"La mondialisation, une chance pour la francophonie"
Colloque au Sénat les 27 et 28 avril 2006, organisé par francofffonies !
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FRANCOFFFONIES ! LE FESTIVAL FRANCOPHONE EN FRANCE
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SÉANCE D'OUVERTURE
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Dominique WOLTON
Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique,
membre du Haut Conseil de la Francophonie
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Christian PONCELET, Président du Sénat
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Philippe DOUSTE-BLAZY, Ministre des Affaires étrangères
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Abdou DIOUF, Secrétaire général de la Francophonie
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Simone VEIL, Ancien ministre, membre du Conseil constitutionnel
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Jacques LEGENDRE, Ancien ministre, Sénateur du Nord,
secrétaire général parlementaire de l'Assemblée parlementaire de la francophonie
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Maria FERNÁNDEZ-SANTAMARÍA, Secrétaire générale adjointe de l'Organisation
des Etats ibéro-américains
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Cassam UTEEM, Ancien président de la République de Maurice,
membre du Haut Conseil de la Francophonie
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Dominique WOLTON,
Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique,
membre du Haut Conseil de la Francophonie
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Dominique WOLTON
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PRÉSENTATION GÉNÉRALE
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TABLE RONDE 1
LA FRANCOPHONIE À L'ÉCHELLE DU MONDE
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TABLE RONDE 2
LES RACINES MONDIALES DE LA FRANCE
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TABLE RONDE 3
LES RÉSEAUX HUMAINS
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TABLE RONDE 4
UN COMBAT POLITIQUE POUR DES VALEURS UNIVERSELLES
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TABLE RONDE 5
LES FERS DE LANCE DE LA FRANCOPHONIE : MÉDIAS ET ENTREPRISES
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TABLE RONDE 6
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LE RÔLE DES INDUSTRIES CULTURELLES
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CONCLUSION
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QUELQUES REPÈRES
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ORGANISATION
Les textes publiés n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Ces textes sont la retranscription des allocutions prononcées les 27 et 28 avril 2006 lors du colloque organisé au Sénat par francofffonies ! le festival francophone en France.
FRANCOFFFONIES ! LE FESTIVAL FRANCOPHONE EN FRANCE
« francofffonies ! le festival francophone en France », initié par la volonté du Président de la République, Jacques Chirac, célèbre en France, de mars à octobre 2006, la diversité culturelle des 63 États et gouvernements membres ou associés de l'Organisation internationale de la Francophonie. Et, au-delà, de tous ceux qui veulent partager l'aventure francophone : car celle-ci n'est pas affaire de frontières.
Ce festival a pour vocation, en réunissant artistes, entrepreneurs, écrivains, scientifiques, intellectuels, venus de tous les horizons, de mettre en valeur les réalités de la francophonie, la richesse et la vitalité des peuples qui la composent. Et d'illustrer aussi les combats pour l'égale dignité des cultures.
La francophonie a pris son essor après la décolonisation à partir de la culture, et s'est progressivement élargie aux droits de l'Homme, à la démocratie, et au développement durable. Être fondée sur les solidarités historiques et culturelles en fait un modèle possible pour une autre mondialisation.
Le français appartient à tous ceux qui le parlent, à ceux qui en ont hérité comme à ceux qui l'ont choisi et qui l'enrichissent de leurs apports continuels. L'objet du festival est de prendre au mot les paroles de liberté, d'égalité, de diversité qui s'expriment aujourd'hui sur les cinq continents en langue française.
Il s'agit de montrer que la France est elle aussi francophone, dans les tissages de son identité, en invitant l'hexagone à se confronter aux singularités culturelles et à partager, sans peur, tous les cousinages qui l'ouvrent à une autre vision de la mondialisation, créative et joyeuse.
Le festival francophone en France est une grande fête des dits et des écrits, des gestes et des couleurs, échappés aux frontières des peaux et des drapeaux, aux langues et aux pensées de bois. Il est également l'occasion de populariser la francophonie comme terrain d'expérimentation d'une autre relation possible entre politique, culture, éducation, commerce, économie et communication.
La francophonie n'est pas encore une évidence en France : il est urgent de montrer qu'elle est une réalité dynamique, riche de ses racines lucidement assumées et d'un avenir commun revendiqué. Elle est une réponse vivante, différente, positive à la mondialisation. Un refus de l'uniformisation au profit de l'acceptation de la complexité du monde et de ses enjeux internationaux, comme en témoigne le nombre croissant de pays qui veulent y adhérer.
Monique VEAUTE
Commissaire générale de francofffonies ! le festival francophone en France
francofffonies ! le festival francophone en France célèbre le visage d'une francophonie moderne, vivante, créative, engagée et enracinée dans les 63 pays qui la composent sur les cinq continents. Artistes, écrivains, entrepreneurs, scientifiques, intellectuels invités mettent en valeur les réalités de la francophonie, la richesse et la vitalité de leurs cultures. Ainsi de mars à octobre 2006, plus de 2000 artistes et personnalités du monde francophone participent à 420 manifestations sur l'ensemble du territoire français (dans plus de 200 villes, 22 régions métropolitaines et les 9 collectivités d'outre-mers).
francofffonies ! le festival francophone en France est mis en oeuvre par le Commissariat général, dont l'opérateur délégué est Culturesfrance, avec le soutien du ministère des Affaires étrangères - ministère délégué à la Coopération, au Développement et à la Francophonie, du ministère de la Culture et de la Communication, du ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, du ministère de l'Outre-Mer et du ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative.
Avec le soutien du Sénat et de l'Assemblée nationale.
En partenariat avec l'Organisation internationale de la Francophonie.
francofffonies ! remercie les entreprises et agences partenaires : Agence française de développement (AFD), Air France, Alcatel, La Caisse des dépôts et consignations, Fondation EDF, Laboratoires Pierre Fabre, SNCF.
Et les médias partenaires : groupe France Télévisions, Radio France, TV5 Monde, Arte, EuroNews, RFI, Télérama, Le Monde, Libération, Courrier International, les Cahiers du Cinéma, Beaux-Arts Magazine, Mondomix, Match du Monde, Mon Quotidien, Metro.
www.francofffonies.fr
SÉANCE D'OUVERTURE
Dominique WOLTON
Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique,
membre du Haut Conseil de la Francophonie
Ce colloque sur le thème de « la mondialisation, une chance pour la francophonie » s'inscrit dans le cadre du festival « francofffonies ! », qui a débuté en mars pour prendre fin en octobre. Son objectif est de penser la francophonie à l'heure de la mondialisation, qui constitue une nouvelle étape sur le chemin de cette institution récente. Au-delà de son simple devenir institutionnel, nous avons pour ambition d'imaginer l'avenir de ce mouvement culturel et politique qui traverse le monde. Dans le prolongement de la Convention votée à l'UNESCO au mois d'octobre 2005, la francophonie peut aujourd'hui s'afficher comme l'un des principaux laboratoires de la diversité culturelle, même si d'autres mouvements peuvent bien entendu se prévaloir d'un tel titre.
Le festival « francofffonies » revêt tout à la fois des dimensions culturelles, artistiques et politiques. Dans cette optique, nous souhaitons tout naturellement contribuer à l'ouverture d'une réflexion sur les chances, les atouts mais aussi les défis de la francophonie à l'heure de la mondialisation. J'espère que ce colloque, tout comme le festival de manière plus générale, oeuvrera à la valorisation de la francophonie et marquera le début d'une nouvelle étape de réflexion et d'action de cette institution jeune, qui, comme toute institution, est menacée par les mécanismes de bureaucratisation.
Ce colloque se veut libre et contradictoire et le moins formel possible. Avant de laisser la parole à Monsieur Jacques Legendre, je tiens à remercier le Sénat et son Président, Monsieur Christian Poncelet, pour son hospitalité.
Christian PONCELET, Président du Sénat
Le message de Monsieur Christian PONCELET est lu par Monsieur Jacques LEGENDRE, sénateur du Nord, secrétaire général parlementaire de l'Assemblée Parlementaire de la Francophonie.
Je suis heureux, au nom de tous mes collègues, que le Sénat accueille ce colloque, moment essentiel du festival des cultures francophones, puisque c'est l'occasion de donner tout son sens à cette manifestation et de replacer chacun des événements dans une perspective qui le dépasse.
Comme le dit toujours si brillamment notre grand linguiste Claude Hagège, « Les langues ne sont pas que des véhicules de communication. Elles portent une vision du monde, une pensée. Et la disparition d'une langue, la diminution de son usage sont à chaque fois une tragédie pour l'humanité entière. » Il nous enseigne aussi que l'histoire des langues n'est pas celle de l'offre et de la demande et que, langues communes, langues de la cité, elles sont des sujets de politique et qu'il n'y a donc rien de dépassé, ni d'arrière-garde, ni de contraire à l'ordre naturel des choses à vouloir conduire des politiques linguistiques et défendre la diversité culturelle.
Je forme le voeu que ce colloque permette à chacun de mieux comprendre que la francophonie, comme les autres ensembles linguistiques, est indispensable à une mondialisation heureuse. Je forme le voeu aussi, répondant à l'appel du président Abdou Diouf, que la France elle-même et les Français eux-mêmes prennent conscience de leur responsabilité à l'égard de la langue qu'ils partagent avec tant de peuples amis et ne se laissent pas aller, comprenant mal la mondialisation et cédant parfois aux arguments d'économie à courte vue et à la tendance à l'uniformisation.
Philippe DOUSTE-BLAZY, Ministre des Affaires étrangères
C'est bien sûr un grand plaisir pour moi de me trouver parmi vous. Cette assemblée rassemble de nombreux ambassadeurs, diplomates ainsi que des personnes qui jouent un rôle important aujourd'hui pour que la francophonie puisse participer à cette nouvelle mondialisation.
Le colloque intitulé « La mondialisation, une chance pour la francophonie », organisé dans le cadre du festival francophone en France, est un moment important pour nous. Initié par le président de la République, ce festival est un moment exceptionnel d'accueil et de débat autour d'une francophonie que nous voulons vivante et dynamique, une francophonie que nous voulons en mouvement, porteuse d'une certaine idée de l'homme et de la culture, d'une certaine vision du monde et de l'avenir.
Permettez-moi tout d'abord d'associer à la tenue de ce festival le président Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie. Nous avons pu compter sur son soutien indéfectible tout au long de cette entreprise, à un moment important, puisque l'Organisation internationale de la Francophonie se transforme elle aussi pour mieux se projeter dans la francophonie de demain.
Je veux aussi remercier le Sénat pour son accueil et la qualité d'organisation de cette journée. Je connais bien l'investissement des sénateurs dans la promotion d'une langue française vivante et l'attention constante qu'ils portent à nos compatriotes expatriés. Il y a un mois à peine, le Sénat a accueilli ici même la manifestation « Français de l'étranger, une chance pour la France ». Son succès public a dépassé toutes les espérances. Il témoigne, si besoin était, du rôle joué par le Sénat au service de la francophonie, mais au-delà, en faveur du rayonnement et de la stratégie d'influence de notre pays.
Enfin, je tiens à remercier chacun des organisateurs et tous les participants qui vont contribuer par leurs propositions à animer les débats de ces deux journées. Permettez-moi à cette occasion de saluer tout particulièrement Dominique Wolton, qui assure la direction scientifique de ce colloque. Les orientations qu'il va tracer seront, j'en suis convaincu, des pistes de réflexion essentielles à la réussite de ce colloque et je veux par avance l'en remercier très chaleureusement.
Vous tous réunis ici savez mieux que quiconque que la francophonie est une chance pour notre langue, mais c'est aussi et surtout une force pour notre pays et l'ensemble des Etats francophones. Convenons-en, il existe dans le monde peu d'aires linguistiques et culturelles qui ont une surface comparable à celle de la francophonie. Dans ce sens, la mondialisation s'affirme comme un atout. Je l'ai d'ailleurs constaté à de maintes reprises lors de mes déplacements à l'étranger. Il existe, concernant notre langue, des attentes et des demandes très fortes de la part de nos partenaires et nous devons naturellement y répondre.
Cependant, si la mondialisation est un atout, elle est aussi de plus en plus un défi. Dans un monde ouvert, où les identités se recomposent sans cesse, les enjeux évoluent et nécessitent des réponses sans cesse adaptées. Comment faire vivre et dynamiser dans ce contexte la francophonie de demain ? C'est cette complexité que nous devons maîtriser et qu'il nous appartient d'aborder ensemble au cours de ces deux journées. A vous d'en cerner toutes les richesses et tous les atouts, notamment pour la France. A vous aussi de trouver, j'en forme le voeu, de nouvelles pistes de réflexion et d'action, qui nous seront utiles pour approfondir les enjeux de la francophonie et continuer à la renouveler.
« La francophonie bouillonne ! » a déclaré le président de la République en ouvrant en mars dernier le festival francophone au Salon du livre de Paris. Il a également souligné qu'une francophonie ouverte et moderne peut constituer une réponse positive et créative aux questions posées par la mondialisation. L'humanisme s'inscrit en effet au coeur du projet et des priorités de la francophonie. C'est pourquoi cette dernière doit prendre toute sa place dans les grands débats de notre temps. Je vois là une raison supplémentaire pour l'aider et pour la soutenir. A l'heure où s'affirment ici et là des tensions, des crispations et des menaces de repli identitaire, nous avons plus que jamais besoin d'un dialogue équilibré entre les cultures.
Parce qu'elle est portée depuis plus de deux siècles par un idéal d'universalité, parce qu'elle est une invitation au pluralisme, j'ai la conviction que la francophonie peut être ce laboratoire d'une modernité respectueuse de l'autre, qu'elle peut servir un véritable dialogue entre les cultures, non dans une logique défensive mais dans une logique de proposition.
Dans ce sens, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée par l'UNESCO le 20 octobre dernier, est aussi une belle victoire de la francophonie. Toutefois, cette victoire appelle aussi une exigence, celle de soutenir l'avènement d'un véritable espace public francophone, un espace attentif au respect de toutes ses composantes et surtout un espace capable de s'organiser et d'organiser une véritable diversité culturelle en son sein.
Or comment s'organise aujourd'hui cette maison commune de la francophonie ? Elle se fonde d'abord sur une géopolitique originale qui rassemble 63 Etats et près de 180 millions d'hommes et de femmes sur les cinq continents. De plus en plus en Chine, en Amérique latine et dans de nombreux pays émergents, nous faisons le constat d'une demande linguistique croissante, à laquelle nous devons bien sûr répondre.
Cette ambition est d'ailleurs affichée en toutes lettres dans la nouvelle Charte de la Francophonie, adoptée lors de la conférence ministérielle de Tananarive en novembre 2005. C'est cette francophonie ambitieuse, une francophonie de dialogue mais également de mobilisation qu'il importe aujourd'hui de promouvoir. Nous aspirons à une francophonie qui tienne compte des mutations historiques et des grandes évolutions économiques, géopolitiques et technologiques du XXIe siècle, une francophonie capable de tout mettre en oeuvre pour affirmer sa présence, ses valeurs, l'utilité de sa contribution au dialogue des cultures, une francophonie enfin qui jouerait pleinement son rôle au sein de la communauté internationale et d'une mondialisation plus humaine et plus solidaire.
Je suis fier et heureux que notre pays, qui est l'un des premiers contributeurs de la francophonie multilatérale, ait apporté tout son soutien à l'adoption de cette réforme fondamentale de l'Organisation internationale de la Francophonie et de son avenir. C'est d'ailleurs dans ce cadre institutionnel rénové que se tiendra le onzième sommet des chefs d'Etat et de gouvernement ayant le français en partage en septembre prochain à Bucarest. La Roumanie est le premier des treize pays francophones d'Europe centrale et orientale à avoir rejoint l'OIF.
La conférence qu'elle accueillera aura pour thème l'éducation et les technologies de l'information et de la communication. Il y sera donc beaucoup question de la jeunesse, dont dépend pour l'essentiel l'avenir du français dans la mondialisation. Je considère pour ma part que c'est à cette jeunesse qu'il importe de s'adresser en premier lieu en ce moment exceptionnel de mobilisation et d'élargissement de la Francophonie. De nombreux services du ministère des Affaires étrangères seront mobilisés à l'occasion de ce sommet, aux côtés des opérateurs traditionnels de la francophonie, à savoir la ministre déléguée à la Coopération, au Développement et à la Francophonie, le service des affaires francophones, mais aussi la direction générale de la coopération internationale et du développement.
Pour l'occasion, je voudrais vous dire que nous avons mobilisé toutes les énergies de notre réseau d'instituts culturels, d'Alliances françaises mais également tous les lycées français à l'étranger, car c'est avant tout dans ces lieux d'apprentissage que la langue française s'enracine et que nous bâtissons durablement pour l'avenir la francophonie.
La francophonie, je l'ai dit tout à l'heure, doit se montrer ambitieuse, au moment où se joue dans le monde une lutte décisive pour l'influence. C'est conscient de tous ces enjeux que le Haut Conseil de la Francophonie a contribué à définir les orientations stratégiques et c'est son rapport annuel que je voudrais maintenant évoquer.
J'observe d'abord que les données de ce rapport invitent à l'optimisme, mais dans la mesure où nous restons déterminés à agir, en passant d'une vision parfois trop repliée dans l'espace public français à une vision beaucoup plus ouverte, une vision globale et pleinement francophone. Cela concerne en particulier l'apprentissage de la langue française qu'il nous faut davantage promouvoir et encourager.
Sur les 175 millions de francophones, 115 millions parlent un français courant.
Naturellement, l'environnement culturel et linguistique est un facteur déterminant dans l'apprentissage. On compte ainsi plus de 18 millions d'apprenants en Afrique du Nord et au Moyen Orient, plus de 33 millions en Afrique subsaharienne et dans l'Océan indien, près de 9 millions dans les Amériques et les Caraïbes, plus de 2 millions en Asie et en Océanie, plus de 27 millions en Europe. Pour l'année 2005, cela représente au total près de 90 millions d'apprenants dans le monde, soir une progression de 10 millions en l'espace de 7 ans. Près du tiers d'entre eux réside en Afrique subsaharienne et dans l'Océan indien.
Tels sont les premiers enseignements que nous pouvons tirer. Le nombre d'élèves et d'étudiants intéressés par le français progresse sur le continent africain et au MoyenOrient, mais se stabilise dans les autres régions du monde, à l'exception notable de la Chine et de l'Inde, où l'on constate une augmentation spectaculaire de l'apprentissage de la langue française. Tout cela doit nous encourager à aller de l'avant et à renforcer notamment les programmes de coopération en matière de plurilinguisme dans tous les pays où l'on constate que l'image du français reste attrayante.
On l'oublie trop souvent, mais, en France même, nos départements et nos territoires d'Outre-mer sont des véritables laboratoires de la diversité culturelle. Les contacts qu'ils offrent avec les autres continents sont créateurs de nouvelles richesses linguistiques, mais ils fonctionnent aussi entre les hommes comme le lieu de nouvelles passerelles identitaires et de nouvelles connivences.
Les limites de l'espace public francophone ont donc vocation à être repoussées. De nouveaux territoires restent à conquérir. Pour cela, il importe tout d'abord de faire oeuvre de vision, mais aussi de pédagogie. La francophonie, parce qu'elle est corrélée à l'influence de notre langue, de nos valeurs et de notre culture, nous concerne tous. Aussi, je suis très heureux que le Sénat, en partenariat avec l'OIF et nos autres partenaires, ait réussi à associer et à sensibiliser si fortement nos entreprises au festival francophone en France. Nous attendons beaucoup de ce festival et je compte sur chacun d'entre vous et en particulier sur les journalistes présents ce matin pour donner à cet événement tout l'écho qu'il mérite auprès des Français. Plus de 400 manifestations sont programmées sur l'ensemble de notre territoire dans plus de 120 villes de toutes les régions de France.
Étendre l'espace public francophone, repousser les limites de cet espace, qui est tout autant une frontière géographique qu'un état d'esprit, c'est aussi agir pour que les hommes et les sociétés se connaissent mieux. Pour reprendre le mot de Dominique Wolton, la francophonie a tout intérêt à devenir une « communauté de contacts » et pas seulement d'identités, une communauté qui serait une passerelle entre les pays et les continents. C'est là une ambition fondamentale du ministère des Affaires étrangères qui mène de nombreuses actions dans l'ensemble de son réseau en partenariat avec les ambassades des pays francophones.
Je pense cette année en particulier à l'Amérique latine, où nous avons rassemblé un très large public, aussi bien au Mexique qu'en Argentine, au Chili ou au Costa Rica. Je pense aussi à la Turquie, où la France et la Suisse ont organisé avec les autorités locales des spectacles et des débats francophones très appréciés. Je n'oublie pas naturellement l'Asie, où nous sommes encouragés par la popularité de notre langue. En Inde, les vingt Alliances françaises se sont mobilisées cette année pour mettre la francophonie à la portée des plus jeunes, tandis qu'en Chine, un festival de musique francophone a réuni un très nombreux public à Pékin, Chengdu et Shanghai.
Bien évidemment, dans les pays membres ou observateurs de la Francophonie, de nombreuses autres initiatives sont menées. Vous me pardonnerez de ne pas toutes les évoquer aujourd'hui. Je voudrais simplement signaler à votre intention trois dates importantes à retenir pour les mois à venir. Elles témoignent à mon sens de l'importance accordée par notre pays aux enjeux culturels et de solidarité propres à la francophonie.
Tout d'abord, lors du festival de Cannes, le 18 mai prochain, une journée sera spécialement consacrée à la diversité culturelle et à la francophonie, avec une attention toute particulière portée aux actions de coopération menées avec des cinémas du Sud.
Ensuite, la fête de la musique, qui aura lieu comme tous les ans le 21 juin. Le thème retenu étant celui des musiques francophones, c'est l'ensemble de notre réseau culturel et diplomatique dans le monde qui sera convié cette année à s'associer à cette célébration.
Enfin, je vous invite tous à venir nombreux le 9 octobre prochain, à la Bibliothèque nationale de France pour la soirée de clôture du festival « francofffonies ! » qui sera consacrée au 100e anniversaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor, l'un des membres fondateurs de la Francophonie. C'est tout particulièrement son message pour un humanisme intégral que nous avons voulu célébrer cette année.
Pour la France, la francophonie est à la fois un héritage et une obligation liée à l'Histoire, mais elle est aussi bien davantage que cela. C'est une chance historique pour notre pays. A l'heure où la mondialisation, en ouvrant les frontières, nous donne l'occasion d'étendre vers de nouveaux espaces le message de l'universalité de nos valeurs, la francophonie est aussi un formidable facteur d'harmonisation pour nous tous qui partageons les mêmes valeurs. Nous ne pouvons pas accepter un monde de moins en moins solidaire. Nous sommes obligés aujourd'hui de défendre une certaine diplomatie.
La francophonie est un enjeu stratégique, un enjeu culturel, évidemment, mais aussi un enjeu économique et technologique. A nous de nous donner les moyens de le faire vivre, afin que la bataille pour la diversité culturelle, si elle a été remportée sur le terrain politique, ne soit pas perdue dans l'avenir sur le terrain de la communication.
C'est à cet avenir, dans ce monde nouveau, que la francophonie nous invite. De nombreux défis sont à relever. Envisageons-les avec un optimisme raisonné et surtout avec beaucoup de détermination. Je suis convaincu que de nouvelles pistes peuvent être tracées pour servir cette francophonie en action. Aussi, je souhaite à chacune et à chacun d'entre vous de fructueux travaux. Je ne doute pas que vos propositions seront très utiles pour nourrir la réflexion collective au service de la francophonie, mais aussi plus largement d'une politique d'influence qui est vitale pour notre pays.
Abdou DIOUF, Secrétaire général de la Francophonie
Le message de Monsieur Abdou DIOUF est lu par Monsieur Clément DUHAIME, administrateur de l'Organisation internationale de la Francophonie.
Vous m'avez fait le grand honneur de m'inviter aujourd'hui à l'ouverture de ce grand colloque sur le thème « Mondialisation et Francophonie ». Ce colloque est un événement important, un des grands rendez-vous intellectuel et politique qui donne du sens et de la profondeur au Festival francophone en France qui, depuis le succès remarquable du Salon du Livre, a pris un remarquable envol et vient brillamment répondre à nos attentes.
Je voudrais remercier Monsieur le Président du Sénat et toutes ses équipes pour avoir accepté d'accueillir, dans ce prestigieux Palais du Luxembourg, cette manifestation et pour s'être mobilisé avec autant de conviction pour qu'elle soit une grande rencontre internationale.
Toute l'équipe du Festival francophone, coordonnée, je dirais, entraînée par le dynamisme de la Commissaire générale Monique Veaute et l'effervescence de Dominique Wolton, mérite nos félicitations. Nos amis du Festival ont su rassembler, pour les six tables rondes qui vont se dérouler au cours de ces journées, les plus éminentes personnalités et les meilleurs spécialistes sur des thèmes particulièrement bien choisis, qui sont tous au coeur des préoccupations de la francophonie et des efforts que nous déployons actuellement pour la moderniser, lui donner plus de pertinence face aux défis de notre siècle. En un mot lui donner ce nouveau souffle, ce nouvel élan et j'irais même jusqu'à dire cette nouvelle légitimité qui refonde son ambition et son dynamisme.
C'est dire combien vos débats, vos réflexions, vos nouvelles idées et même vos impertinences et vos remises en question sont attendues. J'espère bien qu'elles viendront nous stimuler. J'espère aussi que, dans tous les milieux que les uns et les autres vous représentez, elles sauront déclencher une dynamique rénovée en faveur de la francophonie, une avancée, un désir d'engagement plus fort, plus visible en faveur de nos combats.
Il n'y a rien d'artificiel, bien au contraire, à confronter la francophonie à la mondialisation. J'ai eu souvent, au cours de ces dernières années, l'occasion de développer cette problématique et vous-même, Dominique Wolton, vous avez fort bien démontré sa pertinence dans vos derniers ouvrages. Notre Organisation, forte de ses 63 membres appartenant tant au Nord qu'au Sud, présente sur les cinq continents et qui revendique son universalité, fait en quelque sorte figure de résumé de la planète.
Cette configuration fonde la personnalité de la Francophonie et suffit à rendre pertinent le thème de cette rencontre.
Mais il y a plus encore : l'évolution de l'OIF ces dernières années, sa transformation, la redéfinition de ses orientations et de ses actions, parce qu'elle se soucie de la réalité de notre monde, est directement liée au phénomène de la mondialisation. Elle est déterminée par la nécessité d'en évaluer les répercussions sur nos sociétés, et en particulier sur celles des pays du Sud, pour aider nos Etats et gouvernements et nos populations à en affronter les aspects les plus difficiles.
Chacun s'accorde à estimer que la mondialisation est une vague de fond qui bouleverse notre monde, qui bouleverse tous nos modes de vie. La tendance dominante est aussi de considérer cette évolution comme inéluctable et même, à bien des égards, positive. Il n'en demeure pas moins, et c'est cette réalité qui nous interpelle le plus fortement, que les plus démunis n'en voient aujourd'hui que la face la plus sombre.
La phase historique actuelle de la mondialisation se développe en effet sur le terreau d'un libéralisme dont le credo est un trop grand « laisser-faire ». Les tenants de ce libéralisme, aujourd'hui en position dominante, affirment leur conviction que le marché est capable à lui seul de s'autoréguler et nient la nécessité de toute autre forme d'organisation des relations entre les hommes. Cette vision du monde tend à s'imposer dans la plupart des instances de décision qui régissent les rapports entre les Etats. Depuis près d'un quart de siècle se développe un mouvement de dérégulation qui a pour but de favoriser une concurrence généralisée des économies mondiales. La sphère marchande vient progressivement régir une part croissante des activités humaines, y compris des secteurs destinés à satisfaire des besoins sociaux et culturels essentiels. Le principe de compétitivité devient le moteur principal de toute activité économique. Il devient une fin en soi.
Je ne nierais pas que cette dynamique libérale produit ici et là ses effets positifs et nourrit certaines formes de croissance économique. Mais il faut, avec lucidité et réalisme, dire que la mondialisation ne peut être réduite à une libéralisation à marche forcée des économies et des systèmes sociaux et culturels. Parce qu'on ne peut faire l'impasse sur le constat d'un accroissement des inégalités, d'une répartition inégale de la croissance et du progrès, d'une trop longue liste de questions essentielles qui restent sans réponses satisfaisantes : celle du respect des identités, celle de la paix, celle du respect des Droits de l'Homme, celle de la démocratisation des systèmes politiques et du système international.
C'est d'abord l'aggravation des inégalités, la multiplication des « fractures », pour employer cette expression qui exprime si bien la brutalité du phénomène, qui apparaît comme un des effets majeurs de cette mondialisation.
Inégalités au sein même des pays riches, dont la croissance ne parvient pas à éliminer une pauvreté installée au coeur de leurs métropoles avec tous les ravages sociaux et culturels que l'on connaît.
Inégalités entre le Nord et le Sud, qui malgré quelques bonnes volontés, appréciables mais insuffisantes, prennent des proportions dangereuses. Selon le PNUD, la consommation mondiale a été multipliée par six au cours des cinquante dernières années, mais elle reste le fait de 20% de la population mondiale vivant dans les pays du Nord. Pire, la population du Nord dispose aujourd'hui d'un revenu moyen soixante fois supérieur à celui des populations du Sud, alors qu'en 1960 le rapport n'était que de 1 à 30 !
La mondialisation, dans sa version actuelle, c'est ensuite la dérive du droit. Les droits élémentaires garantis par la Charte des Nations-Unies et auquel tout être humain peut prétendre, sont bien loin d'être appliqués et respectés. Aujourd'hui les seules normes internationales qui se renforcent sont celles qui consacrent la liberté des opérateurs économiques, celles qui poussent à une dérégulation.
Or, pour paraphraser le journaliste et homme politique français Henri Lacordaire, on sait depuis longtemps que c'est le droit qui protège le plus faible et la liberté qui l'opprime.
C'est une mondialisation qui ne refuse pas d'ouvrir les yeux sur la dimension humaine du progrès et de la croissance, une mondialisation qui sait maîtriser la marchandisation pour mieux protéger les identités et la diversité, une mondialisation qui accepte de payer le prix de la paix et de la démocratie, bref une mondialisation dotée d'un véritable projet politique humaniste que la Francophonie veut contribuer à construire.
Ce projet, nous l'avons traduit concrètement dans notre programme d'action. Chacune des quatre priorités de notre Cadre stratégique décennal qui oriente nos projets pour les dix prochaines années l'exprime fidèlement. Ces priorités s'appuient sur nos valeurs : celle de la solidarité, celle du respect de la diversité, celle de la citoyenneté. Ces valeurs, pour être prises en compte dans la dynamique de la mondialisation, exigent d'y introduire davantage de droit, d'y renforcer une logique plus systématique de régulation.
C'est, nous en sommes convaincus, à la satisfaction des besoins et des aspirations de toutes les femmes et de tous les hommes qui forment notre humanité que les fruits du progrès et de l'enrichissement devraient être destinés. Dans cette optique, la Francophonie s'est donné pour but de défendre tous les droits, et pour tous.
Vous savez déjà que depuis une période récente elle a renforcé son action politique dans ce sens, et qu'elle s'attache avec ses moyens et ses méthodes spécifiques à promouvoir la paix, la démocratie, les droits et les libertés dans l'espace francophone. Il nous faut à présent, besoin de solidarité oblige, développer davantage notre action en faveur des droits économiques et sociaux, d'ailleurs garantis par le Pacte international de 1966 que la plupart de nos Etats ont ratifié. De ce point de vue, nous savons bien que si tous nos membres sont égaux en droit, ils ne le sont pas tous en devoir. C'est le fondement même de la solidarité : les plus riches doivent faire davantage pour les plus démunis. L'assistance des pays les plus riches demeure indispensable dans bien des domaines, mais elle ne saurait suffire à satisfaire ce besoin de solidarité.
C'est aussi en commençant par restaurer entre nous la primauté des droits que nous pourrons contribuer à réduire les fractures les plus graves. Contrairement à ce qui se dit souvent, les Etats ont encore du pouvoir, et ce sont les Etats du Nord qui jouent un rôle primordial dans l'élaboration des régulations nationales et internationales, et surtout, ce sont eux qui disposent des moyens de les faire appliquer. Ils doivent donc donner l'exemple en inversant la tendance excessive à la dérégulation et en s'attachant à élaborer de nouvelles régulations destinées à restaurer les équilibres menacés par une mondialisation sans limites.
Et j'en viens là à ce problème crucial du respect des identités et de la diversité culturelle que notre ami Dominique Wolton qualifie, à juste titre dans son dernier ouvrage, d'enjeu politique majeur de cette mondialisation et de défi prioritaire pour la Francophonie. L'OIF a clairement son rôle à jouer dans cette entreprise de maîtrise de la mondialisation. Elle en a donné la preuve en contribuant activement à l'adoption à l'UNESCO de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Je vois, dans ce succès, une preuve de ce besoin de droit et de la capacité des Etats d'y répondre. J'y vois aussi la preuve que, face à cette mondialisation non maîtrisée, le refus de la résignation a du sens et doit nous motiver chaque jour pour poursuivre dans cette voie.
D'autres combats de ce type restent exemplaires et doivent inciter à une solidarité plus forte entre les Etats francophones du Nord et ceux du Sud. Je citerais l'exemple de ceux qui utilisent abusivement à leur bénéfice l'arme du protectionnisme commercial alors qu'ils font eux-mêmes pression sur les plus pauvres pour qu'ils ouvrent leurs frontières à leurs marchandises et à leurs services. L'effet dévastateur des subventions soutenant les exportations agricoles de pays du Nord sur des filières vitales pour les pays du Sud, comme le coton dans les pays du Sahel, peut-il être indéfiniment accepté ?
Ces droits économiques, sociaux et culturels restent les grands oubliés de la mondialisation. Il faut refuser l'idée qu'ils mettraient en péril l'économie mondiale. Ils en consolideraient au contraire les fondements en renforçant le sens du partage, témoignage de solidarité et premier pas vers l'égalité, et en faisant admettre une véritable reconnaissance de l'autre.
Héritiers de Léopold Sédar Senghor, l'un des pères fondateurs de notre Francophonie, nous ne pouvons nous résigner à ce que la mondialisation s'oppose irréductiblement à la construction de cette civilisation de l'universel qui est notre but commun. C'est comme cela que nous saurons montrer que nous sommes capables de construire l'avenir.
Simone VEIL, Ancien ministre, membre du Conseil constitutionnel
Je voudrais tout d'abord féliciter les organisateurs d'avoir pris l'initiative de ce colloque et remercier Monsieur le président du Sénat Christian Poncelet de m'avoir fait l'honneur de m'inviter à témoigner sur l'appui apporté par la francophonie au renforcement de l'Etat de droit ainsi que sur l'engagement du Conseil constitutionnel auprès des cours membres de l'Association des cours constitutionnelles ayant en partage l'usage du français (ACCPUF).
Il m'est particulièrement agréable de pouvoir vous parler du rôle de la francophonie pour les cours constitutionnelles concernées, rôle souvent méconnu et même totalement ignoré par la plupart. Et pourtant, la francophonie constitue une enceinte privilégiée pour ces cours, grâce au partage d'une même langue, privilège qui permet de rassembler autour de valeurs communes, figurant dans sa Charte, l'aspiration à la paix, à la démocratie et au progrès des sociétés qui la composent.
Ayant été amenée, depuis que je siège au Conseil constitutionnel, à suivre plus particulièrement les travaux de l'ACCPUF, il m'a été donné d'apprécier le rôle que pouvaient jouer les cours constitutionnelles qui avaient adhéré à la francophonie. Vous pourrez constater qu'il est devenu tout à fait irremplaçable pour nos cours constitutionnelles.
Se fondant sur le constat que francophonie et démocratie sont indissociables, les chefs d'Etats et de gouvernements francophones qui étaient réunis le 3 novembre à Bamako, se sont engagés pour le renforcement « des institutions de l'Etat de droit, classiques ou nouvelles, en vue de les faire bénéficier de toute l'indépendance nécessaire à l'exercice impartial de leur mission ». Tandis que se structurait peu à peu l'espace francophone, notamment avec la création d'un poste de secrétaire général de la francophonie, l'idée d'une concertation entre les institutions chargées du contrôle de constitutionnalité a pu émerger, précédant même la conférence de Bamako.
Dès 1995, lors de la conférence des Ministres de la justice qui s'est tenue au Caire, l'engagement a été pris de renforcer les garanties juridictionnelles et d'assurer un meilleur respect des droits fondamentaux. C'est à ce moment que plusieurs cours ou conseils constitutionnels se sont réunis en vue de la création d'une association. C'est en avril 1997 que naît l'ACCPUF.
On ne peut donc manquer de souligner le rôle précurseur des cours constitutionnelles dans la mise en oeuvre des principes qui seront par la suite proclamés solennellement à Bamako. L'ACCPUF regroupe actuellement 41 cours, conseils constitutionnels ou institutions équivalentes. Aujourd'hui, sa présidence est assurée par la Cour suprême du Canada, qui a succédé à la Cour constitutionnelle du Gabon, qui s'est fortement impliquée pour mettre en oeuvre les engagements de Bamako.
Je tiens aussi à souligner que la Présidente de la Cour suprême du Canada, qui ne parlait que quelques mots de français à l'origine, a fait d'extraordinaires progrès depuis qu'elle assure la présidence de l'ACCPUF. Une telle attitude est d'autant plus remarquable et courageuse que la durée du mandat à la présidence de l'ACCPUF est assez courte.
Le secrétariat de l'ACCPUF est assuré depuis l'origine par le Conseil constitutionnel français qui a fourni un appui très important en matière de documentation, d'organisation de conférences et de séminaires, de diffusion de la jurisprudence et de publication. Ce secrétariat est non seulement la mémoire de l'association mais aussi une importante source d'informations sur les différentes cours qui la composent. A ce titre, il sert de relais entre les cours pour la diffusion de renseignements sur telle ou telle autre cour ou sur tel point de droit.
Le secrétariat s'attache aussi à publier les travaux sous forme d'études de droit comparé. A cet égard, et avant d'expliciter davantage le travail accompli par l'ensemble de ces cours et notamment par le secrétariat, je me dois d'insister sur le fait que c'est la Cour constitutionnelle française, qui siège au Palais royal, qui assume entièrement ce secrétariat. Il est assuré pour sa majeure partie par deux personnes. Ceci traduit bien le fait que la francophonie a parfois de grandes ambitions mais de bien petits moyens pour les réaliser.
Le secrétariat joue un rôle considérable dans la vie de cette institution sur le travail juridique, le suivi au quotidien et la mise en ligne des travaux de ces 41 cours. Il assure aussi l'organisation des très nombreux colloques et réunions qui se déroulent à Paris ou ailleurs ainsi que celle des réunions plénières de l'association ou encore des réunions de bureau, qui peuvent avoir lieu au Niger, au Gabon ou en Roumanie.
Ces tâches représentent un travail considérable pour ce petit groupe de personnes qui occupent des postes de fonctionnaires au sein du Conseil, détachés pour une période variable. Ils ont en charge l'organisation des relations internationales du Conseil, l'organisation intellectuelle, c'est-à-dire la préparation des travaux avec les différentes cours, et l'organisation matérielle. Cette dernière n'est pas simple, dans la mesure où, lors des réunions, les conjoints des participants sont présents. Il appartient en effet à ces fonctionnaires de s'occuper de ces personnes. Face à ces personnes très courageuses et dévouées, j'ai parfois un peu honte.
Depuis 9 ans désormais, grâce à ces rencontres régulières, s'est développé au sein de l'ACCPUF un véritable dialogue entre les membres des cours qui y participent. Ces personnes viennent régulièrement à Paris pour se ressourcer, nous fournir des indications sur l'actualité de leurs institutions. De ces rencontres, sont nés des échanges remarquablement libres, parfois très courageux sur des thèmes précis comme l'indépendance des juges et des juridictions. En effet, même si ce sujet reste très difficile à aborder dans certains pays, les membres de l'ACCPUF n'hésitent pas à s'emparer de telles questions. D'autres rencontres nous ont permis d'aborder le thème des partis politiques, sur la base de questionnaires très complets.
Un réseau d'expériences privilégiées s'est ainsi construit, en même temps qu'une culture démocratique. Désormais, les barrières entre cours ne constituent plus des obstacles. A ce propos, j'ai souvenir d'un débat récent autour de la lutte contre la corruption. Les échanges ont pris une tournure vive et contradictoire entre des participants qui ne partageaient pas tous la même définition de la corruption.
Certaines expériences en matière de communication par exemple, mises en place par de très jeunes cours, soucieuses de se faire connaître, se révèlent fort utiles, même pour des cours ancrées de longue date dans le système juridique.
L'ACCPUF développe également des instruments de droit comparé, au travers de la publication systématique des travaux réalisés au cours de nos rencontres, sous toutes leurs formes. Ces documents vont bien au-delà du simple compte-rendu des travaux de conférences, séminaires ou congrès. Leur objet est de répondre de manière concrète aux questions des cours, tout en s'enrichissant de l'expérience des autres. Un document de référence, régulièrement actualisé, présente chacune des cours membres. Il reprend les textes officiels mais aussi des renseignements pratiques et des photographies et sert de base à ces publications, diffusées sur papier, sur CDROM ou sur Internet de manière large.
En outre, un observatoire de l'activité et de la qualité des cours constitutionnelles a été mis en place. Chaque cour est sollicitée pour relayer les principaux événements qui jalonnent sa vie, comme les élections, l'organisation de manifestations de communication, les mises en cause dans les médias ou encore les crises qu'elle peut traverser. Nous avons d'ailleurs dénombré plusieurs crises de nature diverse au cours des dernières années. Par ailleurs, les cours membres nous signalent par ailleurs les modifications et mouvements des personnels et nous transmettent la jurisprudence qui les concerne.
Un effort particulier a été entrepris pour la diffusion de la jurisprudence constitutionnelle. Un accord avec la Sous-commission de justice constitutionnelle de la Commission de Venise, mise en place par le Conseil de l'Europe, permet aux cours membres de l'ACCPUF d'intégrer leurs principales décisions selon un code prédéterminé dans la base de données CODICES des pays membres du Conseil de l'Europe. En intégrant les membres de l'ACCPUF, ce sont désormais 70 cours qui composent ce réseau. Elles profitent ainsi de l'expérience de leurs homologues et peuvent se concerter entre elles. Elles sont également informées en temps réel de l'activité de chacun des membres. Près de 100 décisions de cours membres de l'ACCPUF ont ainsi été mises en ligne.
Au-delà de l'échange d'idées et d'expériences au travers du dialogue des juges, l'ACCPUF mène des opérations de coopération et d'assistance technique. Elle est ainsi intervenue pour renforcer les capacités des cours du Gabon, du Bénin, du Burundi, du Burkina Faso, de Moldavie et du Niger.
Le site Internet de l'association, créé en septembre 1998, s'est depuis régulièrement étoffé. Il propose un ensemble d'informations sur le fonctionnement de l'association, parmi lesquelles les statuts, la liste des membres, les partenaires ainsi que des liens vers les sites Internet de chacune des cours qui la composent. Il propose également le texte intégral des bulletins et actes de congrès publiés par l'association. En outre, il offre, pour chaque cour membre, une présentation générale des compétences et du fonctionnement de l'institution, des données statistiques relatives au nombre de décisions rendues ainsi que les textes d'ordre constitutionnel, législatif et réglementaire régissant leur organisation et leur fonctionnement. Les visiteurs y trouvent également des publications consacrées à la jurisprudence des cours constitutionnelles, au principe d'égalité ou encore à l'accès au juge constitutionnel.
Les cours membres de l'ACCPUF sont pour la plupart assez jeunes. La majorité d'entre elles a vu le jour dans les années 90. Certaines sont issues des processus de réconciliation nationale, comme en Afrique. D'autres sont nées avec le retour à la démocratie, après la chute du mur de Berlin, pour l'Europe centrale et orientale. Elles sont aussi très diverses quant à leur composition, leur mission et leurs moyens. Composées de juristes ou de membres provenant d'horizons divers, souvent de la classe politique, elles sont enracinées dans de vieilles démocraties pour certaines ou actrices essentielles de la construction de nouvelles démocraties. Elles sont parfois les premières victimes des vicissitudes politiques. Certaines d'entre elles sont dotées de moyens matériels qui assurent leur indépendance. D'autres, au contraire, sont très mal financées ou totalement isolées. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'un tel isolement soit le fait de prises de position courageuses.
Bien que très diverses, elles ont toutes en commun leur insertion dans un système de droit romano-germanique. La plupart d'entre elles sont d'ailleurs fortement marquées par le droit français. Cette empreinte se traduit tant dans les règles d'organisation générale des pouvoirs publics que dans les règles de droit et de procédure, en matière civile ou pénale. Il est important de souligner cette appartenance commune à un système de droit bien distinct du common law. Contrairement à ce que certains prétendent, la comparaison n'est pas à notre désavantage.
Le Conseil constitutionnel français accueillera en novembre prochain le quatrième congrès de cette association. Initialement, ce congrès devait avoir lieu au Liban, mais, pour des raisons diverses, il se tiendra à Paris. Nous espérons que les membres y seront présents en nombre pour débattre du sujet retenu, à savoir la compétence des cours constitutionnelles ou institutions équivalentes. Les débats devraient s'articuler pour l'essentiel autour de la question du contrôle de constitutionnalité et du déroulement des opérations électorales. Un tel sujet revêt une valeur particulière pour toutes les cours, qu'elles soient anciennes ou non.
Les cours et conseils constitutionnels sont devenus des acteurs essentiels de la réalisation des engagements souscrits à Bamako par les différents Etats. Ils font figure de véritables régulateurs de l'Etat de droit, assurent la protection des droits fondamentaux et sont fortement impliqués dans le processus électoral, soit dans l'ensemble de son déroulement soit, plus modestement, dans les opérations de contrôle.
La francophonie s'est également employée à renforcer les institutions de contrôle, de régulation, de médiation et de promotion des droits de l'homme au sein des systèmes nationaux. Elle s'est fixé pour ambition d'asseoir leur stabilité et de consolider les réseaux entre ces institutions. Parmi ces réseaux, nous pouvons citer l'Association des cours de cassation, l'Association des institutions supérieures de contrôle, telles que la Cour des comptes, l'Association africaine des hautes juridictions francophones, ou encore l'Association des ombudsmans et médiateurs de la francophonie.
Toutes ces actions s'inscrivent dans un cadre de relations humaines faites de tolérance, de grande écoute et de respect mutuel. La fréquence des rencontres et l'investissement de certains membres des délégations ont permis de tisser de véritables liens d'amitié. Pour autant, l'association ne peut entièrement se prémunir contre les difficultés qui guettent n'importe quelle autre organisation du même type. Elle doit ainsi faire face à plusieurs défis.
Le premier réside dans l'indépendance des juges et des juridictions. Elle revêt en effet un rôle fondamental dans un Etat de droit. Elle dépend à la fois de la nomination des juges, de leur formation, de leur statut, mais aussi et peut-être surtout de leur caractère, comme cela a été maintes fois souligné. Lors de la dernière réunion, qui s'est tenue à Bucarest, les participants ont adopté et transmis au secrétaire général de l'OIF une recommandation incitant les Etats membres au respect de ce principe constitutionnel. Pour l'heure, il est hélas très loin d'être appliqué partout. Cela s'explique sans doute par la jeunesse de certaines démocraties. Dans certains pays, l'indépendance nationale ou politique n'a longtemps été qu'un rêve. Le chemin vers une démocratie stable et mature est encore long pour ces pays-là. Sur le plan national les membres des cours et des conseils constitutionnels doivent pouvoir faire accepter aux dirigeants l'importance de leur indépendance.
Les difficultés de communication constituent un deuxième obstacle. Il reste très difficile à surmonter, tant que les cours ne seront pas toutes correctement équipées en matériel informatique et n'auront pas toutes accès à Internet. Nous essayons de les aider autant que possible. Il serait d'ailleurs fondamental de donner la priorité au lancement d'un programme ambitieux dans ce domaine. Le site Internet de l'ACCPUF est actuellement en cours de refonte. L'objectif est de le rendre plus accessible et d'enrichir son contenu en l'actualisant aussi souvent que possible. Par ailleurs, nous avons pour habitude d'envoyer aux cours particulièrement démunies des ouvrages que nous jugeons périmés.
Enfin, nous ne pouvons négliger la survenue des crises. Depuis sa création, et bien souvent à la suite de crises politiques et constitutionnelles, l'ACCPUF a vu disparaître plusieurs de ses membres. Généralement, à l'issue de la crise, ces cours sont recréées sous une autre forme. Ce processus peut toutefois prendre du temps dans certains cas.
C'est donc avec espoir et réalisme et conscients des obstacles récurrents que les cours constitutionnelles membres de la francophonie s'attachent à la mise en oeuvre des engagements de Bamako en faveur de la consolidation de l'Etat de droit. C'est une dimension essentielle pour le bon fonctionnement de la francophonie. Non seulement elle rejoint le débat sur l'universalité des valeurs qui aura lieu demain ici même, mais elle touche aussi l'ensemble des thématiques qui seront évoquées au cours de ce colloque.
Les membres du Conseil constitutionnel français sont amenés à s'occuper de nombreuses tâches. C'est un peu par hasard que j'ai découvert l'univers de la francophonie. J'assiste maintenant à de nombreuses réunions de l'ACCPUF, lorsque le président du Conseil constitutionnel ne s'y rend pas en personne.
Le travail sur la francophonie m'a particulièrement enrichie. J'ai pu par ce biais nouer de grandes amitiés. Si je connaissais bien le continent africain, cette charge m'a permis de le découvrir sous un nouveau jour, peut-être le plus passionnant.
Jacques LEGENDRE, Ancien ministre, Sénateur du Nord,
secrétaire général parlementaire de l'Assemblée parlementaire de la francophonie
C'est bien naturel : les parlementaires parlent. Ils ont pour mission d'échanger, de manière orale ou par écrit. Pour ce faire, ils se doivent de s'exprimer dans la langue comprise par leurs électeurs, faute de quoi ils ne peuvent demeurer longtemps à leur poste. Ils se doivent aussi de pouvoir faire comprendre les problèmes et aspirations de leur pays à l'extérieur. Certains d'entre eux sont issus de pays dont la langue officielle n'a pas un rayonnement international large. Il leur faut alors faire le choix d'une autre langue. Le monde parlementaire ne peut donc être que particulièrement sensible à la problématique de la francophonie.
Au cours de l'été 1967, à titre personnel, plusieurs parlementaires se sont retrouvés à Luxembourg. Ils n'y étaient apparemment pas pour effectuer un dépôt d'argent dans une banque du pays. Ils allaient en réalité s'entretenir d'un trésor inestimable, celui de la langue, c'est-à-dire le trésor de notre culture. Ces parlementaires, qui peuvent être considérés comme des pionniers de la francophonie, y ont créé l'Association internationale des parlementaires de langue française.
Cette étape constitue un premier pas sur le chemin de la construction de la francophonie. C'est sur une base volontaire et militante que les parlementaires ont décidé de s'unir. Son premier secrétaire général était un député français, Xavier Deniau, qui a récemment quitté les bancs de l'Assemblée nationale. Il est issu d'une famille qui aime la langue française.
Ces parlementaires se regroupaient à l'instigation de personnes qui sont devenus par la suite les pères fondateurs de la francophonie, au premier rang desquels Léopold Sédar Senghor. Léopold Sédar Senghor était parlementaire français avant de devenir le chef d'Etat de son pays, le Sénégal. Il était particulièrement concerné par la problématique de la pratique des langues maternelles et du choix d'une langue internationale. Il était l'homme de la double culture, des « deux battants de la porte », ainsi qu'il l'affirmait dans ses poèmes. Il voulait concilier son attachement d'agrégé de grammaire à la langue du colonisateur et celui qu'il portait à sa langue maternelle et aux autres langues de son peuple.
Les parlementaires ont été immédiatement sensibles à son appel pour rassembler dans une même association les parlements qui avaient en commun l'usage de la langue française. Le temps a passé, mais certaines conditions qui ont présidé à la création de cette association subsistent. Nous n'en avons pas entièrement perdu l'esprit initial. Les parlementaires qui aujourd'hui la composent n'y siègent pas par obligation, mais parce qu'ils ont choisi de le faire. Ils sont eux aussi des militants.
L'association est aujourd'hui devenue une assemblée, l'Assemblée consultative de la francophonie. Cette mutation résulte des modifications profondes qui sont intervenues dans l'organisation du mouvement depuis son sommet de Hanoï.
Je crois que les hommes et les femmes membres qui siègent au sein de cette assemblée consultative auprès des chefs d'Etat et de gouvernement ont fait le choix de la défense des valeurs du véritable parlementarisme. Ils vivent ces valeurs en rappelant qu'un parlement n'est digne de ce nom que lorsqu'il a été librement choisi et composé par les citoyens du pays.
Les parlementaires jouissent d'une certaine liberté. En effet, ils ne sont pas tenus par les pesanteurs diplomatiques qui s'imposent aux Etats et aux gouvernants. C'est pourquoi notre assemblée parlementaire n'admet en son sein que les membres provenant de parlements qui procèdent d'élections loyales. De fait, la géographie du parlementarisme francophone ne correspond pas exactement à celle des sommets des chefs d'Etats francophones. Nous espérons toutefois faire converger autant que possible ces deux géographies.
L'assemblée a joué un rôle important dans l'adoption de la Charte de Bamako. Cette dernière témoigne de la volonté de la francophonie d'être un rassemblement de pays libres où des citoyens libres décident de leur avenir.
Nous sommes par ailleurs conscients du fait que le choix d'une langue induit aussi le choix de certaines valeurs et correspond à une certaine vision du monde. Nos valeurs ne sont pas supérieures parce qu'elles sont exprimées en français. Elles n'en sont pas moins différentes. Nous-mêmes, en tant que membres d'une assemblée issue des cinq continents, ne pouvons que constater nos différences.
