Travaux de la commission des lois



- Présidence de M. René Garrec, président.

Audition de M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

Après avoir indiqué qu'il présentait pour la première fois le programme de son action en tant que ministre de la fonction publique, il a déclaré qu'il souhaitait garantir plus d'équité et une plus grande liberté dans la fonction publique ainsi que, par le biais de la réforme de l'Etat, dans l'ensemble de la société.

Il a expliqué qu'il désirait combattre cinq sources de discriminations constatées dans la fonction publique.

Il a tout d'abord regretté la faiblesse du nombre de recrutements de personnes de plus de cinquante ans dans la fonction publique. Saluant l'idée de la proposition de loi présentée par M. Serge Poignant et plusieurs de ses collègues et adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à supprimer les limites d'âge pour les concours de la fonction publique, il a indiqué qu'il comptait prochainement consulter les organisations syndicales, avant de faire connaître la position définitive du gouvernement à l'occasion du passage du texte devant le Sénat.

Il a ensuite regretté que, bien que le taux de féminisation de la fonction publique de l'Etat s'élève à 56 %, hors militaires, les femmes n'occupent que 13 % des postes d'encadrement supérieur et ne soient que 34 % dans les corps de catégorie A+.

Concernant les discriminations en raison des origines sociales et ethniques, M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a expliqué que le système de recrutement par concours reproduisait les inégalités sociales déjà constatées au sein du système scolaire, les enfants ayant des parents enseignants, cadres supérieurs ou exerçant une profession libérale ayant 90 % de chances d'obtenir leur baccalauréat, contre seulement 40 % pour les enfants d'ouvriers qualifiés. Il a souhaité modifier, par conséquent, le système actuel des concours, qui donne une prime, de facto, aux personnes issues des milieux les plus favorisés.

S'agissant des Français issus de l'immigration, il a souligné qu'ils faisaient souvent l'objet d'une double discrimination, à la fois sociale et liée à leurs origines ethniques.

Il a enfin souligné que l'administration n'employait pas suffisamment de personnes handicapées, alors que le secteur privé avait fait des efforts considérables dans ce domaine, sous l'incitation, voire la contrainte, de l'Etat. Après avoir rappelé que l'emploi des handicapés constituait une des priorités définies par le Président de la République, il a indiqué que si le taux officiel de personnes handicapées dans la fonction publique était de 3 %, la méthode de dénombrement méritait d'être revue, leur nombre étant en réalité très largement inférieur.

Prenant notamment l'exemple de l'emploi précaire et du départ anticipé à la retraite des employés ayant eu des carrières longues, M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a fait observer que l'Etat imposait généralement aux entreprises privées des contraintes qu'il ne respectait pas lui-même.

S'agissant de l'emploi précaire dans la fonction publique, il a souhaité que la directive du Conseil européen du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée soit transposée dans le cadre de la future loi d'orientation pour la fonction publique, afin d'empêcher que les employeurs publics n'emploient des agents non titulaires de façon pérenne, par une succession de contrats à durée déterminée.

De même que l'accord du 15 mai 2003 conclu entre le gouvernement et les syndicats de salariés sur la réforme des retraites stipulait la mise en place d'un dispositif de départ anticipé à la retraite pour les salariés du secteur privé ayant eu une carrière longue, il a souhaité pouvoir aboutir à un accord sur la prise en compte des carrières longues de certains fonctionnaires avec les organisations syndicales de la fonction publique.

Il a ensuite estimé que l'introduction de la rémunération au mérite était nécessaire et qu'elle tendait à davantage d'équité, en tenant compte du service rendu par les fonctionnaires, tout en respectant le principe de l'égalité de traitement posé par le statut de la fonction publique. S'appuyant sur le rapport remis au Premier ministre le 27 avril 2004 par M. Jean-Ludovic Silicani, il a précisé que le système de la rémunération au mérite devrait être introduit, en premier lieu, pour le calcul du traitement des directeurs d'administration centrale, cinq ministères ayant accepté d'être pilotes pour sa mise en place.

Il a également indiqué qu'il comptait travailler sur l'accès aux fonctions électives, lequel s'avère beaucoup plus difficile pour les personnes exerçant une profession libérale ou employées dans le secteur privé que pour les fonctionnaires.

Regrettant le peu de liberté dont disposent actuellement les fonctionnaires dans la conduite de leur carrière, M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a affirmé qu'il souhaitait encourager la mobilité des fonctionnaires, y compris entre les différents métiers de la fonction publique et entre les trois fonctions publiques. Il a également indiqué qu'il désirait faciliter l'engagement des fonctionnaires dans une deuxième carrière, notant qu'il parachèverait prochainement le décret d'application de la loi sur les retraites ayant pour objet d'offrir une telle possibilité aux enseignants. Il a précisé qu'une réflexion serait engagée afin d'identifier les freins à la mobilité des fonctionnaires, laquelle constituerait un volet important du futur projet de loi d'orientation pour la fonction publique.

