Plus sérieusement, mes chers collègues, et ceux qui ont pris la peine de consulter mes amendements l’auront déjà compris, nous sommes, en examinant ce texte, face à une réforme qui soulève de nombreuses interrogations, au regard tant de son opportunité que de ses conséquences réelles pour nos communes et nos élus.
D’abord, interrogeons-nous sur le timing. Pourquoi une telle précipitation à un an des élections municipales ? Pourquoi imposer un changement du mode de scrutin alors que les véritables urgences, comme la création d’un statut de l’élu local, sont laissées de côté ? A-t-on entendu les maires réclamer ce bouleversement ? Non ! (On renchérit sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
Nos élus de terrain, ces femmes et ces hommes qui donnent de leur temps, très souvent bénévolement, pour le bien commun, demandent avant tout qu’on arrête de les noyer sous de nouvelles obligations et d’incessants changements des règles, qui ne répondent à aucun besoin exprimé par les territoires. (Marques d’approbation sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Olivier Paccaud. Aucun !
M. Cédric Chevalier. Ils ne réclament rien d’autre !
M. Olivier Paccaud. Exactement !
M. Cédric Chevalier. Je rappelle pourtant que le Sénat a fait de la simplification des normes son fer de lance, depuis de nombreuses années ! Allez comprendre…
Les élus locaux sont en souffrance, et nos conseils municipaux sont confrontés à des démissions en cascade et à une crise des vocations sans précédent. Plutôt que de les soutenir, on va leur ajouter, si nous adoptons ce texte, des contraintes inutiles et inadaptées. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2020, plus de la moitié des maires ont eu du mal à constituer une équipe, 86 % d’entre eux ont peiné à trouver des volontaires, et 22 % ont affronté de graves difficultés pour respecter la parité.
Certes, celle-ci progresse dans les communes de plus de 1 000 habitants : les femmes représentent 48,5 % des conseillers municipaux dans ces communes, contre 37,6 % dans les communes dont la population est inférieure à ce seuil. Pourtant, c’est dans les communes de moins de 3 500 habitants que l’on trouve le pourcentage le plus élevé de femmes maire.
Mme Sonia de La Provôté. Bravo !
M. Cédric Chevalier. Cette évolution s’est opérée sans contrainte, preuve que des dynamiques locales existent déjà.
M. Olivier Paccaud. Cette évolution a eu lieu sans la loi !
M. Cédric Chevalier. J’ai moi-même été maire d’une commune de moins de 350 habitants. J’ai présenté une liste paritaire, sans y avoir été obligé, mais en convainquant simplement des personnes motivées, prêtes à servir leur commune, quel que soit leur sexe.
Imposer des règles rigides de parité dans des villages où il est déjà difficile de trouver des volontaires, c’est méconnaître la réalité. Dans certaines petites communes, les habitants sont en majorité des hommes ; ailleurs, ce sont des femmes. Doit-on refuser la candidature d’une personne motivée et disponible parce que l’équilibre entre les hommes et les femmes n’est pas atteint ? Quel non-sens ! (M. le rapporteur proteste.)
Plutôt que de modifier le mode de scrutin, ne devrions-nous pas nous interroger sur les causes profondes de la crise de l’engagement municipal ? Au lieu de compliquer davantage la tâche des élus locaux, ne devrions-nous pas concentrer nos efforts sur des réformes attendues, comme celles qui visent à renforcer la démocratie locale ?
Il serait plus pertinent, par exemple, d’achever l’examen de la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local, qui répond aux véritables défis de reconnaissance et de valorisation du rôle de ces élus, et qui a été votée à l’unanimité au Sénat. Offrir à ces derniers des moyens adaptés et un soutien institutionnel renforcé constituerait un levier bien plus pertinent pour encourager de nouvelles vocations et préserver la vitalité démocratique de nos territoires. Il faut qu’un élu puisse trouver un juste équilibre entre sa vie professionnelle, sa vie privée et sa vie d’engagé au service de sa commune.
C’était d’ailleurs la position de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales en octobre dernier, je me permets de le rappeler !
M. Éric Kerrouche, rapporteur. C’est faux !
M. Cédric Chevalier. Sa mission flash sur l’efficacité du fonctionnement des conseils municipaux considérait, dans son rapport intitulé Renforcer l’efficacité des conseils municipaux : des solutions pour 2026, que la création d’un statut de l’élu local était un prérequis et une priorité absolue… Pourquoi cela a-t-il été perdu de vue ?
