Mmes Fabienne Keller et Marie-Hélène des Esgaulx et MM. Gérard Miquel et François Fortassin, rapporteurs spéciaux

CHAPITRE IV
-
COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS
« AVANCES AU FONDS D'AIDE À L'ACQUISITION DE VÉHICULES PROPRES »

I. UN DISPOSITIF DU « BONUS-MALUS » TRÈS ONÉREUX

A. UN DISPOSITIF COMPLEXE ET PLUS CONTRAIGNANT À COMPTER DE 2011

1. Un dispositif rénové fin 2009

La création de ce compte de concours financiers résulte de l'article 63 de la loi de finances rectificative pour 2007 (n° 2007-1824 du 25 décembre 2007), et constitue donc la traduction budgétaire du dispositif de « bonus-malus » automobile . Introduit par le Grenelle de l'environnement, le principe d'une « écopastille verte » pour les véhicules neufs est un exemple topique de fiscalité comportementale et a pour objectif de ramener les émissions moyennes de CO 2 du parc de véhicules particuliers de 176 g/km à 130 g/km en 2020 , soit le niveau atteint en 1990.

Sans revenir en détail sur ce mécanisme, il convient d'en rappeler certaines caractéristiques et évolutions récentes :

1) Le barème du bonus est d'ordre réglementaire et est fixé par le décret n° 2007-1873 du 26 décembre 2007 - modifié depuis à plusieurs reprises  - instituant une aide à l'acquisition des véhicules propres via un fonds. Ce fonds constitue l'objet du programme 871 du présent compte de concours financiers. Le barème du malus, en tant que taxe, relève en revanche de l'article 1011 bis du code général des impôts , qui prévoit une « taxe additionnelle à la taxe sur les certificats d'immatriculation des véhicules prévus à l'article 1599 quindecies » du même code.

2) Un bonus majoré , d'un montant de 5 000 euros, est accordé pour les achats de véhicules émettant moins de 60 g CO 2 /km, soit en pratique les véhicules électriques.

3) Compte tenu du déficit persistant du dispositif ( cf . infra ) et afin de favoriser un retour progressif à l'équilibre budgétaire, l'article 93 de la loi de finances pour 2010 a anticipé d'un an, du 1 er janvier 2012 au 1 er janvier 2011, l'abaissement de 5 grammes de CO 2 /km des seuils d'application du bonus comme du malus. Le montant du bonus a également été révisé à la baisse par le décret n° 2010-447 du 3 mai 2010 et est ainsi passé de 700 à 500 euros pour les véhicules dont les émissions de CO 2 sont comprises entre 101 et 115 grammes, et de 200 à 100 euros pour les véhicules dont les émissions sont comprises entre 116 et 125 grammes. Les barèmes applicables sont dès lors les suivants :

Bonus applicable aux termes du décret n° 2007-1873 du 26 décembre 2007 modifié

Taux d'émission de CO 2 (en grammes par kilomètre)

Montant de l'aide en euros

Véhicules acquis ou pris en location fonctionnant exclusivement ou non au GPL ou au GNV ou combinant énergie électrique et motorisation essence ou gazole

2008

2009

2010

2011

2012

Taux = 130

2 000

2 000

2 000

2 000

2 000

130 < taux = 135

0

135 < taux =140

0

0

Autres véhicules (y compris ceux de la première catégorie lorsque leur taux d'émission de CO 2 est inférieur ou égal à 60 grammes)

Taux = 60

5 000

5 000

5 000

5 000

5 000

60 < taux = 90

1 000

1 000

1 000

1 000

1 000

90 < taux = 95

500

500

95 < taux = 100

500

100 < taux = 105

700

700

105 < taux = 110

110 < taux = 115

100

100

115 < taux = 120

100

120 < taux = 125

200

200

0

0

125 < taux = 130

0

Source : décret n° 2007-1873 du 26 décembre 2007 modifié

Tarifs du « malus » applicables aux termes de l'article 1011 bis du CGI

Taux d'émission de CO 2 (en grammes par kilomètre)

Tarif de la taxe en euros

Année de facturation

2008

2009

2010

2011

2012

Taux = 150

0

0

0

0

0

150 < taux = 155

200

200

155 < taux = 160

200

750

750

160 < taux = 165

200

200

750

165 < taux = 190

750

750

190 < taux = 195

1 600

1 600

195 < taux = 200

1 600

200 < taux = 240

1 600

1 600

240 < taux = 245

2 600

2 600

245 < taux = 250

2 600

Taux > 250

2 600

2 600

Source : article 1011 bis du code général des impôts

4) Enfin le « super-bonus » 65 ( * ) , financé sur le programme 872 « Avances au titre du paiement de la majoration de l'aide à l'acquisition de véhicules propres en cas de destruction simultanée d'un véhicule de plus de quinze ans », a été temporairement suspendu en 2009 dans le cadre du plan de relance de l'économie, au profit de la « prime à la casse » 66 ( * ) , financée sur le programme 316 « Soutien exceptionnel à l'activité économique et à l'emploi » de la mission « Plan de relance de l'économie » et qui doit prendre fin le 31 décembre 2010 67 ( * ) .

2. Un circuit de paiement complexe et peu conforme à la LOLF

L'organisation et le circuit de financement du dispositif sont relativement complexes. Le bonus-malus et la « prime à la casse » relèvent de deux missions et donc de gestionnaires distincts. Le versement des avances de l'Etat est effectué depuis le début de 2009 par l'intermédiaire de l'Agence de services et de paiement (ASP), qui doit notamment, moyennant des frais de gestion (3,22 millions d'euros en 2009) :

- honorer des conventions prévoyant le remboursement des installateurs de gaz de pétrole liquéfié et des avances d'aides consenties par les concessionnaires automobiles auprès des particuliers ;

- effectuer directement les paiements auprès des particuliers, lorsque les vendeurs ou loueurs ne sont pas conventionnés.

Lorsqu'elle est confrontée à des risques de rupture de trésorerie, l'ASP effectue un appel complémentaire de fonds , procédure utilisée onze fois en 2009 et deux fois au premier semestre de 2010 (pour un montant de 101,5 millions d'euros). Les recettes du Fonds d'aide à l'acquisition de véhicules propres sont constituées du seul produit des malus, dont sont déduits des frais d'assiette et de recouvrement et les intérêts journaliers dus sur les avances, dont le taux est aligné sur celui des bons du Trésor à trois mois.

La Cour des comptes a eu l'occasion de contester la procédure de compte d'avance , dans la mesure où celui-ci enregistre les dépenses du fonds comme des prêts alors que les bénéficiaires finaux (particuliers achetant des véhicules peu polluants) ne sont pas ceux qui paient le « malus ». Le MEEDM envisage ainsi de mettre fin au compte d'avance , non conforme à l'article 24 de la LOLF sur les comptes de concours financiers, tout en conservant l'ASP comme gestionnaire du fonds d'aide et agent de versement des aides. Le compte demeurerait cependant un compte d'affectation des recettes du malus automobile.

B. UN SUCCÈS ÉCOLOGIQUE ET COMMERCIAL « AU PRIX FORT »

1. L'impact sur la structure des ventes s'est confirmé

La structure des ventes de véhicules a été considérablement modifiée par le bonus-malus, cet effet étant renforcé par les rapides évolutions technologiques (réduction de la cylindrée et augmentation du rendement des moteurs, « stop and start »...), les campagnes commerciales, l'introduction de la prime à la casse et les abondements pratiqués par les constructeurs sur certains modèles de leur gamme.

Ainsi que l'illustre le tableau infra , les consommateurs se sont ainsi largement orientés vers des véhicules bénéficiaires du bonus jusqu'en 2009 , au détriment de ceux soumis au malus comme de ceux situés en « zone neutre ». L'abaissement de 5 g CO 2 /km des seuils en 2010 a mécaniquement conduit à réduire la part des véhicules éligibles au bonus dans les ventes totales, qui est passée de 56,7 % au second semestre de 2009 (soit une fraction quasiment double de celle constatée en 2007) à 49,2 % au premier semestre de 2010, au profit notamment de la zone neutre, qui représentait 41 % des ventes au second semestre de 2010, contre 35,7 % au semestre précédent. En appliquant les seuils de 2009, on constate que la part des véhicules émettant moins de 130 g CO 2 /km (le bonus s'arrêtant au seuil de 125 g) est demeurée à peu près stable au premier semestre de 2010 avec 55,3 % des ventes.

Parts de marché du bonus/malus par tranche d'émission

Barème
2008-2009 d'émission de CO 2
(en gr. / km)

2007

S1 2008

S2 2008

S1 2009

S2 2009

Barème 2010 d'émission de CO 2
(en gr. / km)

S1 2010

Moins de 100

0 %

0,1 %

0,1 %

0,3 %

0,6 %

Moins de 95

0,2 %

De 101 à 120

20 %

32,6 %

38,4 %

46,4 %

48 %

De 96 à 115

35,4 %

De 121 à 130

10,4 %

10,1 %

8,7 %

7,5 %

8,2 %

De 116 à 125

13,6 %

De 131 à 160

45,3 %

43,3 %

38,8 %

35,5 %

35,7 %

De 126 à 155

41 %

De 161 à 165

3,2 %

1,7 %

2,4 %

1,4 %

0,8 %

De 156 à 160

2,5 %

De 166 à 200

14,8 %

9,3 %

8,6 %

6,7 %

5,2 %

De 161 à 195

5,4 %

De 201 à 250

4,6 %

2,3 %

2,3 %

1,7 %

1,3 %

De 196 à 245

1,6 %

Plus de 250

1,6 %

0,8 %

0,7 %

0,4 %

0,3 %

Plus de 245

0,3 %

Sous-total bonus

30,4 %

42,7 %

47,2 %

54,3 %

56,7 %

49,2 %

Zone neutre

45,3 %

43,3 %

38,8 %

35,5 %

35,7 %

41 %

Sous-total malus

24,2 %

14 %

14 %

10,2 %

7,6 %

9,8 %

Source : réponses du MEEDDM au questionnaire de votre rapporteur spécial

Les émissions moyennes des immatriculations de véhicules neufs ont fortement diminué puisqu'elles sont passées de 149 g CO 2 /km en 2007 à 140 g CO 2 /km en 2008, 133 g CO 2 /km fin 2009 et 131,2 g CO 2 /km au premier semestre de 2010, ce qui est déjà très proche de l'objectif fixé pour 2020.

L'ensemble des mesures a également permis de soutenir le marché automobile français, puisque le nombre de ventes de véhicules particuliers, malgré la crise, est demeuré stable en 2008 et a progressé de 10,7 % en 2009 pour atteindre le niveau record de 2 268 730 unités.

2. Un déficit important qui a perduré en 2010

Ainsi que votre rapporteur spécial l'a déjà souligné, de même que votre commission à l'occasion de l'examen du projet de décret d'avance notifié le 14 septembre 2010, la prévision initiale d'équilibre budgétaire s'est révélée illusoire et le déficit du compte est devenu chronique . Après 214 millions d'euros en 2008, il a atteint 525 millions d'euros en 2009 , pour une prévision de 161 millions d'euros. Les recettes du malus ont ainsi été inférieures à celles constatées en 2008, et le coût du bonus supérieur de plus de moitié aux prévisions pour atteindre 725 millions d'euros.

Le dépassement des CP évaluatifs a rendu nécessaire l'ouverture de 250 millions d'euros par un décret d'avance du 9 novembre 2009. Elle a été présentée - selon une interprétation très « souple » de la LOLF - comme intégralement gagée par les crédits inutilisés du programme 863 « Prêts à la filière automobile » du compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés », à la suite de la décision de la société Iveco de ne pas souscrire de prêt dans le cadre du « Pacte automobile ».

Les prévisions pour 2010 ne se sont pas avérées beaucoup plus fiables puisque les crédits ouverts (340 millions d'euros) ont été intégralement consommés dès septembre, rendant nécessaire l'ouverture de 370 millions d'euros supplémentaires , en AE et CP, par décret d'avance en septembre 2010 68 ( * ) . Le déficit de 2010 sera donc probablement quatre fois supérieur aux prévisions avec près de 500 millions d'euros, et le déficit cumulé de 2008 à 2010 devrait dépasser 1,23 milliard d'euros...

Equilibre du compte de 2008 à 2010

(en millions d'euros)

2008

2009

2010

LFI

LR

LFI

LR

LFI

Recettes

483,0

225,4

317,0

199,5

213,4

Dépenses

483,0

439,4

478,0

724,6

339,6

Solde

0

- 214,0

- 161,0

- 525,0

- 126,2

Source : rapport annuel de performances annexé au projet de loi de règlement pour 2009

Le Gouvernement a avancé plusieurs justifications au maintien à un niveau plus élevé que prévu des dépenses du « bonus », liées à des effets d'anticipation des acheteurs et aux mesures de soutien au secteur automobile :

- une forte hausse des achats de véhicules à la fin de l'année 2009, les consommateurs ayant anticipé leur acquisition pour bénéficier des barèmes plus avantageux du « bonus » en 2009. L'impact budgétaire de cette hausse a cependant porté sur l'année 2010 du fait des délais constatés entre la date de facturation d'un véhicule et la date de remboursement des « bonus » aux concessionnaires par l'ASP ;

- le niveau des ventes est resté soutenu durant les trois premiers mois de l'année 2010 en raison d'une disposition introduite par le décret n° 2009-1581 du 18 décembre 2009, qui a rendu éligibles aux barèmes de l'année 2009 les véhicules commandés en 2009 dont la facturation est intervenue avant le 31 mars 2010 . Cette extension a conduit à augmenter les commandes de véhicules en fin d'année 2009 et au paiement d'aides au barème plus avantageux de l'année 2009 ;

- la décision de prolonger pour un an le dispositif de « prime à la casse » a également participé au maintien d'une demande soutenue ;

- les constructeurs automobiles ont compensé la diminution des offres gouvernementales par des mesures commerciales , qui ont contrecarré l'effet attendu de la réduction des montants de la prime à la casse et des bonus en 2010 ;

- l'ampleur de l'anticipation des achats et des commandes de véhicules à la fin de l'année 2009 n'a pas pu être précisément évaluée au moment de la budgétisation du programme 871 du fait du caractère aléatoire et conjoncturel de ce type de phénomène.

A l'occasion de son examen du projet de décret d'avance, votre commission a toutefois considéré que ces explications ne pouvaient suffire à justifier l'ampleur de l'écart entre prévision et exécution probable . Il était en effet possible, dès fin 2009, d'anticiper les effets du décret du 18 décembre 2009, qui traduisait une décision déjà prise, comme d'une plus grande sévérité du « bonus-malus ».


* 65 Soit une prime supplémentaire de 300 euros si l'acquisition d'un véhicule « propre » s'accompagne de la mise au rebut d'un véhicule de plus de quinze années de circulation acquis au moins six mois auparavant.

* 66 Soit le versement d'une prime de 1 000 euros pour la destruction d'un véhicule de plus de dix ans, lors de l'acquisition d'un véhicule neuf dont les émissions sont inférieures ou égales à 160 grammes de CO 2 par kilomètre. Cette prime a été progressivement réduite à 700 euros au 1 er janvier 2010 puis 500 euros au 1 er juillet 2010.

* 67 La prime de 500 euros sera accordée pour les véhicules commandés entre le 1 er juillet et le 31 décembre 2010 et facturés avant le 31 mars 2011.

* 68 Décret n° 2010-1147 du 29 septembre 2010.