L'année Victor Hugo au Sénat
Palais du Luxembourg, 15 et 16 novembre 2002
CE QUE C'EST QUE L'EXIL : TEMOIGNAGES POUR AUJOURD'HUI - ACTES DU COLLOQUE DU 15 NOVEMBRE 2002
Une affluence exceptionnelle pour des tables rondes exceptionnelles
ACTUALITÉ DE L'EXPÉRIENCE HUGOLIENNE DE L'EXIL
M. ROBERT DEL PICCHIA , SÉNATEUR, représentant Monsieur Christian Poncelet, Président du Sénat
Mesdames, Messieurs,
C'est un grand honneur pour moi d'être appelé à prononcer devant vous le discours d'ouverture de ce colloque préparé par M. le Président Poncelet qui est retenu ce matin par des obligations impératives auxquelles il n'a pu se soustraire. Il m'a demandé de l'excuser auprès de vous. Le remplacer est un honneur mais c'est aussi une émotion particulière dans la mesure où, sans être nullement exilé moi-même, je fais partie de ce million et demi de Français dits « expatriés » qui vivent la France d'une façon particulière, même s'ils ont conscience dans leur vie de tous les jours de la représenter.
Je crois en effet que Danton s'est trompé le jour où il a dit que « l'on n'emporte pas sa patrie à la semelle de ses souliers ». Si, justement, on l'emporte car malgré tous nos efforts, tous nos oublis parfois, notre volonté de rupture aussi, il demeure une part de nous-mêmes que l'on ne peut renier. Elle ne s'apaise vraiment, me semble t-il, que si on l'intègre après l'avoir reconnue et, d'une certaine manière, admise.
A l'inverse, la France que transporte celui qui est loin d'elle est souvent plus belle, plus proche des idéaux qu'elle véhicule que la France réelle. Faut-il s'en plaindre ? « Il existe, " écrivait Giraudoux, qui s'est tant moqué du chauvinisme et qui était lui- même un peu chauvin, " un pacte éternel entre la France et la liberté du monde ». Sans doute faut-il voir dans ce jugement une trace de cette arrogance qui, pour nos voisins, est le premier de nos défauts. C'est aussi cependant, notre modestie dut-elle être prise en défaut, une de ces idées dont la France est porteuse grâce à son histoire et qui ne lui appartient plus tout à fait. C'est cette part d'universel qu'avec un certain nombre d'autres pays, elle a la chance d'incarner, au moins partiellement.
C'est au nom de cette liberté que le Sénat, sur la proposition de M. Christian Poncelet, a décidé d'organiser ces journées hugoliennes sur l'exil et la tolérance. Permettez-moi de vous donner lecture du discours de M. le Président.
« Le Sénat s'est associé naturellement avec l'UNESCO qui incarne cette mission mondiale en faveur de la paix à travers la diversité des cultures. L'UNESCO, il y a cinq ans, a fait du 16 novembre la journée mondiale de la tolérance. C'est une valeur qui s'est affirmée progressivement au moment des conflits religieux qui ont divisé l'Europe et qui est aujourd'hui toujours d'actualité, même si le contexte a changé... mais en pire...
La société contemporaine pose la question de la coexistence des États mais plus encore des différents groupes en quête d'identité. C'est une question internationale mais aussi nationale. Le Sénat y est particulièrement attentif. C'est la raison pour laquelle sous l'impulsion de ses Présidents successifs, il a développé une politique d'ouverture, j'allais dire « tous azimuts ».
Le Sénat est d'abord une assemblée parlementaire à part entière et, à ce titre, avec le Président de la République et l'Assemblée Nationale l'une des expressions de la souveraineté nationale. De ce fait, il est aussi comptable de l'unité de la nation. Dans cette tâche, son mode de scrutin, qui a l'avantage de le tenir quelque peu en retrait de l'actualité immédiate, est un atout. Ses membres peuvent y puiser le recul nécessaire pour essayer de comprendre la diversité des opinions.
Ils y puisent l'atmosphère qui fait le charme de cette maison où l'esprit de modération est une qualité partagée par tous ses membres. Pragmatiques, les Sénateurs s'efforcent d'écouter avant d'agir. Cette attitude ne signifie pas qu'ils n'aient pas eux-mêmes des opinions - ils les expriment quand il le faut selon la règle majoritaire -, mais ils s'efforcent de le faire en privilégiant, aussi souvent que possible, l'approche concrète des problèmes.
Ils ont pour cela un deuxième atout naturel, celui de connaître le terrain. La plupart n'arrivent au Sénat qu'après une expérience de gestion locale et c'est dans cette gestion, naturellement plus consensuelle et marquée par le souci de l'unité de la collectivité des habitants, que s'élabore leur culture politique. Si je pouvais me permettre une image, les Sénateurs sont les « palpeurs » naturels et permanents des courants visibles et invisibles qui traversent la société. Ce qui caractérise en effet aujourd'hui la société française, c'est la profonde recomposition des idées. Celles-ci s'expriment de plus en plus difficilement à travers les canaux traditionnels ou idéologiques. Elles cherchent l'ouverture dans des zones qui Jusqu'ici, n'étaient pas considérées comme appartenant stricto sensu à la sphère politique. Ce que les citoyens ne trouvent plus - et on ne peut que le déplorer - dans la participation électorale, ils le recherchent à travers l'engagement individuel, et souvent pour des causes généreuses. La « culture » au sens large : information, ouverture vers le monde, spectacle devient, sous des formes diverses et parfois balbutiantes la compagne de leur vie quotidienne. La multiplicité des rencontres provoque certes des affrontements mais révèle aussi des clivages inattendus. Ces évolutions imposent la modestie et proscrivent les idées toutes faites.