Cela s'est vérifié dès l'origine. Parmi ceux que l'on pourrait appeler les « conjurés de Luxembourg », on comptait quelques parlementaires français, belges et luxembourgeois mais aussi et surtout de nombreux Africains ainsi que des parlementaires du Laos et du Cambodge. Norodom Sihanouk était lui-même très attaché à cette construction. Chacun de ces pays a développé sa propre vision de l'action parlementaire et nous devons tenir compte de ces sensibilités différentes.
Nous n'avons pas pour but de créer un espace unifié de la francophonie. Au contraire, nous avons pour ambition de faire vivre un espace de dialogue des cultures, notion chère à Léopold Sédar Senghor. Elle reste aujourd'hui encore chère aux parlementaires de la francophonie. Le plus beau compliment qui ait été fait à cette assemblée est à mettre au crédit d'Abdou Diouf, lorsqu'il a qualifié l'APF de « vigie de la démocratie au sein du monde francophone ».
Cependant, la francophonie ne se réduirait-elle pas à un groupe de notables et d'officiels accaparés par des débats bien éloignés des considérations de la vie quotidienne ? Cette question résume rapidement l'écueil qui se dresse sur le chemin de la francophonie. Elle s'applique d'ailleurs tout particulièrement aux parlementaires.
Qu'ils soient députés ou sénateurs, ils ont en effet pour réputation de sommeiller la plupart du temps. Au-delà de la plaisanterie, la menace est bien réelle. C'est pourquoi nous nous battons pour la contrer.
C'est dans cette optique que nous avons créé un Parlement des jeunes de la francophonie. Au moins une fois sur deux, lors de nos sessions annuelles internationales, chaque pays membre de la francophonie invite deux jeunes entre 18 et 20 ans. Ils sont choisis par leur section d'origine pour tenir un discours décapant. En effet, nous n'avons pas envie entendre combien sont grands et intelligents ceux qui les ont invités. Nous voulons entendre ces jeunes sur leurs attentes vis-à-vis des parlementaires dans ce nouveau siècle en construction.
Pour un secrétaire général, ces moments sont certainement à ranger parmi les plus intéressants de sa fonction. Un dialogue sans concession s'instaure bien souvent avec ces jeunes. Ils nous bousculent et, avouons-le, nous devons parfois les remettre à leur place. Les parlementaires ont eux aussi des choses à dire de façon parfois vigoureuse. Lors de l'assemblée générale de la session des jeunes du Parlement de la francophonie, à Niamey, nous avons assisté à un débat passionnant entre jeunes Africains, Européens, du Vanuatu ou des provinces septentrionales du Canada. Même s'ils n'avaient pas l'impression de provenir tous de la même planète, ils partageaient tous une même volonté de construire un futur commun. Le simple fait de les écouter nous a beaucoup enrichis.
Nous sommes également en train de créer un réseau des femmes parlementaires de la francophonie. Cela va dans le sens de l'émergence d'une préoccupation globale. Nous aspirons tous à voir les femmes prendre toute leur place dans la gestion politique de nos Etats. Là aussi, c'est pour nous très enrichissant d'entendre ces femmes discourir, dialoguer et nous faire part de leur vision particulière de l'avenir.
Parce que nous ne pouvons nous permettre d'être hypocrites, nous avons choisi d'apporter un soutien total à certains combats. La francophonie se compose d'Etats du Nord riches et d'Etats du Sud plus pauvres. En aucun cas, nous n'accepterons que cette organisation ne se transforme en outil pour les Etats du Nord permettant de trouver un appui politique auprès des Etats du Sud, tout en les laissant dans leur misère. Si tel était le cas, nous ne serions pas dignes des valeurs que nous prétendons incarner. Notre soif de débat sur les questions de développement ne peut être étanchée. Des questions telles que la pandémie de SIDA ne sauraient nous être indifférentes. Nous avons développé sur ce thème un réseau de parlementaires afin de pousser les gouvernements à s'accorder sur une véritable politique mondiale de lutte contre le SIDA.
Nous nous battons pour ne pas être coupés des questions d'actualité. Dans cette optique, la création d'un festival de la francophonie, sous la houlette de Monique Veaute nous réjouit tout particulièrement. Au-delà des parlementaires, des notables et des officiels, la francophonie est en effet l'affaire de tous ceux qui ont pour langue maternelle le français ou qui ont choisi cette langue de manière délibérée mais aussi de tous ceux qui pensent en français ou qui, plus simplement, s'intéressent au sens des mots dans cette langue.
A l'instar de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, nous faisons tous de la francophonie sans le savoir. Voici l'occasion de le dire pour une fois haut et fort. Utilisons toutes les formes de l'art, du spectacle et du dialogue pour faire vivre la francophonie. Je ne peux que me réjouir de ce formidable brassage d'idées et d'expériences autour de ces événements si divers. Il est tout naturel que le Sénat prenne sa part dans ce festival.
Que, pendant la durée de ce festival, vivent la francophonie et les mots de notre langue. Lorsque je parle de notre langue, je ne parle pas de la langue des français, mais bien de celle qui est partagée dans le monde entier par ceux qui veulent échanger des idées, des envies et des espoirs en langue française. Tous ensemble, nous apporterons notre pierre à la construction de ce nouveau siècle.
Maria FERNÁNDEZ-SANTAMARÍA, Secrétaire générale adjointe de l'Organisation
des Etats ibéro-américains
Avant toute chose, je me dois de féliciter les organisateurs de ce grand festival de la francophonie et plus particulièrement de ce colloque, auquel a été si aimablement invitée l'organisation que je représente. Cette invitation est d'autant plus appréciée qu'elle me donne l'occasion de vous parler de la problématique de la culture et de la mondialisation dans le contexte ibéro-américain.
Une phrase de Dominique Wolton, reprise dans la présentation du colloque, a particulièrement attiré mon attention, car elle illustre parfaitement le rôle de la culture dans la recherche de la paix. Dominique Wolton affirme en effet qu'« organiser la cohabitation culturelle est une des conditions de la paix. » Encourager cette cohabitation pacifique entre les cultures des pays qui composent la communauté ibéro-américaine des nations et renforcer le dialogue de cette dernière avec d'autres espaces culturels est l'un des objectifs prioritaires de l'Organisation des états ibéro-américains pour l'éducation, la science et la culture (OEI).
L'Ibéro-Amérique, de même que la francophonie, est le fruit de l'histoire. Elle a commencé à se tisser voilà plus de 5 siècles, au fil des rencontres entre les peuples et de leurs rivalités. Elle s'est soldée par l'établissement d'une base culturelle, linguistique, sociale et religieuse commune. En somme, une identité culturelle commune s'est peu à peu formée. C'est elle qui a permis d'assurer la coexistence pacifique au sein de cette aire, malgré les différences ethniques que nombre de pays renferment.
Parallèlement, elle a préservé et développé ses racines précolombiennes. De nos jours, cette tendance accompagne un nouvel essor, dans lequel la diversité culturelle est considérée comme une richesse à même de contrecarrer une excessive homogénéisation, qui est souvent perçue comme la conséquence de la mondialisation.
Si l'Ibéro-Amérique est le fruit d'une longue histoire, celle du concept de communauté ibéro-américaine des nations est nettement plus courte. Ce concept est né sur les bases de l'OEI, créé en tant qu'organisme de coopération technique en 1949, soit un an seulement après la naissance de l'UNESCO. Depuis lors, il a joué un rôle indéniable dans le domaine relevant de sa compétence, par le biais d'échanges d'expériences, de débats et d'un dialogue entre ses membres. Il n'est pas étranger à l'universalisation de l'éducation fondamentale dans cet espace. Il reste cependant encore beaucoup à accomplir.
La dénomination de communauté ibéro-américaine des nations a été utilisée pour la première fois en 1985. Son véritable développement ne date cependant que de 1991, date à laquelle s'est tenu le premier sommet ibéro-américain des chefs d'Etat et de gouvernement, à Guadalajara au Mexique. C'est à ce moment que débute véritablement la construction de cette communauté. Cela dit, malgré les déclarations ambitieuses des chefs d'Etat, elle n'a été dotée d'un support institutionnel fort que l'an dernier, avec la création du secrétariat général ibéro-américain (SEGIB). Ce dernier a donné un nouveau souffle et une continuité politique dont semblaient manquer ces sommets. En effet, jusqu'alors, les sommets ne traitaient que des domaines de coopération technique et n'instauraient pas de véritable concertation politique.
Nos langues officielles sont l'espagnol et le portugais. 22 pays composent cette communauté à cheval sur deux continents (19 en Amérique et 3 en Europe, à savoir l'Espagne, le Portugal et Andorre, qui vient de rejoindre l'Organisation). L'une des caractéristiques de cette communauté est sa continuité dans l'espace géographique. En Amérique, tout voyageur peut aller du Rio Bravo, au sud des Etats-Unis jusqu'à la Patagonie en ne parlant qu'une seule langue ou deux, en passant par le Brésil. En Europe, les trois pays membres sont des voisins de la péninsule ibérique.
Cette communauté culturellement authentique partage avec d'autres espaces culturels des valeurs et des aspirations. C'est plus particulièrement le cas avec la francophonie et la Lusophonie, avec lesquels elle a entrepris depuis quelques années une coopération dénommée « trois espaces linguistiques » (3EL). Outre la SEGIB, elle rassemble la Communauté des pays de langue portugaise, l'Union latine et l'Organisation internationale de la Francophonie. Ses membres partagent plus que des affinités linguistiques. Ils se sont engagés en faveur de la reconnaissance des droits culturels universels, notamment lors du débat sur la Convention pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée récemment par l'UNESCO.
La Convention, tout comme notre coopération, illustre une tradition transfrontalière, devenue incontournable en ces temps de mondialisation. Nous nous devons d'établir des règles du jeu permettant de renforcer l'existence des cultures et leur développement créatif.
Nous avons basculé dans le XXIe siècle confrontés à un changement qui nous perturbe profondément. Ce constat n'est en rien un cliché. Les nouvelles technologies accélèrent de manière vertigineuse le progrès, modifiant par là même notre conception de l'espace et du temps. Les innovations techniques, comme la découverte du génome humain, des cellules mères ou du clonage, l'internationalisation de l'économie, la dématérialisation des échanges financiers et l'immigration des travailleurs sont autant d'éléments qui contribuent et participent à ce phénomène de mondialisation. Les cultures ne sont pas épargnées par ce mouvement. Elles en constituent en réalité un enjeu déterminant.
La mondialisation s'est traduite par l'effacement de l'Etat-nation dans sa conceptiontraditionnelle, avec des frontières délimitées en fonction d'un territoire et d'une culture nationale facteurs d'identité. Aujourd'hui, ce concept se voit dépassé par la nécessité de se regrouper en blocs régionaux. Dans le même temps, les mouvements locaux réaffirment leur idiosyncrasie, de façon compétitive ou complémentaire, à la recherche d'une reconnaissance de leur identité. Se référant à l'Ibéro-Amérique, l'auteur barcelonais Eduard Delgado affirme à ce propos : « Si l'on parle aujourd'hui de société de la connaissance, en réalité, il s'agit d'une société qui manque justement de reconnaissance ».
L'articulation de la pluralité requiert donc une reconnaissance mutuelle et une base d'égalité, afin d'établir des liens entre les projets culturels. En vérité, tandis que nous prêchons l'égalité entre les individus, nous n'en faisons pas de même avec les cultures. De fait, la lutte pour la défense et la reconnaissance de la diversité est assez récente. Le boom de la différence et le combat pour la diversité implique que bon nombre de domaines d'affirmation culturelle ou identitaire qui relevaient auparavant de la négociation privée sont aujourd'hui du ressort de la société civile.
La Convention de l'UNESCO constitue la reconnaissance universelle de cette lutte pour la défense de la diversité. Elle doit s'adapter aux différents espaces régionaux. C'est pourquoi nous travaillons en ce moment à partir des conclusions du dernier sommet ibéro-américain à l'élaboration d'une Charte culturelle qui répond aux besoins de la communauté ibéro-américaine. Elle s'appuiera sur un engagement pour la reconnaissance et la protection des droits culturels, par le biais d'un cadre de solidarité et de coopération.
La diversité constitue certainement la principale richesse de l'Ibéro-Amérique. Son originalité réside dans le fait qu'elle ne juxtapose pas simplement des cultures différentes. En fait, elle est le fruit d'un système intégré, peut-être même le plus intégré de la planète. Ce système instaure un équilibre entre unité et différence et constitue un facteur de dynamisme et de créativité. Il est le fruit d'un processus de syncrétisme et de métissage culturel. Nous n'avons pas pour volonté de faire croire que cet ensemble est homogène. Nous voulons mettre en évidence la diversité de ses traditions. Son unité géographique transnationale ne vaut que si elle souligne sa pluralité interne.
A leur tour, ces expressions culturelles ne peuvent plus se limiter au simple terrain local, car elles ont été redéfinies par le processus de mondialisation. Nous avons par conséquent mis l'accent sur son pluralisme et sa diversité en tant que richesse pour cet espace. Nous avons aussi parallèlement utilisé le terme d'égalité. Même si à l'origine l'usage de ce terme se limitait à l'égalité culturelle, nous avons pour ambition de l'étendre à son acception sociale.
L'Amérique latine souffre en effet d'un cruel déficit d'égalité sociale. Il constitue certainement sa plus grande faiblesse face à la mondialisation. Cette vérité ne s'applique certes pas à toute l'Ibéro-Amérique, mais elle se révèle particulièrement pertinente pour qualifier l'Amérique latine. Cette dernière regroupe des pays inégaux aux performances économiques inégales. L'inégalité s'applique d'ailleurs aussi bien à une comparaison entre pays qu'à l'intérieur d'un même pays. C'est ce qui lui vaut aujourd'hui d'être considérée par la CEPALC (Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes) comme la région où règnent les plus grandes inégalités.
Pour contrer cette tendance, une série de lignes directrices a pu être définie. Le fait d'assumer le multiculturalisme comme une réalité et une valeur, l'action proactive non discriminatoire dans le domaine culturel et l'instauration de politiques en faveur de ceux qui subissent des discriminations sur des bases ethniques, sexuelles ou autres figurent au nombre de celles-ci. Pour être pleinement efficaces, elles doivent s'accompagner de politiques sociales justes et d'une politique fiscale proportionnelle et redistributive pour les pays qui le nécessitent.
En réalité, cette politique vise à promouvoir l'égalité tout en affirmant la différence. Elle veut en outre assurer la satisfaction des besoins essentiels permettre aux individus de jouir de droits sociaux. Ceci suppose une politique proactive dépassant le cadre culturel. Elle touche ainsi par exemple à l'éducation, en instaurant un bilinguisme dès l'école là où ni l'espagnol ni le portugais ne sont la langue maternelle.
L'accès aux nouvelles technologies des peuples indiens ou afro-latins doit leur permettre d'accéder à la société de connaissance et de développer les communications à l'intérieur même du territoire concerné. Il suffit pour s'en convaincre de considérer le rôle joué par Internet dans l'organisation du mouvement du Chiapas.
Dans le domaine de l'emploi, les Indiens et Afro-Latins souffrent d'une discrimination flagrante. De même, les services sanitaires doivent se rapprocher de ces populations et s'adapter à leurs besoins particuliers, en acceptant et en reconnaissant la pharmacologie traditionnelle.
Outre le fait d'accompagner ce processus, la communauté ibéro-américaine assume un rôle volontariste dans le développement des régions par le biais de dix programmes prioritaires. Parmi ceux-ci et dans le domaine culturel, nous devons citer Ibermédia, qui a permis l'essor rapide de l'industrie cinématographique ibéro-américaine.
D'autres grands programmes sont en cours d'élaboration dans le domaine de l'éducation. Le plan ibéro-américain d'alphabétisation vise à éradiquer totalement l'analphabétisme d'ici 2015 et met en outre l'accent sur le retour de ces personnes sur le marché de l'emploi. D'autres encore contribuent au renforcement de l'enseignement supérieur et de l'innovation scientifique et technologique. Ils encouragent la coopération sur la base de la complémentarité et du principe du bénéfice mutuel.
Avec tous ces éléments à notre disposition, nous espérons que la voix de la communauté ibéro-américaine sera pleinement entendue. Nous n'oublierons pas les paroles de Gabriel Garcia Marquez, lorsqu'il reçut le prix Nobel de littérature : « Que les lignées condamnées à cent ans de solitude aient maintenant et pour toujours une seconde chance sur la terre ».
Cassam UTEEM, Ancien président de la République de Maurice,
membre du Haut Conseil de la Francophonie
C'est pour moi un très grand plaisir de me trouver parmi vous pour l'ouverture de ce colloque qui a pour thème « la mondialisation, une chance pour la francophonie ». Je voudrais en tout premier lieu remercier le président du Sénat Christian Poncelet et le sénateur Jacques Legendre, secrétaire général parlementaire de la Francophonie pour l'accueil très chaleureux qu'ils ont réservé à tous les participants. C'est l'amicale invitation de Dominique Wolton qui est à l'origine de ma présence à ce colloque aujourd'hui. Il est en quelque sorte devenu mon complice aux réunions du Haut Conseil de la Francophonie. Il m'a donné pour seule consigne d'éviter la langue de bois.
Le festival francophone en France, voulu par le président de la République française Jacques Chirac marque de fort belle manière le centenaire du chantre de la négritude, le président poète sénégalais Léopold Sédar Senghor. Nous lui devons, ainsi qu'à Hamani Diori du Niger et Habib Bourguiba de la Tunisie, la Francophonie institutionnelle et le rêve d'une aire de partage, de partenariat et de solidarité francophone, bien avant l'émergence du mouvement de mondialisation.
La Francophonie est faite d'une soixantaine d'Etats et de quelque 180 millions d'hommes et de femmes éparpillés à travers le monde et présents sur les cinq continents. Dominique Wolton avance pour sa part le chiffre de 700 millions de personnes pour ce que l'on appelle désormais la francosphère. La francophonie revêt donc un caractère universel et a pour trait particulier la diversité. Cette diversité est tout autant ethnique que linguistique, culturelle ou religieuse. Elle est en réalité sa richesse, à nulle autre pareille. Peu connue en France, pour laquelle elle serait, selon le mot du Professeur Michel Guillou « une préoccupation accessoire », souvent très mal perçue en dehors de l'Hexagone, car aux yeux de certains, elle s'apparenterait au néocolonialisme français, la francophonie souffre de l'histoire coloniale de la France, qu'elle traîne comme un boulet au pied.
Elle souffre également d'un déficit de communication qu'il est temps de combler. Sous la houlette du secrétaire général, le très avenant président Abdou Diouf, l'Organisation internationale de la Francophonie s'est dotée d'une nouvelle Charte et d'une nouvelle structure. Il est primordial de communiquer afin de lever les ambiguïtés qui persistent à son sujet et qui masquent la noblesse de la mission de l'OIF et l'efficacité de son action notamment en faveur de la paix, de la démocratie et des droits de l'homme.
Il est d'autant plus important de le faire que les pays qui la constituent ont aujourd'hui de grands défis à relever. Celui de la mondialisation de l'économie est le premier d'entre eux. C'est avant tout à la France qu'il revient de plaider devant les instances internationales la cause des pays membres en panne de développement. Cette mondialisation irréversible est pour certains pays le moteur de leur développement et de leur richesse. Pour d'autres, plus nombreux et plus pauvres, elle représente un facteur aggravant les inégalités et la marginalisation.
Les effets pervers de la mondialisation sur les pays les plus pauvres, dont ceux membres de l'OIF en Afrique, ne sont que trop visibles et palpables. Trop peu de progrès ont été réalisés de par le monde depuis l'adoption en l'an 2000 par 182 pays des objectifs du millénaire. Ils visent notamment à réduire d'ici 2015 de moitié la grande pauvreté. En Afrique subsaharienne, 44 % de la population vivent toujours dans l'extrême pauvreté, c'est-à-dire avec moins d'un dollar par jour. C'est exactement le même chiffre qu'en 1990. L'amélioration de l'espérance de vie dans ces pays n'aura été qu'éphémère. 10 millions d'enfants continuent de mourir chaque année de maladies pour lesquelles il existe pourtant un traitement. La pandémie du SIDA n'est pas la seule à faire plusieurs dizaines de millions de victimes chaque année. En Afrique, la pauvreté aussi tue.
Le plus grand défi à relever au cours de ce millénaire est donc le combat contre la pauvreté. Il n'est pas interdit de rêver de réussir aujourd'hui là où nous avons jusqu'à présent échoué. Certes, ce combat constitue un enjeu politique majeur, mais pour le réussir au-delà des paramètres économiques, nous avons besoin d'une autre mondialisation. Cette autre mondialisation est celle que décrit Dominique Wolton, de même que les altermondialistes. Elle doit permettre la cohabitation des diverses traditions dans le respect des droits de l'homme, de la démocratie et du développement durable et faire primer la solidarité. Il s'agit en quelque sorte d'une mondialisation à visage humain.
Telle qu'elle est aujourd'hui constituée, la Francophonie a la chance de compter en son sein des pays riches. Quelques-uns d'entre eux sont d'ailleurs membres du G8. C'est à eux de défendre les intérêts de ceux qui souffrent de la faim et de la maladie devant les organismes mondiaux tels que la Banque mondiale ou encore le Fonds Monétaire International, chargé du développement durable des pays. Il devrait en aller de même devant l'OMC, afin que la libéralisation du commerce international ne soit pas à sens unique, mais, au contraire, favorise le libre accès aux marchés occidentaux des produits provenant des pays pauvres de la francophonie. Ils ont aussi pour charge de respecter et de faire respecter l'engagement pris par les pays de l'OCDE de consacrer 0,7 % de leur budget à l'aide publique au développement.
La mondialisation se limite aujourd'hui quasi exclusivement à l'économie. Cependant, dans un monde plus ouvert, et, par conséquent, plus incertain, la francophonie peut en apportant un peu d'humanisme devenir une chance pour la mondialisation. Si certains analystes parlent de seconde ou de troisième mondialisation, il faut reconnaître que celle en cours est d'une envergure jamais connue jusqu'alors.
Elle s'appuie en effet sur la mondialisation médiatique, qui reflète la mise en réseau des infrastructures de communication pour la diffusion des informations. Cette mondialisation médiatique est le produit de mutations technologiques, telles que la numérisation, l'Internet, les autoroutes de l'information, les fibres optiques ou encore les satellites.
Rappelons-nous qu'il y a peu de temps encore, c'est une autre mondialisation, celle qui a pour nom colonisation qui a contribué à implanter la langue française dans les régions où elle est parlée aujourd'hui. Fort heureusement pour elle, car elle compte 5 à 6 fois plus de locuteurs hors de France qu'en France. Malgré cette expansion hors des frontières de la France, le français ne compte pas parmi les dix langues les plus parlées dans le monde. Il pointe en réalité à la onzième place. Dans la liste des dix premières, on trouve bien évidemment le chinois, l'hindi, l'espagnol et l'anglais ainsi que des langues plus inattendues, comme le portugais, grâce au Brésil, et le bengali, langue officielle du Bengladesh.
Si le nombre de locuteurs d'une langue est déterminé par la superficie ou par la démographie, son rayonnement dans le monde est loin de l'être. C'est la raison pour laquelle le français est aujourd'hui bien plus présent dans le monde que le portugais et le bengali. De là découlent la naissance de la francophonie et la création de nombreuses institutions privées et publiques pour la promouvoir.
L'histoire de la francophonie indique qu'elle fut pendant quelque temps traversée par un courant de pensée et d'action passéistes. Elle se concevait alors comme un mouvement de repli sur soi et ressemblait à un club privé où les arrière-pensées géopolitiques et les tentations hégémoniques n'étaient guère absentes. Cette conception a prévalu dans le monde francophone pendant de nombreuses années et a suscité le doute et la suspicion.
L'actuel courant de pensée moderne s'avère diamétralement opposé au premier. La francophonie devient ici une ouverture vers les autres. Elle favorise les échanges et les rencontres avec les autres peuples, les autres cultures du monde et les autres aires linguistiques. C'est autant la promotion de langue française que le développement d'un véritable espace de coopération et de solidarité qui sont ici visés. Cette conception a longtemps été minoritaire au sein de la francophonie. C'est pourtant la voie de l'avenir.
La mondialisation a déjà par le passé contribué au rayonnement et à l'expansion de la langue française et par conséquent de la francophonie. Qu'en sera-t-il de la mondialisation en cours ? Elle ne sera une chance pour la francophonie qu'à plusieurs conditions. Je me bornerai ici à en examiner trois.
La première réside dans la reconnaissance et la promotion de la diversité culturelle et le refus de l'uniformisation. Depuis le sommet francophone de Maurice en 1993, alors que l'on érigeait en principe l'exception culturelle, le concept de diversité culturelle a fait son chemin. L'UNESCO s'y est attelée, et, lorsque, le 21 octobre de l'année dernière, à l'occasion de son Assemblée générale, eut lieu la signature de la Convention reconnaissant le principe de respect de la diversité culturelle, la francophonie pouvait légitimement la présenter comme une de ses belles réalisations.
Cependant, cette reconnaissance de la diversité culturelle est loin d'être acquise en France même ou dans la relation qu'entretient la France avec ses anciennes colonies. La France, berceau de la langue française et de la francophonie, doit aussi revoir ses rapports avec les autres langues telles que le créole, la langue la plus parlée et la plus vivante de ses langues régionales. Le français et le créole entretiennent des liens que l'on pourrait qualifier d'organiques. Le français est en quelque sorte la mère et le créole le fils. « Les fils ne renient pas leur mère », nous dit l'écrivain mauricien Philippe Forget. La réciproque est-elle vraie ?
Les francophones doivent aussi revoir leur rapport avec les cultures, quelles qu'elles soient. Il ne faut toutefois pas s'arrêter au multiculturalisme qui montre déjà ses limites dans les pays où il a été institutionnalisé, comme le Liban, la Grande-Bretagne et même l'Ile Maurice, dont on dit pourtant qu'elle a trouvé la formule de l'alchimie culturelle. Un autre auteur mauricien Issa Asgarally affirme dans son essai L'interculturel ou la guerre : « Le multiculturalisme est une simple juxtaposition ou mosaïque de cultures, de modes de vie. »
S'il est de loin préférable à l'affrontement interethnique et à la guerre civile, le multiculturalisme ne saurait suffire en ce début de siècle, car il peut devenir l'antichambre de l'ethnicisme. Dans une perspective multiculturelle, l'unité nationale devient au final la somme de toutes les gratifications ethniques. Le risque du multiculturalisme réside dans le fait de ranger des gens dans des boîtes et d'ethniciser notre vision de la société. On réduit ainsi la personne à une catégorie et l'individu à un collectif et on assigne des représentants à ces collectifs. Ces derniers sont alors les seuls à être habilités à parler au nom de leur culture respective. Le champ est alors libre pour que les fanatiques de tout poil imposent ce qu'Amin Maalouf décrit comme des « identités meurtrières ».
Par ailleurs, lorsque les gens vivent dans des compartiments mentaux, et parfois physiques, car les ghettos sont bien une réalité, lorsqu'ils voient la société en termes de tribus ou de communautés, les sentiments d'injustice et de frustration deviennent très vite catalyseurs d'une explosion sociale.
La deuxième condition consiste en la libre circulation des personnes et des biens. Jusqu'ici, la mondialisation se limite à la circulation des biens, et particulièrement depuis les pays riches vers les pays pauvres. La francophonie, dans le cadre de la mondialisation, pourrait faciliter la circulation, à la fois des personnes et des biens.
La libre circulation des personnes implique avant tout l'obtention de visas d'entrée pour les étudiants, les chercheurs et les artistes dans le monde francophone. Ne pouvons-nous pas à l'instar du visa Schengen, en vigueur en Europe, instituer un visa francophone, tel qu'il a été récemment proposé par le président burkinabé Blaise Compaoré ? Ce visa francophone ferait office de traduction politique de la volonté de ses membres de créer une vraie communauté et une véritable union francophone.
La libre circulation des biens doit se traduire par la suppression des barrières protectionnistes dans les pays riches en tout premier lieu. Comme l'affirme Blaise Compaoré : « Dans le secteur de l'agriculture, où l'Afrique est forte, les subventions données à leurs agriculteurs par les tenants du libéralisme le plus orthodoxe ruinent les efforts des paysans africains. »
La troisième condition a trait à la solidarité dans un monde où le gouffre entre les pays riches et les pays pauvres ne cesse de s'élargir. Grâce à la mondialisation médiatique, nous en avons la preuve chaque jour sur tous les écrans du monde. Cette situation interpelle la francophonie.
La mondialisation économique et médiatique pourrait être une chance pour la francophonie, si celle-ci est fondée sur la vision que les langues et les cultures doivent rapprocher les peuples et les individus. L'économie n'est rien d'autre qu'« une science humaine », comme le rappelle le prix Nobel d'économie Amartya Sen. L'économie doit se mettre au service de l'homme.
En retour, la francophonie, cet humanisme intégral et cette « symbiose des énergies dormantes », comme nous le rappelle le président Abdou Diouf, pourrait être une chance, un espoir pour une mondialisation dominée par les lois inexorables du marché, irrespectueuse des langues et des cultures, aveugle, inhumaine et sans âme. Elle pourrait ainsi servir de rempart contre de nouvelles formes de servitude et d'abus.
Dominique WOLTON,
Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique,
membre du Haut Conseil de la Francophonie
En conclusion à cette séance, je voudrais citer cinq raisons qui font de la mondialisation une chance pour la francophonie. Premièrement, la mondialisation est souvent perçue comme un facteur positif sur le plan économique et négatif sur le plan social et culturel. Elle offre cependant à la francophonie la chance de retrouver ses racines mondiales. En réalité, l'histoire de la francophonie ne peut se réduire au siècle de la colonisation (1830-1960). Comme pour la lusophonie, l'hispanophonie et l'arabophonie, l'histoire de la francophonie remonte au XVe et au XVIe siècle.
Ses trois premiers siècles d'existence connaissent aujourd'hui une résurgence au travers de la mondialisation. C'est ainsi que la francophonie est amenée à revisiter l'histoire. Ce mouvement impose de mener à bien, puis de clore, le débat autour de la colonisation. Il impose par ailleurs de dépasser l'axe historique Nord-Sud, issu de la colonisation, pour faire émerger un axe Est-Ouest, marqué par les liens avec le Canada, d'une part, et les pays de l'Europe centrale et orientale, d'autre part, au moment où l'Europe s'élargit. D'ailleurs, le prochain sommet de la francophonie se tiendra à Bucarest. Ce choix doit être considéré comme un signe fort.
Deuxièmement, la francophonie se trouve aujourd'hui au coeur d'une troisième mondialisation, plutôt inattendue.
La première a vu le jour au sortir de la guerre, au travers de l'organisation de la communauté internationale. Ce terme en lui-même est tout simplement superbe. Il relie deux mots magnifiques. Le mot « communauté » implique en effet la cohabitation des hommes et des valeurs. Cette communauté internationale, dépréciée pendant la guerre froide, ressort aujourd'hui comme le seul cadre juridique, philosophique et normatif possible à l'heure de la mondialisation.
La deuxième mondialisation, à savoir l'ouverture économique, souhaitée par tous dans les années 80, a été perçue ensuite comme une idéologie. C'est l'avènement de l'altermondialisme qui a permis de sortir de cette dimension idéologique.
La troisième mondialisation était à l'origine passée assez inaperçue. Elle se traduit par la multiplication des conflits de ce que j'appelle le triangle infernal, identité, culture et communication. La francophonie, aussi bien dans sa dimension institutionnelle que dans son aspect communautaire, s'inscrit bien au coeur de ce triangle.
Naïvement, nous croyions autrefois que l'ouverture des marchés serait bénéfique. Si elle a permis un certain développement, elle s'accompagne aussi d'inégalités croissantes. Quoi qu'il en soit, les hommes semblent prêts à accepter une mondialisation économique à condition qu'elle ne détruise pas leurs racines. Les conflits, aux racines religieuses ou historiques aujourd'hui et linguistiques demain, risquent de s'étendre. La francophonie se trouve au coeur de cette « bataille à penser ». La francophonie, comme la lusophonie ou l'arabophonie, fait figure d'outil à même de contrer la résurgence d'une haine catalysée par la mondialisation de l'information.
Troisièmement, les aires linguistiques et culturelles pourraient devenir des facteurs de paix. Cette hypothèse demande toutefois à être confirmée par les événements. Autrefois, les aires linguistiques étaient des facteurs de puissance politique et militaire. Aujourd'hui, elles sont devenues des aires de coopération et de solidarité. Ceci dit, partager la même langue ne suffit pas à assurer la paix ou même la communication entre deux peuples. Il n'en reste pas moins que cela permet de se comprendre un peu mieux. A cet égard, le français et l'anglais sont aujourd'hui les deux seules langues véritablement mondiales, même si l'espagnol et le portugais jouent eux aussi un rôle de tout premier plan.
Cet objectif de pacification ne pourra être atteint qu'à condition d'adopter une vision moins étroite de la langue française. Nous restreignons trop souvent la définition du français à sa seule acception française. Pourtant, en réalité, la francophonie possède un atout majeur en sa capacité de démontrer chaque jour l'inventivité, la créativité et l'intelligence de tous ceux qui parlent français à travers le monde. C'est ainsi que s'enrichit l'identité linguistique et que s'élargit l'identité culturelle française. Les Espagnols, les Portugais et les Anglais on su accepter un tel élargissement. De toute évidence, ce dernier ne met nullement en cause leur identité linguistique. Le français éprouve quelques réticences à se laisser entraîner sur le même chemin.
Quatrièmement, dans le domaine de l'économie, la francophonie s'est illustrée par ses prises de position en faveur du développement durable. La francophonie rassemble quelques pays riches et de nombreux pays pauvres. Son intervention dans le domaine de l'économie n'en est que plus remarquable.
Sur ce terrain économique, elle doit maintenant pousser les grandes entreprises multinationales à se comporter en agents de la francophonie. J'ai la conviction en effet qu'une multinationale francophone n'adopte pas les mêmes comportements qu'une multinationale américaine, anglo-saxonne ou néerlandaise. Elle peut démontrer une certaine tolérance dans le domaine des rapports entre économie, social et culture. De par l'impérialisme occidental qu'il convoie, le capitalisme devra demain faire face à une critique de plus en plus acerbe. Dans un tel contexte, notre capacité à démontrer que le modèle anglo-saxon n'est pas une fatalité constitue un atout indéniable.
De même, la francophonie semble à même de relever les défis de la mondialisation sur le terrain de la communication. Objectivement, elle a pris un certain retard. Alors que la politique, la langue et l'économie sont entrées dans le champ de compétences de la francophonie, il n'en va pas de même pour la communication. Pourtant, nous disposons d'atouts majeurs, tels que la radio. Sur terre, on compte 6,5 milliards de personnes et 4,5 milliards de postes de radio, 3,5 milliards de postes de télévision, 2 milliards de téléphones portables et moins de 1 milliard d'ordinateurs.
Sur ce plan, la francophonie semble être aussi mal à l'aise qu'une Europe, qui a aussi pour vocation de pacifier les relations entre États. Le seul instrument médiatique européen, Euronews apparaît aujourd'hui comme une belle réussite trop peu valorisée. Pour sa part, la francophonie peut se prévaloir de TV5, qui reste cependant sous dotée, de RFI et d'une chaîne internationale à venir.
Si la France et la francophonie ont pris toute leur part dans le combat mené à l'UNESCO pour l'adoption de la Convention sur la diversité culturelle, les grandes batailles restent à venir. Elles porteront sur la régulation des grandes industries culturelles et de leur concentration.
Au-delà de la défense de la langue, de la politique et de la culture, patrimoines classiques de la francophonie, l'économie et la communication devraient être maintenant particulièrement privilégiées.
En conclusion, la France possède des atouts qu'elle ne connaît pas. D'une part, la France est une société multiculturelle qui s'ignore. J'ai eu l'occasion de me pencher sur la valorisation de la place des « outre-mer » face à la métropole. Tout le monde s'en moque. La France est également multiculturelle grâce aux enfants de l'immigration, qui hélas n'ont pas été correctement intégrés. L'ascenseur social n'a de toute évidence pas fonctionné. Ce pays n'a pas accepté ou compris la richesse sociale et humaine qu'apportaient ces personnes. Les événements de l'automne 2005 auront cependant démontré qu'être français ne signifiait pas être blanc.
Les racines de la francophonie constituent pour elle un ultime atout. Il est étrange de constater que la France, qui forme le coeur de la francophonie et non le centre, ne réalise pas suffisamment l'intérêt de ces apports divers. Trop souvent, les francophones qui viennent en France n'ont pas l'impression d'être à leur place. Nous devons nous montrer plus généreux, car la France ne conservera demain son rang que grâce à la francophonie.
D'autre part, la France est tout de même à la tête du plus grand réseau culturel mondial, lorsque l'on additionne les centres culturels et les Alliances françaises. Là encore, nous n'avons pas suffisamment conscience de la force de ce réseau. Pour contrer cette tendance, encore faudrait-il que nous comprenions que la diversité culturelle joue dans les deux sens. En matière de visas, nous devrions effectivement être à l'avant-garde d'une politique d'ouverture des frontières. Les capitaux et les marchandises circulent, mais pas les hommes. Un jour, cette contradiction de la mondialisation sera dénoncée avec force et sera à l'origine de conflits politiques toujours plus violents.
En ce qui concerne la francophonie, personne n'a véritablement pris la mesure du succès de cette organisation très récente. Les premières actions de coopération ont en effet été entreprises en 1970 et ce n'est qu'en 1986 qu'a eu lieu le premier sommet des Chefs d'Etats et de gouvernements. De ce point de vue, les événements ont été plus rapides que les représentations et les stéréotypes. La francophonie est encore souvent considérée comme tournée vers le passé colonialiste. Il n'en est rien. Avec toutes les contradictions qui la traversent, la francophonie tente de dépasser le passé et surtout de penser les enjeux politiques du futur.
La francophonie ne s'imposera qu'à la seule condition de ne pas oublier ses racines historiques. C'est parce que des militants se sont battus pour son existence pendant plusieurs décennies qu'elle a pu voir le jour. Elle ne peut se permettre aujourd'hui d'ignorer la société civile et les militants. La francophonie appartient aux « institutions de troisième type », comme les appelle Boutros Boutros-Ghali. Aussi efficace que soit son organisation institutionnelle, ce n'est pas elle qui fait vivre cette institution. Ce sont ses racines plongées dans la société civile. Les enseignants jouent sur ce plan un rôle de tout premier rang. Avec les entreprises et les médias, ils constituent les piliers de ce mouvement.
Après avoir accompli beaucoup en l'espace de vingt ans, la francophonie est aujourd'hui à la croisée des chemins. Soit elle conforte ce qu'elle a entrepris, au risque de se refermer sur elle-même, soit elle accepte ce défi de la mondialisation, auquel cas elle changera de vitesse, de style et certainement de couleur. C'est dans cette deuxième optique que ce festival et ce colloque ont été pensés.
PRÉSENTATION GÉNÉRALE
Dominique WOLTON,
Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique,
membre du Haut Conseil de la Francophonie
Un paradoxe entoure aujourd'hui la francophonie. Au cours des dernières années, les événements ont pris de vitesse les représentations. Un stéréotype classique présente la francophonie comme une institution vieille, ringarde et dépassée. Cette préconception s'accompagne d'une critique contre un impérialisme rampant, survivance de l'empire colonial français. La réalité historique est pourtant tout autre. En 20 ans, nous avons assisté à un profond bouleversement.
En 1986, se tenait le premier sommet des chefs d'Etats de la francophonie, sous l'impulsion de François Mitterrand, qui est l'un des deux présidents français, avec Jacques Chirac à s'être véritablement investi dans ce sujet. Les premières institutions de la francophonie datent en réalité de 1970. C'est dire le caractère récent de ce mouvement. La fin de l'affrontement Est-Ouest dans les années 90, la mondialisation économique, qui s'appuie sur ce premier événement, la naissance d'un courant critique de la mondialisation autour de l'an 2000 et l'organisation institutionnelle très rapide de la francophonie montrent le chemin parcouru. En réalité, on a changé d'époque, de monde, de référence. La francophonie institutionnelle, non souhaitée d'ailleurs par la France, n'a rien à voir avec le néo-colonialisme. C'est plutôt un laboratoire de cette diversité culturelle qu'il faut construire.
Sur ce dernier plan, il faut rappeler que la francophonie est la plus vieille institution de ce type, après le Commonwealth, qui regroupe 53 Etats. La francophonie compte actuellement 63 membres, 180 millions de locuteurs pour un bassin total de près de 700 millions d'habitants. En 20 ans, elle s'est structurée et élargie mais a également étendu son champ d'intervention. Autrefois limité au seul domaine de la défense de la langue et de la culture, elle a pris position dans le combat pour la démocratie, au travers de la Charte de Bamako en 2000, et pour le développement durable, lors du sommet de Ouagadougou en 2006.
L'élargissement de l'Europe lui fournit aujourd'hui l'occasion d'affirmer son implantation. Jusqu'alors, elle s'organisait autour d'un axe Nord-Sud, et l'Amérique, auquel s'ajoute aujourd'hui un axe Est-Ouest. Grâce à cette présence, la francophonie figurera demain au rang des acteurs de premier plan de la mondialisation, même si elle n'est pas amenée à jouer le tout premier rôle. Pourtant, les stéréotypes subsistent.
Si la mondialisation représente une chance pour la francophonie, c'est avant tout parce qu'elle lui donne l'occasion de retrouver ses sources. Elle ne trouve en effet pas son origine dans les débuts de la colonisation, au XIXe siècle, mais bien avant, dès le XVIe siècle. Elle a connu en réalité trois époques. Du XVIe au XIXe siècle, la période de la colonisation et de la décolonisation et, aujourd'hui, l'époque de la francosphère. Cette francosphère pourrait se définir de manière simple comme la francophonie à l'ère de la mondialisation. C'est au cours de cette période qu'elle va renouer avec ses racines historiques et culturelles. La mondialisation lui offre ainsi la chance de sortir de son noyau historique et de dépasser ses contentieux.
En France, le débat nécessaire sur la colonisation et la décolonisation a connu une accélération au cours des deux ou trois dernières années. Au-delà de ce débat, nous allons reprendre langue avec toutes les racines et toutes les identités. Il est raisonnablement impossible d'aller de l'avant dans une utopie politique, telles l'Europe ou la francophonie, sans régler les questions laissées en suspens par le passé.
J'estime que les aires linguistiques et culturelles peuvent devenir des amortisseurs contre la mondialisation. Elles imposent en effet un minimum de solidarité. Cela vaut aussi bien pour la francophonie, que pour la russophonie, l'arabophonie, l'hispanophonie, la lusophonie, ou le Commonwealth. Ces acteurs nouveaux de l'histoire peuvent mélanger histoire, langue, culture et projets politiques et économiques.
Cependant, la langue constitue-elle un élément de solidarité suffisant pour fonder la francophonie ? Nous savons tous que non. Malgré une langue en partage, le sort réservé aux immigrés en France illustre tristement ce constat. Il faut en plus de la langue des valeurs à partager. C'est tout l'intérêt et le défi posé à la francophonie à l'heure de la mondialisation. Quelles valeurs viendront compléter les liens créés par l'usage d'une même langue et le partage d'un patrimoine historique commun ?
Quoique positives, les mutations institutionnelles rapides de la francophonie font surgir un nouvel écueil, à savoir le risque de bureaucratisation excessive de l'organisation. Cette menace n'est pas propre à la francophonie. Elle est en réalité bien connue de toutes les institutions internationales. Une bureaucratisation excessive met en péril les racines qui plongent dans la société civile et le militantisme. Or une organisation internationale ne saurait perdurer sans ces racines.
C'est à ces deux conditions, à savoir l'enracinement dans une histoire mondiale et l'ancrage dans une utopie, que la francophonie pourra sortir de l'histoire des XIXe et XXe siècle et jouer un rôle actif dans le XXIe siècle.
La diversité culturelle représente un défi formidable pour la francophonie. L'UNESCO a voté la reconnaissance du principe de la diversité culturelle. Il est aujourd'hui nécessaire de la faire vivre entre Etats et communautés. Cela n'est pas simple, car tous les regroupements retrouvent en leur sein ce problème de diversité culturelle interne. Sans monopole sur cette notion, la francophonie essaie aujourd'hui de devenir un opérateur de cette diversité culturelle. Pour obtenir un statut d'acteur au niveau mondial, elle doit se montrer capable de gérer en interne ses propres contradictions.
C'est en cela que la francophonie devient un laboratoire de la diversité culturelle. Si elle n'explose pas, sous la pression des antagonismes entre riches et pauvres, elle prouvera qu'il est possible de dépasser le démon des divisions et des guerres. Simultanément, elle figure au rang des acteurs de cette diversité culturelle qui reste à écrire, au même titre que les autres aires linguistiques et culturelles.
Le but de ce colloque est de définir des pistes pour gérer au mieux ce laboratoire, en interne, comme sur la scène internationale. Pour être capable de relever le défi qui est le sien, la francophonie doit agir prioritairement sur trois secteurs.
L'ENSEIGNEMENT
Sa revalorisation constitue un enjeu primordial. En effet, une langue ne saurait vivre sans les hommes et les femmes qui l'enseignent. Ce sera d'ailleurs le thème du sommet des chefs d'Etats de la francophonie de Bucarest en septembre prochain.
L'ÉCONOMIE ET LE TRAVAIL
Ce thème touche aussi bien aux notions de développement durable qu'à l'action sur les grandes entreprises mondialisées. Ces dernières ont aussi un rôle à jouer dans la bataille de la diversité culturelle. La francophonie doit parallèlement se lancer dans une réflexion sur le travail et le syndicalisme, qui restent des domaines peu explorés pour l'heure.
LES INDUSTRIES CULTURELLES ET LA COMMUNICATION
La francophonie souffre du fait qu'elle ne croit pas suffisamment en ses forces sur ces questions. La mondialisation est traversée par les enjeux des industries culturelles de communication, les enjeux financiers, les questions de la langue et de la culture. La francophonie doit être présente sur ce plan au travers de médias bien installés. Hélas, sur ce plan, le paysage reste assez vide. Seuls TV5, qui fait figure de réussite, malgré des moyens très faibles, Euronews, précis et fiable mais peu mis en valeur, et RFI ou encore Radio-Canada qui souffrent tous deux d'un manque d'intérêt de la part des gouvernements, composent le paysage francophone.
Ces trois chantiers doivent aider la francophonie à créer l'utopie dont elle a besoin aujourd'hui. Ils permettront d'unir le passé, lourd et facteur de divisions mais impossible à négliger, et l'utopie, qui est facteur d'avenir.
Les six tables rondes prévues pour ce colloque ont pour vocation de pousser la réflexion plus loin sur des thèmes bien particuliers. La première, sur la francophonie à l'échelle du monde, s'appuie sur le principe qu'il n'existe aucune frontière naturelle et que tous les territoires ont vocation à être explorés.
La seconde a trait aux racines mondiales de la France. Elle veut dépasser la séparation inutile entre les outre-mer et la francophonie. Comme les dix collectivités d'Outre-mer font partie intégrante de la France, les dirigeants français refusent d'utiliser les mêmes méthodes qu'ils utilisent dans le cadre de la francophonie face à des problèmes pourtant souvent identiques. Les racines mondiales de la France se retrouvent à la fois dans l'outre-mer et la francophonie mais aussi dans l'immigration, plus particulièrement en provenance de la côte sud de la Méditerranée.
La francophonie puise sa force dans ses réseaux humains, qui font l'objet de la troisième table ronde. Avec 408 centres culturels et 1 050 Alliances françaises, la France dispose du plus large réseau culturel de par le monde. Au nombre de ces réseaux humains, les médias et les universités ne sauraient être négligées. La coopération décentralisée doit elle aussi être ajoutée à cette liste. Elle fait figure de tout nouvel acteur sur ce plan.
La quatrième touche au combat politique pour des valeurs universelles. C'est le thème le plus évident pour la francophonie, depuis le sommet de Bamako. Si évident soit-il, il n'en reste pas moins complexe, car la francophonie est traversée de contradictions. Les conflits, les dictatures et les régimes autoritaires constituent autant d'écueils sur le chemin.
La cinquième table ronde se tournera vers l'avenir et ces secteurs qui auront besoin d'être développés pour une francophonie efficace, à savoir les médias et les entreprises. Les entreprises en liaison avec le développement durable et les entreprises mondialisées ont-elles aussi un rôle de premier plan à jouer dans ce mouvement. Il serait ainsi innovant de créer un club mondial des grandes entreprises francophones internationales, afin de sortir du seul modèle dominant anglophone. Les médias pour leur part font figure en quelque sorte de parent très pauvre de la francophonie et de la réflexion politique.
Enfin, la dernière table ronde portera sur le rôle des industries culturelles. Le 20 octobre 2005 était signée à l'UNESCO la Convention sur la diversité culturelle. Pour autant, la bataille n'est pas gagnée. Cette diversité culturelle doit maintenant devenir une réalité dans les faits et les actes. Cela passe par l'instauration de limites à la concentration et la régulation de l'Internet. Si elle ne s'accompagne pas d'un respect de la diversité linguistique et d'une organisation de la concurrence au niveau mondial, la diversité culturelle restera un principe sans application.
TABLE RONDE 1
LA FRANCOPHONIE À L'ÉCHELLE DU MONDE
Le débat est présidé par Philippe NACHBAR, sénateur de la Meurthe-et-Moselle, membre de l'Assemblée Parlementaire de la Francophonie (APF).
Il est animé par Pierre-Edouard DELDIQUE, journaliste à Radio France Internationale
(RFI).
Participent à cette table ronde :
Clément DUHAIME, Administrateur de l'Organisation internationale de la Francophonie,
Henri LOPES, Ambassadeur du Congo en France et écrivain,
Rt. Hon. Lord William PROSSER, ancien juge de la Cour suprême d'Ecosse, président de l'Association des juristes franco-britanniques,
Daniel BARBU, Doyen de la faculté des Sciences politiques de Bucarest.
Pierre-Edouard DELDIQUE
En tant que journaliste à RFI, j'ai la chance de pouvoir m'adresser à 44 millions d'auditeurs, francophones ou non. Ils ont tous en commun de s'intéresser à la francophonie et à la France. La francophonie ne connaît pas de frontières. Qu'ils viennent de Roumanie, du Congo, du Québec ou de l'Ecosse, nos interlocuteurs vont s'attacher à le démontrer.
Philippe NACHBAR
Habituellement, on assimile la francophonie à l'ancien empire colonial français. Communément, on arrête ses frontières à l'Afrique et l'Asie. C'est une erreur. De nombreux pays, qui n'ont aucun lien de près ou de loin avec ce passé colonial font partie intégrante de cette institution. La Roumanie en est un exemple concret. En ce qui concerne l'Ecosse, dont l'un de nos intervenants est originaire, les choses sont légèrement plus compliquées, puisque Mary, Queen of Scots, était au XVIe siècle reine de France. Ceci dit, elle n'a pas occupé les deux fonctions en même temps. Quoi qu'il en soit, le moins que l'on puisse dire est que le lien colonial entre les deux pays est extrêmement ténu.
La francophonie s'étend aujourd'hui bien au-delà des limites de l'ancien empire français. Elle n'a aujourd'hui plus d'horizon. Pour autant, elle ne nourrit pas l'ambition de rétablir l'universalité de la langue française. Certains nourrissent encore une certaine nostalgie de l'époque où, au XVIIIe siècle, on faisait discourir dans les universités de province sur l'universalité de notre langue. Nous entrevoyons aisément les limites d'une telle attitude. La langue française a tout de même un rôle important à jouer au cours des années à venir.
Pierre-Edouard DELDIQUE
En tout premier lieu, nous allons écouter l'interlocuteur le plus improbable, de par sa nationalité bien sûr, Lord Prosser, ancien juge à la cour suprême d'Ecosse, président de l'association des juristes franco-britanniques, francophone et francophile.
Rt. Hon. Lord William PROSSER
Il nous est difficile d'imaginer le monde dans sa totalité. Confrontés à sa diversité, nous simplifions tout et toujours. Nous saisissons ses traits les plus évidents, ceux dont les contours sont les plus nets. Nous avons ainsi tendance à considérer que les autres traits, plus flous, doivent s'accorder et se fondre dans les limites que nous avons choisies.
La cartographie que nous jugeons la plus pratique est certainement la cartographie politique. Elle dessine des frontières précises et chaque pays s'y retrouve affublé d'une couleur qui lui est propre. Dans ce monde soigneusement découpé, nous croyons que chaque parcelle représente non seulement un Etat, mais aussi une culture et un caractère spécifiques. Chacune de ces cultures nettement délimitées nous apparaît à la fois comme le parent et l'enfant d'une langue nationale. Elles peuvent aussi être rattachées à une ethnie ou à une religion particulière.
De tels préjugés nous amènent à penser que chaque nation possède une culture propre et que chaque culture peut et doit être protégée sur le territoire auquel elle est assimilée. Si l'indépendance ou la viabilité économique de l'une de ces entités nous apparaît comme menacée, nous craignons également pour sa culture.
Les faits contredisent largement les simplifications que nous nous autorisons à faire. Le temps n'est pas figé. Les guerres et les empires détruisent certains murs pour en construire de nouveaux ailleurs. Les grands mouvements religieux n'ont de cesse de briser les digues. Quoi qu'il en soit, au sein de tout groupe national, se trouvent enchâssés des groupes plus petits. Ces peuples revendiquent bien souvent leur indépendance culturelle et/ou linguistique.
De manière plus évidente encore, dans nos sociétés contemporaines, les puissances économiques se moquent des frontières. Nous voilà ainsi obligés d'accepter le fait que les frontières de nos pays sont fragiles, variables et inaptes à dessiner un cadre pour une identité culturelle durable. Au fond, nous devons nous demander si nos identités culturelles ne sont pas moins fragiles et changeantes que ne le sont les frontières branlantes qui limitent nos Etats politiques.
