AFFAIRES SOCIALES
Table des matières
Mardi 19 septembre 2000
- Présidence de M. Jean Delaneau, président -
M. Jean Delaneau, président, a rappelé que le Gouvernement avait décidé d'inscrire en séance publique, dès l'ouverture de la session, deux propositions de loi adoptées par l'Assemblée nationale. Il a observé que la commission des affaires sociales, saisie au fond de ces deux textes, devait se réunir dès la mi-septembre, alors même qu'elle avait attendu vainement, de janvier à juin, l'inscription à l'ordre du jour du Sénat des nombreux projets de loi annoncés par le Gouvernement.
Constatant que ces deux propositions de loi étaient inscrites à l'ordre du jour prioritaire du Sénat, il a observé que les très nombreuses propositions de loi adoptées par le Sénat et en instance d'examen à l'Assemblée nationale ne bénéficiaient pas d'un traitement aussi enviable de la part du Gouvernement.
Egalité professionnelle entre les femmes et les hommes - Examen du rapport
La commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de Mme Annick Bocandé sur la proposition de loi n° 258 (1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
M. Jean Delaneau, président, a rappelé que la presse avait fait état, au cours de l'été, de l'intention du Gouvernement d'introduire, par voie d'amendement, à la proposition de loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, le dispositif concernant le travail de nuit des femmes figurant initialement dans le projet de loi de modernisation sociale, déposé en mai sur le bureau de l'Assemblée nationale. Il a indiqué que Mme Annick Bocandé, rapporteur, et lui-même avaient écrit, début septembre, à Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle et aux droits des femmes, pour obtenir confirmation de cet écho de presse et, dans l'affirmative, lui demander de bien vouloir déposer les amendements annoncés, de sorte que la commission puisse les examiner dans de bonnes conditions. Il a constaté que le Gouvernement avait déposé la veille de la réunion de la commission, en fin d'après-midi, un amendement de trois pages. Il a indiqué que, dans ces conditions, en accord avec le rapporteur, il avait décidé de faire distribuer cet amendement qui ne serait toutefois examiné par la commission que lors de sa réunion prévue le matin même de la séance publique et consacrée à l'examen des amendements dits extérieurs. Il a regretté ce dépôt tardif s'agissant d'une véritable " lettre rectificative ".
Puis, M. Jean Delaneau, président, a rappelé que la commission avait décidé de saisir la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes de la présente proposition de loi. Il a souhaité que la commission puisse entendre le rapporteur de la délégation présenter ses recommandations avant de procéder à l'examen du rapport de Mme Annick Bocandé.
M. Gérard Cornu, rapporteur pour la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, se faisant l'écho des deux principales questions soulevées au sein de la délégation, s'est tout d'abord demandé s'il était opportun de légiférer une nouvelle fois en matière d'égalité professionnelle, alors que le bilan médiocre de la loi du 13 juillet 1983 s'expliquait avant tout par la mauvaise application de cette loi. Dans ces conditions, il a estimé qu'il était préférable de garantir l'application de la loi en vigueur, plutôt que de légiférer à nouveau. Il s'est ensuite interrogé sur l'articulation entre la loi et la négociation collective, indiquant que les partenaires sociaux avaient décidé de se saisir de la question de l'égalité professionnelle dans le cadre de la négociation interprofessionnelle, dite de " refondation sociale ". Il a jugé qu'il aurait été souhaitable, avant de légiférer, de laisser le dialogue social s'engager.
