COM (2017) 482 final
du 13/09/2017
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 21/09/2017Examen : 01/02/2018 (commission des affaires européennes)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : Proposition de résolution européenne sur la réforme de l'initiative citoyenne européenne (2017-2018) : voir le dossier legislatif
Institutions européennes
Initiative citoyenne
européenne
Proposition de résolution européenne et
avis politique
de MM. Jean Bizet et Simon Sutour
COM (2017) 482
final - Texte 12374
M. Simon Sutour. - La Commission européenne a présenté, le 13 septembre dernier une proposition de règlement réformant l'Initiative citoyenne européenne (ICE), introduite par le traité de Lisbonne puis précisée, s'agissant de son cadre juridique, par un règlement de 2011. Le dispositif permet aux citoyens européens de proposer à la Commission une action dans un domaine relevant de ses attributions.
L'ICE doit être élaborée par un « groupe de citoyens » composé d'au moins sept citoyens en âge de voter aux élections européennes et résidant dans au moins sept États membres différents. Avant d'être diffusée, elle doit être préalablement enregistrée par la Commission européenne, qui juge alors sa recevabilité juridique. L'action proposée doit manifestement relever des attributions de la Commission ; elle ne doit pas être abusive, fantaisiste ou vexatoire, ni contraire aux valeurs de l'Union. L'ICE doit, en outre, pouvoir conduire la Commission à présenter une proposition d'acte juridique, conforme aux traités. L'étape de l'enregistrement préalable n'est pas anodine et deux projets d'ICE ont déjà suscité un débat à ce stade. À titre d'illustration, l'initiative « Stop Brexit », qui visait à remettre en cause la sortie annoncée du Royaume-Uni de l'Union européenne, a été rejetée par la Commission, le 22 mars dernier, car les conditions d'enregistrement n'étaient pas remplies. Une fois enregistrée, l'initiative doit être soutenue, dans les douze mois, par un million de citoyens issus d'au moins un quart des États membres, un nombre minimum de citoyens étant requis au sein de chaque pays. Tout citoyen européen en âge de voter aux élections européennes peut être signataire. Une fois ces seuils atteints, la Commission dispose d'un délai de trois mois pour répondre aux pétitionnaires et proposer, si elle le souhaite, une action. Le refus de donner suite à cette pétition doit être justifié.
Sur les quarante-sept ICE enregistrées depuis la mise en place du dispositif en 2012, seules quatre, remplissant tous les critères, ont donné lieu à un avis de la Commission européenne. Les trois premières concernaient la vivisection, les droits de l'embryon humain et l'accès à l'eau. Elles ont donné lieu, chacune, à une communication de la Commission européenne, qui n'y a pas donné suite. Le 6 octobre dernier, l'initiative proposant une interdiction du glyphosate et des pesticides toxiques a également rempli les conditions d'enregistrement, ouvrant ainsi le délai de réponse de la Commission.
Dans un rapport présenté en 2015, la Commission européenne a fait valoir la nécessité d'améliorer la procédure, en ciblant principalement le système de collecte des signatures en ligne et les exigences en matière de données pour les signataires. Le Parlement européen, a, pour sa part, jugé l'ensemble du dispositif complexe. Nous ne pouvons que partager ce constat. Les propositions de la Commission visent avant tout à rendre plus accessible et plus transparent le recours à l'ICE : elle doit permettre de participer au rapprochement entre citoyens et institutions de l'Union européenne. Si nous appuyons cette ambition, deux aménagements proposés par la Commission soulèvent des interrogations.
Le premier concerne l'obligation d'information et d'assistance, assignée à la Commission et aux États membres. La Commission devra ainsi fournir des informations et une assistance aux citoyens et aux organisateurs d'une ICE, mettre à disposition une plateforme collaborative en ligne, la traduction du contenu de l'initiative et installer un système d'échange de fichiers pour assurer le transfert de déclarations de soutien. Les États membres seront tenus, de leur côté, de mettre en place un ou plusieurs points de contact en vue d'informer et d'assister les organisateurs, alors que le règlement de 2011 les place sous la responsabilité de la Commission. Nous doutons à cet égard que les États membres soient plus à même de jouer ce rôle.
