coût de 10 millions de francs sur six ans, que les aides publiques se montaient à 6 millions de francs (soit 770.000 francs par emploi créé), et qu'il restait donc 4 millions de francs à trouver.
Il a considéré que si ce grand établissement situé dans les Yvelines pourrait sans doute " boucler " son budget grâce à des concours publics ou une hausse des prix de ses prestations, il n'en serait pas de même des établissements plus petits situés en secteur rural, associés à des collectivités locales aux moyens limités et accueillant des patients moins aisés. M. Louis Souvet a estimé que les 35 heures pourraient ainsi renforcer la discrimination sociale dans l'accès aux soins.
Rappelant que l'équilibre financier était plus facile à trouver dans les grands établissements qui, employant davantage de main-d'oeuvre, bénéficiaient proportionnellement davantage des aides publiques forfaitaires, il a considéré que la mise en place des 35 heures pourrait également renforcer la discrimination géographique dans l'accès aux soins en accélérant le rythme des restructurations au dépens des établissements les plus petits situés souvent en secteur rural.
M. Louis Souvet a estimé que toute une conception de l'aménagement du territoire en matière sanitaire pourrait ainsi se trouver mise à mal par les conséquences de l'application des 35 heures dans le secteur médico-social.
Il a rappelé que le Gouvernement avait déclaré par la voix de Mme Dominique Voynet, lors du débat du 25 mai dernier au Sénat sur le projet de loi relatif à l'aménagement et au développement durable du territoire, que le maintien des établissements de proximité était lié au maintien de la qualité du service. Ce faisant, il a remarqué que la loi sur les 35 heures pourrait donc entraîner une accélération de la restructuration du secteur médico-social puisqu'elle rendait quasiment impossible le maintien de la qualité du service et donc l'existence de certains établissements de proximité.
Il a déclaré qu'aujourd'hui ce n'était rien moins que la présence du secteur médico-social dans le champ d'application des 35 heures qui pourrait être mise en question, dans l'intérêt des patients, des établissements et de leurs salariés, à moins que des dispositions particulières soient adoptées prochainement.
M. Louis Souvet a observé que le coût des 35 heures pour les finances publiques était difficile à estimer et que deux dispositifs devaient être distingués : l'aide incitative dans le cadre de la loi du 13 juin 1998 et les aides structurelles devant prendre la forme d'un allégement supplémentaire de charges sociales.
Il a rappelé que la loi du 13 juin 1998 avait mis en place un système d'aides incitatives à la réduction du temps de travail, sous forme d'exonérations forfaitaires dégressives sur cinq ans de cotisations patronales de sécurité sociale, pour les accords conclus avant la fin 2001 dans les entreprises de plus de 20 salariés.
Il a noté que la loi de finances pour 1999 avait prévu 3,5 milliards de francs pour financer les aides incitatives et 200 millions de francs pour les aides au conseil, soit un total de 3,7 milliards de francs, et qu'à cette somme devait s'ajouter le report d'une partie des 3 milliards de francs de crédits prévus pour 1998. Il a observé que la discussion budgétaire de l'automne dernier avait fait apparaître que le Gouvernement comptait sur 5 milliards de francs de crédits en additionnant les crédits inscrits en loi de finances pour 1999 et les reports de 1998.
Les taux de consommation de ces crédits n'étant pas actuellement disponibles et les arrêtés de report des crédits relatifs aux 35 heures non consommés en 1998 sur le budget pour 1999 n'ayant pas été publiés, il a estimé impossible de dire combien avaient coûté jusqu'à présent les 35 heures en termes d'aides incitatives à la réduction du temps de travail. Tout au plus a-t-il rappelé que sur deux ans, le montant des crédits consacrés à la réduction du temps de travail (loi de Robien et loi Aubry confondues) s'était élevé à près de 11,9 milliards de francs.
Dans le cadre de l'aide structurelle, M. Louis Souvet a précisé que le Gouvernement avait ouvert aux entreprises qui ont conclu un accord de réduction de la durée du travail à 35 heures la possibilité de bénéficier d'un supplément d'allégement de charges sociales par rapport à la ristourne dégressive, pour un montant de 25 milliards de francs, et que cet allégement supplémentaire absorberait, pour ces entreprises, le dispositif de cette ristourne dégressive.
Il a déclaré que le coût de cet allégement supplémentaire serait financé pour moitié par une majoration de la taxe générale sur les activités polluantes et pour moitié par une contribution assise sur les bénéfices et que les modalités pratiques de financement de ce dispositif seraient définies dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.
Il a remarqué que le coût élevé des 35 heures dans le secteur privé n'incitait pas l'Etat à en hâter la mise en oeuvre dans les administrations et les organismes qui lui étaient rattachés.
Prenant sans doute la mesure des difficultés rencontrées par le secteur médico-social privé, il a observé qu'une circulaire du directeur des hôpitaux datée du 23 mars 1999 précisait que " le lancement d'expérimentations portant sur de nouvelles organisations et aménagement du temps de travail associés à une réduction du temps de travail dans les établissements public de santé ne (paraissait) ni opportun, ni réalisable juridiquement ".
De la même manière, il a noté que de nombreux établissements publics, tel Aéroports de Paris qu'il avait visité, devaient négocier sans aucune aide financière de l'Etat, comme le précisait le décret du 22 juin 1998, alors que d'autres organismes parapublics, bien qu'éligibles, se voyaient le plus souvent refuser l'accord de leur tutelle.
