Travaux de la commission des finances



MARDI 24 FÉVRIER 2004

- Présidence de M. Jean Arthuis, président.

La commission a procédé à l'audition de M. Michel Prada, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF).

M. Jean Arthuis, président, s'est félicité de la mise en place de l'AMF un an après le début de l'examen en première lecture par le Sénat du projet de loi de sécurité financière auquel le rapporteur, M. Philippe Marini, rapporteur général, avait apporté une importante contribution.

Il a souligné que l'AMF constituait un dispositif clé pour le retour de la confiance des investisseurs suite aux affaires Enron et Parmalat.

M. Michel Prada a rappelé le contexte de l'installation de la nouvelle autorité le 24 novembre 2003, soit il y a exactement trois mois, relevant que les mesures transitoires prévues par la loi du 1er août 2003 de sécurité financière avaient permis d'éviter des phénomènes de rupture sur le marché. Il a souligné que l'AMF avait déjà adopté trois recommandations principales, concernant respectivement la publication des documents de référence par les sociétés au titre de l'année 2003, le rapport des présidents des sociétés cotées sur le contrôle interne et la surveillance particulière des commissaires aux comptes sur les paradis fiscaux.

Il a précisé que l'ensemble de l'architecture institutionnelle avait été mis en place dans un délai très court. Outre le collège et la commission des sanctions de l'AMF, trois commissions spécialisées en matière de procédure de sanction avaient été instituées et le nombre des dossiers de sanction témoignait d'une intensification des contrôles. Il a ajouté que cinq commissions consultatives associant des experts avaient été constituées, respectivement sur l'organisation du marché, les opérations post-marché, la gestion d'actifs pour le compte de tiers, les rapports avec les entreprises émettrices et la défense des intérêts des actionnaires minoritaires et des épargnants individuels.

S'agissant de la réorganisation des services, il a décrit le nouveau dispositif des directions opérationnelles et fonctionnelles de l'AMF, la mise en place prochaine d'une cellule de contrôle interne devant parachever cette organisation.

Il a enfin présenté les travaux de fond en cours à l'AMF, jugeant qu'ils impliquaient le renforcement des moyens financiers et humains. Dans le domaine réglementaire, il a mis en exergue l'impact du droit européen, s'agissant de trois directives (abus de marché, services d'investissement, offres publiques d'achat) et de la définition des nouvelles normes comptables. Il a plus particulièrement relevé que la nouvelle directive relative aux services d'investissement (DSI) risquait de se traduire par des changements importants dans l'organisation du marché du fait de l'essor de plateformes alternatives, à l'instar des pratiques constatées sur le marché britannique ;ce phénomène comporte selon lui des risques importants de fragmentation de la liquidité et de perte d'efficience dans la formation des prix. Concernant la chaîne de distribution financière, il a estimé que la réglementation française apparaissait en avance dans le domaine des analystes financiers et de la gestion alternative d'actifs, mais que des évolutions importantes étaient à attendre en Europe pour les normes comptables.

Il a conclu cet exposé liminaire en évoquant l'intensification des aspects internationaux du métier de régulateur, tout en relevant que la régulation ne suffirait jamais, à elle seule, à pallier les éventuelles défaillances des comportements.

Un large débat s'est ensuite instauré.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a indiqué, eu égard à l'importance de ce texte, qu'il procéderait à un point d'étape en commission des finances d'ici la fin du premier semestre 2004 sur la mise en oeuvre de la loi du 1er août 2003 de sécurité financière et ses décrets d'application.

Puis il s'est interrogé sur l'impact de la nouvelle directive DSI pour l'industrie financière, l'intégrité des marchés et l'équité des transactions.

Il a ensuite relevé que l'affaire Parmalat avait illustré les dérives de la déconsolidation excessive d'actifs risqués dans des « special purpose vehicles » généralement localisés dans des zones offshore. A cet égard, il a exprimé le souhait que des recommandations soient adressées par l'AMF aux commissaires aux comptes, à la lumière des pratiques des différents régulateurs nationaux et internationaux.