M. Jean Bizet, président. - Notre seconde et principale objection tient à la fixation à seize ans de l'âge minimal pour pouvoir être signataire d'une ICE, qui constitue, par essence, un premier acte citoyen au niveau européen. La citoyenneté européenne a été introduite par le Traité de Maastricht, aux termes duquel les citoyens de l'Union disposent du « droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen, ainsi qu'aux élections municipales dans l'État membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État ». L'abaissement de l'âge minimal pour être signataire d'une ICE conduit, de fait, à le distinguer, dans une très large majorité des États membres, de celui retenu pour voter aux élections européennes. En effet, aujourd'hui, seule l'Autriche a retenu l'âge de seize ans pour pouvoir participer au scrutin. En Allemagne, le droit de vote à seize ans a été introduit dans certains Länder pour les élections régionales et locales. Une telle option peut donc constituer une première atteinte à la définition par chaque État membre de la majorité électorale. Elle remet en cause l'équilibre trouvé dans les traités concernant l'articulation entre citoyenneté nationale et citoyenneté européenne. Il convient de rappeler que le Parlement européen est favorable à la fixation à seize ans de l'âge requis pour voter aux élections européennes, mais n'a toutefois pas retenu cette option dans une résolution adoptée en 2015 sur la réforme de la loi électorale. L'initiative de la Commission semble dans ces conditions peu pertinente.
Le choix d'abaisser l'âge minimal pour la signature d'une ICE apparaît d'autant plus étonnant que les jeunes européens ne considèrent pas cette procédure comme le moyen le plus efficace de participer à la vie de l'Union européenne. L'enquête Eurobaromètre sur la jeunesse européenne, commandée en 2016 par le Parlement européen, indique ainsi que seuls 17 % des jeunes européens âgés de seize à trente ans jugent que l'ICE constitue le « meilleur moyen de participer efficacement à la vie publique » au sein de l'Union européenne. Ils privilégient à 51 % le vote aux élections européennes. Il y a donc lieu de s'interroger sur l'opportunité d'une mesure destinée à accroître l'utilisation par les plus jeunes d'un dispositif qu'ils ne considèrent pas efficace.
Dans ces conditions, peut-on considérer que l'ICE rénovée garantira une meilleure association des citoyens à la procédure législative européenne ? Le dispositif peut, en effet, susciter un certain scepticisme à la lecture des intitulés des textes ayant donné lieu à une réponse de la Commission, qui relèvent plus de l'incantation que de la proposition législative. Selon le sondage Eurobaromètre, deux solutions apparaissent évidentes si l'on entend, comme la Commission le souhaite, oeuvrer pleinement au rapprochement entre citoyens européens et institutions de l'Union : utiliser le biais du Parlement européen et renforcer l'interaction avec les citoyens sur les projets législatifs en cours d'adoption. S'agissant du Parlement européen, la priorité réside dans le renforcement de sa légitimité démocratique. Une réforme de sa composition apparaît à ce titre indispensable, afin de mieux garantir sa représentativité en prenant mieux en compte le critère démographique. Il convient de rappeler que le suffrage d'un État membre à faible population est presque douze fois supérieur à celui d'un État membre très peuplé. En ce qui concerne l'association des citoyens au processus d'adoption des textes, des efforts ont déjà été accomplis depuis 2002.
Au-delà de ces deux axes, il apparaît indispensable de renforcer l'association des parlements nationaux, qui incarnent l'expression des citoyens des États membres, au processus législatif européen, en créant un véritable droit d'initiative ou « carton vert », qui leur confère la possibilité de proposer des actions à mener par l'Union européenne ou d'amender la législation existante. Dans cette perspective, notre commission a conclu au dépôt de la proposition de résolution européenne qui suit. Elle sera doublée d'un avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé directement à la Commission européenne.
M. Didier Marie. - Je partage la circonspection de nos rapporteurs sur les deux points précités, ainsi, globalement que leur analyse de l'ICE : l'intention, qui vise à rapprocher l'Union européenne des citoyens, est louable, mais la mise en oeuvre du dispositif s'avère technocratique et complexe. Vous l'avez rappelé, seules quatre ICE sur quarante-sept ont été jugées examinables par la Commission européenne et aucune n'a encore abouti. Je m'interroge également sur la fixation à seize ans de l'âge ouvrant droit de participation à une ICE, alors que la majorité électorale varie d'un État membre à l'autre. Cette démarche tend indirectement à inciter à l'harmonisation d'une mesure, qui ressort de la liberté de chaque État. Enfin, je souscris à votre proposition tendant à mieux associer les parlements nationaux. Le renforcement du lien entre les citoyens et les institutions européennes ne pourra faire l'économie d'une réflexion en matière d'information et de pédagogie, dans laquelle il me semble que les réseaux sociaux devront jouer un rôle stratégique. Il nécessitera également l'approfondissement de certaines initiatives ; je pense notamment aux échanges universitaires par Erasmus, qui rendent effective auprès des jeunes la citoyenneté européenne. S'agissant du Parlement européen, je ne suis pas non plus convaincu de l'intérêt d'instaurer des listes électorales transnationales pour les élections des eurodéputés ; je crains un éloignement dommageable des élus et des citoyens.
