COM (2000) 119 final
du 11/04/2000
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 26/02/2001
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 31/05/2000Examen : 17/10/2000 (délégation pour l'Union européenne)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif
Politique étrangère et de sécurité commune
Communication de M. Hubert Haenel
sur la
création d'un dispositif de réaction rapide (E 1465)
Le deuxième texte que je voulais évoquer devant vous est plus complexe encore et traite de la gestion civile des crises.
Outre les décisions qu'il a prises concernant directement la politique européenne de sécurité et de défense dans son volet militaire, le Conseil européen d'Helsinki des 10 et 11 décembre 1999 s'est préoccupé de la gestion non-militaire des crises, aspect essentiel du dossier, plus particulièrement sensible pour les Etats membres neutres au sein de l'Union.
Les conclusions ont arrêté le principe d'instaurer « un mécanisme pour la gestion non-militaire des crises [qui] sera institué pour coordonner et utiliser plus efficacement les divers moyens et ressources civils, parallèlement aux moyens et ressources militaires, dont disposent l'Union et les Etats membres ».
Le rapport de la présidence finlandaise annexé à ces conclusions mentionnait notamment que « des mécanismes de financement rapide, par exemple la création par la Commission d'un fonds de réaction rapide, devraient être institués afin de permettre un financement accéléré des activités de l'Union européenne, de contribuer aux opérations conduites par d'autres organisations internationales et de financer les activités des ONG, le cas échéant ».
L'objectif poursuivi était celui de mettre en état d'alerte précoce la Communauté européenne et de lui donner accès à des dispositifs de réponse rapide, notamment en termes financiers, pour empêcher que les crises s'étendent et dégénèrent en conflits armés.
1. Le dispositif proposé
Le présent texte propose l'instauration d'un dispositif de réaction rapide (DRR) destiné à répondre à des situations de crise ou de menaces de crise et à assurer un financement immédiat des activités non combattantes liées aux opérations urgentes pour gérer ladite situation.
2. Une définition ambiguë des situations envisagées par le texte
Le texte prévoit l'application du DRR en « situation de crise réelle ou naissante », qu'il définit en énumérant quelques cas de figure envisageables : violence croissante déstabilisant l'ordre public, violation de la paix, déclenchement de combats, de conflits armés, de mouvements massifs de population, circonstances exceptionnelles ayant des incidences directes ou indirectes sur la sécurité ou suscitant des inquiétudes sur le plan de la sécurité, catastrophes environnementales mettant en péril la sécurité, la stabilité et la sûreté.
Il mentionne également les situations qu'il ne vise pas, c'est-à-dire celles déclenchant l'aide humanitaire, actuellement gérée, dans le cadre du premier pilier, par l'agence Echo. La distinction s'établirait comme suit :
- Echo continuerait d'apporter son soutien aux victimes de catastrophes engendrées par l'homme ou la nature, essentiellement par le biais de livraisons de marchandises : elle propose une intervention centrée sur l'aspect humain et neutre sur le plan politique ;
- le DRR interviendrait dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, deuxième pilier, au titre des capacités de gestion des crises dont dispose l'Union. Il devrait, « normalement », dit la Commission, permettre la fourniture de services (police, surveillance, déminage, désarmement), entraînant incidemment la fourniture de matériel.
La juxtaposition des deux types d'intervention n'est toutefois pas exclue, ce qui ne simplifie pas la compréhension du dispositif, d'autant que le champ géographique d'intervention du DRR n'est pas limité et couvre le monde entier.
3. Le dispositif financier
Il est prévu que chacune des interventions supportée par le DRR s'élève à un montant maximal de 12 millions d'euros, plafond « calculé sur la base de l'expérience des services impliqués dans des opérations d'assistance et/ou de secours ». En outre, la Commission souhaite pouvoir librement engager des décisions à concurrence de 5 millions d'euros, et ne consultera le comité de crise (cf. infra) que lorsque ce montant sera dépassé ;
Les financements prennent la forme d'aides non remboursables ;
Les interventions seront conduites par des autorités nationales et leurs agences, des organisations et agences régionales et internationales, des ONG et des opérateurs, publics et/ou privés « disposant de l'expérience et du savoir-faire requis ». Elles s'effectueront sur la base d'accords-cadres conclus avec eux, sauf cas particuliers où la situation exigera la collaboration d'un intervenant spécifique ;
Les interventions, courtes par définition, devront être d'une durée maximale de neuf mois, sauf exception ;
L'enveloppe globale prévisionnelle est estimée à 40 millions d'euros par an.
4. Les difficultés du texte
A ce stade du débat, on peut déjà mesurer la complexité du dispositif proposé et différents points paraissent pour le moins critiquables.