De manière plus fondamentale encore, pourquoi souhaite-t-on protéger nos identités culturelles et les préserver des influences extérieures ? La paresse et l'opportunisme sont-ils les seules raisons cette inquiétude ? Comment expliquer un tel manque de confiance dans la force de nos cultures ?
Nous tirons de meilleures leçons sur l'humanité et ses cultures voyageuses en examinant les cartes de géographie physique. Ces cartes ignorent en effet les frontières façonnées par l'homme. Elles révèlent celles que la nature nous a imposées. Nos habitudes et nos cultures sont en fait le reflet de notre environnement naturel et la résultante d'un climat tempéré ou équatorial, d'un relief montagneux ou plat ou encore d'une situation désertique ou littorale. Bien plus que notre ethnie ou notre citoyenneté, c'est notre environnement qui façonne nos habitudes et fonde nos cultures.
Même les propositions universelles se doivent de tenir compte des particularités physiques. Ainsi, dans De l'esprit des lois, Montesquieu définit quelques principes universels. Cependant, il était conscient du nombre d'adaptations pratiques nécessaires pour rendre applicables partout ces principes. De même, dans la philosophie écossaise, Adam Smith, dans La richesse des nations, établit lui aussi des principes universels sur le plan économique. Même si ses adeptes contemporains l'ont oublié, il savait à quel point tout dépend des variables humaines, telles que la compassion et la solidarité. Jean-Jacques Rousseau et David Hume, pourtant si différents, avaient tous deux compris que l'allégeance se fondait sur un choix et un consentement et non sur un pouvoir inflexible et irrésistible, pas plus que sur une nécessité économique.
Autrefois, le jus gentium proposait des règles précises. Mais, plus récemment, au XVIIIe siècle, avec la déclaration des droits de l'homme et la constitution américaine, puis au XXe siècle, au travers de la formulation de nouveaux droits humains, l'accent a été mis sur des principes plus généraux, des normes et des critères moins précis, en lieu et place de règles uniformes et rigides.
Enfin, en droit international, dans le champ vaste des cultures, classiques ou populaires, force est de constater que l'universalité reste faible, fragile et sans fondement. C'est la diversité qui en réalité lui donne toute sa force.
J'aime la France, les Français et la langue française, celle de Phèdre et celle de Zazie. J'ai cependant toujours considéré comme étrange la tendance, voire la manie, qu'ont les Français de parler de leur langue sur la défensive, avec pessimisme et en sous-estimant sa puissance. Sa diversité et son potentiel d'innovation en France et dans le monde sont pourtant indéniables. De même, je suis surpris de voir si répandue cette tendance à considérer en France la culture comme spécifiquement française. Selon certains, il serait nécessaire de la protéger contre les dangers extérieurs et parfois intérieurs.
On pourrait certainement m'objecter que c'est de ma langue, la langue anglaise, que le français cherche à se protéger et que c'est contre l'invasion culturelle anglosaxonne que le français cherche à ériger un bouclier. En réalité, je n'ai rien contre les exceptions culturelles. J'aimerais pouvoir effectuer le même constat que les responsables de la Francophonie. Vous m'assurez que la langue française, est multiple, vivante, riche et en pleine expansion partout à travers le monde. Selon vous, de nombreuses cultures partagent la langue française sous de nombreuses formes et expressions qui se chevauchent et se nourrissent mutuellement.
Des cultures aussi fortes et diverses ne devraient jamais craindre les incursions des autres cultures. J'oserais même affirmer que la culture anglo-saxonne n'existe pas. Ce terme cache en réalité soit un euphémisme pour désigner la culture américaine - si l'on admet toutefois que la culture américaine existe - soit un moyen de désigner une grande famille de cultures bien différentes, partageant, tout comme la francophonie, une langue multiforme.
Il n'est pas possible de tracer les limites d'une langue et d'une culture. Ainsi l'anglophonie et la francophonie abritent tous deux en leur sein des cultures très nombreuses et sans frontières.
Lors du Salon du livre de Paris, voilà quelques semaines, j'ai pu saisir mieux que jamais le parallèle entre l'anglophonie et la francophonie. La langue anglaise peut s'enorgueillir de l'existence d'une littérature indienne, trinidadienne, écossaise, irlandaise, anglaise ou encore américaine. Je n'évoque même pas la littérature des immigrés ou celle de nos banlieues. Chacune possède ses propres racines et offre ses propres spécificités linguistiques. Je ne saurais oublier toutes les formes d'anglais non littéraire à travers le monde.
Il en va de même pour la francophonie. Le festival francophone célèbre la diversité de toutes les formes d'expression artistique en langue française provenant des cinq continents. Il le fait non sous une forme défensive, mais en revendiquant cette diversité mondiale.
On dit que l'Ecosse a été le premier pays à être colonisé par les Anglais. Lorsqu'ils ont débarqué avec leurs armées, nous avons répondu avec nos philosophes. Si nous avons été les premières victimes de la colonisation, nous sommes ensuite devenus les premiers colonisateurs du monde.
Pendant des siècles, la culture écossaise, déjà composite, s'est enrichie au contact de la culture française. La France, comme l'Ecosse avait besoin d'un allié contre les Anglais. Or ce besoin se fit plus cruellement sentir en Ecosse. Ceci explique l'importance de l'influence française en Ecosse. La langue écossaise en garde la trace, au travers de nombreux mots. L'architecture elle aussi a subi l'influence française à l'époque. De même, notre système de droit reste le cousin du système de droit français avant sa codification.
Je me demande parfois ce que seraient devenus nos deux pays si François II et Mary Stuart avaient conçu ensemble un héritier commun à leurs deux couronnes. L'histoire en a décidé autrement. Nous sommes aujourd'hui unis à l'Angleterre. Nos trajectoires ont depuis divergé.
Comme partout, le désir de créer une union politique durable a fait naître chez les Ecossais minoritaires comme chez les Anglais majoritaires la volonté d'uniformiser la langue. Une répugnance pour la diversité était à l'origine de cette volonté. Cependant, force est de constater que cela n'a pas fonctionné. Les cultures minoritaires survivent toujours à l'élagage qu'elles subissent et renaissent même après leur mort apparente.
La langue partagée au Royaume-Uni reste une force inestimable, mais la vraie force des régions anglophones réside dans leur diversité. Une conclusion semblable peut être tirée pour la francophonie. En plus des pays purement francophones et des pays où le français est une langue minoritaire, l'Organisation internationale de la Francophonie pourrait peut-être accepter les habitants d'un pays comme le mien, qui sont un peu Français de par leur histoire et toujours francophiles, même s'ils restent de manière inexplicable non francophones.
Pierre-Edouard DELDIQUE
Je vous propose maintenant de franchir l'Atlantique pour donner la parole à Clément
Duhaime, administrateur de l'Organisation internationale de la Francophonie.
Clément DUHAIME
Aimé Césaire affirme qu'il existe deux façons de se perdre : par dilution dans l'universel ou par repli dans le particulier. Au-delà de ce constat qui résume si bien le défi auquel la Francophonie est aujourd'hui confrontée, je souhaiterais mettre en lumière trois éléments qui, à mon sens, permettent à la Francophonie de donner un visage humain à la mondialisation. Ils démontrent tous trois que la Francophonie ne connaît plus de frontières en se situant dans une vocation universelle.
Tout d'abord la diversité culturelle, qui est certainement le plus beau combat politique que la francophonie ait mené au cours de ces dernières années. Ce concept constitue une réponse extraordinaire à la pensée unique, au modèle unique et à la langue unique. Cette bataille lancée à l'origine par des francophones est rapidement devenue un combat universel. Dominique Wolton met d'ailleurs tout particulièrement l'accent sur cette notion dans son dernier ouvrage. Au départ, on parlait d'exception culturelle. Ce terme a été bien vite et, très avantageusement je crois, remplacé par celui de diversité culturelle.
Deuxième élément, étroitement lié au premier : la diversité linguistique. Sur ce plan, la Francophonie a reçu le renfort d'une alliance stratégique avec les autres communautés linguistiques. A tort ou a raison, la francophonie a longtemps été accusée de se replier sur elle-même, de ne mener qu'un combat pour une langue, le français, et contre une autre, l'anglais. Elle démontre le contraire aujourd'hui. Le cheminement vers l'adoption de la Convention sur la diversité culturelle à l'Unesco en est une illustration claire. L'alliance stratégique avec les hispanophones, les lusophones et audelà avec les arabophones et les russophones en est la traduction concrète. La francophonie a démontré au passage que l'ouverture était indispensable pour affirmer la pertinence de ses luttes. Cela dit, le combat pour la diversité culturelle et linguistique se poursuit car le processus de ratification et de mise en oeuvre de la Convention par les pays exige encore des efforts qui sont devant nous.
Le troisième élément, ou plutôt l'atout de la Francophonie dans le combat pour une mondialisation à visage humain, tient à l'évolution même de l'Organisation internationale de la francophonie. Cette institution jeune a connu un développement rapide. La jeunesse peut être bénéfique, à condition de ne pas oublier de retourner régulièrement à ses sources. Depuis le 1er janvier de cette année 2006, la mise en place d'une réforme institutionnelle importante a permis à la Francophonie de relever le défi au moment où elle célèbre le centenaire de son père fondateur le président Senghor. Elle se dresse maintenant sur ses deux pieds, comme l'affirmait récemment Abdou Diouf, à savoir le pied politique et le pied de la coopération. Cette construction est conforme au rêve de ses pères fondateurs, Léopold Sédar Senghor, Hamami Diori, Habib Bourguiba et Norodom Sihanouk. La solidarité peut s'exprimer, tandis que le politique nourrit la coopération.
Cette mutation institutionnelle était nécessaire notamment en raison de l'importance de la mission de la francophonie dans le domaine de la démocratie et des droits de l'Homme. La déclaration de Bamako est considérée comme un texte très exigeant. Elle impose à nos Etats et nos gouvernements des règles de bonne gouvernance, de démocratie et de transparence. Elle exige aussi des initiatives très fortes en matière de coopération.
Le cadre de coopération qui a été défini est en réalité un cadre rénové, impliquant parfois des partenaires avec lesquels n'avions pas l'habitude de coopérer activement. Il en est ainsi du Commonwealth, institution avec laquelle nous avons obtenu un financement commun de 18 millions d'euros de la part de l'Union européenne, afin de soutenir les pays ACP (Asie, Caraïbes, Pacifique) dans le cadre des négociations commerciales à l'OMC. De même, l'Union africaine est devenue un partenaire majeur de la Francophonie.
L'autre partenaire indispensable à notre action est la société civile qui doit retrouver aujourd'hui toute sa place dans notre mouvement. En 1970, l'institutionnel francophone est né de la société civile. Nous souhaitons qu'elle le bouscule pour éviter sa bureaucratisation.
L'avenir de la Francophonie, c'est sa jeunesse. Elle doit être davantage présente et
nous devons davantage l'impliquer dans la vie de l'Organisation. Déjà, notre portail jeunesse permet à plus de 30 00 jeunes francophones sur les cinq continents de dialoguer. Les Nations Unies ont d'ailleurs cité en exemple ce site. L'Assemblée parlementaire de la Francophonie anime un Parlement des jeunes et soutient dans chacune de ses sections la mise en place de tels lieux d'échange. Nous avons également soutenu la création et la mise en réseau de Conseils nationaux de la Jeunesse. Depuis le 1er janvier, à la demande du président Diouf, nous réfléchissons également à nous doter d'un programme de jeunes volontaires francophones. Il viendrait en appui de nos actions de terrain. C'est ainsi que nous leur ferons partager et vivre la différence. Ce programme ira bien au-delà des milliers de bourses de l'Agence universitaire de la Francophonie.
Le militantisme, à l'origine de cette maison, doit y retrouver toute sa place. Notre motivation est simple. Si l'on exclut le militantisme, l'institution peut survivre, les sommets peuvent aussi survivre, mais il n'y aura alors plus de francophonie. Si les jeunes ne désirent plus adhérer aux valeurs portées par cette langue, elle mourra.
Les textes qui ont présidé à la création de la francophonie dans les années 70 étaient clairs. Ils parlaient de « dialogue des cultures ». En 2006, nous parlons de « diversité culturelle ». Ce mouvement est bien la traduction concrète de ce retour aux sources. Nous nous sommes lancés d'imposants défis. L'un d'entre eux porte sur les industries culturelles. Faire vivre la Convention signée à l'UNESCO ne sera pas simple. Nous avons promis à de nombreux pays du Sud de les soutenir pour faire vivre chez eux la diversité culturelle, pour favoriser l'émergence de véritables filières professionnelles d'industries de l'édition, du cinéma et de la musique. C'est le volet solidarité de la Convention.
Je donnerai l'exemple que je connais bien, celui du Québec qui, dans les années 60-
70, a choisi de créer une société d'Etat chargée du développement d'entreprises culturelles. Sans elle, nous n'aurions pas aujourd'hui une télévision qui nous ressemble, un cinéma qui s'exporte, des artistes qui sont présents dans le monde entier.
Pourquoi cet exemple ne pourrait-il être imité sur le continent africain ? On pourrait aisément imaginer la production en Afrique de séries africaines exportées ensuite à travers le monde, tout comme le sont aujourd'hui les telenovelas brésiliennes. Il en va de même pour la musique, le cinéma, le design, l'artisanat. Si ces secteurs ne sont pas soutenus et développés, le concept de diversité culturelle restera une coquille vide.
Pierre-Edouard DELDIQUE
Je retiens notamment de votre intervention le rôle positif fort que vous accordez aux jeunes pour l'avenir de la francophonie. Par ailleurs, comme le soulignait Lord Prosser, nos discours trahissent un certain manque de confiance dans cet avenir. Le discours sur la francophonie est souvent un discours de repli et qui pointe une menace.
Notre tour du monde se poursuit maintenant avec un détour par le Congo. Henri Lopes est ambassadeur du Congo en France et écrivain. C'est à ce deuxième titre que j'ai eu l'honneur de le recevoir à plusieurs reprises sur RFI.
Henri LOPES
Lorsque j'ai reçu cette invitation, j'ai été tenté de refuser pour des questions d'emploi du temps, mais surtout parce que je me demandais ce que je pouvais dire de nouveau sur ce sujet. Malgré tout, je vais tenter de parler avec une touche africaine, mais aussi et surtout avec mon coeur. Parler avec coeur ne signifie pas dévoiler une certaine amertume. Je n'en ai pas.
J'entends souvent dire qu'il ne faut pas avoir peur de la francophonie, parce qu'elle ne se résume pas aux seules anciennes colonies. J'ai toujours envie de répondre que, même si tel était le cas, la francophonie n'en serait pas moins légitime. Il n'y aurait aucune honte à cela. Je le dis avec d'autant plus d'aisance que j'ai fait partie de ceux qui ont combattu l'empire français, alors que nous étions mal compris dans notre propre pays. L'idée d'indépendance faisait alors peur.
J'aimerais aujourd'hui que nous regardions l'histoire de manière apaisée. Lorsque je me plonge dans l'histoire de la francophonie, je retrouve l'histoire de mon peuple, ma propre histoire et les mêmes questions que lorsque je m'interroge sur l'histoire de l'Egypte et l'occupation de la Gaule par les Romains. Le Congo est tellement convaincu de cette nécessité qu'il s'apprête à rapatrier le 16 juin les cendres de Savorgnan de Brazza qui était jusqu'alors enterré en Algérie.
La francophonie est une idée et une réalité légitimes. On a souvent tendance à penser la francophonie comme un combat d'arrière-garde. Autrefois, le français était en effet une grande langue sur le plan diplomatique. Les exemples sont légion. Il suffit d'évoquer la cour de Catherine II, ou encore celle de Frédéric de Prusse pour s'en convaincre. Cela n'est plus le cas, mais aujourd'hui le monde compte plus de francophones qu'il n'en a jamais compté. Par le passé, le français était parlé dans de très nombreux pays, mais restait réservé à une élite réduite. A cette même époque, les Français eux-mêmes ne parlaient pas tous français.
Ceci dit, ce n'est pas le nombre de locuteurs qui fait le rayonnement d'une langue. Le chinois et l'hindi sont certes plus parlés que le français de par le monde, mais ces langues ne peuvent se prévaloir du même rayonnement que le français. Comme pour l'anglais, l'espagnol ou l'arabe, la force du français réside dans sa diffusion. Il y puise sa légitimité. Dans les enceintes internationales comme les Nations unies, c'est le critère de la diffusion qui a prévalu au moment de choisir les langues retenues par l'institution pour son fonctionnement.
Le français n'est pas simplement une langue coloniale. C'est en réalité une langue africaine, au même titre que l'arabe et l'anglais. Le Congo ne compte que 3 millions d'habitants, mais 42 langues. Un député congolais ne saurait aujourd'hui s'exprimer publiquement en lingala. Il courrait alors le risque de n'être compris que par une fraction de la population. Même si ces langues appartiennent toutes aux langues bantoues, le reste de la population ne serait pas en mesure de comprendre les nuances du discours. Un député n'a donc pas d'autre choix que de s'exprimer en français.
De même, s'il ne veut pas être considéré comme le représentant d'une tribu, ce député a tout intérêt à respecter la recommandation qui appelle à l'usage du français. L'hymne national congolais est ainsi chanté en français, comme dans les autres pays d'Afrique francophone. Les pays africains anglophones en font d'ailleurs de même. Cette attitude peut surprendre, dans la mesure où ces langues ont été apportées par le colonisateur.
La République démocratique du Congo, notre grand voisin, a voulu revenir à la situation de l'époque coloniale. L'alphabétisation se faisait alors en lingala, en swahili, en kikongo et en tshiluba. La tentative de Mobutu de réintroduire ces langues s'est soldée par un échec total. L'un de mes frères, certainement bien plus intelligent que moi et qui habite en RDC, n'a jamais fait d'études supérieures. Il le doit certainement au fait d'avoir été alphabétisé « dans la langue », comme on le dit chez nous. Cette partie de ma famille estime que la méthode qui lui a été appliquée revient à un maintien dans une sorte de « Bantoustan ». Au contraire, j'ai été alphabétisé dans la langue de
« mes ancêtres les Gaulois ». Cela m'a rapidement offert des opportunités.
Nous parlons mal le français. Nous faisons de nombreuses fautes et le mélangeons avec des termes provenant de langues africaines. Cependant, n'est-ce pas là aussi du français au même titre que celui qui est parlé à Paris ? N'oublions pas que l'anglais pratiqué en Australie est bien différent de celui qui est parlé à Londres, à Edimbourg ou à New York.
J'ai siégé à de nombreuses reprises dans les grandes réunions interafricaines. Les affinités politiques permettaient de constituer des groupes. Cependant, lorsqu'il fallait se réunir, invariablement, les francophones se retrouvaient ensemble, alors que, de l'autre côté, se rassemblaient les anglophones. Il était plus simple d'échanger de cette manière. Par ailleurs, dans des domaines tels que le droit, l'empreinte laissée par les cultures française et anglaise sont telles que nous éprouvons les pires difficultés à comprendre les positions de l'autre camp.
Le français est d'autant plus une langue africaine, qu'en 2015, un francophone sur deux sera africain. Tout retour en arrière est impossible en la matière.
La francophonie s'enrichit du métissage. Dans le domaine des lettres, la francophonie a enrichi la langue française. Je ne fais pourtant pas partie de ceux qui considèrent que la littérature française s'étiole peu à peu et dépérit. Nous avons apporté un souffle nouveau et fait pousser de nouvelles fleurs dans le jardin francophone.
Que manque-t-il à la francophonie pour être à la hauteur des défis mondiaux ? La francophonie ne saurait se contenter du verbe. C'est par son attitude et son action qu'elle deviendra convaincante. Pour cela, il faudrait commencer par faire perdre un peu d'arrogance aux défenseurs de la francophonie. Leur arrogance n'est en rien volontaire, mais elle trouble leur message. Cette position est exprimée avec violence par le Québécois Jacques Godbout dans le dernier numéro de la revue L'atelier du roman. Il y évoque son refus d'adhérer à la francophonie, en raison de cette prétention.
La francophonie doit démontrer qu'elle ne se résume pas à l'anti-anglophonie. Les Africains ont un rôle à jouer pour démonter ce préjugé, dans la mesure où ils devront bientôt tous devenir trilingues. Il leur faudra s'exprimer de manière correcte en français, en anglais ou en arabe et au moins comprendre de manière passive les deux autres langues, sans compter nos langues locales. Aujourd'hui, celui qui ne parle que français n'est pas un francophone.
Je n'adhère pas au discours qui prétend que le français véhicule des valeurs démocratiques. Toutes les langues ont la capacité de traduire et d'exprimer notre peine, notre colère, notre joie, la capacité de séduire une belle jeune fille ou de défendre une cause, quelle qu'elle soit. Aucune langue ne porte en elle des valeurs propres. Seules les cultures et les civilisations le peuvent. Evitons ce malentendu.
L'exception culturelle est aussi à ranger au nombre des malentendus. L'exception culturelle n'est pas française. Rouler à gauche, compter en yards et en miles et mesurer la température en Fahrenheit sont autant d'exceptions culturelles.
A l'avenir, il faudra intégrer la dimension francophone dans les politiques d'immigration. Cette recommandation ne vaut pas que pour la France. Les frontières des pays africains ne sont pas plus ouvertes que les frontières françaises. Cette question n'est pas simple. Le président Abdou Diouf s'est saisi de ce dossier. J'ai appris aujourd'hui à ce sujet que l'équipe du Togo, seule équipe africaine qualifiée pour la coupe du monde de football, n'a pu obtenir de visa pour se rendre à Berlin. L'ambassade de France au Togo a refusé de leur délivrer ce visa francophone, que nous appelons de nos voeux.
Pierre-Edouard DELDIQUE
A l'écoute de votre plaidoyer pour la langue française, je me demandais s'il était possible d'être francophone dans une autre langue que le français. Ainsi, RFI, pendant plusieurs heures chaque jour, diffuse des programmes en 18 langues différentes. Même s'ils sont réalisés dans une langue étrangère, ils véhiculent tout de même un contenu, des idées et une manière de voir. En Roumanie, par exemple, nous proposons des programmes en langue roumaine et des décrochages en français. Daniel Barbu est justement doyen de la faculté des Sciences politiques de Bucarest, autre bastion de la francophonie.
Daniel BARBU
En Roumanie et plus largement dans le Sud-Est européen, le choix de la francophonie est politiquement motivé par des raisons qui ont fluctué au cours des années. Ce mouvement s'est vérifié à plusieurs reprises dans l'histoire. La francophonie fait son entrée dans la région à la fin du XVIIIe siècle, alors que l'italophonie dominait. L'italien était en effet, dans les Balkans, et une partie du monde arabe, la lingua franca, la langue des marchands et des missionnaires. C'est en italien qu'ont été signés des traités entre la Sublime Porte et l'Autriche.
La langue italienne était la langue de l'élite, alors que le siècle était français. Si la francophonie réussit tout de même une percée à ce moment dans cette région, cela s'explique par une considération très simple. Les Roumains voulaient lire l'Encyclopédie. En Roumanie, le français est d'abord la langue de Voltaire, puis celle de Michelet. La langue française est celle des sociétés secrètes révolutionnaires et des francsmaçons. Plus largement, cette langue devient dans l'esprit roumain celle de tous ceux qui rêvent de l'accès à la citoyenneté et de la mise en place de l'Etat nation, en tout cas dans sa construction philosophique plutôt que pratique.
La motivation des Roumains pour apprendre le français est donc avant tout politique. Cette langue devient un symbole du rejet de l'ancien régime. Le pouvoir en est conscient et interdit donc pendant plusieurs décennies à ses sujets de se rendre en France. Les étudiants boursiers de l'Etat partent soit à Saint-Pétersbourg ou à Berlin. Dans ces villes, on y apprend la sagesse de l'assujettissement à un Etat fort et ordonné.
Au XXe siècle, de nouvelles motivations politiques très ambiguës apparaissent. Pendant l'entre-deux-guerres, un certain décalage se fait jour, puisqu'en Roumanie, tout comme en Grèce ou en Serbie, la langue française devient la langue de Maurras et de la réaction. Les démocrates et les révolutionnaires se tournent alors vers l'anglais, qui est la langue du constitutionnalisme et de la grande démocratie américaine.
Pourtant, avec l'avènement du communisme dans la région, la francophonie connaît un nouvel essor. De Moscou à Bucarest, en passant par Varsovie, les éditions officielles en langue étrangère publient en français, et non en anglais ou en allemand les revues académiques de chimie, d'histoire ou encore de littérature. Alors que j'avais choisi à l'école l'anglais, tous m'ont conseillé, lorsque j'ai débuté ma carrière, dans les années 70, d'apprendre le français. Ce passeport était censé faciliter l'évolution de ma vie professionnelle.
Ce retournement s'explique par le fait que le français est redevenu la langue de la révolution, telle qu'elle avait été comprise par Lénine, la langue de la Terreur, celle de Thorez, d'Eluard, d'Aragon, de Barbusse, de Rolland et du maquis. Aucune autre langue ne pouvait donner au communisme tant d'écrits et d'auteurs que le français. La francophonie a ainsi connu son moment de gloire sous le communisme.
Lors de la chute du communisme, la première réaction de mes collègues a été de vouloir changer le titre de la revue dans laquelle nous publiions à Bucarest nos recherches sur le Sud-Est européen. Ils avançaient que plus personne ne lisait le français et qu'il nous fallait désormais se faire connaître en anglais.
Le français est porteur de pensées diverses, de Voltaire au camarade Thorez. Aujourd'hui, pour moi, comme pour beaucoup de Roumains et de Bulgares, la langue française ne fait pas l'éloge de la diversité, mais bien sert de porte-étendard d'un certain universalisme. Car les valeurs de la nation citoyenne sont à mon sens non seulement universelles, mais particulièrement nécessaires pour renforcer le processus de démocratisation des pays postcommunistes.
En fin des comptes, dans l'optique d'un éloge générique de la diversité, être francophone vaut bien être russophone ou arabophone. Suivant cette logique, mieux vaut communiquer en anglais, car c'est aujourd'hui la langue la plus parlée et la plus comprise. Je pense au contraire qu'il est encore bon d'utiliser le français parce que le français transmet une pensée, un savoir que l'anglais, le russe, l'espagnol et l'arabe ne véhiculent pas dans les mêmes termes et avec la même portée. Les phénoménologues allemands expliquent que rien n'existe dans la pensée avant d'avoir traversé la langue.
La pensée que le français est le seul à porter de manière immédiate et explicite est celle de l'universalisme qui se moque des diversités. C'est elle qui conçoit et exprime la citoyenneté républicaine. S'il on veut faire sienne cette idée, il est profitable de rester, ou de devenir usager du français.
DÉBAT AVEC LA SALLE
Un participant
Je suis boursier de l'Agence universitaire de la Francophonie et doctorant en histoire. Sur un plan géopolitique, je suis en accord avec l'idée que la francophonie trouve toute sa cohérence dans un noyau formé de la France, des vrais pays francophones du nord et des pays africains. Les autres membres semblent avoir intégré cette institution par pur opportunisme géopolitique.
C'est le cas notamment des pays d'Europe centrale et orientale qui ont connu un effondrement du français au moment de l'élargissement européen. Dans cette région, les programmes télévisés francophones ne touchent que 0,2 % du public. Le nombre des apprenants du français a reculé de 25 % depuis 1993. Le nombre des professeurs de français affiche une baisse de 10 % sur la même période. Alors qu'avant l'élargissement, le français et l'anglais étaient à parité dans l'Union européenne, on constate un net recul du français et une formidable explosion de l'anglais. Au sommet de l'ONU en 2005, seules 20 délégations se sont exprimées en français.
Ce constat est tout à l'honneur de l'Afrique, qui défend aujourd'hui réellement la langue française. A l'OSCE, le représentant français s'exprime en anglais, car les autres membres ne comprennent pas le français. Il est important de ne pas plier face à ce constat. De même, ce colloque ne doit pas rester lettre morte. Il doit aboutir à des propositions concrètes qui devront être remises aux responsables du mouvement.
Un participant
Je représente ici la CFTC. Je déplore l'absence du monde syndical dans les discours qui ont été prononcés jusqu'alors, et plus particulièrement celui du ministre des affaires étrangères. Je constate que 7 % des entreprises ont adopté le « tout anglais ». L'un de mes collègues a transmis à un collègue autrichien un document en allemand. Il a dû le réécrire en anglais. Aujourd'hui, nous nous battons sur notre lieu de travail pour avoir le droit de nous exprimer en français.
J'ai pu obtenir dans mon entreprise le rétablissement des logiciels en langue française, mais un autre syndicat a dû attaquer son entreprise pour obtenir des documents en français, conformément à la loi Toubon.
J'attends de l'OIF un soutien dans notre combat. L'OIF peut s'appuyer sur les militants du monde syndical. Je voulais remettre aujourd'hui à Monsieur Duhaime la synthèse de nos travaux sur cette question. L'enseignement des langues est certes fondamental, mais à quoi sert-il s'il n'aboutit pas à une pratique de la langue dans le monde du travail ?
Clément DUHAIME
J'ai reçu le mois dernier le regroupement des syndicats francophones. Y siègent des syndicats représentant tout le monde francophone. Il se peut que nous initiions dans les prochains mois des actions avec ce regroupement.
Une participante
Je dirige un groupe de réflexion sur les politiques culturelles. Nous nous sommes penchés sur la question de la francophonie. Elle entre pleinement dans notre identité et nous n'adoptons pas une position défensive. La langue française a un avenir, porté par les jeunes.
Je constate aussi avec plaisir combien ce colloque reflète la diversité de la francophonie aujourd'hui. La francophonie n'est pas unique.
Sophie LOVY,
Sous-directrice du Français au ministère des affaires étrangères
Je ne peux aussi que me féliciter de la pluralité de la francophonie, illustrée par les interventions de cette table ronde. Chacun à sa manière a mis l'accent sur les différentes dimensions de la langue française. Elle est tout à la fois la langue du développement, de l'accès à la connaissance, de la solidarité et de l'intégration régionale et le véhicule d'une pensée.
L'idée de rayonnement vers les élites n'a peut-être pas été suffisamment soulignée. Ces élites partagent des codes, des références et une langue. C'est aussi ce qui fait la force du réseau de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger ou de la Mission laïque française, premier réseau d'enseignement international au monde.
Le véritable enjeu de la francophonie réside dans le devenir de la langue française en tant que langue de communication internationale. Les pouvoirs publics français et l'OIF partagent tous deux ce même objectif. Il nous impose un effort particulier en direction de la jeunesse, sur la radio et la télévision ainsi que sur les nouvelles technologies. Je reste à la disposition de l'OIF pour entamer une discussion sur une action commune sur les nouvelles technologies.
Christian VALANTIN, directeur du Haut Conseil de la Francophonie
Je tiens tout d'abord à corriger un fait qui me semble erroné. Dominique Wolton a situé le début de la colonisation française en 1830, date qui marque le début de la présence française en Algérie. En réalité, nous avons connu plusieurs colonisations et décolonisations.
A ce propos, l'intervention d'Henri Lopes démontre à quel point nous sommes décomplexés face au colonisateur. Les Français gagneraient beaucoup à relire les écrits de Senghor de la période comprise entre 1950 et 1960. Il était alors député français, alors que débutait le mouvement de décolonisation.
Par ailleurs, sur le plan de la diversité linguistique, je souhaiterais que ne soient pas négligées les langues maternelles africaines. Sur ce point, ma position est quelque peu différente de celle d'Henri Lopes. L'articulation entre les langues africaines et la langue française sert cette dernière. Il ne faut pas négliger le fait que la situation du français se dégrade aujourd'hui en Afrique, tout comme son enseignement.
Clément Duhaime soulignait fort à propos qu'il fallait maintenant faire vivre de manière concrète la Convention signée à l'UNESCO et qu'une action sur les industries culturelles était indispensable dans cette optique. Je suis pleinement en accord avec cette idée. Au Québec, qui a fourni un effort particulier en la matière, elles pèsent 7 % du PIB et 250 000 emplois. C'est en suivant cet exemple que la francophonie se parera d'une dimension économique. Le développement durable n'est pour l'heure qu'un concept, il pourrait ainsi devenir une réalité opérationnelle.
Une participante
En tant que jeune auteur, je m'interroge sur l'action de la francophonie en faveur des jeunes auteurs, quel que soit leur média. Comment les faire connaître et reconnaître ? Par ailleurs, en tant que mère de famille, je me demande comment faire en sorte que les enfants apprennent correctement le français. Je pense plus particulièrement à la grammaire et à l'orthographe qui constituent d'importants sujets d'inquiétude à l'heure actuelle.
Clément DUHAIME
Je n'ai pas de recette miracle en matière d'orthographe et de grammaire. Souvent, on fait remarquer que les Québécois n'emploient pas un français irréprochable. Je pense pourtant que la richesse du français se situe dans les accents et dans les mots que l'on invente aux quatre coins du monde.
La majorité des pays qui composent la Francophonie sont pour l'essentiel des pays jeunes. Dans les pays du Sud, les moins de 20 ans sont majoritaires. Pour préserver l'attractivité du français, afin qu'il soit perçu comme utile, nous devons poser des gestes pour les associer. Ainsi, les jeunes auteurs sont-ils soutenus par la francophonie. Cependant, il est vrai que ce thème mérite une action en profondeur. C'est une réflexion que nous menons en ce moment.
Le sommet de Moncton en 1999 en avait fait sa thématique centrale. Malgré une certaine bonne volonté, les budgets restent pour l'heure bien inférieurs aux enjeux.
Jean HARZIC,
ancien secrétaire général de l'Alliance française
Je participais voilà une dizaine d'années à l'inauguration à Santa Cruz de la Sierra en Bolivie d'un centre franco-allemand. Cet établissement qui enseigne les deux langues a rencontré un succès immédiat. Dès la première année, nous avons constaté une augmentation de 15 % des inscriptions aux cours de français comme aux cours d'allemand.
Depuis, cinq ou six autres Alliances françaises ont reproduit ce modèle qui semble porteur. C'est le cas notamment à Glasgow. Je souhaitais demander à Lord Prosser si quelque raison particulière pouvait expliquer pourquoi la ville de Glasgow s'est lancée dans une telle entreprise, au contraire d'autres villes du Royaume-Uni. Par ailleurs, je serais curieux de connaître l'avis des participants de cette table ronde, sur une initiative qui met fin à la concurrence entre les langues.
Rt. Hon. Lord PROSSER
On dit souvent que les habitants de Glasgow ont besoin de plusieurs langues parce que l'anglais qui y est parlé est tout bonnement incompréhensible. Ce type d'initiative est remarquable. Toute action allant dans le sens de l'apprentissage de langues nouvelles doit être encouragée.
Laurent BURIN des ROZIERS,
sous-directeur de la coopération culturelle et artistique au ministère des affaires étrangères
L'exemple de Santa Cruz a bien fait école. La juxtaposition de centres culturels français ou d'Alliances françaises et d'établissements du Goethe Institut se retrouve ailleurs, à Glasgow en Ecosse, à Lahore au Pakistan et à Palerme en Italie. Des projets de ce type sont à l'étude à Moscou et à Yokohama.
Ces réalisations et ces projets sont l'exemple concret du fait que la francophonie n'est en rien un combat défensif contre d'autres langues. En fait, nous nous battons avec d'autres aires linguistiques pour la diversité culturelle et linguistique.
Aimé EYENGUE,
président de l'association Action francophone
Mon association mène des actions de dialogue à Clichy-sous-Bois. Je suis un Congolais qui travaille pour la France et l'espace francophone. Notre but est de transmettre en valeurs les notions de démocratie et de tolérance véhiculées par la francophonie. La France elle-même a beaucoup de chemin à faire sur les questions de diversité culturelle. Elle tend parfois à imposer une vision franco-française de la francophonie, dans un cadre toujours plus politique et institutionnalisé. Ceci risque de la couper de sa base et d'un véritable dialogue entre les cultures.
L'Afrique recèle une grande richesse culturelle, ne serait-ce qu'en matière de poésie ou de chanson. Développer ces industries apparaît plus que souhaitable. Les Français ont peur de l'étranger. Si ces industries étaient plus développées dans nos pays, les personnes tentées par l'immigration pourraient peut-être renoncer à leurs projets. L'incident qu'a évoqué Henri Lopes me paraît significatif et choquant. Des pongistes africains n'ont pas pu participer à une compétition internationale, du fait d'un refus de visa de la part de la France. Il serait bon que la francophonie imprime sa marque dans les débats actuels sur l'immigration.
De la même manière que le droit européen prime sur le droit français, ne serait-il pas possible que l'action de la francophonie prime sur celle de ses membres et de la France en particulier ? Certes, chaque règle mérite une adaptation, en fonction du contexte local, mais les valeurs de l'humanisme et de la démocratie n'en seraient que mieux respectées.
La libre circulation des personnes me paraît être une évidence. Aujourd'hui, seuls les biens peuvent circuler librement. C'est tout simplement inadmissible.
Un participant
Henri Lopes évoquait la stigmatisation des autres francophones par les Français. Il en va de même à l'intérieur de la France. Les accents sont moqués en permanence et les particularités du vocabulaire de certaines provinces font l'objet de la risée parisienne. Il suffit pour s'en convaincre d'entrer dans une boulangerie de la capitale et de leur demander une chocolatine à mettre dans une poche.
Un participant
Je suis étudiant et prépare un mémoire sur la question de la francophonie en Algérie. Pour que la francophonie avance dans ce pays, il est temps que le débat sur la colonisation ait enfin lieu. Pour l'Europe, le 8 mai 1945 correspond à la victoire de la démocratie sur le totalitarisme. Pour l'Algérie, le 8 mai 1945 est une date noire. 45 000
Algériens ont été massacrés ce jour-là.
Un participant
Je suis à l'origine de l'Institut du droit et des cultures francophones. A lui seul, son nom démontre notre attachement à la diversité culturelle. Nous avons la chance de parler français. Selon Léopold Sédar Senghor, le français est « le grec des temps modernes ». Il nous offre la faculté de mieux nous comprendre et de mieux discourir. Henri Lopes est revenu sur la question de la diversité culturelle en Afrique. Clément Duhaime est pour sa part le représentant d'une nation qui résiste face au géant anglophone. Cette victoire nous fait dire à nouveau : « Vive le Québec libre ! ». Notre langue se fonde sur un idéal humaniste et démocratique. La position de la France et de nombreux pays francophones sur la question de l'Irak l'a démontré.
Si la mondialisation est une chance pour la francophonie, la francophonie n'est-elle pas une chance pour la mondialisation ?
Clément DUHAIME
En tant qu'ancien délégué général du Québec en France, je serais tenté de répondre que le Québec a toujours été libre. En tant qu'administrateur de l'OIF, je tiens à rappeler que les institutions naissent et meurent. Pour éviter que la francophonie ne meure, nous attendons des propositions qui bousculent notre organisation.
Depuis le 1er janvier 2006, plusieurs actions concrètes ont été lancées. Le Secrétaire général a mis en place un groupe de réflexion sur la libre circulation de nos artistes, écrivains et universitaires dans l'espace francophone. Ce groupe est présidé par Henri Lopes. Il est chargé de dessiner quelques pistes sur ce sujet difficile avant le Sommet de Bucarest.
De même, il a créé un comité de travail sur le français dans les institutions internationales. Souvent, on a reproché à la francophonie sa timidité sur ce thème. Ce comité sera chargé de réfléchir sur les engagements des Etats membres vis-à-vis de la langue commune.
Dominique WOLTON
Je me dois de rappeler que la francophonie n'est pas un combat contre une autre langue, mais un combat pour la diversité. Depuis octobre, l'engagement de la francophonie dans ce sens est devenu clair. Les identités linguistiques doivent être respectées. Dès demain, quatre langues seront nécessaires pour tous, à savoir la langue maternelle, une langue régionale et deux langues internationales.
Le bon fonctionnement de la francophonie repose sur trois conditions.
LE PARTAGE D'UNE LANGUE
Cette condition n'est pas à elle seule suffisante. L'exemple de la France est à cet égard assez révélateur. Les immigrés qui se sont installés en France voilà 50 ans partagent notre langue. Cela n'a pourtant pas suffi à faire disparaître dans la société française le racisme et les discriminations dont ils sont victimes.
DES VALEURS COMMUNES
Le travail accompli autour de la promotion de la démocratie ne peut être nié, tout comme celui qui est accompli sur les thèmes économiques et plus largement politiques.
DES PRATIQUES COMMUNES
L'anglais a pour avantages d'être le symbole de la modernité, même si cela peut paraître quelque peu stupide, et d'être une langue pratique. C'est sur le terrain économique qu'elle est considérée comme un outil pratique. Cependant, chacune des langues pourrait aisément acquérir ce statut, au travers d'un combat sur l'économie et les industries culturelles.
Les élites francophones sont fières de la francophonie. En revanche, les élites françaises sont très anglophiles. Nous devons contre-attaquer sur ce point. L'anglais est partout en France considéré comme la langue de la modernité, de la créativité et de l'intelligence. Je tiens à rappeler que l'on ne pense, on ne crée et on ne rêve que dans une seule langue.
Chaque langue a son génie. Si nous pouvons communiquer sur un plan basique en anglais, on ne saurait penser et communiquer correctement que dans sa langue nationale. Les élites françaises l'ont quelque peu oublié au cours des 30 ou 40 dernières années. Cette bataille culturelle n'a pas pour but premier de contrer l'anglais, mais bien une attitude des élites politiques, médiatiques et économiques. Chaque langue peut être moderne.
L'optimisme a présidé à cette première table ronde. Je voudrais le tempérer légèrement par cette réflexion. En sortant de cette salle, nous serons tous confrontés à ces français très anglophiles. Pour eux, la francophonie reste vieille, ringarde et dépassée.
Christian Valantin soulignait que l'Afrique a connu plusieurs colonisations et décolonisations. Pour de nombreux pays africains, le débat sur la colonisation appartient au passé. Il n'en va pas de même pour l'Algérie et d'autres pays. Pour avancer sur cette question, nous devons nous pencher réciproquement sur nos histoires respectives. C'est ainsi que nous connaîtrons et comprendrons les traumatismes qui marquent nos consciences. C'est ainsi que nous dépasserons le stade de la haine, toujours présente. La francophonie peut aider à véhiculer ces connaissances.
TABLE RONDE 2
LES RACINES MONDIALES DE LA FRANCE
Le débat est présidé par Victorin LUREL, député de la Guadeloupe, président du
Conseil régional de Guadeloupe.
Il est animé par Wallès KOTRA, directeur délégué de France Ô.
Participent à cette table ronde :
Ashok ADICEAM, administrateur de « francofffonies ! le festival francophone en
France »,
Fred CONSTANT, conseiller de coopération et d'action culturelle à l'Ambassade de
France à Maurice,
Philippe ETIENNE, directeur général de la coopération internationale et du développement au ministère des affaires étrangères.
Christiane TAUBIRA, députée de Guyane,
Béatrice VERNAUDON, députée de Polynésie française.
Wallès KOTRA
Que serait la France sans ses racines mondiales ? Si elles sont pour nous une évidence, ces cultures, ces mémoires et ces histoires méritent un travail particulier pour les intégrer et les transformer en force pour la France d'aujourd'hui. Telle est la thématique de cette table ronde.
Victorin LUREL
Dans nos esprits, les images autour de la francophonie se bousculent. Elle nous évoque des idées, des couleurs et des souvenirs ainsi qu'une histoire souvent douloureuse. Le fait de limiter la France à son seul territoire européen dans un débat sur une francophonie qui s'étend sur toute la planète relèverait d'un ethnocentrisme que nul ne saurait partager.
A mon sens, la France est un englobant qui embrasse à la fois la France qui parle français mais aussi tous ceux qui, sans être français, parlent le français. Quand ils parlent français, ils « parlent la France », en quelque sorte. Ce faisant, ils la trament et la font.
Or je considère les non Français qui font la France avec générosité. Ils sont France à part entière. C'est bien là le moindre des honneurs symboliques que nous puissions leur accorder. Je ne saurais donc parler de la France sans parler simultanément de la francophonie.
L'erreur la plus grossière que nous pourrions commettre serait de considérer la francophonie comme un nouvel instrument de domination mondiale, certes émoussé, mais encore bien fonctionnel. A peine suffirait-il d'en affûter un peu la lame pour s'accaparer les richesses du monde nouveau, comme on mit autrefois la main sur l'or du nouveau monde. Il s'agirait d'une sorte de razzia relookée, d'un vol de gerfaut audelà du charnier natal. Telle n'est pas notre conception, bien entendu.
Une réflexion sur les racines mondiales de la France devrait nous permettre de déjouer cette tentation destructrice que l'on pourrait assimiler à une nostalgie d'un empire disparu à jamais. Sur un sujet d'une telle importance et traitant d'enjeux planétaires, je ne saurais avancer masqué (larvatus prodeo). J'ai ici pour fonction d'animer le débat. Ce n'est pas une tâche neutre, mais bien le plus redoutable des engagements.
En latin, animus est le souffle et anima l'âme. Animer revient à insuffler un esprit ou une âme. Comment donner une âme à un corps sans au moins souffler qui l'on est ? J'ose donc humblement. Je suis, comme tous dans mon île, un petit-fils d'esclave. Comme dit la légende, mon placenta nourrit un arbre dans la plus ancienne des communes d'une île d'Amérique. Les horreurs de l'esclavage m'ont marqué. J'ai souffert dans mon coeur et dans mon esprit les abominations de la traite. J'ai enduré ma part d'anxiété et d'innombrables tribulations. J'ai bu l'angoisse jusqu'à la lie.
Je crois cependant être devenu aujourd'hui, par la grâce de parents exemplaires, par la discipline de l'école républicaine, par l'entraînement quotidien de ma volonté et par l'assomption d'une mémoire plurielle, un homme libre, auquel son peuple a confié un pouvoir réel au sein d'une France radicalement nouvelle. J'assume cette mission sans orgueil, mais avec fierté.
Je suis anticolonialiste et anti-impérialiste. J'ai voté l'abrogation de cet article inique qui prétendait nous faire enseigner les bienfaits de la colonisation. Je vis avec la conviction intime que l'esclavage est un crime contre l'humanité. Partout sur la terre où il reste des esclavages qui ne disent pas leur nom, nous devons, en tant qu'hommes et femmes de conviction, nous insurger et les détruire. Ce sont ces convictions profondes qui me permettent de vous confier ce message, sans crainte d'être taxé d'archaïsme ou de connivence avec un passé colonial moribond.
Moi, Victorin Lurel, citoyen antillais français, revendiquant l'anglais, l'espagnol et le créole comme mes langues, je n'hésite pas pour autant à vanter la beauté, la grandeur et l'universalité de la langue française. Je crois en la francophonie. Je la souhaite, je la veux et, comme vous, je la défendrai bec et ongles, à condition qu'elle ait le courage de se revivifier en examinant ses racines, son être au monde et son sens dans le monde. Elle le fera, n'en doutons pas.
Une langue ne saurait être confondue avec l'usage pervers que les cyniques en ont fait. Une langue ne peut être tenue responsable de la folie de ses éphémères locuteurs. Les idéogrammes de la Grande Muraille ne sont pas responsables de la mégalomanie maoïste. Les kanjis de l'Empire du soleil levant, langue suprême du zen et de la parfaite harmonie, ne sont pas responsables de Pearl Harbour. Le cambodgien n'est pas responsable des charniers de Pol Pot. La langue de Dostoïevski n'est responsable ni de Raspoutine, ni du goulag.
Qui pourrait croire que le babylonien fut responsable de Sardanapale ? Qui pourrait imaginer le livret de la Flûte enchantée responsable du ghetto de Varsovie ? L'araméen non plus n'est pas responsable du Golgotha. Le sabéen n'est pas responsable de la libido de Salomon l'Hébreux. A en croire Pascal, c'est par la grâce du nez d'une Egyptienne et non du fait de la beauté de sa langue que les légions s'entredéchirèrent et que le plus puissant des empires, l'Empire romain, s'effondra.
Je n'innocente pas les langues qui ont permis le pire. Je refuse simplement de les rendre coupables. Je me réfèrerai au sage Esope qui disait que les langues qui ont permis le pire sont aussi celles qui ont fécondé le meilleur. C'est le cas du français, dont les racines tant diachroniques que synchroniques embaument mon coeur et me collent à la peau. J'exige que ses superbes arborescences soient désormais au service du meilleur et uniquement du meilleur.
Quelques deux mille ans durant, cette langue, fruit du latin et de tribus rebelles, n'a cessé de superposer en les conjuguant des strates linguistiques nouvelles. Soumissions, alliances, attaques, guerres, redditions, Vandales, Wisigoths, Francs, Mérovingiens, Vikings, Normands, Maures, déferlantes barbares en tous genres, mixages, synthèses, sédimentation et des bibliothèques mémorables de sémiologie, de sémantique, de philosophie comparée, d'approches structuralistes n'ont pas réussi à démêler l'inextricable écheveau de cet incessant bouillonnement.
Richelieu fondit ainsi l'Académie française pour codifier, normaliser et régenter le discours. Il n'imaginait sans doute pas qu'en dépit d'un travail acharné, quatre siècles plus tard, nous n'en serions encore qu'aux premiers balbutiements. Autant dire que la langue française, cette langue qui doit s'honorer d'être la plus métissée de toutes les langues, n'est ni le cheminement dormant d'un oued assoupi, ni le lit d'un long fleuve tranquille. C'est le merveilleux fond sablonneux d'un oceano nox.
Aux quatre coins de l'univers francophone, au gré d'aventureuses pérégrinations, le voyageur découvrira des trésors particuliers. D'Est en Ouest, du Tropique du Cancer au Tropique du Capricorne, du Zénith au Nadir, les merveilles de cet univers nous surprennent par leur infinie splendeur.
Sans complaisance narcissique, je souhaiterais citer quelques-unes de ces richesses propres à l'Afrique et à nos îles, racines et matrice de notre propre délivrance. Il est impossible d'évoquer en quelques lignes Léon-Gontran Damas, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Guy Tirolien, Paul Niger, Edouard Glissant, Jacques Roumain, Ernest Pépin, Ahmadou Kourouma, Amin Maalouf, Amadou Hampâté Bâ, Emil Cioran, Khalil Gibran et tant d'autres poètes ou artistes, plus talentueux les uns que les autres. Ils nous ont fait pressentir, sentir ou imaginer ce que la froide raison ne pouvait conceptualiser.
Sentir, vivre et aimer : ainsi peut se résumer notre synchronie matricielle, cause finale de notre être ensemble. N'allons pas imaginer la nouvelle francophonie comme le ciel froid d'une raison dialectique ou discursive. Imaginons-la conforme aux racines souterraines de nos fleurs, lourdes, charnelles, porteuses de vie, de cette vie qui, à travers l'eau, toujours cherchera le soleil. Libérons nos racines. Abreuvons-nous avec délectation de leur sève et partons avec elles à l'assaut des étoiles. Que notre francophonie se déploie dans un arc-en-ciel de ferveur, égrenant tout autour du globe un chapelet d'amour.
N'ayons pas l'outrecuidance d'affirmer que le monde se résume à cette nébuleuse du profit. Les empires l'édifient afin que la planète devienne un marché et rien d'autre qu'un marché, augmentant inlassablement la puissance du capital aveugle. Quelle diabolique confusion ! Quel machiavélique obscurantisme ! Au moins depuis la révolution kantienne, tous ceux qui pensent savent qu'il est mystificateur de voir dans le monde un concept rigoureux, à plus forte raison scientifique. Personne n'a jamais remis en question les quatre antinomies de la raison pure. Nous savons tous que le monde, idée régulatrice et non concept constitutif, ne peut être en aucun cas que ce que nous voulons qu'il soit.
Nous ne reconnaîtrons donc aucune fatalité face à la mondialisation des empires sans visage. Le monde sera ce que la sagesse nous enseigne qu'il doit être. Les racines mondiales de la France ne sont autres que nos propres racines revisitées, comprises et maîtrisées. Il s'agit d'un temple à construire. Ce temple n'est pas celui des marchands, mais celui de l'union fraternelle des peuples. L'union reste notre idéal, la chaîne d'union, notre symbole. La francophonie sera fraternelle ou ne sera pas.
La francophonie est bien décidée à n'être plus le gendarme de la France, ni l'auxiliaire passif de puissance aliénante. Elle entend faire rayonner sur la planète ces valeurs universelles qui sont celles des droits de l'homme. L'humilité sera délibérément sa vertu. Elle n'hésitera jamais à se mettre au service des plus pauvres, de ceux que Franz Fanon appelait « les damnés de la terre ».
Elle aura aussi pour mission d'éradiquer hydres, Léviathans et celle que Brecht appelait « la bête immonde ». Elle vaincra, car les monstres n'existent que dans notre imagination et s'évanouissent face à la lumière. Ils rencontreront une francophonie instruite, fière et altière.
Je ne peux que m'étonner du logo choisi pour ce festival. La francophonie y apparaît comme un arbre sans racines. Freud et Aristote ont pourtant bien démontré que ce sont les racines qui font vivre un arbre et déterminent son avenir. Par ailleurs, nous aurions préféré inverser le titre de ce colloque. La francophonie est bien une chance pour la mondialisation. Pour finir, je formulerais un voeu. Qu'en cette année mondiale de lutte contre la désertification, la francophonie apparaisse comme une splendide oasis accueillant toutes les caravanes. Tous y sont invités, quels que soient leur langue ou leurs dieux. La francophonie pourrait s'inspirer du beau nom arabe que porte mon île, à savoir oued el oub, la rivière de l'amour. Qu'elle devienne elle aussi la rivière de l'amour.
Wallès KOTRA
Victorin Lurel nous appelle à libérer nos racines. C'est certainement un cri du coeur de ce petit-fils d'esclave de la Guadeloupe. Changeons maintenant d'hémisphère pour partir en Polynésie. Béatrice Vernaudon est députée de Polynésie française. Sa circonscription couvre plusieurs petites îles, parmi lesquelles les Marquises. Comment ces îles isolées du Pacifique perçoivent-elles les racines de la France ?
