"La mondialisation, une chance pour la francophonie"
Colloque au Sénat les 27 et 28 avril 2006, organisé par francofffonies !
TABLE RONDE 5
LES FERS DE LANCE DE LA FRANCOPHONIE : MÉDIAS ET ENTREPRISES
Le débat est présidé par Louis DUVERNOIS, sénateur représentant les
Français établis hors de France, membre de l'APF.
Il est animé par Richard WERLY, journaliste au quotidien suisse Le Temps.
Participent à cette table ronde :
Jean-Michel DEBRAT, directeur général adjoint de l'Agence française de développement,
Sylvain LAFRANCE, vice-président de Radio Canada,
Suzanne LAVERDIERE, directrice générale adjointe en charge des programmes
TV5Monde,
Antoine SCHWARZ, président-directeur général de Radio France Internationale, Guy TARDIEU, vice-président, directeur des relations extérieures d'Air France. Patrick ZELNIK, président de la société Naïve.
Richard WERLY
L'atlas mondial de la francophonie aborde très largement la question de l'enjeu économique de la culture. La présidence de cette table ronde a été confiée à Louis Duvernois, Sénateur UMP des Français établis hors de France. Il est notamment l'auteur d'un rapport intitulé Pour une nouvelle stratégie de l'action culturelle extérieure de la France : de l'exception à l'influence publié en 2004.
Louis DUVERNOIS
Un journaliste de Public Sénat me demandait à l'instant en quoi le titre de cette table ronde « Les fers de lance de la francophonie : médias et entreprises » était d'actualité. Les différents intervenants de cette table ronde se chargeront certainement d'y répondre. Quoi qu'il en soit, le fait de lier ensemble médias, entreprises et francophonie me semble tout naturel.
La Francophonie est née en 1970 d'une idée africano-cambodgienne. Pour des raisons diverses, la France a éprouvé quelques difficultés à intégrer cette nouvelle institution. C'est pourtant un Français, Onésime Reclus, un géographe, qui avait créé ce néologisme à la fin du XIXe siècle.
En 1970, la question des médias, du commerce et de l'économie se posait en des termes bien différents. Le terme de mondialisation était alors parfaitement inconnu. La construction européenne suivait à l'époque son chemin cahin-caha. Les médias francophones n'avaient alors pas encore pris une dimension internationale. Depuis, la francophonie n'a d'ailleurs pas pu combler son retard sur les aires anglophones et arabophones. Ces éléments justifient pleinement le thème de cette table ronde. La récurrence du sujet de l'entreprise au cours des tables précédentes ne fait que confirmer l'importance de ce sujet.
Dominique Wolton évoque dans ses ouvrages « un déficit de la communication sur la francophonie ». Nous ne pouvons qu'abonder dans ce sens. Il suffit, pour s'en convaincre, de tenter de trouver un journal français ou francophone dans un grand aéroport international. Les publications anglophones en revanche sont nombreuses. Une grande partie d'entre elles d'ailleurs ne sont ni britanniques, ni américaines.
En ce qui concerne le sujet des entreprises, l'exemple de la fusion Alcatel-Lucent me paraît assez frappant. Les dirigeants des deux groupes se sont empressés de préciser que la nouvelle entreprise issue de cette fusion n'était ni française, ni américaine, mais mondialisée. Il est évident que, dans une telle entreprise, la langue française verra sa place se réduire comme peau de chagrin.
La langue française apparaît insuffisamment présente dans le domaine des médias et menacée dans celui des entreprises. Tel est le thème de cette table ronde.
Richard WERLY
Jean-Michel Debrat est directeur général adjoint de l'Agence française de développement depuis 2002. Sa carrière est marquée par un long passage au ministère des Finances. Il s'est ensuite tourné vers les questions de coopération. C'est ainsi qu'en
1996, il accède à la tête de la Caisse française de développement.
Dans de nombreux pays francophones, les médias ont besoin d'un soutien public. Dans ces cas, l'Agence française de développement est concernée au premier chef.
Jean-Michel DEBRAT
L'Agence française de développement est à la fois un établissement public et une banque. Elle a pour mission de développer des programmes et des projets de développement et de financer des entreprises et des banques dans des pays en voie de développement. A l'origine, l'Agence était étroitement liée avec la francophonie lorsqu'elle s'appelait la Caisse centrale de la France d'Outre-mer. Après avoir changé de nom, elle a étendu sa mission au monde entier, devenu global. Nous travaillons par conséquent dans des pays anglophones, lusophones ou encore arabophones.
Tout projet de développement peut en réalité être assimilé à un produit global. Le concept d'organisation y prime sur le transfert technique. Son organisation juridique, le mode de régulation entre le privé et le public, les relations entre l'Etat et les acteurs sociaux et l'organisation de la démocratie locale sont examinés soigneusement. En la matière, les francophones disposent d'un patrimoine d'idées et de concepts juridiques communs.
En tant qu'organisme de financement, notre action ne se limite pas à un simple apport de capitaux à un taux plus ou moins concessionnel. En réalité, nous prenons part à un ensemble d'influences. Tout acte de développement possède en effet une dimension culturelle. Là où nous intervenons, nous importons des concepts spécifiques. Nous pouvons être considérés comme les tenants d'un développement de la francophonie implicite, à savoir celle des idées et des concepts. Tous les acteurs du développement sont concernés par notre action. Cette dernière trouve donc sa racine dans la société. Nous avons besoin d'une vision centrale des problèmes.
Les observateurs peuvent remettre en question l'utilité d'une action de cofinancement et de son influence sur la francophonie. L'Afrique reste pour nous une terre d'élection. Ceci étant, nous travaillons également dans d'autres pays, tels que la Turquie et la Chine. De notre nom, Agence française de développement, les acteurs locaux retiennent avant tout que nous sommes français. Ils nous demandent des propositions sur les projets qui les concernent. Bien entendu, nous leur apportons ce soutien. Ils attendent également la présence d'entreprises françaises sur les chantiers. Ces entreprises, à leur tour, feront office de vecteurs de la francophonie implicite. Au-delà, nous finançons également de manière directe l'action pour la francophonie, au travers des formations professionnelles ou encore des infrastructures de communication.
La défense de la francophonie impose d'être présent sur tous les terrains de la mondialisation, comme la formation, la recherche, l'enseignement supérieur ou encore la mise à niveau des systèmes économiques. En matière de formation professionnelle, la mise à niveau est d'ailleurs un concept très demandé par les pays avec lesquels nous travaillons. Elle permet en effet d'entrer de plain-pied dans l'arène de la concurrence mondiale et d'établir une relation avec l'Europe. Il est logique face à une telle demande que la France apporte une partie de la réponse. Au lieu d'assurer un simple financement, nous poussons des solutions de partenariat avec une structure française, qu'il s'agisse d'une chambre des métiers ou de centres de formation.