Il a enfin souhaité connaître les changements qui pourraient intervenir en droit français suite à l'adoption de la nouvelle directive sur les droits des sociétés, en particulier pour la réglementation des sociétés d'audit, dont M. Fritz Bolkestein, commissaire européen en charge du marché intérieur, avait annoncé qu'elle serait proposée en mars 2004.

M. Michel Prada a précisé que le collège n'avait pas encore délibéréde la nouvelle directive DSI, dans l'attente de l'adoption définitive de ce texte au niveau communautaire, tout en rappelant que la commission des opérations de bourse (COB) puis l'AMF avaient été impliquées dans son élaboration au sein du comité européen des valeurs mobilières.

Il a noté qu'un des éléments du débat portait sur les avantages et les inconvénients d'un système de contrôle plus ou moins fortement dérégulé, l'AMF estimant nécessaires des mécanismes de compte rendu (reporting) des transactions assurant la transparence sur le marché, non seulement a posteriori, mais aussi a priori.

Il a ajouté qu'un second élément du débat portait sur les critères à prendre en compte, en termes de volumes et de date de liquidation, pour la détermination du bon prix (« best execution »).

M. Philippe Marini, rapporteur général, a souhaité, à cet égard, disposer de précisions sur le stade d'élaboration de ces dispositions, relevant qu'une mobilisation des acteurs français avait pu être engagée pour les normes comptables IAS et la valorisation des contrats.

M. Michel Prada a répondu que l'adoption par le Parlement européen de la proposition de directive du Parlement et du Conseil européens du 19 novembre 2002 était souhaitée avant la fin de la session du Parlement européen. S'agissant du principal point de blocage, le reporting a priori, il a précisé qu'une voie moyenne avait été proposée, à titre de compromis.

En réponse à la question de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur la déconsolidation d'actifs risqués, il a souligné que l'affaire Parmalat avait peu touché les banques et les acteurs financiers français, à la différence de certains producteurs de lait qui pâtissent du défaut de leur client, et que le dispositif de fraude organisée mis en place par les dirigeants de l'entreprise italienne ne remettait pas tant en cause le contenu des règles que les comportements des commissaires aux comptes qui n'avaient pas décelé les « faux grossiers » auxquels cette entreprise avait eu recours. Il a cependant précisé que les présidents des autorités nationales de contrôle avaient constitué un groupe technique, afin, notamment, de mieux identifier les critères de définition des zones offshore (octroi d'avantages fiscaux, montages juridiques, pratique du secret, agissements condamnables). Il s'est félicité d'une coopération accrue depuis quelques années avec certaines de ces entités non réglementées qui affichaient plusclairement leurs règles, bien que l'ampleur du phénomène du recours aux centres offshore se fût néanmoins accrue.

M. Jean Arthuis, président, s'est demandé s'il ne convenait pas d'écarter du marché les groupes dont l'essentiel de l'activité reposait sur des participations dans des paradis fiscaux, en relevant que cette question engageait la crédibilité des autorités de contrôle et constituait, à ce titre, un problème crucial.

M. Michel Prada a relevé qu'une première étape dans l'encadrement des activités des zones offshore avait été franchie par la publication en 1999 d'une liste des paradis fiscaux.

En réponse à la question de M. Philippe Marini, rapporteur général, concernant la future directive sur les droits des sociétés et notamment des sociétés d'audit, il a observé que la réglementation française s'avérait plus complète que celle de ses partenaires anglo-saxons.

M. Paul Loridant a souligné le rôle central de l'AMF, et donc de son président, pour la crédibilité et la sauvegarde des mécanismes de marché au niveau international.

Il a plaidé pour un durcissement des règles de contrôle à l'échelle nationale, en estimant que les principaux acteurs financiers internationaux ne pouvaient pas ignorer l'imminence de l'affaire Parmalat.

M. François Marc s'est félicité de la célérité dans la mise en place de l'AMF et de la détermination de ses dirigeants, tout en exprimant le souhait que soit prise une nouvelle initiative politique concernant les zones offshore.