Il a ensuite rappelé les principales recommandations adoptées par la délégation :
- l'instauration d'une sanction pénale en cas de manquement à l'obligation de négocier sur l'égalité professionnelle dans l'entreprise semble excessive, la délégation jugeant plus opportun de retenir un mécanisme de sanction plus progressif ;
- la délégation préconise également de faire porter l'effort sur l'orientation scolaire et universitaire des jeunes filles, afin d'améliorer l'adéquation entre leur formation initiale et les débouchés du marché du travail ;
- la principale source d'inégalité professionnelle reste encore trop largement, pour les femmes, la contrainte du temps, ce qui implique de voir un nouvel examen de la politique familiale afin de permettre une meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle ;
- la protection juridique, sociale et financière des conjoints de travailleurs indépendants doit être également améliorée ;
- une modulation des crédits de formation accordés par l'Etat aux syndicats en fonction de leur prise en compte de l'objectif de mixité pourrait être expérimentée ;
- il serait enfin nécessaire de favoriser une représentation des femmes dans les comités d'entreprise proportionnelle à leur effectif dans l'entreprise, de manière à mieux faire appliquer la législation sur l'égalité professionnelle et à enrichir le dialogue social.
M. Gérard Cornu a estimé qu'en définitive l'intérêt majeur de cette proposition de loi était d'instituer dans la fonction publique les mêmes obligations en matière d'égalité professionnelle que dans les entreprises.
Mme Annick Bocandé, rapporteur, a rappelé que l'Assemblée nationale avait adopté, le 7 mars dernier, une proposition de loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, proposition que le Gouvernement a souhaitée inscrire à l'ordre du jour prioritaire des travaux du Sénat. Observant que cette proposition visait non seulement le code du travail, mais aussi, dans ses titres II et III, le statut de la fonction publique, elle a indiqué qu'elle proposait de s'en remettre à l'avis éclairé de la commission des lois pour ces titres. Elle a également rappelé que la commission des affaires sociales avait décidé de saisir, le 15 mars dernier, la délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes. Elle a précisé que son rapport reprenait bien des constats et bien des recommandations formulés par la délégation.
Observant que les progrès liés à la loi " Roudy " du 13 mai 1983 n'avaient pas suffi à garantir une réelle égalité professionnelle, elle a constaté que subsistait de fait un certain nombre d'inégalités fragilisant la place des femmes sur le marché du travail : inégalité face au chômage, face à la précarité, face à la formation, dans le déroulement des carrières, face aux salaires et face aux conditions de travail.
Elle a néanmoins estimé que ce diagnostic relativement sombre ne devait pas occulter certaines évolutions qui avaient permis de renforcer la place des femmes dans la sphère professionnelle. A cet égard, elle a observé que les femmes étaient de plus en plus nombreuses à exercer une activité professionnelle, le taux d'activité de 25 à 49 ans étant ainsi passé de 44 % en 1968 à 80 % en 2000. Elle a alors considéré que c'était parce que les femmes étaient de plus en plus présentes dans le monde du travail que les inégalités persistantes apparaissaient de plus en plus insupportables.
Estimant que l'égalité professionnelle constituait un réel enjeu de société, Mme Annick Bocandé, rapporteur, s'est interrogée pour savoir si la présente proposition de loi constituait une réponse adaptée. Elle a, sur ce point, exprimé ses doutes, considérant que la proposition relevait d'une opportunité incertaine et n'offrait qu'un contenu décevant.
Elle a ainsi estimé que la pertinence d'un nouveau texte législatif était loin d'être évidente. Elle a d'abord rappelé qu'il existait déjà un arsenal législatif important, estimant que le bilan très mitigé de la loi " Roudy " tenait moins aux failles de la législation qu'à son application imparfaite. Elle a considéré, à cet égard, que la raison fondamentale de cet échec résidait avant tout dans la très faible appropriation de ce texte par les partenaires sociaux. Elle a alors jugé que ce n'était pas en rendant la législation plus contraignante que l'on garantirait sa meilleure application.
Elle a en outre observé que les partenaires sociaux s'étaient désormais saisis du thème de l'égalité professionnelle dans le cadre de la négociation interprofessionnelle engagée le 3 février dernier, dite de " refondation sociale ". Elle a jugé que, dans ce contexte, il eût été préférable de laisser le dialogue social s'engager plutôt que de chercher à légiférer hâtivement au risque de bloquer la concertation. Elle a alors estimé que la loi n'aurait dû intervenir qu'en cas de carence de ce dialogue social.