Récemment, le président de la République a inauguré l'université française d'Egypte. Cette université regroupe quelques filières en fait très directement liées avec l'intégration de l'Egypte dans le marché mondial, telles que les langues appliquées, l'ingénierie ou encore les télécoms. Une université britannique est également implantée dans la région. Sa taille est véritablement impressionnante. En réalité, elle doit sa construction à des fonds uniquement privés.
Comme le Premier ministre égyptien l'a confié, l'Egypte a pour ambition de créer sa propre Sophia-Antipolis, c'est-à-dire une cité scientifique et technologique à quelques kilomètres du Caire. A l'entrée de cette ville, s'est installée l'enseigne Carrefour. Les bureaux d'Alcatel sont implantés quelques mètres plus loin, tout comme Apple. Les chefs d'entreprises installées là-bas recherchent des employés trilingues. Nous n'avons en effet aucune illusion sur l'issue d'une bataille ouverte contre l'anglophonie. Le président Jacques Chirac ne s'y est d'ailleurs pas trompé, lorsqu'il a salué « ce concept de trilinguisme ».
Le but affiché de cette université est de former des élèves qui puissent par la suite entrer dans toutes les entreprises du pays. C'est ainsi que l'on couvre les arcs des métiers de la mondialisation, à savoir le tertiaire supérieur, l'université, la recherche et la formation. Nous ne devons pas chercher dans ces pays l'exclusivité, mais une présence aux côtés d'autres.
Plusieurs entreprises françaises détiennent des parts de marché considérables dans l'infrastructure. Pour intégrer correctement la francophonie dans un projet sur ce secteur, il nous faut lier les infrastructures aux services. Par exemple, la création de réseaux pour téléphones portables doit s'accompagner de la vente de services aux utilisateurs de ces téléphones. Ces services sont directement liés avec la langue.
Une stratégie d'intervention par les entreprises et par la finance au service de la francophonie doit s'insérer dans une pensée globale. Elle ne peut en effet se limiter aux seuls pays francophones. Nous ne pouvons en effet ignorer l'Egypte, le Brésil ou la Chine. C'est cette vision globale qu'a adoptée l'Agence française de développement.
Richard WERLY
Air France porte les couleurs françaises de par le monde. Guy Tardieu, directeur de cabinet de Jean-Cyril Spinetta, PDG d'Air France, est entré dans la compagnie en
1973 et est notamment passé par le réseau Afrique-Moyen-Orient avant de diriger le réseau Asie-Pacifique.
Guy TARDIEU
Depuis deux ans, Air France est marié à la compagnie néerlandaise KLM. Le fait qu'Air France revendique, par son nom même, ses origines l'obligent à un devoir de soutien envers la francophonie. Certains nous ont reproché un comportement parallèle à celui du Quai d'Orsay. Par le passé, nombreux étaient ceux qui prétendaient que les directeurs régionaux d'Air France n'étaient en réalité que les relais des ambassadeurs, voire des personnages au rôle supérieur à celui des ambassadeurs.
Cette vision était assurément prétentieuse et cette époque est désormais révolue. Le monde a depuis beaucoup changé. La taille de notre entreprise s'est nettement accrue, au travers de la fusion avec KLM. Air France-KLM ne renie en rien ses origines. Notre groupe fait en effet dans son nom référence à la France et à la couronne des Pays-Bas, désignée par la première lettre du sigle KLM. Alors que nous croyions que les Français étaient le peuple le plus chauvin dans le monde, nous avons constaté que les Néerlandais nous valaient bien sur ce terrain. En réalité, un tel comportement se retrouve dans de nombreux petits pays.
Il nous aura fallu de longues heures de bataille pour imposer la langue française comme langue de l'entreprise issue de ce mariage et Paris comme siège. Cette nouvelle entreprise est cotée sur trois places financières, Paris, Amsterdam et New York. Pour diverses raisons, il aurait été tentant d'installer le siège à Amsterdam et d'adopter l'anglais comme langue officielle de l'entreprise. Nos documents officiels sont donc rédigés en français, qui est également la langue utilisée au Conseil d'administration.
KLM a mis au point un plan de formation de grande envergure pour l'apprentissage du français. En ce moment, 450 cadres de KLM apprennent notre langue. Le président de KLM, Léo van Wijk ne parlait lui-même autrefois pas un mot de français. Sa maîtrise de la langue française est aujourd'hui quasi irréprochable.
Ces exigences de notre part n'avaient pas pour but de laisser croire qu'Air France prenait le contrôle de KLM. Nous souhaitions simplement que nos racines soient respectées. Nous continuerons ainsi à jouer un rôle de vecteur de la langue française, tout comme nous le ferons pour la culture hollandaise. La culture française jouit d'une certaine aura de par le monde. Nous saurons en profiter et la servir. Presque tous les cadres de KLM ont d'ailleurs acheté une résidence secondaire en France. Cela reflète bien l'attachement néerlandais pour la France.
Ce mariage nous a permis d'accéder au rang de premier transporteur aérien au monde. Il est réjouissant de constater que la France dispose d'un champion mondial qui respecte ses origines et sa langue. Il serait bon que le monde politique et administratif sache mettre en valeur les réussites de ce type. Aujourd'hui, Jean-Cyril Spinetta, tout comme le groupe dans son ensemble, tire de cette « francité » une certaine fierté.
Nous avons démontré qu'une grande entreprise n'était pas condamnée à parler anglais. D'autres entreprises pourront certainement suivre notre exemple au cours des années à venir. Ceci dit, nous ne pouvons nier l'importance de l'anglais. Tous nos personnels sont ainsi trilingues. Ils maîtrisent leur langue maternelle, le français et l'anglais.
Richard WERLY
Le Canada est un bel exemple de bilinguisme. Sylvain Lafrance occupe aujourd'hui le poste de vice-président de Radio Canada. Il dirige en outre Radio Canada International et est actuellement président du Conseil d'administration d'ARTV, la chaîne de télévision canadienne de langue française dédiée aux arts et à la culture. Il a étudié à Québec et en Colombie Britannique. Il a été à l'origine de la chaîne entièrement consacrée à la diversité musicale et à la promotion du milieu musical canadien, lancée en septembre 2004.