M. André Gattolin. - En 2013, j'ai présenté un rapport sur la citoyenneté européenne devant cette commission. Il relevait les insuffisances de l'ICE. J'avais, à cette occasion, rencontré l'eurodéputé Gerald Häfner, qui fut l'un des rapporteurs du règlement de 2011 visant à rendre le dispositif de l'ICE opérationnel. En réalité, la faute incombe aux États, qui pour certains ont considérablement complexifié la procédure : en France, par exemple, le taux de participation aux ICE est trente fois inférieur à celui enregistré dans d'autres États membres. Pour autant, le dispositif, s'il demeure consultatif, n'est pas absolument inutile. À titre d'illustration, Michel Barnier, alors commissaire européen au marché intérieur et aux services, a retiré l'eau et l'assainissement du champ d'application de la directive « Concessions » en tenant compte d'une ICE sur cette question. D'ailleurs, si le droit de pétition est régulièrement utilisé en France, peut-on considérer, au regard des suites qui lui sont apportées, que la procédure fasse montre d'efficacité ? N'opposons donc pas, mes chers collègues, l'expression des citoyens, des gouvernements, des parlements nationaux et des institutions européennes ! Ils ne sont pas concurrents, mais complémentaires.
Ne confondons pas non plus le seuil de seize ans proposé par la Commission européenne pour la participation à une ICE et la majorité électorale fixée par chaque État membre. La citoyenneté européenne ne doit pas être définie par l'appartenance à une citoyenneté nationale dont l'âge varie. Pour lui donner de la valeur, encore faudrait-il ne pas la brader ! J'ai récemment rencontré les trois fils de Daphne Caruana Galizia, la journaliste maltaise assassinée il y a quelques mois dans des circonstances troublantes, qui m'ont raconté qu'il y a encore peu de temps, Malte vendait aux enchères, pour quelques centaines de milliers d'euros, passeport et citoyenneté européenne. Je ne crois donc nullement qu'offrir la possibilité à un jeune de seize ans de participer à une ICE pose la moindre difficulté : il s'agit seulement de lui permettre d'exprimer un avis, d'autant que, compte tenu des délais de procédure, il est fort probable qu'il ait atteint la majorité lorsqu'interviendront, le cas échéant, les auditions par la Commission européenne. La proposition de réforme de l'ICE vise en réalité, et c'est heureux, à donner une cohérence au dispositif, afin d'en améliorer l'efficacité.
M. Philippe Bonnecarrère. - La rédaction de la proposition de résolution que vous nous avez présentée me satisfait. Je partage votre analyse sur la nécessaire amélioration de la légitimité démocratique de l'Union européenne et approuve votre proposition relative à la création d'un droit d'initiative au bénéfice des parlements nationaux. Ce dispositif constituerait le pendant positif, un « carton vert » plus qu'un « carton orange », à la procédure de véto des parlements nationaux prévue par le paquet dit Tusk en réponse aux demandes britanniques faisant suite au référendum sur le Brexit. Sur l'ICE, j'entends certes les arguments de M. Gattolin, mais j'ai de sérieuses interrogations sur les effets de seuil en matière d'âge. Si je n'ai guère d'illusion sur l'efficacité du dispositif, il n'en demeure pas moins nécessaire de le renforcer. En effet, un mouvement puissant en faveur d'une démocratie participative, complémentaire, il me semble, de la démocratie représentative, est à l'oeuvre dans notre société avec, par exemple, l'émergence des « civi tech », les technologies adaptées à la citoyenneté. Cette aspiration doit à la fois être respectée, canalisée et intégrée dans nos fonctionnements démocratiques. Je conclus sur une remarque : le Président de la République a annoncé vouloir transformer le Conseil économique, social et environnemental (CESE) en « chambre du futur » ; il aurait été à mon sens judicieux que l'Assemblée nationale et le Sénat, dans un souci de modernisation, modifient leur règlement pour prendre plus efficacement en compte le droit de pétition.