Béatrice VERNAUDON
Le Pacifique recèle une partie des racines de la France, grâce à ses trois collectivités dans la région. Les royaumes de Wallis et Futuna comptent 15 000 habitants. La Nouvelle-Calédonie en compte 235 000 et la Polynésie française 250 000. Ces trois territoires relèvent tous trois de l'article 74 de la Constitution française, révisé en 2003. Il classe les dix collectivités ultramarines en deux catégories. Au titre de cet article, nous bénéficions d'une large autonomie politique. Au moment voulu, si elles le souhaitent, les populations pourront faire évoluer leurs relations institutionnelles avec la France.
Les îles du Pacifique s'étendent du Sud-Est asiatique jusqu'aux côtes de l'Amérique. L'Australie (20 millions d'habitants), la Nouvelle-Zélande (4 millions d'habitants) et 22 autres Etats insulaires en font tous partie. Parmi ces 22 Etats, nous pouvons citer la Papouasie-Nouvelle-Guinée et ses 5 millions d'habitants sur un territoire qui compte parmi les plus pauvres au monde et où le SIDA fait autant de ravages qu'en Afrique, mais aussi le plus petit Etat du monde, le Tuvalu et ses 10 000 habitants.
Certains pays de cette région n'ont pas encore acquis leur indépendance complète. C'est le cas des Samoa et de Guam, qui sont rattachés aux Etats-Unis. D'autres encore bénéficient de statuts de libre association, comme les Iles Cook.
Certaines îles sont très montagneuses, tandis que d'autres sont de simples atolls menacés par la montée des eaux liée au réchauffement climatique. Le développement de ces îles se trouve à des stades très divers.
Ce tableau rapide démontre à quel point le Pacifique fait aujourd'hui figure de kaléidoscope géographique et institutionnel. Il n'en est pas moins uni par une identité océanienne autour de valeurs propres. Elles se traduisent par un profond attachement à la terre, à la communauté, à la religion et au partage.
Les trente dernières années se sont avérées très difficiles pour la francophonie et la francophilie dans la région. Les causes en sont connues. Il s'agit, d'une part, des essais nucléaires français dans la région et, d'autre part, du refus de la France de participer au mouvement de décolonisation du Pacifique.
La donne s'est quelque peu modifiée avec la fin de ces essais et la signature des accords de Nouméa et de Matignon, qui permettront d'ici une dizaine d'années à la Nouvelle-Calédonie de recouvrer sa pleine souveraineté, si elle le souhaite. De plus, nous constatons à quel point est fragile l'indépendance des petits Etats du Pacifique. Ils doivent en effet compter sur l'aide internationale pour satisfaire les besoins de leur population en matière de santé et d'éducation.
La francophonie et la francophilie trouvent ainsi aujourd'hui un terreau plus favorable. La France tente d'y jouer la carte de la francophilie, car les francophones ne représentent que 2 % de cet espace très majoritairement anglophone. Cette stratégie s'appuie sur l'intégration des collectivités françaises dans la région.
Nous ne pouvons cependant manquer de relever un paradoxe. L'autonomie relative que confère la France à ces collectivités ultramarines dans le domaine économique, social et culturel les empêche en quelque sorte de s'ouvrir sur l'extérieur. Elles doivent en permanence se concentrer sur les missions lourdes qui leur ont été déléguées.
Nous assistons actuellement une complète mutation de la politique linguistique de ces régions. Malgré les moyens considérables alloués par la France à ces territoires, le taux d'échec scolaire reste inadmissible.
Les familles considèrent que la réussite de leurs enfants passe par l'apprentissage du français. Le polynésien et le tahitien ont été progressivement délaissés, au profit d'un mauvais français. C'est un dialecte qui n'est ni français, ni tahitien que parlent les enfants aujourd'hui. C'est pourquoi le polynésien et le tahitien ont été réintroduits dans les écoles dès la maternelle. Par ailleurs, nous donnons désormais aux enfants, dès leur plus jeune âge, la chance d'apprendre l'anglais. Il est vrai que ces communautés vivent pour l'essentiel du tourisme et ces touristes proviennent pour l'essentiel de pays anglophones.
Cette stratégie devrait aboutir prochainement à une plus grande intégration de ces collectivités au sein de la région Pacifique. Jusqu'alors, ces collectivités et ces Etats se sont ignorés, du fait du contentieux sur la colonisation et les essais nucléaire. Nous essayons par conséquent de sensibiliser les jeunesses de nos îles respectives à ce qui les rapproche. Une telle orientation s'avère très coûteuse, car nos îles sont très éloignées les unes des autres. Des manifestations telles que les jeux sportifs du Pacifique ou encore le festival des arts nécessitent des budgets très importants. Ceci dit, l'effort sur la jeunesse ne saurait être abandonné. Il doit même être approfondi au cours des années à venir.
Cette année sera celle du premier festival de la jeunesse océanienne. Les jeunes y rêveront ensemble à l'avenir de leur région. Leurs débats serviront de base à la Charte du Pacifique qui sera présentée lors de la deuxième édition du festival. De nombreuses autres initiatives ont pu se concrétiser récemment. C'est le cas du festival du film océanien, dirigé par Wallès Kotra. Après trois éditions, il fait déjà figure de rendez-vous incontournable et sa pérennité ne semble pas menacée.
Une fois que cette mission d'ouverture sur la région aura été menée à bien, nos collectivités devront s'atteler au chantier de l'égalité hommes/femmes. Lors d'une réunion récente du Forum des Iles du pacifique aux Iles Cook, nous avons fait le point sur la proportion de femmes dans les Parlements de la région. Une fois écartés les territoires français, la Nouvelle-Zélande et l'Australie, la proportion de femmes dans les assemblées tombe à moins de 5 %. Ces résultats sont aussi faibles que ceux de nombreux pays arabes.
Malgré la ratification d'instruments juridiques tels que la Convention sur l'élimination de toutes les discriminations à l'égard des femmes, qui comporte un volet sur la politique, nous ne pouvons que déplorer que les barrières restent solidement installées. Elles sont d'ailleurs souvent défendues par les femmes elles-mêmes. Les sociétés traditionnelles du Pacifique s'appuient en effet sur une division sexuelle des rôles sociaux très nette. L'introduction d'une nouvelle pensée en la matière aboutirait à désorganiser totalement les sociétés.
Alors que des femmes se battent pour abattre ces barrières, le décalage avec la situation des collectivités ultramarines est presque choquant. Dans les collectivités françaises, c'est sous la contrainte législative qu'il a été nécessaire de mettre en oeuvre la parité. Nous avons bénéficié des combats des Françaises sans même y participer, sans y avoir été préparées ou même avoir été demandeuses d'un tel changement. La proportion de femmes dans nos assemblées est subitement passée de 10 % à 50 %.
Le courage de ces femmes qui se battent nous inflige une belle leçon de modestie. Elles nous rappellent à notre obligation de démontrer maintenant que cette loi était une bonne loi. Il nous appartient de prouver que les femmes sont capables de promouvoir une nouvelle façon de faire de la politique. Les principes de bonne gouvernance, de dignité de la personne et d'équité doivent être nos guides sur ce chemin. Ainsi se construit la francophilie dans une région en pleine mutation, où la France tente de jouer la carte de la diversité culturelle.
Wallès KOTRA
Ce discours démontre bien l'existence de racines océaniennes. Je vous propose de changer maintenant de continent pour explorer, avec Ashok Adicéam, l'administrateur du festival francophone en France la part d'indianité dans la culture française.
Ashok ADICEAM
Dominique Wolton et Monique Veaute m'ont demandé d'intervenir au titre des racines indiennes qui sont les miennes. Je les assume pleinement, même si je travaille depuis toujours pour la culture française et ses échanges avec le reste du monde, et aujourd'hui en tant qu'administrateur du festival francophone en France.
On ne peut parler de francophonie en Inde sans évoquer la présence française en
Inde durant trois siècles, à travers ce qu'on appelle les « Comptoirs français ».
Cette page de l'histoire a pourtant été un peu vite oubliée. Remontant à Colbert et à Louis XIV, qui autorisèrent en 1673 l'établissement des comptoirs de l'Inde, ce passé commun s'achève en 1954 dans l'indifférence de l'opinion publique et de la presse métropolitaine. Il est vrai qu'à la même époque la France quittait l'Indochine et s'engageait en Algérie dans un conflit qui devait durer 8 ans. Passait donc inaperçue la cession à l'Inde des 5 comptoirs français, à savoir : Mahé (dans le sud-est, aujourd'hui au Kerala, ouverte sur l'Océan Indien), Chandernagor (à proximité de Calcutta, au Bengale), Yanahon (au nord du Tamil Nadu), Pondichéry (au sud de Madras) et Karikal sur les rives de la Mer du Coromandel.
Ces comptoirs tiennent leur nom de leur activité d'implantations commerciales conduites et développées à l'origine par des agents privés qui peu à peu ont réussi à se faire accepter par différents princes du sud de l'Inde. Des premiers, François Caron, François Martin, au dernier directeur de la compagnie des Indes orientales, se tissent des liens commerciaux avec des Indiens, sur la route des épices, qui vont concurrencer ceux des autres Compagnies de l'Inde, dirigées par des Anglais, des Hollandais, des Danois.
L'histoire de ces liens sans cesse accrus culmine en 1754 avec l'établissement, par le Gouverneur Général Dupleix, d'un véritable Empire grâce aux alliances avec les Princes du sud de l'Inde (le Deccan, Travancore), qui bénéficiaient d'une expertise et d'une certaine protection militaire. Mais en quelques années, alors que Napoléon décide de se concentrer sur la campagne d'Egypte, l'Empire, l'entente francoindienne ne résistent pas à la force que les Anglais vont déployer pour le conquérir. Dès lors, l'ambition française en Inde se resserre et c'est vers les colonies françaises aux Antilles et dans l'Océan Indien que sont redirigés les produits du commerce indien (épices, arachides, tissu madras, ...)
Lorsque l'Inde accède à l'indépendance en août 1947, Nehru demande à la France, qui l'accepte, le transfert de ces territoires à l'Union Indienne. Le transfert, même s'il prend du temps, se fait dans la paix. Le traité de cession ne sera ratifié par le Parlement français qu'en août 1962.
Cette histoire est peu connue ou valorisée dans la perception qu'on peut avoir des relations entre la France et l'Inde aujourd'hui. Et pourtant, ces trois siècles d'histoire commune avec le géant indien nous offrent aujourd'hui l'exemple d'une diversité culturelle et linguistique puissante. En même temps qu'elle l'apprend elle-même, l'Inde nous enseigne la cohabitation culturelle. Comment en effet faire cohabiter un milliard d'habitants, deux langues nationales - l'hindi et l'anglais 26 langues officielles, 1 600 langues et dialectes et au moins trois grandes religions ?
Si le sous-continent indien est densément peuplé, il ne faut pas oublier la diaspora indienne aux quatre coins du monde. Celle issue des comptoirs français s'est installée dans l'Océan indien mais aussi dans les DOM-TOM, suite au « transfert » sous contrat avec l'administration française de 160.000 indiens des comptoirs vers les plantations des Caraïbes. Aujourd'hui 40 000 Indiens vivent ainsi en Guadeloupe, 15 000 autres en Martinique et 2 000 en Guyane.
Sur la base de ces échanges historiques denses, d'une géographie originale de ces relations et celle d'une francophilie active, l'Inde a tout à partager avec la France. L'action de l'ambassade de France en Inde et les initiatives lancées ici avec nos partenaires indiens le démontrent pleinement. Plusieurs exemples illustrent bien ce constat.
L'action de la francophonie s'inscrit dans un contexte de bouleversement profond de l'Inde. Au début des années 90, l'Inde s'est ouverte à l'économie mondiale. Elle s'est depuis hissée au quatrième rang du classement mondial en termes de PIB. La croissance en rythme annuel atteint 8 %. Aujourd'hui, l'Inde est devenue une puissance incontournable, au même titre que la Chine. Sa démographie reste en pleine croissance. L'Inde s'affirme comme un « géant moderne » qui possède tout à la fois un système véritablement démocratique notamment au niveau de la liberté et de la qualité de la presse-, la puissance nucléaire et de grands centres de services à vocation mondiale.
Les relations politiques entre la France et l'Inde sont traditionnellement très bonnes. La visite du président Jacques Chirac dans le pays en janvier dernier l'a confirmé. Si ces relations sont aussi bonnes, c'est grâce à cette histoire commune riche, mais aussi et surtout grâce à un sentiment de francophilie très actif.
Le pays compte en effet une vingtaine d'Alliances françaises, plusieurs écoles et lycées français, et a mis au point de manière exemplaire avec la France une coopération universitaire et technique paritaire. L'originalité de ce dernier aspect tient en ce que les projets de coopération sont financés à hauteur de 50 % par les Indiens.
A Pondichéry, l'un des cinq comptoirs français, est installé depuis plus d'un siècle un institut français travaillant dans le domaine des sciences humaines avec l'AUF, l'Agence universitaire de la Francophonie. En effet, l'institut fait partie de la Confrasie, la Conférence régionale des recteurs des universités membres de l'Agence universitaire de la Francophonie en Asie-Pacifique. Ce réseau organise des échanges de chercheurs entre Pondichéry, l'Asie, le Liban et le Proche-Orient autour de thématiques modernes telles que la gestion de l'eau, le développement durable ou l'urbanisation. C'est une sorte de programme « ERASMUS francophone » qui a été mis en place à cette échelle. L'idée de la création d'un réseau universitaire d'échanges francophones semble d'ailleurs rencontrer un certain écho en ce moment.
Les industries culturelles et les médias sont tout aussi touchés par les bouleversements qui secouent l'économie en Inde. Grâce à Bollywood, son industrie cinématographique prospère. Il en va de même pour la télévision. L'ambassade de France l'a bien compris et a mis sur pied plusieurs projets de coopération audiovisuelle visant notamment la diffusion de programmes francophones :TV5 est présente en Inde et s'y développe, même si sa présence apparaît quelque peu limitée tandis que Canal France International s'est également implanté dans le pays.
La France et la francophonie ont certainement un rôle important à jouer dans cette époque de grands bouleversements. L'Inde possède de puissants réseaux dans l'Océan indien et les Caraïbes, même si nous ne connaissons pas bien la production culturelle de ces Indiens de la diaspora. Je veux cependant croire que la circulation d'oeuvres et d'artistes peut donner naissance à des projets singuliers et novateurs. Ceci permettrait de valoriser des échanges entre artistes français d'origine indienne et artistes indiens qui partent en résidence en France. Quelques initiatives ont déjà été entreprises sur ce thème par le passé. Le travail artistique sur la rencontre des imaginaires réalisé par Ariane Mnouchkine, Bartabas ou Peter Brook a prouvé ces dernières années à quel point le dialogue des cultures illustré par des projets culturels ambitieux pouvait engager une réelle dynamique d'échange. Il serait peut-être bon de les valoriser davantage et de les modéliser au moyen d'outils déjà existants.
Au moment où l'Inde s'apprête à célébrer les 60 ans de son indépendance en 2006-
2007, c'est toute une série de manifestations très importantes qui vont actualiser et accompagner ce dialogue des cultures, ces allers-retours entre la France, la Francophonie et l'Inde : par exemple lors des Foires du Livre de Calcutta, à Lille qui va vibrer à l'accueil des « Bombaysers de Lille », au Grand Palais qui accueillera une grande exposition de l'époque Gupta.
Pour sortir du syndrome de Duplex, c'est-à-dire cette timidité, cet oubli et ce manque d'assurance dans le dialogue franco-indien né après l'éclatement de la « campagne de l'Inde » à la fin du 18e siècle, il faut avec ces racines françaises et francophones en Inde
1.Partager la diversité culturelle et linguistique avec l'Inde
2.Inscrire la France et la francophonie dans le grand bouleversement économique et médiatique de l'Inde et profiter de l'explosion de la communication qui y a lieu
3.Connecter les réseaux franco-indiens dans les DOM-TOM et plus spécifiquement dans l'Océan Indien.
Il faudrait ouvrir les portes de cette mémoire, la revisiter sur son territoire métropolitain et ultra-marin, la reconnecter avec une présence française très importante en Inde, et par-là même renouveler dans l'espace public français un vrai dialogue - audelà des modes - avec l'Inde. Un vrai désir s'y exprime de part et d'autres - désirs de langue française, désirs de rencontres intellectuelles et artistiques. C'est une chance pour la France, et pour la francophonie.
Wallès KOTRA
Philippe Etienne, directeur général de la coopération internationale et du développement, va maintenant dresser un panorama plus général du réseau culturel de la France dans le monde.
Philippe ETIENNE
En tant que fonctionnaire et diplomate, mais aussi et surtout en tant que citoyen, je ne peux que constater à quel point la France est un pays mondial. Je n'emploie pas le terme de puissance à dessein. La France aujourd'hui fait figure de puissance moyenne. La France et le reste du monde apparaissent en fait intimement imbriqués. Il serait vain de s'en féliciter. Mieux vaut remercier le monde qui nous entoure et accepter avec grâce ce fait.
Alors que j'occupais le poste d'ambassadeur de France en Roumanie, j'ai été amené à prononcer en roumain un discours devant l'Académie roumaine. Ce fut l'un des moments les plus mémorables de mon passage à Bucarest. J'avais choisi pour thème ces Roumains qui ont fait la France. Au-delà d'Emil Cioran, on pourrait citer plusieurs dizaines, voire des centaines d'autres grands hommes. Certains, comme Constantin Brancusi ou Eugène Ionesco, sont bien connus. D'autres le sont moins. J'aurais pu tenir un discours comparable dans de nombreux autres pays. Des hommes de science ou de culture du monde entier ont fait la France telle qu'elle est aujourd'hui.
C'est cette réalité qui occupe le centre de notre débat aujourd'hui. Nous devons être conscients de nos racines. Ces racines nourrissent cet étrange objet que nous appelons notre identité. Elle se fait et se défait à la pointe extrême du présent, entre tradition revisitée et avenir à construire. Cette réalité se perçoit souvent mieux de l'extérieur que de l'intérieur.
Alors que le doute s'est installé chez les Français, qui craignent pour leur avenir, nous sommes confrontés à un intérêt inédit pour notre pays et notre langue. Partout dans le monde, la demande de français est en augmentation. Il suffit pour s'en convaincre de considérer le nombre d'inscriptions aux cours de français proposés par les instituts culturels français et les Alliances françaises. De même, les demandes d'inscription dans les lycées français connaissent une forte progression.
Rome n'a pas conquis la Grèce. En réalité, c'est la Grèce qui a conquis Rome. L'histoire nous enseigne qu'on est toujours conquis par ses conquêtes et que ces mixités sont les plus fortes et les plus fécondes. Nos racines nourrissent et nous obligent aussi, si nous nous tournons vers l'avenir. Mon poste de fonctionnaire et de diplomate me le rappelle en permanence.
Acteur parmi tant d'autres, comment le ministère des Affaires étrangères fait-il face à cette obligation ? J'ai parfois entendu qu'il n'avait au final aucune stratégie en la matière. C'est une erreur grossière. Sa stratégie se résume simplement en quelques mots : « la diversité culturelle en action ». Cette stratégie découle d'une philosophie et d'une idée, avant de se décliner en programmes, moyens et hommes. Un texte du Mahatmah Gandhi résume particulièrement bien la philosophie qui nous anime : « Je ne veux pas que ma maison soit fermée de tous les côtés et que les fenêtres en soient obstruées. Je veux que les cultures de tous les pays imprègnent ma maison aussi librement que possible, mais je refuse d'être emporté par l'une ou l'autre d'entre elles. »
Le concept de diversité culturelle nous guide, tout comme il guide actuellement la francophonie. Ceci nous a amené à lancer divers chantiers de par le monde.
En Afrique, nous avons mis sur pied le programme Afrique en créations. Il est géré par l'Association française d'action artistique. 5,9 millions d'euros ont été alloués à ce programme sur la période 2003-2006. En ce moment, dans ce cadre, se tiennent les Rencontres chorégraphiques de l'Afrique et de l'Océan indien. Cette manifestation représente une magnifique occasion de lancer des danseurs et des chorégraphes africains peu connus du grand public. Afrique en créations supervise également les Rencontres de la photographie africaine de Bamako, la Biennale d'art contemporain de Dakar et le Festival international des musiques nomades de Nouakchott. C'est aussi dans le cadre de ce programme que 300 oeuvres de 90 artistes africains ont été exposées à Beaubourg. Cette exposition nommée « Africa remix » associe quatre grands musées internationaux, à savoir ceux de Düsseldorf, Tokyo, Londres et Paris.
Les chorégraphes, photographes, sculpteurs et peintres africains associés à ce programme font émerger une nouvelle culture en France. En contrepartie, nous les aidons à présenter leurs travaux au monde entier. Nos centres culturels, si souvent vilipendés, leur apportent une notoriété qu'ils n'auraient pas connue autrement. Souvent, ces centres offrent leur première grande scène à des chanteurs africains et font office de première galerie pour certains photographes.
Sur le modèle du programme Afrique en créations, nous avons pour ambition de créer un programme Caraïbes en créations, à condition que des moyens budgétaires suffisants y soient alloués. Ce programme aurait pour vocation de mettre en lumière la formidable interaction entre nos cultures, celles des départements d'Outre-mer et celles des pays environnants.
Le Centre dramatique de l'Océan indien, installé à Saint-Denis-de-la-Réunion, a établi des passerelles avec les centres culturels et Alliances françaises de Maurice, de Madagascar et de Namibie. Il travaille de même avec l'Afrique du Sud et l'Inde.
Entre mars 2007 et mai 2008 sera organisée en Nouvelle-Zélande, à Auckland, Wellington et Christchurch, la saison néo-calédonienne. Elle s'accompagnera d'une campagne de communication qui offrira à la Nouvelle-Calédonie une place toute particulière. A cette occasion, nous mettrons l'accent sur les aspects qui la rapprochent de la Nouvelle-Zélande, autour de manifestations culturelles et sportives.
Comme pour chaque événement de ce type, nous essayons toujours de dégager des thèmes de coopération durable avec le pays hôte de la manifestation. Nous espérons donc pouvoir profiter de cette saison pour signer des accords avec la NouvelleZélande.
En Guyane, un nouveau projet a été lancé par le Fonds de solidarité prioritaire avec le Surinam. Il doit aboutir à la mise au point de modalités de coopération sur les questions scolaires, en partenariat avec le département. L'importante immigration dans la région trahit l'acuité de ce problème. Ce projet doit renforcer l'offre de services éducatifs au Surinam et la prise en compte de la diversité culturelle et linguistique des populations scolaires.
Dans ce cadre, des formations et un programme pédagogique communs ont vu le jour. Il permettra aussi la primoscolarisation en langue maternelle de nombreux enfants, l'apprentissage croisé du français et du néerlandais et le renforcement des capacités de formation au français langue étrangère. Ce programme doit démarrer fin 2006. Le budget qui lui sera alloué sur trois ans atteint 1,5 million d'euros.
En Asie du Sud-Est, nous essayons de renforcer les capacités du Viêt-Nam, du Cambodge et du Laos à mener des politiques de promotion du français. Dans cette optique, nous avons mis au point un programme qui vise à former un nombre croissant de francophones qualifiés capables d'intégrer le marché du travail. Pour cela, nous souhaitons tout d'abord consolider les programmes bilingues déjà existants dans les écoles, aider les formations initiales des enseignants de français et des enseignants de science en langue française et favoriser la régionalisation des filières universitaires au niveau des licences et des masters.
A ce propos, le répertoire 2006 des formations francophones à l'étranger vient d'être publié. Il démontre l'existence de filières francophones partout dans le monde. Les universités françaises à l'étranger y sont également recensées. A Erevan, en Arménie, l'université française compte 700 étudiants. Une autre est installée à Galatasaray en Turquie. Le président de la République vient également d'inaugurer l'université française d'Egypte.
Nous souhaitons développer les filières universitaires existantes dans les trois pays d'Asie du sud-est. Il est prévu d'injecter 3 millions d'euros sur trois ans dans ce programme. Il est mené en partenariat avec la Francophonie. Le partenariat est la modalité retenue pour d'autres types d'actions, comme le plan pour la langue française en Europe avec l'OIF. Cette dernière fait d'ailleurs pour nous figure de partenaire privilégié en Asie du Sud-Est. Nous menons également des actions avec la coopération belge et la coopération québécoise. En clair, nous sommes bien conscients que nous n'arriverons pas à atteindre seuls nos objectifs et que la francophonie ne se résume pas à la France.
Je ne peux que déplorer le relatif silence autour des initiatives qui visent à promouvoir la francophonie. J'appelle donc à une communication plus efficace et plus large sur notre action à tous pour la francophonie dans le monde. Nos programmes et nos opérations répondent à une philosophie claire, en vue de promouvoir la diversité culturelle.
Dans son dernier ouvrage, Dominique Wolton trace très clairement le chemin à suivre. Nous devons adopter une vision politique et positive de la francophonie. Projetons-nous dans l'avenir. La francophonie est une chance pour la mondialisation et la mondialisation est une chance pour la francophonie. Saisissons cette chance. Ne nous laissons pas emporter par un discours qui considère la francophonie comme un combat passéiste. Elle représente notre avenir commun, celui de la France et de tous les pays francophones.
Wallès KOTRA
Pour résumer cette intervention, Philippe Etienne nous appelle à dire haut et fort et à prouver par nos actes que la France est bien un pays aux racines mondiales. Pour prolonger cette réflexion, je vous propose d'écouter Fred Constant, professeur des universités et conseiller de coopération et d'action culturelle à l'Ambassade de France à Maurice.
Fred CONSTANT
Entre l'audace de l'universitaire et la prudence du diplomate, entre la lucidité du scientifique et le rêve du citoyen, entre l'expérience du terrain et l'engagement militant, je voudrais m'arrêter sur trois considérations.
La première a trait au titre même donné à cette table ronde, à savoir les racines mondiales de la France. Le terme racines ne me convient guère. Si les racines ont leur importance et leur intérêt, elles ont aussi le désavantage de nous plonger dans le passé. Dans son dernier essai, Daniel Maximin nous rappelait qu'à la réflexion, les fruits sont plus importants que les racines. Mieux vaudrait nous plonger dans une vision prospective et non rétrospective. L'avenir s'écrit maintenant.
La deuxième est empruntée à Edouard Glissant. Il affirmait que « l'identité ne procède pas de l'intolérance sacrée de la racine, mais bien plutôt de l'inquiétude de la relation ». Finalement, elle ne fait que renforcer ma première observation.
La troisième est le fruit d'un auteur quelque peu oublié, Edmond Jabès. Dans Le livre des questions, il écrit : « Ne te crois jamais arrivé, car partout, tu es un voyageur en transit. »
A la lumière de ces trois réflexions, il apparaît évident que la France culturelle et mondiale est toujours en construction. Elle tisse en permanence son identité. Le problème réside dans le fait qu'elle n'en a pas suffisamment conscience et qu'elle en tire finalement peu de fierté. En réalité, lorsque cette intuition lui traverse l'esprit, elle refuse de l'admettre. Elle s'obstine à ne pas tirer toutes les conclusions de ce mouvement incessant. Face à elle-même, elle doit s'interroger sur son identité et sur le sens d'être Français aujourd'hui. Face aux autres, elle doit s'interroger la manière de dialoguer avec les autres cultures, sans pour autant renoncer au partage de références communes.
Je souhaite émanciper la francité pour mieux émanciper la francophonie. En réalité, l'enjeu réside dans le passage d'une politique de tolérance de la diversité et de la mondialité française à une politique assumée de reconnaissance de cette diversité et de cette mondialité.
Je n'ai pas la prétention de pouvoir éviter tous les pièges d'une discussion aussi serrée que nécessaire. J'ai par conséquent choisi le piège dans lequel je tomberai. Plutôt que d'évoquer la mondialité de la France dans ses confins, je préfère parler ici de la mondialité de la France en France même.
Je ne peux que constater un hiatus entre la politique de rayonnement de la France à l'extérieur et le traitement réservé à la diversité culturelle sur le territoire national. Ce contraste entre notre attitude ouverte à l'extérieur et frileuse à l'intérieur n'est pas propre à la France. La première a abouti récemment à une victoire à l'UNESCO, au travers de la signature de la Convention sur la diversité culturelle. La France a joué un rôle prépondérant dans ce combat. La seconde aboutit bien souvent à mettre en exergue la réussite individuelle de quelques-uns, pour mieux faire oublier le sort réservé au groupe dont ils sont issus, souvent l'outre-mer.
Je pense que les outre-mer nous offrent sur la question de la diversité un laboratoire peu exploré jusqu'à présent. L'articulation des diversités est à la fois un enjeu politique majeur au plan international et une question à l'importance croissante au plan national.
Ce hiatus entre individuel et collectif nous amène à plaider pour un déplacement des frontières entre le « eux » et le « nous » au sein de la francité. Notre pays souffre d'une géographie mentale un peu étriquée. La francité se réduit bien souvent dans nos esprits à l'Hexagone. Un tel traitement est injuste. C'est oublier un peu tôt l'incroyable richesse de toutes ces généalogies culturelles. Ces dernières tissent d'improbables mais riches cousinages à travers le monde. Elles portent une promesse d'avenir étonnante à l'heure d'une mondialisation qui fait voler en éclat les frontières du national et de l'international.
Le « rang » des pays se joue en ce moment à l'international. Dans cette perspective, la France aurait tout intérêt à élargir le champ référentiel de son imaginaire et de ses échanges. Pour l'heure, il tend à se limiter à l'Hexagone. Nous ne comptons plus les rendez-vous manqués avec l'outre-mer. Ces laboratoires de la diversité culturelle et confessionnelle ont pour leur part entamé un travail intense sur ces thèmes voilà plusieurs dizaines d'années.
Il est triste de constater que des questions de visas ont empêché les Français du lointain d'entrer dans l'Hexagone. Certes, au cours des dernières années, de nombreux efforts ont été réalisés. Il n'en reste pas moins que d'autres encore restent à accomplir. Trop souvent, les stéréotypes archaïques et tenaces viennent gifler ceux qui sont passionnés par la France et qui entretiennent une forte demande de Français.
Les racines de la mondialité française constituent un potentiel extraordinaire. Il reste insuffisamment exploré et, a fortiori, exploité. Trois facteurs expliquent cet état de fait. Le premier naît dans une arrogance souvent inconsciente. Elle induit une conception eurocentrique de nos identités et appartenances nationales. Le second puise sa force dans une définition ethnique du Français authentique contre les Français de la diversité. Cet emploi du terme de diversité vient remplacer dans les discours celui de périphérie. Il oppose un noyau dur à des noyaux mous. Le troisième réside dans une incapacité à s'affranchir du francocentrisme et de son corollaire, à savoir le provincialisme intellectuel.
Comment sortir de cette impasse ? Malgré les efforts consentis, nous voyons notre voilure internationale se réduire, contre toute logique. La diminution de nos moyens n'est cependant pas sans vertus. Il est à espérer que nous parviendrons à faire mieux avec moins. Pour cela, nous devons déployer nos efforts dans trois directions précises :
· accroître la visibilité des racines mondiales de notre pays ;
· renforcer la légitimité des fruits de son arborescence ;
· s'engager dans une véritable politique de relation.
De même, un triple investissement doit être réalisé. Le premier vise les hommes et les femmes. Nous devons leur offrir une formation ouverte et véritablement multiculturelle. Nous devrons commencer par dissocier ce dernier adjectif de la notion de communautarisme, agitée comme un épouvantail. Le second investissement doit se traduire par un effort pour la circulation des jeunes dans les deux sens. Le troisième doit aboutir à la valorisation des expériences de cohabitation et de gestion culturelle, plus particulièrement dans le domaine de la création interculturelle.
Enfin, je pense qu'il serait bon que nous tous militions pour une dynamique culturelle de la mondialité, de la francité et de la francophonie.
Wallès KOTRA
Christiane Taubira, députée de Guyane, ancienne députée européenne et candidate à la présidentielle, est à l'origine d'une loi de 2001 sur la reconnaissance de l'esclavage comme un crime contre l'humanité. Comment voyez-vous ces racines mondiales de la France ?
Christiane TAUBIRA
Le terme de racines mondiales de la France reste à mon sens pertinent. Il s'agit d'un fait, qui peut être considéré sur une base géographique et institutionnelle. Dans une approche dynamique, il traduit bien à quel point la culture, la philosophie, l'économie et l'organisation sociale françaises sont imprégnées de ce qui lui est venu du reste du monde.
Il ne suffit pas de constater que la France possède effectivement des racines mondiales. C'est aussi le cas de toutes les puissances européennes qui ont participé aux deux entreprises coloniales. Au-delà, les outre-mer témoignent pour la France de son enracinement dans le reste du monde. La France est aujourd'hui présente dans les Caraïbes, avec la Martinique et la Guadeloupe, en Amérique du Sud, avec la Guyane, l'Amérique du Nord avec Saint-Pierre-et-Miquelon, l'Océan indien, avec Mayotte et la Réunion, et le Pacifique, avec Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie. Ces territoires assurent son rayonnement sur tous les continents et dans les océans.
Ces territoires sont les témoins des vagabondages de la France dans le monde. Plus encore, elles nous rappellent l'existence de relations fortes entre ces entités et la France. Ces relations dialectiques, dynamiques et conflictuelles étaient bel et bien bilatérales. Les outre-mer sont marqués par ce contact avec la France, tout comme la France porte encore en elle les traces de ces contacts dans sa gastronomie, ses danses ou encore son vocabulaire.
Ces réflexions nous amènent à nous interroger sur la légitimité de la France à prétendre à l'universel. En ce qui me concerne, le concept d'universalité m'est cher. Il permet d'étendre notre horizon, alors que d'autres préfèrent veiller sur leurs frontières avec la ferme volonté de n'en pas sortir. Cependant, on ne peut accéder à l'universel qu'en étant bien enraciné dans sa terre. C'est la raison pour laquelle je concentrerai ma réflexion sur ma terre, l'Amazonie, les outre-mer et la France.
La génération des citoyens d'outre-mer à laquelle j'appartiens est tourmentée. La France aurait tout intérêt à prendre en considération ces tourments. Ils sont porteurs d'interrogations sur la France et sa capacité de déploiement dans le monde. Ils reflètent une nature par certains côtés schizophrènes. Nous nous demandons pourquoi en 1946, alors que le reste de l'Empire choisissait l'indépendance et se révoltait, nos grands élus ont choisi en notre nom la départementalisation. Ces géants avaient pour nom Aimé Césaire, Raymond Vergès, Rosan Girard et Gaston Monnerville. En réalité, ce choix est en relation avec l'antagonisme issu de l'histoire. La deuxième abolition de l'esclavage en 1848 avait fait des habitants de l'outre-mer des citoyens. Ces hommes durent cependant rester colonisés pendant un siècle encore. Alors que les libres de couleur voulaient accéder à la promotion sociale par la voie de l'éducation, ils voyaient se dresser face à eux des barrières, notamment économiques, qui les empêchaient d'atteindre leur but.
Le choix de la départementalisation peut s'expliquer dans un tel contexte, même si certains restent attachés à la voie prônée par Paul Valentino. Les habitants de l'outremer sont ainsi travaillés par des interrogations identitaires sur leur rapport avec la France. Ces questions devraient aussi faire réfléchir la France.
Les espaces politiques ont été configurés en 1946 pour les outre-mer. Beaucoup d'entre nous portent encore la blessure de n'avoir pas connu une décolonisation grandiose. Les départements sont des zones grises où la décolonisation n'a pas eu lieu et où le statut spécial rend difficile l'assimilation pleine et entière. Nous appliquons d'une part l'identité législative et demandons souvent d'autre part le respect des spécificités et des singularités. Il est important de reconnaître cette attitude ambivalente, afin d'en sortir au plus tôt.
Nos relations économiques restent marquées par l'époque coloniale. Elles ont conservé une nature verticale. Nous sommes donc pleinement tournés vers l'Europe. Ceci dit, ce type de relation se retrouve aussi chez les pays décolonisés. Les secteurs d'activité sont étanches les uns par rapport aux autres. De plus, nous restons dépendants de centres de décision extérieurs. Tous ces facteurs constituent autant de handicaps pour notre économie.
L'économie informelle est regardée avec mépris, parce qu'elle échappe aux chiffres. Elle représente cependant jusqu'à 40 % de la création de richesses. Elle est donc loin d'être marginale. Souvent, dans d'autres pays, en dehors de l'Etat, des sociétés entières parviennent à développer une économie de subsistance. Ce fait ne peut que poser question à la France. Quel regard porte-t-elle sur ces pays du Sud, dont les systèmes de développement échappent à l'économie marchande ?
Nous organisons de temps à autre des manifestations internationales. Elles ne sauraient suffire à ensemencer les espaces culturels. Ceci s'explique par le fait que l'économie marchande à elle seule ne peut véhiculer seule le lien social.
La francophonie n'est pas portée uniquement par la France, bien au contraire. Elle souffre tout de même de plusieurs handicaps qui ne sont pas inhérents à son existence mais qui procèdent de son mode de fonctionnement depuis 30 ans.
Victor Ségalène écrivait à la fin du XIXe siècle : «Le divers rétrécit. Telle est la menace.» Sur la question du divers, la francophonie est une supercherie. Lorsqu'elle déclare francophones des territoires créolophones, lorsqu'elle fait de même avec des pays où les langues natives sont vivaces et vernaculaires, elle s'adonne à une supercherie, à moins que la francophonie soit l'affaire des élites et non des peuples. En employant le terme de supercherie, je suppose qu'elle est de bonne foi. Si cela n'était pas le cas, j'emploierais le terme d'imposture.
J'éprouve un plaisir sensuel et spirituel à parler français. Cette langue, que l'on présente comme celle des cartésiens, danse et chante. Cette langue doit être promue. Il n'en reste pas moins que la Guyane est créolophone. Une telle remise en cause mérite certainement un débat.
Du point de vue de la justice et de la solidarité, je ne pense pas que la francophonie soit parvenue à démonter les préjugés tenaces sur le Sud. Elle n'a pas non plus réussi à apparaître comme un lieu d'irrigation de la diversité. Lorsque j'évoque ici le terme de diversité, je ne le restreins pas à la seule diversité culturelle. Je l'étends aussi à la diversité des réponses à des questions telles que le développement des pays du Sud.
En ce qui concerne le maintien de la paix, la francophonie n'a pas pu démontrer une valeur ajoutée vis-à-vis d'autres institutions internationales, multilatérales ou régionales comme l'ONU. En effet, des conflits ensanglantent régulièrement des pays francophones.
La question de la religion laisse transparaître une autre limite de la francophonie actuelle. Cette institution pourrait pourtant devenir un espace de discussion autour des questions religieuses. Elle pourrait faire émerger le concept d'une laïcité imprégnée des données culturelles locales qui permettrait aux institutions publiques de prendre des distances avec les confessions.
Par ailleurs, la francophonie n'a pas suffisamment exploité le rapport entre la culture, les sciences et l'économie. La faible progression du tourisme patrimonial illustre bien ce fait. Ce secteur d'activité représente le support physique du dialogue et de la rencontre entre les cultures. La francophonie est pourtant vivante, vibrionnante et dense sur le plan culturel.
Enfin, la francophonie n'est rien d'autre qu'un conglomérat d'Etats, avec les pesanteurs que les conglomérats d'Etat présentent tous. Des considérations géopolitiques, diplomatiques, économiques ou commerciales fournissent le prétexte à des arrangements avec la démocratie.
Il serait bon que la francophonie développe un espace citoyen, permettant à des représentants de citoyens et non d'Etats de s'exprimer. Elle doit aussi s'engager sur des voies plus audacieuses. Elle pourrait ainsi décider de la restitution d'objets d'arts à certains pays du Sud. A la fin de l'année, nous célébrerons le centenaire de la mort de Béhanzin. L'ancien royaume du Dahomey organise d'importantes festivités à cette occasion. La France pourrait en profiter pour faire un geste symbolique en rendant au Bénin les objets d'art qui appartenaient à Béhanzin. Un tel geste pourrait précéder l'avènement d'une politique efficace de lutte contre les trafics.
En matière d'éducation, elle devrait encourager la rédaction de manuels pédagogiques ou de vulgarisation communs au Nord et au Sud. Cela vaut bien évidemment pour l'histoire, mais aussi pour les sciences humaines et sociales. Dans le domaine de la santé, la francophonie pourrait inscrire comme maladies prioritaires les fléaux qui ravagent le Sud, tels que le paludisme, le SIDA, la drépanocytose, le chikungunya ou encore la dengue. Elle pourrait en outre contribuer à la réhabilitation du savoir empirique du Sud. Après avoir valorisé ces connaissances, elle pourrait s'attaquer au pillage de ce savoir organisé par les grands groupes pharmaceutiques du Nord et les sciences sociales.
Le partage du savoir scientifique reste un enjeu de taille pour cette institution. Elle devrait dans un premier temps s'atteler à reconnaître les contributions locales au savoir scientifique. La France, par le biais de l'ORSTOM puis de l'IRD, effectue depuis plus de six décennies des recherches dans les régions tropicales. Si le mérite de ses chercheurs est indéniable, celui des autochtones qui les ont guidés ne l'est pas moins. Il est temps de partager ce qui a été construit ensemble. Ce travail de recherche génère aujourd'hui des revenus importants par le biais de l'ingénierie.
En matière de commerce, la francophonie est restée silencieuse sur l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) tout comme au sujet de l'Accord multilatéral sur les investissements (AMI), qui met en péril les grands services publics. Le développement des échanges Sud-Sud doit également être inscrit au rang des priorités de la francophonie. Ce développement passe par une logistique d'échanges pour l'heure inexistante. Plusieurs grands bassins économiques sont fragilisés par des Conventions internationales entre les pays du Nord et les pays du Sud. Ces textes figent l'économie de ces pays autour de produits vulnérables face à la spéculation.
Entreprendre un tel travail exige un certain courage. Toutefois, face à cela, au travers de ces quelques mots, Aimé Césaire nous donne envie de respirer le monde : « Il y a encore une mer à traverser / oh ! encore une mer à traverser / pour que j'invente mes poumons ».
DÉBAT AVEC LA SALLE
Un participant
J'anime une association pour l'amitié entre la France et Pondichéry. Né à Pondichéry, je suis arrivé à La Réunion voilà une trentaine d'années. A mon arrivée, les ethnies portaient des noms très différents de ceux qui sont employés habituellement aujourd'hui. Les Indiens étaient appelés « Coolies » ou « Malabars ». Les Africains étaient surnommés les « Cafs ». Les Indiens musulmans, souvent appelés « Arabes » bénéficiaient d'une certaine considération, parce qu'ils avaient la peau blanche et étaient commerçants.
L'Inde ne veut pas faire partie de la francophonie, même si l'existence de Pondichéry lui offre le droit d'y entrer. Cette institution a besoin de retrouver ses racines militantes et ne doit pas demeurer un espace réservé aux hauts fonctionnaires et aux spécialistes.
Un participant
La lecture du numéro de novembre et décembre 2004 du magazine francophonie
Actualités m'a outré. Il y est écrit : « La Tunisie de Ben Ali a donc tenu, tient actuellement et tiendra encore longtemps le coup dans un climat de sérénité, de sécurité, de stabilité et d'expansion, où le pluralisme politique, fierté d'une Tunisie avant-gardiste, avait déjà commencé à oeuvrer librement pour le bien de cette nation. »
Une participante
Je suis vice-présidente de l'Association francophone d'amitié et de liaison. Nous publions chaque année un annuaire des jumelages. Nous organisons par ailleurs le concours des dix mots de la francophonie, dont les prix sont remis chaque année dans les Salons de l'Assemblée nationale.
Je remercie par ailleurs Christiane Taubira de parler de « deuxième abolition de l'esclavage ». En effet, nous oublions trop souvent que c'est Léger Félicité Sonthonax qui est a mis fin le premier à cette pratique en Haïti, avant tout autre pays.
Gérard SAINT-PAUL, journaliste
Je suis à la tête du projet CFII. Cette chaîne sera diffusée simultanément sur deux canaux parallèles. L'un sera à 100 % français, en direction de tous les pays francophones via le satellite. Les programmes du second seront à 75 % en langue anglaise. Quelques émissions en français seront diffusées tard le soir, afin que l'Amérique du Nord puisse entendre des sonorités françaises.
Si nous avons décidé d'utiliser également l'anglais, c'est pour pouvoir porter les valeurs de la République française et de la francophonie, à savoir la diversité, la tolérance et l'ouverture, au-delà du seul espace francophone.
Les visages à l'antenne reflèteront bien cette diversité. Nous avons commencé le recrutement et je peux vous confirmer qu'il ne se borne pas à l'Hexagone. J'espère que nos caravanes ne seront pas belles comme l'Antique, mais belles comme la modernité.
Un participant
Je suis calédonien et je ne peux que déplorer que la francophonie ne fasse que si peu appel aux DOM-TOM. Dans le Pacifique, la réalité francophone ne se limite pas à la présence de quelques ambassadeurs, attachés et représentants de l'Alliance française. Les 500 000 habitants des territoires français constituent le vrai bataillon de la francophonie dans la région. Ils parlent la vraie langue française avec tous ses accents. C'est nous qui enrichissons cette langue. Pourtant, la francophonie nous écarte. Dans le Pacifique, seul Vanuatu détient le statut de membre de la francophonie, au contraire de Wallis-et-Futuna, de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie.
Je tiens à rappeler qu'une grande partie de nos grands écrivains, à l'image de Maryse Condé, Edouard Glissant ou encore Elie Stephenson, enseignent dans les universités américaines. Ce constat va certainement à l'encontre des beaux discours de principe qui ont été prononcés. Nous pourrions nous inspirer de cet exemple. Dans les pays anglophones, des personnes oeuvrent au rayonnement de la francophonie. Enseignons cette littérature à nos jeunes, afin qu'ils prennent conscience du fait que la francophonie est bien une valeur mondiale. De même, les Australiens et les NéoZélandais étudient bien plus en profondeur la société calédonienne que les chercheurs de l'Université française du Pacifique.
A propos de Jean-Marie Tjibaou, François Mitterrand disait : « Avec lui, les mots vont plus loin que les maux ». Il faisait référence à ses mots français et non à ses discours dans sa langue natale. Ceci démontre qu'un homme qui a porté l'identité et les langues kanak au plus haut pouvait aussi transcender la langue française. Je crois que cet exemple donne un sens nouveau à l'expression « les racines mondiales de la France ».
Un participant
Je voudrais pointer quelques dysfonctionnements qui illustrent la frilosité de l'Hexagone face à ses racines mondiales. Je suis professeur de littérature d'expression française. A ce titre, je travaille plus particulièrement sur les littératures américaines et antillaises.
Voilà quelques années, dans le cadre de la formation continue, nous avait été dispensé un cours sur les littératures de la francophonie à l'Université de Créteil. Ce cours, plus particulièrement destiné aux enseignants de la région parisienne, s'articulait autour d'intervenants spécialistes de la littérature acadienne, québécoise, antillaise, africaine ou encore océanienne. Il avait rencontré un franc succès, aussi bien par le nombre d'inscrits que par leur assiduité. Ces professeurs de la banlieue, pour une grande partie, y trouvaient un moyen d'initier un dialogue avec leurs élèves originaires des régions étudiées dans le cadre de ce cours.
En 2001, ce cours d'initiation à la francophonie avait disparu. Après quelques investigations, il m'a été répondu que la francophonie ne faisait plus partie du cahier des charges de l'Université de Créteil. J'ai écrit à mon ministre de tutelle à ce sujet. Je n'ai pour l'heure reçu aucune réponse.
Un participant
Je suis conseiller à la francophonie au sein du groupe de réflexion politique Galilée. Christiane Taubira distingue la francophonie des peuples et celle des élites. Souvent, dans les débats sur la francophonie, chacun se réfère à une série de grands écrivains, tels Léopold Sédar Senghor. Ceci pourrait nous amener à oublier à quel point Corneille, Youssou N'Dour et d'autres artistes de la chanson ont un impact fort sur la jeunesse en particulier. Ils donnent un visage plus jeune, plus vivant et peut-être moins élitiste à cette francophonie.
Ashok ADICEAM
Pendant huit mois, les 450 manifestations du festival francophone s'attacheront à démontrer la modernité de la francophonie. Les 2 000 artistes qui y participent incarnent les visages des cultures de l'espace francophone. Pendant le Salon du livre, nous avons reçu 40 auteurs. Pour la plupart, il s'agissait d'auteurs jeunes et peu connus du grand public. Ce fut une véritable réussite médiatique et commerciale. Restera ensuite à faire vivre cette réalité en France au quotidien.
Un participant
La francophonie peut-elle bien être considérée comme un outil pour lutter contre la mondialisation ? N'est-ce pas plutôt le concept de mondialisation qu'il faudrait approfondir ? En quelques années, la langue française risque de se muer en langue vernaculaire. Il suffit pour s'en convaincre de voir la pression de l'anglais dans le monde de l'entreprise. Bientôt, les brevets ne seront plus rédigés qu'en anglais. C'est la mondialisation qui est au coeur de ces mutations. Elle fera d'ailleurs l'objet d'un colloque qui sera organisé en octobre prochain.
Un participant
Je me suis réjoui de vous entendre évoquer Pondichéry. Il est rare d'entendre parler de ces territoires qui ont perdu leur souveraineté dans les débats portant sur la francophonie. Je voudrais aussi citer dans le même ordre d'idées le Val d'Aoste, la Nouvelle-Angleterre ou encore la Louisiane, qui compte 250 000 francophones.
Dominique WOLTON
La question des brevets nous met face à une véritable difficulté d'ordre politique. Autant nous savons que la défense de la diversité culturelle peut aboutir à l'émergence de nouvelles industries culturelles, autant nous ne faisons pas suffisamment le lien entre économie et industries de la connaissance, c'est-à-dire les systèmes d'information, les bases et les banques de données ainsi que les brevets. Ces industries subissent une anglicisation accélérée, mais nous n'avons pas encore réalisé à quel point les enjeux financiers sont importants. Il appartient aussi aux hommes politiques de participer à cette prise de conscience.
De même, dans le domaine d'Internet, l'enjeu majeur réside dans l'éducation. Certains voudraient faire croire à cette idée fausse mais séduisante que les professeurs sont trop coûteux, bureaucrates, gauchistes et archaïques et qu'il vaut mieux les remplacer par des systèmes interactifs individualisés. Ce serait alors le plus grand marché mondial qui s'ouvrirait ainsi. Cette question reste largement ignorée, alors qu'elle est tout aussi importante que celle de la concentration de l'industrie cinématographique aux Etats-Unis.
L'Europe doit se mobiliser sur ces sujets, mais elle se trouve aujourd'hui empêtrée dans une idéologie libérale qui l'empêche d'agir. Nous devons donc nous mobiliser pour contraindre les industries de la connaissance à respecter le principe de la diversité. Aujourd'hui, les entreprises multinationales refusent de recourir aux tribunaux internationaux, jugés trop complexes. Elles leur préfèrent les procédures d'arbitrages, inspirées du droit anglo-saxon. De fait, le droit romain recule. Cela traduit un effondrement mental et culturel. Les juristes ne se battent pas sur cette question, car le droit des affaires est d'inspiration anglo-saxonne et jugé à ce titre moderne.
Un participant
Si le protocole de Londres venait à être appliqué, tous les brevets en langue française seraient amenés à disparaître. Certaines entreprises s'y préparent déjà.
Jacques LEGENDRE
Votre vision du protocole de Londres me semble quelque peu erronée. Ceci dit, ce dossier demande une réaction de notre part.
Victorin LUREL
Au regard des débats, nous comprenons que la francophonie apparaît aujourd'hui comme un fait et une réalité incontournable. Cette réalité est dynamique et prend racine aux quatre coins de la planète. La Louisiane, le Val d'Aoste, le NouveauBrunswick, Pondichéry, Chandernagor, Karikal, Yanaon et Mahé ne peuvent être écartés de ce grand ensemble.
Cette réalité est confrontée à l'imperium de l'anglais. Nous ne devons pas nourrir de complexe. Nous ne devons pas nous placer en position défensive et avoir peur face à cette langue quelque peu envahissante. L'attitude du président Jacques Chirac face à Ernest-Antoine Seillière est à cet égard hautement symbolique.
De même, beaucoup de Français n'acceptent pas de voir leur langue malmenée, déformée et prononcée avec des accents éloignés de l'accent francilien. Pourtant, ce sont ses usages qui donnent au français sa richesse.
Au-delà, nous ne saurions nous contenter d'un simple combat pour la langue. La francophonie représente bien plus que cela. Le français est plus qu'une langue véhiculaire. Il porte en lui des valeurs. Nous aspirons à une certaine spiritualité dans la francophonie. Nous réclamons une vision et une Weltanschauung. Certains objecteront que c'est beaucoup demander. Si elle se contente de s'insérer dans la mondialisation actuelle et qu'elle met un genou à terre face à la marchandisation, elle aura échoué dans son ambition d'apporter une valeur ajoutée au monde. Elle pourrait pourtant apporter ce supplément d'âme. Nous ne pouvons que féliciter les femmes et les hommes qui mènent ce combat pour notre langue.
TABLE RONDE 3
LES RÉSEAUX HUMAINS
Le débat est présidé par Bruno BOURG-BROC, député de la Marne, président délégué de la section française de l'APF.
Il est animé par Xavier LAMBRECHTS, directeur adjoint de l'information de
TV5Monde.
Participent à cette table ronde :
Félix BIKOI, président de la Fédération des professeurs de français d'Afrique et de l'Océan indien, membre du Haut Conseil de la Francophonie,
Jean-Pierre de LAUNOIT, président de l'Alliance française,
Michèle GENDREAU-MASSALOUX, recteur de l'Agence universitaire de la Francophonie,
Jean-Paul HUCHON, président du Conseil régional d'Ile-de-France, Pierre LOUETTE, président-directeur général de l'Agence France Presse.
