M. Dominique De Legge, rapporteur spécial
IV. L'URGENCE « INFRASTRUCTURES »
Le général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées soulignait auprès de la commission des finances de l'Assemblée nationale, le 9 juillet dernier, que le budget consacré à l'infrastructure, qui a représenté environ 1,2 milliard d'euros de crédits de paiement en 2014, « semble sous-doté compte tenu de l'arrivée des nouveaux programmes, ainsi que des dépenses liées à l'infrastructure nucléaire et aux ports de Toulon et de Brest - dépenses [...] plusieurs fois repoussées au cours des dernières années ».
Ce sous-investissement pose problème non seulement sur le plan opérationnel mais également sur celui du moral des troupes et plus fondamentalement du respect que la Nation doit à ses combattants, trop souvent logés dans des conditions à peine décentes. En effet, comme le rappelle le chef d'état-major, « la plupart de nos jeunes soldats et sous-officiers vivent [...] dans une enceinte militaire, donc sur leur lieu de travail. Cette situation problématique est chronique ».
Un plan d'urgence « condition de vie du personnel » a été décidé en 2014. Le ministre de la défense a ainsi affirmé à la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat que près de 700 « points noirs » avaient été recensés représentant un besoin de financement d'environ 560 millions d'euros. 67 millions d'euros devraient ainsi être mobilisés en 2015, par redéploiement de crédits au sein de la programmation pluriannuelle de la politique immobilière du ministère de la défense, afin de réaliser 130 opérations en urgence. En 2015, seront par exemple lancées les réparations de bâtiments d'hébergement à Coëtquidan, à Toulon et à Brest, ainsi que d'un point d'alimentation sur la base aérienne d'Orléans.
Le ministère de la défense estime que la simple stabilisation de la situation actuelle de ses infrastructures exigerait environ 200 millions d'euros supplémentaires par an.
Face à une probable impasse budgétaire, une solution pour réduire les investissements nécessaires serait de réduire « l'empreinte au sol » de la défense par des effets de structure (voir supra ).
V. LE PROJET BALARD
A. UN CALENDRIER LÉGÈREMENT DÉCALÉ
Le projet Balard entrera en 2015 dans sa phase finale : il conduira à des déménagements d'ampleur des services du ministère de la défense, avec tous les aléas et les difficultés qu'une telle opération peut comporter. Les bâtiments qui lui sont dévolus accueilleront en effet près de 9 300 personnels militaires et civils.
Sont notamment concernés des entités, comme les états-majors des armées, directement impliquées dans la conduite des opérations extérieures. Le risque de désorganisation devra être parfaitement maîtrisé et la continuité de l'activité assurée, alors même que seront mis en activité de nouveaux systèmes d'information et de communication.
Au-delà de la réussite de ce transfert, l'enjeu est important pour le ministère de la défense. Il s'agit :
- d'améliorer la gouvernance du ministère en rassemblant sur un site unique les états-majors et les directions actuellement dispersés sur une douzaine de sites parisiens ;
- d'améliorer le cadre de travail des personnels civils et militaires ;
- de rationaliser la gestion des emprises immobilières du ministère, en libérant une ressource foncière importante en plein Paris, ainsi que le soutien et le fonctionnement de l'administration centrale, en mutualisant les ressources.
Le projet Balard s'accompagne en effet de la libération d'une quinzaine d'emprises parisiennes abritant aujourd'hui la plupart des services d'administration centrale devant se regrouper sur le site unique dont certaines (Îlot Saint-Germain, Saint-Thomas-d'Aquin, Penthemont, Bellechasse) ont été ou seront cédées. Le produit de ces cessions doit bénéficier, à travers le compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », aux programmes d'investissements immobiliers du ministère de la défense.
La bonne réalisation du projet et la libération effective de ces ensembles immobiliers conditionne donc en partie l'équilibre de la loi de programmation militaire (voir infra ).