J’ai l’impression que l’on pourrait tracer un parallèle avec la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux que nous examinerons demain : on a fait le bon diagnostic, on a dressé les bons constats, on a fixé des objectifs vertueux, mais on s’est perdu en route pour trouver des solutions, en imposant des règles stratosphériques sans tenir de compte des réalités de terrain et de la diversité des territoires ! (Mme Anne-Sophie Romagny approuve.)
Certes, cette réforme apporte des assouplissements, en réduisant le nombre de personnes requis pour constituer une liste ou en permettant de siéger dans un conseil municipal incomplet. Mais, pour le reste, elle ne fait que complexifier inutilement un système qui existe et fonctionne déjà bien.
À l’heure actuelle, les candidats ont le choix entre constituer une liste bloquée ou une liste ouverte. Demain, nous restreindrons leur liberté en empêchant une personne motivée de se présenter seule. Où est la liberté ? En obligeant un candidat à trouver des colistiers, quitte à intégrer sur sa liste des personnes sans motivation, nous prenons le risque de créer artificiellement une opposition.
Ce nouveau cadre, s’il est adopté, risque d’exacerber les tensions dans nos villages, où la solidarité et le vivre-ensemble sont des piliers essentiels de la vie locale. Nous risquons de nous diriger vers une démocratie locale plus conflictuelle. Où est la fraternité ?
On nous parle de « tir aux pigeons » ? Mais qu’est-ce qui empêchera l’électeur de rayer un autre nom que celui du maire et de rendre ainsi la liste caduque ?
Les maires sont, dans leur grande majorité, très souvent reconduits, même avec moins de voix que les autres candidats. Quand on se présente ou qu’on se représente à une élection, on prend ses responsabilités. C’est la démocratie.
Qui peut nous assurer que, demain, on ne nous imposera pas d’étiqueter politiquement les listes, renforçant ainsi la politisation du monde local ?
Surtout, rien ne garantit que cette réforme améliore la situation. Pis, nombreux seront les maires qui, face à cette complexité accrue, choisiront de renoncer. Le remède pourrait être pire que le mal !
Le danger ultime serait de voir des conseils municipaux disparaître faute de candidats, et nous savons tous où cela peut mener : à la disparation des communes !
Alors que leur financement a déjà été fragilisé et que leurs responsabilités ont été alourdies, ne risquons-nous pas, sans en avoir conscience, si nous adoptons ce texte, de fragiliser la gouvernance locale et, à terme, de précipiter la fin de nos petites communes ?
C’est pourquoi j’ai déposé et défendrai des amendements visant à préserver le mode actuel de scrutin. Commençons par prendre des mesures pour protéger, valoriser et accompagner les élus locaux, c’est-à-dire instaurons un réel statut ; il sera toujours temps, par la suite, de s’occuper du mode de scrutin !
Enfin, conformément à l’esprit qui prévaut au sein du groupe Les Indépendants – République et Territoires, chacun d’entre nous votera en conscience, en fonction de ce qu’il estime être le mieux pour notre démocratie, même si la majorité de mes collègues partage ma position : davantage de motivation, moins de surréglementation, et plus de liberté pour les petites communes ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la démocratie se trouve non pas seulement dans l’engagement libre des citoyens, mais aussi dans la possibilité de choisir ses représentants.
Ainsi, les textes que nous examinons aujourd’hui permettent de répondre à la préoccupation majeure que constitue la crise de l’engagement municipal, particulièrement dans les communes rurales de petite taille.
Cette crise se manifeste partout en France par une diminution du nombre de candidats aux élections locales, une augmentation des démissions en cours de mandat et une fragilisation des équipes municipales.
Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Exactement !
Mme Agnès Canayer. Comme cela a été rappelé, lors des élections municipales de 2020, 106 communes n’avaient aucun candidat, et, à l’issue du scrutin, 345 communes ne disposaient pas d’un conseil municipal complet.
Afin d’enrayer cette spirale, il est nécessaire de faciliter l’engagement collectif dans tous les territoires et de créer les conditions de la cohésion municipale.