Mme Annick Bocandé, rapporteur, a également jugé qu'en matière d'égalité professionnelle, il importait plus de faire évoluer les mentalités que la loi, rappelant que la persistance des inégalités professionnelles reposait avant tout sur des obstacles culturels.
Abordant le contenu de la proposition de loi, elle a jugé que celui-ci restait très limité, ne prévoyant en définitive que trois mesures nouvelles (alourdissement du rapport dit de " situation comparée ", institution d'obligations multiples de négocier sur l'égalité professionnelle dans l'entreprise et au niveau de la branche, extension du champ des entreprises pouvant bénéficier d'aides publiques en faveur de l'égalité professionnelle), mais qu'il était paradoxalement très contraignant. Elle a ainsi estimé que l'introduction de sanctions pénales pour l'employeur en cas de manquement à l'obligation annuelle de négocier lui apparaissait disproportionnée et que les négociations obligatoires risquaient d'être largement artificielles, jugeant préférable d'inciter les partenaires sociaux à négocier plutôt que de les y forcer.
Elle a considéré que cette proposition de loi témoignait, en définitive, d'une vision très réductrice des inégalités professionnelles, observant que, si elles se manifestaient dans l'entreprise, elles trouvaient souvent leur source en dehors. Rappelant que les difficultés pour les femmes à concilier vie familiale et vie professionnelle alimentaient fortement les inégalités constatées, elle a alors regretté que la proposition de loi n'ait pas choisi d'aborder cette dimension pourtant essentielle. Elle a indiqué que, sur ce sujet, deux pistes très concrètes devaient être approfondies : développer et améliorer les systèmes de garde d'enfant et favoriser le retour sur le marché du travail des femmes ayant interrompu leur activité pour élever leurs enfants, ces femmes rencontrant bien souvent des difficultés pour leur réinsertion professionnelle. Elle a précisé qu'elle présenterait des amendements en ce sens.
Constatant les limites de cette proposition de loi, elle a estimé nécessaire, sans toutefois en bouleverser l'architecture générale, de la faire évoluer dans deux directions :
- d'une part, la simplifier et l'assouplir afin de la rendre moins contraignante pour l'entreprise et plus adaptée à la réalité du monde du travail ;
- d'autre part, l'enrichir afin qu'elle ne se limite pas à une vision trop restrictive du thème de l'égalité professionnelle.
S'agissant de l'adjonction envisagée par le Gouvernement de dispositions relatives au travail de nuit des femmes, Mme Annick Bocandé, rapporteur, s'est faite l'écho du propos liminaire du président Delaneau et de la démarche qu'ils avaient entreprise ensemble. Elle a regretté également que l'amendement du Gouvernement n'ait été déposé que la veille, en fin d'après-midi. Elle a alors déclaré que, compte tenu de la brièveté des délais et de l'ampleur des dispositions qui prévoient un nouveau cadre juridique pour le travail de nuit en général, elle n'avait pas souhaité les examiner dans la précipitation. Aussi, a-t-elle précisé qu'elle ne présenterait d'éventuels sous-amendements que lors de la réunion de la commission du 3 octobre.
M. René Garrec, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois, a indiqué que la commission des lois s'était saisie pour avis du titre II de la proposition de loi, ce titre concernant la fonction publique. Il s'est interrogé à son tour sur l'utilité de légiférer en la matière, observant que la question de l'égalité professionnelle était déjà bien couverte par les textes existants. Il s'est en outre interrogé sur la constitutionnalité de certaines des nouvelles dispositions proposées.
M. Louis Souvet, s'interrogeant sur l'utilité d'une nouvelle loi en la matière, a estimé, à son tour, qu'il était prioritaire de faire évoluer les mentalités. Il a, en outre, considéré que l'autorisation du travail de nuit des femmes ne constituait pas forcément un progrès.