Il a estimé que le point le plus délicat concernait les personnels de la fonction publique. Il a rappelé que la loi du 13 juin 1998 prévoyait dans son article 14 que " dans les douze mois suivant la publication de la présente loi, et après consultation des partenaires sociaux, le Gouvernement présenterait au Parlement un rapport sur le bilan et les perspectives de la réduction du temps de travail pour les agents de la fonction publique ". Il a observé que douze mois avaient passé et que ce rapport n'avait toujours pas été remis au Parlement. Il a souligné que le rapport de Jacques Roché sur le temps de travail dans les trois fonctions publiques, une étape importante dans le travail préparatoire relatif à la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail dans la fonction publique, avait conclu principalement à la nécessité de moderniser la gestion de l'administration en préalable à la réduction de la durée du travail.
Dans ces conditions, il s'est interrogé sur les chances de voir aboutir l'engagement pris par le Gouvernement d'appliquer les 35 heures à la fonction publique.
M. Louis Souvet a indiqué que le texte de l'avant-projet de loi relatif à la " réduction négociée du temps de travail " comprenait 17 articles portant sur des thèmes assez divers.
Il a observé que la réduction de la durée légale du travail au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés était confirmée (article premier), que le régime des heures supplémentaires devrait faire l'objet de dispositions transitoires pendant deux ans (articles 2 et 3), que les modulations du temps de travail seraient regroupées (article 4) tandis que la réduction du temps de travail sous forme de jours de repos supplémentaires était confirmée (article 5) notamment pour les cadres non dirigeants et non intégrés à une équipe de travail (article 6). Il a noté que la définition du travail à temps partiel était modifiée pour tenir compte d'une directive européenne (article 7) ainsi que le régime du contrat de travail intermittent (article 8). Il a remarqué que le régime des jours de congés était précisé (article 9), de même que celui du compte épargne temps (article 10) et les possibilités de formation (article 11). Il a remarqué que les articles 12 et 13 liaient le bénéfice des aides structurelles au développement de la négociation. Il a observé que l'article 14 concernait la possibilité de négocier un accord collectif au niveau interentreprises tandis que l'article 15 était relatif à la sécurisation juridique et l'article 16 aux conséquences du refus de la modification de son contrat de travail par un salarié dans le cadre de la réduction du temps de travail. Enfin il a souligné que l'article 17 était relatif au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC).
M. Louis Souvet a estimé que ces 17 articles, tous très complexes, instauraient des dispositions spécifiques telles qu'ils créaient en quelque sorte un code du travail dual. Il a souligné que, selon que l'entreprise était passée ou non à 35 heures, ce n'étaient plus les mêmes règles qui seraient applicables dans plusieurs domaines importants (allégements de charges, SMIC, annualisation, formation) et que ceci n'était pas sans poser de nombreuses questions notamment au regard du principe d'égalité.
Par ailleurs, il a considéré que le mélange des notions, comme les allégements de charge, la réduction du temps de travail ou encore les modalités d'aménagement du temps de travail, conduisait à une grande confusion quant aux objectifs poursuivis par ce texte.
Observant que le taux de rémunération des heures supplémentaires s'élèverait à 10 % du salaire brut entre la 36ème et la 39ème heure en 2000 et que le contingent d'heures supplémentaires serait déclenché à partir de la 37ème heure en 2000, de la 36ème heure en 2001 et de la 35ème en 2002, il a pris acte de ce que le Gouvernement avait choisi d'instaurer une période transitoire de deux ans qui limiterait le renchérissement du coût du travail. Il a estimé que le Gouvernement reconnaissait ainsi que les entreprises ne pouvaient supporter le choc des 35 heures en 2000 sans un délai supplémentaire, un surcroît d'aides publiques et davantage de flexibilité. M. Louis Souvet a considéré qu'on ne pouvait imaginer un désaveu plus évident des objectifs et de la méthode poursuivies par le Gouvernement.
Il a souligné que si la mise en place d'une période transitoire était une bonne chose pour les entreprises, elle constituait une illustration supplémentaire de l'insécurité juridique qui entourait la mise en place des 35 heures. Il a noté que les entreprises, qui avaient signé des accords, pensaient en effet préserver leur compétitivité, malgré le surcoût occasionné par les 35 heures par rapport aux entreprises qui n'avaient pas devancé le passage à la nouvelle durée légale du travail. Elles découvraient aujourd'hui que l'attentisme avait été payant. Il a estimé que la déception est ainsi perceptible chez " les bons élèves de la loi Aubry ".
En conclusion, M. Louis Souvet a déclaré que le bilan inquiétant d'une année de mise en oeuvre de la loi du 13 juin 1998 avait amené le Gouvernement à diluer son projet dans un ensemble plus vaste comprenant allégements de charges, annualisation, période transitoire, de manière à noyer les effets les plus indésirables de son projet originel. Il a estimé qu'il n'était pas sûr que les employeurs comme les salariés s'y retrouveraient et qu'on pouvait légitimement penser que d'autres politiques auraient été préférables.
Il a considéré en conséquence que les incertitudes et les craintes liées à la mise en place des 35 heures n'étaient pas levées par le contenu de cet avant-projet de loi et que les réserves émises dans son rapport sur la loi du 13 juin 1998 étaient toujours d'actualité.