Il a ensuite estimé que davantage de liberté au sein de la fonction publique passait également par davantage de négociation et moins de décisions prises unilatéralement par l'Etat, tout en conservant, comme objectifs premiers, la satisfaction de l'intérêt général et la qualité du service public. Il a souhaité mettre en place des cycles de négociation réguliers qui puissent aboutir à des accords contenant des concessions réciproques entre l'Etat et les organisations syndicales.

M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a enfin espéré que la réforme de l'Etat devienne un sujet intéressant le plus grand nombre, en mobilisant notamment les principaux acteurs, tels que les ministres, et en lui offrant une résonance médiatique adaptée. Il a estimé qu'un consensus politique pouvait être dégagé en matière de simplification du droit.

Après avoir rappelé la création du projet « ADELE » tendant à développer l'administration électronique, il a indiqué que la première loi d'habilitation votée le 2 juillet 2003 avait conduit jusqu'à présent à l'adoption de vingt et une ordonnances, et que dix nouvelles ordonnances étaient actuellement en cours de finalisation. Rappelant que le Président de la République souhaitait qu'une loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit soit votée chaque année, il a précisé que la seconde loi d'habilitation devrait être examinée à l'Assemblée nationale avant la fin de la session.

Il a ensuite annoncé la préparation prochaine d'un troisième texte présentant un ensemble de simplifications du droit applicables à certaines catégories d'usagers du service public, telles que les très petites entreprises, les personnes âgées, les mères de famille et les maires, estimant que les citoyens les plus fragiles constituaient les premières victimes de la complexité actuelle du droit.

Après avoir indiqué que le second projet de loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit prévoyait la ratification de certaines ordonnances ayant été adoptées en application de la première loi d'habilitation, M. Bernard Saugey, rapporteur du projet de loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit, a souhaité savoir s'il pourrait également être l'occasion de ratifier les ordonnances ayant été prises par le gouvernement postérieurement au dépôt du projet de loi devant l'Assemblée nationale, précisant que cinq ordonnances avaient déjà été présentées depuis en Conseil des ministres.

M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a répondu qu'il était favorable à l'adoption d'amendements prévoyant la ratification de ces ordonnances, avant d'indiquer qu'il espérait que le débat parlementaire permette, aux députés et sénateurs, d'enrichir le texte par de nouvelles simplifications.

Citant l'article paru dans Le Monde daté du 28 avril et signé par M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, M. Jean-Pierre Sueur s'est demandé si les réformes pouvaient uniquement reposer sur un engagement public du gouvernement. Il s'est également interrogé, au vu de la teneur de cet article, sur la capacité du ministre à obtenir un consensus entre la majorité et l'opposition.

M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, distinguant le champ de la polémique et celui du débat, s'est déclaré convaincu que certains sujets, tels que la fonction publique ou la réforme de l'Etat, offraient à la majorité et à l'opposition la possibilité de s'accorder sur les solutions à proposer et d'aboutir à un consensus politique.

Après avoir regretté que la proposition de loi présentée par M. Serge Poignant et plusieurs de ses collègues tendant à supprimer les limites d'âge pour les concours de la fonction publique ait été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale sans concertation préalable entre le ministre et les organisations syndicales de la fonction publique, M. Jacques Mahéas a rappelé que, concernant la discrimination par le sexe, 49 % des femmes travaillant au sein de la fonction publique ne pouvaient atteindre une retraite complète à l'issue de leur carrière.

Il a considéré qu'au regard de la teneur de son intervention, M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, devrait être conduit à s'inspirer de certaines mesures déjà mises en place, telles que le nouveau régime d'admission à l'Institut d'études politiques de Paris, prévu pour certains élèves scolarisés en zone d'éducation prioritaire, ou le développement de la troisième voie pour certains concours de la fonction publique.

Il a approuvé le constat dressé par le ministre sur l'intégration des personnes handicapées dans la fonction publique, estimant en outre que les COTOREP prenaient un important retard pour la reconnaissance de certains handicaps.

Il a également regretté que les principales préoccupations des fonctionnaires n'aient pas été abordées par le ministre au cours de son intervention, citant en particulier la faible hausse des rémunérations, le non-remplacement prévu d'un grand nombre de fonctionnaires lors des départs à la retraite, la délocalisation du centre national de documentation pédagogique, les gels budgétaires, les transferts de personnels issus de la loi relative aux responsabilités locales ainsi que les modifications prévues du statut de la fonction publique territoriale, laquelle emploie actuellement 20 % de contractuels. Il a enfin souhaité savoir quelles seraient les modalités de mise en place de la rémunération au mérite.

