VI. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU MARDI 22 NOVEMBRE 2011)
Article 28
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l'article.
M. Richard Yung. Malgré l'heure tardive, je souhaiterais que nous nous attardions quelques instants sur cet article qui, sous des dehors budgétaires, traite en fait de la politique d'immigration du Gouvernement.
Il s'agit pour le Gouvernement de tirer les conséquences de son changement de cap sur l'immigration choisie et de sa volonté de limiter l'immigration professionnelle légale, nouvelle orientation de M. Guéant.
À cet effet, le Gouvernement propose d'augmenter très fortement le montant des différentes taxes et droits de timbres acquittés, au profit de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, l'OFII, par les ressortissants étrangers sollicitant une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié », « salarié en mission », ou un visa de long séjour.
Il est proposé de fixer le montant de cette taxe, qui était de 70 euros, entre 200 euros et 385 euros, autrement dit de le multiplier par cinq ! Je vous laisse juges... Bien entendu, aucune organisation syndicale, aucune organisation de salariés n'a été consultée, ce qui nous renvoie à un débat que nous avons déjà eu aujourd'hui.
Vous allez me dire que la gauche irresponsable prive l'État de recettes supplémentaires ! Les recettes en question sont certes modestes, puisqu'elles s'élèvent à 4 millions d'euros, mais nous ne laissons pas de côté cet aspect.
En réalité, avec cette politique, nous allons nous priver d'une importante main-d'oeuvre de salariés étrangers qui apporterait à notre pays infiniment plus de 4 millions d'euros. C'est un calcul économique auquel je vous invite à réfléchir.
J'ajoute que cette augmentation de taxe s'appliquera aussi aux étudiants étrangers ayant fait leurs études en France et qui deviennent salariés.
Cela nous renvoie au débat sur la fameuse circulaire du 31 mai 2011, dont nous demandons ardemment l'abrogation. Si celle-ci était appliquée, des étudiants ayant suivi plusieurs années d'études en France qui pourraient devenir salariés, donc participer à l'économie du pays, iraient porter leurs talents dans d'autres pays que le nôtre. Ce serait tout à fait contre-productif !
Il s'agit donc d'une politique de Gribouille, à laquelle nous ne pouvons souscrire.
J'ajoute que les taxes de l'OFII ont augmenté de 58 % entre 2009 et 2012, soit de près de 20 % par an. Les recettes générées par ces taxes s'élèvent aujourd'hui à 154 millions d'euros, alors que le budget de l'OFII est de 122 millions d'euros, soit une recette pour le budget général de 32 millions d'euros.
Autrement dit, non seulement nous faisons payer aux étrangers leur politique d'intégration, mais nous leur demandons, de surcroît, de financer nos routes ! Vous en tirerez les conséquences, mes chers collègues.
M. le président. L'amendement n° I-33, présenté par Mme Bricq, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Alinéas 4, 6, 8, 9, 12, 13, 17, 19 et 26
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cet amendement vient d'être défendu par avance par notre collègue Richard Yung, mais je voudrais vous communiquer quelques chiffres.
Les ressources de l'OFII, compte tenu de l'augmentation de la pression fiscale qui pèse sur les immigrés, passeraient de 97 millions d'euros en 2009 à 154 millions d'euros en 2012, soit une hausse de 58 % en trois ans. Si l'article 28 était adopté en l'état, il conduirait à faire acquitter une somme de 340 euros, et non plus de 70 euros, pour bénéficier d'une carte de séjour autorisant l'exercice d'une activité professionnelle, en hausse de 485 %.
Le Gouvernement s'est beaucoup vanté de faire une politique d'immigration choisie en ouvrant des secteurs à l'immigration. Cette mesure traduit tout de même l'abandon de cette politique.
Ainsi, le titulaire d'une carte de séjour portant la mention « étudiant » ou « stagiaire » qui change de statut devra acquitter une taxe de 340 euros, au lieu de 85 euros actuellement au titre du renouvellement, soit une hausse de 400 %.
La politique actuelle concernant les étudiants étrangers, souvent francophones, est absurde. Au-delà de la question du rayonnement culturel, on se prive de jeunes gens qui vont maintenant au Canada. L'Allemagne, de son côté, développe dans certains pays des politiques de recrutement pour ses entreprises et ses universités, afin de remédier au problème démographique lié au vieillissement de la population. Elle cherche à attirer les meilleurs étudiants, les meilleurs diplômés pour alimenter sa machine économique.
Par cet article, vous concrétisez une absurdité, madame la ministre. Si on voulait mettre une barrière à l'accès des étudiants étrangers, souvent francophones, au territoire français, on ne s'y prendrait pas autrement !
Dans cette même logique, pourquoi ne nous proposeriez-vous pas de faire payer aux bénéficiaires du RSA le coût des actions d'insertion qui leur sont destinées ?
Cette logique est injuste et, concernant les étudiants et l'immigration professionnelle, économiquement absurde.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Madame Bricq, il faut être extrêmement précis quand on mentionne des chiffres, surtout quand on parle de la jeunesse. Les titres de séjour des étudiants restent au tarif en vigueur de 55 euros. Ils ne sont pas concernés par l'augmentation du tarif des salariés et salariés en mission qui, lui, va passer à 340 euros.
Cet article vise à mettre fin à des anomalies tarifaires en alignant le droit de timbre de l'immigration professionnelle ainsi que des demandes de visas de régularisation sur le tarif de droit commun pour les salariés. Il prévoit en outre, à l'instar de ce qui se pratique en Allemagne ou dans les pays d'Europe du Nord, le paiement du droit de timbre intervient dès la demande de visa de long séjour valant titre de séjour et non plus à la délivrance de celui-ci, afin d'éviter les impayés. Ces ajustements s'inscrivent dans une logique de responsabilisation des demandeurs.
Madame Bricq, vous nous dites qu'il est illogique de faire payer à des étrangers qui arrivent en France le coût administratif du traitement de leur dossier. Non, ce n'est pas illogique ! C'est ce que font tous les autres grands pays d'accueil. Notre situation économique et nos finances publiques ne sont pas si flamboyantes que nous ne demandions pas aux étrangers que nous voulons accueillir de payer leurs frais de dossier ! Les étudiants qui passent un concours paient leurs frais de dossier.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ils n'augmentent pas de 400 % !
Mme Valérie Pécresse, ministre. C'est également ce que l'on demande aux Français pour la délivrance d'un passeport ou d'une carte d'identité. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Richard Yung. La carte nationale d'identité est gratuite !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Il est vrai que la carte nationale d'identité est gratuite, mais la carte grise ne l'est pas, par exemple. Dans de nombreux cas de figure, on demande à l'usager de payer des frais de dossiers, ce qui ne me paraît pas illégitime.
Sur la question du travail des étudiants étrangers diplômés en France, vous connaissez ma position. Le Président de la République a été le premier à vouloir une immigration choisie, fondée sur la compétence et les talents. Il est donc logique, en effet, que des étudiants ayant choisi d'étudier en France, diplômés d'une grande école ou d'une université française, aient la possibilité de travailler en France. C'est le cas puisqu'ils ont désormais six mois pour rechercher un travail dans notre pays.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-33.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 28, modifié.
http://www.senat.fr/seances/s201111/s20111122/s20111122018.html#R28