M. André Jourdain a considéré que le rapport présenté par M. Louis Souvet confirmait ce qu'il avait lui-même constaté sur le terrain dans le Jura, les chefs d'entreprise étaient las de l'incertitude qui prédomine dans l'attente de la deuxième loi et les salariés inquiets devant l'aggravation de la charge et des conditions de leur travail. Il a observé que les salariés n'acceptaient pas l'idée de renoncer au revenu des heures supplémentaires pendant la période transitoire. Il a déclaré qu'il ne voyait pas le bénéfice de cette loi et qu'il aurait préféré des allégements de charges sans passage aux 35 heures.
M. Alain Gournac a remercié le rapporteur pour l'initiative qu'il avait prise de visites d'entreprises permettant de prendre conscience des difficultés particulières qui se présentaient dans le secteur médico-social. Il a observé par ailleurs que le climat social avait tendance à se dégrader, même dans les entreprises où il n'y avait jamais eu de problèmes. Il a fait part de son inquiétude quant au fait que les 35 heures pourraient limiter les créations naturelles d'emplois par l'économie.
M. Philippe Nogrix a souligné que la délégation de sénateurs ne s'attendait pas à trouver un tel sentiment d'inquiétude parmi les syndicats de salariés. Il a observé que cette inquiétude contrastait avec la surprenante satisfaction du Gouvernement à l'issue de la première année d'application du texte. Il s'est déclaré préoccupé par le fait que le Gouvernement refusait d'appliquer les 35 heures dans les fonctions publiques, renforçant ainsi les incertitudes quant à l'évolution du temps de travail pour les personnels des collectivités locales. Il a estimé que le Gouvernement devrait faire preuve de prudence dans le deuxième texte afin de ne pas détruire beaucoup d'emplois.
M. Guy Fischer a observé que, du fait de la mise en oeuvre des 35 heures, certaines branches avaient dénoncé les conventions collectives pour remettre en cause les acquis sociaux. Il a estimé que la loi sur les 35 heures portait une véritable ambition sociale et qu'il convenait de passer à la vitesse supérieure. Il a néanmoins considéré que la deuxième loi posait un certain nombre de questions, la période transitoire pouvant apparaître comme un recul, de même que les dispositions concernant les heures supplémentaires, le SMIC, le temps partiel et les allégements de charges.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard a déclaré qu'elle n'était pas surprise par le constat du rapporteur au regard de la position qui avait été la sienne lors de l'examen de la loi du 13 juin 1998. Elle a estimé néanmoins qu'il y avait effectivement des problèmes dans le secteur médico-social qui demandaient des réponses spécifiques. Elle a considéré que la deuxième loi avait précisément pour objet de clarifier le régime du SMIC, du temps partiel et les autres dispositions qui posaient problème.
Elle a observé qu'il n'y avait pas eu de chiffrage précis de créations d'emplois à l'issue du premier texte et qu'il était donc trop tôt pour constater un éventuel échec sur ce point. Elle a observé que la loi avait permis à certaines entreprises une reprise du dialogue social. Elle a considéré que la signature d'accords par des organisations syndicales minoritaires au sein de l'entreprise pouvaient poser des problèmes.
Mme Annick Bocandé a déclaré que les visites sur le terrain lui avaient permis de mesurer concrètement les conséquences de ce texte, le désappointement et l'inquiétude des salariés, ainsi que la déception en ce qui concerne la création d'emplois. Elle a estimé que la deuxième loi était attendue avec beaucoup de scepticisme par les partenaires sociaux qu'elle avait pu rencontrer. Elle s'est inquiétée du coût de cette loi soulignant que le Gouvernement restait discret sur ce point.
M. Claude Huriet a estimé que le bilan du rapporteur reposait sur des éléments objectifs, comme les retards pris dans l'application de la réduction du temps de travail dans le secteur public, et sur des faits chiffrés comme le coût des 35 heures dans les entreprises visitées. Il s'est interrogé sur la situation des entreprises qui appliquaient déjà les 35 heures avant le vote de la loi et sur l'application des 35 heures à l'étranger.
En réponse aux intervenants, M. Louis Souvet a confirmé qu'il avait été surpris par l'inquiétude manifeste des délégués syndicaux, notamment chez Usinor et Pasteur-Mérieux-Connaught. Il a indiqué qu'il avait souhaité, lors de ces déplacements dans les entreprises, rencontrer les partenaires sociaux sans a priori, quelle qu'ait pu être sa position lors du vote de la loi du 13 juin 1998.
En réponse à M. Claude Huriet, il a déclaré que dans les entreprises qui étaient déjà à 35 heures, les syndicats demandaient de passer à 32, voire 30 heures et que nul autre pays n'avait repris le projet d'abaisser la durée légale du travail à 35 heures.
M. Jean Delaneau, président, a remercié M. Louis Souvet de sa communication et s'est félicité qu'elle se soit appuyée sur des déplacements dans les entreprises ouverts aux autres membres de la commission. Il a informé la commission du calendrier prévisionnel d'examen du second projet de loi relatif " à la réduction négociée du temps de travail " qui devrait être inscrit à l'ordre du jour du Sénat dès la première semaine de novembre.