Description physique du projet Balard Le site de Balard (Paris XVème) comprend deux parcelles : Est (8,5 ha), actuelle « cité de l'air », et Ouest (8 ha), séparées par l'avenue de la Porte de Sèvres. La parcelle Ouest sera divisée en deux parties par une voie nouvelle prévue au plan local d'urbanisme de Paris : - d'une part, cinq hectares sur lesquels seront construits des immeubles neufs du ministère de la défense, notamment les plus sensibles en termes de sécurité ; - d'autre part, trois hectares en extrémité occidentale du site (ou « corne Ouest »), pour une valorisation sous forme d'immeubles locatifs de bureaux. Le projet intègre également certaines facilités : - d'une part, les centres de restauration, les salles de sport, un centre de communication ; - d'autre part, pour les personnels du ministère ainsi que pour les habitants du XVème arrondissement, une piscine pour l'entraînement des personnels militaires, un dispensaire médical et trois crèches ; - enfin, une extension de la station de métro Balard, financée par la RATP, et la réalisation d'une voie nouvelle. En termes de travaux, le projet comporte trois volets : - la construction de 140 000 m² SHON de bâtiments neufs, principalement à l'ouest du site ; - la rénovation de 130 000 m² SHON de bâtiments existants sur la parcelle Est et du bâtiment Perret de la parcelle Ouest, en sus des deux tours existantes (ensemble 50 000 m²) dont la rénovation a été engagée avant le lancement du projet Balard ; - pour générer des recettes annexes, la construction de 90 000 m² de bureaux locatifs et commerces sur la corne Ouest. La rénovation des deux tours de la cité de l'air a été engagée sous maîtrise d'ouvrage publique. Les tours « F » et « A » (anciennement « tour de la DGA ») ont respectivement été livrées en mars 2012 et mars 2013. Elles ont été prises en exploitation par OPALE Défense. |
Source : ministère de la défense
Le projet Balard est réalisé dans le cadre d'un contrat de partenariat public privé (PPP). Ce contrat a été signé le 30 mai 2011, au terme de la procédure et du dialogue compétitif lancés en juin 2009, avec un groupement d'entreprises, réunies au sein d'une société de projet baptisée OPALE DEFENSE et dont le mandataire est la société Bouygues Construction. Afin d'assurer le contrôle du capital de l'opérateur dans la durée, un protocole a été passé avec la Caisse des dépôts et consignations pour que celle-ci dispose d'une minorité de blocage (34 %) dans le capital de la société de projet.
Le contrat comprend la conception architecturale et technique, la construction ou la rénovation des bâtiments, leur entretien et leur maintenance ainsi que les services. Le contrat intègre également la réalisation et la maintenance des réseaux informatiques et téléphoniques, y compris la fourniture et l'entretien des postes informatiques pendant une durée de cinq ans.
Les opérations de démolition des bâtiments de la parcelle Ouest ont été réalisées préalablement par l'État, hors contrat de partenariat. Engagées en février 2009, elles se sont achevées en décembre 2010, à l'exception du bâtiment Perret, inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, qui est en cours de rénovation.
La durée du contrat de partenariat est fixée à 30 ans incluant la période de conception et de construction (trois ans) et la période d'exploitation (27 ans). L'essentiel de la construction neuve et de la rénovation sera réalisé entre mars 2012 et février 2015. Une partie de la rénovation de la parcelle Est se poursuivra jusqu'en mai 2016.
Parmi les principales prestations de service externalisées prévues dans le contrat, on compte la restauration, le nettoyage, le gardiennage extérieur, la gestion de l'hébergement sur le site et l'assistance bureautique.
Le projet a subi quelques aléas, pas inhabituels pour un projet de cette ampleur, liés en particulier à la complexité des études pour les parties les plus sensibles du site, la découverte de fondation des anciennes fortifications, la découverte fortuite d'amiante et aux travaux complémentaires de dépollution des sols qui ont dû être réalisés, certaines terres ne pouvant rester sur place du fait de leur niveau de pollution industrielle et d'autres en surplus devant être évacuées en décharges agréées.
On ajoutera que le délai de délivrance, par la Ville de Paris, des autorisations d'emprises de voieries a largement contribué à perturber le chantier.
Ces difficultés ont conduit le ministère et Opale à trouver un accord sur un décalage des dates de mises à disposition.
Ainsi, l'essentiel des ouvrages nouveaux sera mis à disposition du ministère de la défense le 28 février 2015 au lieu du 30 septembre 2014. Pour la parcelle Est phase 1, la date de mise à disposition a été reportée au 24 avril 2015.
Au 1 er juillet 2014, le gros-oeuvre, le clos et le couvert du bâtiment principal de la Parcelle Ouest sont quasiment terminés et l'avancement des corps d'état technique et architecturaux est supérieur à 80 %. L'essentiel des opérations préalables à la réception des travaux devrait être mené par le titulaire au cours du dernier trimestre 2014. L'année 2015 verra la mise en exploitation de l'essentiel des bâtiments du site.