Tels sont les enjeux de cette proposition de loi qui vise à étendre le scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants
Cette proposition de loi, déposée par la députée Élodie Jacquier-Laforge, répond en partie à la problématique d’engagement politique des citoyens.
Mais cette question ne pourra être réellement traitée sans l’instauration d’un véritable statut de l’élu, que nous attendons tous, et le renforcement de l’éducation à la citoyenneté, dès le plus jeune âge.
Les associations d’élus qui soutiennent cette initiative considèrent que le scrutin de liste peut favoriser l’esprit d’équipe, et donc l’engagement collectif et la réussite du projet municipal.
Si l’on s’appuie sur les réponses des élus consultés dans le cadre de l’enquête de la délégation aux collectivités territoriales, force est de constater que les élus locaux sont réservés, de peur souvent de ne pas trouver les candidats, notamment féminins, en nombre suffisant pour satisfaire à l’exigence de parité liée à la mise en œuvre du scrutin proportionnel.
Ce sont des craintes légitimes que le texte tente de contrecarrer, en autorisant notamment le dépôt de listes électorales incomplètes.
De plus, ce texte, s’il est adopté, favorisera l’instauration d’une plus grande stabilité municipale dans nos villages, en évitant que les querelles de clocher ne se répercutent directement sur la vie démocratique.
Ainsi, dans les communes de moins de 500 habitants, les conditions permettant au conseil municipal d’être réputé complet sont aussi assouplies.
Enfin, l’obligation de parité reste souvent pour les maires des communes de petite taille un épouvantail, car elle est trop souvent contraignante, voire parfois injuste.
C’est la raison pour laquelle il convient d’assouplir les effets de la parité sur l’équipe que constituent le maire et ses adjoints. J’ai déposé un amendement visant à aménager le principe de parité lors de l’élection des adjoints dans les communes de moins de 1 000 habitants, afin de limiter ses contraintes pratiques pour les communes de petite taille. Ainsi, je propose qu’un maire, peu importe qu’il soit un homme ou femme, puisse avoir deux adjoints de même sexe, dès lors que la parité est respectée au sein de l’exécutif, ce qui n’est pas possible à l’heure actuelle.
Toujours dans cette logique d’adaptation au réel, il me semble nécessaire de protéger nos communes nouvelles.
C’est tout le sens de mon amendement visant à prolonger la période transitoire au cours de laquelle les communes nouvelles bénéficient, à titre dérogatoire, d’un nombre de conseillers municipaux correspondant à celui d’une commune appartenant à la strate démographique supérieure. Le maintien de cet effectif jusqu’au troisième renouvellement général facilitera l’assimilation par les citoyens de leur nouvelle commune. En effet, la confiance dans notre démocratie locale repose sur la proximité, que la commune représente parfaitement.
Si l’objectif du texte est louable, il n’aborde qu’un seul volet des difficultés actuelles. C’est pourquoi les sénateurs du groupe Les Républicains voteront en fonction des particularités de leur territoire et des retours des maires qu’ils ont rencontrés, et dont l’avis est très souvent partagé.
C’est parce que la commune est la colonne vertébrale de notre confiance en la politique que notre démocratie locale doit être vivifiée pour être à la portée de tous. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un an avant les élections municipales de 2026, nous avons aujourd’hui l’occasion de légiférer sur deux sujets qui concernent de très près les élus locaux que nous représentons ici au Sénat : la parité et le mode de scrutin dans les communes de moins de 1 000 habitants.
Si les questions de parité et de cohésion municipale concernent les 34 871 communes de notre pays, force est de constater que les difficultés se concentrent dans les plus petites communes, comme en témoignent les travaux que j’ai eu l’honneur de mener en 2024, dans le cadre d’une mission flash de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur l’efficacité du fonctionnement des conseils municipaux, avec mes collègues Nadine Bellurot, Éric Kerrouche et vous-même, madame la ministre, alors que vous présidiez encore la délégation.
Dans un contexte de crise de l’engagement local, dont nous parlons souvent ici au Sénat, la proposition de loi organique que nous examinons reprend la sixième recommandation de notre rapport, celle qui est relative à l’extension du scrutin de liste dans les petites communes.
Une telle extension me semble pertinente à bien des égards.
Elle pourrait tout d’abord avoir un effet positif sur le renforcement de la parité et favoriserait une meilleure représentation des femmes dans la vie politique locale.
