AFFAIRES SOCIALES
Table des matières
Mercredi 26 janvier 2000
- Présidence de M. Jean Delaneau, président -
Emploi - Création du CERC - Examen des amendements
M. Jean Delaneau, président, a constaté qu'aucun amendement extérieur à la commission n'avait été déposé sur la proposition de loi n° 19 (1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture, relative à la création d'un conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC).
M. Louis Souvet s'est interrogé sur les raisons qui avaient conduit les députés à proposer un texte législatif tendant à recréer le CERC, supprimé par la loi quinquennale pour l'emploi de 1993. Il s'est inquiété de l'éventuelle contradiction entre les positions successivement exprimées par la commission en 1993 et au mois de décembre dernier.
M. Jean Delaneau, président, lui a répondu que le débat sur cette question avait déjà eu lieu au sein de la commission lors de l'examen du rapport de M. Bernard Seillier, rapporteur.
Répondant à M. Louis Souvet ainsi qu'à M. Jean Chérioux qui lui avait demandé de confirmer la continuité des positions de la commission, M. Bernard Seillier, rapporteur, a indiqué que les amendements adoptés par la commission sur la proposition de loi n'étaient aucunement contradictoires avec la position exprimée par le Sénat en 1993 et qu'ils étaient en outre de nature à mieux respecter l'esprit de la Constitution de 1958, le Gouvernement, et non le Parlement, étant compétent pour créer par voie réglementaire les organismes consultatifs qu'il estimait nécessaire de placer auprès de lui.
Mission d'information en Espagne - Communication
La commission a ensuite entendu une communication de M. Jean Delaneau, président, sur la mission d'information qui s'est déroulée en Espagne du 13 au 18 septembre 1999 en vue d'étudier le système de santé espagnol et l'évolution des dépenses de santé dans ce pays.
M. Jean Delaneau, président, a rappelé que la commission avait toujours choisi d'effectuer des missions d'informations dans des pays étrangers qui, bien qu'ayant une culture, des traditions et des systèmes sociaux spécifiques, étaient confrontés à des défis comparables à ceux qui caractérisent la France. Il a indiqué que les membres de la mission avaient été particulièrement désireux d'étudier les conditions de la décentralisation de la gestion du système de santé espagnol, les réformes tendant à renforcer l'autonomie de gestion des établissements de santé ainsi que la politique du médicament.
Il a rappelé que la délégation, qu'il présidait, était composée de MM. les questeurs François Autain et Claude Huriet, de MM. Charles Descours, Henri Lebreton et Dominique Leclerc, et de Mme Gisèle Printz.
Compte tenu de l'organisation administrative décentralisée de l'Espagne, le choix a été fait de scinder cette mission en deux étapes.
La première, qui s'est déroulée à Madrid, a eu pour objet d'étudier tant le mode de gestion centralisé du système de santé pour les dix communautés autonomes qui n'ont pas encore fait l'objet d'un transfert de compétences en matière de santé, que la coordination opérée par l'Etat entre les politiques de santé conduites par les sept communautés autonomes qui disposent de telles compétences.
La seconde étape de la mission s'est déroulée en Catalogne, une des sept communautés disposant de compétences sanitaires. Elle a eu pour objet l'étude des spécificités de l'organisation sanitaire et de la politique de santé dans une communauté dite " historique ".
M. Jean Delaneau, président, a observé que deux statistiques concernant l'Espagne retenaient l'attention : d'une part, la part du produit intérieur brut (PIB) consacrée à la santé était inférieure à celle de la France et, d'autre part, l'espérance de vie à la naissance des Espagnols était voisine, si ce n'est supérieure, à celle des Français.
Dans une première partie de son intervention, M. Jean Delaneau, président, a indiqué que l'accès au système espagnol de santé était universel, presque gratuit, et désormais financé par l'impôt.
En effet, la Constitution espagnole de 1978, en son article 43, est venue consacrer un droit universel à la santé que l'Etat est chargé de mettre en oeuvre. A l'heure actuelle, environ 99,5 % de la population résidente dispose d'une carte santé ouvrant droit au système public de santé, les quelque 0,5 % restants étant des personnes qui ont choisi de n'avoir recours qu'à l'offre de soins privée et n'ont pas demandé de carte.