Notre souhait est que dans un tel contexte, ces rencontres nous aident à délivrer un message d'espoir : celui que la tolérance, à l'intérieur et à l'extérieur, est possible ; qu'elle est, en tout cas, le chemin de l'avenir commun, même si elle exige des efforts de chacun.
Nous avons pensé que la meilleure manière d'aider la société française à se reconnaître était, justement, de rappeler que la France était par essence un lieu d'accueil et de rencontre, d'où le choix du caractère international de ces manifestations.
Nous avons été aidés dans cette démarche par Victor Hugo, notre prestigieux collègue que l'un de mes prédécesseurs Président du Sénat accueillit par ces mots après son élection par les électeurs de la Seine : « Mes Chers Collègues, le génie a pris séance. Le Sénat a applaudi et il reprend le cours de sa délibération ».
Quel chemin parcouru depuis le 20 février 2002 depuis cette séance solennelle au cours de laquelle des Sénateurs de tous les groupes se sont exprimés, chacun à leur manière en l'honneur de Victor Hugo ! Nous avons voulu à cette occasion, pour la première fois, permettre à une sociétaire de la Comédie Française qui nous accompagne en cette année du bicentenaire d'accéder à la tribune du Sénat pour nous lire l'un des plus beaux textes de Victor Hugo. Rachida Brakni dont nous avons apprécié la jeunesse et le courage, avait choisi un extrait des Misérables qui nous a redonné ce bien le plus précieux : des raisons de croire en nous-mêmes. « La grandeur et la beauté de la France, c'est qu'elle prend moins de ventre que les autres peuples... Elle est la première éveillée, la dernière endormie. Elle va en avant. Elle est chercheuse. Cela tient à ce qu'elle est artiste ».
Quelques jours après, nous étions à Jersey et Guernesey, sur les pas des proscrits et de Victor Hugo exilé. Ce fut un pèlerinage simple et digne, le jour même du bicentenaire.
Soucieux de faire le lien entre le passé et le présent, nous avons également exploité les richesses de nos propres archives pour en faire une exposition. Plutôt qu'un catalogue réservé à quelques-uns, nous avons choisi d'en faire une publication en collaboration avec le Ministère de l'Éducation nationale pour que les archives du Sénat sur Victor Hugo, et elles étaient riches, soient diffusées comme il l'aurait souhaité dans toutes les écoles de France : « Mettre le coeur du peuple en communication avec le cerveau de la France ».
Cette plaquette a servi de référence à un concours qui rassemblera demain dans notre hémicycle 280 élèves de collèges et lycées. Ils pourront voir aussi, comme des milliers d'autres, les documents disposés sur les grilles de notre jardin par la Bibliothèque Nationale de France ainsi que la remarquable exposition sur notre mémoire douloureuse que constitue l'exposition de Madame Virginie Buisson que vous avez pu voir à l'entrée de cette salle. J'ai souhaité qu'elle quitte notre prestigieuse Salle des Conférences où nous l'avons inaugurée pour qu'elle soit plus accessible à vous tous qui avez pris le chemin du Palais du Luxembourg.
Consacrée aux déportés de la Commune, elle rassemble quelques-unes des images les plus émouvantes que l'on puisse connaître, celles des exilés dans leur pays lui- même, celui de l'incompréhension et de l'injustice.
Nous n'avons pas voulu en effet esquiver le regard nécessaire que chacun doit porter aujourd'hui sur la souffrance du monde. Cela ne sert à rien de se dissimuler les réalités. Nous le faisons d'autant plus volontiers que, précisément, l'exil de Victor Hugo à travers sa souffrance est aussi un espoir : « Soit d'autant plus sévère aujourd'hui que tu seras plus compatissant demain ».
Victor Hugo nous apprend que tous les exils, un jour ou l'autre, ont une fin et que la fin est d'autant plus grande que la résistance aura été plus absolue.
Certes tous les exils qui sont ici rassemblés à travers des personnalités du monde politique mais surtout de la culture, de la création et des arts ne sont pas des exils contraints, au moins en apparence. Ils ont tous cependant un point en commun, celui de l'arrachement à sa culture, à sa famille, parfois à ses repères.
Tout exil est un grand départ vers l'inconnu.
Tout exil est aussi rencontre. Rencontre d'un autre peuple, d'une autre culture.
Tout exil est une interrogation. Dois-je abandonner ma culture ? Dois-je disparaître dans une autre ? Est-il possible de fondre les deux dans une synthèse supérieure ?
L'exil, par nécessité, est toujours création.
Je n'ai ni le talent, ni le désir de répondre aux questions à votre place. Je voudrais dire seulement au début de cette journée, combien le Sénat vous est reconnaissant d'avoir répondu présent à son invitation et d'avoir ainsi compris l'esprit dans lequel il vous avait invité. Nul doute qu'à travers ce travail collectif, vous aiderez notre société à grandir et, peut-être, à se trouver un peu mieux.
Après avoir étudié et observé vos différents parcours, si divers et si multiples, je suis persuadé que ce sera le cas. Je crois comprendre en effet que, pour vous comme pour Victor Hugo, l'exil, finalement, c'était aussi la découverte de soi-même. La vie est exil ou l'exil c'est la vie...
Lorsque, comme vous, l'on y ajoute le talent, cette découverte de soi a toute chance de devenir une référence pour tous. »