Il a souligné que le programme de la commission serait ainsi très chargé en octobre avec les auditions sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances pour 2000, l'examen du rapport d'information de M. Jean Chérioux sur l'actionnariat salarié et celui de deux propositions de loi relatives à l'épargne retraite, rapportées par M. Charles Descours.
Il a souhaité que le rapporteur du second projet de loi sur les 35 heures soit d'ores et déjà pressenti afin de procéder à un travail préparatoire approfondi dès la mi-septembre. Il a indiqué que le choix de M. Louis Souvet rapporteur de la loi du 13 juin 1998, dont il avait assuré un suivi attentif, lui semblait particulièrement justifié. La commission en a décidé ainsi.
Mission d'information - Etat sanitaire et social de la Guyane - Désignation des membres
La commission a ensuite désigné les membres de la délégation chargée d'accomplir une mission d'information sur l'état sanitaire et social du département de la Guyane.
Ont été désignés : M. Jean Delaneau, président, MM. Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Bernard Cazeau, Guy Fischer, Francis Giraud, Alain Gournac, Jean-Louis Lorrain et Philippe Nogrix.
Mission d'information - Organisation des systèmes de soins et évolution des dépenses de santé en Espagne - Désignation des membres
Puis, la commission a désigné les membres de la délégation chargée d'accomplir une mission d'information sur l'organisation des système de soins et l'évolution des dépenses de santé en Espagne.
Ont été désignés : M. Jean Delaneau, président, M. François Autain, Mme Nicole Borvo, MM. Charles Descours, Claude Huriet, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Lylian Payet et Mme Gisèle Printz.
Nomination de rapporteur
La commission a nommé M. Claude Huriet, rapporteur de la proposition de résolution n° 447 (1998-1999), présentée par Mme Odette Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, tendant à créer une commission d'enquête sur la sécurité sanitaire et alimentaire des produits destinés à la consommation animale et humaine en France et dans l'Union européenne.
Lutte contre la drogue et la toxicomanie - Audition de Mme Nicole Maestracci, présidente de la mission interministérielle de la lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT)
Enfin, la commission a procédé à l'audition de Mme Nicole Maestracci, présidente de la mission interministérielle de la lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT).
M. Jean Delaneau, président, a accueilli Mme Nicole Maestracci et a rappelé que les membres du groupe d'études sur la lutte contre la drogue et la toxicomanie, présidé par Mme Nelly Olin, étaient invités à participer à cette audition.
Après avoir rappelé qu'elle avait été nommée en juin 1998 et que le Premier ministre lui avait adressé une lettre de mission détaillée, Mme Nicole Maestracci a souligné que le dispositif français de lutte contre la toxicomanie avait fait l'objet de rapports récents, en particulier le rapport de la commission présidée par le professeur Henrion et un rapport de la Cour des Comptes. D'une manière générale, depuis le rapport de Mme Monique Pelletier de 1978, ce dispositif fait l'objet de critiques convergentes relatives à l'éparpillement des structures, à la " schizophrénie " entre la dimension répressive et la dimension médico-sociale de la prise en charge des toxicomanes et enfin, au manque de coordination entre les acteurs publics.
Elle a ensuite dressé un rapide tableau des données scientifiques et épidémiologiques en France en soulignant :
- le développement de la polyconsommation de substances psychoactives chez les jeunes ;
- le fait qu'un jeune de 15 à 19 ans sur trois avait expérimenté une drogue, presque exclusivement du cannabis, et que 14 % en avaient consommé dix fois et plus ;
- la diffusion de la consommation de drogues de synthèse, telles que l'ecstasy ou les amphétamines ;
- la baisse de la consommation d'héroïne comparable à celle observée parallèlement en Allemagne et aux Etats-Unis ;
- la sous-estimation de la consommation de cocaïne, qui est souvent le fait de consommateurs " invisibles " aux autorités policières ou judiciaires, car bien insérés socialement, avec une récente augmentation de la consommation par voie d'injection de cette drogue par les jeunes ;
- une croissance de la consommation d'alcool fort et des ivresses répétées chez les jeunes, même si globalement la consommation moyenne de vin a diminué en France ces dernières années ;
- la consommation accrue de médicaments psychotropes (somnifères et tranquillisants), en particulier chez les jeunes filles ;
- la banalisation de l'usage de médicaments dopants, en particulier chez les jeunes pratiquant le sport-amateur comme l'a montré une récente étude épidémiologique réalisée à Nancy qui fait apparaître un taux de 10 % de jeunes dans cette situation.
Observant que le paysage épidémiologique français était comparable à celui de bien des pays européens, Mme Nicole Maestracci a souligné que cette situation conduisait à proposer une politique de prévention et de prise en charge qui concerne l'ensemble des produits psychoactifs, quel que soit leur statut juridique.
En tout état de cause, elle a considéré qu'il n'était pas nécessaire de changer la loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et l'usage illicite de substances vénéneuses, en soulignant l'importance du maintien de la hiérarchie des interdits. Elle s'est prononcée également contre une politique de prohibition de l'alcool ou du tabac.
Mme Nicole Maestracci a présenté ensuite le nouveau programme triennal de lutte contre la drogue et la toxicomanie adopté, en présence du Premier ministre, au cours du conseil interministériel du 16 juin dernier, qui est ordonné autour de cinq volets.
Le premier volet est celui de l'amélioration des connaissances en matière de toxicomanie, en augmentant tout d'abord les moyens de la recherche sur les drogues, le tabac et l'alcool, de manière à disposer des connaissances les plus précises possibles sur les produits, leurs effets et les traitements.