Sylvain LAFRANCE
Lorsque je pense au rôle des médias, à leur importance ainsi qu'à celle de la culture dans tout le processus de mondialisation, il me revient une anecdote qui s'est passée à table, un soir, avec mon fils de 11 ans que nous venions d'arracher à son jeu vidéo. Il est resté songeur pendant quelques minutes et lorsque nous lui avons demandé ce qui le préoccupait, il a répondu : « Je dois annexer la Russie et je ne sais pas encore comment je vais procéder. »
Il nous a expliqué son jeu, qui consiste à construire des empires, et les options dont il disposait pour annexer un pays, c'est-à-dire l'armée ou la diplomatie. Cette dernière option, plus lente mais plus stable, consiste d'abord à ouvrir un consulat dans le pays en question. Le joueur peut ensuite utiliser des « accélérateurs » comme le contrôle des médias ou l'ouverture d'un centre culturel afin que l'annexion se fasse plus rapidement. Voilà qui m'apparaissait tout à fait fascinant!
C'était quand même extraordinaire que mon fils, à 11 ans, soit amené à réfléchir aux enjeux de culture et de communication pour l'édification d'un empire, une situation qui fait écho aux enjeux de la mondialisation. J'imagine que s'il avait été possible de pousser le jeu plus loin au 21e siècle, le jeu aurait proposé d'autres accélérateurs : diffusez votre cinéma, votre musique, vos chaînes d'information continue et l'annexion se fera automatiquement.
Cette anecdote démontre bien la pertinence de réfléchir sur les questions de culture et de communication en rapport avec le processus de mondialisation. Le simple fait qu'elles se retrouvent dans un jeu vidéo illustre toute l'importance que doivent prendre la culture et les médias dans nos discussions.
TROIS CONSTATS
Ma réflexion sur le rôle des médias et de la culture dans la Francophonie dans le contexte de la mondialisation s'appuie sur la question suivante : dans quelle mesure les médias peuvent-ils réellement agir comme fers de lance de la Francophonie? Certes, ils peuvent certainement jouer un rôle dans la défense de la Francophonie, mais à certaines conditions qui ne sont pas toujours faciles à remplir.
Comme première condition, je dirais que tous les médias doivent prendre conscience de l'importance de refléter non seulement la langue, mais l'ensemble des identités et des valeurs qui s'y rattachent. Actuellement, avouons que cette prise de conscience par les médias reste timide. Cette situation s'explique par le fait que les médias, privés et publics, fonctionnent selon une logique que l'on pourrait qualifier de territoriale, sur la base des États-nations. Ils ne s'inscrivent pas encore dans une logique « extra territoriale. »
Certains médias internationaux diffusent, par exemple, le point de vue des États-Unis, de la France ou de l'Espagne vers le monde. Cependant, très peu de médias ont créé de véritables réseaux internationaux. Je suis pourtant convaincu que ces réseaux devront exister, le monde des médias ayant connu un bouleversement extraordinaire depuis les 15 dernières années. Je parle ici de l'éclatement de la notion de proximité.
Qu'est-ce que cela signifie? Par exemple, le positionnement de la radio, particulièrement aux États-Unis, s'appuie d'abord et avant tout sur la proximité régionale. Il s'agit d'un positionnement logique puisque la radio est avant tout un média de proximité.
Sauf qu'au 21e siècle, la proximité n'est plus seulement une question géographique : on peut être proche de quelqu'un par sa religion, par son option politique, par son orientation sexuelle ou par une passion partagée pour tel type de voiture ou de bateau, par exemple. On peut être proche de quelqu'un pour des milliers de raisons et il nous est désormais possible de lui parler en moins de 15 minutes par divers réseaux comme la téléphonie cellulaire et toutes ses options de messageries, ou par le Web, pour ne nommer que ceux-là. La notion de proximité s'en trouve donc totalement transformée. La proximité territoriale est devenue une notion que je ne qualifierais pas encore de désuète, mais elle n'est plus la seule dimension qui permettent la communication.
Or, les médias fonctionnent encore dans un environnement régi par des lois et des systèmes de réglementation qui les enferment dans une logique d'État-nation. Face à l'éclatement de la notion de proximité et au phénomène de la mondialisation, les médias vivent une contradiction fondamentale qui pose, de mon point de vue, un problème important pour l'avenir.
Une seconde condition qui permettrait aux médias de jouer pleinement leur rôle au sein de la Francophonie réside dans la force du service public. Car, bien que dans certains pays européens, la présence du service public en radiodiffusion ne soit pas remise en question, la place et le rôle des radiodiffuseurs publics sont fortement débattus et questionnés un peu partout dans le monde. Pourtant, c'est d'abord par les médias de service public que nous réussirons à créer de grands ensembles, rarement par les médias privés. Car on ne peut pas laisser une chose aussi importante que la culture dépendre uniquement des résultats trimestriels des sociétés privés.
Certes, ces dernières peuvent jouer un rôle, mais il reste que les médias de service public doivent continuer à occuper une place centrale de catalyseur puisque ce sont eux, d'abord et avant tout, qui ont la capacité de rassembler le public autour d'une idée, d'un projet de société. Il importe donc de continuer à défendre l'idée du service public partout dans le monde.
Une autre des conditions sera la capacité des médias de résister à l'effet de balkanisation créé par l'ensemble des nouvelles technologies. Car, une des principales caractéristiques des nouvelles technologies, du moins en termes de communication, se manifeste par une difficulté à rassembler de grands auditoires devant une seule émission, une seule télévision ou une seule radio. Avec les nouvelles plateformes de diffusion, on ne retrouve plus cet effet de masse qui caractérisait jusqu'à maintenant les médias traditionnels que sont la radio et la télévision. La multiplicité des plateformes crée une balkanisation qui pose un défi particulier pour le monde des médias.
Mon premier constat pourrait donc se résumer ainsi : les médias ont certainement la capacité d'agir comme fers de lance de la Francophonie, en autant qu'ils prennent conscience des enjeux actuels, qu'ils manifestent la volonté d'agir et qu'ils s'en donnent les moyens.
Le second constat que j'aimerais poser concerne l'expérience du Canada et du Québec en matière de défense des identités culturelles. Étant moi-même Canadien, mon analyse aura peut-être une résonance un peu chauvine, mais je suis convaincu que les Canadiens et les Québécois sont bien placés pour comprendre les enjeux de l'identité culturelle pour plusieurs raisons.
Les identités culturelles ont plusieurs visages chez nous : que ce soit la défense de l'identité canadienne face aux voisins américains, l'affirmation de l'identité francophone dans une mer anglo-saxonne nord-américaine ou la préservation de l'identité acadienne face à l'ensemble Nord-Américain, les exemples sont nombreux.