En effet, lors de nos travaux, nous avons constaté que les femmes ne représentent que 37,6 % des conseillers municipaux dans les communes de moins de 1 000 habitants, contre 48,5 % dans les communes de 1 000 habitants et plus. Ces communes de moins de 1 000 habitants constituent pourtant 71 % des communes françaises.
Dans la mesure où les modes de scrutin sont actuellement différents selon la taille des communes, une harmonisation aurait donc inévitablement pour effet d’augmenter le pourcentage de femmes exerçant des fonctions électives au sein du bloc communal.
J’ajoute par ailleurs que ce renforcement de la parité dans les communes pourrait aussi, par voie de conséquence, entraîner une meilleure représentation des femmes dans notre assemblée sénatoriale.
Ensuite, je considère que l’harmonisation des modes de scrutin pourrait avoir d’autres avantages.
Le scrutin de liste favorise la constitution des équipes et l’émergence d’un collectif, qui ne se résume pas à l’addition d’intérêts particuliers.
On dit souvent qu’un projet politique a besoin, pour être soutenu, d’être incarné. Je pense que c’est vrai.
Mais la politique n’est pas qu’une affaire d’incarnation personnelle ; la politique, au sens noble du terme, c’est également des idées, des valeurs et des projets partagés.
Mes chers collègues, une grande majorité d’entre nous ont été maire avant de siéger au Sénat. Celles et ceux qui ont été élus dans une commune de moins de 1 000 habitants savent pertinemment que certaines élections municipales au scrutin majoritaire se transforment, pour reprendre l’expression qui a été employée par mes collègues précédemment, en véritable « tir aux pigeons ».
Dans les villages, là où la personnification de l’élection est particulièrement puissante, cela peut, à mon avis, desservir notre démocratie locale.
En transformant le scrutin majoritaire en scrutin de liste paritaire, nous inciterons demain les citoyens à voter pour des projets et non pas contre des candidats. On connaît hélas ! le sort réservé à certains élus sortants qui n’auraient pas accordé, ici ou là, quelques autorisations d’urbanisme, tout simplement parce qu’ils ont respecté les règlements en la matière.
Il est vrai qu’à titre personnel, lors de nos travaux, j’avais exprimé des réserves sur la modification du scrutin dans les communes de moins de 500 habitants. Mais mes collègues rapporteurs m’ont convaincu et je me suis aligné sur leur position.
Enfin, je voterai pour l’adoption de ces textes, car ils permettront d’instaurer de nouveaux mécanismes de souplesse, adaptés aux réalités électorales.
Je pense à l’assouplissement des règles de dépôt des candidatures, aux dispositions qui précisent les conditions dans lesquelles un conseil municipal est réputé « complet », au nouveau mécanisme d’élections complémentaires réservé aux communes de moins de 1 000 habitants, ou encore aux règles de désignation des adjoints au maire.
Mes chers collègues, je comprends que ces sujets puissent être source de débat. J’ai échangé, comme chacun de vous, avec de nombreux maires de mon département, et je sais que leurs avis sont partagés.
Néanmoins, je voudrais insister sur le communiqué de presse des associations nationales d’élus locaux qui a été publié le 6 février dernier.
Ce communiqué est très clair : il indique que ces associations soutiennent, depuis 2020, l’instauration du scrutin de liste dans toutes les communes, y compris pour les élections municipales de 2026.
Mme Anne-Marie Nédélec. Ce n’est pas ce que disent les maires !
Mme Cécile Cukierman. Elles demandent surtout l’indexation de la dotation globale de fonctionnement sur l’inflation !
M. Didier Rambaud. Elles considèrent qu’il est « important d’inscrire et de voter ce texte au plus vite ».
J’espère ainsi, mes chers collègues, si vous hésitez encore sur votre vote, que nos débats seront instructifs et permettront à chacune et à chacun de voter selon son intime conviction. En tout cas, les membres du groupe RDPI voteront pour l’adoption de ces propositions de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Guillaume Gontard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 8 juillet dernier, nous célébrions le vingt-cinquième anniversaire de la révision constitutionnelle relative à l’égalité entre les femmes et les hommes. Celle-ci posait ce principe simple, mais indispensable : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. »
Cette réforme a ainsi permis de prendre par la suite des mesures législatives pour améliorer la parité parmi les représentants politiques.