Elle a évoqué ensuite trois actions :
- conduire des enquêtes épidémiologiques régulières fondées sur une même méthodologie, afin de mesurer les évolutions dans le temps et de permettre des comparaisons au niveau européen ;
- disposer d'un observatoire permanent des tendances de consommation, fonctionnant " en temps réel ", afin de constituer une banque de données, notamment des drogues de synthèse, pour mieux connaître et repérer les nouveaux produits et remonter les filières de production ;
- mettre en place un réseau " sentinelle " composé d'associations, de médecins et de pharmaciens pour observer les nouveaux modes de consommation des drogues.
Mme Nicole Maestracci a abordé le second volet relatif à l'amélioration de l'information et de la communication des pouvoirs publics sur la question de la toxicomanie.
Tout d'abord, une campagne de communication sur trois ans devrait être lancée à la rentrée de 1999, qui devrait répondre à une double préoccupation, à savoir s'inscrire dans la durée et ne pas diffuser un message unique, à l'usage d'une seule catégorie des consommateurs de drogue.
Mme Nicole Maestracci a particulièrement souligné que les parents, trop souvent démunis d'informations face à leurs enfants, étaient tentés soit par une indifférence dommageable, soit par une dramatisation excessive, les deux comportements étant également contre-productifs. L'objectif de la campagne visera donc également les parents afin de leur indiquer à qui s'adresser et comment réagir face à un comportement addictif.
Le second aspect de la politique de communication sera constitué par l'ouverture d'un site Internet de la MILDT en octobre 1999, qui disposera d'un système de courrier électronique permettant de répondre aux interrogations des " internautes " et rendra disponibles les données et connaissances concernant la drogue et les dépendances.
Mme Nicole Maestracci a ensuite abordé le volet relatif à la systématisation de la prévention en soulignant, qu'au-delà des actions générales, l'objectif serait de cibler prioritairement l'action à l'égard des jeunes, dans la mesure où les consommations de substances psychoactives commencent en général avant l'âge de 20 ans. Elle a rappelé que si aujourd'hui beaucoup d'initiatives avaient été prises, elles rencontraient des limites tenant à une insuffisance quantitative et à un manque d'harmonisation des discours des différents intervenants en milieu scolaire.
Elle a observé par ailleurs qu'à l'issue de leur scolarité, 40 % des jeunes seulement avaient bénéficié en milieu scolaire d'un programme de prévention contre la drogue et que ce taux tombait à moins de 20 % en matière de prévention contre l'alcoolisme ou le tabagisme.
Elle a indiqué que l'objectif était de fournir aux professionnels un ensemble d'orientations et de références cohérentes en élaborant un programme national et des plans départementaux de prévention, assortis d'objectifs qualitatifs et quantitatifs. Tous les jeunes devraient bénéficier au moins d'un programme de prévention au cours de leur scolarité. Il s'agit non plus seulement de prévenir la consommation initiale de drogue ou l'usage de celle-ci, mais aussi d'éviter le passage à une consommation nocive, c'est-à-dire une consommation à risque et régulière.
Mme Nicole Maestracci a évoqué ensuite l'amélioration de la formation des personnes engagées dans la lutte contre la toxicomanie, en mettant l'accent sur trois points :
- un programme de formation spécifique pour les professionnels non spécialisés, tels que les policiers, les gendarmes, les douaniers et les personnels des services pénitentiaires qui sont quotidiennement au contact d'usagers de drogue et de toxicomanes ;
- une formation commune à tous les acteurs de prévention ;
- l'amélioration de la formation initiale et continue des médecins généralistes et des pharmaciens qui doivent être plus aptes à détecter les cas de toxicomanie auxquels ils sont confrontés.
Elle a annoncé la création d'un diplôme d'études spécialisées complémentaire en addictologie (DESC).
S'agissant de la répression, Mme Nicole Maestracci a souligné que le Gouvernement entendait rester dans le cadre de la loi du 31 décembre 1970.
Elle a fait état d'une augmentation très importante des interpellations par usage de drogue en 1998, contrastant avec la baisse de 20 % des interpellations au titre du trafic local de stupéfiants depuis 1996.
Elle a indiqué que Mme le garde des sceaux avait transmis récemment deux circulaires aux procureurs de la République : la première met l'accent sur la répression du trafic de drogue, en particulier du trafic local en s'appuyant notamment sur la récente loi du 13 juin 1996 relative à la répression du proxénétisme de la drogue ; la seconde concerne la politique pénale à l'égard des usagers de stupéfiants et invite à éviter l'emprisonnement pour les usagers et à développer des réponses sanitaires et sociales à tous les stades de la procédure et rappelle que la politique d'interpellation ne doit pas contrecarrer les programmes de réduction des risques.
Le dernier volet du programme triennal évoqué par Mme Nicole Maestracci porte sur l'amélioration de l'offre de soins pour les toxicomanes.
Mme Nicole Maestracci a tout d'abord constaté que le dispositif de prise en charge des toxicomanes était relativement développé en France et reposait sur des centres ambulatoires pour toxicomanes, qui étaient quasi exclusivement orientés vers les héroïnomanes injecteurs, alors que la prise en charge des polytoxicomanes apparaît de plus en plus insuffisante.
