Travaux de la commission des finances
- Présidence de M. Alain Lambert, président.
Audition de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et de M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget, sur le programme pluriannuel de finances publiques à l'horizon 2002
La commission a procédé à l'audition de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et de M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget, sur le programme pluriannuel de finances publiques à l'horizon 2002.
M. Alain Lambert a rappelé l'intérêt d'une telle audition en souhaitant qu'elle puisse être complétée par la communication à la commission, des programmes pluriannuels mis en oeuvre par les autres pays européens.
M. Dominique Strauss-Kahn, après avoir évoqué les contraintes de calendrier ayant pesé sur l'élaboration et la communication à la Commission européenne du programme pluriannuel, a souligné l'aspect novateur d'une telle programmation sur trois années, même si elle ne présentait pas de caractère contraignant.
Il a indiqué, s'agissant des prévisions de croissance figurant dans les programmes des différents Etats membres, leur convergence, le chiffre s'établissant, pour la France, entre une hypothèse, qualifiée de prudente, à 2,5 % et une hypothèse dite favorable, de 3 % par an.
Puis il a présenté les trois priorités ayant concouru à l'élaboration de ce programme. Il a tout d'abord fait état de la volonté du Gouvernement de financer ses priorités budgétaires dans le cadre d'une progression annuelle de 0,3 point en volume des dépenses de l'Etat, tandis que la croissance de l'ensemble des dépenses publiques serait au total d'un point par an. Il a ainsi relevé que la part des dépenses publiques dans le PIB devrait diminuer pour être comprise, à l'horizon 2002, entre 50,6 % et 51,5 %.
Puis, il a rappelé la nécessité de réduire le déficit budgétaire en profitant pour cela de la croissance actuelle. Cette réduction pourrait le ramener entre 0,8 % et 1,2 % du PIB à la fin de 2002, soit un niveau comparable à celui des principaux partenaires de la France. Il a enfin indiqué son souhait de voir revenir à moins de 45 % du PIB le taux des prélèvements obligatoires, contre 45,7 % en 1999.
M. Dominique Strauss-Kahn a précisé que ces objectifs reposaient sur une hypothèse de croissance minimum de 2,5 % par an, qu'il qualifiait de raisonnable. En effet, celle-ci, d'une part, correspondait aux potentialités effectives de l'économie française et, d'autre part, était cohérente avec les prévisions allemandes vis-à-vis desquelles la France bénéficiait d'un décalage de croissance favorable à hauteur de quelques dixièmes de points.
Il a ainsi conclu quant au caractère réaliste de ces prévisions, tout en rappelant que celles-ci ne présentaient pas de caractère contraignant.
M. Philippe Marini, rapporteur général, a tout d'abord tenu à relever que si les objectifs que s'était assignés le Gouvernement correspondaient effectivement à ses engagements, les moyens mis en oeuvre pour les atteindre lui semblaient plus incertains. Il a ainsi souligné que la réalisation de " l'hypothèse plancher " en matière de croissance (+ 2,5 % par an) dépendait pour une large part de données exogènes, indépendantes de la volonté du Gouvernement.
De même, il s'est interrogé sur la capacité du Gouvernement à maintenir la progression des dépenses de l'Etat dans le cadre annuel des 0,3 point de croissance en volume, ainsi que sur la fiabilité des prévisions en matière de créations d'emplois et, partant, sur l'affectation, pour moitié, des excédents de l'UNEDIC à des " dépenses favorables à l'emploi ". Il a enfin souhaité connaître le contenu de la politique de " rénovation des grands services publics " que le Gouvernement entendait désormais inscrire au nombre des " grands chantiers de la législature ".
De façon plus générale, il a douté de la capacité réelle du Gouvernement à fixer un cadre strict à la progression des dépenses publiques.
M. Dominique Strauss-Kahn a tout d'abord souhaité rappeler les effets bénéfiques pour la croissance de l'économie française de la politique économique mise en oeuvre par le Gouvernement et les autorités monétaires, associant une politique budgétaire " sérieuse " à une politique monétaire " accommodante ", lui permettant ainsi de disposer, en ce domaine, de marges de manoeuvre non négligeables.
Il a, par ailleurs, fait état du caractère novateur de l'objectif fixé en matière de progression des dépenses publiques qui contribuerait non seulement à améliorer la qualité de la gestion publique, mais permettrait également de disposer de " stabilisateurs automatiques ".
S'agissant de la crédibilité de l'objectif fixé par le Gouvernement pour la progression des dépenses de l'Etat, il a rappelé que, en 1997, l'augmentation de ces dépenses avait effectivement correspondu à celle fixée en loi de finances initiale et que pour 1998, l'objectif d'une stabilisation en volume de celles-ci devrait être " tenu ".
