MM. Michel Bouvard et Thierry Carcenac, rapporteurs spéciaux
IV. UNE MODERNISATION CONTINUE MAIS UN PILOTAGE ENCORE PROBLÉMATIQUE
A. LA MODERNISATION DU PARC IMMOBILIER DE L'ETAT
Le programme 723 retrace les dépenses à caractère immobilier réalisées par l'Etat, ainsi que les dépenses réalisées par des opérateurs de l'Etat sur des immeubles appartenant à celui-ci. Ces dépenses doivent contribuer à la modernisation et à la rationalisation de la politique immobilière de l'État , conformément aux objectifs fixés par le Premier ministre dans la circulaire du 16 janvier 2009.
Les schémas pluriannuels de stratégie immobilière (SPSI) permettent aux administrations de se doter d'objectifs de moyen terme pour piloter leur politique immobilière. Ils sont aujourd'hui déclinés tant au niveau de l'administration centrale que de l'administration déconcentrée - sous la forme de schémas directeurs immobiliers en région (SDIR) placés sous la responsabilité du préfet. Les opérateurs doivent également élaborer un SPSI (cf. infra ).
Le rendement d'occupation des surfaces , mesuré par l'indicateur 1.1 du programme 723, rend compte de la progression vers la cible ultime fixée par France Domaine de 12 m² de surface utile nette (SUN) par poste de travail. Une cible réaliste de 14,25 m² de SUN par poste de travail a été fixée pour 2015 . Pour l'année 2014, la prévision révisée de 14,32 m² est meilleure que l'objectif initial de 15,37 m². L'effort doit toutefois être poursuivi dans le cadre des projets à venir.
Au titre de l'année 2015, les crédits demandés sur le programme 723 « Contribution aux dépenses immobilières » affichent une forte baisse de 66 millions d'euros en AE (-13,6 %) et de 57 millions d'euros en CP (- 2,1 %). Si cette baisse s'explique en partie par l'achèvement de certaines opérations de grande ampleur, vos rapporteurs spéciaux s'inquiètent toutefois d'une possible baisse de l'effort d'investissement en matière immobilière - un tel choix étant certes porteur d'économies à court terme, mais aussi de surcoûts à long terme.
Au jour de l'écriture du présent rapport, vos rapporteurs spéciaux n'avaient pas pu obtenir la liste détaillée ni le chiffrage des principaux projets immobiliers prévus en 2015 , ministère par ministère. Toutefois, parmi les principales opérations en cours, on peut citer :
- le projet « Balard » du ministère de la défense , qui devrait être livré en 2015. Ce projet vise à rassembler sur un site unique, dans le 15 e arrondissement de Paris, le cabinet du ministre, les états-majors, et les directions, soit au total 9 300 personnes. Le projet fait l'objet d'un contrat de partenariat public-privé (PPP) d'une durée de vingt-sept ans, dont le délégataire est le groupe Bouygues. La redevance annuelle moyenne que devra payer le ministère de la défense de 2014 à 2041 s'élèvera à 154 millions d'euros ;
- la rénovation des locaux du Quai d'Orsay et du site « Oudinot » du ministère des affaires étrangères . À l'étranger, plusieurs opérations importantes sont prévues, notamment la construction d'un campus diplomatique à Bagdad et la rationalisation de l'ambassade de Séoul ;
- l'installation sur un nouveau site de plusieurs services du ministère de l'intérieur , après un premier déménagement du site « Nélaton » dans le 15ème arrondissement de Paris vers l'immeuble « Le Lumière » dans le 12ème arrondissement ;
- la poursuite des travaux du futur tribunal de grande instance (TGI) de Paris sur le site des Batignolles , qui ont débuté mi-2013 et devraient d'achever en 2017. La somme des loyers à verser au délégataire du partenariat public privé est évaluée à 2,7 milliards d'euros sur vingt-sept ans.
B. UNE GOUVERNANCE QUI DEMEURE IMPARFAITE
La gestion du programme 723 a vocation à s'inscrire dans une logique interministérielle et régionalisée . Ainsi, le préfet de région est aujourd'hui appelé à jouer un rôle central dans la programmation et l'exécution des travaux. Il est assisté par le responsable régional de la politique immobilière de l'État (RRPIE), placé auprès du directeur régional des finances publiques (DRFiP).
Il est toutefois permis de s'interroger sur la portée réelle de ce nouveau schéma de gouvernance . D'une part, la coordination de la politique immobilière, qui fait intervenir plusieurs autorités différentes, se déroule encore largement au niveau départemental . D'autre part, et surtout, la gestion des crédits du programme 723 et plus généralement des dépenses immobilières de l'État demeure, dans les faits, largement ministérielle . La mutualisation des crédits reste trop souvent théorique, alors qu'elle est l'une des raisons de la création du CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat ».