Aujourd’hui, la proportion de femmes élues a largement progressé, notamment grâce à l’instauration de la parité dans certains scrutins, mais elle demeure à 38 % dans les conseils municipaux des communes de moins de 1 000 habitants.
Ce combat pour instaurer la parité parmi les élus locaux doit faire consensus, car c’est le corollaire de la promesse républicaine et démocratique.
Ce préalable étant posé, j’en viens à la question des modalités de scrutin permettant d’atteindre l’objectif de parité.
Cette problématique se double d’un constat contemporain et largement admis d’une crise de l’engagement local dans les communes rurales.
Le nombre de candidats à des fonctions municipales baisse et, en octobre 2024, parmi les maires élus en 2020, 1 787 avaient démissionné de leur mandat. Ces chiffres doivent nous alarmer et nous conduire à légiférer.
Ainsi, pour répondre à l’objectif constitutionnel de parité ainsi qu’à cette crise, le choix est fait, dans ce texte, d’appliquer le scrutin proportionnel et paritaire de liste à toutes les communes. Cette solution s’inscrit dans la continuité des réformes précédentes du droit électoral.
Le passage à ce mode de scrutin emportera nécessairement des conséquences majeures sur les modalités des campagnes politiques dans les communes concernées.
Il conduira toutes les équipes à construire un véritable projet commun, à l’échelle du territoire de la commune, auquel les citoyens pourront adhérer.
C’est en ce sens que cette réforme permettrait de protéger la cohésion des équipes municipales des effets pervers du scrutin majoritaire préférentiel avec panachage.
Je regrette toutefois que les délais imposés par les prochaines échéances électorales ne nous permettent pas d’avoir un débat serein, qui serait pourtant nécessaire, ni de garantir la prévisibilité des règles électorales en vue des prochaines échéances.
Je souligne que certains membres du groupe RDSE défendront un report de cette modification aux élections de 2032 afin de laisser plus de temps aux territoires pour s’adapter.
Je sais que l’instauration du scrutin proportionnel n’est pas la première priorité des élus ruraux. Ces derniers nous alertent quotidiennement sur le manque de soutien, voire parfois de considération, de la part de l’État, sur les problèmes liés à l’absence de statut de l’élu, ou bien sur la désertification des services publics – je pense en particulier aux déserts médicaux ou aux fermetures de classes.
M. Olivier Paccaud. Bravo !
M. Michel Masset. En conclusion, je constate que cette proposition de loi visant à instaurer à la fois le scrutin proportionnel et le scrutin paritaire fait l’objet d’un accueil vraiment mitigé – je mesure mes mots – parmi les associations d’élus, telles que l’AMF ou l’AMRF. Elle ne fait pas l’unanimité, comme me l’a d’ailleurs confirmé le président de l’AMRF de Lot-et-Garonne – je crois que ma collègue sénatrice du département ne me démentira pas. (Mme Christine Bonfanti-Dossat le confirme.)
En somme, le groupe RDSE soutient pleinement le principe de la parité, mais regrette les délais de nos discussions et s’interroge sur l’opportunité de mettre en œuvre la proportionnelle dans les plus petites communes.
En ce qui concerne spécifiquement les textes que nous examinons, la commission des lois a souhaité valider le principe de l’harmonisation du mode de scrutin entre toutes les communes, tout en sécurisant le dispositif. Je tiens à saluer le travail de nos rapporteurs, qui ont intégré une certaine souplesse dans l’application de la loi, notamment pour favoriser le pluralisme.
Mes chers collègues, le groupe RDSE est très partagé, compte tenu des réserves que j’ai exprimées. Plusieurs membres de mon groupe réservent leur vote à l’issue de nos débats.
Dans tous les cas, nous assurons collectivement de notre soutien les élus des communes rurales, qui témoignent au quotidien de leur engagement démocratique en faveur de l’intérêt général.
Nous serons en faveur de toutes les initiatives qui conforteront la place des communes rurales dans notre architecture territoriale, aujourd’hui et demain. Chaque élu votera en fonction des retours qu’il aura reçus dans son territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Sophie Patru. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Sophie Patru. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comment encourager l’engagement dans nos communes, dans ces « petite[s] république[s] dans la grande », comme le rappelle souvent le président du Sénat, faisant siens les mots de Jules Barni ?
C’est en somme la question à laquelle ces deux textes visent à répondre.