M. Jean Delaneau, président, a rappelé que la couverture maladie s'exprimait, en Espagne, par un droit d'accès gratuit au système public de santé, c'est-à-dire à la médecine générale, à la médecine spécialisée et à l'hôpital, que le tiers payant était généralisé, et qu'il n'y avait pas de ticket modérateur, sauf pour certaines dépenses pharmaceutiques.
Il a observé que les modalités du financement de la santé avaient profondément évolué depuis les dix dernières années, dans un contexte de forte croissance des dépenses.
En effet, jusqu'en 1988, le système était majoritairement financé par les cotisations sociales payées par les entreprises dans le cadre de la sécurité sociale. Un progressif basculement des cotisations sociales vers l'impôt a été opéré, en vue de distinguer d'une part les dépenses de protection sociale de type assurantielles, comme les retraites, et d'autre part les dépenses de solidarité au premier rang desquelles figurent les dépenses de santé : en 1999, l'Etat assume désormais 98,44 % de ces dernières dépenses.
M. Jean Delaneau, président, a ensuite affirmé que le système espagnol de santé était en voie de décentralisation rapide.
En effet, si le système de santé est public, la compétence de sa gestion n'appartient plus, dans toutes les communautés autonomes, à l'Etat central : la Constitution du 31 octobre 1978 avait en effet prévu, dans son article 148, que les communautés pourraient revendiquer et assumer la compétence en matière de santé.
De fait, le transfert de compétences sanitaires au profit des communautés autonomes a été organisé à partir de 1981, et a d'abord concerné celles des communautés " historiques " qui revendiquaient un tel transfert.
Les communautés autonomes concernées par ces transferts représentent 10 communautés sur 17, mais déjà 62 % de la population espagnole. L'ensemble des compétences et du système sanitaire devrait être complètement transféré aux communautés autonomes d'ici 2002-2004.
Pour autant, a estimé M. Jean Delaneau, président, le rôle de l'Etat n'est pas appelé à disparaître. L'article 149 de la Constitution espagnole dispose en effet que la coordination générale du système, la politique du médicament, la législation et les relations internationales demeureront de la compétence de l'Etat. A travers le financement, l'Etat conserve un rôle majeur dans le système de santé espagnol, même si l'on peut s'interroger sur la pérennité d'un dispositif dans lequel les autorités responsables des dépenses ne sont pas celles qui ont le pouvoir de déterminer ou de faire évoluer les financements.
D'ores et déjà, l'Etat doit coopérer avec les communautés dans ce domaine. Les conditions de la politique régionale de santé sont en effet définies, depuis 1987, par voie de consensus au sein d'un Conseil interterritorial qui réunit des représentants de l'Etat et des communautés autonomes. Et des Catalans, notamment, réclament, pour leur Communauté autonome, un pouvoir fiscal qui permettrait d'adapter les ressources de son système de santé à celles de ses habitants.
M. Jean Delaneau, président, a ensuite évoqué les défis auxquels est confronté le système de santé espagnol et les réponses qui leur ont jusqu'ici été apportées.
Il a indiqué que la principale préoccupation des responsables espagnols du système de santé était la dérive des dépenses pharmaceutiques, que le Gouvernement tentait d'endiguer depuis une dizaine d'années.
Il a estimé que la progression des dépenses résultait de la faible participation de l'assuré au financement des dépenses de santé, du vieillissement de la population, ainsi que de la tendance à la hausse des prix moyens des médicaments en raison de la progressive unification du marché européen et des innovations technologiques.
Il a évoqué les mesures prises par le Gouvernement en la matière : établissement d'une " liste négative " de médicaments non pris en charge par l'assurance maladie, développement d'une politique de génériques, peu présents jusque-là sur le marché espagnol en raison du prix moyen peu élevé des médicaments, baisse du prix de vente des médicaments par les laboratoires, réduction des marges des grossistes et des pharmaciens et, enfin, à partir de 2001, entrée en vigueur d'un système de prix de référence pour des groupes de médicaments.