M. Claude Huriet a estimé nécessaire d'établir une distinction entre la notion d'inégalité et celle d'injustice, observant que toute inégalité n'était pas obligatoirement une injustice. Il a également indiqué qu'il était sans doute souhaitable de réaliser une évaluation exhaustive de la loi du 13 juillet 1983 avant de la modifier.
M. Guy Fischer a jugé qu'il fallait tirer les conséquences du bilan mitigé de la loi " Roudy ", observant que les partenaires sociaux étaient demandeurs de nouveaux outils législatifs pour dynamiser les négociations en matière d'égalité professionnelle. Il a aussi estimé important de renforcer le cadre législatif actuel, notamment pour la fonction publique. Il a enfin souligné l'importance de l'amendement gouvernemental sur le travail de nuit des femmes, précisant que son groupe se prononcerait sur ce point le 3 octobre.
M. Francis Giraud a insisté sur la question de la garde d'enfant, question intimement liée à celle de l'égalité professionnelle. Il a estimé, à cet égard, qu'il était nécessaire de trouver d'autres solutions que la prise en charge collective pour permettre aux femmes, mais aussi aux hommes, d'élever leurs enfants.
Mme Gisèle Printz a, pour sa part, considéré que la non-application de la loi " Roudy " impliquait l'adoption de la présente proposition de loi. Elle a également estimé qu'il importait avant tout de faire évoluer les mentalités, même si c'était le plus difficile. Elle a jugé nécessaire de développer les modes de garde collective des enfants. Elle a enfin estimé qu'il était nécessaire de réfléchir sérieusement sur le travail de nuit.
M. Lucien Neuwirth a considéré que la question de l'égalité professionnelle constituait un phénomène social essentiel, ce qui ne doit pas inciter à travailler dans la précipitation. Il a estimé que cela impliquait un élargissement des perspectives posées par la proposition de loi et notamment une réflexion nouvelle sur les politiques d'aide à la famille dans le respect des choix individuels.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard s'est alors interrogée sur la possibilité d'une audition du Gouvernement par la commission sur ce point.
En réponse aux différents intervenants, Mme Annick Bocandé, rapporteur, a tout d'abord rappelé que l'égalité professionnelle constituait, à ses yeux, un sujet très important et très sensible sur lequel il importait d'être à la fois vigilant et constructif. Si l'opportunité de légiférer à nouveau lui paraissait incertaine, en raison du contenu décevant de la proposition de loi, elle a estimé que la proposition pouvait constituer un support utile pour explorer de nouvelles pistes. Elle a néanmoins souligné qu'il importait prioritairement de faire évoluer les mentalités et que la présente proposition de loi n'y suffirait sans doute pas.
Elle a indiqué que, si toutes les inégalités n'étaient pas des injustices, il existait aussi des inégalités qui en étaient, prenant pour exemple les inégalités en matière de carrière ou de salaire, et qu'il fallait les prendre en compte.
Elle a souligné la complexité de la proposition de loi qui ne faisait que rajouter de nouvelles obligations très lourdes pour les entreprises et notamment pour les petites et moyennes entreprises (PME) pour une efficacité incertaine. Elle a considéré que la loi devait avant tout avoir pour objet d'être adaptée aux nouvelles réalités du monde du travail.
Elle a également insisté sur l'importance de relancer le dialogue social en matière d'égalité professionnelle, relance qu'elle a jugée probable compte tenu de l'évolution du contexte économique et social, et a observé avec satisfaction que les partenaires sociaux aient choisi de l'inscrire sur leur agenda. Elle a alors regretté que la loi précède le dialogue social.
Elle a en définitive regretté le côté trop réducteur de ce texte, déplorant l'absence de prise en compte d'une meilleure articulation entre vie familiale et vie professionnelle.