Le choix de la base juridique retenue pour justifier la création du DRR paraît contestable. En effet, le texte se fonde sur l'article 308 du Traité (ancien article 235) : « si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l'un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet, le Conseil statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, prend les dispositions appropriées ». Ainsi que la Cour de justice l'a souligné dans son avis du 28 mars 1996, l'article 308 « vise à suppléer l'absence de pouvoirs d'action conférés expressément ou de façon implicite aux institutions communautaires par des dispositions spécifiques du traité, dans la mesure où de tels pouvoirs apparaissent néanmoins nécessaires pour que la Communauté puisse exercer ses fonctions en vue d'atteindre l'un des objets fixés par le traité ». Les termes « communautaires » et « Communauté » visent expressément le premier pilier de l'Union. En revanche, l'article 308 ne peut servir de base juridique pour atteindre des objectifs assignés à l'Union européenne dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (deuxième pilier).
Or, la proposition ne tranche pas clairement entre les premier et deuxième piliers puisque le texte affirme, d'une part, que le DRR finance des opérations liées à l'ensemble de la politique extérieure et de sécurité de l'Union et, d'autre part, que « les interventions couvertes par le projet de règlement sur le DRR relèvent de la compétence de la Commission ». Celle-ci sera assistée par un comité de crise, à rôle consultatif, composé de représentants des Etats membres et présidé par le représentant de la Commission ; en conséquence, on saisit mal qui devrait être à l'origine du déclenchement des interventions émargeant au DRR.
De plus, on ne peut que déplorer le flou qui préside à l'ensemble des dispositions proposées : les règles sont assorties de nombreuses exceptions ou cas particuliers et l'on ignore qui aura la charge d'en apprécier le bien-fondé.
Par ailleurs, le budget prévu semble devoir être dégagé par redéploiement des fonds, sans que soit précisée la provenance desdits fonds.
Enfin, sur le plan conceptuel, il n'est pas certain qu'il soit très efficace de procéder ainsi à la multiplication des instruments intervenant dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et dont on perçoit difficilement la coordination entre les uns et les autres. Par exemple, comment s'articulera ce DRR avec les actions respectives du Haut Représentant pour la PESC, du commissaire européen chargé des relations extérieures ou de l'unité de planification politique et d'alerte rapide créée par le traité d'Amsterdam ?
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En première approche, le dispositif n'est donc guère convaincant : soit on se trouve en situation de gestion de crises, et les instruments traditionnels d'intervention sont disponibles, soit il s'agit d'une action humanitaire, et, là encore, les outils existent. Cette nouvelle catégorie d'intervention est difficile à cerner.
Il faut d'ailleurs signaler que les députés se sont montrés très perplexes, pour leur part, lorsqu'ils ont examiné cette proposition le 29 juin dernier. La délégation de l'Assemblée nationale a souhaité attirer, à son sujet, l'attention des commissions des Affaires étrangères et de la Défense en soulignant « le caractère prématuré de ce texte avant la mise en place d'une nouvelle architecture et des structures de décision définies par le Conseil européen d'Helsinki, le manque de cohérence entre les actions des institutions concernées et l'impuissance de la Commission à réformer les instruments d'assistance aux pays tiers ». Elle a également demandé au Gouvernement d'être tenue informée des développements ultérieurs de ce dossier.
5. Le calendrier prévisible
Ce texte a commencé d'être étudié en juin dernier, sous présidence portugaise. L'initiative a été portée et très soutenue par le commissaire en charge du dossier, M. Christopher Patten. Le moins qu'on puisse en dire est que les Etats membres n'ont pas fait preuve, dès l'origine, d'un très grand enthousiasme. Depuis lors, d'après les renseignements disponibles, il semble que, au cours des discussions passées et encore à venir, des améliorations soient envisagées, en particulier pour ce qui concerne le champ d'action de ce texte, qui serait circonscrit à la zone Balkans.
En tout état de cause, ce texte demeure très imparfait et je ne crois pas que nous puissions l'accepter en l'état. C'est pourquoi, si vous en étiez d'accord, je vous proposerais d'adopter des conclusions retraçant nos fortes réserves.
A la suite d'un débat auquel ont pris part MM. Paul Masson et Aymeri de Montesquiou, la délégation a approuvé les propositions qui lui étaient soumises, mais a décidé de les déposer sous la forme d'une proposition de résolution. Elle a en conséquence conclu au dépôt du texte suivant :
Proposition de résolution
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de règlement du Conseil E 1465, portant création d'un dispositif de réaction rapide,
Demande au Gouvernement de s'opposer à ce texte, dont le but est louable mais les modalités d'actions proposées très contestables, tant que n'auront pas été précisés :
- l'étendue de son champ d'application, pour l'heure géographiquement illimité ;
- la définition exacte de ce qu'il conviendra d'appeler « une situation de crise réelle ou naissante » ;
- la nature des partenaires éligibles et des diverses exceptions prévues ;
- la répartition des rôles pour la mise en oeuvre du dispositif, qui reste difficile à apprécier entre la Commission européenne et les Etats membres ;
- le bien-fondé de multiplier les instruments d'intervention en matière d'assistance aux pays tiers.