M. Jean Delaneau, président, a également estimé que la lourdeur de la gestion du système de santé géré directement par l'INSALUD contrastait avec la souplesse de l'organisation sanitaire dans certaines communautés autonomes.
Il a ainsi rappelé que l'organisation du système de santé espagnol était de type administratif : le territoire est découpé en " aires de santé ", puis en " zones de santé " au sein desquelles existe au moins un centre de soins primaires, qui délivre des soins infirmiers et des consultations de médecine générale, et orientent ensuite, si nécessaire, le patient vers des consultations spécialisées.
M. Jean Delaneau, président, a souligné que la visite d'un tel centre par la mission à Barcelone avait tout de même montré que l'accès au système de santé, en Espagne, se caractérisait par de nombreuses contraintes qui n'existaient pas en France : le personnel des centres a des horaires de bureau et les installations traduisent le caractère très " collectif " des consultations.
Il a affirmé que la lourdeur du système sanitaire espagnol était également importante dans les hôpitaux publics gérés directement par l'INSALUD. Cette lourdeur affecte les conditions dans lesquelles sont soignés les patients, avec l'existence de listes d'attente importantes. Elle concerne aussi la gestion hospitalière, et notamment la gestion financière. Ainsi, les hôpitaux publics n'ont pas de trésorerie propre, et les pouvoirs des directeurs sont très limités, en particulier pour la gestion des personnels.
Il a souligné que la conscience des effets pervers de cette lourdeur avait conduit les autorités espagnoles à expérimenter de nouvelles formes de gestion, au moins en ce qui concerne des hôpitaux nouvellement construits, et que, le Parlement avait établi le principe de la transformation progressive des hôpitaux publics en " Fondations publiques sanitaires " dotées d'une plus grande autonomie de gestion.
M. Jean Delaneau, président, a enfin observé que des communautés comme la Catalogne disposaient d'une organisation sanitaire qui autorisait intrinsèquement plus de souplesse.
En effet, pour des raisons historiques, la Catalogne ne dispose pas d'un réseau d'hôpitaux publics suffisant pour satisfaire les besoins. En revanche, depuis longtemps, existaient de nombreuses structures hospitalières dépendant de l'Eglise, de sociétés mutualistes, de collectivités locales, ou à capital mixte public/privé.
Le service catalan de santé " achète " ainsi des activités hospitalières à des établissements qui, pour 70 % de l'activité, sont de droit privé et, pour seulement 30 %, de droit public.
M. Jean Delaneau, président, a indiqué à cet égard que le système hospitalier catalan semblait plus performant, du point de vue des coûts, que le système public à gestion centralisée : ainsi, le coût salarial dans les établissements privés est inférieur d'un quart au coût salarial dans les hôpitaux publics. La contrainte de l'ajustement repose donc essentiellement sur les établissements de santé privés, qui ne sont de surcroît pas autorisés à faire des bénéfices.
Tant en ce qui concerne la politique pharmaceutique que la politique hospitalière, M. Jean Delaneau, président, a ainsi estimé très audacieuses les évolutions récentes du système espagnol et affirmé qu'elles méritaient, en bien des aspects, d'être prises en considération.
M. Jean Chérioux a observé que le système de santé espagnol semblait proche du modèle du National Health Service en Grande-Bretagne. Il a demandé quelle était la place de la médecine libérale au sein de l'offre de soins en Espagne et s'il existait dans ce pays un ticket modérateur d'ordre public.
M. Jean Delaneau, président, lui a répondu que la médecine libérale avait une place peu importante en Espagne et qu'il n'existait pas de ticket modérateur d'ordre public. Il a toutefois observé que la part laissée aux assurés sociaux dans le financement de la dépense de santé était résiduelle en Espagne et ne concernait que le médicament et certains soins dentaires.
M. Francis Giraud a demandé si la qualité et la technicité de l'offre de soins espagnole expliquaient les bonnes performances de ce pays en matière d'espérance de vie à la naissance.
M. Jean Delaneau, président, a répondu que, s'il existait des services hospitaliers très performants en Espagne, l'offre de soins n'y était pas pour autant homogène sur tout le territoire et que d'autres facteurs que la qualité du système de santé expliquaient, dans tous les pays, les performances en matière d'espérance de vie.