Revenant sur les principaux postes de dépenses publiques pour l'avenir, il a tenu à faire état des 30 milliards de francs de redéploiement réalisés pour 1998 et 1999 par le Gouvernement à l'occasion de la préparation de la loi de finances initiale qui permettraient donc de limiter la progression des dépenses de l'Etat à un montant annuel de 0,3 % en volume.
Puis, rappelant l'importance en France des services publics, il a souhaité que ceux-ci puissent être rénovés, à l'image de ce qui avait été déjà pratiqué au sein des services du ministère de l'économie et des finances. Cette rénovation devrait se traduire notamment par une meilleure informatisation ou un accroissement du rôle de l'usager, permettant à ces services publics d'être " au service du public ", mais également de s'adapter aux nouvelles demandes. Un tel mouvement, qui nécessitait du temps et impliquait de se former à de nouvelles tâches, permettrait à l'administration d'accomplir sa " mue ". Il constituait, à ce titre, un chantier important pour le Gouvernement.
S'agissant de l'affectation prévisionnelle des excédents de l'UNEDIC, M. Christian Sautter a précisé que ceux-ci devraient être répartis, à part égale, entre une diminution des cotisations et un " investissement social " pouvant constituer, notamment dans la mise en place du nouveau dispositif d'Allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE). Il a par ailleurs souligné que la progression limitée du service de la dette et le fait que de nombreuses dépenses budgétaires aient déjà été financées en 1999 permettraient de limiter la progression annuelle des dépenses de l'Etat à 0,3 point en volume.
En réponse à M. Jacques Baudot, qui l'interrogeait sur la fuite des personnes, des entreprises et des capitaux français à l'étranger, le ministre de l'économie et des finances a distingué les cas d'expatriation temporaire de ceux représentant une délocalisation durable de patrimoine. Il a indiqué que les informations statistiques dont il disposait, bien que portant sur les années passées, ne permettaient pas de conclure à des transferts de capitaux inquiétants.
A M. Maurice Blin, qui l'interrogeait sur les difficultés que le Gouvernement rencontrerait pour tenir ses objectifs en matière de dépenses publiques, M. Dominique Strauss-Kahn a répondu que le rythme de progression de 0,3 % par an en volume de la dépense budgétaire, se référait aux dépenses votées pour 1999, qui incluaient déjà le financement des grandes priorités du Gouvernement. Il a ajouté qu'avec 2,9 % de déficit public à la fin de 1998, la France était déjà allée au-delà des contraintes du pacte de stabilité européen. Il a justifié la nécessité de s'imposer une réduction plus importante des déficits publics par trois éléments : la réduction des déficits permet d'alléger le coût de service de la dette, qui représente aujourd'hui 237 milliards de francs, et d'affecter davantage de recettes à des dépenses favorables à l'activité économique ; la diminution des déficits s'impose par la nécessité de ne pas faire supporter aux générations futures le poids de nos dépenses actuelles ; enfin, les emprunts d'Etat, qui sont détenus par certains épargnants, sont remboursés par l'impôt acquitté par l'ensemble des contribuables, ce qui a un caractère anti-redistributif.
Concernant le coût prévisible de l'application de la loi relative à la réduction du temps de travail à 35 heures, M. Dominique Strauss-Kahn a souligné que si, par hypothèse théorique, l'application de cette loi ne devait pas créer d'emplois, le coût pour les finances publiques serait alors nul. Mais dans l'hypothèse réaliste de création d'emplois, cela serait un gain pour l'activité économique, et générerait des recettes qui devraient compenser les dépenses engagées.
En réponse à M. Michel Charasse, le ministre de l'économie et des finances a confirmé que la baisse des prélèvements obligatoires envisagée au terme du programme pluriannuel sur les finances publiques représenterait environ 110 milliards de francs. Il a estimé qu'une diminution générale du taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) serait vraisemblablement peu perçue par les consommateurs et aurait de ce fait un impact très limité. Il en a déduit que seules des baisses ciblées pouvaient être réalisées et que la diminution des prélèvements obligatoires se traduirait aussi par l'allégement d'autres impôts.
A M. François Trucy, il a déclaré que le coût pour le logement social de l'argent collecté par l'intermédiaire du livret A était trop élevé, mais qu'il fallait tenir compte du fait qu'il s'agissait de la rémunération d'une épargne populaire. Il a ensuite indiqué que le risque de voir la monnaie chinoise se déprécier était relativement faible, dans la mesure où les autorités chinoises semblaient à même de défendre le cours du yuan. Enfin, s'agissant des ressources publiques qu'il faudrait mobiliser pour procéder à la recapitalisation d'entreprises françaises, il a rappelé que la position de la commission européenne, qui conduit à privatiser les entreprises ayant bénéficié d'une recapitalisation, permettait de restreindre progressivement le nombre de ces opérations.