En réponse, M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a exprimé son souhait de favoriser les concours de type « troisième voie », ainsi que les mécanismes de validation des acquis de l'expérience professionnelle antérieure des agents publics. Il a indiqué que le gouvernement n'avait pas souhaité s'opposer au vote, par l'Assemblée nationale, de la proposition de loi supprimant la limite d'âge pour l'accès à la fonction publique, alors même que ce texte n'avait pas encore donné lieu à un réel dialogue avec les partenaires sociaux. Il a précisé que la rémunération au mérite pourrait prendre deux formes : la rémunération au mérite individuel, qui pourrait s'appliquer aux cadres de la fonction publique, et la rémunération au mérite collectif qui serait plus adaptée pour certains services publics, tels les services de police.

Soulignant que les propos du ministre rejoignaient plusieurs préoccupations exprimées par la commission dans son avis budgétaire consacré au budget de la fonction publique, en particulier concernant la situation des personnes handicapées, M. Pierre Fauchon a interrogé le ministre sur les incidences de la réforme opérée par la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances sur la présentation des crédits octroyés au ministère de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a indiqué que la mise en oeuvre des dispositions de la loi organique n'interviendrait de manière effective qu'à compter du 1er janvier 2006 et qu'avant cette échéance, certains ajustements devraient être opérés en la matière. Il a estimé inévitable qu'un débat sur les ressources humaines intervienne lors de l'examen du budget.

Evoquant la proposition de loi relative à la suppression de la limite d'âge pour l'accès à la fonction publique, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, M. Jean-Jacques Hyest a souligné que l'institution d'une limite d'âge se justifiait par des conditions d'aptitude physique propres à certains emplois publics et par le souci de permettre à la plupart des agents publics de bénéficier d'une retraite après au moins 15 ans de services. Il a estimé, en conséquence, que des précisions devraient être apportées au texte adopté par l'Assemblée nationale, afin que ses dispositions soient réellement applicables.

Abordant la réforme annoncée du statut de la fonction publique, tout en soulignant que les préoccupations du ministre avaient également été évoquées dans le rapport relatif à la réforme de la fonction publique territoriale dans le cadre de la décentralisation, qu'il avait présenté au nom du groupe de travail constitué par la présidence du Sénat, M. Jean-Jacques Hyest a souligné la spécificité de cette fonction publique, comportant 60.000 employeurs. Il a regretté que la fonction publique territoriale soit souvent déconsidérée, le transfert de personnels de la fonction publique de l'Etat vers la fonction publique territoriale ne devant pas être présenté comme dégradant. Il a ensuite interrogé le ministre sur une réforme éventuelle des différentes institutions de la fonction publique territoriale, estimant qu'il conviendrait, par ailleurs, que l'ensemble des employeurs publics puisse intervenir dans la fixation des rémunérations dans la fonction publique.

En réponse, M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a confirmé que l'application, sans modification, des dispositions de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale pourrait engendrer certaines difficultés, ce qui expliquait la position de sagesse du gouvernement lors du débat à l'Assemblée nationale. Il a rejoint les propos de M. Jean-Jacques Hyest pour estimer qu'il était choquant d'instituer une hiérarchie entre les fonctions publiques, tout en reconnaissant que les transferts de personnels soulevaient des interrogations très concrètes et en indiquant qu'il s'était engagé à répondre aux questions posées par certaines organisations syndicales à ce sujet avant la fin du mois de mai 2004.

S'agissant des institutions de la fonction publique territoriale, le ministre a fait connaître sa volonté de les faire évoluer vers une plus grande simplicité. Il a estimé qu'il conviendrait effectivement d'associer les employeurs publics autres que l'Etat à la politique de rémunération dans la fonction publique, évoquant la nécessité de discussions à ce sujet entre les représentants des trois fonctions publiques.

M. René Garrec, président, l'ayant interrogé sur l'éventuelle inscription à l'ordre du jour prioritaire du Sénat de la proposition de loi relative à la suppression de la limite d'âge pour l'accès à la fonction publique, M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a dit privilégier une solution permettant l'examen des dispositions de ce texte dans le cadre de la discussion du futur projet de loi d'orientation pour la fonction publique.

Nomination de rapporteurs

La commission a ensuite nommé :

- M. Laurent Béteille rapporteur sur la proposition de loi  212 (2002-2003), présentée par M. Claude Saunier et les membres du groupe socialiste et apparentés, tendant à la création de délégations parlementaires aux institutions internationales ;

- M. Charles Guené rapporteur sur la proposition de loi n° 67 (2003-2004.) présentée par M. Jacques Oudin et plusieurs de ses collègues sur la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement.