V. RAPPORT SÉNAT N° 111 TOME III (2010-2011)
Commentaire : le présent article réforme les modalités d'imposition des foyers fiscaux changeant de situation matrimoniale en cours d'année en établissant le principe de la déclaration commune des couples qui se constituent (mariage ou PACS), assorti d'un droit d'option pour une imposition séparée au titre de l'année du mariage ou de la conclusion du PACS, et en simplifiant les règles d'impositions en cas de séparations.
I. LE DROIT EXISTANT
A. LE PRINCIPE DES DÉCLARATIONS MULTIPLES LIÉES AUX CHANGEMENTS DE SITUATION MATRIMONIALE DES CONTRIBUABLES
1. Le principe de la déclaration unique des revenus d'un foyer fiscal
En application de l' article 6 du code général des impôts , qui définit les règles d'imposition du foyer fiscal, le principe de la déclaration unique consiste à cumuler l'ensemble des bénéfices et revenus de toutes catégories par le ou les membres du foyer, qu'il s'agisse soit de personnes mariées ou liées par un PACS, soit de personnes seules.
C'est seulement dans des cas limitativement fixés par la loi que les époux ou les partenaires d'un PACS font l'objet d'une imposition séparée :
- lorsqu'ils sont séparés de biens et ne vivent pas sous le même toit ;
- lorsque, étant en instance de séparation de corps ou de divorce, ils ont été autorisés à avoir des résidences séparées ;
- lorsque, en cas d'abandon du domicile conjugal par l'un ou l'autre des époux, chacun dispose de revenus distincts.
2. Le cas particulier de l'année de début ou de fin de l'imposition commune
Font également exception au principe de la déclaration unique les revenus de l'année de début ou de fin de l'imposition commune des couples , c'est-à-dire celle du mariage ou de la conclusion d'un PACS, ou bien encore celle du divorce, de la séparation ou du décès de l'un des époux ou partenaires d'un PACS.
L'année du mariage ou de la conclusion d'un PACS , trois impositions sont établies :
- chacun des époux ou partenaires est imposé séparément pour ses revenus de la période allant du 1 er janvier à la date de l'union. Deux déclarations personnelles sont alors établies ;
- une troisième imposition est établie conjointement par le couple pour les revenus allant de la date de l'union au 31 décembre.
En miroir, l'année du divorce ou de la séparation produit des effets similaires, à savoir trois impositions ainsi ordonnées :
- une déclaration commune est établie par le couple pour la période allant du 1 er janvier à la date de séparation ;
- deux déclarations respectivement sont établies au nom de chacun des époux ou partenaires séparés pour les revenus de la période restant à courir jusqu'au 31 décembre.
Enfin, en cas de décès de l'un des époux ou partenaires, deux déclarations sont établies :
- l'une pour les revenus communs de la période du 1 er janvier jusqu'au décès ;
- l'autre pour le conjoint survivant à compter de la date du décès jusqu'au 31 décembre.
En outre, il faut prendre en compte les conditions d'application du quotient familial , régi par l'article 196 bis du code précité, à ces différentes situations, car selon la présence ou non d'enfant, et en fonction du revenu de chacun des époux ou partenaires pendant la période d'imposition distincte, chaque contribuable devra procéder à une simulation de son impôt pour adapter, le cas échéant, sa situation à l'imposition qui lui est la plus favorable.
Le quotient familial applicable pour un couple qui se sépare est le suivant :
- pour la période d'imposition commune, la situation et les charges de famille existant, soit au 1 er janvier, soit à la fin de cette période si les charges ont augmenté en cours d'année ;
- pour la période d'impositions distinctes, la situation et les charges de famille existant au début de cette période, ou celle existant au 31 décembre si elles sont plus favorables.
Les couples qui se marient, le cas échéant avec un enfant, bénéficient également d'un dispositif symétrique de prise en compte du changement de situation et de charges de famille.
B. DES MODALITÉS DE CALCUL PERSONNALISÉES QUI NE SONT PAS EXEMPTES D'EFFETS D'AUBAINES ET D'INÉGALITÉS ENTRE LES COUPLES
Outre la complexité pour le contribuable, comme pour l'administration fiscale, de l'application du droit en vigueur, il résulte des situations décrites ci-dessus plusieurs avantages ou effets d'aubaines selon que l'on apprécie les différents cas du point de vue du particulier ou de l'Etat.
En premier lieu, ces dispositions fiscales sont particulièrement favorables aux contribuables l'année où ils s'unissent ou se séparent. En effet, l'architecture du barème de l'impôt sur le revenu entraîne mécaniquement une baisse de l'impôt dû . Pris séparément, trois fractions d'un revenu sont imposées dans les tranches inférieures du barème alors que, dans sa globalité, le même revenu serait imposé à un taux supérieur.
Exemple n° 1
En prenant pour hypothèse un couple, sans enfant, qui s'unit ou se sépare le 1 er juillet dont chacun des époux ou partenaires dispose de 20 000 euros de revenus annuels imposables. Sous le régime de la triple déclaration : - chacun déclare séparément 10 000 euros (tranche du barème à 5,5 %) ; - et déclarent conjointement 20 000 euros (tranche du barème à 5,5 % compte tenu des deux parts de quotient familial) ; - soit un impôt dû de 248 euros (simulation sur les revenus de 2009). Par comparaison, l'impôt dû pour une imposition commune de 40 000 euros (tranche du barème à 14 %) serait de 2 961 euros. Le gain pour le contribuable, ou le coût pour l'Etat, s'établit donc à 2 713 euros . |
Ce constat peut-être diversement apprécié. Il peut soit être considéré comme une aide de l'Etat à l'installation - une sorte de « liste de mariage fiscale » -, soit comme un effet d'aubaine. Naturellement, ces considérations ne sont pas applicables aux décès, qui sont des situations subies.
En second lieu , le mécanisme de triple imposition produit également des situations d'inégalité devant l'impôt en fonction de la date choisie de l'union ou de la séparation . Il sera ainsi plus intéressant pour un couple de se marier ou de conclure un PACS en milieu d'année plutôt qu'en fin.
Exemple n° 2
Sur les mêmes hypothèses de revenu : - un couple A qui se marie le 1 er avril (deux déclarations séparées de 6 667 euros et une déclaration commune de 26 666 euros) sera redevable de 1 100 euros (environ) d'impôt sur le revenu ; - alors que le couple B qui se marie le 1 er décembre (deux déclarations séparées de 1 666 euros et une déclaration commune de 36 668 euros) s'acquittera de 2 500 euros (environ). |
Ainsi, l'écart peut varier de plus de 100 % en fonction de la date du mariage . D'une certaine manière, le contribuable devient alors son propre prescripteur d'impôt, ce qui ne semble pas relever d'un objectif de politique publique, fusse-t-elle en faveur du mariage ou de la constitution d'un PACS.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ
Considérant que le dispositif en vigueur est source de complexité mais aussi de remise en cause de la progressivité de l'impôt, le Gouvernement a proposé un dispositif de simplification (I et II du présent article) de l'article 6 du code précité :
- en retenant le principe d'une imposition unique des époux ou partenaires pour l'ensemble des revenus de l'année du mariage ou de la constitution du PACS, tempéré par un droit d'option pour l'imposition distincte de leurs revenus sur l'ensemble de l'année (deux déclarations au maximum au lieu de trois) ;
- en fixant le nombre de déclaration à deux, au lieu de trois, en cas de séparation (divorce ou rupture du PACS).
Les dispositions du droit en vigueur concernant le décès de l'un des époux ou partenaires sont maintenues (deux déclarations).
Parallèlement, le III du présent article procède à un toilettage des modalités de calcul du quotient familial (article 196 bis du code précité) afin :
- de retenir la situation des personnes au 31 décembre, qu'elles s'unissent ou qu'elles se séparent ;
- et d'apprécier les charges de famille au 1 er janvier de l'année d'imposition, ou au 31 décembre si elles ont augmenté en cours d'année.
Les IV et V du présent article prévoit les modalités d'application du nouveau dispositif à compter de l'imposition des revenus de 2011 .
Comme cela a été expliqué dans les exemples d'impositions présentés plus haut, la conséquence du droit proposé sera un ressaut d'imposition pour les 600 000 contribuables environ concernés chaque année.
Le Gouvernement prévoit, à compter de 2012, un gain de 500 millions d'euros par an. S'agissant d'une réforme des modalités de calcul de l'impôt, cette augmentation serait pérenne.
L'Assemblée nationale a adopté le présent article sans autre modifications que rédactionnelles (sept amendements).
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES
Sans qu'il soit indispensable de débattre du fait de savoir si le droit en vigueur relève de la « niche fiscale » ou du simple calcul de l'impôt, force est de constater que le régime de la triple imposition remettent en cause la rationalité des modalités particulières d'imposition au titre de l'année de début ou de l'imposition commune au regard de la finalité du prélèvement fiscal.
En effet, la prime fiscale au mariage ou au PACS intervient à rebours de la capacité contributive des contribuables. Ainsi, l'exemple d'un couple qui se marie le 1 er juillet montre que l'impôt peut être presque annulé, sans qu'une véritable justification fiscale et sociale ne puisse être invoquée.
Par ailleurs, le coût pour l'Etat résulte moins d'un cadeau que d'une « dépense de guichet » puisque chaque contribuable peut décider de fixer la date du mariage ou du PACS dans un objectif d'optimisation fiscale. De fait, ce bonus n'est pas limitatif puisque la répétition des séquences d'union ou de séparation peut durablement exonérer certaines personnes d'une partie de l'impôt.
Un débat vif s'est engagé entre nos collègues députés , non pas sur la pertinence du dispositif proposé, mais sur la question de savoir s'il doit s'appliquer de manière identique au mariage et au PACS . Il convient de signaler que l'amendement, présenté par notre collègue Hervé Mariton, tendant à maintenir la triple déclaration pour le mariage et à appliquer au seul PACS le nouveau dispositif, invoquant la décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2010 portant sur le partage de l'autorité parentale 1 ( * ) , a été adopté par la commission des finances contre l'avis de Gilles Carrez, rapporteur général. Celui-ci a en effet considéré que le Conseil constitutionnel avait estimé, en matière fiscale, que le PACS organisait une véritable solidarité entre les partenaires et qu'il était, dès lors, légitime qu'il bénéficie du même traitement fiscal que le mariage.
Au terme de la discussion en séance publique, le Gouvernement s'étant déclaré défavorable, l'amendement précité n'a pas été adopté.
Dans la mesure où le droit proposé répond à un besoin de rationalisation de règles de calcul de l'imposition et d'élargissement de l'assiette de l'impôt sur le revenu, on ne peut pas considérer que le dispositif porte atteinte à la politique familiale. Sur ce point, la France dispose toujours du mode d'imposition sur le revenu le plus favorable aux familles du fait de l'application du quotient familial et du rattachement des revenus à la notion de foyer fiscal, se distinguant ainsi très nettement de l'impôt par capitation pratiqué dans les pays anglo-saxons.
C'est pourquoi, s'en tenant strictement à des considérations d'ordre fiscal, votre rapporteur général souscrit à la simplification du droit en vigueur et vous propose d'adopter le dispositif proposé.
Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.
* 1 « La différence de traitement entre couples mariés et non mariés peut se justifier car l'engagement dans les liens du mariage est plus solennel dans sa formation, plus riche de droits et d'obligations réciproques et plus contrôlé dans les conditions et les effets de sa dissolution ».