Commençons par un constat sans appel : en 2020, après les élections municipales, 345 communes ne disposaient pas d’un conseil municipal complet ; elles n’étaient que 228 dans la même situation en 2014. Leur nombre a donc augmenté de plus de 51 %. Parallèlement, les démissions d’élus municipaux ont atteint un « niveau sans précédent », selon l’AMF, durant ce mandat. Ainsi, au 1er octobre 2024, 1 787 maires et 29 214 conseillers municipaux, qui avaient été élus en 2020, avaient démissionné.
Cela traduit un mal-être des élus, une difficulté à appréhender le mandat dans la vie quotidienne.
Des solutions ont été proposées. Je pense notamment à la proposition de loi relative au statut de l’élu, que vous défendez madame la ministre, et que nous soutenons tous ici, puisqu’elle a été adoptée au Sénat à l’unanimité. Celle-ci constitue une partie de la solution, laquelle ne pourra être complète que si l’on apporte plusieurs améliorations au fonctionnement des conseils municipaux, dans la perspective des élections municipales de 2026.
En ce sens, je salue l’initiative qu’ont prise les auteurs de ces propositions de loi. L’une émane de nos collègues de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, dont le travail qu’ils ont fourni depuis plusieurs mois, notamment au travers d’un rapport d’information, nous permet d’avancer aujourd’hui dans la voie des améliorations, nécessaires, que j’évoquais. L’autre provient de nos collègues de l’Assemblée nationale, qui ont également apporté leur pierre à cet édifice collectif.
Quelles sont donc les améliorations contenues dans ces textes ? Il s’agit principalement de l’extension du scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants, d’une part, et des dispositions sur la complétude des conseils municipaux, d’autre part.
Par ailleurs, ces deux propositions de loi, l’une ordinaire et l’autre organique, sont parfaitement complémentaires et permettent de tirer pleinement parti des modifications qu’elles apportent au mode de scrutin.
Permettez-moi de saluer l’excellent travail de nos rapporteurs, Nadine Bellurot et Éric Kerrouche, qui ont proposé à la commission des lois d’adopter des amendements, afin de sécuriser le texte pour nos plus petites communes. Car c’est bien là le point essentiel : ces améliorations sont souhaitées par les associations nationales d’élus, qu’il s’agisse de l’AMF ou de l’AMRF, mais aussi d’Intercommunalités de France.
Les dispositions prévues peuvent aussi soulever des interrogations, notamment en ce qui concerne la situation des communes de moins de 500 habitants. Là encore, la capacité du scrutin de liste à susciter la création d’un collectif et à inciter à élaborer un projet pour toute la commune, qui sera soumis aux électeurs, est une vertu que nous devons garder à l’esprit. Nous en débattrons lors de l’examen des amendements.
Par ailleurs, ce mode de scrutin n’est pas sans conséquence sur la parité au sein des équipes communales. On évite ainsi la présence des dispositions obligatoires qui étaient envisagées par les députés, dans la rédaction initiale de la proposition de loi ordinaire, à l’article 4, notamment pour les intercommunalités.
Nous nous félicitons de l’application de ces mesures dès les prochaines élections municipales, afin de prévenir les effets d’un manque d’engagement dans les communes de moins de 1 000 habitants, qui représentent 73 % des communes de France.
Il restera un sujet à traiter, madame la ministre, qui est évoqué sur toutes les travées : il s’agit du nombre d’élus dans les conseils municipaux et de sa possible réduction. Cette proposition de loi lance le débat sur ce point. Il nous faut désormais l’approfondir et le préciser en fonction des strates démographiques et des situations spécifiques de certaines communes : je pense notamment aux communes nouvelles, auxquelles vous êtes particulièrement attentive. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à rappeler que notre groupe a toujours défendu la parité. Je souhaite d’ailleurs rendre hommage à la présidente Hélène Luc, qui, en 1999, alors que les femmes comptaient seulement pour 5,6 % de l’effectif total dans cet hémicycle, a mené, avec d’autres, les batailles indispensables pour l’égalité entre les hommes et les femmes.
Cependant, la proposition de loi et la proposition de loi organique que nous devons examiner aujourd’hui ne se cantonnent pas à la question de la parité et portent plus largement sur l’instauration du scrutin de liste dans les communes de moins de 1 000 habitants.