M. Jean Delaneau, président, a rappelé que la commission avait entendu, sur la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle et aux droits des femmes, le 9 mai 2000. Il a constaté que le dépôt extrêmement tardif de l'amendement du Gouvernement sur le travail de nuit des femmes conjugué à la décision d'inscrire le texte en séance publique dès le mardi matin 3 octobre, rendait le souhait de Mme Marie-Madeleine Dieulangard, au demeurant légitime, fort difficile à satisfaire, sachant que la dernière semaine de septembre voit s'enchaîner les journées parlementaires des groupes politiques.
Puis la commission a procédé à l'examen des articles et des amendements proposés par le rapporteur.
A l'article premier (contenu du rapport de situation comparée), la commission a adopté un amendement prévoyant que les indicateurs sur lesquels se fonde le rapport de situation comparée sont prioritairement fixés par accord collectif.
A l'article premier bis (motivation de l'avis du comité d'entreprise sur le rapport de situation comparée), la commission a adopté un amendement de suppression de cet article.
A l'article 2 (affichage dans l'entreprise du rapport de situation comparée), elle a adopté un amendement visant à ne plus faire de l'affichage la seule voie d'information des salariés.
A l'article 3 (négociation obligatoire dans l'entreprise), elle a adopté un amendement simplifiant le déroulement de la négociation spécifique sur l'égalité professionnelle.
A l'article 4 (sanctions pénales), elle a adopté un amendement remplaçant la sanction pénale en cas de manquement de l'employeur à l'obligation de négocier par une intégration automatique de cette négociation sur l'égalité professionnelle dans le cadre des négociations annuelles sur les salaires, l'emploi et le temps de travail.
A l'article 5 (intégration du thème de l'égalité professionnelle dans la négociation annuelle obligatoire sur les salaires, l'emploi et le temps de travail), la commission a adopté un amendement rédactionnel de cohérence.
A l'article 6 (négociation spécifique au niveau de la branche), elle a adopté un amendement modifiant la périodicité de la négociation et un amendement supprimant le rapport de situation comparée devant servir de fondement à cette négociation.
A l'article 7 (intégration du thème de l'égalité professionnelle dans la négociation obligatoire sur les salaires et les classifications au niveau de la branche), elle a adopté un amendement rédactionnel de cohérence.
Après l'article 8 (éligibilité des entreprises aux aides publiques), elle a adopté trois amendements portant article additionnel :
- le premier vise à rendre les conjoints collaborateurs d'artisans électeurs et éligibles aux conseils de prud'hommes ;
- le deuxième prévoit la possibilité de majorer l'aide maximale que peut accorder un comité d'entreprise ou un employeur en franchise de cotisations sociales pour l'emploi d'un salarié à domicile, lorsque ce salarié assure la garde d'un enfant de moins de trois ans ;
- le troisième tend à étendre jusqu'au sixième anniversaire de l'enfant la période d'activité à temps partiel dans le cadre d'un congé parental d'éducation.
La commission a alors adopté la proposition de loi ainsi amendée.
Création d'une Agence française de sécurité sanitaire environnementale - Examen du rapport
Puis la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Claude Huriet sur la proposition de loi n° 318 (1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à la création d'une Agence française de sécurité sanitaire environnementale.
M. Claude Huriet, rapporteur, a indiqué que la proposition de loi proposait de créer une Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE) dans le droit fil de la réflexion engagée dans le cadre de la loi du 1er juillet 1998 sur le renforcement de la veille sanitaire et le contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.
Il a évoqué les conclusions du rapport remis au Premier ministre en novembre 1998 par M. André Aschieri et Mme Odette Grzegrzulka.
Il a rappelé les grandes lignes du dispositif mis en place par la loi du 1er juillet 1998 en soulignant que le Sénat avait donné la priorité au renforcement de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, qu'il s'agisse des aliments ou des produits de santé.