Xavier LAMBRECHTS
Bruno Bourg-Broc est, depuis 1995, maire de Châlons-en-Champagne. Il a occupé le poste de président de la Commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale. Il est aujourd'hui à la tête de la Fédération des maires des villes moyennes. En tant que président de séance, il va maintenant s'attacher à décrire les enjeux de cette table ronde.
Bruno BOURG-BROC
Derrière le terme de réseaux humains de la francophonie, se cachent en réalité l'ensemble des acteurs individuels et institutionnels qui se donnent pour but de participer au développement et à la promotion de la francophonie. Les enseignants, les universitaires, les journalistes, les parlementaires, les élus, les entrepreneurs et les professionnels de la culture sont autant de porte-parole de la francophonie. Chacun de ces réseaux est vecteur de savoir et porteur d'une dynamique. Au travers de cette table ronde, nous essaierons de distinguer comment lier entre eux ces réseaux, afin qu'ils travaillent ensemble. Cet objectif n'est pas simple à atteindre.
Au travers d'une prise de conscience de l'importance de la diversité culturelle, est apparue la nécessité de valoriser ce formidable atout que représente la francophonie, et, par la même occasion, le mode de pensée et d'action qu'elle véhicule. Dans ce cadre, l'existence des réseaux forts structurant le monde francophone prend toute son importance.
Il est temps de nous pencher sur le diagnostic des forces et des faiblesses de ces réseaux. C'est ainsi qu'ils gagneront en efficacité. Pour sa part, la France se mobilise, sur le plan humain comme sur le plan budgétaire, pour maintenir et développer ses atouts uniques, à savoir des médias audiovisuels internationaux et une présence journalistique, culturelle, universitaire, scolaire et scientifique de qualité. Le fait de tisser des liens entre ces différents réseaux permettra d'accroître la puissance et la visibilité de la francophonie.
Mon expérience dans le domaine politique m'amène à bien connaître le réseau des parlementaires francophones dans le monde, regroupés au sein de l'Assemblée Parlementaire de la Francophonie (APF). Je ne peux d'ailleurs m'empêcher de remarquer que les travaux préparatoires à ce colloque ne font que peu de cas de l'action de cette assemblée. Pourtant, j'ai pu constater que, chaque fois que nous le faisons, nous avons raison d'affirmer que nous sommes francophones.
L'APF n'est en rien une instance de discussion comme les autres. A l'origine, elle rassemble des parlementaires amoureux de la langue française et désireux de se battre pour le rôle international du français en partage. Peu à peu, elle s'est muée en une instance militant en faveur du respect des droits de l'homme dans les pays de la francophonie et pour une juste mise en pratique de la démocratie parlementaire.
Nous savons à quel point liberté politique et démocratie parlementaire sont intimement liées, tout comme la liberté politique est liée à la justice sociale et au développement économique. Ces problèmes constituent donc le quotidien de la réflexion de cette assemblée. Les débats et les rencontres qui en résultent nous enrichissent mutuellement. Ils favorisent en outre la compréhension mutuelle et la confrontation d'idées.
Je regrette cependant que cette instance ne dispose pas de plus de visibilité. Progressivement, notre travail sur l'organisation nous permet de gagner en sérieux et en crédibilité. Ainsi, nous affirmons que la francophonie est aussi une puissance politique.
Les fonctionnaires internationaux francophones constituent un second exemple de réseau, avec lequel je suis familier. J'ai eu l'occasion l'an dernier de rédiger pour l'APF un rapport sur l'usage du français dans les institutions internationales. Je me suis intéressé notamment à l'Union africaine ainsi qu'à l'ONU et, en son sein, à l'UNESCO. Cette étude m'a amené à dresser le constat inquiétant du recul du français, en dépit du fait qu'une partie du personnel de ces instances est francophone.
Si le français reste présent dans les hautes sphères de l'ONU, il se fait de plus en plus discret à la base. Bien souvent, il nous est répondu que les traductions sont onéreuses et que la plupart maîtrisent aujourd'hui l'anglais. En quelque sorte, la réintroduction du français ne viendrait que compliquer le fonctionnement de l'institution. Il est du ressort des fonctionnaires francophones de se battre et de mettre en avant leur langue. Aujourd'hui, des francophones et des français refusent d'utiliser leur langue par effet de mode ou sous le prétexte de la commodité. L'heure est grave. Il est temps pour nous d'agir et de multiplier les rencontres du type de celle à laquelle nous participons aujourd'hui.
Dans un article publié récemment, Hélène Carrère d'Encausse écrivait : « Comment ne pas être consterné en constatant en ce début de siècle que 14 % seulement des discours prononcés devant l'Assemblée générale de l'ONU le sont en français, alors que plus de la moitié le sont en anglais ? Ce recul est d'autant plus scandaleux que, depuis 1946, l'ONU a accueilli un grand nombre d'Etats francophones, africains en majorité. Mais leur entrée massive dans l'organisation, loin d'améliorer la situation du français comme langue de travail, n'a même pas pu freiner son recul. A ce point, il faut remarquer que l'emploi d'une langue dans une organisation internationale dépend en partie de ses fonctionnaires. Or les français ou les francophones ont tendance, dans les instances européennes ou à l'ONU, à capituler devant un mouvement favorable à l'anglais, parce qu'ils le croient irréversible. En définitive, la même absence de courage, d'attachement au français caractérise le comportement de nos compatriotes à l'intérieur de notre pays et dans la vie internationale. Qui assurera alors l'avenir de notre langue ? Qui convaincra les pays francophones, eux aussi menacés par la déferlante anglaise de s'arc-bouter au français et à leur propre langue, au lieu de s'abandonner au tout anglais ? C'est à nous de le faire. »
Le monde francophone est organisé, présent sur les cinq continents et traversé par les flux de la mondialisation. Il apparaît par conséquent indispensable que la francophonie prenne le train de la globalisation pour défendre la diversité contre la standardisation à l'oeuvre. Dans l'idéal, la francophonie doit garder pour objectif d'humaniser les échanges internationaux. Chacun des intervenants de cette table ronde représente l'un des réseaux humains qui constitue la richesse de la francophonie.
Xavier LAMBRECHTS
Originaire du Cameroun, Félix Bikoï préside la Fédération des professeurs de français d'Afrique et de l'Océan indien. Il est également le doyen de la Faculté des lettres et sciences humaines de l'Université de Douala. Il est en outre membre du Haut Conseil de la Francophonie.
Félix BIKOI
Alors que les réseaux associatifs réalisent de toute évidence un travail formidable, il semblerait qu'ils organisent eux-mêmes parallèlement leur invisibilité. Trois explications peuvent être avancées. Le manque de médiatisation constitue la première d'entre elles. La deuxième réside dans la centralisation bureaucratique dont ces réseaux sont victimes. La troisième se vérifie plus particulièrement en Afrique. La francophonie souffre souvent de la mauvaise image de la France et des Français, auprès des élites comme auprès de la population.
Pour sortir de cette impasse, il serait avant tout nécessaire de transformer ces réseaux institutionnels et professionnels en réseaux humains. Cette mutation implique une opération de restructuration de l'intérieur et l'instauration d'un partenariat entre acteurs locaux et internationaux. Dans L'éthique à Nicomaque, Aristote remarque que l'amitié n'est possible qu'entre égaux. Par conséquent, des réseaux établis de manière inégalitaire ne sauraient être que faibles.
La meilleure insertion de ces réseaux dans le milieu dans lequel ils opèrent fait également figure de nécessité. Je ne peux que déplorer l'arrogance de certains acteurs, plus particulièrement en Afrique subsaharienne. Certains Français se comportent mal et ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire pourrait se reproduire dans d'autres pays d'Afrique francophone. Une telle attitude vient compromettre le travail de ces réseaux, car, lorsque les aides s'accompagnent du mépris, leur impact est faible.
Les réseaux qui agissent concrètement sur le terrain doivent réaliser que le savoirfaire et le « faire-savoir » sont indissociables. Dans certains pays d'Afrique francophone, moins de 20 % de la population maîtrise en réalité le français. Seules les élites et les classes supérieures ont accès aux informations. Par conséquent, pour se faire connaître et faire connaître son action, il faut entrer dans le jeu de la médiatisation et, plus concrètement, ne pas hésiter à fêter les anniversaires des réseaux. Ainsi l'IRD a récemment fêté pendant une semaine les 30 ans de relations entre cette institution et le Cameroun. A cette occasion, une grande exposition a été organisée à Yaoundé sur le thème du travail effectué dans ce pays depuis 30 ans.
Ce n'est en effet pas tant le travail accompli que l'image de ces réseaux qui est mise en cause. Les institutions font par ailleurs montre d'une certaine arrogance face aux associations. Elles ne sont pas suffisamment prises en considération. Une concertation plus étroite apparaît indispensable.
Xavier LAMBRECHTS
Jean-Pierre de Launoit est le président de l'Alliance française. Il est né à Bruxelles. Il est passionné de culture et de musique, ainsi que le prouve son engagement auprès du concours musical international Reine Elisabeth. Il a aussi occupé pendant de longues années le poste de président du Comité groupe RTL.
Jean-Pierre de LAUNOIT
L'Alliance française a été créée en 1883 et se compose aujourd'hui de 1 074 comités locaux. Elle est présente sur les cinq continents dans 136 pays. Son activité ne se limite pas à de simples cours de français. Elle met à disposition des apprenants d'importantes ressources documentaires. L'Alliance française s'investit également dans des activités culturelles et artistiques variées. Elle est ainsi à l'origine d'une belle exposition sur l'art aborigène australien en début d'année. Plus récemment encore, elle a réalisé une exposition sur les arts sud-africains.
En 2005, nous avons accueilli 420 000 étudiants de par le monde. Ce chiffre progresse de près de 5 % chaque année depuis quelque temps. La progression du nombre d'étudiants est très marquée dans les grands pays, tels que l'Inde, la Chine, les EtatsUnis ou encore le Brésil. En ces temps où beaucoup s'inquiètent à juste titre du recul du français, cette information est de nature rassurante.
Les pères fondateurs de l'Alliance françaises, parmi lesquels Ferdinand de Lesseps, Louis Pasteur et Jules Verne ne pouvaient imaginer l'ampleur que prendrait notre mouvement. Aujourd'hui, nous les regardons comme des visionnaires audacieux. Ils ont en effet eu le courage de confier le fonctionnement de notre association à des femmes et des hommes du pays d'accueil.
Depuis sa création, l'Alliance française mène des actions afin de proposer une alternative culturelle en réponse à l'uniformisation des modes de vie et de pensée. Cette alternative doit s'établir en complémentarité avec les valeurs du pays qu'elle accueille. C'est dans ce sens que nous parlons de « binationalité ». Nous assurons à la fois la promotion de la langue française, ainsi que de la langue des pays qui l'accueillent. Deux séries de 26 courts-métrages réalisés pour l'Alliance culturelle démontrent concrètement en deux minutes et demie chacun comment peut se traduire cette fusion entre la culture française et la culture locale.
L'Alliance française bénéficie d'un statut de droit local, apolitique et non confessionnel. Elle travaille en liaison étroite avec la ville ou la région dans laquelle elle est implantée ainsi qu'avec les autorités académiques. En Chine, par exemple, nous sommes souvent implantés dans des bâtiments appartenant à l'université locale. Le recteur de cette université assure bien souvent la présidence de cette Alliance. Elle travaille en outre avec les différents acteurs culturels de la région. Ce positionnement nous place en parfaite harmonie avec l'environnement local.
Nous essayons d'adapter autant que possible notre offre de cours pour répondre à l'évolution des modes de vie. Nos étudiants voyagent de plus en plus et disposent de moins en moins de temps. Ainsi, à Paris, l'offre a été entièrement revue au cours des dernières années. Ce travail a permis de juguler la décroissance régulière du nombre d'étudiants.
Nous estimons que le français doit être en mesure de répondre aux questions que se posent les hommes et les femmes du monde dans tous les domaines. Je pense plus particulièrement à l'écologie, la bioéthique, la diversité culturelle, les rapports entre le religieux et le politique, la sécurité et le droit. L'Alliance favorise ainsi l'émergence d'une mondialisation faite d'individus qui se respectent et s'intéressent les uns aux autres. Dans ce contexte, la langue et la culture assurent une meilleure compréhension et favorisent la solidarité.
La création de la Fondation Alliance française représente pour nous un projet ambitieux. Elle permettra à terme de mieux assumer les responsabilités historiques de l'Alliance de Paris vis-à-vis du réseau, en apportant à ce dernier davantage de soutien intellectuel, technique et moral. Un colloque récent nous a en effet permis de constater à quel point le réseau était demandeur sur ce plan. La fondation rassemblera dans une seule structure indépendante des spécialistes compétents en matière de gestion associative, du développement d'activité, de la formation et du conseil pédagogique et culturel. Cette structure de droit privé d'utilité publique apportera transparence et clarté à notre action, puisqu'elle sera distincte de l'école et entièrement tournée vers le réseau. J'espère qu'elle pourra voir le jour avant la fin de l'année.
Parce qu'elle forme une grande famille, le premier atout de l'Alliance française réside dans le facteur humain. Elle compte 11 000 salariés et 8 000 bénévoles. Ces derniers consacrent du temps, pris sur leur vie personnelle, pour faire vivre l'Alliance.
Le recours aux étrangers constitue un autre atout pour l'Alliance française. En tant que Belge impliqué depuis 30 ans dans la gestion de l'Alliance française de BruxellesEurope, j'en suis moi-même l'illustration. C'est l'apport des étrangers, au travers de leur sympathie et de leur passion pour la langue et la culture françaises, qui a donné corps à ce concept de diversité culturelle et linguistique. Comme l'affirmait le ministre des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy, la défense de cette idée est au coeur de la francophonie.
L'absence d'organisation hiérarchique est pour nous un autre atout. L'Alliance française a préféré développer un système d'interactions permanentes. Chaque élément est autonome et indépendant et est librement rattaché au réseau. Tous les administrateurs, de quelque nationalité qu'ils soient, se sentent pleinement responsables et se dévouent totalement au service de l'Alliance.
S'il faut trouver des faiblesses à ces organisations, elles résident naturellement dans les faiblesses de l'humain. Notre système repose en effet entièrement sur la qualité des hommes et des femmes qui le composent. Ceci dit, les mauvaises surprises restent extrêmement rares. Nous ne sommes confrontés que très rarement à des situations d'échec.
Une vision passéiste de notre culture pourrait représenter une menace pour notre organisation. Certains nourrissent en effet une nostalgie de l'époque où la France était dominante sur le plan culturel. Elle l'est aujourd'hui certainement moins. J'ai pu au travers d'un voyage récent en Chine rencontrer les onze jeunes directeurs des Alliances de ce pays. Leur dynamisme apporte une image de modernité à notre structure et me rassure quelque peu quant à cette menace nostalgique.
Enfin, beaucoup pourraient penser qu'une organisation peu hiérarchisée est synonyme de désordre. Il est vrai que pour construire un pont ou pour mettre sur orbite un satellite, une structure très organisée est indispensable. Pour faire vivre la ferveur culturelle, mieux vaut laisser à chacun une certaine souplesse et beaucoup de liberté. Ce que nous pouvons perdre en cohérence, nous le gagnons en initiative et en enthousiasme. Les citoyens planétaires de la culture et de la diversité qui composent notre réseau sont les véritables trésors de l'Alliance française.
Nous souhaitons pouvoir donner à l'Alliance de Paris la possibilité de choisir ses directeurs expatriés. Ces directeurs deviennent ensuite les interlocuteurs privilégiés de nos partenaires étrangers. Pour l'heure, c'est un système complexe qui prédomine. La pseudo-concertation qu'il introduit n'est pas sans défauts. Nous procédons en ce moment à une série d'aménagements. Nous pensons ainsi introduire un visa conjoint entre le ministère des Affaires étrangères et l'Alliance qui nous permettrait de mieux nous associer au processus. La santé de notre système repose en effet pour une bonne part sur la qualité des expatriés.
Enfin, je crois que nous devons tirer un meilleur parti du réseau, qui représente pour nous un trésor d'expériences et de compétences. La création de notre Fondation nous permettra de mieux faire circuler les personnes et les idées. C'est ainsi que nous créerons une sorte de compagnonnage moderne, où chacun prendra des leçons de son voisin. Ce concept se traduira par des échanges internationaux entre professeurs, étudiants et artistes et la mise au point de formations régionales communes et la réalisation de projets culturels.
Depuis quelques jours, nous étudions la possibilité de la création d'une radio Alliance, en partenariat avec RFI. Cette radio aurait vocation à être diffusée dans l'ensemble de notre réseau. L'Alliance française s'inscrit complètement dans la tradition d'humanisme, d'universalité et de tolérance. Il est vrai que la diversité des cultures permet d'affirmer des valeurs telles que la paix sociale, la souveraineté locale, le respect des identités et la compréhension mutuelle.
La culture n'est pas une marchandise comme les autres. Elle traduit un mouvement d'idées qui favorise le dialogue. La Convention signée en octobre dernier à l'UNESCO, à la quasi-unanimité de ses participants, représente à cet égard une victoire de la culture. C'est dans ce cadre que l'Alliance française essaie d'apporter sa petite pierre à la paix et à la stabilité dans le monde.
Xavier LAMBRECHTS
Michèle Gendreau-Massaloux est née à Limoges. Elle est agrégée d'espagnol et diplômée de l'Institut d'études politiques de Paris. Elle nourrit une véritable passion pour la littérature espagnole. Elle a occupé le poste de recteur de l'académie d'Orléans-Tours puis de celle de Paris. Aujourd'hui, elle est chancelier des universités de Paris et recteur de l'AUF, l'Agence universitaire de la Francophonie.
Michèle GENDREAU-MASSALOUX
L'Agence universitaire de la Francophonie est un grand réseau, comprenant plus de
600 universités et centres de recherche aujourd'hui répartis dans le monde entier et elle est surtout, depuis son origine, une association où l'on n'entre que par un acte de candidature volontaire. Cela signifie que chaque institution candidate à l'adhésion s'engage à payer une cotisation, très modeste pour les universités et les centres de recherche du Sud de l'ordre de quelques centaines d'euros mais s'élevant à plusieurs milliers d'euros pour les grandes universités du Canada, de la Belgique, de la France ou d'autres pays développés.
Notre institution soutient également des réseaux scientifiques partout dans le monde et, pour nous, qui dit réseau nous tenons beaucoup à cette précision dit absence de centre défini. Ainsi la France n'est pas au centre des réseaux de l'Agence universitaire de la Francophonie.
Il y a donc dans l'AUF plusieurs sortes de réseaux.
A l'intérieur de notre grand réseau d'établissements, beaucoup de chercheurs se sont individuellement rattachés - par exemple, en démographie, en économie, en linguistique - à des réseaux définis par la thématique à laquelle se consacrent les personnes qui les composent. Chacun de ces réseaux de chercheurs élit un coordonnateur qui peut être, selon les cas, un Mauricien, un Sénégalais, un Camerounais, un Canadien, un Belge, un Français, etc., et ce responsable est renouvelé périodiquement.
L'AUF soutient une troisième catégorie de réseaux : des réseaux de doyens ou directeurs de facultés, d'instituts, d'unités de formation et de recherche, dans quelquesunes des grandes branches du savoir la langue française et les langues, la médecine, la pharmacie, les sciences de la santé en général, le droit, l'administration. Ces réseaux institutionnels ont la maîtrise de leur gestion et l'obligation de renouveler périodiquement leur comité directeur.
Quant à la gestion interne de notre institution, elle est aussi déconcentrée. Notre directeur pour la Caraïbe, par exemple, en ce moment un ingénieur camerounais qui a réalisé de nombreuses actions de recherche appliquée à Yaoundé, pilote les relations universitaires en langue française qui se déploient dans les établissements d'enseignement supérieur de la Caraïbe, et entre la Caraïbe et le reste du monde. Nous accordons des bourses à la fois pour des mobilités entre pays du Sud, mais aussi entre pays du Sud et du Nord, que ce soit du Sud vers le Nord ou du Nord vers le Sud : un étudiant de Montpellier ou d'Ottawa peut travailler sur les dictons et contes populaires à Madagascar, un autre sur la réalisation de barrages au Vietnam.
Dans cette perspective, nous accordons une importance particulière aux formations à distance, parce qu'elles permettent à tout étudiant, où qu'il soit, non seulement d'avoir accès aux grandes banques de données scientifiques mondiales sur son sujet, mais également de s'inscrire à distance à un master validé par un diplôme reconnu dans son pays, à une thèse en co-tutelle, à une formation post-doctorale. Au Burkina Faso nous venons de fêter le premier diplôme à distance obtenu par un étudiant de Ouagadougou dans une université française : cet étudiant a suivi ses cours depuis Ouagadougou et il a obtenu exactement le même diplôme qu'un étudiant qui a passé son année académique dans l'Université concernée en France. Cet événement a été fêté à Ouagadougou, et il est, en effet, de grande importance.
Outre l'espoir de voir ainsi se multiplier sur le terrain des formations professionnalisantes, il correspond à la conviction que c'est au coeur des pays en développement que peut s'intensifier la pratique du français.
Si la langue française est partout vivante, c'est en effet qu'elle se trouve dans une relation aux autres langues qu'il appartient au pays lui-même d'officialiser. Dans le monde arabe, le trilinguisme paraît être dans l'administration, l'éducation, l'entreprise la voie qui permet que partout l'anglais soit accessible, le français présent, et l'arabe reconnu comme indispensable. C'est une carte équivalente que nous jouons en Asie, et beaucoup d'universités de Chine nous ont rejoints parce que dans les apprentissages que nous appuyons, la langue principale du pays est regardée comme nécessaire, tandis que le français, comme l'anglais, est valorisé dans son rôle économique autant que culturel. C'est d'ailleurs en partie grâce au français que les Chinois gagnent des parts de marchés en Afrique francophone.
La première de nos forces, c'est donc nos réseaux, ce réseau de réseaux dépourvus de centre défini, mais c'est aussi, à travers l'association des universités, la particularité qui fait de ce réseau un opérateur de la Francophonie institutionnelle. Cette qualité fonde notre relation avec l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et nous impose une obligation de professionnalisme en termes de gestion, sous le regard des onze Etats et gouvernements représentés dans notre conseil d'administration. Elle nous apporte, surtout, un partenariat soutenu avec les autres institutions francophones : l'Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), TV5, l'université Senghor, et enfin l'OIF elle-même. Nous bénéficions de la sorte d'une assise institutionnelle que n'ont pas toutes les associations.
La deuxième de nos forces vient de la nature multilatérale de nos financements. Cette force est aussi une faiblesse, parce que ce financement multilatéral est déséquilibré. La France, qui remplit ses obligations avec un scrupule exemplaire, est présente pour
82 % dans notre budget de 41 millions d'euros par an, mais nous aimerions voir aussi impliqués les autres bailleurs de fonds de la communauté francophone : le Canada, le Québec, la Communauté française de Belgique, la Suisse qui est un partenaire scientifique hors du commun, grâce aux laboratoires privés qui épaulent nos interventions dans le domaine de la santé. Sans véritable partage des ressources, il n'y a pas d'institution multilatérale digne de ce nom, parce que les composantes de l'action commune peuvent se trouver dans une situation de dépendance à l'égard du pays prépondérant.
Notre budget devrait donc être conforté par les apports d'autres pays que la France. Il est d'ailleurs très insuffisant par rapport au nombre de dossiers de qualité qui nous sont proposés : nous ne pouvons honorer qu'une demande de bourse pour cinq étudiants compétents et désireux de mobilité. Nos instituts de médecine tropicale à Vientiane, d'entrepreneuriat à l'Ile Maurice, d'administration et de gestion à Sofia ne reçoivent pas non plus tous les moyens nécessaires à leur développement, malgré les relations prometteuses et les co-diplômations qu'ils ont établies avec Bordeaux, Paris XII, Nantes... Pour entretenir les échanges et la codiplômation entre universités francophones, nos bourses devraient passer de 2500 à 10.000 environ par an et notre financement traduire un engagement équilibré de tous les gouvernements qui composent l'Organisation internationale de la Francophonie, engagement proportionnel, bien entendu, aux possibilités de chacun.
Notre troisième atout, qui est en même temps notre troisième problème, c'est notre visibilité, à la fois extrême dans certains pays, et insuffisante dans d'autres. Dans beaucoup de pays du Sud à Madagascar, en Tunisie, en Algérie, en Israël (les recteurs du monde arabe et des pays les plus politiquement partagés sur la question d'Israël ont récemment accepté, à l'unanimité, que l'Université de Tel Aviv devienne membre de l'Agence universitaire de la Francophonie) lorsque nous inaugurons un campus numérique qui offre à des étudiants de l'information scientifique et de la formation à distance, les plus hautes autorités de l'Etat président la cérémonie. La télévision nationale y consacre le plus souvent une émission spéciale.
Mais ni en France, ni au Canada, ni dans les pays développés, la notoriété de la plupart des institutions liées à la francophonie n'est à la hauteur de ce qu'elles portent d'espérance et de réalité, puisque nous contribuons à créer des emplois au Sud pour les jeunes diplômés, qui ne participent que très peu au mouvement mondial de fuite des cerveaux. Notre souci est de faire qu'un jeune bien formé, muni d'un diplôme reconnu et d'une expérience multilingue, trouve un emploi dans son pays. Les chiffres parlent, mais ils sont peu connus, en particulier en France. Le manque d'intérêt des pays du Nord pour la francophonie en général, et pour notre institution en particulier, est peut être dû à la complexité des statuts et de l'organisation de la Francophonie institutionnelle, mais il porte aussi la marque des réactions souvent incrédules ou perplexes que suscite le mot lui-même, comme on peut l'observer à l'occasion des débats autour du festival que parraine cette année le gouvernement français : le mot francophonie résonne très différemment selon les régions du monde, et en France même, selon les milieux où il est prononcé, selon qu'on l'envisage soit dans la nostalgie d'une primauté perdue de la langue française ou, au contraire, comme le veut Dominique Wolton et avec lui beaucoup d'autres, comme un mot qui, si je peux me permettre de retourner votre titre « la mondialisation, une chance pour la francophonie » -, apporte une chance à la mondialisation.
Pour essayer de remédier aux faiblesses que je viens de signaler, je formulerai trois propositions pour la Francophonie.
1° DES VOLONTAIRES POUR LA FRANCOPHONIE
La Francophonie attire les jeunes soucieux de formation et de développement. Dans les campus numériques francophones de l'AUF, nombreuses sont les propositions de participation de volontaires qui sentent que ce dispositif répond à un besoin. Or, à l'heure actuelle seul le programme des Volontaires des Nations Unies (VNU), non destiné spécifiquement à la jeunesse, offre un véritable volontariat Sud/Sud. Rien n'existe spécifiquement pour les jeunes francophones.
Aussi me semble-t-il opportun de donner la possibilité à de jeunes francophones
(majoritairement issus du Sud), d'acquérir, dans le cadre de la Francophonie, une expérience humaine et socio-professionnelle dans un autre pays que le leur, en mettant leur compétence au service de projets sur le terrain. Cette plus-value serait associée à des projets de développement de la francophonie, en complémentarité avec les programmes existants.
2° UNE RELANCE DE L'ÉDITION FRANCOPHONE
La plupart des livres écrits en français que lisent les habitants des pays en développement sont édités et distribués par les entreprises des pays développés. Pour créer et assurer la survie de maisons d'édition et de distribution, d'entreprises et de librairies dans les pays du « Sud », il convient d'abord de traiter la question des droits d'auteurs, et d'engager un soutien résolu à des maisons d'édition, de distribution, des imprimeries et des librairies locales. La Francophonie pourrait identifier et appuyer au moins une entreprise de chacune de ces catégories dans chacune des capitales des pays membres de l'Organisation internationale de la Francophonie.
La formation des jeunes aux métiers de l'édition et de la librairie devrait également trouver sa place dans les programmes des opérateurs de l'OIF.
3° LA DIFFUSION DE LA LANGUE PAR LA TÉLÉVISION
Il existe, en particulier sur TV5, des émissions dont la réalisation est liée à des objectifs pédagogiques. Tel est en particulier le cas de « Sept jours sur la planète », utilisée dans les cours de français dispensés par des professeurs liés, en plusieurs pays de la Francophonie, à l'AUF. Mais beaucoup d'autres émissions, y compris des séries policières de bonne facture, peuvent si elles sont sous-titrées dans la langue locale majoritaire, constituer un excellent moyen d'attirer un public varié vers le français.
La plupart des chaînes, tant françaises que d'autres pays francophones, ont choisi pour leur rayonnement mondial la voie du câble ou du satellite. Or nombreux sont les foyers de citoyens des pays francophones à ne disposer que de chaînes hertziennes. Il s'agirait donc d'aider les responsables des émetteurs nationaux hertziens à conclure des accords de retransmission pour des émissions produites en français, non seulement par TV5 mais par d'autres chaînes, publiques et privées.
Xavier LAMBRECHTS
Jean-Paul Huchon est né à Paris. Cet ancien élève de l'ENA est devenu directeur de cabinet de Michel Rocard. Il a également travaillé dans le privé, pour le groupe Printemps notamment. Aujourd'hui, il occupe la présidence de la région Ile-deFrance.
Jean-Paul HUCHON
Dominique Wolton écrit dans son dernier ouvrage : « Il faut développer la coopération décentralisée, véritable pont entre les institutions et la société civile. Il s'agit d'une invention française, qui a d'abord concerné l'Europe, puis les pays francophones et maintenant d'autres régions du monde. Les collectivités territoriales françaises entretiennent aujourd'hui des relations avec l'Allemagne, Madagascar, le Mali, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Sénégal, le Québec, la Roumanie, le Viêt-Nam, le Mexique, le Chili etc. Ces expériences créent de l'expertise et de la solidarité. »
La région Ile-de-France compte 11,5 millions d'habitants. Son PIB est comparable à celui des Pays-Bas, de la Suède ou de la Belgique. Depuis qu'elle a initié une politique de coopération décentralisée, 13 accords ont été signés avec différents pays. L'idée et les valeurs de la francophonie sont bien souvent à la base de ces accords.
Ces concepts de coopération décentralisée sont nettement distincts des opérations de jumelage. Un comité de coopération paritaire se réunit deux fois par an. Il vérifie au centime près l'utilisation des subsides de chaque côté. Il fixe en outre des objectifs triennaux. C'est dans ce cadre que nous avons financé à 100 % et construit au Sénégal un lycée qui fait également office d'université. Il accueille maintenant près de
3 000 élèves.
Au Viêt-Nam, où nous travaillons avec le Comité populaire de Hanoï, qui est l'équivalent d'une assemblée populaire élue, bien souvent, nous sommes obligés d'avoir recours à l'interprétariat pour communiquer ou de parler anglais. C'est également le cas dans les pays d'Amérique du Sud. Nous essayons de faire honneur à notre statut de francophones, mais je dois avouer que nous avons souvent l'impression de gêner quelque peu nos hôtes et de compliquer les relations. Il en va de même au Liban. Nous avons signé avec ce pays un contrat très intéressant, qui nous a permis de reconstruire le Bois des Pins et de créer une école de gestion. Ceci dit, nous sommes obligés de parler anglais avec la municipalité de Beyrouth, qui est notre correspondant sur place.
Ces quelques exemples démontrent à quel point le risque pour notre langue est réel. La coopération décentralisée ramène les échanges à un niveau où ils ne se limitent pas à quelques discours. Ils prennent la forme d'actions concrètes de développement.
Je reste persuadé que cet outil peut s'avérer très utile pour l'action francophone. Il aura fallu du temps pour qu'il s'impose. Une attitude gaulliste quelque peu caricaturale, qui exigeait de passer pour toute chose par le ministère des affaires étrangères, a freiné quelque peu le développement de ce concept. En tant que haut fonctionnaire de l'Etat, représentant de la France dans de nombreux groupes de travail internationaux, j'avais parfois interdiction de rencontrer des fonctionnaires européens. A l'époque, la France, dans son splendide isolement, refusait tout échange.
Aujourd'hui, nous pouvons traiter avec des collectivités locales d'autres pays sans demander l'assentiment du ministre des affaires étrangères. Cette formidable conquête doit être utilisée de sorte que les réseaux humains complètent le travail des institutions. Nos actions en faveur de la francophonie ont d'autant plus de poids lorsqu'elles s'accompagnent d'actions concrètes de développement.
Au sein de l'association Métropolis qui a vocation à rassembler toutes les villes et régions comptant plus d'un million d'habitants, nous essayons de faire progresser l'idée de coopération décentralisée. Notre association compte aujourd'hui une centaine de membres.
Les dirigeants de la Banque mondiale jugent à ce propos la coopération décentralisée plus efficace que la coopération interétatique. Cela s'explique notamment par le fait qu'elle s'accompagne de peu d'évaporation. Les risques de corruption sont en effet limités, tandis que la vérification in situ de la réalisation des projets apparaît comme un frein efficace à la tentation. D'autres institutions internationales dressent un constat similaire. Le président Abdou Diouf nous a d'ailleurs contacté à ce sujet. Il souhaite instaurer un lien entre le développement de la francophonie et celui de la coopération décentralisée.
A défaut de dessiner des pistes très précises d'action sur ce sujet, nous pouvons tout de même lancer quelques idées. La coopération décentralisée est en effet de nature à développer un bruit de fond favorable à la francophonie. La création de programmes d'accompagnement à la francophonie pourrait ainsi être envisagée. Ces programmes seront d'autant plus légitimes que nous serons à la pointe du développement économique dans ces pays.
A mesure que ce concept gagne du terrain, les sommes engagées augmentent. Aujourd'hui, le budget annuel de la coopération décentralisée pour la région Ile-deFrance se monte à 8,5 millions d'euros. Ce chiffre peut paraître faible, mais il faut prendre en compte le fait qu'on peut réaliser dans les pays du Sud beaucoup plus avec des moyens limités. Ainsi, nous avons construit au Sénégal un lycée pour 1,5 millions d'euros. Le même lycée en France aurait coûté plus de 45 millions d'euros.
Les faiblesses d'un tel type d'entreprise ne doivent pas être niées. La dispersion des efforts produit des effets calamiteux. Sur la seule région Ile-de-France, une centaine de collectivités territoriales intervient en faveur de la région de Dakar au Sénégal. Chacun propose sa petite action ou son petit jumelage. Les résultats n'en sont que plus faibles. En mutualisant nos efforts, nous pourrions réaliser de grandes choses pour les pays du Sud comme pour la francophonie.
A la fin de l'année, nous souhaitons organiser un colloque sur le thème « collectivités territoriales et francophonie ». Abdou Diouf nous a assuré de sa présence. Nous souhaitons y jeter les bases d'une organisation des coopérations décentralisées des collectivités territoriales du Nord en direction du Sud. Pour cela, nous devons nous rapprocher du Québec, de la Belgique, de la Suisse et des autres pays francophones du Nord.
Les difficultés que l'on rencontre pour développer la triangulation doivent être considérées comme une autre grande faiblesse de nos modèles de coopération. La mise en commun des moyens de deux ou trois collectivités locales peut en effet s'avérer extrêmement bénéfique. Sur Haïti, la région Ile-de-France profite de la proximité géographique de la Guadeloupe. Au Chili, nous avons ainsi développé une opération de développement du microcrédit dans la région de Santiago, en partenariat avec le Pays basque. Plusieurs dizaines de milliers de personnes en bénéficient aujourd'hui, grâce aux prêts de banques amies.
Nous devons multiplier ce genre d'expériences. Au mois de juin prochain, une rencontre entre Abdou Diouf et les représentants des régions de l'Association des régions de France (ARF) devrait nous permettre de dessiner des pistes pour développer dans nos actions internationales les projets en faveur de la francophonie. Je crois en effet que toute coopération peut être imprégnée d'une touche de francophonie. Au Liban, l'école de gestion que nous avons créée n'enseigne pas qu'en anglais. Elle fait aussi la part belle aux économistes français et aux pratiques de management à la française.
De la même manière, certains types d'actions peuvent être conduits prioritairement en liaison avec la francophonie. Je pense plus particulièrement à l'accès à l'énergie et à l'eau. Avec l'ensemble des départements de l'Ile-de-France et surtout la Seineet-Marne, qui a réalisé un important travail sur ce plan, la région va lancer prochainement une opération en partenariat avec l'OIF sur ces questions. Nous voulons également impliquer la francophonie. Par le biais de leurs compétences administratives techniques et de notre vivier d'entreprises, nous bénéficions d'un substrat très utile.
Le réseau d'échanges que représente l'ARF peut jouer un rôle fédérateur en matière de coopération et de francophonie. Ce n'est pas un hasard si Abdou Diouf a sollicité la région Ile-de-France sur ces thèmes.
En ce qui concerne la problématique de l'édition, je tiens à signaler que partout où des projets de coopération décentralisée sont menés, nous créons de petites bibliothèques au sein d'entreprises ou de centres de formation. Cela vaut d'ailleurs dans les pays où nous sommes en concurrence avec des anglophones. Nous avons pu remarquer que ce type d'actions n'est pas sans impact.
L'adjonction d'une touche francophone dans nos politiques de coopération décentralisée me paraît représenter une piste intéressante. Je veux croire que nous prenons aujourd'hui ce chemin. En donnant l'exemple avec l'ensemble des régions françaises, nous pourrons faire progresser cette idée.
Xavier LAMBRECHTS
Pierre Louette est président directeur général de l'Agence France presse. Après une formation à Sciences Po et à l'ENA, il a notamment travaillé dans le cabinet d'Edouard Balladur. Il a été l'un des animateurs du programme français des autoroutes de l'information. Il a travaillé ensuite pour France Télévisions. L'AFP figure aujourd'hui parmi les trois plus grandes agences de presse au monde. Elle est la première en langue française.
Pierre LOUETTE
L'Agence France presse appartient au club des trois plus grandes agences mondiales. Les deux autres sont anglo-saxonnes, à savoir Reuters, anglaise à l'origine, et Associated Press, qui est américaine. Les autres agences possèdent une envergure majeure, mais ne disposent pas du même réseau mondial que l'AFP.
Au contraire des intervenants précédents, je ne me placerai pas sur le plan de la coopération ou de l'échange, mais bien sur celui du commerce. Notre commerce est assez particulier, dans la mesure où il s'agit de celui de l'information. Nous sommes producteurs d'informations en six langues, à savoir le français, l'anglais, l'allemand, l'espagnol, l'arabe et le portugais. L'AFP travaille dans le monde entier. Elle compte
2 200 salariés et autant de collaborateurs occasionnels. Nos 90 bureaux sont répartis dans le monde entier.
L'utilisation du français dépend pour nous de la décision du client. En fonction de leurs intérêts, nos clients décident de s'abonner au service français plutôt qu'à un autre. En quelque sorte, nous nous situons sur le terrain de la francophonie compétitive.
L'AFP est mondiale par nature et française par essence. Elle descend de l'agence Havas créée en 1835 par un Français d'origine hongroise. En réalité, sa naissance illustre bien l'apport du monde entier aux réalisations de la francophonie. Même si Reuters est née d'une scission de l'agence Havas, l'AFP est la seule grande agence à ne pas être anglo-saxonne. Un associé du fondateur d'Havas a fondé à son tour une agence concurrente, devenue anglaise par la suite. Les mécanismes de la globalisation étaient déjà à l'oeuvre à l'époque.
La reconnaissance dont bénéficie l'AFP est certainement plus grande à l'étranger qu'en France. Nous ne pouvons d'ailleurs nous en plaindre. Puisque les médias traditionnels achètent des informations d'agence, notre travail n'est pas offert directement au consommateur. Ceci dit, beaucoup se souviennent encore de cette phrase :
« Selon une dépêche de l'AFP qui vient de tomber sur nos téléscripteurs... ». Les téléscripteurs ont aujourd'hui disparu, mais cette expression a certainement contribué à notre notoriété.
Nous nous appuyons sur une notoriété très importante dans certaines régions du monde, comme en Asie. Souvent, l'AFP y est connue sous le nom de « France Presse». Il en va de même au Moyen-Orient, où nous publions des contenus multimédia et des infographies en arabe.
L'aiguillon de la concurrence ne peut être occulté. Elle fait figure de donnée fondamentale pour nous. Le budget de l'agence s'élève à 270 millions d'euros. Une partie minoritaire de budget est apporté par les abonnements publics, souscrits par les administrations et démembrements de la puissance publique, alors que cette partie était autrefois majoritaire. C'est donc sur un terrain concurrentiel que l'AFP réalise aujourd'hui la majorité de son chiffre d'affaires. L'étranger représente d'ailleurs une part plus importante que la France dans les recettes de l'AFP.
En matière de réseaux, l'AFP peut être définie comme un vecteur de la francophonie de manière directe et indirecte. Son action peut être qualifiée de directe lorsqu'elle fournit des informations en langue française. Elle est en revanche indirecte lorsque les informations sont vendues dans une langue étrangère, car elle véhicule tout de même une vision partiellement française du monde.
L'AFP offre un réseau de regards associés à une entreprise ontologiquement française. A l'heure actuelle, une majorité de nos journalistes sont français, mais il est probable que cette situation ne perdure pas au cours des années à venir. Associés à cette entreprise française, ces journalistes français et étrangers vont développer une autre vision du monde.
Un certain nombre de nos clients nous choisissent de manière positive. Ils estiment que nous sommes plus rapides, plus précis et mieux informés que nos concurrents. D'autres nous choisissent de manière plus négative. Ils nous jugent bons mais soulignent avant tout que nous ne sommes pas anglo-saxons. Souvent, d'eux-mêmes, nos clients assurent que nous portons un éclairage et un regard différent sur des sujets délaissés par les deux autres grandes agences anglo-saxonnes.
Cet argument de vente, en quelque sorte, s'avère pour nous être un atout très utile dans de nombreux pays, qui ne sont pas obligatoirement les bastions de la francophonie. C'est le cas notamment dans certains pays de l'Asie anglophone. A travers le monde, nous constatons la même tendance à associer une nationalité à un mode de pensée. Nous bénéficions ainsi d'un réseau d'affinités mondiales.
La France n'est pas dotée d'un marché aussi grand que le marché américain. Cette contrainte nous a poussés à développer une couverture intrarégionale du monde. C'est le cas notamment au Moyen-Orient, où l'AFP occupe certainement le premier rang. En Asie, où l'AFP est considérée comme l'une des deux grandes agences, ce choix a été également retenu. Nous couvrons l'Indonésie pour l'Australie, car les deux pays sont fortement liés et intéressés l'un par l'autre. De même, nous couvrons l'Indonésie pour la Malaisie, comme nous couvrons Singapour pour la Thaïlande. Cette couverture est réalisée en anglais, même si certains clients restent abonnés à des services français.
Notre vision ne se limite donc pas à la couverture du monde à destination de la seule France. Au contraire, AP a longtemps couvert le monde dans la seule optique de nourrir le marché américain. Ceci dit, AP connaît aujourd'hui d'importantes mutations. Les dirigeants ont donné pour consigne de copier en Asie le modèle choisi par l'AFP. Ce changement est d'ailleurs à l'origine de quelques craintes chez nous.
L'agence est dirigée en Asie par un Ecossais qui s'exprime parfaitement en français. Il était autrefois rédacteur en chef central de l'AFP. Il est intéressant de s'arrêter sur le cas de cette personne qui a choisi délibérément de travailler pour une agence française. Ses compétences auraient largement pu lui permettre de travailler pour AP ou pour Reuters. Elle a cependant fait le choix de cette troisième vision du monde.
La marque AFP marque clairement son ancrage français. Le label AFP au bas d'une dépêche rappelle clairement que tous ses rédacteurs participent d'une communauté de regard, qu'ils soient d'ailleurs français ou non. Cette communauté de regard s'ancre elle-même dans une certaine tradition. Cette tradition diffère quelque peu de celle de nos concurrents.
Un éditeur chinois de Singapour nous expliquait récemment qu'il avait choisi l'AFP pour échapper au conformisme anglo-saxon. De toute évidence, nous ne sommes donc pas les seuls conformistes de par le monde.
La relative faiblesse de la presse d'expression francophone nous oblige à une plus grande ouverture sur le monde. Nous nous ouvrons donc au monde par choix mais aussi par contrainte. Cela nous pousse à la rencontre des attentes de nos clients qui souhaitent que l'information épouse les préoccupations de leur société et non uniquement celles de la France ou des Etats-Unis.
Nous sommes par conséquent tout à la fois globaux et locaux. Nous voulons nous ouvrir sur toutes les réalités du monde, tout en n'ignorant pas nos racines. Au final, nous nous exprimons depuis la France, qui est à l'origine du concept d'agence de presse mondiale. Par cette invention, notre pays a contribué à l'essor de la presse de masse. Historiquement, les deux phénomènes coïncident pleinement. Cette concordance s'explique par le fait que l'agence de presse fait office en quelque sorte d'économiseur de moyens. Elle permet d'agréger des énergies et fournit des briques, qui pourront être utilisées de l'extrême droite à l'extrême gauche. Nous nous contentons de fournir des faits et des données « sourcées » et vérifiées. Leur utilisation idéologique n'est pas de notre ressort.
En Europe, notre service français perd du terrain. Nous nous battons pour le maintenir. Nous perdons plus de clients que nous n'en gagnons. Bien souvent, ils se tournent vers un service en anglais ou dans leur langue maternelle.
Pour contrer cette tendance, peut-être faudrait-il développer la formation journalistique en France. Si notre pays accueillait plus de futurs journalistes étrangers, une fois leur carrière avancée, ces mêmes journalistes pourraient alors faire le choix de l'AFP.
Nous agissons dans ce sens à notre petit niveau, faute de moyens suffisants.
Un moment, nous avions réfléchi à la création d'une fondation AFP accueillant des étudiants étrangers et des journalistes à Paris entre deux postes. Il n'est cependant pas sûr que ce projet voie le jour. La fondation ne me paraît pas être la réponse la plus adéquate. Nous pourrions en revanche choisir la voie de la coopération avec des universités étrangères. Il me paraît plus simple de créer sur place des formations que d'amener en France des étudiants.
Je suis frappé par l'extrême diversité de l'appareil audiovisuel français à l'international, même si j'ai longtemps travaillé dans les cabinets ministériels, où l'on est censé contribuer à l'orientation subtile des politiques. J'ai pu constater qu'en France, nous ne progressons jamais que par ajout et jamais par retrait. Il est toujours très complexe de supprimer une structure existante ou de la fusionner avec une autre. Ceci étant, cela participe certainement du génie français. Une telle démarche permet de multiplier les angles de vision.
Nos voisins ne réagissent certainement pas de la même façon. En Grande-Bretagne, où un pragmatisme peut-être pauvre est privilégié, la BBC concentre l'essentiel des moyens. Cette grande organisation très bien financée peut se permettre une large action de par le monde.
DÉBAT AVEC LA SALLE
Un participant
En tant que fonctionnaire au ministère des affaires étrangères, j'ai pour habitude à l'étranger de me faire accompagner d'un interprète ou de rechercher des personnes qui connaissent notre langue. Une telle démarche valorise les francophones du lieu. Un autre choix peut être de se faire accompagner par des Français qui connaissent la langue du pays d'accueil.
Jean-Paul Huchon déplorait au niveau régional l'émiettement des moyens mis au service de la coopération. J'ai entendu les mêmes réflexions de la part d'ambassadeurs. Souvent ils n'ont connaissance des initiatives qu'une fois réalisées. Une coordination apparaît donc souhaitable à tout niveau.
Jean-Paul HUCHON
A l'époque où je travaillais au cabinet du Premier ministre, nous avions créé des « clubs pays » qui regroupaient toutes les initiatives pour un même pays et rassemblaient en plus toutes les administrations compétentes et les représentants des entreprises qui intervenaient dans ces pays.
Pour relever les défis qu'elle s'est fixés, la francophonie ne doit pas négliger les entreprises. Dans le cadre de projets de coopération décentralisée, nous emmenons régulièrement des entreprises qui ont vocation à travailler dans le pays concerné.
Nous avons soumis à Abdou Diouf cette idée visant à rassembler tous les acteurs en fonction des pays visés par l'action de la francophonie. Les ambassades et les structures de coopération ont compris l'intérêt d'une telle démarche. Nous n'avons plus désormais qu'à concentrer et à focaliser ces énergies.
Un participant
L'un des grands moyens de développer la francophonie est de favoriser l'installation de sièges d'associations internationales non gouvernementales. Autrefois, Paris était en pointe dans ce domaine. Aujourd'hui, Bruxelles attire de nombreuses organisations et associations non gouvernementales. Nous avons longtemps demandé la création d'une maison des associations internationales établies en France. Peut-être est-il encore temps de la construire.
Jean-Paul HUCHON
La région Ile-de-France a les moyens d'agir dans ce domaine, même si cela ne représente pas le coeur de son budget. Dans un domaine connexe, notre région a construit la maison des écrivains persécutés. Nous accueillons ainsi les écrivains étrangers qui le souhaitent. Nous pouvons donc envisager une action sur ce point particulier.
Une participante
Les professeurs de français des collèges et des lycées sont au contact de la majorité des apprenants. La Fédération internationale des professeurs de français a pour vocation à les rassembler. Comme certains l'ont souligné aujourd'hui, la coopération avec les organisations locales semble être une bonne voie. C'est pourquoi la Fédération internationale des professeurs de français a décidé de nouer des liens avec l'Assemblée des maires francophones. Nous tentons de leur faire comprendre l'importance d'une aide en direction des associations de professeurs, plus particulièrement en Afrique. Ces dernières sont véritablement démunies. Notre fédération n'a elle-même pas de moyens suffisants à consacrer à leur développement.
Cette association entre maires et professeurs pourrait aboutir à la conception de projets communs. La construction d'écoles, la constitution de bibliothèques ou encore de centres de ressources font figure de priorités aujourd'hui en Afrique. Les mairies ont un rôle particulier à jouer dans le développement de l'éducation.
Dans cette optique, il serait bon que notre fédération qui regroupe 185 associations et 170 000 membres soit davantage reconnue, au travers d'un statut qui lui garantisse son indépendance et une autonomie financière à hauteur de ses ambitions.
Jean LECUISINIER, délégué syndical CFTC
Je regrette que les organisations syndicales n'aient pas été invitées à ce colloque. Elles ont pourtant beaucoup à dire sur ce sujet. A quoi serviront les enseignants si les étudiants ne trouvent pas de travail parce qu'ils ont choisi le français ?
Nous ne comptons plus les exemples de grandes entreprises françaises qui choisissent l'anglais pour seul moyen de communication. Le français y est de moins en moins parlé. Les documents distribués aux syndicats sur la PAC sont tous en langue anglaise. De même chez Alcatel, les entretiens annuels se déroulent désormais en anglais. Comment défendre la francophonie à l'extérieur quand il est en péril à l'intérieur ?
Jean-Paul HUCHON
J'ai constaté ce même mouvement dans les grandes entreprises internationalisées. Cela devrait nous pousser à agir en direction des patrons d'entreprise. Ils sont en effet plus souvent qu'on ne le croit sensibles à la question de la francophonie. Nous pouvons par conséquent tenter de profiter d'un effet réseau. Pour cela, cependant, nous aurons besoin d'une véritable implication du gouvernement.
Il apparaît absolument logique que nos plus hauts représentants aillent vendre à l'étranger l'expertise française. Il serait tout de même souhaitable qu'en contrepartie, ils obtiennent l'assurance du soutien à la francophonie. Ce type d'action n'est pas très coûteux et peut donner rapidement d'importants résultats.
Bruno BOURG-BROC
A Bucarest, hier, le président du Sénat nous expliquait qu'un petit journal francophone était menacé. Il a par conséquent réuni les patrons des entreprises françaises qui travaillent à Bucarest pour leur demander un soutien financier à ce journal. Il n'a pas reçu une seule réponse positive. Cet épisode ne fait qu'illustrer tristement le fait que souvent les actes restent assez éloignés des discours.
Au terme de cette table ronde, nous ne sommes pas parvenus à dessiner des pistes permettant de faire travailler ensemble ces différents réseaux. Chacun dans son domaine a cependant illustré l'importance des réseaux et a fourni de précieuses propositions. Il nous appartient aujourd'hui de les mettre en oeuvre ensemble.
Nous sommes tous persuadés que la francophonie peut apporter au monde une valeur ajoutée en termes intellectuels, culturels ou démocratiques. N'oublions pas que les hommes constituent la véritable force de ces réseaux et non les organisations qui les rapprochent. La Fédération internationale des professeurs de français compte
170 000 membres, qui sont en réalité les fantassins de la francophonie, ainsi que nous les nommons souvent à l'APF.
La francophonie fait aujourd'hui figure de garant de la diversité culturelle. C'est pourquoi les responsables de chaque secteur se doivent aujourd'hui d'agir. Félix Bikoï a souligné le rôle et la responsabilité de la France en la matière. Elle n'est en réalité qu'un acteur parmi d'autres. L'arrogance que notait Félix Bikoï est une réalité. A ce sujet, le président Abdou Diouf rappelait récemment aux Français : « La langue française ne vous appartient plus à vous seuls. »
Je ne commenterai pas les propositions de chacun. Fêter les anniversaires et multiplier les commémorations n'attire pas nécessairement les jeunes. Nous devons y prendre garde. Le recteur de l'AUF a effectué plusieurs propositions concrètes très intéressantes. Son modèle polynucléaire est intéressant. L'Alliance française a développé pour sa part un centre bien défini à Paris et souhaite renforcer la centralisation. Une telle décision présente des avantages mais aussi des inconvénients.
Tout est maintenant affaire de volonté et de dynamisme. J'espère que la France ne fera pas l'économie l'an prochain, à l'heure des grands débats, d'une vraie réflexion sur l'espace francophone. La France ne doit pas se désengager maintenant de la francophonie. Son effort budgétaire dans ce sens est important. N'oublions cependant pas qu'il reste limité, de par nos capacités. En termes philosophiques, en revanche, notre engagement ne saurait avoir de limites. Sans l'impulsion que notre pays peut donner, nous risquons de décourager les bonnes volontés. Ce sont pourtant elles qui aujourd'hui font vivre et respirer la francophonie à laquelle nous croyons.