Après avoir rappelé la diminution de la durée de détention d'une action aux Etats-Unis, et vraisemblablement en France, il a déploré que les choix des actionnaires se fondent sur les prévisions des analystes financiers davantage que sur la situation des entreprises, et obéissent, ainsi, à une logique de maximisation des profits à court terme et non d'investissement durable. Il a ainsi souhaité savoir comment étaient pris en compte ces comportements par l'AMF.

En outre, il a demandé quel type de contrôle pouvait exercer l'AMF quant à la qualification des fonds éthiques et des investissements dits « socialement responsables ».

M. Yann Gaillard s'est interrogé sur l'importance des phénomènes de débancarisation, les perspectives de montée en puissance d'une régulation au niveau international et non plus national, ainsi que sur les liens entre l'AMF et l'autorité judiciaire.

M. Maurice Blin s'est interrogé sur l'impact des différences de philosophie et de choix d'investissement entre les Européens, les Américains et les Britanniques.

Afin d'illustrer les progrès accomplis en l'espace de dix ans, M. Jean Arthuis, président, a rappelé les conditions dans lesquelles, au cours de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 1992, le gouvernement avait été conduit à solliciter l'autorisation du Parlement pour la conduite, par l'Etat, d'opérations offshore.

A l'appui d'un nécessaire volontarisme politique, il a cité une intervention récente de M. Michel Tudel, président de la commission nationale des commissaires aux comptes, le 8 janvier 2004, selon lequel l'affaire Parmalat avait « mis en lumière une faille importante de notre système de sécurité : l'isolement des commissaires aux comptes (...) seuls intervenants au service de l'intérêt public, tous les autres professionnels (...) étant au service de leurs clients ».

M. Michel Prada a rappelé que le nombre de dossiers de sanction de l'AMF témoignait d'une fermeté accrue. Revenant sur la problématique des centres offshore, il s'est félicité de l'attitude coopérative nouvelle de certains acteurs, tels Jersey et Guernesey, malgré les obstacles que pouvaient constituer la souveraineté nationale et les liens entre ces territoires et certaines des principales puissances économiques mondiales. Cette démarche graduelle avait permis, selon lui, l'engagement d'une réflexion dans d'autres enceintes, le G 8, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.

Bien que les investisseurs aient tendance à privilégier davantage le court terme, il a estimé que la création de produits d'épargne retraite à long terme tendait à infléchir les comportements et prôné que l'épargne retraite soit investie pour partie en actions.

S'agissant de la débancarisation, il a relevé qu'en Angleterre, la banque pouvait « s'interposer » entre le client et l'acheteur. Il a exposé la démarche pragmatique adoptée par la France pour la mise en place d'un réseau de régulateurs européens en matière de coordination, voire à terme pour le traitement de sujets communs.

Concernant les relations avec la justice, il a rappelé que l'AMF faisait pleinement application des dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale, tout en évoquant deux pistes de réforme : un recours accru à la transaction et une information renforcée de l'autorité judiciaire à l'autorité administrative.

En réponse à la question de M. Maurice Blin, il a déclaré observer un certain rapprochement des attitudes des investisseurs et des régulateurs français, américains et britanniques, ces derniers accordant aujourd'hui une importance accrue à la protection « consumériste » des souscripteurs des titres, les Français attachant traditionnellement plus d'importance à cette question que les Anglais.

M. Jean Arthuis, président, a salué la rapidité d'installation de l'AMF et a évoqué la question des moyens dont elle disposait, inférieurs à ceux de son homologue britannique. Il a par ailleurs demandé que les commissaires aux comptes fassent explicitement mention des opérations reprises dans les comptes consolidés, alors que les territoires offshore se tenaient à l'écart des régulations dont l'AMF se portait garante.

M. Michel Prada, président, a rappelé les initiatives prises par M. Jean Arthuis lorsqu'il était ministre de l'économie et des finances, en vue d'une transparence accrue des transactions financières.

Après que M. Jean Arthuis, président, a rappelé le rôle joué par M. Michel Prada dans la mise en oeuvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), en sa qualité de président du comité des normes de comptabilité publique, ce dernier a appelé à prolonger et à accélérer les travaux de normalisation, dans la perspective de l'établissement de comptes consolidés de l'Etat.