L’objectif, plus que légitime, de la parité, mis en avant par les auteurs des textes, est donc subordonné à la modification du mode de scrutin.
Or, mes chers collègues, si le scrutin de liste semble désormais adapté aux communes de plus de 1 000 habitants, il n’apparaît pas être le mode de scrutin le plus adéquat pour les communes de moins de 1 000 habitants. (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Sophie Romagny applaudit également.)
À l’heure de la différenciation, pourquoi une telle obsession pour l’uniformisation ?
Alors que la crise de l’engagement local nous préoccupe tous, que 5 % des maires ont démissionné depuis 2020, et que les prochaines élections municipales sont dans un an, toute modification du mode de scrutin doit être faite avec minutie.
L’instauration d’un nouveau mode de scrutin proportionnel de liste à deux tours, avec prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête, revient à faire fi de toute prudence et à méconnaître la tradition visant à ne pas modifier en profondeur les modes de scrutin un avant les élections auxquelles ils s’appliquent.
Ne voyant pas de différence à cet égard entre les communes rurales et les grandes villes, nous aurons la même position s’il devait y avoir, dans les jours et les semaines qui viennent, une réforme visant à modifier le mode de scrutin pour les élections municipales à Paris, Lyon et Marseille.
La technique de panachage qui existe aujourd’hui donne aux électeurs la possibilité de construire eux-mêmes la liste qui les représentera le mieux. Quel modèle de démocratie !
Les élus n’ont alors d’autre choix que d’avancer ensemble, selon la volonté de leurs électeurs. L’absence de prime majoritaire favorise en plus le pluralisme, et donc le dynamisme de cette démocratie locale si importante.
Alors que nous regrettons régulièrement notre manque de culture du consensus politique à l’échelon national, les auteurs de ces textes souhaitent supprimer la dernière manifestation de cet esprit dans notre pays !
J’ajoute que nous aurons la même position si certains, demain, dans le souci de clarifier la situation politique nationale, voulaient réformer à coups de hache le mode de scrutin pour les élections législatives, réduisant le pluralisme politique au Parlement sous l’apparente rigueur du scrutin de liste.
Prenons garde, mes chers collègues : le modèle des villes n’est pas adapté à nos petites communes. Quelque 25 000 communes ont moins de 1 000 habitants et connaissent une réalité bien différente de celle des plus grandes villes. En 2020, dans 86 % des communes de moins de 1 000 habitants, le conseil municipal a été élu au premier tour. Dans mon département de la Loire, ce sont seulement huit communes sur deux cents qui ont connu un second tour. Au total, moins de 5 % des maires de ces communes ne sont pas réélus d’une élection à l’autre.
Ensuite, je m’inquiète de la possibilité, prévue dans cette proposition de loi, de considérer qu’une liste est réputée complète s’il manque deux candidats. Ces dispositions auront pour conséquence directe d’enlever un peu plus de démocratie dans nos élections communales. En effet, nous priverons alors les électeurs du pouvoir de réellement choisir la composition du conseil municipal. Le choix d’exclure des candidats serait donné non pas aux électeurs, mais aux candidats qui forment leurs listes. Qui sont ces cinq personnes qui décideraient que le village sera administré par cinq conseillers municipaux au lieu de sept ? Qui sont ces neuf personnes qui décideraient que le village sera administré par neuf conseillers municipaux au lieu de onze ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Cathy Apourceau-Poly renchérit.)
M. Jean-Jacques Panunzi. Bravo !
Mme Cécile Cukierman. Oui, il y a un débat sur le nombre de conseillers municipaux. Menons-le tranquillement, mais ne privons pas certains de nos concitoyens d’un choix démocratique.
Mes chers collègues, je le répète, modifier le mode de scrutin un an avant l’élection apparaît risqué et antidémocratique à nos yeux. Les élus, les habitants et la démocratie des communes de moins de 1 000 habitants ne doivent pas subir les conséquences d’un retard de calendrier parlementaire.
La crise de l’engagement est un fléau bien ancré dans nos préoccupations. Nous savons la lourde tâche qui incombe aux maires et aux conseillers municipaux. Notre rôle est bien de les accompagner et de tout mettre en œuvre pour que leur engagement soit réellement soutenu. Or la modification du mode de scrutin semble aller à l’encontre de cet objectif.