Il a souligné que la notion d'environnement était très large et qu'elle recouvrait les milieux naturels, les milieux domestiques et les milieux professionnels et par ailleurs, que les risques pouvant affecter la santé de l'homme pouvaient être de nature biologique, chimique ou physique.
S'agissant de la nécessité de créer une nouvelle agence dans le domaine sanitaire environnementale, M. Claude Huriet, rapporteur, a constaté la forte attente de l'opinion, ainsi que l'importante médiatisation des questions relatives à l'environnement.
Il a souligné que le progrès technique et le développement économique entraînaient, dans les sociétés modernes, une augmentation des risques sanitaires environnementaux, attestée par l'augmentation de la part relative des décès dus aux pathologies infectieuses ou au cancer, notamment chez les jeunes enfants.
Il a considéré que le manque d'information sur les seuils de doses dangereuses, l'impact des temps d'exposition ou les synergies entre substances dangereuses, entraînait, dans l'opinion, un sentiment de défiance qui rendait plus difficile la gestion, par les pouvoirs publics, des crises environnementales.
Il a estimé que ce sentiment de défiance était aggravé par le foisonnement, le cloisonnement et la dispersion des organismes chargés de procéder à l'analyse, l'évaluation et à l'expertise des risques sanitaires environnementaux.
Après avoir évoqué quelques organismes impliqués dans le domaine des relations entre la santé et l'environnement, il a estimé que le dispositif français, qui ne manquait ni de moyens, ni de compétences, souffrait d'une insuffisance de lisibilité et de la faiblesse du rapport entre le coût et l'efficacité.
Il a souligné le contraste entre la situation française et la situation aux Pays-Bas, où le rôle dévolu, par exemple, à l'Institut national de la santé publique et de l'environnement (RIVM), dont il a pu s'entretenir avec les responsables, à La Haye, est important.
Il a abordé ensuite la difficulté d'évaluer les risques sanitaires relatifs à l'environnement.
Après avoir rappelé que le champ de compétences était vaste et les facteurs de risques multiples, il a considéré que beaucoup restait à faire pour étudier les conséquences des expositions chroniques et multiples à des quantités de polluants faibles.
Il a estimé que l'intervention des agences de sécurité sanitaire s'effectuait sur des domaines de complexité croissante : le domaine de l'environnement semblant, à cet égard, plus complexe que celui de la sécurité des produits alimentaires, lui-même plus difficile à cerner que celui des produits de santé.
Il a considéré que l'AFSSE, sous sa forme issue de la proposition de loi, ne serait pas à la hauteur des enjeux, parce que la définition de sa mission était trop imprécise et parce que le nouvel organisme n'était conçu que comme une " tête de réseau " ayant seulement vocation à faire travailler de manière coordonnée l'ensemble des organismes spécialisés dotés d'experts en protection sanitaire des milieux.
Constatant que laisser en l'état le dispositif issu des travaux de l'Assemblée nationale ne répondrait pas aux attentes de l'opinion, M. Claude Huriet, rapporteur, a estimé que le renforcement de l'agence passait par les termes de l'alternative suivante :
- soit doter l'agence de moyens humains et budgétaires importants et pérennes,
- soit créer l'agence en la dotant d'un noyau dur à partir d'organismes existants qui pourraient tirer parti de leur autorité et de leur expérience pour lui donner une existence " réelle " et non " virtuelle ".
M. Claude Huriet, rapporteur, a proposé de mieux définir les attributions de l'AFSSE et de prévoir que celle-ci serait constituée par le transfert des droits et obligations de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) et de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI).
Concernant le choix de l'OPRI, M. Claude Huriet, rapporteur, a précisé que le projet de réforme de la sécurité nucléaire annoncé en décembre 1998 à la suite du rapport de M. Jean-Yves Le Déaut n'était pas entré en vigueur à ce jour. Il s'est interrogé sur le risque qu'il y aurait de confier à une même institution, fut-elle une autorité indépendante, les fonctions d'évaluation des risques, de contrôle des installations et de gestion des crises.