Depuis des décennies, nous avons développé au Canada des systèmes qui, avouonsle, ont suscité un certain amusement chez nos collègues européens, du moins au début. Prenons l'exemple des quotas de musique. Dans les années 80, le régulateur canadien a imposé aux radios publiques et privées un plancher de diffusion pour la musique canadienne et francophone, une politique visant évidemment à augmenter la diffusion de chansons québécoises et canadiennes. Nos collègues de Radio France nous ont alors posé un nombre incalculable de questions sur ces quotas pendant les trois années qui ont suivi, soulignant à chaque occasion combien ils trouvaient cette idée ridicule.
Nos amis français ont continué de plaisanter sur la politique canadienne en matière de musique à la radio, jusqu'au milieu des années 90 où ils ont eux-mêmes adopté le principe des quotas pour la musique française... J'ose avancer qu'ils ont probablement compris que le Canada et le Québec constituent des postes avancés sur le plan de la défense des identités culturelles, qu'ils avaient intérêt à comprendre ce qui s'y passe et à s'en inspirer.
Comme je le disais, nous, Canadiens, sommes bien placés pour comprendre les enjeux de l'identité culturelle. Voilà pourquoi nous étions aux côtés de la France à l'UNESCO pour mener la bataille de la diversité culturelle. En matière de politique culturelle comme dans d'autres domaines de la culture, nous devrions nous inspirer davantage des moyens qui ont été mis de l'avant à l'UNESCO.
D'ailleurs, j'aimerais vous rapporter une anecdote qui s'est déroulée à Pékin, où j'étais invité comme conférencier par la radio nationale chinoise pour parler, justement, de la question de la diversité culturelle. Pendant le repas, j'ai demandé mon hôte pourquoi il trouvait important de m'entendre sur ce sujet. Il m'a alors expliqué que la Chine s'inquiétait de la présence de moins en moins importante de la langue chinoise dans les médias. Interloqué, je lui ai répondu qu'avec 1,3 milliard d'habitants, la Chine devrait pourtant être rassurée!
Voici ce que mon hôte a rétorqué : « Vous savez, il y a quand même un recul de la langue chinoise dans les médias internationaux qui nous inquiète. Nous devons vraiment nous pencher sur cette question. » Inutile de préciser que nous, Québécois, avec notre population de sept millions d'habitants, étions très fiers de pouvoir servir d'exemple à l'imposante Chine en matière de défense de l'identité culturelle.
Le Canada et le Québec présentent donc des exemples intéressants de politiques culturelles favorisant l'expression de la diversité et la défense de l'identité.
Le troisième et dernier constat que j'aimerais poser porte sur les succès qui existent déjà au sein de la Francophonie et sur lesquels nous devons nous appuyer pour l'avenir. On ne peut évidemment pas passer sous silence TV5 Monde, qui constitue à mes yeux un joyau en matière de communications pour la Francophonie. Il est primordial de le préserver et de s'en inspirer pour développer des initiatives porteuses de sens dans le contexte de la mondialisation et de la cohabitation culturelle.
Toutefois, cela a été maintes fois répété, la plus grande difficulté demeure la tiédeur de la France face à la Francophonie. Il ne s'agit pas d'un reproche puisque la France est très impliquée dans TV5Monde, par exemple, et un peu partout en Francophonie. Mais on ne sent pas en France la même passion de défense de la langue française comme on peut la sentir au Québec et dans d'autres lieux de la Francophonie.
Cela représente un obstacle et, comme d'autres l'ont dit avant moi, la France a un devoir de cohérence et de détermination. Pour ma part, je pense qu'il serait plaisant d'entendre, de la part de la France auprès de ses citoyens, la même passion que la nôtre pour la défense de la Francophonie.
TROIS PISTES DE SOLUTIONS
J'aimerais maintenant proposer, brièvement, trois pistes de solution concernant le rôle des médias pour l'avancement de la Francophonie. La première piste que j'avancerai porte sur nos efforts, que nous devons décupler, pour la création de réseaux internationaux puissants, comme les Américains savent en créer.
Afin de pouvoir faire face à la concurrence, l'idée n'est pas de lancer une myriade de petits réseaux, mais de créer de véritables réseaux internationaux capables d'affronter la concurrence et d'installer le français dans l'espace médiatique et culturel mondial. Comme je le mentionnais plus haut, les moyens de distribution numériques peuvent entraîner une fragmentation importante des médias et torpiller nos initiatives internationales. Nous devons à tout prix éviter une situation où les seuls grands réseaux rassembleurs viendraient d'une poignée de pays, alors que l'ensemble des autres médias seraient tellement balkanisés qu'ils n'auraient plus la capacité d'exercer une influence significative.
Pour nous, Francophones, il y a urgence et nous devons mener une importante réflexion sur cette question. Cette réalité touche tout le monde, lusophones, hispanophones, germanophones... Bref, tous ceux qui ont intérêt à préserver, voire accentuer la diversité culturelle. Il s'agit d'une responsabilité commune et d'un défi que nous devons relever ensemble.
La seconde piste de solution que je proposerai touche l'engagement des citoyens français que j'évoquais plus haut. Il faut trouver une façon d'agir efficacement sur le citoyen français afin qu'il comprenne mieux cette notion de la Francophonie qui nous est chère et qu'elle devienne non plus un héritage du passé, mais un projet d'avenir.
La dernière idée que je mettrai de l'avant concerne le potentiel des nouvelles technologies, que nous pouvons exploiter davantage. En effet, malgré le danger de balkanisation que j'ai évoqué, les nouvelles technologies permettent de vivre des expériences de proximité qui n'étaient pas possibles auparavant. Le citoyen peut désormais vivre sa propre identité culturelle au moyen des nouvelles technologies. Il faut multiplier les forums et les plateformes qui facilitent les échanges et les rapprochements entre les Francophones. Le numérique nous offre désormais toutes sortes de nouvelles occasions d'enrichir l'espace francophone qui ne demandent qu'à être explorées et développées.
La mondialisation pose certainement de nombreux défis à la Francophonie, que vivent aussi les autres grands groupes culturels et linguistiques : celui de la diversité, de la défense des identités et l'important défi de la cohabitation culturelle, pour ne nommer que ceux-là.
L'émergence de véritables réseaux internationaux francophones, qui s'appuient sur la force regroupée des médias et qui exploitent toutes les possibilités offertes par les nouvelles technologies, constituerait évidemment un atout pour la Francophonie. Mais pour ce faire, les médias doivent d'abord prendre conscience des enjeux réels de la mondialisation sur le plan culturel et la France doit engager davantage ses citoyens afin de faire de la Francophonie un projet porteur de sens pour l'ensemble des Francophones.