TABLE RONDE 4
UN COMBAT POLITIQUE POUR DES VALEURS UNIVERSELLES
Le débat est présidé par Jacques LEGENDRE, sénateur du Nord, secrétaire général parlementaire de l'APF, ancien ministre.
Il est animé par Christian RIOUX, correspondant du quotidien québécois Le Devoir.
Participent à cette table ronde :
Luan RAMA, ancien ambassadeur de la République d'Albanie en France et écrivain, Gil REMILLARD, ancien ministre des relations internationales,
Ghassan SALAME, ancien ministre de la culture au Liban.
Christian RIOUX
Jamais les questions de démocratie, de droits de l'homme ou de diversité culturelle n'ont été tant débattues. Nous nous efforcerons ici de traiter ces questions de manière concrète. Le journal pour lequel je travaille est associé depuis longtemps à la francophonie. Son premier correspondant à Paris était d'ailleurs l'un des initiateurs de l'ACCT, l'Agence de Coopération culturelle et technique.
Jacques Legendre est sénateur du Nord et ancien maire de Cambrai, ville jumelée avec Châteauguay au Canada. Il est aussi secrétaire général parlementaire de l'APF. Cette organisation insuffisamment connue du grand public est à la pointe du combat pour la démocratie et les droits de l'homme.
Jacques LEGENDRE
Voilà une dizaine d'années, j'étais en voyage en Lettonie. L'ambassadeur de France a souhaité me faire rencontrer trois dames âgées, à qui le président François Mitterrand avait remis la légion d'honneur. A l'époque où la Lettonie était une république populaire, elles avaient monté un groupe clandestin d'apprentissage de la langue française. Les autorités russes ne s'étaient pas méprises sur le caractère subversif d'une telle entreprise. Apprendre le français plutôt que le russe, à l'insu des autorités, équivalait alors à de la résistance intellectuelle.
Pour autant, je ne suis pas sûr qu'en elle-même la langue française contienne de manière intrinsèque des vertus, telle que l'esprit de résistance et la liberté. En réalité, le français a bénéficié au XVIIIe siècle du fait qu'il était la langue du pays d'Europe le plus puissant et le plus peuplé. Par la suite, le français deviendra la langue de la révolution française et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Pourtant, quelques années auparavant, les Etats-Unis avaient rédigé une première Déclaration des droits de l'homme. Elle n'a simplement pas eu le même retentissement, dans la mesure où il ne s'agissait que d'une ancienne colonie anglaise. A l'époque, les EtatsUnis n'étaient pas encore la puissance qu'ils représentent aujourd'hui.
Déjà, à l'époque, la langue s'identifie aux valeurs. Ce mouvement représente une grande chance pour l'aura du français. Toutefois, nous ne devons pas oublier que cela s'accompagne de devoirs.
A d'autres époques, en d'autres lieux, la langue française n'était pas considérée comme un symbole de liberté. Un quotidien du soir dressait ainsi récemment le portrait d'un militant basque qui a purgé plusieurs années de prison en France pour actes terroristes. Il déclarait avoir eu le sentiment d'avoir été empêché par la France de pratiquer sa langue maternelle et d'avoir été obligé d'apprendre le français. Ce visage de notre langue est bien différent du précédent.
Il nous appartient ici de préciser le sens du combat politique choisi par la francophonie et la nature de ses valeurs. Le français a été chargé d'une bien lourde mission, à savoir celle de défendre et d'incarner les valeurs de la liberté et des droits de l'homme.
Nous courons en contrepartie le risque d'être taxé d'hypocrisie, lorsqu'un pays francophone, et singulièrement la France, s'illustrent par ses manquements. Aucun Etat ne saurait toujours être exemplaire. Par ailleurs, aucun Etat n'oublie que l'usage d'une langue signe des rapports de force. Au-delà de la simple accusation d'hypocrisie, nous pourrions être rapidement taxés d'arrogance. Enfin, nous risquons de perdre notre crédibilité si nous ne nous donnons pas les moyens de traduire nos ambitions en actes.
Sous prétexte d'un manque de moyens, certains pourraient être tentés par une attitude pessimiste. Ailleurs, des combats pour une langue ont pu être remportés, alors qu'ils étaient a priori désespérés. Inspirons-nous en.
En tant que sénateur du Nord, j'ai observé avec une certaine amertume les efforts des Flamands de Belgique pour éradiquer l'usage du français sur leur territoire. Alors que les structures de l'Etat belge étaient quasi intégralement francophones et qu'elles pouvaient s'appuyer sur la présence de la République française de l'autre côté de la frontière, leur bataille semblait perdue d'avance. Pourtant, leur volonté et leur cohérence dans l'action leur ont permis de gagner ce combat.
Le combat des Québécois est au final assez semblable à celui des Flamands. Cela explique certainement la proximité entre ces deux peuples. Les Québécois ont réussi ce pari fou de parler français au milieu d'un continent entièrement anglophone. La difficulté de parler français en France est certainement moindre. Nous sommes donc moins conséquents et moins déterminés.
Pourquoi devrions-nous répondre à cette exigence de détermination et de cohérence ? Tout simplement parce que de notre capacité à répondre aux attentes extérieures dépend un combat plus vaste pour la diversité culturelle. Nous avons récemment gagné une bataille à l'UNESCO. La francophonie dans son ensemble y a pris toute sa part. Sans le soutien des autres pays francophones, la France n'aurait pu remporter seule cette victoire. Nous pouvons nous en féliciter, mais nous ne saurions nous en contenter. Le combat prendra bien d'autres formes.
Nous devons rester particulièrement vigilants quant à la place du français en France. Comment voudrions-nous que des étrangers continuent à apprendre le français, si celui-ci n'est plus usité en France dans le monde du travail ou dans celui des sciences
? Cette défense du français ne cache pas une attitude protectionniste aggravée. Efforçons-nous simplement de donner des raisons d'apprendre le français à ceux qui n'ont pas cette langue pour langue maternelle.
Ce combat n'appartient pas uniquement aux Etats. Chacun doit y prendre part. Par le choix de son thème, les organisateurs de ce colloque ont bien compris que le monde entier est impliqué est impliqué dans cette bataille. Il nous appartient de donner à tous ceux qui le souhaitent de par le monde la possibilité d'apprendre notre langue et de pouvoir utiliser ses concepts et penser le monde au travers de son prisme.
Le respect que nous avons pour notre langue doit nous amener à respecter les langues des autres. Nous ne pouvons qu'espérer que de puissants réseaux rassemblent sur notre planète ceux qui parlent la langue qui leur tient au coeur. Le français n'est pas la seule langue à pouvoir se targuer d'une telle place dans le coeur des hommes. Nous nous devons de chasser toute arrogance en la matière. Ensemble, les aires culturelles pourront faire en sorte que la planète reste diverse. Si nous ne résistons pas à l'uniformisation, des cultures disparaîtront car elles auront été bafouées. Nous savons que, dans de tels cas, ces cultures se vengent et deviennent meurtrières. Nous rejetons en bloc une telle idée.
Christian RIOUX
Les pays d'Europe de l'Est font figure d'étape obligatoire dans toute réflexion sur la question des droits de l'homme est de la démocratie. Luan Rama, ancien ambassadeur d'Albanie en France, est aussi écrivain. Après avoir été correspondant à Paris pour divers journaux albanais, il a quitté le monde du journalisme, pour se consacrer à la diplomatie, notamment au sein de l'UNESCO. Il est aujourd'hui par ailleurs membre du Haut Conseil à la Francophonie.
Luan RAMA
L'anecdote concernant ces trois Lettones décorées par le président François Mitterrand pour leur courage à l'époque communiste m'en évoque une autre. Elle concerne un ami, ancien détenu politique, devenu par la suite ambassadeur à l'UNESCO. A l'époque totalitaire, il a été à plusieurs reprises torturé, avant d'être placé en isolement. Pour ne pas devenir fou, il déclamait dans sa cellule à voix haute des poèmes d'auteurs francophones. Il estimait que cette langue véhiculait des valeurs universelles et une autre vision du monde. La langue française possède une richesse intrinsèque, qui est en réalité renforcée par les valeurs qu'elle véhicule.
A l'heure de la troisième révolution industrielle et de la mondialisation, le combat politique qui accompagne la défense de cette langue fait figure de priorité. Elle offre une dimension supérieure à la francophonie. L'Assemblée Parlementaire de la Francophonie accomplit sur ce plan un travail remarquable. Son action aux côtés de tous les parlements francophones est exemplaire.
La francophonie politique est jeune. Elle est née au sommet de Hanoï en 1997 et a réellement pris corps avec la déclaration de Beyrouth. Ce texte formidable doit servir de guide à l'action de la francophonie. Cependant, sur le terrain, l'action est parfois plus hésitante. Nous ne constatons que peu d'actions concrètes dans les pays francophones du Sud qui traversent régulièrement des phases de crise. La francophonie ne saurait limiter son action à une simple condamnation ou à la rédaction d'une déclaration exprimant son inquiétude.
Si le secrétaire général de l'OIF utilise régulièrement les missions d'office pour dénouer ces crises, cela ne saurait être considéré comme suffisant. La survenue régulière de nouvelles crises suffit à la démontrer. La francophonie doit faire preuve de plus de compacité dans son action.
Au sein de la francophonie, de nombreux pays de l'Europe de l'Est ont obtenu un statut d'observateur C'est le cas pour la Pologne, la Hongrie, la Lituanie, la Tchéquie ou encore la Slovaquie. Le dialogue politique au sein de la francophonie se dote de fait d'une dimension supplémentaire. Au traditionnel axe Nord-Sud, s'ajoute désormais un axe Est-Ouest.
Depuis Beyrouth, la Délégation des droits de l'homme et de la démocratie au sein de l'OIF a accompli un travail important. Des réseaux se sont ainsi noués entre les cours constitutionnelles et entre les médiateurs francophones. Je juge cette action de la francophonie en direction des leaders politiques de haut niveau comme fondamentale.
Au-delà, de nouveaux mécanismes m'apparaissent nécessaires pour progresser dans ce combat politique. Le Conseil permanent de la Francophonie compte aujourd'hui
53 membres. Ce chiffre devrait d'ailleurs progresser dans les années à venir. C'est cette instance qui est chargée d'adopter les déclarations et les résolutions.
Cependant ce conseil est-il aujourd'hui suffisamment fort et efficace ?
La démocratie et les droits de l'homme doivent être considérés comme des priorités de cette institution. Il est d'ailleurs important de noter que le développement économique est étroitement lié à la stabilité de la démocratie. En Afrique, j'ai rencontré de nombreux politiciens qui affirmaient que le développement devait précéder la démocratie. Je me rallie au contraire à la position de Boutros Boutros-Ghali qui définit ces deux notions comme intimement liées. Alain Touraine estime pour sa part que la démocratie est la condition du développement économique.
La mondialisation ne sera une chance pour la francophonie que si une francophonie politique très forte parvient à émerger. En l'espace de quelques années, sous les effets de la mondialisation, un espace linguistique qui n'aurait pour seul lien que le partage d'une langue pourrait aisément éclater. En revanche, un espace politique centré autour d'un combat pour des valeurs universelles aurait des chances de résister. Il bénéficierait certainement d'un poids important sur la scène internationale. Chacun doit se battre dans ce but.
L'UNESCO a récemment adopté une Convention sur la protection et la promotion des expressions culturelles. La francophonie a joué un rôle important dans ce combat. Sans elle, nous ne serions certainement pas parvenus à adopter ce texte. Cet épisode illustre bien la nécessité d'une institution soudée autour de valeurs communes et prête à se battre pour leur défense.
La francophonie doit aussi s'interroger sur son action pour le dialogue interreligieux. Au Liban et en Egypte, nous assistons à une résurgence des actes terroristes liés à la question religieuse. Sur ces questions, la francophonie reste silencieuse, alors qu'il s'agit là de problèmes majeurs sur la scène internationale. Nous ne pouvons laisser cette question aux autres grandes organisations internationales. L'UNESCO a monté plusieurs projets autour de ces questions. La francophonie pourrait y prendre part ou construire des initiatives propres.
Pendant deux siècles, les Etats-Unis ont patiemment fait en sorte d'atteindre un rêve. Le rêve s'est ensuite transformé en un grand succès, jusqu'à récemment. La francophonie, elle aussi, doit se construire son utopie autour de valeurs universelles. Ce sont les utopies qui nous pousseront dans le contexte demain de la mondialisation qui abat les frontières. Nous avons besoin pour cela des élites et des intellectuels. Trop nombreux sont les académiciens ou les prix Nobel français qui se tiennent en marge de la francophonie. Nous devons mobiliser ces Français mais aussi tous ceux qui, dans des pays non francophones, sont attachés à la langue française. Nous l'avons entendu hier avec Lord Prosser. De même, nous trouvons de nombreux francophones enthousiastes aux Etats-Unis. Invitons-les à parler avec nous de l'avenir du monde.
Christian RIOUX
Peu de gens savent que l'Assemblée parlementaire du Québec est l'une des plus vieilles du monde. Gil Remillard fut longtemps l'un de ses membres éminents. Il fut notamment ministre du gouvernement Robert Bourassa. Il est originaire de Hull. Depuis 1994, il enseigne à l'Ecole nationale d'administration publique, tout comme Alain Juppé. Depuis 1995, il occupe le poste de président l'Institut international d'études administratives de Montréal et du Forum économique international des Amériques, autrement appelé la Conférence de Montréal. Ce forum est considéré comme le Davos québécois. Il est aussi membre du barreau. Il fut le maître d'oeuvre de la réforme du code civil québécois, inspiré du code Napoléon.
Gil REMILLARD
On raconte que Voltaire, sur son lit de mort, au plus mal, avait à ses côtés Hortense, sa ménagère. Le voyant à l'article de la mort, elle court chercher le curé. Ce dernier s'approche du lit du mourant et lui dit : « Voltaire, Voltaire, est-ce que tu m'entends ?
». Voltaire, d'une voix faible, lui répond : « Oui Curé, je t'entends. » Le Curé reprend alors : « Voltaire, si tu m'entends, renonce à Satan ! » « Curé, ce n'est pas le moment de me faire un ennemi de plus » répond Voltaire.
Voilà une anecdote qui peut servir d'illustration à mon propos. Nous nous trouvons au chevet d'une mourante, qui n'est autre « qu'une certaine » mondialisation et nous avons besoin d'un maximum de volonté internationale pour que puisse émerger une nouvelle mondialisation plus humaine et plus équitable. Des situations internationales difficiles sur le plan culturel, politique et économique auxquelles nous faisons face aujourd'hui nous amènent en effet à croire qu'il est nécessaire qu'émerge maintenant un « marché global » plus sensible aux spécificités nationales et régionales. La francophonie a ainsi l'occasion aujourd'hui de s'inscrire dans ce nouveau mouvement d'intégration internationale qui devrait façonner nos façons de vivre pour les prochaines décennies avec l'arrivée de nouvelles puissances commerciales tel le BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) et une nouvelle approche tant sur le plan économique que social et culturel.
En effet, les ajustements au processus de mondialisation se font sous l'influence de trois principaux facteurs qui devraient guider l'évolution de la francophonie.
1) Le premier découle de la crise du multiculturalisme. Autrefois, nous nous interrogions, en tant qu'être humains, sur notre identité, nos origines, ou encore notre finalité. Aujourd'hui, ce questionnement n'est plus celui des individus mais bien celui des peuples. Douze années d'une mondialisation fondée essentiellement sur la compétitivité et la productivité reliées à de puissants mouvements migratoires, et en plus au terrorisme, ont fait naître une inquiétude, une insécurité internationale. En réalité, c'est la peur de l'autre qui prend le dessus. Le débat sur l'immigration en France, au Canada, aux États-Unis ou en Grande-Bretagne par exemple, fait figure de symptôme révélateur en la matière. La crise du multiculturalisme nous amène à la recherche de valeurs de solidarité et d'universalité. La francophonie doit se saisir de cette opportunité, puisque la langue française est essentiellement un véhicule de ces valeurs.
Au cours des prochaines années, nous assisterons à de nouveaux développements parfois très difficiles autour de la question de l'identité nationale. De nombreux intellectuels, comme du côté des Américains, Francis Fukuyama et Samuel P. Huntington, en ont fait le centre de leur réflexion. Parfois, leurs conclusions et leur activisme nous paraissent difficiles à accepter. Il n'empêche qu'il appartient à la francophonie d'entrer dans ce débat, en tant que porteurs de valeurs universelles, de liberté, de solidarité et de partage.
2) La crise du multilatéralisme apparaît aujourd'hui comme le second facteur concourant à cette forte turbulence qui frappe les relations internationales. Elle a connu son paroxysme au moment des événements « onusiens » qui ont précédé le déclenchement de la guerre d'Irak par les Américains. Et en ce moment même, l'OMC vit difficilement les derniers jours du calendrier de la ronde de Doha. En parallèle, nous voyons se développer la notion de patriotisme économique et de régionalisme avec des conséquences de plus en plus évidentes sur le commerce international.
La francophonie a là aussi un rôle important qu'elle pourrait jouer parce qu'elle possède cette faculté de générer des solidarités internationales et de porter des valeurs universelles.
La victoire remportée à l'UNESCO l'automne dernier sur la question de la diversité culturelle le démontre. J'espère que cette convention votée par l'ensemble des pays membres sauf deux votes contre et une abstention, se transformera prochainement en un principe de droit international. Au Québec, au Canada, nous évoquons cette résolution comme la résultante d'un grand mouvement de solidarité et une belle réussite du multilatéralisme. Nous savons tous à quel point les pays de la francophonie ont joué un rôle majeur pour faire adopter cette résolution.
Ainsi, en matière de multilatéralisme, la francophonie peut apporter une contribution significative en faveur du compromis et du partage.
3) La crise de la règle de droit constitue le troisième élément déclencheur d'une nouvelle approche face à la mondialisation. Au plan international, les Nations Unies peinent à mettre en place le nouveau Conseil des droits de l'homme appelée à remplacer l'ancienne Commission. Notre impuissance face à la criminalité internationale n'est en réalité qu'une autre facette de cette crise qui bafoue dans tellement de pays les principes tant de légalité que de légitimité et démocratie. En fait, d'une façon générale, nous assistons dans tous les pays à une interpellation du système juridique. Partout dans le monde, les gouvernements sont confrontés à l'exigence de fournir une justice de qualité, universelle et accessible.
Pourtant, un élément fondamental fait office de point commun entre la très grande majorité des pays de la francophonie. Il s'agit du droit écrit. Des travaux de la faculté de droit civil de l'Université d'Ottawa ont permis de démontrer qu'actuellement, plus de 60 % des habitants de la planète sont soumis à un système de droit civil et 28 % de common law. La Chine, le Japon et la Russie ont tous opté par exemple pour un système de droit écrit. La Bulgarie et la Roumanie travaillent pour leur part à la réforme de leur code civil pour préparer leur entrée dans l'Union européenne.
Un code civil représente bien plus qu'une pièce juridique, c'est en réalité un contrat qui est à la base de toute société. Pourquoi la Francophonie n'accorde-t-elle pas une place plus grande au domaine juridique ? Le domaine juridique, s'il est mis au service de questions sociales, politiques, culturelles et économiques, peut être un autre gage d'un message de démocratie, d'universalité et de solidarité pour la Francophonie dans le contexte du « marché global ».
La francophonie doit travailler de manière plus concrète. Cela vaut particulièrement dans le domaine de l'économie. Le statut d'une langue est directement proportionnel au statut économique de ceux qui la parlent.
La Francophonie dispose, à la veille du Sommet de Bucarest, d'une occasion unique d'apparaître aux yeux du monde comme un puissant véhicule de valeurs universelles au moment où la mondialisation des économies entame une mutation significative.
Que la langue anglaise soit de plus en plus le moyen de communication internationale privilégiée n'est pas contestable et est même souhaitable à certains égards pour les avantages de communication internationale qu'elle offre. La langue française a un rôle différent à jouer en relation avec l'universalité, la démocratie et la solidarité internationale, comme ce colloque peut en témoigner fort bien. Au-delà de la crise du multiculturalisme, celle du multilatéralisme et celle de la règle de droit, la francophonie doit s'imposer concrètement comme le véhicule privilégié des grandes valeurs universelles dans le respect, le dialogue et la tolérance.
Le président Chirac dans son discours remarquable sur la liberté prononcé à l'Élysée le 17 décembre 2005, disait fort justement que : «... Bien que porteur de chance nouvelle, la mondialisation inquiète, déstabilise les individus, les poussent parfois au repli. » Voilà l'occasion pour la francophonie de démontrer sa solidarité et son efficacité à véhiculer les valeurs universelles en étant rassembleur. En ce sens, le Sommet de Bucarest et celui de Québec seront déterminants. Après 20 ans, il est temps de voir la francophonie et ses Sommets comme des outils privilégiés de développement dans tous les sens de ce mot pour les pays qui en font partie.
Je tiens, en terminant, à remercier les organisateurs de m'avoir donné le privilège d'avoir participé à ce colloque.
Merci de votre attention.
Christian RIOUX
Je vous propose maintenant de partir vers le Liban. Depuis deux ans maintenant, la question des droits de l'homme et de la démocratie y est abordée de manière récurrente. Ghassan Salamé était autrefois ministre de la culture du Liban. Nous lui devons notamment l'organisation du grand sommet arabe de 2002 ainsi que celle du sommet de la Francophonie la même année. Il est maintenant professeur à l'Institut d'études politiques de Paris et conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU. Il a étudié à l'Université Saint-Joseph, puis à l'American University, à Beyrouth, avant de partir étudier à Paris.
Ghassan Salamé est par ailleurs l'auteur de plusieurs ouvrages aux titres percutants, comme Quand l'Amérique refait le monde ou encore Démocraties sans démocrates : Politiques d'ouverture dans le monde musulman.
Ghassan SALAME
Si nous choisissons de donner une dimension politique à notre Organisation, nous devons clarifier les notions et les valeurs qu'elle défend. Nous sommes dès lors confrontés à un dilemme. Tout ce qui s'universalise voit sa définition première s'effriter et devient matière à interprétation. Les valeurs universelles ne sont pas simples à définir. En s'étendant à travers le monde, leur définition est interprétée jusqu'à la perversion du concept premier.
Je ne choisirai donc pas le point de vue de l'universalisme. Mon propos se limitera au niveau inférieur. Sur le plan de la langue, le combat est de toute évidence de nature politique. Le XXe siècle s'apparente en quelque sorte à un immense cimetière de langues. 6 000 langues ont disparu en l'espace d'un siècle. Il est probable que, dans 150 ans, n'en subsistent qu'une centaine. Pour contrer cette tendance, nous devons lancer un combat de nature politique. La francophonie se trouve en première ligne dans cette bataille. Elle est devenue, par son opiniâtreté, un modèle pour les autres langues.
Reste à définir quel type de combat doit être mené. C'est à ce moment que nous prenons conscience du fait que le meilleur peut être l'ennemi du bien. La langue accompagne la puissance et le pouvoir. Ainsi, trois ans après la chute de l'Union soviétique, le russe ne détenait plus le statut de langue officielle que dans la seule Russie.
De même, la langue accompagne le commerce. C'est pourquoi nous sommes confrontés aujourd'hui à un phénomène inédit. 2 milliards de personnes de par le monde apprennent aujourd'hui l'anglais. Cette demande sans limite est à l'origine d'une pénurie de professeurs d'anglais dans de nombreux pays. L'apprentissage de l'anglais a fait naître une industrie que l'on n'avait jamais connue jusqu'alors dans le domaine des langues. A elle seule, la Grande-Bretagne tire près de 3 milliards de dollars chaque année de cette seule industrie.
Faute de moyens, la francophonie ne peut être présente à la fois sur tous les fronts de la bataille. L'enseignement, les médias et la diplomatie sont autant de terrains sur lesquels elle peut intervenir. Il lui appartient cependant d'effectuer des choix clairs et efficaces. En matière d'éducation, je crois qu'elle doit investir dans les lycées. C'est en effet dans les lycées que le français ne reste pas une langue étrangère. Celui qui apprend le français à l'université apprend en revanche une langue qui lui restera pour toujours étrangère.
Dans le domaine littéraire, Amin Maalouf expliquait que la francophonie devenait en France un système d'exclusion plutôt qu'un système d'inclusion. Il suffit de visiter une librairie en France pour s'en convaincre. La littérature française y est séparée de la littérature francophone. La première a droit aux tables et aux rayonnages à l'entrée du magasin, tandis que la seconde doit se contenter des recoins. D'autres auteurs s'en plaignent eux aussi ouvertement.
Dans son combat politique, la francophonie doit sortir de sa logique de double exclusion. Le français ne doit pas dépenser son énergie à tenter de se substituer aux langues maternelles ni à la langue universelle qu'est devenue l'anglais. Le français doit se définir comme une plus-value pour ceux qui utilisent l'anglais et refusent d'abandonner leur langue maternelle. Cette attitude revêt à la fois un caractère plus subtil et plus délicat.
Une telle position n'est en rien défaitiste. J'écris en trois langues différentes et mes deux derniers ouvrages ont été volontairement rédigés en français. En réalité, ce choix permettra de recentrer le combat.
L'invasion du facteur culturel à tous niveaux doit devenir une source de questionnement pour la francophonie. Le facteur culturel est en effet aujourd'hui utilisé pour expliquer la réussite de certaines entreprises et l'échec d'autres. Il sert aussi à rendre compte du développement économique des uns et du retard des autres. Il est encore invoqué dans l'analyse des guerres civiles ou du système international. Cette vision culturaliste est à l'origine des écrits de David Landes et de Samuel Huntington.
Je ne pense pas qu'il soit dans l'intérêt de la francophonie de se laisser porter par cette vague culturaliste. Au questionnement sur l'identité autour de l'interrogation « Qui suis-je ? », elle se doit de substituer celle de Voltaire, à savoir « Qu'est-ce que je pense ? ». Il est dangereux que chacun explique son comportement politique en fonction de ses caractéristiques physiques, sa langue ou sa religion. L'identité n'est pas fixe. Elle est au contraire mouvante et négociée chaque matin. Si la francophonie entre dans cette logique culturaliste, elle risque de finir dans une impasse et prendrait ainsi le risque de l'explosion.
La francophonie doit à l'inverse intensifier son effort pour relativiser l'importance du culturel. Elle doit privilégier à cette analyse la philosophie des Lumières. Cette dernière s'appuie sur la possibilité d'un choix volontaire et le dépassement des acquis de la naissance.
La force de la théorie culturaliste est cyclique. Elle reprend vigueur lorsque les idéologies s'effondrent. Le culturalisme a ainsi pris le dessus au XVIIIe siècle, quand, au sortir de la Révolution, la foi religieuse vacillait. Par la suite, des idéologies se sont créées, en même temps que des solidarités volontaires. C'est ce qui risque d'advenir à nouveau dans les années à venir. Ne croyons pas que nous sommes condamnés par notre identité première. L'admettre signifierait la fin du politique et de la philosophie des Lumières.
La diversité culturelle doit aujourd'hui beaucoup à la francophonie. Cette dernière a en effet lutté avec vigueur contre la tendance à l'homogénéisation. Cette dernière prend diverses formes aujourd'hui. La première vise à faire passer comme universelles des normes qui ne le sont pas. La théorie de la convergence, qui prétend que tous les systèmes politiques et économiques convergent en ce moment vers la démocratie représentative et l'économie de marché, en représente la deuxième forme. L'identification de la globalisation à l'américanisation apparaît comme une troisième manifestation de cette tendance.
La Convention de l'UNESCO affirme que « les activités, biens et services culturels sont dotés d'une double nature, économique et culturelle, parce qu'ils sont porteurs d'identité, de valeurs et de sens ». Nous devons maintenant cesser de nous féliciter de cette victoire, à laquelle nous avons tous contribué à des degrés divers. Ne nous reposons pas sur nos lauriers. Il nous faut maintenant envisager l'usage qui pourra être fait de cette Convention.
En la matière, je crois que nous devons rapidement installer des observatoires internationaux. Ils nous permettront de vérifier les pratiques réelles des Etats en matière de diversité culturelle. Beaucoup d'entre eux, en effet, ont fait preuve le jour du vote de plus de conformisme que d'enthousiasme. Les rapports annuels qui seront établis par ces observatoires doivent impérativement être rendus publics.
Le lien entre la francophonie et la démocratie doit être questionné. L'image de la francophonie en la matière n'est pas bonne. Souvent, on assimile les pays francophones dans leur ensemble à des pays autoritaires, jacobins, bureaucratiques et manquant de transparence. Si un effort important a été consenti au cours des dernières années, il est maintenant nécessaire de le poursuivre.
Pour cela, nous devons cesser de réduire la démocratie à la tenue d'élections. Un pays ne saurait être considéré comme démocratique sur le seul critère qu'il organise régulièrement des élections. Parfois, les élections sont des impasses. Des élections précoces peuvent être la cause d'une guerre civile plutôt que la solution à celle-ci. Les élections faussement compétitives sont à l'origine de clivages verticaux très violents dans les sociétés. Face à cette pensée réductrice, la francophonie doit rappeler que la démocratie suppose tout à la fois des libertés, des institutions et une culture.
La francophonie doit par ailleurs se pencher sur la question du retour massif du sacré, au travers notamment de la transformation de l'Eglise catholique, la réapparition de l'orthodoxie et l'affirmation de l'islamisme dans diverses régions. Certains affirment face à ces constats que les guerres de religion sont de retour. La francophonie ne doit pas se laisser entraîner par ces penseurs.
La religion répond avant tout à une foi. Elle est ensuite devenue une institution. Elle induit en outre un langage, dans lequel s'expriment des luttes qui ne sont pas religieuses au départ. Ce n'est qu'à des fins de mobilisation que ces luttes utilisent le biais religieux. Enfin, elle devient un marché, autour de biens à exporter. La francophonie n'a rien à voir avec ces quatre éléments. Elle doit rester confinée dans un espace plus classique, contre la désécularisation de l'espace mondial.
Enfin, la francophonie doit envisager une action sur le terrain de la crise du multilatéralisme. Cette crise provient simultanément de l'attitude unilatéraliste de grandes puissances et de la dépréciation des institutions internationales. L'OIF peut opter pour une attitude très active dans la défense du principe du multilatéralisme, au-delà du simple combat pour l'usage du français dans ces institutions. Pour cela, elle doit s'ériger en modèle d'action multilatérale et défendre ces institutions.
Au moment où s'impose un pseudo consensus sur les vertus du marché, la francophonie doit continuer à croire en l'aide au développement. Il est à la mode de penser que le marché est à même de régler les déséquilibres économiques. Cela est totalement faux. Le politique doit rester l'instrument de correction des glissements et des dérives du marché. Lors de son dernier congrès, l'OIF s'est positionnée de manière assez vigoureuse dans ce combat.
Christian RIOUX
Peut-être le débat que nous allons avoir avec la salle pourrait-il s'orienter sur la définition de l'utopie francophone. Certaines de ses bases ont été définies par la salle.
DÉBAT AVEC LA SALLE
Jean HARZIC,
ancien secrétaire général de l'Alliance française
A Buenos Aires, à l'époque de la dictature militaire, j'assistais à la finale du concours Air France Saint-Exupéry dans les locaux de l'Alliance française. Les six finalistes sont interrogés sur leur motivation pour partir en France. Pêle-mêle, certains évoquent la Tour Eiffel, les musées ou encore un fiancé français. La cinquième candidate, originaire de Cordoba se lance dans le récit de banalités similaires avant de s'arrêter. Elle s'écrie alors : « Pour moi, la France est le pays de la liberté et le français la langue de la liberté. » Les trois cents personnes présentes dans la salle se lèvent et pendant de longues minutes font résonner un tonnerre d'applaudissements. Au fond de la salle, deux sbires militaires se sauvent en courbant l'échine.
Le lendemain, je suis convoqué à la police militaire. J'y suis passablement secoué et l'on me demande de retirer du programme de littérature Camus, « cet écrivain athée
». Des amis argentins très courageux m'ont permis d'éviter de leur obéir. Cette anecdote m'a profondément marqué.
Certes il est possible de dire exactement l'inverse du Français. En tant qu'originaire d'Algérie, j'ai pu constater que le français était pour certains une langue d'émancipation, alors qu'il était pour d'autres une langue d'oppression.
Les neuf Ukrainiens qui gèrent les Alliances installées dans le pays m'ont récemment affirmé que la France faisait figure pour eux d'exemple à suivre et qu'ils souhaitaient appliquer dans leur institution les valeurs véhiculées par la France.
A Accra, le maire avait accordé à l'Alliance française un terrain de plus de 1 000 mètres carrés en plein centre ville. Lorsque je lui ai demandé ce qui justifiait un tel présent, il me répondit que le Ghana était cerné de pays anglophones et que le français pouvait présenter dans ce contexte un intérêt particulier. Il ajouta ensuite que la langue française convoie des valeurs particulières.
A Chicago, la création de l'Alliance française a suscité un afflux de dons à hauteur de
2,5 millions d'euros. Je dois d'ailleurs avouer qu'aucune entreprise française implantée dans la ville n'avait participé à cette collecte. Lorsque j'ai demandé à des particuliers pourquoi ils accepter de financer la création de l'Alliance française, ils m'ont répondu que c'est parce qu'une communauté de valeurs rapprochaient les deux peuples.
C'est le même type de réflexions que l'on entend en Bulgarie, où les autorités nous prêtent des bâtiments dans sept villes. Il en va de même avec les universités polonaises. Une partie de ces discours relève peut-être du mythe et l'aspect économique joue certainement un rôle fondamental. Il n'en reste pas moins que j'ai entendu des discours semblables aux quatre coins du monde.
Une participante
En tant que salariée d'Alcatel, j'ai l'impression que le combat pour la francophonie doit commencer par les entreprises. Nous sommes obligés de parler l'anglais dans notre travail. Les entretiens d'évaluation se déroulent désormais en anglais. Tous les outils informatiques sont en anglais. Il est temps de contraindre les entreprises à appliquer la loi Toubon.
Ghassan SALAME
Vous soulevez un problème d'une importance capitale. Nous ne pouvons cependant arrêter ce mouvement. Je sais que 60 % du capital d'Alcatel n'est pas français et que cette entreprise réalise près de 80 % de son chiffre d'affaires et 90 % de son activité hors de France. A la place des dirigeants, adopteriez-vous une attitude différente ? Il est au final inévitable d'adopter la langue du commerce international.
Il est possible de contraindre les entreprises françaises à utiliser le français. Il faut tout de même reconnaître qu'Alcatel n'est plus aujourd'hui une entreprise française, même si elle est née en France. De même, depuis 30 ans, le bulletin de l'Institut Pasteur est publié en anglais. Quelle attitude adopter face à des entreprises mondialisées ? Nous pourrions certainement imaginer un rôle complémentaire pour le français.
Je veux croire cependant que cette question mérite mieux que la bataille stérile entre les amoureux du français, qui souhaitent préserver l'usage de leur langue, et des dirigeants d'entreprises, immergés dans les réalités du commerce international.
Gil REMILLARD
Le Québec a été amené à légiférer pour protéger sa langue dans les entreprises. Nous avons à l'époque été l'objet de toutes les risées. Avec du recul, peut-être pouvons-nous maintenant réfléchir de manière plus apaisée à ces questions.
Une participante
Les milliers de salariés français d'Alcatel n'ont plus le droit de s'exprimer en français, alors qu'ils travaillent pour une entreprise française. Certains de nos directeurs sont même incapables de traduire certains termes en français.
Un participant
Je souhaiterais connaître l'avis de Ghassan Salamé sur l'espéranto.
Ghassan SALAME
L'espéranto est une très belle utopie du début du XXe siècle. Cependant, loin de protéger la diversité culturelle, cette nouvelle langue la menaçait.
Georges DIENER,
chef de bureau au ministère des affaires étrangères
La francophonie est en réalité une adolescente. Cette jeune organisation n'est pas encore bureaucratisée et sa structure se modifie toujours. Elle fait l'objet d'un certain engouement. Ainsi, récemment, l'Ukraine est-elle venue frapper à sa porte. Ce ne sont pas des intérêts financiers qui poussent de nombreux pays à vouloir la rejoindre. En fait, la francophonie est considérée comme une tribune politique porteuse. Ceci ne peut que nous inciter à l'optimisme.
Par le passé, la langue française était étroitement associée à la puissance française, qui l'imposait à ses colonies. Cela a cristallisé des haines et des passions autour de cette langue, dont certains se sont servis pour affirmer leur indépendance vis-à-vis de la France. Il est fort à parier que demain, de nombreux peuples sauront se tourner vers notre langue pour des raisons bien différentes.
Aimé EYENGUE,
président de l'association Action francophone
En lieu et place d'une politique politicienne, il serait bon de lancer une véritable action d'aide en direction des pays du Sud. Leur développement doit faire figure de priorité. Une telle action rendrait certainement moins pesants les débats sur l'immigration dans les pays du Nord. Cette réflexion vaut tout autant dans le domaine de l'éducation. La création d'universités dans les pays du Sud permettrait à ces pays de ne pas se tourner en permanence vers la France.
L'idée de la création d'observatoires internationaux permettrait aux peuples du Sud de se libérer du carcan imposé par les dictateurs et de faire émerger ces valeurs universelles.
Catherine TASCA,
ancienne ministre de la Culture
Ghassan Salamé appelait à ne plus considérer le français comme une langue de substitution mais comme une plus-value. Je soutiens totalement cette conception. Le combat est d'ailleurs largement engagé dans ce sens. A travers le monde, les nouvelles générations semblent considérer la langue française comme une corde supplémentaire à leur arc pour leur développement individuel et leur insertion dans l'économie.
En ce qui concerne le sort du français dans les entreprises, je pense que nous devons obtenir des grandes entreprises qui travaillent sur le territoire français le respect de notre langue. Cette règle doit aussi prévaloir dans l'élaboration des contrats de travail. La loi Toubon, qui a repris largement les dispositions d'un projet que j'avais rédigé, réaffirme l'importance de ce point. Elle précise d'ailleurs que les travailleurs étrangers en France doivent disposer d'un contrat de travail rédigé dans leur langue maternelle.
En revanche, dans les grandes entreprises qui travaillent à l'étranger, pour sortir de l'impasse entre partisans du français et défenseurs de l'anglais, nous devrions privilégier la langue locale. Tout français travaillant à l'étranger a en effet pour mission d'acquérir la langue du pays dans lequel il a été envoyé.
La lutte contre l'invasion culturaliste me paraît fondamentale. La promotion de la diversité culturelle ne saurait se limiter à une photographie de nos différences. Nous ne saurions expliquer tous les conflits et toutes les difficultés par cela. Une mise en oeuvre intelligente dans chacun des Etats membres de la Convention de l'UNESCO doit nous permettre de contourner l'écueil culturaliste. La création de ces observatoires régionaux semble constituer une piste intéressante.
Quoi qu'il en soit, nous ne devons pas oublier que la diversité suppose un échange, par essence multilatéral. La coproduction, la confrontation et l'échange font figure de priorités dans cette optique.
Un participant
Je suis un citoyen français issu de la colonisation. Je constate que, dans de nombreux pays de l'OIF, la population est à majorité musulmane. Ces pays n'ont pas forcément l'arabe classique pour langue maternelle. Certains parlent ainsi un dialecte très différent de l'arabe. Dans ces pays, bien souvent, les musulmans ont accès à leur religion par le biais du français.
Le fondamentalisme découle de l'ignorance. Dans cette optique, le français peut jouer un rôle considérable pour contrer cette ignorance. La francophonie a certainement la capacité d'agir dans ce sens, au travers notamment d'aides à la traduction. L'universalité, à laquelle aspire la francophonie, peut être un remède contre ce que certains nomment le choc des civilisations, qui est en réalité le choc des ignorances.
Un participant
Je suis professeur de littérature et de civilisation canadienne et française. Il m'apparaît important de ne pas mélanger les différents usages du français. Pour certains, le français est une langue maternelle, partagée ou utilisée dans les relations internationales. On ne peut exiger de populations qu'elles adoptent l'anglais concurremment à leur langue maternelle, ainsi que certaines entreprises le demandent aujourd'hui. Cette attitude peut s'avérer dangereuse pour des pays dont le français constitue le véhicule principal.
Un linguiste du Québec avait pour habitude de dire : « Une langue morte est une langue qu'on ne parle plus qu'à partir de 18 heures. » Je crois profondément en la vérité de cette phrase.
Il semble en revanche logique que l'on promeuve l'usage des autres langues. Cela répond à des exigences d'humanisme et de pluralisme évidentes. Entre le fait de vouloir introduire une langue dans son horizon et celui d'être obligé de la faire entrer dans son lit et sa cuisine, la nuance est importante.
Mario STASI,
secrétaire général de la Conférence internationale des barreaux francophones Comme le soulignait Gil Rémillard, le droit est un vecteur économique et culturel. En vingt années d'existence, la Conférence internationale des barreaux francophones a notamment créé une école de formation des avocats à Cotonou et organise dans de nombreux pays d'Afrique des sessions de formation.
La francophonie n'est que rarement assimilée à la démocratie, pour de nombreuses raisons. Pourtant, notre organisation tiendra à Nouakchott une session sur l'indépendance de la justice. Comme vous pouvez le constater, ces valeurs sont aussi au coeur de notre action. Nous jugeons indispensables la création d'observatoires de la pratique démocratique, qui ne se résume pas aux seules élections. Nous nous mettons à la disposition de la francophonie dans cette optique.
Jacques LEGENDRE
Luan Rama a raison d'appeler la francophonie à développer une utopie. Son contenu est certainement difficile à définir d'emblée, mais sa nécessité, même au XXIe siècle, apparaît indéniable. La liberté, l'égalité et le maintien de la diversité pourraient certainement servir de base à cette utopie. Les cyniques dénigreront assurément ce rêve. Cependant, si nous en faisons une exigence et un guide pour notre combat, il pourrait fort bien s'avérer très utile.
Luan Rama déplorait aussi l'absence de l'OIF dans les débats sur la religion. Cette question nous pose celle du respect des sensibilités religieuses et de la liberté d'expression. Gil Rémillard, pour sa part, appelait l'OIF à garder sa place dans l'espace sécularisé. En réalité, la francophonie n'est pas complètement absente de ce débat. Elle entend bien en débattre lors de la prochaine Assemblée générale de l'APF qui se tiendra à Rabat. Nous avons constaté que, sur cette question, les approches différaient quelque peu au sein même de la francophonie. Le Conseil de l'Europe sera amené à se pencher à son tour sur ce sujet. Il organisera ici même un colloque à ce propos le 18 mai.
En ce qui concerne le sujet du français au travail, je dois rappeler que les lois d'un pays sont censées protéger les salariés contre l'arbitraire. Ces lois doivent être respectées. J'ai eu l'occasion d'être le rapporteur au Sénat de la loi Tasca-Toubon. Je crois que certaines de ses dispositions méritent d'êtres modernisées. Le Sénat a d'ailleurs récemment voté à l'unanimité une proposition de loi de Philippe Marini. J'espère qu'elle sera reprise bientôt par l'Assemblée nationale, afin qu'elle puisse au plus vite avoir force de loi.
Au-delà, dès lors que cela n'a pas de conséquence sur les salariés, il importe finalement peu que les chefs d'entreprise préfèrent débattre entre eux en anglais. Il est en revanche extrêmement surprenant de voir certains tenter d'imposer au client une langue qui n'est pas la sienne. Au nom de la liberté des échanges, certains nous demandent de ne pas obliger les entreprises à informer leurs clients sur leur achat dans leur langue. Il me semble que le législateur a pleinement le droit de décider de ce qui doit s'appliquer dans son pays en la matière. Les lois sont faites pour être appliquées.
Récemment, Ernest-Antoine Seillière expliquait devant les dirigeants européens qu'il s'exprimerait en anglais parce que l'anglais est devenu la langue de l'entreprise. Ce faisant, il confond la langue des dirigeants de l'entreprise et la langue de l'entreprise. Dans ce contexte, l'attitude du président Jacques Chirac, qui a décidé de quitter la salle, m'est apparue raisonnable.
Le titre de cette table ronde était « un combat politique pour des valeurs universelles ». Je crois que nos échanges représentent en réalité le volet culturel d'un débat très politique. Les valeurs que nous avons mises en avant et les utopies auxquelles nous aspirons sont éminemment politiques. La francophonie a vocation à devenir l'un des acteurs du volet culturel pour un combat politique.
TABLE RONDE 5
LES FERS DE LANCE DE LA FRANCOPHONIE : MÉDIAS ET ENTREPRISES
Le débat est présidé par Louis DUVERNOIS, sénateur représentant les
Français établis hors de France, membre de l'APF.
Il est animé par Richard WERLY, journaliste au quotidien suisse Le Temps.
Participent à cette table ronde :
Jean-Michel DEBRAT, directeur général adjoint de l'Agence française de développement,
Sylvain LAFRANCE, vice-président de Radio Canada,
Suzanne LAVERDIERE, directrice générale adjointe en charge des programmes
TV5Monde,
Antoine SCHWARZ, président-directeur général de Radio France Internationale, Guy TARDIEU, vice-président, directeur des relations extérieures d'Air France. Patrick ZELNIK, président de la société Naïve.
Richard WERLY
L'atlas mondial de la francophonie aborde très largement la question de l'enjeu économique de la culture. La présidence de cette table ronde a été confiée à Louis Duvernois, Sénateur UMP des Français établis hors de France. Il est notamment l'auteur d'un rapport intitulé Pour une nouvelle stratégie de l'action culturelle extérieure de la France : de l'exception à l'influence publié en 2004.
Louis DUVERNOIS
Un journaliste de Public Sénat me demandait à l'instant en quoi le titre de cette table ronde « Les fers de lance de la francophonie : médias et entreprises » était d'actualité. Les différents intervenants de cette table ronde se chargeront certainement d'y répondre. Quoi qu'il en soit, le fait de lier ensemble médias, entreprises et francophonie me semble tout naturel.
La Francophonie est née en 1970 d'une idée africano-cambodgienne. Pour des raisons diverses, la France a éprouvé quelques difficultés à intégrer cette nouvelle institution. C'est pourtant un Français, Onésime Reclus, un géographe, qui avait créé ce néologisme à la fin du XIXe siècle.
En 1970, la question des médias, du commerce et de l'économie se posait en des termes bien différents. Le terme de mondialisation était alors parfaitement inconnu. La construction européenne suivait à l'époque son chemin cahin-caha. Les médias francophones n'avaient alors pas encore pris une dimension internationale. Depuis, la francophonie n'a d'ailleurs pas pu combler son retard sur les aires anglophones et arabophones. Ces éléments justifient pleinement le thème de cette table ronde. La récurrence du sujet de l'entreprise au cours des tables précédentes ne fait que confirmer l'importance de ce sujet.
Dominique Wolton évoque dans ses ouvrages « un déficit de la communication sur la francophonie ». Nous ne pouvons qu'abonder dans ce sens. Il suffit, pour s'en convaincre, de tenter de trouver un journal français ou francophone dans un grand aéroport international. Les publications anglophones en revanche sont nombreuses. Une grande partie d'entre elles d'ailleurs ne sont ni britanniques, ni américaines.
En ce qui concerne le sujet des entreprises, l'exemple de la fusion Alcatel-Lucent me paraît assez frappant. Les dirigeants des deux groupes se sont empressés de préciser que la nouvelle entreprise issue de cette fusion n'était ni française, ni américaine, mais mondialisée. Il est évident que, dans une telle entreprise, la langue française verra sa place se réduire comme peau de chagrin.
La langue française apparaît insuffisamment présente dans le domaine des médias et menacée dans celui des entreprises. Tel est le thème de cette table ronde.
Richard WERLY
Jean-Michel Debrat est directeur général adjoint de l'Agence française de développement depuis 2002. Sa carrière est marquée par un long passage au ministère des Finances. Il s'est ensuite tourné vers les questions de coopération. C'est ainsi qu'en
1996, il accède à la tête de la Caisse française de développement.
Dans de nombreux pays francophones, les médias ont besoin d'un soutien public. Dans ces cas, l'Agence française de développement est concernée au premier chef.
Jean-Michel DEBRAT
L'Agence française de développement est à la fois un établissement public et une banque. Elle a pour mission de développer des programmes et des projets de développement et de financer des entreprises et des banques dans des pays en voie de développement. A l'origine, l'Agence était étroitement liée avec la francophonie lorsqu'elle s'appelait la Caisse centrale de la France d'Outre-mer. Après avoir changé de nom, elle a étendu sa mission au monde entier, devenu global. Nous travaillons par conséquent dans des pays anglophones, lusophones ou encore arabophones.
Tout projet de développement peut en réalité être assimilé à un produit global. Le concept d'organisation y prime sur le transfert technique. Son organisation juridique, le mode de régulation entre le privé et le public, les relations entre l'Etat et les acteurs sociaux et l'organisation de la démocratie locale sont examinés soigneusement. En la matière, les francophones disposent d'un patrimoine d'idées et de concepts juridiques communs.
En tant qu'organisme de financement, notre action ne se limite pas à un simple apport de capitaux à un taux plus ou moins concessionnel. En réalité, nous prenons part à un ensemble d'influences. Tout acte de développement possède en effet une dimension culturelle. Là où nous intervenons, nous importons des concepts spécifiques. Nous pouvons être considérés comme les tenants d'un développement de la francophonie implicite, à savoir celle des idées et des concepts. Tous les acteurs du développement sont concernés par notre action. Cette dernière trouve donc sa racine dans la société. Nous avons besoin d'une vision centrale des problèmes.
Les observateurs peuvent remettre en question l'utilité d'une action de cofinancement et de son influence sur la francophonie. L'Afrique reste pour nous une terre d'élection. Ceci étant, nous travaillons également dans d'autres pays, tels que la Turquie et la Chine. De notre nom, Agence française de développement, les acteurs locaux retiennent avant tout que nous sommes français. Ils nous demandent des propositions sur les projets qui les concernent. Bien entendu, nous leur apportons ce soutien. Ils attendent également la présence d'entreprises françaises sur les chantiers. Ces entreprises, à leur tour, feront office de vecteurs de la francophonie implicite. Au-delà, nous finançons également de manière directe l'action pour la francophonie, au travers des formations professionnelles ou encore des infrastructures de communication.
La défense de la francophonie impose d'être présent sur tous les terrains de la mondialisation, comme la formation, la recherche, l'enseignement supérieur ou encore la mise à niveau des systèmes économiques. En matière de formation professionnelle, la mise à niveau est d'ailleurs un concept très demandé par les pays avec lesquels nous travaillons. Elle permet en effet d'entrer de plain-pied dans l'arène de la concurrence mondiale et d'établir une relation avec l'Europe. Il est logique face à une telle demande que la France apporte une partie de la réponse. Au lieu d'assurer un simple financement, nous poussons des solutions de partenariat avec une structure française, qu'il s'agisse d'une chambre des métiers ou de centres de formation.
Récemment, le président de la République a inauguré l'université française d'Egypte. Cette université regroupe quelques filières en fait très directement liées avec l'intégration de l'Egypte dans le marché mondial, telles que les langues appliquées, l'ingénierie ou encore les télécoms. Une université britannique est également implantée dans la région. Sa taille est véritablement impressionnante. En réalité, elle doit sa construction à des fonds uniquement privés.
Comme le Premier ministre égyptien l'a confié, l'Egypte a pour ambition de créer sa propre Sophia-Antipolis, c'est-à-dire une cité scientifique et technologique à quelques kilomètres du Caire. A l'entrée de cette ville, s'est installée l'enseigne Carrefour. Les bureaux d'Alcatel sont implantés quelques mètres plus loin, tout comme Apple. Les chefs d'entreprises installées là-bas recherchent des employés trilingues. Nous n'avons en effet aucune illusion sur l'issue d'une bataille ouverte contre l'anglophonie. Le président Jacques Chirac ne s'y est d'ailleurs pas trompé, lorsqu'il a salué « ce concept de trilinguisme ».
Le but affiché de cette université est de former des élèves qui puissent par la suite entrer dans toutes les entreprises du pays. C'est ainsi que l'on couvre les arcs des métiers de la mondialisation, à savoir le tertiaire supérieur, l'université, la recherche et la formation. Nous ne devons pas chercher dans ces pays l'exclusivité, mais une présence aux côtés d'autres.
Plusieurs entreprises françaises détiennent des parts de marché considérables dans l'infrastructure. Pour intégrer correctement la francophonie dans un projet sur ce secteur, il nous faut lier les infrastructures aux services. Par exemple, la création de réseaux pour téléphones portables doit s'accompagner de la vente de services aux utilisateurs de ces téléphones. Ces services sont directement liés avec la langue.
Une stratégie d'intervention par les entreprises et par la finance au service de la francophonie doit s'insérer dans une pensée globale. Elle ne peut en effet se limiter aux seuls pays francophones. Nous ne pouvons en effet ignorer l'Egypte, le Brésil ou la Chine. C'est cette vision globale qu'a adoptée l'Agence française de développement.
Richard WERLY
Air France porte les couleurs françaises de par le monde. Guy Tardieu, directeur de cabinet de Jean-Cyril Spinetta, PDG d'Air France, est entré dans la compagnie en
1973 et est notamment passé par le réseau Afrique-Moyen-Orient avant de diriger le réseau Asie-Pacifique.
Guy TARDIEU
Depuis deux ans, Air France est marié à la compagnie néerlandaise KLM. Le fait qu'Air France revendique, par son nom même, ses origines l'obligent à un devoir de soutien envers la francophonie. Certains nous ont reproché un comportement parallèle à celui du Quai d'Orsay. Par le passé, nombreux étaient ceux qui prétendaient que les directeurs régionaux d'Air France n'étaient en réalité que les relais des ambassadeurs, voire des personnages au rôle supérieur à celui des ambassadeurs.