M. Charles Descours a partagé le diagnostic du rapporteur sur la difficulté plus grande de créer une agence dans le domaine de l'environnement que dans celui des produits de santé et des aliments. Il a craint que le nouvel organisme ne soit une nouvelle " coquille vide " qui décevrait rapidement l'opinion. Il a considéré que le projet de réforme qui était contenu dans le rapport de M. Jean-Yves Le Déaut était difficilement compatible avec la création d'une agence de sécurité sanitaire environnementale. Il a considéré que les amendements de M. Claude Huriet permettaient de donner à l'agence le minimum de crédibilité nécessaire.
M. François Autain a admis les inconvénients soulevés par la prolifération des organismes compétents dans le domaine des relations entre la santé et l'environnement et la redondance de leurs activités. Il s'est demandé si la création d'une agence unique de sécurité sanitaire n'aurait pas été préférable à la coexistence de plusieurs agences sectorielles spécialisées. Il s'est inquiété des réactions irrationnelles de l'opinion en remarquant que si le risque relatif à la pollution atmosphérique était connu et accepté, le dossier des organismes génétiquement modifiés entraînait des réactions de crainte excessives. Se référant aux difficultés de communication sur le naufrage de l'Erika, il a souhaité que l'agence permette aux diverses structures concernées par la sécurité sanitaire environnementale de parler d'une seule voix et d'améliorer la communication publique en ce domaine. Il a souligné que la volonté du Sénat de constituer l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) à partir du Centre national d'études vétérinaires et alimentaires (CNEVA) n'était plus contestée aujourd'hui, malgré les diverses critiques ou craintes émises à l'origine. Il a estimé que l'AFSSE pouvait être créée à partir de l'INERIS, mais s'est déclaré réservé sur le fait d'intégrer l'OPRI à la nouvelle agence, dans la mesure où la sécurité nucléaire forme un tout difficile à dissocier. Il s'est demandé si la solution ne serait pas de constituer une agence de sécurité environnementale nucléaire. Il s'est interrogé sur le devenir du Conseil supérieur d'hygiène publique de France (CSHPF).
M. Philippe Nogrix a souhaité que l'agence puisse avoir une dimension européenne dans son activité. Il s'est demandé si une agence conçue comme une tête de réseau ne risquait pas de devenir un simple organisme d'expertise supplémentaire venant s'ajouter à tous ceux qui existent déjà.
M. Francis Giraud a estimé que la préoccupation de santé publique devait primer sur toutes les autres et que l'AFSSE devait être d'autant plus renforcée que les avis des experts en matière d'environnement sont souvent divergents. Il a estimé que le projet issu des travaux de l'Assemblée nationale était encore insuffisant.
M. Jean-Louis Lorrain a estimé que les préoccupations relatives à la santé publique risquaient de se " diluer " dès lors qu'elles étaient appréciées dans un domaine aussi vaste que celui de l'environnement. Il a regretté la part trop faible réservée aux questions de santé publique environnementale dans l'enseignement supérieur français. Il a souligné que les crises qui intervenaient dans le domaine de l'environnement donnaient lieu à des débats assez vifs qui rendaient d'autant plus nécessaire la création d'une agence dont les avis seraient incontestés.
M. Guy Fischer a considéré que la proposition de loi était en retrait par rapport aux intentions initiales de ses auteurs et s'est interrogé sur la perspective de la création d'une quatrième agence compétente en matière de sécurité sanitaire nucléaire. Il a estimé que l'AFSSE avait pour mission de concrétiser le concept de sécurité sanitaire environnementale et de définir le risque minimal acceptable. Il a souligné le risque d'intervention de divers groupes de pression à l'image de ce qui s'était produit lors de la discussion sur la création de l'AFSSA. Regrettant la redondance des diverses structures existant actuellement, il a souhaité que la nouvelle agence ne soit ni une " usine à gaz ", ni une " coquille vide ".