Les médias ne pourront jouer un rôle de fer de lance qu'au moment où ils en exprimeront clairement la volonté et qu'ils s'en donneront les moyens.
Richard WERLY
En quelque sorte, nous pourrions conclure que les médias et les entreprises font office d'« accélérateurs » de la francophonie. Sylvain Lafrance a souligné l'importance des réseaux et la tiédeur des Français en matière de francophonie. Tous ces sujets concernent au tout premier chef Antoine Schwarz, président directeur général de Radio France Internationale, qui est particulièrement écoutée à l'étranger. Après un passage à l'ENA, il se voit confier une mission au Service juridique et technique de l'information. Il rejoint en 1975 le cabinet du porte-parole du gouvernement. Avant de prendre la tête de RFI, en juin 2004, Antoine Schwarz effectue un passage dans les radios privées.
Antoine SCHWARZ
Le rôle des médias traditionnels est en passe de s'affaiblir, sous l'effet de la balkanisation que décrivait Sylvain Lafrance. Cette balkanisation se traduit en réalité par le double émiettement des audiences et des contenus. Un tel phénomène est désormais inéluctable, mais nous ne devons pas nécessairement en plaindre. Même si ce mouvement est néfaste à l'audience de médias tels que RFI, il se peut que le citoyen soit en réalité gagnant. L'émiettement assure une meilleure diffusion des contenus à un public plus large. C'est en quelque sorte un gage de liberté et l'on peut se demander si les médias en tant que tels peuvent être considérés comme les meilleurs garants de la liberté de communication.
Le monde compte désormais un milliard d'internautes. Les médias traditionnels sont assurément les perdants de ce mouvement, sauf à se reconvertir ou à participer à la création de nouvelles entreprises de communication. D'ailleurs, de nouvelles entreprises, comme Yahoo et Google, sont apparues ces dernières années dans le paysage. En réalité, elles se contentent d'agréger des publics et n'ont que peu à voir avec des médias tels que CNN, TF1 ou le Financial Times.
Les médias internationaux seront les premiers touchés par ces mutations. Les radios, telles que RFI, vont subir ces changements de plein fouet. Ceci dit, la radio en tant que média bénéficie d'une très large accessibilité et de la proximité. L'avenir de la radio n'est donc pas particulièrement inquiétant. Elle doit simplement se rapprocher de son public. Les émissions diffusées dans le monde entier depuis Paris en ondes courtes n'ont plus grand sens. RFI utilise désormais pour l'essentiel les ondes courtes pour couvrir l'Afrique, afin de toucher les régions les plus reculées.
Les nouvelles technologies, comme Internet et la téléphonie portable, nous permettront demain de toucher un public plus large au moindre coût. RFI a décidé de saisir cette opportunité. Cette année, elle va notamment développer de manière spectaculaire son site Internet. L'information, qui est notre mission première, et les services seront au coeur du projet. Ce sont ces services, autour de la culture, du sport, de l'économie, des sciences et de l'environnement, qui devraient nous permettre d'attirer de nouveaux publics. RFI possède d'importantes ressources dans tous ces domaines. Nous allons maintenant nous employer à les faire migrer de la radio vers Internet. Nous comptons ainsi offrir des contenus traditionnels et audio à des cibles particulièrement motivées. Si l'anglais aura sa place, le français restera bien entendu à la base de notre offre. Internet se prête par ailleurs très bien aux services d'enseignement de la langue française. Nous voulons exploiter à fond cette opportunité.
Une action efficace au niveau international impose la maîtrise des trois médias que sont la télévision, la radio et Internet. Il nous appartient de les articuler. Pour la France, la difficulté réside dans l'éclatement des opérateurs. Il serait dangereux de les rendre concurrents les uns des autres. Nous devons coopérer en bonne intelligence pour éviter d'être redondants. Si nous le sommes, cela doit être de manière efficace, au travers par exemple d'une surpression sur un média plutôt qu'un autre.
En ce qui concerne mes propositions, j'en ferai deux. La première concerne la définition d'une stratégie de l'audiovisuel extérieur. L'Etat a pour mission de nous fournir des directives et des orientations. Nous avons besoin d'une stratégie. Je suis pour ma part en attente de toute proposition visant au développement de nos services, même si je peux comprendre que des sacrifices puissent être nécessaires. Il serait intéressant à ce titre de recréer le CAEF, le conseil de l'audiovisuel extérieur de la France. Ce comité politique serait chargé de définir les grandes orientations dans le domaine audiovisuel.
Ma deuxième proposition concerne les médias francophones. J'ai eu l'occasion de rencontrer aujourd'hui les représentants de la radio égyptienne. J'ai été surpris d'apprendre qu'il existe au Caire un canal émettant en partie en langue française. Il est assez paradoxal de constater que, dans des pays où le paysage audiovisuel n'est pas entièrement libre, la radio reste très contrôlée, tandis que la télévision et la presse jouissent d'une certaine liberté. C'est le cas notamment en Afrique du Nord, même si le Maroc connaît un mouvement de libéralisation à l'heure actuelle. La radio est considérée par ces gouvernements comme un instrument du pouvoir.
En la matière, il serait bon que les institutions internationales, telles que le CIRTEF ou les radios francophones, fassent pression sur ces pays en faveur de la libéralisation au nom de la francophonie. Cela permettrait de faire entrer de nouvelles radios francophones dans le paysage médiatique local.
Richard WERLY
Antoine Schwarz prône la complémentarité entre médias francophones plutôt que la concurrence. TV5Monde sera prochainement confrontée à l'arrivée de la CFII, la chaîne d'information en continu française. Après une longue carrière à Radio Canada, Suzanne Laverdière occupe aujourd'hui le poste directrice générale adjointe chargée de programmes de TV5Monde. Elle est également membre de la commission de sélection du fonds francophone de production audiovisuelle du Sud de l'Organisation internationale de la Francophonie.
Suzanne LAVERDIERE
Pour TV5Monde, la francophonie est considérée comme un fait naturel, un quotidien ou une évidence, comme l'air que l'on respire. Où que l'on soit, d'où que l'on vienne, quelle que soit la couleur de notre peau et notre accent, nous sommes liés par cette langue en partage. La diversité de nos origines, nos cultures, nos moyens, nos histoires et notre avenir constitue une autre évidence pour nous, que nous conjuguons quotidiennement avec la première.