Cette vision était assurément prétentieuse et cette époque est désormais révolue. Le monde a depuis beaucoup changé. La taille de notre entreprise s'est nettement accrue, au travers de la fusion avec KLM. Air France-KLM ne renie en rien ses origines. Notre groupe fait en effet dans son nom référence à la France et à la couronne des Pays-Bas, désignée par la première lettre du sigle KLM. Alors que nous croyions que les Français étaient le peuple le plus chauvin dans le monde, nous avons constaté que les Néerlandais nous valaient bien sur ce terrain. En réalité, un tel comportement se retrouve dans de nombreux petits pays.
Il nous aura fallu de longues heures de bataille pour imposer la langue française comme langue de l'entreprise issue de ce mariage et Paris comme siège. Cette nouvelle entreprise est cotée sur trois places financières, Paris, Amsterdam et New York. Pour diverses raisons, il aurait été tentant d'installer le siège à Amsterdam et d'adopter l'anglais comme langue officielle de l'entreprise. Nos documents officiels sont donc rédigés en français, qui est également la langue utilisée au Conseil d'administration.
KLM a mis au point un plan de formation de grande envergure pour l'apprentissage du français. En ce moment, 450 cadres de KLM apprennent notre langue. Le président de KLM, Léo van Wijk ne parlait lui-même autrefois pas un mot de français. Sa maîtrise de la langue française est aujourd'hui quasi irréprochable.
Ces exigences de notre part n'avaient pas pour but de laisser croire qu'Air France prenait le contrôle de KLM. Nous souhaitions simplement que nos racines soient respectées. Nous continuerons ainsi à jouer un rôle de vecteur de la langue française, tout comme nous le ferons pour la culture hollandaise. La culture française jouit d'une certaine aura de par le monde. Nous saurons en profiter et la servir. Presque tous les cadres de KLM ont d'ailleurs acheté une résidence secondaire en France. Cela reflète bien l'attachement néerlandais pour la France.
Ce mariage nous a permis d'accéder au rang de premier transporteur aérien au monde. Il est réjouissant de constater que la France dispose d'un champion mondial qui respecte ses origines et sa langue. Il serait bon que le monde politique et administratif sache mettre en valeur les réussites de ce type. Aujourd'hui, Jean-Cyril Spinetta, tout comme le groupe dans son ensemble, tire de cette « francité » une certaine fierté.
Nous avons démontré qu'une grande entreprise n'était pas condamnée à parler anglais. D'autres entreprises pourront certainement suivre notre exemple au cours des années à venir. Ceci dit, nous ne pouvons nier l'importance de l'anglais. Tous nos personnels sont ainsi trilingues. Ils maîtrisent leur langue maternelle, le français et l'anglais.
Richard WERLY
Le Canada est un bel exemple de bilinguisme. Sylvain Lafrance occupe aujourd'hui le poste de vice-président de Radio Canada. Il dirige en outre Radio Canada International et est actuellement président du Conseil d'administration d'ARTV, la chaîne de télévision canadienne de langue française dédiée aux arts et à la culture. Il a étudié à Québec et en Colombie Britannique. Il a été à l'origine de la chaîne entièrement consacrée à la diversité musicale et à la promotion du milieu musical canadien, lancée en septembre 2004.
Sylvain LAFRANCE
Lorsque je pense au rôle des médias, à leur importance ainsi qu'à celle de la culture dans tout le processus de mondialisation, il me revient une anecdote qui s'est passée à table, un soir, avec mon fils de 11 ans que nous venions d'arracher à son jeu vidéo. Il est resté songeur pendant quelques minutes et lorsque nous lui avons demandé ce qui le préoccupait, il a répondu : « Je dois annexer la Russie et je ne sais pas encore comment je vais procéder. »
Il nous a expliqué son jeu, qui consiste à construire des empires, et les options dont il disposait pour annexer un pays, c'est-à-dire l'armée ou la diplomatie. Cette dernière option, plus lente mais plus stable, consiste d'abord à ouvrir un consulat dans le pays en question. Le joueur peut ensuite utiliser des « accélérateurs » comme le contrôle des médias ou l'ouverture d'un centre culturel afin que l'annexion se fasse plus rapidement. Voilà qui m'apparaissait tout à fait fascinant!
C'était quand même extraordinaire que mon fils, à 11 ans, soit amené à réfléchir aux enjeux de culture et de communication pour l'édification d'un empire, une situation qui fait écho aux enjeux de la mondialisation. J'imagine que s'il avait été possible de pousser le jeu plus loin au 21e siècle, le jeu aurait proposé d'autres accélérateurs : diffusez votre cinéma, votre musique, vos chaînes d'information continue et l'annexion se fera automatiquement.
Cette anecdote démontre bien la pertinence de réfléchir sur les questions de culture et de communication en rapport avec le processus de mondialisation. Le simple fait qu'elles se retrouvent dans un jeu vidéo illustre toute l'importance que doivent prendre la culture et les médias dans nos discussions.
TROIS CONSTATS
Ma réflexion sur le rôle des médias et de la culture dans la Francophonie dans le contexte de la mondialisation s'appuie sur la question suivante : dans quelle mesure les médias peuvent-ils réellement agir comme fers de lance de la Francophonie? Certes, ils peuvent certainement jouer un rôle dans la défense de la Francophonie, mais à certaines conditions qui ne sont pas toujours faciles à remplir.
Comme première condition, je dirais que tous les médias doivent prendre conscience de l'importance de refléter non seulement la langue, mais l'ensemble des identités et des valeurs qui s'y rattachent. Actuellement, avouons que cette prise de conscience par les médias reste timide. Cette situation s'explique par le fait que les médias, privés et publics, fonctionnent selon une logique que l'on pourrait qualifier de territoriale, sur la base des États-nations. Ils ne s'inscrivent pas encore dans une logique « extra territoriale. »
Certains médias internationaux diffusent, par exemple, le point de vue des États-Unis, de la France ou de l'Espagne vers le monde. Cependant, très peu de médias ont créé de véritables réseaux internationaux. Je suis pourtant convaincu que ces réseaux devront exister, le monde des médias ayant connu un bouleversement extraordinaire depuis les 15 dernières années. Je parle ici de l'éclatement de la notion de proximité.
Qu'est-ce que cela signifie? Par exemple, le positionnement de la radio, particulièrement aux États-Unis, s'appuie d'abord et avant tout sur la proximité régionale. Il s'agit d'un positionnement logique puisque la radio est avant tout un média de proximité.
Sauf qu'au 21e siècle, la proximité n'est plus seulement une question géographique : on peut être proche de quelqu'un par sa religion, par son option politique, par son orientation sexuelle ou par une passion partagée pour tel type de voiture ou de bateau, par exemple. On peut être proche de quelqu'un pour des milliers de raisons et il nous est désormais possible de lui parler en moins de 15 minutes par divers réseaux comme la téléphonie cellulaire et toutes ses options de messageries, ou par le Web, pour ne nommer que ceux-là. La notion de proximité s'en trouve donc totalement transformée. La proximité territoriale est devenue une notion que je ne qualifierais pas encore de désuète, mais elle n'est plus la seule dimension qui permettent la communication.
Or, les médias fonctionnent encore dans un environnement régi par des lois et des systèmes de réglementation qui les enferment dans une logique d'État-nation. Face à l'éclatement de la notion de proximité et au phénomène de la mondialisation, les médias vivent une contradiction fondamentale qui pose, de mon point de vue, un problème important pour l'avenir.
Une seconde condition qui permettrait aux médias de jouer pleinement leur rôle au sein de la Francophonie réside dans la force du service public. Car, bien que dans certains pays européens, la présence du service public en radiodiffusion ne soit pas remise en question, la place et le rôle des radiodiffuseurs publics sont fortement débattus et questionnés un peu partout dans le monde. Pourtant, c'est d'abord par les médias de service public que nous réussirons à créer de grands ensembles, rarement par les médias privés. Car on ne peut pas laisser une chose aussi importante que la culture dépendre uniquement des résultats trimestriels des sociétés privés.
Certes, ces dernières peuvent jouer un rôle, mais il reste que les médias de service public doivent continuer à occuper une place centrale de catalyseur puisque ce sont eux, d'abord et avant tout, qui ont la capacité de rassembler le public autour d'une idée, d'un projet de société. Il importe donc de continuer à défendre l'idée du service public partout dans le monde.
Une autre des conditions sera la capacité des médias de résister à l'effet de balkanisation créé par l'ensemble des nouvelles technologies. Car, une des principales caractéristiques des nouvelles technologies, du moins en termes de communication, se manifeste par une difficulté à rassembler de grands auditoires devant une seule émission, une seule télévision ou une seule radio. Avec les nouvelles plateformes de diffusion, on ne retrouve plus cet effet de masse qui caractérisait jusqu'à maintenant les médias traditionnels que sont la radio et la télévision. La multiplicité des plateformes crée une balkanisation qui pose un défi particulier pour le monde des médias.
Mon premier constat pourrait donc se résumer ainsi : les médias ont certainement la capacité d'agir comme fers de lance de la Francophonie, en autant qu'ils prennent conscience des enjeux actuels, qu'ils manifestent la volonté d'agir et qu'ils s'en donnent les moyens.
Le second constat que j'aimerais poser concerne l'expérience du Canada et du Québec en matière de défense des identités culturelles. Étant moi-même Canadien, mon analyse aura peut-être une résonance un peu chauvine, mais je suis convaincu que les Canadiens et les Québécois sont bien placés pour comprendre les enjeux de l'identité culturelle pour plusieurs raisons.
Les identités culturelles ont plusieurs visages chez nous : que ce soit la défense de l'identité canadienne face aux voisins américains, l'affirmation de l'identité francophone dans une mer anglo-saxonne nord-américaine ou la préservation de l'identité acadienne face à l'ensemble Nord-Américain, les exemples sont nombreux.
Depuis des décennies, nous avons développé au Canada des systèmes qui, avouonsle, ont suscité un certain amusement chez nos collègues européens, du moins au début. Prenons l'exemple des quotas de musique. Dans les années 80, le régulateur canadien a imposé aux radios publiques et privées un plancher de diffusion pour la musique canadienne et francophone, une politique visant évidemment à augmenter la diffusion de chansons québécoises et canadiennes. Nos collègues de Radio France nous ont alors posé un nombre incalculable de questions sur ces quotas pendant les trois années qui ont suivi, soulignant à chaque occasion combien ils trouvaient cette idée ridicule.
Nos amis français ont continué de plaisanter sur la politique canadienne en matière de musique à la radio, jusqu'au milieu des années 90 où ils ont eux-mêmes adopté le principe des quotas pour la musique française... J'ose avancer qu'ils ont probablement compris que le Canada et le Québec constituent des postes avancés sur le plan de la défense des identités culturelles, qu'ils avaient intérêt à comprendre ce qui s'y passe et à s'en inspirer.
Comme je le disais, nous, Canadiens, sommes bien placés pour comprendre les enjeux de l'identité culturelle. Voilà pourquoi nous étions aux côtés de la France à l'UNESCO pour mener la bataille de la diversité culturelle. En matière de politique culturelle comme dans d'autres domaines de la culture, nous devrions nous inspirer davantage des moyens qui ont été mis de l'avant à l'UNESCO.
D'ailleurs, j'aimerais vous rapporter une anecdote qui s'est déroulée à Pékin, où j'étais invité comme conférencier par la radio nationale chinoise pour parler, justement, de la question de la diversité culturelle. Pendant le repas, j'ai demandé mon hôte pourquoi il trouvait important de m'entendre sur ce sujet. Il m'a alors expliqué que la Chine s'inquiétait de la présence de moins en moins importante de la langue chinoise dans les médias. Interloqué, je lui ai répondu qu'avec 1,3 milliard d'habitants, la Chine devrait pourtant être rassurée!
Voici ce que mon hôte a rétorqué : « Vous savez, il y a quand même un recul de la langue chinoise dans les médias internationaux qui nous inquiète. Nous devons vraiment nous pencher sur cette question. » Inutile de préciser que nous, Québécois, avec notre population de sept millions d'habitants, étions très fiers de pouvoir servir d'exemple à l'imposante Chine en matière de défense de l'identité culturelle.
Le Canada et le Québec présentent donc des exemples intéressants de politiques culturelles favorisant l'expression de la diversité et la défense de l'identité.
Le troisième et dernier constat que j'aimerais poser porte sur les succès qui existent déjà au sein de la Francophonie et sur lesquels nous devons nous appuyer pour l'avenir. On ne peut évidemment pas passer sous silence TV5 Monde, qui constitue à mes yeux un joyau en matière de communications pour la Francophonie. Il est primordial de le préserver et de s'en inspirer pour développer des initiatives porteuses de sens dans le contexte de la mondialisation et de la cohabitation culturelle.
Toutefois, cela a été maintes fois répété, la plus grande difficulté demeure la tiédeur de la France face à la Francophonie. Il ne s'agit pas d'un reproche puisque la France est très impliquée dans TV5Monde, par exemple, et un peu partout en Francophonie. Mais on ne sent pas en France la même passion de défense de la langue française comme on peut la sentir au Québec et dans d'autres lieux de la Francophonie.
Cela représente un obstacle et, comme d'autres l'ont dit avant moi, la France a un devoir de cohérence et de détermination. Pour ma part, je pense qu'il serait plaisant d'entendre, de la part de la France auprès de ses citoyens, la même passion que la nôtre pour la défense de la Francophonie.
TROIS PISTES DE SOLUTIONS
J'aimerais maintenant proposer, brièvement, trois pistes de solution concernant le rôle des médias pour l'avancement de la Francophonie. La première piste que j'avancerai porte sur nos efforts, que nous devons décupler, pour la création de réseaux internationaux puissants, comme les Américains savent en créer.
Afin de pouvoir faire face à la concurrence, l'idée n'est pas de lancer une myriade de petits réseaux, mais de créer de véritables réseaux internationaux capables d'affronter la concurrence et d'installer le français dans l'espace médiatique et culturel mondial. Comme je le mentionnais plus haut, les moyens de distribution numériques peuvent entraîner une fragmentation importante des médias et torpiller nos initiatives internationales. Nous devons à tout prix éviter une situation où les seuls grands réseaux rassembleurs viendraient d'une poignée de pays, alors que l'ensemble des autres médias seraient tellement balkanisés qu'ils n'auraient plus la capacité d'exercer une influence significative.
Pour nous, Francophones, il y a urgence et nous devons mener une importante réflexion sur cette question. Cette réalité touche tout le monde, lusophones, hispanophones, germanophones... Bref, tous ceux qui ont intérêt à préserver, voire accentuer la diversité culturelle. Il s'agit d'une responsabilité commune et d'un défi que nous devons relever ensemble.
La seconde piste de solution que je proposerai touche l'engagement des citoyens français que j'évoquais plus haut. Il faut trouver une façon d'agir efficacement sur le citoyen français afin qu'il comprenne mieux cette notion de la Francophonie qui nous est chère et qu'elle devienne non plus un héritage du passé, mais un projet d'avenir.
La dernière idée que je mettrai de l'avant concerne le potentiel des nouvelles technologies, que nous pouvons exploiter davantage. En effet, malgré le danger de balkanisation que j'ai évoqué, les nouvelles technologies permettent de vivre des expériences de proximité qui n'étaient pas possibles auparavant. Le citoyen peut désormais vivre sa propre identité culturelle au moyen des nouvelles technologies. Il faut multiplier les forums et les plateformes qui facilitent les échanges et les rapprochements entre les Francophones. Le numérique nous offre désormais toutes sortes de nouvelles occasions d'enrichir l'espace francophone qui ne demandent qu'à être explorées et développées.
La mondialisation pose certainement de nombreux défis à la Francophonie, que vivent aussi les autres grands groupes culturels et linguistiques : celui de la diversité, de la défense des identités et l'important défi de la cohabitation culturelle, pour ne nommer que ceux-là.
L'émergence de véritables réseaux internationaux francophones, qui s'appuient sur la force regroupée des médias et qui exploitent toutes les possibilités offertes par les nouvelles technologies, constituerait évidemment un atout pour la Francophonie. Mais pour ce faire, les médias doivent d'abord prendre conscience des enjeux réels de la mondialisation sur le plan culturel et la France doit engager davantage ses citoyens afin de faire de la Francophonie un projet porteur de sens pour l'ensemble des Francophones.
Les médias ne pourront jouer un rôle de fer de lance qu'au moment où ils en exprimeront clairement la volonté et qu'ils s'en donneront les moyens.
Richard WERLY
En quelque sorte, nous pourrions conclure que les médias et les entreprises font office d'« accélérateurs » de la francophonie. Sylvain Lafrance a souligné l'importance des réseaux et la tiédeur des Français en matière de francophonie. Tous ces sujets concernent au tout premier chef Antoine Schwarz, président directeur général de Radio France Internationale, qui est particulièrement écoutée à l'étranger. Après un passage à l'ENA, il se voit confier une mission au Service juridique et technique de l'information. Il rejoint en 1975 le cabinet du porte-parole du gouvernement. Avant de prendre la tête de RFI, en juin 2004, Antoine Schwarz effectue un passage dans les radios privées.
Antoine SCHWARZ
Le rôle des médias traditionnels est en passe de s'affaiblir, sous l'effet de la balkanisation que décrivait Sylvain Lafrance. Cette balkanisation se traduit en réalité par le double émiettement des audiences et des contenus. Un tel phénomène est désormais inéluctable, mais nous ne devons pas nécessairement en plaindre. Même si ce mouvement est néfaste à l'audience de médias tels que RFI, il se peut que le citoyen soit en réalité gagnant. L'émiettement assure une meilleure diffusion des contenus à un public plus large. C'est en quelque sorte un gage de liberté et l'on peut se demander si les médias en tant que tels peuvent être considérés comme les meilleurs garants de la liberté de communication.
Le monde compte désormais un milliard d'internautes. Les médias traditionnels sont assurément les perdants de ce mouvement, sauf à se reconvertir ou à participer à la création de nouvelles entreprises de communication. D'ailleurs, de nouvelles entreprises, comme Yahoo et Google, sont apparues ces dernières années dans le paysage. En réalité, elles se contentent d'agréger des publics et n'ont que peu à voir avec des médias tels que CNN, TF1 ou le Financial Times.
Les médias internationaux seront les premiers touchés par ces mutations. Les radios, telles que RFI, vont subir ces changements de plein fouet. Ceci dit, la radio en tant que média bénéficie d'une très large accessibilité et de la proximité. L'avenir de la radio n'est donc pas particulièrement inquiétant. Elle doit simplement se rapprocher de son public. Les émissions diffusées dans le monde entier depuis Paris en ondes courtes n'ont plus grand sens. RFI utilise désormais pour l'essentiel les ondes courtes pour couvrir l'Afrique, afin de toucher les régions les plus reculées.
Les nouvelles technologies, comme Internet et la téléphonie portable, nous permettront demain de toucher un public plus large au moindre coût. RFI a décidé de saisir cette opportunité. Cette année, elle va notamment développer de manière spectaculaire son site Internet. L'information, qui est notre mission première, et les services seront au coeur du projet. Ce sont ces services, autour de la culture, du sport, de l'économie, des sciences et de l'environnement, qui devraient nous permettre d'attirer de nouveaux publics. RFI possède d'importantes ressources dans tous ces domaines. Nous allons maintenant nous employer à les faire migrer de la radio vers Internet. Nous comptons ainsi offrir des contenus traditionnels et audio à des cibles particulièrement motivées. Si l'anglais aura sa place, le français restera bien entendu à la base de notre offre. Internet se prête par ailleurs très bien aux services d'enseignement de la langue française. Nous voulons exploiter à fond cette opportunité.
Une action efficace au niveau international impose la maîtrise des trois médias que sont la télévision, la radio et Internet. Il nous appartient de les articuler. Pour la France, la difficulté réside dans l'éclatement des opérateurs. Il serait dangereux de les rendre concurrents les uns des autres. Nous devons coopérer en bonne intelligence pour éviter d'être redondants. Si nous le sommes, cela doit être de manière efficace, au travers par exemple d'une surpression sur un média plutôt qu'un autre.
En ce qui concerne mes propositions, j'en ferai deux. La première concerne la définition d'une stratégie de l'audiovisuel extérieur. L'Etat a pour mission de nous fournir des directives et des orientations. Nous avons besoin d'une stratégie. Je suis pour ma part en attente de toute proposition visant au développement de nos services, même si je peux comprendre que des sacrifices puissent être nécessaires. Il serait intéressant à ce titre de recréer le CAEF, le conseil de l'audiovisuel extérieur de la France. Ce comité politique serait chargé de définir les grandes orientations dans le domaine audiovisuel.
Ma deuxième proposition concerne les médias francophones. J'ai eu l'occasion de rencontrer aujourd'hui les représentants de la radio égyptienne. J'ai été surpris d'apprendre qu'il existe au Caire un canal émettant en partie en langue française. Il est assez paradoxal de constater que, dans des pays où le paysage audiovisuel n'est pas entièrement libre, la radio reste très contrôlée, tandis que la télévision et la presse jouissent d'une certaine liberté. C'est le cas notamment en Afrique du Nord, même si le Maroc connaît un mouvement de libéralisation à l'heure actuelle. La radio est considérée par ces gouvernements comme un instrument du pouvoir.
En la matière, il serait bon que les institutions internationales, telles que le CIRTEF ou les radios francophones, fassent pression sur ces pays en faveur de la libéralisation au nom de la francophonie. Cela permettrait de faire entrer de nouvelles radios francophones dans le paysage médiatique local.
Richard WERLY
Antoine Schwarz prône la complémentarité entre médias francophones plutôt que la concurrence. TV5Monde sera prochainement confrontée à l'arrivée de la CFII, la chaîne d'information en continu française. Après une longue carrière à Radio Canada, Suzanne Laverdière occupe aujourd'hui le poste directrice générale adjointe chargée de programmes de TV5Monde. Elle est également membre de la commission de sélection du fonds francophone de production audiovisuelle du Sud de l'Organisation internationale de la Francophonie.
Suzanne LAVERDIERE
Pour TV5Monde, la francophonie est considérée comme un fait naturel, un quotidien ou une évidence, comme l'air que l'on respire. Où que l'on soit, d'où que l'on vienne, quelle que soit la couleur de notre peau et notre accent, nous sommes liés par cette langue en partage. La diversité de nos origines, nos cultures, nos moyens, nos histoires et notre avenir constitue une autre évidence pour nous, que nous conjuguons quotidiennement avec la première.
De manière générale, la francophonie représente le simple fait de parler français, c'est-à-dire une langue partagée entre ceux qui en ont hérité à la naissance et ceux qui l'ont apprise. Ces derniers l'enrichissent par leurs créations. Au-delà de la culture qui a prévalu à sa naissance, la francophonie s'est rapprochée de thèmes tels que les droits de l'homme, la démocratie, le développement durable et le rêve d'un nouveau monde, plus solidaire et respectueux de toutes les cultures. Toutes ces valeurs et tous ces éléments se trouvent inscrits au coeur de l'action de TV5 Monde. La francophonie s'y trouve résumée dans sa diversité dans une seule et même évidence.
La structure même de la chaîne le prouve bien. TV5Monde est née en 1984. Elle est en réalité le fruit d'un partenariat unique dans le domaine de l'audiovisuel. La France, la communauté française de Belgique, la Suisse, le Canada et le Québec et, dans une certaine mesure, tous les pays du Sud francophone, à travers le CIRTEF se sont associés pour faire naître cette chaîne. Comme l'affirme Dominique Wolton, TV5Monde est un « média mondial indispensable », car il compte parmi les instruments majeurs et les vecteurs essentiels de la francophonie. L'image télévisée demeure en effet l'un des moyens d'accès les plus simples à autrui.
En développement constant depuis sa création, TV5Monde couvre aujourd'hui plus de 200 pays. Elle est reçue dans 160 millions de foyers à travers le monde sur huit signaux (France-Belgique-Suisse, Asie, Orient, Amérique latine, Afrique, Etats-Unis, Europe, Québec-Canada). Ces signaux diffèrent par leur programmation et l'agencement des émissions, afin de respecter la réalité culturelle et géographique de chacun de ces territoires.
TV5Monde diffuse 24 heures sur 24 partout dans le monde. Elle figure au deuxième rang des réseaux de distribution mondiale et compte 73 millions de téléspectateurs par semaine. Chaque mois, 4 millions d'internautes visitent le site de TV5Monde et nous recensons 1,7 million de consultations des émissions mises en ligne. Sept de nos émissions sont reprises par des compagnies aériennes, parmi lesquelles Air France.
A l'aune de ces chiffres, TV5Monde apparaît bien comme l'un des fers de lance de la francophonie. Ceci dit, elle ne serait rien sans la francophonie. C'est cette langue en partage qui nous permet de porter la culture et les valeurs francophones au-delà des frontières de la France, au-delà des frontières des pays fondateurs de cette chaîne et au-delà même des frontières des pays de l'aire francophone grâce au sous-titrage. Je crois que plus l'on traduit et plus les visions du monde s'élargissent. La traduction réveille des désirs, des vocations et des curiosités. Elle constitue un « passeport pour l'autre », comme le souligne Dominique Wolton.
Aujourd'hui, TV5Monde sous-titre seulement 20 % de ses grilles, en douze langues différentes (allemand, suédois, néerlandais, polonais, danois, russe, espagnol, portugais, anglais, mandarin, japonais et arabe). Nous essayons de développer ce soustitrage, essentiel pour notre développement et pour notre capacité à passer les frontières. Faute de moyens, cependant, notre progression dans ce domaine reste très lente.
La chaîne compte bien parmi les vecteurs de la diversité francophone et des langues françaises. Les accents de nos animateurs, de nos journalistes et le contenu des programmes diffusés sur notre chaîne (documentaires, magazines, fictions et cinéma) témoignent de la richesse et de la diversité de la francophonie.
TV5Monde est le miroir de la francophonie dans le monde entier. Elle assure la diffusion du meilleur de la création francophone dans des régions aussi différentes que les Etats-Unis et le Japon. Sur ses différents signaux, elle donne à voir le reflet des cultures francophones, au travers par exemple de la diffusion d'un journal africain ou d'une fiction québécoise au Viêt-Nam ou en Suisse. TV5Monde est ainsi beaucoup plus qu'une simple chaîne et bien plus qu'une entreprise de télévision. Elle revêt le rôle de télévision de service public dans l'ensemble du monde francophone.
Ses publics dont aussi divers et disparates que les pays dans lesquels elle est reçue. En réalité, les téléspectateurs de TV5Monde sont les expatriés de la francophonie, les francophones de souche ou d'adoption, les francophiles d'éducation, de coeur ou de raison, sans oublier tous ceux qui, sans avoir la langue française en partage ont en commun les valeurs de la francophonie, que sont la démocratie, le respect des droits humains et la solidarité.
Si nous revendiquons cette diversité, son respect ne constitue pas une mince affaire. Notre entreprise de télévision ne ressemble pas exactement aux autres. Notre objectif premier n'est pas de faire de l'audimat, mais la sanction unique et imparable reste tout de même celle envoyée par les téléspectateurs. A l'international, le marché s'avère très concurrentiel. C'est déjà le cas aujourd'hui, mais cela devrait être pire encore demain. Pour demeurer l'un des instruments majeurs de la pénétration de la francophonie dans le monde, TV5Monde se doit d'être lucide et pragmatique, comme toute entreprise d'ailleurs.
Fer de lance de la francophonie, TV5Monde constitue aussi une vitrine mondiale pour les entreprises de la francophonie. Cet aspect est souvent négligé. Nos programmes, nos journaux, nos documentaires mettent en avant tout le savoir-faire de ces entreprises. Chaîne généraliste et multilatérale, TV5Monde est bien aujourd'hui la chaîne de la francophonie, son miroir et son reflet.
TV5Monde possède aussi l'avantage d'être fédératrice. Par ailleurs, cette chaîne connaît un développement perpétuel et s'inscrit dans un processus continu de création. Ces changements ont été rendus possibles par ceux qui ont été à la tête de la chaîne, par les gouvernements bailleurs de fonds, par les chaînes partenaires, par nos actionnaires ainsi que par les exigences du public.
Afin que TV5Monde puisse continuer à défendre la francophonie, de nouveaux moyens doivent lui être alloués. C'est ainsi qu'elle continuera à se développer et à répondre à ces attentes multiples. Une telle ambition mériterait peut-être de nouveaux mécanismes pour impacter de manière positive le financement des émissions. Il est extrêmement difficile de trouver des partenaires pour assurer le rayonnement de TV5Monde, à l'extérieur du signal France-Belgique-Suisse. Sur ce signal, nous bénéficions en effet d'un apport significatif provenant d'annonceurs publicitaires et partenaires.
TV5Monde devrait par ailleurs appuyer les initiatives de tous nos partenaires, afin de devenir une véritable vitrine culturelle sur notre antenne comme en dehors de notre antenne. Elle pourrait enfin devenir une véritable force de proposition pour la création de programmes avec les chaînes publiques, les auteurs et les réalisateurs. Cette démarche nous permettrait de développer l'offre de programmes réalisés en commun et reflétant ce que nous sommes, c'est-à-dire des francophones.
Richard WERLY
Après une longue carrière chez Virgin France, Patrick Zelnik a créé en 1997 le label Naïve. Naïve, bien installé sur le marché du disque, se lance maintenant dans l'édition, avec une collection diffusée par Actes Sud.
Patrick ZELNIK
Le titre de ce colloque m'a quelque peu surpris. Considérer que la mondialisation constitue une chance pour la francophonie va à l'encontre de la pensée habituelle relayée par les médias. Selon les altermondialistes, la mondialisation constituerait une menace pour la diversité culturelle et linguistique. En fait, ces positions reflètent l'affrontement de deux conceptions opposées. L'une s'appuie sur le repli, tandis que l'autre parie sur l'ouverture. J'ai fait le choix de la seconde.
Le débat actuel reste cependant relativement manichéen. Il me semble en effet possible de réguler sans obligatoirement réglementer. Par ailleurs, chacun convient du fait que les pouvoirs publics se doivent d'intervenir lorsqu'une culture est menacée.
Naïve a été créée voilà sept ans. A l'origine centrée sur la musique, notre société intervient maintenant également dans le domaine de l'édition et le DVD. Notre label est généraliste, même s'il produit beaucoup de musique classique. Ces produits marchent très bien à l'exportation et nous sommes aujourd'hui présents dans 40 pays. Si une grande partie de la musique lyrique n'est pas d'expression française, nous produisons tout de même de nombreux artistes francophones. L'un de nos plus grands succès est Carla Bruni, dont le disque s'est vendu à 1,2 million d'exemplaires en France et
500 000 supplémentaires hors de France, pour l'essentiel en Europe continentale.
En France, habituellement, la tradition littéraire reste puissante. Les artistes dont la carrière est la plus longue sont ceux dont les textes sont les mieux écrits. C'est notamment le cas de Georges Brassens, Renaud ou Alain Souchon. Certains pourtant chantent faux. Renaud l'a reconnu lui-même dans son livre, quelque peu autobiographique, « Le petit oiseau qui chantait faux ».
Une réflexion sur la francophonie doit nécessairement prendre en compte la création. Dans ce domaine, Naïve peut certainement se vanter d'être en Europe le label indépendant qui investit le plus dans la création. Certains de nos artistes, comme Marie Modiano, fille de l'écrivain Patrick Modiano, chantent en anglais. Son père ne l'a pas répudiée pour autant. Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle chantait en anglais, elle m'a répondu qu'ainsi sa maladresse passait inaperçue. Ceci dit, ses textes sont très beaux et elle chantera vraisemblablement en français dans son prochain disque.
La diversité culturelle et linguistique occupe le coeur du projet d'entreprise de Naïve. Cette notion est en effet pour nous vitale et nous nous réjouissons de la signature à l'UNESCO d'une Convention la protégeant. Prenons-la au mot. Je crois que la diversité deviendra bientôt l'enjeu essentiel du siècle. Le constat est pour l'heure assez triste. La diversité est loin d'être une réalité à l'heure actuelle.
Le phénomène de concentration ne peut être éludé à l'heure actuelle. Ce mouvement tue les PME culturelles et la création. Il appauvrit l'offre et marginalise les projets culturels purement francophones. Dans le domaine du disque, quatre groupes représentent à eux seuls 85 % du marché. Aujourd'hui, ces groupes s'aventurent hors du monde du disque et s'attaquent notamment aux nouvelles technologies. Or nous constatons que le phénomène de concentration s'exerce autant dans les secteurs traditionnels que dans celui des nouvelles technologies.
La balkanisation de l'offre à l'oeuvre actuellement ne rend pas plus simple l'accès au marché. Pour un indépendant, l'accès aux médias et aux magasins devient de plus en plus coûteux et de plus en plus complexe. Peut-on réellement parler de diversité culturelle lorsque l'on ne peut rentabiliser la production d'un disque qu'à partir de 50
000 albums vendus ?
En corollaire, ce mouvement de concentration donne la primauté au marketing. Lorsqu'il est au service de la création, le marketing peut s'avérer très bénéfique. Au contraire, lorsque la création est soumise au marketing, elle devient aseptisée et formatée.
Il n'existe pas de diversité sans pluralisme des acteurs culturels. Cela vaut aussi bien pour les médias que pour la distribution. La présence culturelle doit s'accompagner d'une présence commerciale. Ceci démontre l'importance de l'interaction entre l'économie et la culture.
Dans les pays tels que la Hongrie, la République tchèque ou la Pologne, nous constatons un fort désir de culture française, dont ils ont longtemps été privés. La présence des médias francophones, publics ou privés, est assez forte. Dans ces pays, la France pourrait certainement se tailler une part de marché proche de 20 %. Or elle n'excède pas aujourd'hui 2 % ou 3 %. La présence commerciale de la France reste en effet très peu développée. Il y demeure difficile d'acheter des biens commerciaux provenant de la France. Pour y inverser cette tendance, il est temps de compléter par un dispositif commercial l'action culturelle remarquable des ambassades, de l'Alliance française et des instituts culturels.
Par le passé, j'ai proposé au ministre des affaires étrangères de permettre la vente de produits culturels dans les instituts culturels à l'étranger. Ma demande a été rejetée. Je reste cependant persuadé que culture et économie sont intimement liés. Ce clivage est plus néfaste encore dans le domaine des nouvelles technologies, où la question de la francophonie se pose en des termes bien différents.
Au-delà, toutefois, il est important que l'économie soit au service de la culture et non l'inverse. J'ai eu l'occasion de me rendre plusieurs fois à Bruxelles en tant que président du syndicat des indépendants, afin de m'opposer aux mouvements de concentration dans le secteur. Notre action a connu un certain succès pour le dossier EMIWarner. En revanche, nous avons échoué sur le projet Sony-BMG, qui a été accepté sans la moindre contrepartie pour les indépendants.
Dans les groupes de travail de la Commission, il m'était interdit de parler de diversité culturelle. Mon discours devait se limiter à des considérations sur « le choix des consommateurs ». Le citoyen n'est donc, aux yeux de la commission, qu'un consommateur, ou un abonné potentiel. En tant qu'abonné, il est prié de rentrer dans une nasse et de ne pas en sortir. La dimension culturelle n'est pas prise en compte dans le raisonnement économique. En fait de technocratie européenne, nous avons affaire à un nouvel obscurantisme. Les problèmes de culture confinent aux problèmes de civilisation. La culture et les valeurs démocratiques sont interdépendantes.
Les règles du droit de la concurrence et de la concentration dans le domaine culturel doivent être revues. De même, le droit du travail, le droit bancaire et la fiscalité appliqués aux entreprises culturelles doivent être adaptés. Naïve est ainsi traité comme une entreprise classique. Il faut en parallèle promouvoir les projets des entreprises, marginaux à l'aune de leur importance économique, mais essentiels à celle de leur importance culturelle. Ce principe favorise l'émergence d'une notion de croissance quantitative en lieu et place d'une croissance purement quantitative. Il est important de donner plus de pouvoir au ministère de la Culture, qui est trop souvent bloqué par le ministère de l'Economie.
Si les quotas peuvent être considérés de manière positive, il serait intéressant de mettre au point des indices de diversité. Les artistes qui chantent en arabe ne rentrent pas dans les quotas. La diversité linguistique ne se limite pas à la cohabitation de l'anglais et du français.
Pour conclure, je dirai que la condition essentielle d'une mondialisation maîtrisée, d'un partage harmonieux des cultures ne peut se résumer à une politique d'exception culturelle. Parlons plutôt d'un défi plus mobilisateur : mettre l'économie au service de la culture. On parlera alors d'exception économique.
DÉBAT AVEC LA SALLE
Un participant
En tant que passager de cette compagnie, je suis étonné du discours qui a été tenu sur le respect de la langue française chez Air France. Premièrement, Air France est en réalité un anglicisme. Deuxièmement, la documentation que la compagnie m'envoie est systématiquement en anglais. Troisièmement, en 2000, à Londres, Air France a licencié l'essentiel de son personnel français pour le remplacer par des Anglais. Ces nouveaux employés de la compagnie refusent systématiquement de s'exprimer en français.
Un participant
Je crois que le monde syndical devrait être associé à un tel débat. Les textes des directives européennes sont uniquement édités en anglais. Le ministère de la santé français doit intervenir pour mettre un terme à cette situation. Plus largement, le ministère du travail se doit aussi d'agir pour contrer une nouvelle forme d'exclusion qui vise ceux qui ne maîtrisent pas parfaitement l'anglais.
Un participant
Je suis un journaliste tchadien. J'habite à Lille. J'y ai créé un festival de littérature africaine. J'ai l'occasion de me rendre souvent au Tchad, où les habitants des plus petits villages peuvent regarder les journaux télévisés de France 2, mais ne peuvent capter la télévision tchadienne. Il en va de même pour la radio avec RFI. Je me demande comment résoudre les inégalités entre médias francophones.
Dominique WOLTON
Il est difficile de donner une réponse à cette question technique. Les opérateurs qui pourraient y répondre ne sont pas présents aujourd'hui.
Sophie LOVY,
Sous-directrice du Français au ministère des Affaires étrangères
Je vais relayer la question précédente à ceux qui pourront y apporter une réponse technique. Renaud nous a confié la chanson Le petit oiseau qui chantait faux pour la faire voyager au travers de supports d'apprentissage du français langue étrangère. Nous produisons cette chanson, même si nous ne la vendons pas.
Nous produisons par ailleurs les cartes postales chorégraphiques de Dominique Hervieu, en partenariat avec le festival francophone en France. Dominique Hervieu met en scène des pas de deux sur le thème de la rencontre. C'est la première fois qu'un support purement artistique est choisi pour porter un message sur la langue française.
Nous avons lancé l'initiative partenariale « Oui, je parle français » à destination des entreprises, avec le soutien de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris et le Forum francophone des affaires. Nous souhaitons par ce biais générer une prise de conscience de la part des entreprises sur l'importance de la pratique de la langue française à l'étranger.
Sylvain Lafrance évoquait une certaine tiédeur de la part des autorités françaises à l'égard de la francophonie. Si ce terme convient bien pour décrire le comportement de certains chefs d'entreprises qui délaissent le français au profit de l'anglais, il ne rend absolument pas compte de l'action de l'Etat. C'est avec énergie, passion, vigueur et inventivité que la France agit dans ce domaine.
Un participant
Personne n'a évoqué le rôle de RFO qui diffuse des heures de programme dans les régions lointaines de France. Il n'est pas possible de négliger ce média, qui permet notamment à Canal + et Canalsatellite de se développer sur l'Australie, au travers du bassin francophone en Nouvelle-Calédonie. Enfin, je voudrais évoquer France Ô, chaîne culturelle dirigée par un kanak. Aujourd'hui, rares sont les chaînes dirigées par des hommes de l'Outre-mer.
Louis DUVERNOIS
Comme cette table ronde l'a démontré, les médias et les entreprises constituent de manière indéniable les fers de lance de la francophonie. Ils pourraient même être qualifiés de puissants accélérateurs. Dans le domaine de l'entreprise, l'espoir est permis, dès lors que la volonté est présente. Il relève de la responsabilité de chacun de devenir le défenseur de la francophonie au sein même de son entreprise.
A en croire les intervenants, la France se doit urgemment de définir une stratégie cohérente dans le domaine de l'audiovisuel comme dans celui des industries culturelles. J'ai eu l'occasion de me pencher sur ce thème dans un rapport parlementaire intitulé Pour une nouvelle stratégie de l'action culturelle extérieure de la France : de l'exception à l'influence. Certes la France ne saurait être considérée comme le centre de la francophonie. Néanmoins, elle fait figure de pays de référence, à partir duquel des créativités multiples peuvent émerger dans tout l'espace francophone.
Au-delà, ce constat concerne chaque pays francophone. Leurs stratégies doivent être définies en harmonie les unes avec les autres au sein de la nouvelle OIF. Cette institution doit mettre ainsi à profit ses progrès réalisés dans le domaine institutionnel. Sans cette politique, la dispersion continuera de marquer notre action.
Par ailleurs, notre tendance à trop vouloir dissocier commerce et culture peut s'avérer néfaste. Cette conception, parfois formulée de manière inconsciente, peut à juste titre être considérée comme réductrice. Le monde anglo-saxon a choisi d'agir de manière très différente en la matière. Nous ferions bien de nous inspirer quelque peu de sa stratégie.
Nous manquons de confiance en nous ainsi qu'en notre langue. Le Pape Jean-Paul II a exhorté ses compatriotes alors sous le joug communiste à ne pas avoir peur. Les francophones doivent aujourd'hui faire de même. Notre langue est porteuse de valeurs. Dans un monde qui tend vers l'uniformisation, nous devons rester pleinement conscients que les modèles de gestion et les rapports sociaux ne relèvent pas de la standardisation. La francophonie représente un espoir. Nous devons le faire vivre avec passion et appétit.
TABLE RONDE 6
LE RÔLE DES INDUSTRIES CULTURELLES
Le débat est présidé par Catherine TASCA, sénatrice des Yvelines, membre de l'APF, ancien ministre.
Il est animé par Luis RIVAS, directeur de la rédaction et de l'antenne d'Euronews.
Participent à cette table ronde :
Michel GUILLOU, directeur de l'Institut Iframond, Université Jean Moulin de Lyon, Luc PINHAS, professeur à l'Université Paris 13,
Georges POUSSIN, chef de section de l'Entreprise culturelle internationale et du droit d'auteur (UNESCO),
Youssou N'DOUR, musicien et producteur,
Laura GARCIA VITORIA, Directrice scientifique du Réseau européen des
Villes Numériques.
Luis RIVAS
J'ai pu remarquer une certaine gêne en France lorsqu'il s'agit de mêler dans le discours argent et culture. Même si elle ne saurait être considérée comme une marchandise traditionnelle, la culture n'en est pas moins une grande industrie aujourd'hui.
Catherine TASCA
Les industries culturelles assurent la production de masse de supports et d'oeuvres culturelles. Elles connaissent un développement rapide à l'échelle mondiale. Si leur action au service de la création peut être mise en doute, elles ouvrent assurément de nouvelles perspectives à la diffusion culturelle. Par conséquent, ces industries sont à l'origine de très grands espoirs pour le développement de l'accès à la culture pour tous, qui fait figure d'objectif consensuel, dans les sociétés démocratiques du moins.
A l'heure de la mondialisation, nous ne saurions oublier que les industries culturelles peuvent fort bien ignorer les enjeux de la diversité, à savoir le respect des langues et des identités. En effet, la spectaculaire concentration à l'oeuvre actuellement pourrait fort bien contrecarrer entièrement cette ouverture et assécher le vivier de la création. Assurément, ce mouvement impose des formats et des modèles, à l'origine d'une indéniable uniformisation. Ainsi que Patrick Zelnik le soulignait, nous devons progresser dans la régulation des concentrations. Les législations, aussi bien nationales qu'européennes, restent faibles sur ce plan.
Face à cet essor des industries culturelles, les différents pays du monde ne sont pas à égalité. Le rapport de l'OIF sur la francophonie dans le monde, pour les années 2004 et 2005, le démontre fort bien. Le Nord domine et profite de cet essor, tandis que le Sud reste démuni, spectateur et spolié. Bien que riches de capacités créatives, comme l'illustre la présence ici de Youssou N'Dour, les pays du Sud n'ont pas les moyens d'exploiter pleinement leurs opportunités à l'échelle internationale. Au niveau européen, il en va de même pour les pays d'Europe centrale et orientale. Le Sud-Est asiatique se retrouve lui aussi dans une situation défavorable sur ce plan. Cette fracture traverse donc tout l'espace francophone et pose un problème crucial d'unité et de solidarité, auquel l'OIF doit maintenant s'attaquer si elle veut fonder durablement sa légitimité.
Enfin, la problématique des industries culturelles illustre le problème de l'écart croissant entre les pays activement présents dans les échanges et ceux qui risquent d'en être exclus. Ces derniers risquent de devenir de purs récepteurs et d'être mis en situation de dépendance culturelle et économique. C'est cette analyse que l'OIF s'est efforcée avec succès de faire partager à tous ses membres dans les séminaires régionaux qu'elle a organisés en amont du débat à l'UNESCO sur la Convention sur la diversité culturelle.
Ce constat d'un écart croissant entre deux groupes de pays vaut tout autant pour la musique, l'édition, le cinéma et l'audiovisuel que pour Internet et l'accès à la toile. Une telle réflexion nous conduit à nous interroger sur le débat entre démocratie et communication. L'évolution de la notion de proximité, ainsi que Sylvain Lafrance l'a expliquée, modifie la donne en la matière. Autrefois attachée à un territoire, la proximité pouvait être reliée à la démocratie, en ce sens que cette dernière s'exerce sur un territoire donné. Il n'en va pas de même pour une proximité basée sur des affinités.
Quelles contributions la francophonie peut-elle apporter dans un tel contexte ? Ghassan Salamé nous appelait à effectuer des choix. Comme lui, j'estime que l'OIF devrait fortement cibler ses soutiens techniques et financiers autour de trois axes distincts.
Premièrement, la mise en place de structures professionnelles de production et de diffusion doit être envisagée à l'échelle régionale. Nous ne pouvons en effet que déplorer leur rareté à l'heure actuelle. La réussite de Youssou N'Dour fait figure à ce titre d'exemple rare, voire unique, sur le continent africain. Dans le même esprit, nous devons favoriser les coproductions. Riche de son expertise et de ses moyens financiers, la France est amenée à jouer un rôle particulier dans ce domaine.
Deuxièmement, nous devons oeuvrer au développement de la présence francophone sur la toile, au travers de la mise en réseau d'un maximum de bases de données en français. Cela semble d'autant plus nécessaire que l'enseignement traditionnel dans la plupart des pays pauvres de la francophonie se trouve dans une situation dégradée. Ces pays sont en réalité démunis face aux flux démographiques. Internet peut apporter un souffle nouveau dans le domaine de la circulation des connaissances.
Troisièmement, il nous appartient de renforcer la capacité originale de production d'images dans l'espace francophone, aussi bien au niveau de la création d'oeuvres qu'à celui de la diffusion par les réseaux. Dans cette optique, les festivals et les médias francophones, comme TV5 et RFI, doivent recevoir une aide pour leur développement respectif.
Face à l'expansion formidable des industries culturelles et face au rouleau compresseur qu'elles représentent dans le cycle de concentration actuel, nous ne devons pas nous résigner. Bien au contraire, la francophonie doit innover.
Luis RIVAS
Michel Guillou est directeur de l'Institut d'étude de la francophonie et de la mondialisation (Iframond) à l'université Jean Moulin de Lyon. Catherine Tasca vient de pointer une série de difficultés. En tant que spécialiste, avez-vous des solutions à proposer ?
Michel GUILLOU
Je voudrais présenter ici un cheminement d'espoir. L'aventure francophone a débuté voilà 50 ans. Elle est aujourd'hui confrontée à une pensée unique dont les tenants laissent croire que nous pourrons passer au « tout anglais » dans les industries culturelles comme dans les médias. Ils se trompent. Les jeunes optent pour le multilinguisme. Il n'en reste pas moins que nous sommes en danger.
Trois grands moments ont marqué l'histoire de la Francophonie. Le premier est porté par Léopold Sédar Senghor. Le second est rythmé par les Sommets qui ont apporté une grande respiration à la Francophonie. C'est à cette période qu'ont été créés des outils comme TV5 ou l'AUPELF-UREF devenue l'AUF. Le troisième s'est ouvert récemment, avec un nouveau Secrétaire général le Président Abdou Diouf et de nouvelles institutions. Il doit s'accompagner également de nouveaux outils, afin d'ouvrir en particulier les industries culturelles à la Francophonie.
Nous inscrivons aujourd'hui notre réflexion dans le cadre de la mondialisation car cette approche est porteuse d'espoir. Une dizaine de Chaires universitaires - les Chaires Senghor de la Francophonie et de la Mondialisation ont commencé à étudier la Francophonie et à la considérer comme un terrain d'étude et de recherche. Mais la Francophonie moderne reste malheureusement trop méconnue, surtout chez les jeunes. Un mouvement en direction des étudiants et des lycéens est nécessaire, plus particulièrement en France.
L'idée de francophonie est souvent engluée dans son passé. Un retour aux idées de Senghor s'avère utile et indispensable. Léopold Sédar Senghor considérait en effet que la marche du monde vers l'universel supposait la mise en oeuvre, en s'appuyant sur les grandes aires linguistiques, de dialogues interculturels transversaux. Il concevait ces dialogues au sein d'unions culturelles rassemblant des pays partageant une même grande langue internationale, telle l'arabe, l'espagnol, le portugais... Pour lui la Francophonie est l'union culturelle de langue française. Les événements récents, tels que la guerre en Irak et le 11 septembre, démontrent l'importance de ces ensembles géopolitiques dédiés au dialogue interculturel, que Senghor appelait aussi les communautés organiques. Il faut souligner cette première rencontre entre le besoin de dialogue interculturel de l'actuelle mondialisation et la finalité de dialogue des unions culturelles.
De plus, une seconde rencontre avec la mondialisation est plus spécifique à la Francophonie, celle des valeurs. Tissage de l'idéal républicain français et de la civilisation universelle de Senghor, la Francophonie met en avant la liberté, la solidarité, le dialogue et la diversité, valeurs qui répondent aux aspirations à une autre mondialisation, plus humaniste, qui s'exprime aujourd'hui très largement, compte-tenu des effets pervers de la mondialisation financière et libérale.
C'est pourquoi la Francophonie peut être considérée comme un laboratoire, porteur d'espoir et d'avenir. Elle n'est pas ringarde. Ceux qui le pensent regardent dans le rétroviseur et n'ont pas compris que c'est un monde nouveau qu'elle contribue à construire. Ceci explique d'ailleurs son attractivité actuelle.
Dans le domaine culturel, beaucoup a déjà été accompli. Le combat pour l'exception culturelle puis pour la diversité culturelle suffit à l'illustrer. La Francophonie se doit maintenant de faire savoir qu'elle est une union culturelle, une communauté organique et un grand pôle transversal utile à la paix.
Le développement humain c'est-à-dire tout particulièrement l'éducation reste un préalable à toute action. Une réflexion doit également être menée autour de la question de la mobilité. La Francophonie ne pourra, en effet, que se renforcer dans l'instauration de préférences de circulation des produits culturels et des personnes. Malgré les peurs suscitées par l'immigration, le besoin d'un passeport francophone est réel. Enseignants, chercheurs, étudiants, artistes et entrepreneurs doivent pouvoir jouir des facilités de circulation dans le monde francophone.
Senghor affirmait qu'à partir de la culture la Francophonie aboutirait à l'économie. Cette idée doit nous servir de guide. L'économie est aujourd'hui une donnée fondamentale. Sans une croissance solide, les droits de l'homme et la diversité culturelle ne seront que des fictions. La Francophonie doit donc disposer d'outils lui permettant d'oeuvrer pour le développement économique et tout particulièrement la coopération entre PME-PMI francophones. Dans le domaine des industries culturelles, ces outils doivent permettre aux pays du Sud d'entrer de plain-pied dans l'économie de la culture.
Le Québec a montré l'exemple. Il a réussi à marier développement économique et usage du français. Alors que les banques refusaient de financer les investissements dans le secteur culturel, le Québec s'est doté d'une banque publique dédiée à ce secteur, à savoir la SODEC, (Société pour le Développement des Entreprises Culturelles) Il est temps de suivre cet exemple au niveau de la Francophonie.
Le chemin sera rude car la Francophonie est conservatrice. Chaque fois qu'une idée nouvelle émerge, elle est repoussée au prétexte, notamment, que l'institution manque de moyens. Ce frein n'a pourtant pas empêché hier la création de l'AUF et de TV5. Il faut promouvoir maintenant une culture des jeunes pousses en Francophonie.
Dans le domaine de l'éducation et des industries culturelles, des outils nouveaux, combinant public et privé, doivent être créés. Les premières années risquent d'être quelque peu laborieuses, mais, dans dix ans, nous pouvons parier sur de belles réussites.
Le rêve francophone existe. C'est en effectuant des choix et en créant des outils dynamiques que nous le transformerons en réalité.
Luis RIVAS
Nous allons maintenant nous pencher sur une expérience de terrain, plutôt méconnue. Laura Garcia Vitoria est la Directrice scientifique du Réseau européen des Villes Numériques. Son message est lu par Eric Bellais, secrétaire général adjoint du même réseau.
Laura GARCIA VITORIA
Le message de Madame Laura GARCIA VITTORIA est lu par Monsieur Eric BELLAIS Secrétaire général adjoint du réseau européen des Villes numériques.
Le français était hier la langue de l'innovation. Il doit retrouver ce rôle. Le réseau européen des villes numériques est une organisation qui regroupe au niveau international tous les organismes professionnels acteurs du développement économique et culturel des territoires. Notre objectif est de travailler au plus près des utilisateurs pour favoriser le développement des territoires de la connaissance. Nous voulons faciliter l'accès des citoyens au savoir et développer une dimension participative dans ce secteur.