M. René Danesi. - Je souscris moi aussi aux propositions de nos rapporteurs. Les chiffres qu'ils ont évoqués montrent le côté un peu « gadget » des ICE : malgré un nombre élevé de signatures, les résultats sont nuls. Au lieu de réfléchir aux raisons de cet échec, la Commission européenne propose, avec un abaissement de l'âge légal de participation, un piètre dérivatif, qui fait la part belle au jeunisme tant à la mode. Or, mes chers collègues, les jeunes ne votent que trop peu ! Souvenez-vous du référendum sur le Brexit : les jeunes, majoritairement favorables au maintien de la Grande-Bretagne dans l'Union européenne, ne se sont guère déplacés. Ils ont ensuite contesté le résultat, approuvant une ICE demandant l'arrêt du Brexit. Il est souvent plus facile d'appuyer sur le bouton « like » sur un réseau social que de se déplacer et de se retrouver face à sa conscience dans un isoloir. Je ne suis donc pas convaincu que l'abaissement à seize ans de l'âge légal de participation renforce d'une quelconque manière l'efficacité de l'ICE. Si la Commission européenne parvient à faire aboutir son projet, il est à craindre, en outre, que dans les États membres, des minorités agissantes exigent l'abaissement du droit de vote à seize ans. Que nous apprend pourtant l'exemple de l'Autriche, qui a adopté une telle mesure ? Les plus jeunes électeurs, par manque d'expérience et de réflexion, y ont massivement voté pour l'extrême droite. Vous l'aurez compris, je suis plus que réservé sur toute disposition qui tend à éloigner nos institutions des principes d'une démocratie classique, exercée à un âge raisonnable, au profit d'une démocratie citoyenne. L'adjectif « citoyen » est d'ailleurs utilisé à tort et à travers, et surtout pour s'opposer. Si certaines procédures européennes doivent être démocratisées, je considère que les parlements nationaux disposent pour ce faire d'une légitimité établie et réfléchie.
Mme Colette Mélot. - Tout en partageant l'esprit de la présente proposition de résolution, j'estime que la jeunesse doit être préparée, en milieu scolaire comme ailleurs, à l'exercice de la citoyenneté. Certes, il n'est pas forcément utile d'abaisser à seize ans l'âge légal de participation à une ICE alors que la majorité électorale est fixée à dix-huit ans, mais je ne suis pas opposée à ce principe. En revanche, notre collègue René Danesi a raison lorsqu'il dénonce l'abstentionnisme des jeunes générations aux élections.
*
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté à l'unanimité la proposition de résolution européenne dans la rédaction suivante :
Proposition de résolution
européenne
(1) Le Sénat,
(2) Vu l'article 88-4 de la Constitution,
(3) Vu les articles 9, 11 et 12 du traité sur l'Union européenne,
(4) Vu les articles 20, 24 et 225 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
(5) Vu les articles 39 et 40 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,
(6) Vu le règlement (UE) n°211/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 relatif à l'initiative citoyenne,
(7) Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'initiative citoyenne européenne (COM (2017) 482 final),
(8) Prend acte du constat mitigé de la Commission européenne sur la mise en oeuvre de l'initiative citoyenne européenne ; relève particulièrement qu'aucune initiative citoyenne européenne n'a débouché sur une initiative législative de la Commission européenne ;
(9) Partage le souci de mieux informer les citoyens et les organisateurs sur les conditions de recevabilité d'une initiative citoyenne européenne ;
(10) Appuie l'ambition de la Commission européenne en vue de rendre plus accessible et plus transparent le recours à l'initiative citoyenne européenne ; s'interroge sur la place que peuvent prendre les États membres dans ce processus ;
(11) Estime que la signature d'une initiative citoyenne européenne est une manifestation de la citoyenneté européenne ; juge dans ces conditions que l'abaissement à 16 ans de l'âge minimal pour être signataire constitue une violation des traités qui prévoient une articulation entre citoyenneté nationale et citoyenneté européenne, la citoyenneté européenne se définissant notamment par la participation aux élections européennes dans les conditions prévues par chaque État membre ;
(12) Rappelle que le rapprochement entre citoyens européens et institutions de l'Union européenne passe notamment par un renforcement de la légitimité démocratique du Parlement européen ; invite en conséquence à une révision de la composition de celui-ci afin de mieux garantir sa représentativité, en prenant plus en compte le critère démographique ;
(13) Juge indispensable de renforcer l'association des parlements nationaux au processus législatif européen, tant ils incarnent l'expression des citoyens des États membres ; estime indispensable la mise en oeuvre d'un droit d'initiative structuré des parlements nationaux leur permettant de contribuer positivement à la législation européenne ;
(14) Invite le gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours.
M. Jean Bizet, président. - Je retiens particulièrement de notre débat les propos de notre collègue Philippe Bonnecarrère sur le respect et la normalisation que nous devons apporter au mouvement « civi tech ».
Pour conclure, mes chers collègues, je vous propose de nommer, en accord avec la commission des lois, Jacques Bigot et Sophie Joissains au groupe de contrôle parlementaire Europol.