M. Claude Huriet a indiqué qu'il avait beaucoup attendu de sa participation à la mission d'information en Espagne en raison de son attachement personnel à l'idée de régionalisation. Il s'est cependant déclaré déçu par les modalités d'une décentralisation qui ne concernait pour l'instant que des communautés autonomes riches et qui ne semblait pas présenter les avantages que l'on attendait habituellement d'une régionalisation, à savoir le raccourcissement des circuits de décision et la responsabilité des acteurs. Il a observé que le consensus sur les critères de répartition des financements entre communautés autonomes était très difficile à obtenir et que ces critères, centrés sur le nombre d'habitants par communauté, ne permettaient pas de réduire les inégalités sur l'ensemble du territoire espagnol. Il a estimé utile que la commission étudie à nouveau le système de santé espagnol dans trois ou quatre ans, lorsque l'ensemble des communautés autonomes auront bénéficié du transfert des compétences sanitaires. Il a demandé à M. Jean Delaneau, président, s'il existait des listes d'attente de patients dans les hôpitaux publics.
M. Jean Delaneau, président, lui a répondu par l'affirmative et a indiqué que le système national de santé espagnol avait récemment passé des conventions avec des cliniques privées afin de réduire les listes d'attente dans les hôpitaux publics.
Mme Gisèle Printz s'est déclarée satisfaite par la mission d'information en Espagne et a observé que, tant en ce qui concerne le financement de l'assurance maladie par l'impôt qu'au regard de l'objectif d'universalité de la couverture maladie, l'Espagne était en avance sur la France.
Ordre du jour prévisionnel des travaux de la commission
Puis, M. Jean Delaneau, président, a souhaité faire le point sur le programme de travail de la commission pour les deux prochains mois.
Il a indiqué que de nombreux textes relevant de la compétence de la commission avaient été annoncés par le Gouvernement mais qu'aucun d'entre eux n'avait pour l'instant été déposé, qu'il était donc probable que le programme législatif de la commission reste peu fourni jusqu'à début avril avant de devenir particulièrement lourd en mai-juin.
Il a considéré qu'une conséquence positive de l'organisation déficiente de l'ordre du jour prioritaire était que la commission disposait du temps nécessaire pour approfondir un certain nombre de sujets.
Il a confirmé tout d'abord l'organisation d'une journée d'auditions publiques sur la sécurité sanitaire dont le principe avait été décidé par la commission à l'occasion de l'examen à l'automne dernier d'une proposition de résolution des membres du groupe communiste républicain et citoyen tendant à créer une commission d'enquête.
Il s'est par ailleurs félicité du travail de suivi de l'application des lois de financement de la sécurité sociale lancé par MM. Charles Descours, Jacques Machet et Alain Vasselle, rapporteurs de ces lois. Il a indiqué que trois contrôles sur pièces et sur place étaient d'ores et déjà en cours ou se dérouleraient prochainement : sur les difficultés de fonctionnement des caisses d'allocations familiales, sur la gestion des exonérations de charges sociales, notamment dans le cadre de la mise en place des trente-cinq heures, enfin, sur la mise en oeuvre de la couverture maladie universelle.
Il a fait part, en outre, à la commission de plusieurs projets d'auditions : tout d'abord, dans le cadre du suivi du dossier de la réforme des régimes de retraite, l'audition de M. René Teulade sur l'avis du Conseil économique et social, audition suivie de celle de M. Jean-Michel Charpin, commissaire général du plan, sur la cohérence de cet avis avec les travaux confiés précédemment par le Premier ministre au commissariat au plan ; ensuite, dans le cadre du suivi de l'application de la loi d'orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, une série d'auditions consacrées au volet " accès à l'emploi " de cette loi ; enfin, l'audition du Conseil national du Sida sur son dernier rapport consacré au thème " assurance et VIH ".
Il a également fait part à la commission de deux projets de déplacements sur le terrain, l'un au Samu social de Paris, l'autre au nouvel hôpital européen Georges Pompidou.