De manière générale, la francophonie représente le simple fait de parler français, c'est-à-dire une langue partagée entre ceux qui en ont hérité à la naissance et ceux qui l'ont apprise. Ces derniers l'enrichissent par leurs créations. Au-delà de la culture qui a prévalu à sa naissance, la francophonie s'est rapprochée de thèmes tels que les droits de l'homme, la démocratie, le développement durable et le rêve d'un nouveau monde, plus solidaire et respectueux de toutes les cultures. Toutes ces valeurs et tous ces éléments se trouvent inscrits au coeur de l'action de TV5 Monde. La francophonie s'y trouve résumée dans sa diversité dans une seule et même évidence.
La structure même de la chaîne le prouve bien. TV5Monde est née en 1984. Elle est en réalité le fruit d'un partenariat unique dans le domaine de l'audiovisuel. La France, la communauté française de Belgique, la Suisse, le Canada et le Québec et, dans une certaine mesure, tous les pays du Sud francophone, à travers le CIRTEF se sont associés pour faire naître cette chaîne. Comme l'affirme Dominique Wolton, TV5Monde est un « média mondial indispensable », car il compte parmi les instruments majeurs et les vecteurs essentiels de la francophonie. L'image télévisée demeure en effet l'un des moyens d'accès les plus simples à autrui.
En développement constant depuis sa création, TV5Monde couvre aujourd'hui plus de 200 pays. Elle est reçue dans 160 millions de foyers à travers le monde sur huit signaux (France-Belgique-Suisse, Asie, Orient, Amérique latine, Afrique, Etats-Unis, Europe, Québec-Canada). Ces signaux diffèrent par leur programmation et l'agencement des émissions, afin de respecter la réalité culturelle et géographique de chacun de ces territoires.
TV5Monde diffuse 24 heures sur 24 partout dans le monde. Elle figure au deuxième rang des réseaux de distribution mondiale et compte 73 millions de téléspectateurs par semaine. Chaque mois, 4 millions d'internautes visitent le site de TV5Monde et nous recensons 1,7 million de consultations des émissions mises en ligne. Sept de nos émissions sont reprises par des compagnies aériennes, parmi lesquelles Air France.
A l'aune de ces chiffres, TV5Monde apparaît bien comme l'un des fers de lance de la francophonie. Ceci dit, elle ne serait rien sans la francophonie. C'est cette langue en partage qui nous permet de porter la culture et les valeurs francophones au-delà des frontières de la France, au-delà des frontières des pays fondateurs de cette chaîne et au-delà même des frontières des pays de l'aire francophone grâce au sous-titrage. Je crois que plus l'on traduit et plus les visions du monde s'élargissent. La traduction réveille des désirs, des vocations et des curiosités. Elle constitue un « passeport pour l'autre », comme le souligne Dominique Wolton.
Aujourd'hui, TV5Monde sous-titre seulement 20 % de ses grilles, en douze langues différentes (allemand, suédois, néerlandais, polonais, danois, russe, espagnol, portugais, anglais, mandarin, japonais et arabe). Nous essayons de développer ce soustitrage, essentiel pour notre développement et pour notre capacité à passer les frontières. Faute de moyens, cependant, notre progression dans ce domaine reste très lente.
La chaîne compte bien parmi les vecteurs de la diversité francophone et des langues françaises. Les accents de nos animateurs, de nos journalistes et le contenu des programmes diffusés sur notre chaîne (documentaires, magazines, fictions et cinéma) témoignent de la richesse et de la diversité de la francophonie.
TV5Monde est le miroir de la francophonie dans le monde entier. Elle assure la diffusion du meilleur de la création francophone dans des régions aussi différentes que les Etats-Unis et le Japon. Sur ses différents signaux, elle donne à voir le reflet des cultures francophones, au travers par exemple de la diffusion d'un journal africain ou d'une fiction québécoise au Viêt-Nam ou en Suisse. TV5Monde est ainsi beaucoup plus qu'une simple chaîne et bien plus qu'une entreprise de télévision. Elle revêt le rôle de télévision de service public dans l'ensemble du monde francophone.
Ses publics dont aussi divers et disparates que les pays dans lesquels elle est reçue. En réalité, les téléspectateurs de TV5Monde sont les expatriés de la francophonie, les francophones de souche ou d'adoption, les francophiles d'éducation, de coeur ou de raison, sans oublier tous ceux qui, sans avoir la langue française en partage ont en commun les valeurs de la francophonie, que sont la démocratie, le respect des droits humains et la solidarité.
Si nous revendiquons cette diversité, son respect ne constitue pas une mince affaire. Notre entreprise de télévision ne ressemble pas exactement aux autres. Notre objectif premier n'est pas de faire de l'audimat, mais la sanction unique et imparable reste tout de même celle envoyée par les téléspectateurs. A l'international, le marché s'avère très concurrentiel. C'est déjà le cas aujourd'hui, mais cela devrait être pire encore demain. Pour demeurer l'un des instruments majeurs de la pénétration de la francophonie dans le monde, TV5Monde se doit d'être lucide et pragmatique, comme toute entreprise d'ailleurs.
Fer de lance de la francophonie, TV5Monde constitue aussi une vitrine mondiale pour les entreprises de la francophonie. Cet aspect est souvent négligé. Nos programmes, nos journaux, nos documentaires mettent en avant tout le savoir-faire de ces entreprises. Chaîne généraliste et multilatérale, TV5Monde est bien aujourd'hui la chaîne de la francophonie, son miroir et son reflet.
TV5Monde possède aussi l'avantage d'être fédératrice. Par ailleurs, cette chaîne connaît un développement perpétuel et s'inscrit dans un processus continu de création. Ces changements ont été rendus possibles par ceux qui ont été à la tête de la chaîne, par les gouvernements bailleurs de fonds, par les chaînes partenaires, par nos actionnaires ainsi que par les exigences du public.
Afin que TV5Monde puisse continuer à défendre la francophonie, de nouveaux moyens doivent lui être alloués. C'est ainsi qu'elle continuera à se développer et à répondre à ces attentes multiples. Une telle ambition mériterait peut-être de nouveaux mécanismes pour impacter de manière positive le financement des émissions. Il est extrêmement difficile de trouver des partenaires pour assurer le rayonnement de TV5Monde, à l'extérieur du signal France-Belgique-Suisse. Sur ce signal, nous bénéficions en effet d'un apport significatif provenant d'annonceurs publicitaires et partenaires.
TV5Monde devrait par ailleurs appuyer les initiatives de tous nos partenaires, afin de devenir une véritable vitrine culturelle sur notre antenne comme en dehors de notre antenne. Elle pourrait enfin devenir une véritable force de proposition pour la création de programmes avec les chaînes publiques, les auteurs et les réalisateurs. Cette démarche nous permettrait de développer l'offre de programmes réalisés en commun et reflétant ce que nous sommes, c'est-à-dire des francophones.