En matière de lutte contre l'alcoolisme, le dispositif est fondé sur les centres de cure ambulatoire en alcoologie (CCAA) dont le public est largement composé de personnes de 40 ans et plus alors que l'alcoolisme commence en général à partir de 20 ans.
Elle a indiqué que l'objectif devrait être de disposer d'un système de soins qui prenne en charge l'ensemble des personnes ayant un comportement addictif, grâce à un rapprochement administratif et financier des structures de soins pour les polytoxicomanes et les alcoolo-dépendants et à la constitution d'un réseau de médecins spécialisés et d'équipes de liaison hospitalière.
Elle a précisé que la démarche n'était pas de créer de nouveaux centres, mais de mieux travailler avec le dispositif existant en développant la notion de réseau.
En matière de politique de réduction des risques, elle a indiqué que l'objectif était de doter toutes les grandes villes d'un lieu d'hébergement ou d'un lieu d'accueil pour les toxicomanes en détresse.
Concernant les traitements de substitution, elle a précisé que 64.000 personnes étaient soignées dans le cadre de ces programmes dont 57.000 par le SUBUTEX en milieu ambulatoire et 6.000 par la MÉTHADONE-AP-HP en milieu hospitalier.
Mme Nelly Olin, présidente du groupe d'études sur la lutte contre la drogue et la toxicomanie, s'est demandé si l'action de la MILDT ne courrait pas le risque d'une dispersion si elle était étendue à la lutte contre l'alcoolisme et le tabagisme. Elle s'est interrogée sur les indicateurs disponibles concernant le coût et les dommages sociaux résultant de la consommation des drogues illicites. Elle a souhaité connaître la position de la MILDT sur l'utilité des communautés thérapeutiques et des traitements de substitution à base de SUBUTEX ou de MÉTHADONE-AP-HP.
M. Jean Delaneau, président, s'est demandé s'il était confirmé que la consommation de drogues dites dures était toujours précédée d'une consommation de cannabis.
En réponse, Mme Nicole Maestracci a tout d'abord souligné que si l'on savait scientifiquement que les processus moléculaires et physico-chimiques à l'origine des phénomènes d'addiction étaient les mêmes, il était indispensable de rappeler que les produits n'étaient pas équivalents.
Elle a indiqué que si le nouveau programme triennal avait souhaité aborder la question de la dépendance dans une optique très large, il répondait ainsi au fait que les intervenants sur les terrains constataient par eux-mêmes que les dispositifs de réponse n'étaient plus adaptés aux nouveaux comportements des toxicomanes. En particulier, le développement de la polytoxicomanie montre que l'on ne peut plus raisonner de manière cloisonnée, produit par produit, mais qu'il faut esquisser un rapprochement nécessairement progressif des dispositifs de prise en charge qui tiennent compte des spécialisations acquises dans chaque secteur.
Mme Nicole Maestracci a ainsi souligné que la démarche de la MILDT n'avait pas été inspirée par un choix politique, mais qu'elle répondait à une nécessité liée à l'évolution des modes de consommation sur le terrain.
Concernant les moyens financiers, elle a rappelé que la MILDT était une structure de coordination interministérielle, dotée d'un personnel peu nombreux mis à disposition par les différents ministères, dont la vocation " n'était pas de faire mais de faire faire ". Elle a souhaité que la MILDT devienne un lieu de coordination et de référence documentaire.
S'agissant des indicateurs de dangerosité comparée des différentes substances psychoactives, elle a souligné que le programme triennal se donnait pour priorité une amélioration des connaissances en ce domaine, grâce à l'élaboration d'indicateurs fiables sur le plan national et local, à la création d'un observatoire des tendances de consommation et à la constitution du " réseau Sentinelle ".
Evoquant des données statistiques parfois avancées comparant les 40.000 décès annuels causés par l'alcool, les 60.000 décès dus au tabac et les 143 morts par overdose, elle a insisté sur le fait que ces données n'étaient pas comparables et qu'il serait plus pertinent de disposer de séries statistiques fiables sur les causes de décès des toxicomanes.
Concernant les accidents de circulation, elle a rappelé que l'un des objectifs de la récente loi relative à la sécurité routière était de mieux connaître les statistiques relatives aux accidents mortels causés par l'ingestion de substances psychoactives. Elle a souligné qu'un programme de recherche serait financé sur l'usage des médicaments psychotropes et les accidents de la route.
S'agissant des communautés thérapeutiques, elle a rappelé qu'en effet le dispositif de soins français était constitué de manière très homogène à partir d'une approche psychanalytique qui laissait peu de place aux thérapeutiques comportementalistes ainsi qu'aux traitements de substitution. Elle a indiqué en outre que l'affaire du " Patriarche " avait certainement pesé sur le développement des communautés thérapeutiques.
En ce domaine, elle a estimé qu'il fallait éviter les préjugés et que son objectif était de promouvoir la diversité des solutions thérapeutiques ; elle a précisé qu'il était envisagé d'autoriser l'ouverture de quelques communautés thérapeutiques en plus des deux qui existent actuellement, en soulignant qu'il importait d'abord d'apprécier la qualité des intervenants et leurs compétences.
S'agissant des traitements de substitution, elle a rappelé qu'ils avaient montré leur efficacité pour les bénéficiaires en termes d'amélioration de l'état sanitaire et de la baisse de la délinquance associée.