C. L'OBJECTIF CONTRADICTOIRE DES CESSIONS « DUFLOT » ?
La loi « Duflot » du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement 31 ( * ) autorise l'État à céder des terrains de son domaine privé à un prix inférieur à leur valeur vénale, lorsque ces terrains sont en partie destinés à la construction de logements 32 ( * ) . Plus précisément, l'article 3 prévoit que « pour la part du programme destinée aux logements sociaux [...] , la décote ainsi consentie peut atteindre 100 % de la valeur vénale du terrain ». En d'autres termes, la cession peut aller jusqu'à la gratuité s'il s'agit de construire des logements sociaux .
D'après les informations transmises à vos rapporteurs spéciaux, près de 250 biens ont à ce jour été inscrits par les préfets de région sur les listes de biens à céder 33 ( * ) . La caserne de Reuilly, où 400 à 500 logements sociaux devraient être construits, a ainsi été cédée à la ville de Paris le 9 juillet 2013 pour 40 millions d'euros, la valeur vénale étant estimée à 64,5 millions d'euros. En 2014, sur la soixantaine de dossiers en cours d'instruction, seuls trois fonciers avaient fait l'objet d'un acte de cession définitif : la caserne Martin à Caen pour 3,1 millions d'euros (soit une décote de 28 %), un terrain de la ZAC Flaubert à Grenoble pour 1 million d'euros (soit une décote de 73 %), et l'ancien commissariat de Saint-Malo pour 120 000 euros (soit une décote de 85 %). De fait, le nombre très limité de cessions effectives témoigne des nombreux obstacles rencontrés par les cessions « Duflot » : complexité du financement, nécessité de dépollution ou risque d'inondation, conditions suspensives, recours des riverains etc.
Sans préjuger du bien-fondé de celle-ci, vos rapporteur spéciaux estiment que la politique de cessions décotées en faveur du logement social ne correspond pas à la vocation du CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat », qui est de moderniser le parc immobilier de l'État et de contribuer à son désendettement. Ces deux politiques correspondent à des objectifs différents, qui pourraient s'avérer contradictoires.
En cohérences avec les principes de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), il conviendrait que le montant de la « décote » consentie dans le cadre des cessions « Duflot » soit compensée par des crédits en provenance du budget général, et plus particulièrement du programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » de la mission « Egalite des territoires, logement et ville » .
Dans cet esprit, votre rapporteur spécial Michel Bouvard vous propose un amendement visant à minorer, d'un montant égal à la décote consentie, les dépenses immobilières affectées au ministère qui aura cédé les biens décotés . En conséquence, c'est bien le budget général qui assumera la charge budgétaire de la politique en faveur du logement social.
D. LE PILOTAGE DÉFAILLANT DE LA POLITIQUE IMMOBILIÈRE DES OPÉRATEURS
Aux termes de la circulaire du Premier ministre du 16 janvier 2009 relative à la politique immobilière de l'État, « le patrimoine détenu ou remis en dotation aux opérateurs devra continuer à être recensé et faire l'objet de la même politique d'activation dynamique pour responsabiliser les opérateurs sur sa valeur (...). Au cas où les opérateurs n'apporteraient pas leur concours à cette opération d'inventaire et de dynamisation, les subventions qui leur sont versées seront réduites et la part variable de la rémunération de leur dirigeant sera ajustée ». De fait, à l'initiative notamment de vos rapporteurs spéciaux dans le cadre de leurs précédents travaux à l'Assemblée nationale 34 ( * ) , le choix avait été fait d' inscrire pleinement les opérateurs de l'État dans la démarche de performance et de de rationalisation prévue par la LOLF , notamment dans ses conséquences immobilières.
Pourtant, force est de constater que les résultats obtenus à ce jour sont insuffisants . Alors que la valeur totale des biens immobiliers de l'État est connue (cf. supra ), le bilan patrimonial des opérateurs n'est toujours pas disponible à ce jour , celui-ci ne faisant pas l'objet d'un suivi dans Chorus. L'estimation tirée en 2012 des premiers SPSI des opérateurs, soit environ 54 milliards d'euros, est fondée sur un recensement incomplet. Par ailleurs, vos rapporteurs spéciaux n'ont pas obtenu, à la date du présent rapport, les réponses aux questions qu'ils avaient posées à ce sujet. Dans le cadre de leurs précédents travaux 35 ( * ) , vos rapporteurs spéciaux notaient que « la connaissance du patrimoine immobilier des opérateurs, bien qu'améliorée, est encore à l'origine d'une réserve substantielle de la Cour des comptes dans le cadre de la certification des comptes de l'État [de l'année 2011] ». Si cette réserve, relative à l'évaluation du patrimoine immobilier de l'État en général, a disparu pour les comptes 2012 et 2013, des préoccupations demeurent sur le cas particulier des opérateurs.