Richard WERLY
Après une longue carrière chez Virgin France, Patrick Zelnik a créé en 1997 le label Naïve. Naïve, bien installé sur le marché du disque, se lance maintenant dans l'édition, avec une collection diffusée par Actes Sud.
Patrick ZELNIK
Le titre de ce colloque m'a quelque peu surpris. Considérer que la mondialisation constitue une chance pour la francophonie va à l'encontre de la pensée habituelle relayée par les médias. Selon les altermondialistes, la mondialisation constituerait une menace pour la diversité culturelle et linguistique. En fait, ces positions reflètent l'affrontement de deux conceptions opposées. L'une s'appuie sur le repli, tandis que l'autre parie sur l'ouverture. J'ai fait le choix de la seconde.
Le débat actuel reste cependant relativement manichéen. Il me semble en effet possible de réguler sans obligatoirement réglementer. Par ailleurs, chacun convient du fait que les pouvoirs publics se doivent d'intervenir lorsqu'une culture est menacée.
Naïve a été créée voilà sept ans. A l'origine centrée sur la musique, notre société intervient maintenant également dans le domaine de l'édition et le DVD. Notre label est généraliste, même s'il produit beaucoup de musique classique. Ces produits marchent très bien à l'exportation et nous sommes aujourd'hui présents dans 40 pays. Si une grande partie de la musique lyrique n'est pas d'expression française, nous produisons tout de même de nombreux artistes francophones. L'un de nos plus grands succès est Carla Bruni, dont le disque s'est vendu à 1,2 million d'exemplaires en France et
500 000 supplémentaires hors de France, pour l'essentiel en Europe continentale.
En France, habituellement, la tradition littéraire reste puissante. Les artistes dont la carrière est la plus longue sont ceux dont les textes sont les mieux écrits. C'est notamment le cas de Georges Brassens, Renaud ou Alain Souchon. Certains pourtant chantent faux. Renaud l'a reconnu lui-même dans son livre, quelque peu autobiographique, « Le petit oiseau qui chantait faux ».
Une réflexion sur la francophonie doit nécessairement prendre en compte la création. Dans ce domaine, Naïve peut certainement se vanter d'être en Europe le label indépendant qui investit le plus dans la création. Certains de nos artistes, comme Marie Modiano, fille de l'écrivain Patrick Modiano, chantent en anglais. Son père ne l'a pas répudiée pour autant. Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle chantait en anglais, elle m'a répondu qu'ainsi sa maladresse passait inaperçue. Ceci dit, ses textes sont très beaux et elle chantera vraisemblablement en français dans son prochain disque.
La diversité culturelle et linguistique occupe le coeur du projet d'entreprise de Naïve. Cette notion est en effet pour nous vitale et nous nous réjouissons de la signature à l'UNESCO d'une Convention la protégeant. Prenons-la au mot. Je crois que la diversité deviendra bientôt l'enjeu essentiel du siècle. Le constat est pour l'heure assez triste. La diversité est loin d'être une réalité à l'heure actuelle.
Le phénomène de concentration ne peut être éludé à l'heure actuelle. Ce mouvement tue les PME culturelles et la création. Il appauvrit l'offre et marginalise les projets culturels purement francophones. Dans le domaine du disque, quatre groupes représentent à eux seuls 85 % du marché. Aujourd'hui, ces groupes s'aventurent hors du monde du disque et s'attaquent notamment aux nouvelles technologies. Or nous constatons que le phénomène de concentration s'exerce autant dans les secteurs traditionnels que dans celui des nouvelles technologies.
La balkanisation de l'offre à l'oeuvre actuellement ne rend pas plus simple l'accès au marché. Pour un indépendant, l'accès aux médias et aux magasins devient de plus en plus coûteux et de plus en plus complexe. Peut-on réellement parler de diversité culturelle lorsque l'on ne peut rentabiliser la production d'un disque qu'à partir de 50
000 albums vendus ?
En corollaire, ce mouvement de concentration donne la primauté au marketing. Lorsqu'il est au service de la création, le marketing peut s'avérer très bénéfique. Au contraire, lorsque la création est soumise au marketing, elle devient aseptisée et formatée.
Il n'existe pas de diversité sans pluralisme des acteurs culturels. Cela vaut aussi bien pour les médias que pour la distribution. La présence culturelle doit s'accompagner d'une présence commerciale. Ceci démontre l'importance de l'interaction entre l'économie et la culture.
Dans les pays tels que la Hongrie, la République tchèque ou la Pologne, nous constatons un fort désir de culture française, dont ils ont longtemps été privés. La présence des médias francophones, publics ou privés, est assez forte. Dans ces pays, la France pourrait certainement se tailler une part de marché proche de 20 %. Or elle n'excède pas aujourd'hui 2 % ou 3 %. La présence commerciale de la France reste en effet très peu développée. Il y demeure difficile d'acheter des biens commerciaux provenant de la France. Pour y inverser cette tendance, il est temps de compléter par un dispositif commercial l'action culturelle remarquable des ambassades, de l'Alliance française et des instituts culturels.
Par le passé, j'ai proposé au ministre des affaires étrangères de permettre la vente de produits culturels dans les instituts culturels à l'étranger. Ma demande a été rejetée. Je reste cependant persuadé que culture et économie sont intimement liés. Ce clivage est plus néfaste encore dans le domaine des nouvelles technologies, où la question de la francophonie se pose en des termes bien différents.
Au-delà, toutefois, il est important que l'économie soit au service de la culture et non l'inverse. J'ai eu l'occasion de me rendre plusieurs fois à Bruxelles en tant que président du syndicat des indépendants, afin de m'opposer aux mouvements de concentration dans le secteur. Notre action a connu un certain succès pour le dossier EMIWarner. En revanche, nous avons échoué sur le projet Sony-BMG, qui a été accepté sans la moindre contrepartie pour les indépendants.
Dans les groupes de travail de la Commission, il m'était interdit de parler de diversité culturelle. Mon discours devait se limiter à des considérations sur « le choix des consommateurs ». Le citoyen n'est donc, aux yeux de la commission, qu'un consommateur, ou un abonné potentiel. En tant qu'abonné, il est prié de rentrer dans une nasse et de ne pas en sortir. La dimension culturelle n'est pas prise en compte dans le raisonnement économique. En fait de technocratie européenne, nous avons affaire à un nouvel obscurantisme. Les problèmes de culture confinent aux problèmes de civilisation. La culture et les valeurs démocratiques sont interdépendantes.