Elle a constaté néanmoins l'absence d'effet de ces traitements en matière de contamination par le virus de l'hépatite C et elle a regretté les cas de détournement de l'usage du SUBUTEX donnant lieu à des trafics et à des consommations par injection.
Elle a envisagé deux mesures :
- un encadrement plus rigoureux des conditions de prescription de SUBUTEX en limitant la période de délivrance à 7 jours ;
- une amélioration de l'accompagnement social des personnes bénéficiaires du traitement à travers les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, les centres de soins pour toxicomanes et un réseau de médecins généralistes concernés.
Concernant le passage entre les différentes catégories de produits stupéfiants, elle a rappelé que s'il était vrai que tous les héroïnomanes avaient commencé par consommer du cannabis, il était également exact qu'ils avaient tous été des consommateurs de tabac. Elle a rappelé en outre que si deux tiers des jeunes avaient consommé du cannabis, 0,2 % d'entre eux seulement était héroïnomane.
Elle a insisté sur le fait que c'était le plus souvent les jeunes consommant à la fois du tabac, de l'alcool et du cannabis qui étaient les plus susceptibles de recourir à des drogues plus dangereuses en souhaitant que des enquêtes longitudinales soient conduites particulièrement sur ce thème.
Elle a insisté sur la nécessité d'examiner à la fois les facteurs de vulnérabilité ou de protection face à la toxico-dépendance. Elle a souligné que la toxicomanie résultait de la rencontre entre un produit et une personnalité vulnérable à un moment déterminé et que, vraisemblablement, tous les adolescents traversaient une période de vulnérabilité où ils cherchaient à " prendre des risques ".
Elle a souligné qu'il était essentiel que l'adulte soit en mesure de repérer le moment où le jeune risque de sombrer dans une consommation nocive de produits psychoactifs. A cet effet, elle a rappelé que les parents étaient toujours des référents essentiels pour les jeunes, y compris les jeunes en difficulté, et qu'il était donc essentiel de leur donner les " outils " qui leur permettraient d'apporter une réponse éducative.
M. Alain Gournac s'est félicité de la clarté des propos de Mme Nicole Maestracci, en soulignant l'importance d'une meilleure formation des personnels des associations spécialisées et en appelant à la vigilance à l'égard des pratiques de certaines sectes vis-à-vis des parents en difficulté. Il s'est interrogé sur le problème de la libéralisation de l'usage du cannabis, les trafics frontaliers de drogue en particulier avec l'Espagne et les Pays-Bas, ainsi que sur la consommation de drogue et de bière fortement dosée dans les " rave parties ".
M. Philippe Nogrix a souhaité que le numéro vert " Drogue Info-Service " prenne mieux en compte les préoccupations des parents d'enfants drogués. Il s'est inquiété du risque d'une banalisation des drogues illicites si celles-ci étaient mises sur le même plan que l'alcool ou le tabac. Il s'est interrogé sur le développement d'associations d'anciens drogués, à l'instar des associations d'alcooliques anonymes qui ont fait leurs preuves.
M. Jean-Louis Lorrain a indiqué que l'on pouvait souscrire au programme triennal de la MILDT. Il s'est interrogé sur l'évaluation de la loi Evin. Il s'est demandé s'il était envisagé de prendre des mesures législatives dans le cadre du nouveau programme triennal. Citant le rapport du Professeur Bernard Roques, il a regretté la vulgarisation trop rapide et dénaturée de rapports scientifiques.
Mme Nicole Borvo a approuvé les orientations du nouveau programme triennal et s'est interrogée sur les problèmes soulevés par la mise en place de centres de réduction des risques, en faisant allusion au cas du centre Beaurepaire.
Concernant la dépénalisation du cannabis, Mme Nicole Maestracci a confirmé qu'il n'était pas envisagé de modifier la loi du 31 décembre 1970, en faisant observer que la marge de manoeuvre des pouvoirs publics était limitée, dans la mesure où la France avait ratifié des conventions internationales de 1961 et de 1988 qui condamnaient la détention de stupéfiants. Elle a souligné, à cet égard, que la distinction entre l'usage et la détention de drogue était extrêmement ténue puisqu'en pratique, les autorités policières ne procédaient pas à l'arrestation de personnes physiquement en train de consommer mais de personnes qui détenaient sur elles des produits illicites.
Elle s'est néanmoins interrogée sur le caractère inadapté de la sanction correspondant au maximum à un an d'emprisonnement pour l'usage simple de produits illicites. Elle a rappelé que 150 personnes environ étaient actuellement incarcérées pour usage de cannabis et s'est prononcée en faveur d'un recours accru des juges à des solutions plus efficaces, telles que la peine d'amende ou le placement thérapeutique sous condition.
Elle a observé par ailleurs que l'ensemble des législations européennes était relativement homogène en soulignant le paradoxe de la législation néerlandaise, en droit rigoureuse, mais non appliquée puisqu'une tolérance de l'opinion publique s'était instaurée à l'égard du cannabis.
Elle a évoqué néanmoins trois inconvénients de la loi du 31 décembre 1970 : tout d'abord la prise en charge du toxicomane dans des structures sanitaires spécifiques n'apparaissait plus pertinente ; les notions d'anonymat et de gratuité des soins soulevaient des interrogations ; enfin, la procédure de classement des stupéfiants apparaissait inadaptée face au développement des drogues de synthèse.