Le réseau est né voilà dix ans. En l'espace de 10 ans, il a participé à des projets dans tous les pays européens. Depuis l'an dernier, son action s'oriente vers les pays du Sud. Nous avons ainsi participé au sommet mondial de Tunis. Face à une demande croissante, nous avons décidé d'ouvrir une branche en Asie. Lors du Forum de la francophonie à Alexandrie, à la mi-mars, il nous a été donné la possibilité d'animer notre propre atelier. Nous avons par ailleurs participé à l'animation du Forum francophonie et nouvelles technologies les 22 et 23 mars à Timisoara.
Depuis dix ans, nous développons des analyses sur l'utilisation des nouvelles technologies. Nous aidons à la réalisation d'économies d'échelles en listant les bonnes pratiques. Une telle démarche permet en effet d'éviter qu'un territoire ne réinvente ce qu'un voisin a déjà inventé plus tôt. Nous participons donc à la mutualisation de moyens. Notre philosophie répond quelque peu au voeu de Bruno Bourg-Broc qui souhaitait que les réseaux puissent se fédérer pour obtenir de meilleurs résultats. Nous oeuvrons dans ce sens dans notre domaine.
Nos expériences dans divers pays nous ont permis de nous apercevoir à quel point la jeunesse était demandeuse d'un développement autour des nouvelles technologies. Si à l'étranger, la langue française bénéficie d'un a priori positif, la francophonie reste connotée de manière plutôt négative en France.
Dominique Wolton évoquait hier l'économie du savoir. Nous devons être conscients que nous entrons pleinement dans la société du savoir. La francophonie doit y prendre toute sa place. Les sociétés françaises développent des outils de veille dans le domaine de l'intelligence économique. Ces entreprises doivent bénéficier d'un soutien, de telle sorte que les Anglo-saxons ne raflent pas systématiquement la mise.
Lors du Forum francophonie et nouvelles technologies de Timisoara, plusieurs intervenants ont appelé à la création d'un club francophone de l'innovation. Ce club pourrait rassembler les acteurs économiques et technologiques et représentants des grandes entreprises. C'est ainsi que pourrait émerger un espace public francophone, qui ferait office de rituel commun. La francophonie ne peut en effet faire l'économie de ces lieux de rencontres des hommes.
Nous avons pour objectif de créer au sein de ce club une bourse de projets et d'idées. Experts, entreprises et organismes financiers pourraient y mettre en commun leurs compétences et leurs moyens. Ainsi, les associations qui manquent de moyens pourraient bénéficier d'un espace de travail et d'échange sur Internet. La création d'une banque francophone figure également au nombre de nos propositions. Il serait souhaitable qu'elle développe notamment le microcrédit, qui peut s'avérer très utile en Afrique par exemple.
Les moyens existent déjà. Les entreprises et les réseaux économiques des ambassades seront sollicités. Nous mesurerons la détermination des gouvernements des pays francophones à l'aune de leur engagement. Les espaces de travail collaboratifs ont déjà été mis au point. L'un d'entre eux sera en place la semaine prochaine. La francophonie y est la bienvenue.
Beaucoup pointent régulièrement du doigt le fait qu'Internet ne couvre que très imparfaitement les territoires et que son coût reste pour beaucoup prohibitif. Une société américaine, qui a travaillé avec l'ONU pour la mise au point de ce projet, a récemment présenté ses solutions de connexion satellite. Elle a divisé le monde en cinq tranches, en fonction du PIB par habitant. Elle réalise l'essentiel de son chiffre d'affaires sur les pays du G8. Sur les pays les plus pauvres, le tarif pratiqué ne dépasse pas un dollar par mois. Une fois que, de manière pragmatique, de nombreux pays se seront ralliés à cette idée, les Américains contrôleront largement les connexions à Internet de par le monde.
La francophonie ferait bien de s'inspirer d'un tel exemple. Ces deux journées de réflexion illustrent parfaitement la puissance de l'intelligence. Nous sommes à même de mettre au point des solutions de même ordre, à condition de travailler ensemble. C'est ainsi que nous réussirons à dégager des moyens pour de tels projets.
La création d'un consortium francophone des réseaux de compétences a également été évoquée à Timisoara. Elle aurait pour but de regrouper sur une même plateforme les entreprises, les universités et les porteurs de projets, dans l'optique de mutualiser les moyens et créer des synergies.
L'ERVN a développé récemment une plate-forme de web-TV locales à destination des territoires français ruraux et urbains. Nous avons pour ambition de reproduire une telle expérience dans tous les pays porteurs. Cette initiative serait de nature à faire progresser la francophonie sur la toile. Elle valoriserait les actions menées sur différents territoires ainsi que la diversité du monde francophone. Des nouveaux talents pourraient également se faire remarquer par ce biais.
Ce colloque doit aboutir à une liste de projets aisément réalisables et à même de fournir des résultats rapidement. Il serait souhaitable que certains d'entre eux soient mis en oeuvre d'ici la fin du festival francophone en France en octobre. Le cercle vertueux de l'exemple pourrait alors jouer à plein et permettre l'émergence d'une économie francophone dans sa complexité culturelle.
Espérons que l'arbre de la francophonie puisse donner des fruits rapidement. Je formule par ailleurs le voeu qu'au terme du festival, un autre pays décide de reprendre le flambeau pour un autre festival de la francophonie.
Luis RIVAS
Youssou N'Dour est à la fois musicien et producteur. Parallèlement à ses activités en tant que chef d'entreprise, il s'est engagé dans une démarche humanitaire. Il va maintenant exposer son regard sur la francophonie, à partir de son expérience dans le domaine de la musique.
Youssou N'DOUR
La francophonie peut être comparée à une grande famille, dont les membres ne se ressemblent pas vraiment. Si certains parlent exclusivement français, d'autres sont volontiers polyglottes. Nous devons être conscients du fait que, dans de nombreux pays, l'usage de la langue française n'est pas répandu dans toute la population. Au Sénégal, par exemple, chez la population analphabète, l'usage du français est rare.
La dimension économique de la francophonie ne saurait être négligée. Il suffit pour s'en convaincre de considérer les projets de coopération Nord-Sud. De fait, ceci engendre une certaine inégalité entre les membres. Dans le domaine culturel, les pays du Sud devraient jouer un rôle prépondérant. En effet, les artistes africains jouent plus et exposent plus que les artistes français. Aux Etats-Unis, la renommée de nos artistes est supérieure à celle des artistes du nord.
Le développement des industries culturelles dans les pays du Sud doit être considéré comme une priorité. Actuellement, les artistes africains sont souvent récupérés par des entreprises du Nord, qui tirent des bénéfices de leur succès.
Un important travail doit être mené en direction de la valorisation des produits culturels du Sud dans l'espace francophone. L'artiste africain doit pouvoir profiter des mêmes opportunités que l'artiste français et en tirer des revenus comparables. Les intermédiaires doivent être rémunérés de manière équitable. Je trouve par exemple insupportable le fait de payer plus cher un billet d'avion Paris-Dakar sur Air France qu'un Paris-New York. Faisons-nous réellement partie de la même famille ? Les compagnies de télécommunications ou de transports, qui gagnent beaucoup d'argent grâce au Sud, doivent s'impliquer davantage dans le développement des industries culturelles de cette partie du monde.
Pour que l'industrie culturelle puisse réellement se développer, de nombreux problèmes de formation et de protection doivent être résolus. En tant qu'artistes francophones, il nous appartient de nous mobiliser pour faire évoluer la situation. Pour cela, nous devons mettre la pression sur l'OIF. Prenons en l'occurrence exemple sur les anglophones. Lors du sommet du G8 de Gleneagles en Ecosse l'an dernier, les artistes du Live 8 ont su se mobiliser fortement autour d'une action retentissante pour obtenir l'effacement de la dette des pays du Sud.
Nous devons de même entreprendre des actions fortes, car nous ne pouvons passer notre temps à participer à des colloques. C'est ainsi que nous pouvons espérer obtenir des résultats. En tant que dirigeants de la francophonie, il est temps de vous engager à rééquilibrer la situation au profit des pays du Sud. A eux seuls, les colloques ne modifieront pas la donne.
Comment continuer à produire des albums, alors que l'on n'est pas sûr d'avoir de quoi manger le lendemain ? La situation est tout bonnement déplorable dans les pays du Sud et les difficultés difficilement surmontables. La France et d'autres pays francophones se sont dotés de moyens d'organisation efficaces. Ces moyens doivent être mis au service d'autres pays.
J'ai l'honneur de vous faire part de la création de l'AMPA, l'Association des musiciens professionnels d'Afrique. Pour diverses raisons, son siège sera installé à Bamako. Cette association aura pour mission de lutter pour l'organisation, la protection et la protection concrète des artistes. Au-delà de questions telles que les retraites ou la couverture sociale, elle sera en charge de questions relatives à l'entourage humain des artistes. Par exemple, lorsque j'ai l'occasion de donner un concert aux Etats-Unis, je suis accompagné de dix musiciens africains, mais la technique est assurée par quatorze Américains. En soi, cette réalité ne me gêne pas. Cependant, j'aimerais que des Africains puissent avoir l'opportunité d'être formés sur des métiers techniques.
L'AMPA peut devenir un interlocuteur de la francophonie sur de nombreux sujets. Nous pouvons aider à la valorisation de la francophonie, car nous portons plus que d'autres pays son message. Je peux d'ores et déjà assurer que notre association sera un interlocuteur valable de l'OIF.
Luis RIVAS
L'industrie de l'édition doit être classée à part dans le paysage des industries culturelles, en raison de ses spécificités. Professeur à l'université Paris 13, Luc Pinhas est spécialiste du sujet. Son dernier ouvrage a pour titre Editer dans l'espace francophone.
Luc PINHAS
Dominique Wolton explique en substance que la mondialisation peut devenir une chance pour la francophonie, à condition toutefois qu'elle soit en mesure de faire cohabiter des identités culturelles multiples et diverses. Pour ce faire, encore convient-il que ces identités parviennent à dialoguer et à communiquer dans une dimension normative. Or, s'agissant du livre et de l'édition, le tableau que je m'apprête à dresser à grands traits est pour le moins contrasté.
L'édition française, je devrais dire hexagonale, reste certes toujours forte, vivace et diverse. Elle le doit assurément en partie à des politiques publiques qui sont d'exception culturelle, si l'on entend ainsi que les biens culturels ne sont pas des produits à traiter comme les autres. La loi Lang du 10 août 1981 en est un exemple, mais l'action du CNL, qui met en place des mécanismes de correction et d'accompagnement du marché, en est un autre.
De même, le Québec a déployé, depuis l'époque de la Révolution tranquille, des politiques publiques du livre indéniablement protectionnistes, et notamment la loi 51, qui ont permis à l'édition locale de prendre son essor, alors qu'elle était encore insignifiante au début des années 1960, tandis que le réseau des librairies, limité alors aux grands centres urbains, s'est densifié et s'étend pour l'heure à l'ensemble de l'immense territoire québécois. Cela n'empêche pas, pour autant, la production québécoise d'être encore largement ignorée en France, hors événements extrêmement circonscrits, comme le reste de la production francophone non française, DOM et TOM compris.
En Belgique wallonne et en Suisse romande, en revanche et pour en rester un instant encore aux pays francophones du Nord, les politiques publiques du livre demeurent bien plus hésitantes. Ainsi, la question du prix unique pour les livres, bien que récurrente depuis des années, n'a toujours pas trouvé de résolution à ce jour.
Dans les pays francophones du Sud, au Maghreb, en Afrique Subsaharienne ou dans l'océan Indien, en partie certes pour des raisons évidentes qui tiennent à la situation économique et politique de nombre des États concernés, la situation apparaît bien plus défavorable. Si une politique de la lecture publique, au demeurant souvent encore balbutiante, a pu être initiée, grâce notamment au soutien de l'AIF et du ministère français des Affaires étrangères, les politiques du livre à proprement parler s'y révèlent de facto inexistantes, sauf peut-être en Tunisie, même lorsque des projets existent sur le papier et qu'une direction du Livre a été créée.
Le seul domaine, en réalité, où des avancées peuvent être constatées concerne la législation sur les droits d'auteur, de par l'obligation faite aux pays qui adhèrent à l'OMC de se conformer à l'Accord sur les aspects des droits de la propriété intellectuelle (ADPIC), négocié dans le cadre du cycle d'Uruguay. Le droit du folklore s'est vu ainsi codifié par un certain nombre de pays francophones du Sud, qui ont suivi ici la voie tracée par l'Afrique anglophone. Par contre, un certain nombre de ces pays n'ont toujours pas adhéré à l'Accord de Florence de l'UNESCO et aucun à son Protocole de Nairobi, tous deux destinés à faciliter la circulation des biens culturels et des intrants nécessaires à leur production. Quant à l'Acte de Paris de la Convention de Berne, qui autorise l'octroi de licences de reproduction locale d'oeuvres protégées, il se trouve purement et simplement ignoré, soit par méconnaissance, soit pour ne pas peiner les groupes d'édition du Nord. Ce constat permet d'expliquer la situation présente de l'édition francophone.
Ainsi, aujourd'hui encore, non seulement l'édition hexagonale publie à elle seule chaque année quatre à cinq fois plus de nouveaux titres que l'ensemble des autres pays francophones, c'est-à-dire essentiellement que le Québec, la Belgique wallonne et la Suisse romande mais, de plus, alors qu'elle exporte à tour de bras sa production dans l'ensemble de la Francophonie, elle n'a de cesse de se fermer à l'édition en langue française issue d'en dehors de ses frontières. Et celle-ci a en outre le plus grand mal à circuler transversalement.
Pour donner une idée plus précise de la situation présente, il faut avoir en tête que l'on ne compte guère plus de 300 titres publiés chaque année en Tunisie ou au Maroc et, peut-être, 800 en Algérie en 2002, encore que ce dernier chiffre semble recouvrir des rééditions et des titres piratés.
En Afrique subsaharienne, la situation est pire encore et l'édition privée locale, malgré quelques structures « historiques » comme CLÉ, le CEDA ou les NEI, reste désespérément embryonnaire. Selon les données recueillies par la jeune association Afrilivres, qui ont fait l'objet en 2004 d'un Catalogue des livres disponibles des éditeurs africains, seuls 1 300 titres étaient alors proposés au lecteur potentiel, toutes dates de publication confondues, à comparer aux quelque 600 000 titres proposés par Electre Biblio. 891 entrent dans les catégories pour adultes et 415 s'adressent de manière spécifique à la jeunesse. Ils sont le fait de 52 éditeurs répartis dans une vingtaine de pays, puisque les éditeurs malgaches et mauriciens sont compris dans le nombre. Même si ce recensement n'est pas exhaustif, il montre bien le fossé qui sépare toujours aujourd'hui le Nord et le Sud francophone. Certains pays, en particulier, n'apparaissent nullement sur la carte éditoriale régionale ainsi dessinée.
La librairie francophone est au diapason de ce paysage éditorial. Dans les pays francophones du Sud, les réseaux de distribution du livre sont dramatiquement peu développés et peu structurés. L'absence, bien souvent, de marché du livre scolaire, la rareté du livre produit localement et la cherté du livre importé, qui équivaut à un produit de luxe pour des populations au faible pouvoir d'achat et peu habituées à la lecture, en sont quelques-unes des raisons. Aussi ne compte-t-on au mieux que quelques dizaines de librairies de fonds dans les pays du Maghreb et bien moins dans les pays d'Afrique francophone subsaharienne et de l'océan Indien. Ces dernières sont d'ailleurs concentrées exclusivement dans les plus grandes villes, de sorte que des villes moyennes et des régions entières s'en trouvent dépourvues.
Je ne voudrais toutefois pas en rester à un bilan aussi sombre. Depuis une quinzaine d'années, se sont créées dans les pays du Sud de nombreuses structures éditoriales qui ont tout particulièrement commencé à défricher le terrain de l'édition pour la jeunesse et dont les promesses demandent à être soutenues. De même, de jeunes entrepreneurs volontaires et mieux formés, ou à tout le moins désireux de se professionnaliser, tentent depuis le même temps de dynamiser le marché du livre dans les pays du Sud en créant différentes librairies indépendantes.
Cette prise en main de leur devenir par les acteurs eux-mêmes s'est également concrétisée par la création d'une association d'éditeurs, Afrilivres, qui rassemble aujourd'hui quelque 54 éditeurs du Sud, travaille à la concertation entre professionnels et cherche à assurer une plus grande visibilité des titres publiés, sur place comme sur les marchés francophones du Nord
De même, la création de l'Association internationale des libraires francophones (AILF), grâce au soutien de l'OIF, est porteuse d'espoir. Elle permet de fédérer les libraires francophones, de développer des liens de solidarité, de faciliter l'accès aux outils professionnels, logiciels de gestion ou banques de données informatives, ou encore de jouer le rôle d'un groupe de pression de manière à faire prendre conscience aux différents pouvoirs publics des multiples obstacles qui viennent entraver la circulation du livre dans l'espace francophone et à trouver les moyens de les supprimer. En outre, la Caravane du livre vise depuis deux ans à faire venir le livre auprès des lecteurs potentiels, dans les zones rurales et les villes moyennes dépourvues de librairies.
On pourrait ajouter l'action de l'Alliance des éditeurs indépendants pour une autre mondialisation, association militante à but non-lucratif : elle fédère aujourd'hui un réseau dense d'éditeurs, organisés par aires linguistiques et indépendants des grands groupes de communication, qui se réunissent pour travailler à des projets éditoriaux dans une perspective de circulation des idées et de commerce équitable. Le réseau francophone réunit ainsi à l'heure présente une trentaine d'éditeurs issus de l'ensemble de l'espace concerné. Au delà des rencontres qui permettent de faciliter la capitalisation et la circulation de l'expérience et de la présence à des fins promotionnelles sur différents salons et foires du livre, l'action majeure de l'Alliance s'exerce dans le domaine des coéditions, sous le label du « livre équitable ». Ce dernier signifie que les ouvrages coédités sont vendus à des prix différents selon les zones géographiques, de façon à tenir compte des différents pouvoirs d'achat. Ils permettent assurément de publier des contenus qui n'auraient pu l'être que difficilement par un seul éditeur, en raison de l'exiguïté des marchés locaux. Ils présentent en outre l'intérêt d'accoutumer les éditeurs, notamment ceux du Sud, à travailler entre eux de concert et à mieux se former aux réalités économiques et techniques de l'édition.
Cette nouvelle donne amène à faire ici, comme il a été préconisé, quelques propositions. J'en aurais un certain nombre, mais je me contenterai d'en exposer trois ou quatre.
La première est indéniablement la création d'un Conseil supérieur du livre francophone. Il permettrait de réunir les acteurs de la filière, de les encourager et leur réflexion me semble à même d'orienter l'action de la Francophonie institutionnelle qui a semblé hésitante dans ce domaine au cours des vingt dernières années et, parfois, peu probante, faute peut-être d'avoir pris pleinement en compte les réalités socio-économiques de l'édition et de la commercialisation du livre. Sans doute la question de la mise en place d'un système de cautionnement bancaire, comme le fait la SODEC au Québec ou l'IFSIC en France, sera-t-elle soulevée.
La seconde est sans doute de susciter enfin la définition par les pays francophones de politiques nationales ou régionales du livre. Des rapports ont souvent été suscités en ce sens, mais sans peu d'effets concrets. Or, il ne suffit pas de signer la convention sur la diversité culturelle, grande déclaration d'intention, si rien n'est fait derrière pour la mettre en oeuvre. L'adhésion au Protocole de Nairobi, qui permettrait par exemple de ne plus taxer le papier comme un produit de luxe, est notamment une mesure plus qu'urgente.
La troisième concerne le livre scolaire. L'OIF semble à juste titre avoir pris conscience au cours des dernières années de la nécessité, pour l'essor de la filière, de favoriser la production de manuels dans les pays du Sud, par des entreprises locales, alors que jusqu'à présent celui-ci est très largement édité au Nord. Mais il semble tout aussi important de ne pas dédaigner les maillons de la mise à disposition de ce livre scolaire auprès des familles, car la structuration de la distribution et le développement de la librairie en dépendent. Des expériences menées en Afrique anglophone montrent qu'il s'agit là d'une voie à explorer, même dans le cas où la gratuité, totale ou partielle, de l'accès final au manuel scolaire reste souhaitée. Il s'agit alors, par différentes procédures, par exemple des agréments de librairies, de rééquilibrer le subventionnement du seul producteur par un subventionnement du consommateur, établissements scolaires ou familles.
Enfin, il faut s'atteler au chantier de la diffusion et de la promotion des ouvrages publiés ou à venir car, dans le cas d'un bien symbolique comme l'est le livre, le fairesavoir, tant en direction des professionnels que du public potentiel, apparaît primordial. Or, cette information ne circule guère à l'heure actuelle que dans un sens, de la France vers les autres pays francophones, mais non en sens inverse, ni de manière transversale. Faut-il en passer par des sites fédérateurs sur le web, par une revue littéraire francophone, par une présence plus grande dans les médias, notamment français? À titre de sondage, un dépouillement complet du Monde des Livres, effectué tout au long de l'année 2004, n'a permis de mettre en évidence que quatre courts articles et une vingtaine de notules sur des ouvrages publiés par des éditeurs francophones non-hexagonaux, la plupart d'ailleurs consacrés à des ouvrages pointus de sciences humaines et sociales, secteur relativement désaffecté par les éditeurs français, mais heureusement soutenu par les pouvoirs publics des pays francophones du Nord, de sorte que l'édition locale a réussi à trouver là une certaine marge de manoeuvre. Quant à TV5, il s'agit sans doute d'une belle aventure, mais le téléspectateur français ne peut la visionner qu'en ayant accès au câble ou au satellite...
Pour que les identités particulières ne restent pas figées, il faut leur permettre de dialoguer entre elles!
Luis RIVAS
Georges Poussin est le chef de la section de l'entreprise culturelle et du droit d'auteur de l'UNESCO. Il a, par ailleurs, pratiqué le journalisme radiophonique pendant un certain nombre d'années. Il saura donc gérer le temps qui nous reste...
Georges POUSSIN
Je commencerai par cet aveu : je n'ai pu que très peu dormir cette nuit, tant j'ai été captivé par le dernier ouvrage de Dominique Wolton. Il explique fort bien en quoi la mondialisation peut représenter une chance pour la francophonie. J'en recommande la lecture. J'y ferai référence au cours de ma présentation abrégée.
Voici mes deux observations préliminaires :
1° La mondialisation nous offre une série d'opportunités. Actuellement, tous les pays ne se trouvent cependant pas en situation d'en profiter, le fait préoccupant étant que le fossé Nord-Sud tend à s'accroître plutôt qu'à se réduire. C'est pourquoi un effort de solidarité s'impose afin que la mondialisation puisse finalement profiter à tous.
Dominique Wolton note la concomitance de la progression de la mondialisation et de la résurgence des phénomènes identitaires. La francophonie, pourrait n'être qu'une identité parmi d'autres, même si cela n'a rien de péjoratif. Cependant, elle se voit offrir aujourd'hui la possibilité d'être une identité plus ouverte que d'autres, conformément même à sa tradition. Pour elle le grand enjeu, me semble-t-il est de pratiquer une ouverture interne, facilitée par la diversité culturelle de ses composantes mais aussi, au-delà, une ouverture aux autres qui exprime une philosophie de « l'anti-repli » avec ce même avantage que chacune de ses composantes est aussi reliée historiquement, géographiquement, culturellement. à d'autres identités et qu'elle s'est toujours reconnue elle-même comme héritière d'une vision universaliste.
Dominique Wolton fait référence à un paradigme constructiviste. Il a raison mais, audelà, la francophonie doit demeurer un ensemble capable de vivre le dialogue non seulement en son sein mais aussi avec d'autres ensembles. Sa solidarité doit également être tournée vers les autres. Il ne faut pas qu'elle ait peur de se défaire en s'ouvrant. La Déclaration universelle sur la diversité culturelle, votée à l'UNESCO en 2001, affirme : « Chaque création puise aux racines des traditions culturelles, mais s'épanouit au contact des autres ». Le propre des racines n'est pas ou pas seulement de s'étendre mais de se croiser. Quant au dialogue, il est à même de régénérer l'ensemble.
2° Il n'est pas de domaine plus déséquilibré par la mondialisation que celui des industries culturelles. Ces industries représentent tout de même plus de 7 % du produit mondial brut. Ce chiffre est d'ailleurs voué à s'accroître, pour atteindre prochainement 10 %. Les pays en voie de développement ne profitent que très peu de cette manne, alors justement qu'ils bénéficient de ressources exceptionnelles dans ces domaines. Cette considération se vérifie tout particulièrement dans le secteur de la musique et celui de l'artisanat. Au-delà de problèmes structurels que pourraient pointer les économistes, nous ne saurions nous résigner à ce paradoxe douloureux. Il faut trouver des solutions.
En même temps, dans ce secteur comme dans les autres, la mondialisation comporte des phénomènes d'ambivalence. On a dénoncé le fait que la littérature francophone n'était pas suffisamment mise en avant. Pourtant, nous n'avons jamais eu autant accès aux littératures étrangères qu'actuellement. Le nombre de nationalités représentées dans les librairies françaises a ainsi été multiplié par dix au cours des dernières années. Devons-nous seulement déplorer que la littérature francophone ne bénéficie pas de ce mouvement d'ouverture ? Ou n'y aurait-il pas des mesures à prendre pour essayer de mieux profiter des avantages de la mondialisation en la matière ?
Voici maintenant mes trois propositions :
1° La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée par la Conférence générale de l'UNESCO en 2005 et dont tout le monde a parlé pour s'en féliciter doit maintenant être ratifiée. Il serait bon d'accélérer le processus. Pour l'heure, encore peu de pays ont accompli tout le chemin. Cette convention s'inscrit dans un corpus de textes complémentaires. Parmi ceux-là, la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de 1972 et la Convention pour la sauvegarde du patrimoine cultuel immatériel de 2003. La protection et la promotion de la diversité culturelle passe par ces trois instruments et aussi par d'autres textes qui entrent dans le même thésaurus de l'UNESCO comme la Convention universelle du droit d'auteur de 1952 ou l'Accord pour l'importation d'objets de caractère éducatif, scientifique ou culturel de 1950, dit « Accord de Florence, » et dont il a été question tout à l'heure pour dire qu'il garde son actualité.
2° Bien que très important, cet engagement normatif ne saurait être considéré comme suffisant. L'action de solidarité qui doit être développée en parallèle passe par la logique de nouveaux partenariats, Sud-Sud ou Sud-Nord voire la coopération Sud-Sud-Nord grâce à laquelle un pays du Nord aide deux pays du Sud à développer leurs industries culturelles. Il s'agit alors d'un triangle « vertueux » pour faire écho à l'image employée par D. Wolton. La relation public-privé-société civile peut elle aussi être regardée comme un autre triangle vertueux. Il serait dangereux d'opposer culture et entreprise, tant le secteur privé est nécessaire à l'établissement d'industries culturelles solides. L'UNESCO a créé une Alliance globale pour la diversité culturelle, programme dont le rôle réside dans la promotion de partenariats de ce type. Cette Alliance compte actuellement 500 membres qui participent pour la plupart à ces partenariats conçu comme « gagnant-gagnant », c'est-à-dire que chaque partenaire y trouve son avantage.
3° Enfin, l'UNESCO agit, au travers de nombreux projets, pour la conservation des langues en péril et le développement de la traduction comme moyen d'encourager la diversité linguistique qui est un autre grand défi et même un combat prioritaire reconnu par la Conférence générale. Dans le cas de la francophonie, je crois que c'est la relation entre le français et les langues nationales ou locales qui mérite surtout d'être évoquée. Dans les pays du Sud, l'alphabétisation s'effectue souvent avec plus d'efficacité dans les langues nationales. Pour que le français conserve une place non négligeable dans les pays francophones du Sud, les jeunes devraient être placés en contact assez rapidement avec le français, en partant des langues locales avec lesquelles il s'agit de faire cause commune. Les médias et l'édition ont tous deux un rôle à jouer en ce sens. On sait que dans différents pays, les médias associent ou alternent programmes en langues locales et en langue véhiculaire. C'est un bon exemple à suivre pour la francophonie qui a un bel avenir devant elle, je le crois et surtout une mission à remplir au service de la diversité culturelle et de la solidarité pour le développement.
DÉBAT AVEC LA SALLE
Une participante
Les entreprises ne peuvent être évacuées du débat sur la francophonie. Je croyais à l'origine que la mondialisation allait permettre à tous, quelle que soit leur origine, de travailler ensemble. Au contraire, elle aboutit à plus de chômage en France. La pression mise sur l'usage du français, dans certaines entreprises, est à cet égard remarquable. Quelle action la francophonie compte-t-elle entreprendre pour contrecarrer cette tendance ?
Jacques NYEMB,
président de l'Association des satellites d'espace francophone
Que fait la francophonie aujourd'hui pour que des industries culturelles puissent véritablement émerger dans les pays du Sud ? Ces industries pourraient y prospérer, à condition de s'appuyer sur tous les acteurs de terrain, parmi lesquels les associations.
Catherine TASCA
Ce colloque a notamment pour ambition de lister une série de propositions concrètes et de les soumettre ensuite à l'OIF.
Un participant
En France, la télévision est le média qui touche le plus les jeunes. Parmi les francophones, seuls les artistes français et canadiens y ont accès, c'est-à-dire des personnes issues des deux pays les plus riches de l'espace francophone. Ne faudrait-il pas promouvoir l'accès des chanteurs des autres pays de la francophonie à ces puissants médias ?
Youssou N'DOUR
Il serait bon de permettre à ces pays de créer leurs propres réseaux de télévisions, avec suffisamment de moyens pour qu'ils puissent mettre au point des programmes de qualité. Si elles étaient relayées via le satellite, ces nouvelles chaînes pourraient toucher en retour la France et le Canada.
Une participante
Je suis enseignante de français langue seconde à Saint-Etienne. Si Dominique Wolton parvenait à organiser les états généraux de la francophonie, il serait bon qu'il y invite ces professeurs qui exercent leur métier dans des conditions épouvantables. Par ailleurs, je me demandais si les valeurs de la francophonie correspondaient bien aux valeurs de la France.
Michel GUILLOU
Les quatre valeurs fondamentales de la francophonie, à savoir la liberté, la solidarité, le dialogue et la diversité, sont issues d'un métissage entre les valeurs françaises républicaines et celles promues par Léopold Sédar Senghor. En réalité, la francophonie mélange Nord et Sud.
Jean FOUCAULT,
Coordonnateur de réseau à l'Agence universitaire de la Francophonie
La Direction des langues et de l'écrit de l'OIF avait mis au point un programme d'aide aux éditeurs sur la production de livres jeunesse. Ce programme, que nous jugions très bénéfique, a été stoppé après quelques années d'existence. Je n'ai pourtant jamais eu entre les mains un rapport expliquant pourquoi il était nécessaire de l'abandonner. Notre réseau serait aujourd'hui prêt à collaborer avec l'OIF pour qu'une nouvelle initiative soit entreprise dans ce domaine.
En Europe, et en France tout particulièrement, le livre jeunesse s'est développé au XIXe siècle grâce au livre scolaire. En Afrique, les mécanismes d'aide de la Banque mondiale imposent la mise au point d'un numéro 0 du manuel, avant même de pouvoir entamer la démarche. Fort peu d'éditeurs africains peuvent se le permettre. L'OIF pourrait pallier les carences du système actuel.
Un participant
La production de films et de documentaires dans les pays du Tiers-Monde reste aujourd'hui très complexe. Souvent, les dossiers de demande d'aide sont refusés. Autrefois, le cinéma de Bollywood était projeté à Paris dans des salles confidentielles de Barbès. Aujourd'hui, c'est sur les Champs-Élysées que le cinéma indien est programmé. Ceci dit, cet exemple ne peut être considéré que comme une exception. Comment la francophonie peut-elle faire bouger les institutions françaises, telles le CNC ?
Christian VALANTIN,
directeur du Haut Conseil de la Francophonie
L'enjeu autour de la Convention signée à l'UNESCO réside dans son application dans les pays du Sud. En effet, les pays du Nord ont déjà mis en place des dispositifs qui permettent assez largement de faire vivre la diversité culturelle. Pour cela, nous devons mobiliser les gouvernements des pays du Sud, et plus particulièrement les Ministres de la culture et les Ministres des finances, afin qu'une vraie politique culturelle soit mise au point. Nous pouvons nous appuyer sur les unions régionales, telles l'UEMOA, qui compte en son sein huit pays francophones, et la CEMAC, qui en compte cinq.
En Afrique subsaharienne, le français se trouve au contact direct des langues africaines. Par exemple, Youssou N'Dour chante à la fois en français et en wolof. Les questions de diversité linguistique y sont peut-être plus grandes qu'ailleurs. C'est dans ces pays tout particulièrement qu'une SODEC francophone pourrait s'avérer utile. Au Québec, les industries culturelles représentent 7 % du PIB et 250 000 emplois. Si la francophonie veut se parer d'une dimension économique, c'est au travers des industries culturelles qu'elle pourra l'acquérir.
Le reformatage du cadre stratégique de la francophonie ne doit pas faire l'économie d'un plan pour les industries culturelles sur 10 ans.
Une participante
L'UNESCO se penche-t-elle sur la question de l'essor du jeu vidéo en ligne ? De par le monde, en ce moment même, plusieurs millions de personnes se retrouvent pour jouer ensemble à des jeux tels Warcraft. Tous les serveurs de tels jeux utilisent l'anglais pour langue unique.
Georges POUSSIN
La question n'a pas été posée par les Etats membres dans ces termes. Ceci dit, cette question s'inscrit dans le cadre plus large du développement de la société de l'information de communication, que nous aimerions transformer en société de la connaissance. Nous n'avons pas de pouvoir particulier en la matière. Nous poursuivons simplement notre combat pour la diversité.
Je veux croire que les Ministres de la Culture sont pleinement impliqués dans ce combat. Ils ont constitué un réseau très actif. C'est certainement leur activisme qui a permis l'adoption de la Convention. Le travail de sensibilisation mené auprès de la société civile et surtout auprès des Ministères de l'Economie et des Finances aura certainement permis de faire progresser leur point de vue.
Un participant
Je suis prêt à parier sur un déclin de la francophonie au cours des années à venir. Peut-être n'est-il pas très grave que le français recule dans les entreprises, où l'on adopte un jargon anglophone vidé de tout sens. Peut-être aussi le monde est-il fatigué de ces grandes cultures qui ont de grands et profonds messages à délivrer. C'est peut-être ce qui fait aujourd'hui la force de l'anglais et la faiblesse du français. Il est temps que l'OIF se départisse de cette officialité quelque peu pompeuse que nous avons pu voir à l'oeuvre aujourd'hui. En tout cas, cette institution m'a profondément déçu au cours des dernières années.
Un participant
L'industrie du cinéma n'a pas été évoquée au cours de cette table ronde. De nombreux films anglophones se sont penchés sur la question de l'esclavage. Le cinéma francophone ne s'est que rarement penché sur cette question. En France, ce sujet reste tabou et certains se sont vus répondre que cette question ne pouvait devenir le sujet d'un film. Il est temps de commencer le travail de mémoire sur cette question.
Catherine TASCA
Quatre thèmes ont dominé cette table ronde. Le premier a été soulevé par Michel Guillou. Il a établi un lien direct entre francophonie et paix. Selon lui, la paix a besoin de communautés. Je crois profondément en ce message.
L'idée de l'adaptation de la SODEC Québécoise à l'échelle de la francophonie a également été proposée sous des formes différentes. Beaucoup ont appelé à la création d'une banque ou au développement du microcrédit pour permettre l'essor progressif d'une industrie culturelle, plus particulièrement dans les pays du Sud.
Le thème de l'interventionnisme public est lui aussi apparu à plusieurs reprises en pointillé. Face au marché et à la globalisation, les pouvoirs publics doivent agir pour préserver la diversité culturelle.
Enfin, le quatrième thème abordé ici a trait au soutien apporté à l'organisation professionnelle des pays du Sud. Youssou N'Dour a évoqué cette question sous l'angle de la musique. D'autres ont tenu un raisonnement proche sur le thème de l'édition.
CONCLUSION
De la francophonie à la francosphère
Dominique WOLTON,
Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique,
membre du Haut Conseil de la Francophonie
Les débats auront duré 17 heures. 50 intervenants se sont succédé à la tribune au long des six tables rondes prévues. Je les remercie, tout comme je me dois de saluer l'équipe du festival francophone en France. Ce colloque aura nécessité sept à huit mois de travail pour ces personnes.
Loin de prétendre à l'exhaustivité, nous avons sélectionné les thèmes de ces tables rondes dans l'optique d'une réflexion sur l'avenir de la francophonie. Nous avons pris pour sujet général de ce colloque « La mondialisation, une chance pour la francophonie », afin de démonter le préjugé qui fait de la mondialisation un handicap. Bien sûr, nous avions aussi à l'esprit l'inverse, à savoir le fait que la francophonie constitue une chance pour la mondialisation.
Au cours de ces deux journées, plusieurs idées ont émergé.
Tout d'abord, même si le rapport de force ne saurait être nié, la francophonie ne s'apparente pas une anti-anglophonie. La défense de la francophonie implique et défend la promotion de quatre langues : maternelle, régionale et deux langues internationales. Elle n'aura d'ailleurs d'avenir que si elle est à même de concilier diversité culturelle et projet politique. Sans projet politique, la seule défense de la diversité culturelle risque de verser dans le communautarisme ou l'ethnicisation. L'action de l'OIF au cours des vingt dernières années démontre qu'elle a intégré cette nécessité.
Concernant les structures, beaucoup ont souligné la nécessité de rééquilibrer le financement de la francophonie. A elle seule, la France subventionne entre 75 % et
90 % de ses activités. La francophonie n'existera dans le futur que si chacun s'engage à hauteur de ses moyens. Certains d'ailleurs se prétendent plus pauvres qu'ils ne le sont en réalité pour éviter de financer le mouvement.
Par ailleurs, il serait temps de gommer autant que possible la relation hiérarchique qui s'est installée entre institutions et associations. La francophonie a besoin de s'appuyer sur la société civile et sur des militants. La tendance à la bureaucratisation peut couper le mouvement de ses racines. C'est en ce sens qu'il apparaît fondamental de valoriser les réseauxet de rassembler tous les acteurs francophones de la structure intergouvernementale aux associations en passant par les entreprisesà l'occasion d'Etats généraux de la Francophonie.
Les débats ont également laissé transparaître l'importance d'une coopération plus forte entre la francophonie et les outre-mer français. Certains ont par ailleurs appelé au développement de la coopération décentralisée et d'autres à l'élargissement du corps des volontaires francophones.
Dans le domaine culturel, la francophonie doit orienter son combat autour de la promotion de quatre langues. Elle doit également inventer une utopie qui lui serve de guide. Je crois en effet qu'il n'existe pas de vrai projet politique sans utopie. Cela suppose d'élargir le combat. Les thèmes du réseau des livres, de la cession des droits d'auteur, de la création de nouvelles bibliothèques, du développement de l'édition dans le Sud, de la création d'un Conseil du livre francophone, d'une attention toute particulière au livre jeunesse ont également été évoqués. Toutes ces idées nous incitent à placer le livre au coeur de la politique culturelle de la francophonie.
En matière d'audiovisuel, est apparue l'urgence de l'augmentation des ressources allouées à la radio et à la télévision. Près de 80 % du budget de TV5 Monde est alloué aujourd'hui par la France. Cette situation ne saurait perdurer. Parallèlement, RFO ne doit pas être négligé. Dans les années à venir, il sera en outre fondamental de tisser un lien solide entre la radio, la télévision et les nouvelles technologies. La présence des réseaux francophones dans le monde a vocation à s'affirmer le plus rapidement possible. Il serait également opportun d'inclure dans les actions de coopération menées par la France à l'étranger, des programmes de formation à l'attention des journalistes francophones. Par ailleurs, un prix récompensant « le meilleur article en langue française » publié dans la presse francophone du monde entier pourrait être décerné chaque année.
La diversité culturelle ne restera qu'un mythe si nous n'apportons pas un soutien plus important à la traduction. Cette industrie est tout simplement vitale, car rares seront ceux qui pourront parler plus de trois langues. La traduction est la condition culturelle indispensable à la mondialisation. Elle en est la symétrique.
Pour pallier un déséquilibre flagrant aujourd'hui dans les structures et le fonctionnement de la francophonie, celle ci doit valoriser la société civile et notamment le rôle des professeurs de français à travers le monde. Le rôle mineur conféré dans les institutions aux professeurs, à la société civile et aux militants, ne cesse de me surprendre.
La ratification des Conventions signées à l'UNESCO doit figurer au rang des priorités des gouvernements de la francophonie. Elle doit s'accompagner de la création d'observatoires régionaux chargés de veiller au respect des textes. Il apparaît urgent de lancer une grande lutte contre la concentration des industries culturelles. Ces industries pourraient par exemple bénéficier d'un statut particulier, intégrant des paramètres qualitatifs. La diversité culturelle suppose en outre une action permettant aux pays du Sud d'exporter vers le Nord leurs créations. Pour l'heure, la relation est extrêmement déséquilibrée au profit du Nord. La diversité culturelle doit s'entendre dans les deux sens. Pas seulement entre les pays du Nord, et entre ceux-ci et le Sud, mais aussi dans le sens Sud-Nord et Sud-Sud.
La francophonie doit également veiller à ne pas tomber dans les pièges du culturalisme. C'est pour cela qu'il apparaît important de la raccrocher à l'économie, au social et au politique. Dans le domaine du droit, nous assistons à une bataille entre le droit romain écrit et le système de common law d'origine anglaise non écrit. Le droit peut devenir un outil intéressant dans le cadre de la résolution de problèmes sociaux. Or la réflexion sur le domaine juridique et son lien avec le social reste quasi inexistante au sein de la francophonie. Les acteurs doivent maintenant se saisir de cette question.
Dans le milieu économique, il est difficile de se satisfaire du fait que l'anglais est devenu la langue de l'entreprise. L'entreprise revêt en effet plusieurs dimensions, à savoir le capital, les clients et les salariés. Si l'anglais peut être considéré comme la langue des dirigeants et du capital, il n'en va pas de même pour les salariés et les clients. La francophonie pourrait habilement s'appuyer sur la base populaire que représentent les salariés et les clients. La diversité culturelle existera demain dans l'économie comme pour la culture et les langues
Trois thèmes se sont particulièrement dégagés dans le domaine politique. Tout d'abord, la démocratie ne saurait être réduite au simple jeu électoral. Même si le modèle occidental reste le plus abouti, nous devons accepter qu'il n'existe pas une seule forme de démocratie. La francophonie pourrait à cet égard se pencher sur les autres traditions provenant d'autres cultures ou d'autres aires linguistiques et les intégrer dans sa réflexion. Elle démontrerait ainsi concrètement son attachement à la diversité culturelle. Attention à l'occidentalisme.
Ensuite, l'OIF devrait se saisir de la question religieuse et défendre un espace public sécularisé. Une laïcité de tolérance à construire. Cette thématique risque en effet de revêtir une importance croissante dans les sociétés mais aussi dans les conflits qui vont émerger dans les années à venir. La francophonie riche de toutes ses différences pourrait défendre l'idée que la religion et le politique doivent rester autonomes selon des modalités à définir, en fonction des traditions. Les politiques ne doivent pas intervenir outre mesure dans les questions religieuses et, inversement, le religieux ne peut prendre la place de la politique.
Enfin, la libre circulation des hommes fait figure d'enjeu de tout premier ordre. La mondialisation aujourd'hui permet la libre circulation de capitaux, d'images, de sons et de données. Paradoxalement, elle restreint de plus en plus la circulation des hommes. Surtout s'ils sont pauvres et immigrés. Comment imaginer une mondialisation où seuls les hommes riches pourraient se déplacer ? Certains penseurs du XVIIIe siècle considéraient que l'homme était la seule vraie richesse de ce monde. La mondialisation, telle qu'elle est vécue aujourd'hui, nous laisse à penser que tout peut être considéré comme une richesse, sauf les hommes. Il n'y a pas qu'en France que l'on essaie de «choisir» ses immigrés. Je m'étonne d'ailleurs que cette idée ne soulève pas la moindre indignation. Il nous appartient d'inventer une mondialisation respectueuse de ce principe pourtant fondamental. Déjà, au XVIIe siècle, l'Habeas Corpus la définissait comme la première des libertés. Un visa francophone pourrait ainsi être mis en place.
QUELQUES REPÈRES
La place du français dans le monde
La place d'une langue dans le monde peut s'évaluer selon deux critères principaux : le nombre de ses locuteurs ; son statut comme langue officielle dans les Etats ainsi que dans les organismes internationaux.
francophonie...
La francophonie, avec un «f» minuscule désigne la communauté intellectuelle rassemblée par l'usage de la même langue.
Le français est, avec l'anglais, l'une des deux seules langues parlées sur tous les continents.
Le français est la langue étrangère la plus largement apprise après l'anglais et la
9ème langue la plus utilisée dans le monde.
175 millions de francophones sont répartis dans le monde, avec 110 millions de francophones réels et 65 millions de francophones partiels.
Avant l'Europe, c'est le continent africain qui détient le nombre le plus important de francophones avec près de 32 millions de francophones réels.
L'Algérie, non membre de l'Organisation internationale de la Francophonie, comptabilise la seconde communauté francophone au monde, avec environ 16 millions de locuteurs, suivie par la Côte d'Ivoire avec près de 12 millions de locuteurs francophones, le Québec avec 6 millions et la Belgique avec plus de 4 millions de francophones.
Rappelons qu'il y a environ 500 000 francophones en Israël, plus de 700 000 aux
Etats-Unis et que l'on évalue à plus de 1,2 millions le nombre de Français expatriés
(dont 271 000 aux Etats-Unis).
Dans l'Union européenne, le français est en 2e position pour le nombre de locuteurs en langue maternelle à égalité avec l'italien (16 %), derrière l'allemand (23,3 %) et devant l'anglais (15,9 %). Cependant l'anglais arrive de loin en 1ère position pour le classement en langue étrangère (41 %) devant le français (19 %), l'allemand (10 %) et l'espagnol (7 %).
Le français fait partie des 6 langues officielles de l'ONU (avec l'anglais, le chinois, l'espagnol, le russe et l'arabe) et des trois langues de travail de l'ONU (avec l'anglais et l'espagnol).
Il fait également partie des langues officielles de l'Union africaine avec l'anglais, l'arabe, l'espagnol, le français, le kiswahili, le portugais et «toute autre langue africaine».
5 % des pages sur Internet sont francophones. Après l'anglais qui représente 45 % des pages Internet, et l'allemand, le français est la troisième langue de la toile, devant l'espagnol (4,5 %)... tandis que 90% des langues du monde ne sont pas représentées sur Internet.
96% de la population mondiale parle 4% des langues existantes dans le monde. Inversement, 96% des langues du monde ne sont pratiquées que par 4% de la population mondiale ! 90% des langues dans le monde sont menacées de disparition au cours du 21ème siècle.
Francophonie
Que l'on donne à la Francophonie son «F» majuscule, et le sens du mot s'en trouve transformé : il qualifie dès lors le dispositif de l'Organisation internationale de la Francophonie qui regroupe 63 États et gouvernements.
63 États et gouvernements font partie de l'Organisation internationale de la Francophonie, avec la répartition suivante : 49 états et gouvernements membres, 4 états associés et 10 états observateurs.
Acte de naissance de la Francophonie : en 1970 à Niamey, avec la création de l'Agence de Coopération Culturelle et Technique. En 1970, l'ACCT comptait 20 membres. En 30 ans, le nombre de membres de la Francophonie a été multiplié par 3.
Les derniers États entrés à l'OIF sont, en 2004, la Grèce et la Principauté d'Andorre, en qualité de membres associés, et l'Arménie, l'Autriche, la Croatie, la Géorgie et la Hongrie, au titre d'observateurs.
La population totale des États et gouvernements membres de l'OIF est de 710 millions. Elle est en moyenne très jeune. En effet, plus de 40 % des Vietnamiens, des Ivoiriens, des Malgaches ou des Haïtiens ont moins de 16 ans.
Les États et gouvernements membres de l'OIF représentent environ 10% de la richesse mondiale, avec de grandes disparités entre les membres. Ainsi le Luxembourg 116 fois moins peuplé que la République Démocratique du Congo possède un revenu national brut 3 fois supérieur. Le Canada et la France font partie du G8 alors que 24 membres de l'OIF figurent parmi les pays les moins avancés (PMA).
L'État le plus peuplé de l'Organisation internationale de la Francophonie est le Vietnam avec 81 millions d'habitants (mais avec seulement 0,2% de sa population francophone) suivi de l'Egypte avec 73 millions et la France avec 61 millions.
Le français est langue officielle dans 29 États membres de l'Organisation internationale de la Francophonie soit seule (12 pays), soit avec d'autres langues (17 pays).
Répartition et évolution du nombre de francophones parmi les Etats et gouvernements membres de l'OIF
En Afrique subsaharienne, les 3 pays qui regroupent le plus grand nombre de francophones et francophones partiels additionnés sont : la Côte d'Ivoire, le Cameroun et la République démocratique du Congo
En pourcentage de sa population, le Gabon est de loin le premier avec 80 % de francophones, suivi par la Côte d'Ivoire, le Congo, le Cameroun et le Sénégal.
Dans les pays de l'Océan Indien, si Madagascar comptabilise le plus grand nombre de francophones, c'est à Maurice que la langue française reste la plus présente du fait de sa proximité linguistique avec le créole.
En Afrique du Nord, si les francophones et francophones partiels sont plus importants en nombre au Maroc, c'est la Tunisie qui passe au premier plan en pourcentage de sa population.
Au Moyen-Orient, le Liban devance largement l'Égypte en nombre de francophones et en pourcentage de population francophone.
Dans l'ensemble du Canada, le nombre de francophones est en augmentation. Dans la Caraïbe, en revanche, on constate une baisse du nombre de francophones due notamment aux difficultés récurrentes que rencontre Haïti.
L'Asie, avec des chiffres très faibles, reste stable. Si l'anglais, par le biais notamment de l'Asean, continue sa pénétration dans la région, le français y demeure la langue de l'enseignement et de la transmission de savoirs dans des domaines très spécialisés comme la médecine.
En Europe centrale et orientale, la Roumanie, puis la Pologne et la Moldavie sont les pays qui comportent le plus grand nombre de francophones et francophones partiels.
En 2005, 120 pays ont célébré la journée internationale de la Francophonie. L'espace francophone, représentant une réalité non exclusivement géographique, ni même linguistique mais aussi culturelle, réunit tous ceux qui, de près ou de loin, éprouvent ou expriment une certaine appartenance à la langue française ou aux cultures francophones. Cette dénomination, bien qu'apparemment floue, est certainement la plus féconde. Elle recouvre des situations très variées.
Sources : Organisation internationale de la Francophonie Rapport 2004/2005 du Haut Conseil de la Francophonie : « La Francophonie dans le monde », Larousse. Délégation Générale à la langue française et aux langues de France ministère de la Culture et de la Communication.
Eléments de bibliographie :
Les publications éditées durant le festival francophone en France (mars-octobre 2006)
Ouvrages sur la francophonie :
Jean-Marie BORZEIX , Les carnets d'un francophone, éditions Bleu Autour Michel GUILLOU, Francophonie-puissance. L'équilibre multipolaire, Ellipses Ariane POISSONNIER et Gérard SOURNIA, Atlas mondial de la Francophonie, éditions Autrement/francofffonies!
Claire TRÉAN, La Francophonie, Cavalier Bleu Eds
Dominique WOLTON, Demain la Francophonie, Flammarion
Ouvrages collectifs :
Année francophone internationale 2006, Documentation française
L'Education de base pour tous dans la francophonie à l'heure de la mondialisation, L'Harmattan
Les Entretiens de la francophonie, Alphares/Max Milo
Mondes Francophones. Auteurs et livres de langue française depuis 1990
(Association pour la Diffusion de la Pensée Française/CULTURESFRANCE/Ministère des Affaires étrangères)
Publications médias :
12 « tirés-à-part » dans le cadre des partenariats francofffonies ! : avec Télérama, Mondomix, Le Monde, Libération, Courrier International, Les Cahiers du Cinéma, Match du Monde, Mon Quotidien, Beaux-Arts Magazine, Le Monde Diplomatique.
Ouvrages sur Léopold Sédar Senghor :
Hervé BOURGES, Léopold Sédar Senghor. Lumière noire, éditions Menges
Daniel DELAS, Léopold Sédar Senghor, Aden
Jean-Michel DJIAN, Léopold Sédar Senghor. Genèse d'un imaginaire francophone, Gallimard
Lilyan KESTELOOT, Césaire et Senghor, L'Harmattan
Simmon NJAMI, C'était Senghor, Fayard
Christian ROCHE, Léopold Sédar Senghor. Le président humaniste, Privat
Janet G. VAILLANT, Vie de Léopold Sédar Senghor, Karthala
ORGANISATION
Le colloque « La mondialisation, une chance pour la francophonie » a bénéficié du haut patronage de M. Christian Poncelet, Président du Sénat.
Plusieurs équipes se sont mobilisées pour sa bonne réussite :
Toute l'équipe du service de la communication du Sénat
Pour francofffonies !, toute l'équipe ainsi que ses partenaires, dont plus particulièrement :
M. Dominique Wolton, Mme Monique Veaute, M. Ashok Adicéam, Mme Anouk Aspisi, M. Hervé Barraquand, M. Jean de Collongue et toute son équipe / CULTURESFRANCE Mlle Elise Beretz, Mlle Marie Chénard, Mlle Elisabeth Develay, Mlle Ingrid Janssen, Mlle Sophie Lawani, Mlle Reidun Montaville, Mlle Agathe Moroval, Mlle Nolwenn Semana, Mme Claudine Thomas.
Remerciements très sincères à tous les intervenants ainsi qu'au public :
800 personnes ont assisté à ces 2 jours de colloque au Sénat.