Les règles du droit de la concurrence et de la concentration dans le domaine culturel doivent être revues. De même, le droit du travail, le droit bancaire et la fiscalité appliqués aux entreprises culturelles doivent être adaptés. Naïve est ainsi traité comme une entreprise classique. Il faut en parallèle promouvoir les projets des entreprises, marginaux à l'aune de leur importance économique, mais essentiels à celle de leur importance culturelle. Ce principe favorise l'émergence d'une notion de croissance quantitative en lieu et place d'une croissance purement quantitative. Il est important de donner plus de pouvoir au ministère de la Culture, qui est trop souvent bloqué par le ministère de l'Economie.
Si les quotas peuvent être considérés de manière positive, il serait intéressant de mettre au point des indices de diversité. Les artistes qui chantent en arabe ne rentrent pas dans les quotas. La diversité linguistique ne se limite pas à la cohabitation de l'anglais et du français.
Pour conclure, je dirai que la condition essentielle d'une mondialisation maîtrisée, d'un partage harmonieux des cultures ne peut se résumer à une politique d'exception culturelle. Parlons plutôt d'un défi plus mobilisateur : mettre l'économie au service de la culture. On parlera alors d'exception économique.
DÉBAT AVEC LA SALLE
Un participant
En tant que passager de cette compagnie, je suis étonné du discours qui a été tenu sur le respect de la langue française chez Air France. Premièrement, Air France est en réalité un anglicisme. Deuxièmement, la documentation que la compagnie m'envoie est systématiquement en anglais. Troisièmement, en 2000, à Londres, Air France a licencié l'essentiel de son personnel français pour le remplacer par des Anglais. Ces nouveaux employés de la compagnie refusent systématiquement de s'exprimer en français.
Un participant
Je crois que le monde syndical devrait être associé à un tel débat. Les textes des directives européennes sont uniquement édités en anglais. Le ministère de la santé français doit intervenir pour mettre un terme à cette situation. Plus largement, le ministère du travail se doit aussi d'agir pour contrer une nouvelle forme d'exclusion qui vise ceux qui ne maîtrisent pas parfaitement l'anglais.
Un participant
Je suis un journaliste tchadien. J'habite à Lille. J'y ai créé un festival de littérature africaine. J'ai l'occasion de me rendre souvent au Tchad, où les habitants des plus petits villages peuvent regarder les journaux télévisés de France 2, mais ne peuvent capter la télévision tchadienne. Il en va de même pour la radio avec RFI. Je me demande comment résoudre les inégalités entre médias francophones.
Dominique WOLTON
Il est difficile de donner une réponse à cette question technique. Les opérateurs qui pourraient y répondre ne sont pas présents aujourd'hui.
Sophie LOVY,
Sous-directrice du Français au ministère des Affaires étrangères
Je vais relayer la question précédente à ceux qui pourront y apporter une réponse technique. Renaud nous a confié la chanson Le petit oiseau qui chantait faux pour la faire voyager au travers de supports d'apprentissage du français langue étrangère. Nous produisons cette chanson, même si nous ne la vendons pas.
Nous produisons par ailleurs les cartes postales chorégraphiques de Dominique Hervieu, en partenariat avec le festival francophone en France. Dominique Hervieu met en scène des pas de deux sur le thème de la rencontre. C'est la première fois qu'un support purement artistique est choisi pour porter un message sur la langue française.
Nous avons lancé l'initiative partenariale « Oui, je parle français » à destination des entreprises, avec le soutien de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris et le Forum francophone des affaires. Nous souhaitons par ce biais générer une prise de conscience de la part des entreprises sur l'importance de la pratique de la langue française à l'étranger.
Sylvain Lafrance évoquait une certaine tiédeur de la part des autorités françaises à l'égard de la francophonie. Si ce terme convient bien pour décrire le comportement de certains chefs d'entreprises qui délaissent le français au profit de l'anglais, il ne rend absolument pas compte de l'action de l'Etat. C'est avec énergie, passion, vigueur et inventivité que la France agit dans ce domaine.
Un participant
Personne n'a évoqué le rôle de RFO qui diffuse des heures de programme dans les régions lointaines de France. Il n'est pas possible de négliger ce média, qui permet notamment à Canal + et Canalsatellite de se développer sur l'Australie, au travers du bassin francophone en Nouvelle-Calédonie. Enfin, je voudrais évoquer France Ô, chaîne culturelle dirigée par un kanak. Aujourd'hui, rares sont les chaînes dirigées par des hommes de l'Outre-mer.
Louis DUVERNOIS
Comme cette table ronde l'a démontré, les médias et les entreprises constituent de manière indéniable les fers de lance de la francophonie. Ils pourraient même être qualifiés de puissants accélérateurs. Dans le domaine de l'entreprise, l'espoir est permis, dès lors que la volonté est présente. Il relève de la responsabilité de chacun de devenir le défenseur de la francophonie au sein même de son entreprise.
A en croire les intervenants, la France se doit urgemment de définir une stratégie cohérente dans le domaine de l'audiovisuel comme dans celui des industries culturelles. J'ai eu l'occasion de me pencher sur ce thème dans un rapport parlementaire intitulé Pour une nouvelle stratégie de l'action culturelle extérieure de la France : de l'exception à l'influence. Certes la France ne saurait être considérée comme le centre de la francophonie. Néanmoins, elle fait figure de pays de référence, à partir duquel des créativités multiples peuvent émerger dans tout l'espace francophone.
Au-delà, ce constat concerne chaque pays francophone. Leurs stratégies doivent être définies en harmonie les unes avec les autres au sein de la nouvelle OIF. Cette institution doit mettre ainsi à profit ses progrès réalisés dans le domaine institutionnel. Sans cette politique, la dispersion continuera de marquer notre action.
Par ailleurs, notre tendance à trop vouloir dissocier commerce et culture peut s'avérer néfaste. Cette conception, parfois formulée de manière inconsciente, peut à juste titre être considérée comme réductrice. Le monde anglo-saxon a choisi d'agir de manière très différente en la matière. Nous ferions bien de nous inspirer quelque peu de sa stratégie.
Nous manquons de confiance en nous ainsi qu'en notre langue. Le Pape Jean-Paul II a exhorté ses compatriotes alors sous le joug communiste à ne pas avoir peur. Les francophones doivent aujourd'hui faire de même. Notre langue est porteuse de valeurs. Dans un monde qui tend vers l'uniformisation, nous devons rester pleinement conscients que les modèles de gestion et les rapports sociaux ne relèvent pas de la standardisation. La francophonie représente un espoir. Nous devons le faire vivre avec passion et appétit.