En conclusion, Mme Nicole Maestracci a souligné que, sur un tel problème de société, une loi ne pouvait être modifiée que s'il existait une adhésion profonde de la population à ce changement.
Concernant les boissons " prémix " ou les bières fortement dosées, Mme Nicole Maestracci a rappelé que les brasseurs français avaient signé une charte éthique s'engageant à ne pas les commercialiser en France. Elle a regretté que les firmes étrangères n'aient pas agi de même, tout en constatant que le respect des règles de la concurrence au sein du marché européen limitait les possibilités d'action des pouvoirs publics en dehors des campagnes de publicité relatives à la maîtrise de la consommation de ces produits.
D'une manière générale, elle a rappelé que la disposition du code des débits de boissons qui fait interdiction de toute vente d'alcool aux mineurs de moins de 16 ans n'était pas respectée. Elle s'est donc interrogée sur les difficultés d'appliquer concrètement dans les débits de tabac et les supermarchés une éventuelle interdiction de la vente aux mineurs de cigarettes ou de boissons alcoolisées fortes, en soulignant à nouveau qu'il était difficile d'instituer des dispositifs de protection sans réelle adhésion des acteurs économiques et des citoyens.
S'agissant des trafics frontaliers, elle a rappelé en effet que les services des douanes étaient vigilants vis-à-vis de l'Espagne qui était une plaque de trafic de cannabis en provenance du Maroc, l'un des principaux pays producteurs.
Concernant les Pays-Bas, elle a rappelé que le " tourisme de la drogue " était souvent le fait de jeunes, peu insérés dans des réseaux lourds de trafiquants, qui cherchaient surtout à satisfaire leur consommation personnelle. Elle a rappelé que depuis janvier 1999 un accord de coopération avait été passé entre la police française et la police néerlandaise, que des rapprochements et échanges d'information étaient maintenant effectués et que des résultats pouvaient être espérés en ce domaine.
S'agissant de la consommation de drogue dans les lieux de concerts et les lieux festifs par les jeunes, elle a souligné que si ce phénomène était un grave sujet de préoccupation, il restait néanmoins vrai que tous les jeunes qui participaient à ces manifestations n'étaient pas tous des consommateurs de drogue.
Elle a insisté sur le fait que les mesures exclusivement répressives étaient en pratique inapplicables s'agissant de rassemblements qui comptaient près de 2.000 jeunes en moyenne et elle a regretté que les messages de prévention aient souvent mal fonctionné à l'égard de ces publics, en raison d'une sous-estimation par les scientifiques et les pouvoirs publics des dangers réels causés par la consommation d'ecstasy et d'amphétamines. Elle s'est prononcée en faveur d'un dispositif qui permette sur place d'adresser des messages d'alerte et de prévention par l'intermédiaire d'associations ainsi que d'assurer une présence médicale, notamment pour prendre en charge les risques d'accidents.
S'agissant du numéro vert " Drogue Info Service ", elle a indiqué que celui-ci répondait pour un tiers à des toxicomanes et pour les deux tiers à des parents. Elle a précisé que ce service avait connu des problèmes d'accessibilité qui devraient être progressivement résolus.
Abordant le risque d'une banalisation de la drogue, Mme Nicole Maestracci a souligné qu'il était important de tenir un discours clair auprès des jeunes, qui sont peu sensibles aux distinctions entre produits licites et produits illicites faites par les pouvoirs publics, et de leur indiquer que les interdictions légales n'étaient pas liées uniquement à la dangerosité d'un produit, mais à la nécessité d'éviter certains comportements sociaux critiquables.
Estimant que les jeunes n'étaient pas des " militants de la dépénalisation ", elle a souhaité pouvoir remobiliser les parents pour qu'ils puissent donner à leurs enfants des " barrières " en matière de comportements addictifs.
Concernant les associations d'usagers ou d'anciens usagers de drogues, elle a constaté que les associations de narcotiques anonymes, qui mettent souvent en oeuvre des thérapies comportementalistes, étaient peu implantées en France. Elle a précisé que les contacts avec certaines associations en relation avec les usagers de drogues pouvaient avoir un rôle utile au service d'une démarche de réduction des risques vis-à-vis de publics, en général peu accessibles.
Concernant l'application de la loi Evin, elle a rappelé que l'évaluation était attendue avec impatience par la MILDT afin de disposer d'un véritable état des lieux sur les problèmes de consommation d'alcool.
S'agissant du rapport de M. Bernard Roques, elle a admis que les comptes rendus des médias avaient été certainement trop schématiques mais elle a estimé qu'il était impossible aujourd'hui de limiter l'accès à l'information. Elle a souhaité que l'ensemble des connaissances, aujourd'hui trop souvent circonscrites à des cercles de spécialistes, soient rendues publiques de manière à ce que les citoyens se les approprient et se fixent progressivement leurs propres repères.
S'agissant des centres de réduction des risques, tels que le centre Beaurepaire, elle a insisté sur l'importance d'une politique de communication vis-à-vis de la population et des riverains de ces centres ainsi que sur la nécessaire coordination avec les autorités policières.
M. Jean Delaneau, président, s'est félicité de la qualité de l'intervention de Mme Nicole Maestracci et a souhaité que le groupe d'études et la commission puissent continuer à suivre attentivement le problème de la lutte contre la toxicomanie en relation avec la MILDT.