A M. Roland du Luart qui demandait si le Gouvernement entendait procéder à des annulations de crédits, si l'inflation en 1999 était inférieure à la prévision inscrite dans le projet de loi de finances, M. Dominique Strauss-Kahn a répondu qu'il lui était actuellement impossible de prévoir une révision du taux d'inflation pour l'année en cours.
En réponse à Mme Marie-Claude Beaudeau, il a indiqué que l'objectif de stabilité des effectifs civils de la fonction publique ne préjugeait pas d'éventuels redéploiements entre les différents ministères. Il a ajouté qu'il attendait les conclusions du rapport de M. Jacques Roche sur l'application des 35 heures dans la fonction publique pour envisager leur application. Au sujet des allégements de cotisations sur les bas salaires, il a indiqué que les dispositions, non encore arrêtées, d'une seconde loi sur les 35 heures, pourraient, par la création d'une aide structurelle aux entreprises pour chaque nouvel emploi créé, résoudre une partie des préoccupations sur l'allégement du coût du travail. Concernant l'Institut d'émission des départements d'Outre-mer, il a indiqué que le projet de filialisation de cet institut était présenté par ses concepteurs comme offrant les mêmes garanties que celles accordées aux salariés de la Banque de France, un effort d'explication de la direction de la Banque de France aux salariés concernés devant donc contribuer à dissiper leurs inquiétudes. Enfin, il s'est déclaré favorable à l'organisation d'un débat, au Sénat, sur le devenir du secteur public en France.
En réponse à M. Jean-Philippe Lachenaud, il a confirmé que la Banque centrale européenne, qui a pour mission l'objectif de stabilité des prix, n'avait pas fixé de taux plancher à l'inflation, et il a souhaité qu'elle puisse en instaurer un. Concernant la coopération entre les banques centrales et les Gouvernements de l'Union européenne, il a indiqué qu'une instance de dialogue existait, rassemblant les ministres des finances en présence du président de la Banque centrale européenne, au sein de l'Euro 11. Au sujet du projet de loi sur l'innovation, il a indiqué que le Conseil d'Etat avait imposé que les réformes fiscales souhaitées par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie figurent dans un autre texte de loi. Il a indiqué que ces réformes porteraient notamment sur l'introduction d'éléments modernes de rémunération des cadres et dirigeants d'entreprises, afin de donner à la France les mêmes instruments financiers que ceux existants dans les autres pays européens.
A M. Jacques Chaumont qui l'interrogeait sur l'incidence des crises financières en Russie et au Brésil sur la croissance française, M. Dominique Strauss-Kahn a jugé la situation financière russe inquiétante, alors que le Brésil devrait progressivement trouver des solutions aux difficultés très importantes qu'il traverse aujourd'hui. Il a ajouté que la réforme du système de régulation internationale, initiée au Conseil Ecofin informel de Vienne en septembre 1998, et dont la prochaine étape devrait être inscrite à l'ordre du jour de la réunion du Groupe des sept (G7) en février, s'inspirerait largement des " 12 propositions " françaises.
M. Christian Sautter a répondu à M. Alain Lambert, président, que les recettes fiscales pour 1998 seraient conformes aux chiffres retenus par le collectif budgétaire, à savoir 12 à 13 milliards de francs supplémentaires par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale.
Puis, en réponse à M. Michel Charasse, il a déclaré que la période couverte par le programme pluriannuel sur les finances publiques devrait connaître quatre opportunités, et faire face à quatre difficultés. Les opportunités sont les suivantes : en premier lieu, une moindre progression, voire une diminution du service de la dette ; en second lieu, une stabilité de l'investissement militaire à partir de 1999 ; en troisième lieu, une faible montée en charge du dispositif des emplois jeunes, qui atteindra les deux-tiers de l'objectif quantitatif fixé, soit 250.000 emplois, dès la fin de 1999 ; enfin, une diminution du chômage qui devrait permettre la réduction des dépenses passives d'indemnisation.
Parmi les difficultés, il a évoqué les incidences budgétaires de la négociation sur l'Agenda 2000, la mise en oeuvre des nouveaux contrats de plan, pour lesquels une modulation des enveloppes financières par région pourrait être envisagée, et enfin, l'impact des salaires et retraites de la fonction publique sur les charges du budget de l'Etat. Il a souhaité une plus grande transparence sur ces sujets et il a marqué son intérêt pour les travaux sur la comptabilité patrimoniale de l'Etat.