Calendrier du projet Balard
2 juin 2009 : |
lancement de la procédure de contrat de partenariat |
15 juillet 2009 : |
réception des dossiers de candidature |
Janvier 2010 à Janvier 2011 : |
déroulement du dialogue compétitif |
17 Février 2011 : |
choix du titulaire |
30 mai 2011 : |
signature du contrat |
Juin 2011 à février 2012 : |
Préparation, dépôt, instruction et délivrance du permis de construire |
Mars 2012 : |
début du chantier |
Février 2015 : |
fin du chantier principal |
Janvier à juin 2015 : |
levée des réserves, prise de possession des immeubles, transfert des personnels, |
Novembre 2015 : |
fin du transfert des personnels, libération des emprises parisiennes. |
Mai 2016 : |
fin de la rénovation des bâtiments de la parcelle Est ; libération du site de la DGA à Bagneux. |
Source : ministère de la défense
B. UN SURCOÛT COMPENSÉ PAR DES TAUX D'INTÉRÊT MOINS ÉLEVÉS QUE PRÉVUS
Le montant total du contrat, c'est-à-dire le cumul des redevances sur 27 années d'exploitation, de 2014 à 2041, a été évalué à 3,5 milliards d'euros constants (valeur décembre 2010) hors taxes (HT) et la redevance annuelle moyenne à payer par le ministère de la défense de 2015 à 2041 à 130 millions d'euros HT, soit 154 millions d'euros TTC, conformément à l'évaluation préalable réalisée en 2009.
Les événements et aléas intervenus depuis la signature du contrat et qui en ont perturbé l'exécution ont provoqué un surcoût de l'ordre de 60 millions d'euros HT se décomposant en :
- 10 millions d'euros pour le traitement de pollutions résiduelles des sols ;
- 10 millions d'euros pour des désamiantages complémentaires dans les bâtiments existants ;
- 19 millions d'euros pour des travaux complémentaires à réaliser à la demande du ministère ;
- 21 millions d'euros pour indemnisation des perturbations subies par le titulaire du contrat.
Le ministère de la défense souligne cependant que les économies réalisées (129 millions d'euros HT) grâce à une « cristallisation partielle » des taux, intervenue en octobre 2013 à un niveau bien inférieur aux hypothèses initiales du contrat, viennent compenser ce surcoût.
À ce jour, le montant total du contrat et la redevance moyenne annuelle sont ainsi quasiment inchangés.
La redevance moyenne annuelle TTC se décompose ainsi (euros constants valeur décembre 2010) :
- une redevance immobilière de 54 millions d'euros, incluant les frais financiers, versée pendant toute la durée d'exploitation, de 2015 à 2041 ;
- une redevance SIC (systèmes d'information et de communication) de 42,5 millions d'euros couvrant l'ensemble des besoins (investissement, financement, exploitation et renouvellement) pour une durée de cinq ans, y compris l'exploitation de la bureautique, puis 29 millions d'euros au-delà jusqu'au terme du contrat ; soit un montant moyen de 31,5 millions d'euros sur la durée du contrat ;
- une redevance de services de 34 millions d'euros versée pendant toute la durée d'exploitation et portant sur la restauration, le nettoyage, l'accueil, l'hébergement et divers services (blanchissage, conciergerie), ainsi que le mobilier ;
- une redevance de maintenance de 20 millions d'euros et une redevance de renouvellement (gros entretien réparation des immeubles) moyenne de 9 millions d'euros versées pendant toute la durée d'exploitation ;
- une redevance « énergie » versée pendant toute la durée d'exploitation et estimée sur la base des tarifs actuels à 5,5 millions d'euros.
Les ressources nécessaires au financement de la redevance toutes taxes comprises, dans la durée, identifiées dans le schéma de financement initial, sont assurées sans abondement, par redéploiement des crédits budgétaires actuels :
- des crédits de fonctionnement et d'investissement correspondant aux dépenses actuelles de soutien de l'administration centrale et d'entretien de ses locaux sur les emprises actuelles, y compris Balard ;
- des loyers acquittés pour la direction générale de l'armement (DGA) à Bagneux ;
- des dépenses de personnel hors pensions correspondant aux activités de soutien de l'administration centrale ;
- des loyers budgétaires des emprises parisiennes du ministère, hors Balard, pouvant être affectés au financement de l'opération ;
- des loyers budgétaires correspondant à l'emprise actuelle de Balard ;
- de la dotation dont bénéficiera le ministère au titre du mécanisme interministériel de compensation du surcoût de la TVA sur les prestations externalisées.
Au bilan, le ministère de la défense explique que l'opération est financièrement neutre et que des gains sont attendus sur les services obtenus et l'optimisation du regroupement des entités du ministère sur un lieu unique. Il indique en outre qu'en l'absence du projet Balard, il « aurait dû investir dans les prochaines années des sommes importantes pour remettre en état les bâtiments existants et les réseaux de systèmes d'information et de communication ».