En réponse, M. Claude Huriet, rapporteur, a estimé que l'objectif devait être d'éviter de créer un organisme d'expertise qui viendrait se surajouter aux autres, mais plutôt de définir un cadre solide, dans lequel des structures dispersées pourraient s'inscrire sous la forme, le cas échéant, de relations contractuelles. Il a fait part de son souhait de moderniser le dispositif de sécurité sanitaire environnementale en le transformant, et pas seulement en le complétant, à l'instar de ce qui avait été réalisé en matière de sécurité sanitaire alimentaire.
Concernant le Conseil supérieur d'hygiène publique de France, il a partagé les interrogations de M. François Autain sur le devenir de cet organisme aux attributions effectivement très proches de celles de la nouvelle agence.
Il a estimé que le Sénat avait eu raison de ne pas souhaiter la création d'une agence unique de sécurité sanitaire, en soulignant que celle-ci se serait heurtée à la fois à trop d'obstacles et de corporatismes. Il a rappelé que le Comité national de sécurité sanitaire (CNSS) avait pour mission de s'assurer de la coordination de l'activité des différentes agences et qu'il pouvait ainsi garantir la cohérence de l'ensemble du dispositif.
Il s'est demandé si la création d'une quatrième agence ne serait pas perçue avec méfiance par l'opinion qui aurait l'impression d'une volonté des pouvoirs publics de réserver un traitement spécifique à l'évaluation du risque dans le domaine nucléaire.
Il a rappelé que l'AFSSE devait fournir un appui scientifique et technique au Gouvernement pour l'élaboration et la mise en oeuvre des règles communautaires et des accords internationaux.
Il a indiqué que le transfert de l'OPRI permettait d'ouvrir le débat sur l'intégration dans l'agence d'autres organismes compétents en matière nucléaire.
Puis la commission a procédé à l'examen des amendements proposés par le rapporteur.
Après un débat au cours duquel sont intervenus MM. Charles Descours, François Autain, Jean Delaneau, président, et Claude Huriet, rapporteur, la commission a adopté, sur proposition du rapporteur, 17 amendements à la proposition de loi.
Avant l'article premier, elle a adopté un amendement rédactionnel modifiant l'intitulé du titre premier du texte.
A l'article premier (extension du rôle et de la composition du Comité national de sécurité sanitaire), elle a adopté un amendement de coordination visant à remplacer des références législatives suite à l'entrée en vigueur du nouveau code de la santé publique par ordonnance du 15 juin 2000.
Après l'article premier, elle a adopté un amendement rédactionnel et de coordination reprenant, en le modifiant, le contenu de l'article 4 de la proposition de loi.
A l'article 2 (création de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale), la commission a tout d'abord adopté quatre amendements de coordination avec le nouveau code de la santé publique.
Puis elle a adopté un amendement précisant que la mission d'évaluation de l'agence porte sur les risques de nature physique, chimique ou biologique, liés à l'environnement naturel du travail et de la vie quotidienne.
Puis elle a adopté un amendement prévoyant qu'un décret en Conseil d'Etat préciserait les modalités selon lesquelles l'OPRI et l'INERIS seraient transférés à la nouvelle agence et garantiraient le maintien des droits statutaires aux personnels des établissements concernés.
Puis la commission a adopté trois amendements de coordination des références des articles codifiés.
Elle a adopté un amendement tendant à préciser que le directeur de l'agence prenait au nom de l'Etat les décisions qui relèvent de la mission d'expertise et de coordination de l'agence.
Puis elle a adopté trois amendements de coordination des références législatives.
A l'article 4 (extension des missions de l'Institut de veille sanitaire), elle a adopté un amendement de coordination supprimant cet article.
La commission a alors approuvé la proposition de loi ainsi modifiée.