De même, les dépenses immobilières des opérateurs ne sont pas davantage connues . D'après le document de politique transversale consacré à la politique immobilière de l'État annexé au projet de loi de finances pour 2014, les opérateurs de l'État ont consacré près de 3,6 milliards d'euros à leur politique immobilière en 2012, en dépenses de fonctionnement, d'investissement et de personnel. Toutefois, ces chiffres ne reflètent pas la réalité , dans la mesure où de très nombreux opérateurs n'ont pas transmis le montant de leurs dépenses immobilières à France Domaine .
La politique immobilière des opérateurs constitue donc l'un des principaux sujets de préoccupation de vos rapporteurs spéciaux . De fait, comme l'a rappelé le ministre délégué chargé du budget, Bernard Cazeneuve, lors de son discours du 15 mai 2013 devant le Conseil immobilier de l'État (CIE), il convient de « s'assurer que l'autonomie dont ils peuvent disposer ne les exonère pas de la participation à l'effort commun de rationalisation au service du redressement des comptes publics ». L'enjeu porte aussi bien sur le respect des ratios d'occupation et des plafonds de loyers, sur l'effort de mutualisation ou encore sur la libération de biens sous-utilisés.
À titre d'exemple, vos rapporteurs spéciaux soulignent les dérives qui caractérisent de la gestion immobilière de la Chancellerie des universités de Paris . De fait, le prestigieux patrimoine historique de la chancellerie est très mal utilisé, tandis que les immeubles de rapport - soit 15 544 m² pour une valeur vénale de 123 millions d'euros - présentent une très faible rentabilité. Dans son rapport public annuel 2014, la Cour des comptes a ainsi demandé la suppression de la Chancellerie des universités de Paris .
L'élaboration des nouveaux schémas pluriannuels de l'État et des opérateurs a été lancée en 2013 , et devrait être l'occasion d'améliorer le pilotage de la politique immobilière de ces derniers. Un dispositif de suivi renforcé a par ailleurs été mis en place pour accompagner 31 opérateurs dans l'élaboration de leur stratégie immobilière , compte tenu des enjeux importants qui s'y attachent 36 ( * ) . Cette liste a été validée par le comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (CIMAP) du 18 décembre 2013. Vos rapporteurs spéciaux seront attentifs aux résultats produits par ce suivi renforcé.
Liste des opérateurs devant faire l'objet d'un
suivi approfondi
Opérateurs : - Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) - Agence de mutualisation des universités et des établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche (AMUE) - Agence nationale de l'habitat (ANAH) - Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) - Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) - Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) - Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) - Centre national d'enseignement à distance (CNED) - Centre national de la cinématographie et de l'image animée (CNC) - Centre national de la recherche scientifique (CNRS) - Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS) - Chancellerie de l'Université de l'Académie de Paris - École des hautes études en sciences sociales (EHESS) - École nationale de la magistrature (ENM) - École pratique des hautes études (EPHE) - Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (FSTTAR) - Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE) - Institut géographique national (IGN) - Institut national de la recherche agronomique (INRA) - Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) - Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) - Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) - Mines Paris Tech - Musée du Louvre - Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) - Office national d'études et de recherche aérospatiales (ONERA) - Office national des forêts (ONF) - Pôle emploi - Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne - Voies navigables de France (VNF) Opérateurs présents sur un site : - Opérateurs présents dans le parc de la Villette Source : questionnaire budgétaire |
Les principaux projets immobiliers prévus par les opérateurs pour la période 2015-2017 sont largement concentrés sur le périmètre de l'opération d'intérêt national (OIN) d'aménagement du plateau de Saclay , avec notamment la construction de trois grandes écoles (Institut Mines Télécom, AgroParisTech et Ecole centrale). On peut également citer le déménagement du siège de l'office national des forêts (ONF) à Montreuil , dans le cadre d'une opération de densification et de mutualisation gérée par l'opérateur FranceAgriMer 37 ( * ) .
* 31 Loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.
* 32 Article L. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques.
* 33 Source : questionnaire budgétaire.
* 34 Cf. Assemblée nationale, rapport n° 1058 de la mission d'information relative à la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (MILOLF), fait par Michel Bouvard, Jean-Pierre Brard, Thierry Carcenac et Charles de Courson, 16 juillet 2008.
* 35 Cf. Assemblée nationale, rapport n° 3644 de la mission d'information relative à la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (MILOLF), fait par Michel Bouvard, Jean-Pierre Brard, Thierry Carcenac et Charles de Courson, 12 juillet 2011.
* 36 Source : questionnaire budgétaire.
* 37 Source : questionnaire budgétaire.